La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de...

24
La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo-Tedesco Alicia Diaz de la Fuente Un personnage littéraire nommé Platero Jacques Issorel 6 rue de l’Isle 26000 Valence - France - 45083628300025 - www.oui-dire-editions.com

Transcript of La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de...

Page 1: La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo La poésie

La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo-Tedesco Alicia Diaz de la Fuente

Un personnage littéraire nommé PlateroJacques Issorel

6 rue de l’Isle 26000 Valence - France - 45083628300025 - www.oui-dire-editions.com

Page 2: La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo La poésie

L’œuvre de Mario Castelnuovo-Tedesco (1895-1968) va fréquemment à la rencontre de la poésie. Sa musique chemine souvent main dans la main avec la poésie de William Shakespeare, Federico García Lorca, John Keats, Walt Whitman ou Juan Ramón Jiménez. De toutes ces sources, la poésie de Shakespeare est la plus visitée. Même si deux de ses cinq opéras sont basés sur des œuvres du dramaturge anglais, c’est dans le genre de la mélodie que sa poésie se trouve le plus mise à l’honneur.

Bien que florentin de naissance, Castelnuovo-Tedesco eut toujours une relation étroite avec la poésie espagnole, ce qui peut s’expliquer par le fait qu’il est descendant d’une illustre famille de banquiers qui vécurent dans la péninsule jusqu’à l’expulsion des juifs d’Espagne en 1492. Ses origines juives seront une source d’inspiration pour nombre de ses œuvres, comme c’est le cas pour son deuxième concerto pour violon, écrit en hommage à Jascha Heifetz, mais ce sont ces mêmes origines qui l’obligèrent à émigrer aux Etats-Unis en 1939, à Hollywood précisément, où il écrivit la musique de plus de deux cents films.

C’est cependant en Italie qu’il commença sa formation musicale, avec le compositeur Ildebrando Pizzeti (1880-1968), montrant dès le début les signes d’un grand talent compositionnel. Alfredo Casella (1883-1947) fut son grand mentor et très vite ses œuvres furent jouées dans toute l’Eu-rope.

Le lien qui unit le compositeur à l’Espagne se révèle sous de multiples facettes : parmi lesquel-les sa rencontre avec le guitariste Andrés Segovia. Leur première rencontre en 1932 inspira à Castelnuovo-Tedesco la composition de son premier concerto pour guitare. A partir de là, cet instrument deviendra un point de référence fondamental dans toute sa production.

Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo

La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo-Tedesco

2

Page 3: La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo La poésie

est, sans aucun doute, l’une des plus originales. Il s’agit d’une œuvre intime, simple, pleine de métaphores... Dans ce sens, la musique de Castelnuovo-Tedesco se fond parfaitement avec la poésie de Juan Ramon Jiménez, dont le langage transparent est plein d’évocations et de réso-nances andalouses. Aucun des deux ne pratique de grandes ruptures esthétiques, tous les deux tendent la main à la tradition, littéraire pour l’un et musicale pour l’autre, et recherchent avant tout l’auditeur, le lecteur, l’enfant qui est en chacun de nous.

Castelnuovo-Tedesco choisit vingt-huit chapitres parmi les cent trente-huit que compte l’œuvre littéraire. Le choix de l’instrumentation semble couler de source, et être même presque évident. Quel meilleur instrument que la guitare pour faire résonner entre ses cordes les images de la terre andalouse? Avec, bien évidemment, un narrateur, une voix qui chemine de concert, faisant parfois ressortir la parole, d’autres fois s’immergeant dans le son, le plus souvent en une magique fusion d’intentions communes.

L’atmosphère espagnole n’imprègne pas seulement tout le timbre de l’œuvre, mais aussi ses harmonies, ses mélodies, ses rythmes… Ce que l’on peut d’ailleurs constater dès le début. Avant même que ne commence le récit, une petite introduction de onze mesures confiée à la guitare, suggère musicalement les prémisses fondamentales de cette pièce. En premier lieu le composi-teur emploie le “mode de Mi”, caractéristique de la musique populaire espagnole, transposé à une quinte juste ascendante, la note Si devenant la note initiale du mode et Mi le son pivot.

C’est la raison pour laquelle la première partie de cette pièce est construite sur une double note pédale (Mi-Si), même quand la gamme se transforme, une fois commencée la narration.

3

Page 4: La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo La poésie

Néanmoins, les développements harmoniques que propose Castelnuovo-Tedesco ne sont pas simples: en eux se mêlent étroitement, d’une part la couleur modale propre à la musique popu-laire espagnole, et d’autre part des éléments de tonalité fluctuante ainsi que des idées harmoni-ques diverses juste suggérées, comme les harmonies par quartes ou quintes parallèles. De fait, le geste mélodique initial (Mi-La-Ré-Sol) possède un double sens : il marque la polarité initiale autour du Mi, en même temps qu’il génère tout un espace sonore par quartes qui bénéficie de la sonorité ouverte des cordes à vide de la guitare. Ainsi quand arrivent des accords à la définition tonale floue, la construction par quarte ou quinte brouille l’intention et génère ainsi les espaces d’ambigüité harmoniques nécessaires pour circuler parmi des éléments sonores si divers. Tel est le cas, par exemple, de l’accord final de cette première pièce (Ré-La-Si-Fa#) qui confère à l’ensemble un ressenti harmonique de large ouverture.

Cette ouverture se retrouve également en maints autres passages. Donnons-en un exemple. La narration a commencé “ Platero est petit, velu, doux, si moelleux d’aspect qu’on le dirait tout en coton, sans squelette. Seul les miroirs de jais de ses yeux sont durs comme deux scarabées de cris-tal noir…”. Une fois passée l’introduction musicale déjà évoquée, la musique, que le compositeur ne qualifie pas en vain comme “Allegretto molto mosso, trottando” (Trottinante, comme trotte le petit Platero), maintient un mouvement continu qui s’interrompt seulement à deux reprises : pour souligner les expressions qui caractérisent les “yeux durs”, de “cristal noir”. C’est le regard de Platero, attentif, en alerte, vif. A cet instant la musique s’arrête. On dirait que le silence de la guitare a presque le caractère d’un madrigalisme, un silence expressif précédé d’un accord sforzato qui résonne dans le regard du petit âne. Mais nous disions qu’à cet instant l’ouverture harmonique se fait particulièrement présente: en effet, ces deux accords sont, du point de vue tonal, des accords de septième dominante non résolus. Ils restent comme en suspension pour que la musique continue le mouvement précédent. Magnifique métaphore de ce curieux regard que possède le protagoniste de Juan Ramón Jiménez! Un regard qui s’immobilise un instant avant de reprendre son chemin.

Les allusions directes textes-musique sont nombreuses. De fait, le contraste narratif initial (“petit, velu, doux… mais avec des yeux durs comme le cristal noir”) est répété à d’autres moments (“il est tendre et caressant, comme un enfant, comme une enfant… mais fort et sec en dedans, comme de la pierre”) avec le même caractère et les mêmes moyens musicaux (mouvement inter-rompu par un silence inattendu). Dans la présente version de Miguel Ángel Romero et Clément Riot il est juste de souligner que les relations entre son et parole se trouvent soulignées par les interprètes de manière très efficace. Grâce à leur interprétation subtile, soignée jusque dans les moindres détails, la communion entre musique et poésie devient nette, brillante, presque évidente.4

Page 5: La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo La poésie

Parmi les innombrables liens qui unissent étroitement texte et musique, il nous faut signaler aussi comment les mouvements chromatiques s’associent au cheminement joueur de Platero: “Je le laisse aller (…) et il caresse doucement de son mufle, les effleurant à peine, les petites fleurs roses, bleues et jaunes.”

Puis, plus tard “et il vient à moi, d’un petit trot gai, comme s’il se riait”

L’un des motifs les plus clairement descriptifs est celui du canari du chapitre dix. Le compositeur, non seulement décrit le vol du petit oiseau, mais, en plus, crée des gestes distincts pour suggérer le vol bref du canari dans sa cage et le mouvement plus ample quand il s’en échappe. Dans le premier cas, le geste musical est extrêmement court :

Alors que, dans le second cas, la mélodie embrasse un parcours de plus large amplitude. “Un jour, le canari vert, je ne sais comment ni pourquoi, s’envola de sa cage”

5

Page 6: La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo La poésie

Parmi les modes dont se sert Castelnuovo-Tedesco pour habiller la narration, sont particulière-ment édifiants à cet égard ceux dans lesquels quelque mélodie populaire vient s’intégrer dans le texte musical. C’est le cas de cette petite fille qui, au chapitre trois, “Jeux au crépuscule”, chante la fameuse chanson “Yo soy la viudita del conde de Oré…” (”je suis la petite veuve du comte de Oré…”). La résonance de la cadence andalouse enveloppe l’obscurité de la nuit quand Platero poursuit son chemin. Egalement dans le chapitre dix, quand “les enfants sautaient, applaudis-saient, battaient des mains, rougeoyant et riant comme des aurores”; Ou bien, évidemment, la valse que le petit âne danse à la fin de la même pièce “en tournant sur ses pattes arrière en une valse grossière”.

Et quand arrive le moment de la mort… La musique se fait “moderato, ma deciso e sinistro”. Les caractères du timbre sonore se transforment et apparaît le recours à la technique du “sul legno” (littéralement « sur le bois » rythme percussif de l’instrumentiste sur la table d’harmonie. ndt), peut-être comme un battement de cœur qui s’éteint doucement, triste, comme un chemin sans retour.

Néanmoins, le final n’est pas désespérant, il ne pouvait pas être complètement tragique. Ainsi, dans l’écurie de Platero, filtre un rayon de soleil. Juan Ramón Jiménez voulut parler à l’enfant caché en chaque être humain et cet enfant-là ne cesse jamais de rêver. L’innocence est plus forte que la mort et le vol d’un papillon de trois couleurs nous en donne l’illusion : tu reviendras Platero?

Alicia Diaz de la FuenteMadrid, Juin 2008

Alicia Díaz de la Fuente, Docteur en philosophie (UNED) y titulaire du diplôme supérieur de composition et d’orgue (RCSMM). Son activité musicale est consacrée à la composition (comman-des de l’INAEM, E.M. Manhattan, CDMC, OCNE…), la recherche (CSM de Salamanque, Université de Alcalá de Henares, Université Internationale Menéndez Pelayo, Staatliche Hochschule de Stut-tgart…) et l’enseignement (Professeur d’analyse au Conservatoire National supérieur de Madrid).

6 Traduction Clément Riot

Page 7: La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo La poésie

7Miguel Ángel Romero Clément Riot

Page 8: La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo La poésie

Si l’œuvre de Juan Ramón Jiménez (1881-1958) – que les Espagnols appellent familièrement et affectueusement Juan Ramón – est restée si vivante un demi-siècle après la mort du poète à Porto Rico, c’est en grande partie grâce à l’un de ses livres de jeunesse, écrit en prose poétique : Platero y yo. Juan Ramón a vingt-cinq ans quand il en entreprend la rédaction. Il n’en est pourtant pas à son coup d’essai. Enfant prodige de la poésie, il publie en 1899 dans une revue madrilène quelques poèmes aussitôt remarqués par le poète alors admiré de tous : Rubén Darío. Celui-ci l’invite à venir à Madrid où il va côtoyer quelques grands noms du Parnasse en ce début du vingtième siècle : Villaespesa, Valle-Inclán, les frères Machado. Mais l’euphorie madrilène est de courte durée et le poète, dont la sensibilité exacerbée ne résiste pas au choc causé par la mort subite de son père (1900), tombe dans une grave dépression dont il est soigné dans une clinique du Bouscat puis à Madrid. C’est une fois de retour dans son petit village andalou de Moguer qu’il commence à écrire Platero y yo. La première édition verra le jour huit ans plus tard, en 1914, avec ce sous-titre : Elegía andaluza. “Élégie”, car tout au long des pages Juan Ramón évoque le souvenir de Platero, son âne, son ami, mais élégie “andalouse”, car l’œuvre est bien enracinée dans le terroir andalou : Moguer, ses maisons blanches, ses rues poudreuses, sa campagne. Des cent trente-huit brefs chapitres qui composent l’œuvre Mario Castelnuovo-Tedesco en a retenu vingt-huit. Son choix est doublement pertinent, dans la mesure où ces vingt-huit chapitres sont ceux où le talent poétique de Juan Ramón s’exprime avec le plus de délicatesse et aussi ceux où vibre avec le plus de force la pensée du poète. Tel est, en effet, le double aspect de Platero y yo. D’une part, on peut lire l’œuvre, ou mieux, l’écouter grâce à Clément Riot et Miguel Ángel Romero, comme une chronique de la vie quotidienne à Moguer au début du siècle dernier. D’autre part, on peut reconnaître en elle « un journal intime où le poète exprime les sentiments divers qui animent son âme devant le spectacle du monde » (Bernard Sesé). Nous sommes là en présence de l’un des traits les plus attachants de Platero y yo : le livre s’adresse aussi bien aux enfants (Juan Ramón le définit lui-même, en tête de l’édition de 1914, comme “un libro para

Un personnage littéraire nommé Platero

8

Page 9: La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo La poésie

niños”) qu’aux adultes et même aux érudits. Aussi est-il aujourd’hui en Espagne et dans toute l’aire hispanique un livre de texte dans les écoles (comme chez nous Le Petit Prince ou les Lettres de mon moulin), mais aussi un livre étudié dans les universités du monde entier et qui a donné lieu à une impressionnante bibliographie critique. Ce sont ces deux niveaux de lecture de Platero y yo, que nous allons essayer de mieux cerner maintenant. Laissons tout d’abord le poète répondre lui-même à la question que tous ses lecteurs se posent : Platero a-t-il existé ? « Bien sûr qu’il a existé. Tous ceux qui en Andalousie habitent à la campagne possèdent des ânes et aussi des chevaux, des juments, des mulets […] Platero est le nom général d’un certain type d’âne, un âne gris argenté […] En réalité, mon Platero n’est pas un seul âne mais plusieurs, une synthèse d’ânes plateros. » Platero, dont le premier chapitre trace magistra-lement le portrait (“Platero est petit, velu, doux”), n’est ni un âne savant, ni un animal doté de la parole comme dans les fables de La Fontaine. D’un bout à l’autre de l’œuvre, il conserve son statut d’animal de compagnie, tout en devenant, au fil des pages, bien plus qu’un simple com-pagnon de promenade. Platero est un être simple, innocent, spontané, à la fois robuste (“T’es d’l’acier”) et sensible, à l’image de son maître. Comme un enfant, il s’endort en écoutant une berceuse (“La berceuse”, ch. 12). Comme un enfant encore, il bondit de joie lorsque le canari envolé revient dans sa cage (“Le canari s’envole”, ch. 10). Il faut voir avec quelle délicatesse il porte pour un petit tour de promenade la “phtisique” : “Platero, lui, allait doucement, comme s’il savait qu’il transportait sur son dos un fragile lis de fin cristal” (ch. 13). Le titre du chapitre 11 nous dit tout sur les liens qui unissent l’âne et le poète : “Amistad” / “Amitié”. “Nous nous entendons bien. Moi, je le laisse aller à sa guise et lui m’emmène toujours où je veux.” La com-plicité qui les unit devient même fusion dans le chapitre 7, “Retour” : “Et je pensai, aussitôt, à Platero que j’avais, bien qu’il fût sous moi, complètement oublié, comme si c’était mon propre corps”. Cette amitié, et aussi le livre, pourraient s’achever avec la mort de Platero. Il n’en est rien. Trois nouveaux chapitres aux titres révélateurs (“Nostalgie”, “Mélancolie”, “À Platero, dans le ciel de Moguer”) viennent nous dire que si le corps de Platero est retourné à la terre, son âme est toujours vivante et continue d’accompagner le poète. Elle manifeste sa présence dès la mort du petit âne : “Dans l’écurie silencieuse, s’illuminant chaque fois qu’il croisait le rayon de soleil de la lucarne, voletait un beau papillon de trois couleurs…” (chap. 25). On retrouve la métaphore de l’âme-papillon dans le chapitre 27, “Melancolía” : “Un léger papillon blanc, que je n’avais pas vu avant, virevoltait avec insistance, comme une âme, de lis en lis…” Ces deux métaphores nous invitent à relire ou à réécouter le texte depuis le début. Nous nous apercevons alors que les papillons (et aussi les lis sur lesquels ils aiment à se poser) sont présents tout au long du livre. Du même coup, voilà éclairée la fin du chapitre 2 où le poète déclare à l’employé de l’octroi que l’âne et son maître ne portent que des “papillons blancs”. L’un et l’autre ne sont que âmes et ce passage ne prend tout son sens que lorsqu’on lit dans le dernier chapitre : “À toi ce livre qui parle 9

Page 10: La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo La poésie

de toi, maintenant que tu peux le comprendre. Il va vers ton âme, broutant désormais au Paradis, avec l’âme de nos paysages de Moguer, elle aussi montée au ciel avec la tienne.” Ces lignes sont essentielles pour bien comprendre et apprécier la portée du livre. Certes Platero y yo nous offre une collection d’anecdotes tantôt pittoresques, tantôt émouvantes, des paysages finement évo-qués, des types humains, des scènes de village, mais l’œuvre n’aurait pas perduré si elle n’avait été que cela. Peu de temps avant sa mort, Juan Ramón Jiménez confia à son ami Ricardo Gullón : “La poésie est une tentative pour s’approcher de l’absolu au moyen de symboles”. C’est bien cela que fait le poète dans Platero y yo, où il vise la quintessence, l’âme des êtres, des choses, des instants de la vie. Il y parvient grâce à une constante idéalisation de la nature, des animaux et parfois des personnes. Ses outils sont la métaphore et, plus encore, la comparaison, le jeu des couleurs, les fleurs, le cristal, les pierres et les métaux précieux : saphir, émeraude, or, argent. Le passage suivant, tiré de “Retorno” / “Retour”, constitue un échantillon représentatif de la vision du monde idéalisée que propose l’œuvre : “Le soir d’avril tombait. Tout ce qui, dans le couchant, avait été cristal d’or, devenait cristal d’argent, une allégorie lisse et lumineuse, de lis de cristal. En-suite le vaste ciel devint comme un saphir transparent, changé en émeraude”. Les êtres sont, eux aussi, quelquefois appelés à la même transfiguration. La phtisique que Platero promène à travers le village devient un “fragile lis de fin cristal”, les yeux de Platero “deux belles roses” (chap. 5). L’amour franciscain que le poète porte aux êtres et aux choses est à l’origine de cette constante transfiguration du réel. Celui-ci est là, terrestre et bien présent dans toutes les pages du livre, mais dans une continuelle ascension vers le divin. “Mon âme, écrit-il dans le dernier chapitre, […] en cheminant parmi les ronces en fleur, devient de jour en jour meilleure, plus pacifique, plus pure” Aussi comprend-on qu’un critique comme Michael P. Predmore ait pu insister sur le caractère évangélique de l’œuvre. Il remarque que, comme le Christ, Platero et son maître sont attentifs aux enfants, aux humbles, aux malades et écrit : « La mort de Platero est triste, mais aussi joyeuse. Avec son exemple, sa mise en pratique de la doctrine de Jésus (sous la direction de son maître, son âme), il prépare le monde vers un plus haut degré de perfection morale et contribue à la marche ascendante de l’homme vers la plénitude vitale. Platero fait au monde un legs précieux d’amour et de pureté. » Toutefois, la tension vers le spirituel entraîne aussi le poète et son compagnon vers une sorte de repli, de refus de tout ce qui pourrait ressembler à la vulgarité. Le chapitre 24 nous fournit un bon exemple de cette tendance du poète qui n’hésita pas à inscrire cette dédicace en tête de l’une de ses anthologies poétiques : “À la minorité, toujours”. Ce chapitre, intitulé “Carnaval”, nous met en présence d’un petit drame vécu par Platero et le narrateur. C’est jour de Carnaval et ce devrait être un jour de joie, comme le donne à penser l’exclamation initiale : “Comme il est beau aujourd’hui, Platero !” Les enfants du village forment un groupe dont l’anonymat est 10

Page 11: La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo La poésie

souligné par les masques qu’ils portent. Ils ont déguisé le pauvre Platero qui apparaît bien accablé sous son “harnais mauresque”, comme le suggère l’adjectivation abondante. Triste carnaval que celui-là : il pleut, il fait froid, le vent souffle et les confettis (qui d’ailleurs perdent leur nom au profit d’une longue périphrase) ne volent pas, mais roulent sur le trottoir. Les voici sur la place du village. Des femmes “déguisées en folles” se mettent à danser bruyamment autour du petit âne, bientôt imitées en cela par les enfants. Deux adjectifs nous indiquent alors dans quel état mental se trouve Platero : “indécis” et “nerveux”. Il est pris au piège, “comme un scorpion cerné par le feu”. On assiste à ce moment à un double mouvement. Platero apparaît comme un animal fragile, mais qui s’humanise de plus en plus, tandis que celles et ceux qui le tourmentent se dé-pouillent d’une part de leur humanité en se mettant à braire. L’énumération par laquelle s’achève l’avant-dernier paragraphe (“Toute la place est devenue un impressionnant concert de cuivres, de braiments, de rires, de chansons, de tambours de basque et de mortiers en cuivre…”) traduit bien l’impression d’insupportable écœurement qui se dégage de cette fête bruyante. Platero acquiert alors une dimension pleinement humaine en brisant, volontaire et décidé (“comme un homme”), mais aussi les yeux pleins de larmes, le cercle des “folles” et des enfants moqueurs pour rejoindre son maître. “Carnaval” peut être lu comme une simple anecdote : un lundi de Carnaval à Moguer, mais aussi comme une parabole dont chacun des éléments conduit vers la leçon morale finale. Dans ce cha-pitre on voit l’individu (Platero) seul, sans défense, face à une masse, une société qui l’opprime, l’étouffe et nie sa dignité. Le message est clair : le groupe, la foule font de l’être humain (ici, les femmes et les enfants) un être grégaire, capable de tous les débordements. Aussi, dans le dernier paragraphe, le poète exalte-t-il l’individu, sa liberté, son pouvoir de décision. Il le fait en s’iden-tifiant à l’âne dans les deux dernières phrases du texte (“Comme moi, il ne veut pas entendre parler des Carnavals… Nous ne sommes pas faits pour ces choses-là…”) et proclame que seule l’intimité est capable de créer des relations authentiques entre les êtres. Ces dernières lignes nous font alors irrésistiblement penser à la dédicace rappelée plus haut : “A la minoría, siempre”. Le prolongement naturel d’une lecture ou d’une audition de Platero y yo serait d’aller à Moguer, là-bas tout au bout de l’Andalousie, et, livre en main, de retrouver les lieux jadis parcourus par le poète et son âne. Promenade d’autant plus agréable que les autorités locales ont eu l’heureuse idée de placer à tous les endroits du village et des environs, cités dans le livre, des panneaux d’azulejos aux superbes couleurs, où sont joliment reproduits des passages de Platero y yo. Cette ruta literaria passe, bien sûr, par la Casa-Museo Zenobia y Juan Ramón Jiménez où sont conservés de nombreux souvenirs du poète et une grande partie de sa riche bibliothèque. C’est dans cette maison qu’il vécut avec sa famille dès l’âge de cinq ans et durant sa jeunesse jusqu’à ce que, à la suite de la ruine de l’entreprise familiale, elle soit vendue et rachetée par Fernando 11

Page 12: La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo La poésie

Hernández-Pinzón, beau-frère de Juan Ramón, qui, en 1956, la céda à la Diputación Provincial de Huelva. Aujourd’hui magnifiquement restauré, cet édifice du XVIIIe siècle abrite le siège de la Fondation Zenobia et Juan Ramón Jiménez, créée en 1989 par la Diputación de Huelva et la municipalité de Moguer. La maison natale du poète, située non loin de la Casa-Museo, est, elle aussi, parfaitement conservée. Tous ces lieux, les chemins de la campagne environnante, les couleurs du paysage, les fleurs et les papillons, nous parlent encore de Platero, petit âne anda-lou, promu par la grâce poétique de Juan Ramón Jiménez, son créateur, maître et ami, au rang de personnage littéraire universellement connu. Jacques IssorelPerpignan, juin 2008

Jacques Issorel est professeur émérite d’espagnol à l’Université de Perpignan. Plusieurs de ses travaux portent sur l’œuvre du poète Fernando Villalón (1881-1930), camarade de classe et ami de J.R. Jiménez, en particulier, Fernando Villalón ou la rébellion de l’automne, Perpignan, 1988, et F.V. Poesías completas, Madrid, 1998. Il est aussi l’auteur de Collioure 1939 : les derniers jours d’Antonio Machado, 2002 (3e éd.).

12 photographies Nadia El Hafidi - Illustration Godeleine de Rosamel ® oui’dire éditions 2008

Page 13: La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo La poésie

La poesía de Juan Ramón Jiménez de la mano de la música de Castelnuovo-TedescoAlicia Diaz de la Fuente

Un personaje literario llamado Platero Jacques Issorel

6 rue de l’Isle 26000 Valence - France - 45083628300025 - www.oui-dire-editions.com

Page 14: La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo La poésie

La obra de Mario Castelnuovo-Tedesco (1895-1968) se imbrica frecuentemente con la poesía. Su música caminó a menudo de la mano de William Shakespeare, Federico García Lorca, John Keats, Walt Whitman o Juan Ramón Jiménez. De todos ellos, fue la poesía de Shakespeare la fuente más visitada. Inclusive, dos de sus cinco óperas están basadas en obras del dramaturgo inglés, si bien es en el género de la canción donde más se prodiga su poesía.

Aunque florentino de nacimiento, Castelnuovo-Tedesco mantuvo siempre un estrecho vínculo con la poesía española, lo que bien puede relacionarse con el hecho de ser descendiente de una distinguida familia de banqueros que vivió en la península hasta la expulsión de los judíos de España en 1492. Su origen judío será fuente de inspiración para muchas de sus obras, caso de su segundo concierto para violín escrito en homenaje a Jascha Heifetz, pero será también su origen judío lo que le obligue a emigrar a Estados Unidos en 1939, asentándose en Hollywood y escribiendo música para más de doscientas películas.

No obstante, la formación musical de Castelnuovo-Tedesco se inicia en Italia de la mano del compositor Ildebrando Pizzetti (1880-1968), dando muestras enseguida de un gran talento com-positivo. Alfredo Casella (1883-1947) fue su gran mentor y muy pronto sus obras fueron inter-pretadas en toda Europa.

La relación del compositor con España se desdobla en múltiples facetas y su encuentro con el guitarrista español Andrés Segovia es una de ellas. En 1932 este primer encuentro inspira a Cas-telnuovo-Tedesco la composición de su primer concierto para guitarra. A partir de entonces será dicho instrumento un punto de referencia fundamental en toda su producción.

De entre las casi cien composiciones que Castelnuovo-Tedesco dedicó a la guitarra, Platero y yo es, sin duda alguna, una de las más originales. Se trata de una obra intimista, sencilla, cargada

La poesía de Juan Ramón Jiménez de la mano de la música de Castelnuovo-Tedesco

2

Page 15: La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo La poésie

de metáforas... En ese sentido, la música de Castelnuovo-Tedesco se fusiona a la perfección con la poesía de Juan Ramón Jiménez, cuyo lenguaje transparente está lleno de evocaciones y resonancias andaluzas. En ninguno de los dos encontramos grandes rupturas estéticas, ambos dan la mano a la tradición literaria y musical y buscan al oyente, al lector, al niño que hay dentro de cada uno de nosotros.

Castelnuovo-Tedesco eligió veintiocho de los ciento treinta y ocho capítulos de que consta la obra literaria. La elección de la plantilla parece obvia, casi obligada. ¿Qué mejor instrumento que la guitarra para hacer resonar entre sus cuerdas las imágenes de la tierra andaluza? Y, por supuesto, un narrador, una voz que camina a la par, a veces destacando la palabra, otras sumergiéndose en los sonidos, las más de las veces en una mágica fusión de intenciones. El ambiente español impregna no sólo el timbre de la obra, sino también sus armonías, sus me-lodías, sus ritmos... lo que puede comprobarse desde el inicio de la misma. Antes de iniciarse el relato, una pequeña introducción de ocho compases a cargo de la guitarra sugiere musicalmente las premisas fundamentales de la pieza. En primer lugar, el compositor emplea el «modo de mi», característico de la música popular española, transportado una quinta justa ascendente, siendo «si» nota inicial del modo y «mi» el sonido polarizante:

Esta es la razón de que la primera parte de la pieza está construida sobre una doble nota pedal (mi-si), incluso cuando la gama se transforma, tras el inicio de la narración.

3

Page 16: La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo La poésie

Sin embargo, los procesos armónicos que plantea Castelnuovo-Tedesco no son simples: en ellos se imbrican el sabor modal propio de la música popular española con elementos de tonalidad fluctuante y otras sugerencias armónicas diversas, como las armonías por cuartas o quintas para-lelas. De hecho, el gesto melódico inicial (mi-la-re-sol) posee un doble sentido: marca la polaridad inicial en torno al «mi» al tiempo que genera un espacio sonoro por cuartas que aprovecha la sonoridad abierta de las cuerdas al aire de la guitarra. De este modo, cuando se plantean acordes de vaga funcionalidad tonal, la disposición por cuartas o quintas desdibuja su dirección, gene-rando espacios de ambigüedad armónica muy necesarios para transitar entre elementos sonoros tan diversos. Tal es el caso, por ejemplo, del acorde final de esta primera pieza (re-la-si-fa#) que otorga al conjunto un sentido armónico de gran apertura.

Tal apertura, no obstante, se hace presente en muchos otros momentos. Pongamos un ejemplo. La narración ha comenzado: «Platero es pequeño, peludo, suave, tan blando por fuera que se diría todo de algodón, que no lleva huesos. Sólo los espejos de azabache de sus ojos son du-ros cual dos escarabajos de cristal negro...». La música, tras la citada introducción, que no en vano aparece definida por el compositor como «allegretto molto mosso, trottando» (trotando como trota el pequeño Platero), mantiene un movimiento continuo que sólo se detiene en dos momentos: para remarcar los términos «ojos duros» y «cristal negro». Es la mirada de Platero, atenta, despierta, llena de viveza. En ese instante la música se detiene. Se diría que el silencio de la guitarra tiene casi el carácter de un madrigalismo, un silencio expresivo precedido de un acorde sforzato que resuena sobre la mirada del burrito. Pero decíamos que en ese instante la apertura armónica se hace particularmente presente: en efecto, ambos acordes son, desde el punto de vista tonal, acordes de séptima dominante que no resuelven. Quedan suspendidos en el aire para continuar la música el movimiento precedente. ¡Magnífica metáfora de esa mirada curiosa que posee el protagonista de Juan Ramón Jiménez! Una mirada que se detiene un instante antes de continuar su camino.

Las alusiones directas texto-música son múltiples. De hecho, el contraste narrativo inicial (“pe-queño, peludo, suave... pero con los ojos duros como el cristal negro”) se repetirá en otros mo-mentos (“es tierno y mimoso igual que un niño, que una niña..., pero fuerte y seco por dentro, como de piedra”) siendo caracterizado el contraste con el mismo recurso musical (movimiento interrumpido por un inesperado silencio). En la presente versión de Miguel Ángel Romero y Clément Riot es justo destacar el hecho de que las vinculaciones entre palabra y sonido son remarcadas por los intérpretes de un modo muy eficaz. Gracias a su interpretación sutil, cuidada en cada pequeño detalle, la comunión entre música y poesía se vuelve nítida, casi evidente. Entre esta infinitud de relaciones entre texto y música, señalaremos también cómo los movimientos cromáticos se asocian al caminar juguetón de Platero: «Lo dejo suelto (...) y acaricia tibiamente 4

Page 17: La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo La poésie

con su hocico, rozándolas apenas, las florecillas rosas, celestes y gualdas...»

y, más adelante, «y viene a mí con un trotecillo alegre»...

Uno de los motivos más nítidamente descriptivos lo constituye el vuelo del canario del capítulo diez. El compositor no sólo describe el vuelo del pajarillo, sino que, además, crea gestos distintos para sugerir el vuelo breve del canario dentro de la jaula y el movimiento amplio cuando se es-capa de ella. En el primer caso el gesto musical es extremadamente corto:

Mientras que en el segundo caso la melodía abarca un recorrido de mucha mayor extensión. «Un día, el canario verde, no sé cómo ni por qué, voló de su jaula»:

De entre los modos como Castelnuovo-Tedesco viste la narración resultan particularmente desta-cables aquéllos en los que alguna melodía popular se integra en el propio texto. Tal es el caso de 5

Page 18: La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo La poésie

aquella niña que, en el tercer capítulo, «Juegos del anochecer», canta la conocida canción «Yo soy la viudita del conde de Oré...». El resonar de la cadencia andaluza envuelve la oscuridad de la noche cuando Platero sigue su camino. Y también en el décimo capítulo, cuando «los niños saltaban, tocando las palmas, arrebolados y rientes como auroras»; o, cómo no, el vals que el pequeño burro baila al término de la misma pieza «girando sobre sus patas en un vals tosco».Y cuando llega el momento de la muerte... la música se torna moderato, ma deciso e sinistro. Los elementos tímbricos se transforman y aparece el recurso al sul legno quizás como un latido que se apaga despacio, triste, como un camino sin retorno.

Sin embargo, el final no es desesperanzador, no podía ser del todo trágico. Así, en la cuadra de Platero se filtra un rayo de sol. Juan Ramón Jiménez quiso hablar al niño interior de cada ser humano y ese niño nunca deja de soñar. La inocencia puede más que la muerte y el vuelo de una mariposa de tres colores nos devuelve la ilusión: ¿volverás, Platero?

Alicia Díaz de la FuenteMadrid, junio de 2008

Alicia Díaz de la Fuente, Doctora en Filosofía (UNED) y Titulada Superior en Composición y Órgano (RCSMM). Su actividad musical se centra en la composición (encargos del INAEM, E.M. Manhattan, CDMC, OCNE…), investigación (CSM de Salamanca, Universidad de Alcalá de He-nares, Universidad Internacional Menéndez Pelayo, Staatliche Hochschule de Stuttgart…) y en la docencia (Profesora de Análisis en el Real Conservatorio Superior de Música de Madrid).

6

Page 19: La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo La poésie

7

Page 20: La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo La poésie

Si la obra de Juan Ramón Jiménez (1881-1958) – a quien los españoles llaman familiar y afectuo-samente Juan Ramón – sigue estando tan presente medio siglo después de la muerte del poeta en Puerto Rico, se debe en gran parte a uno de sus libros de juventud, escrito en prosa poética : Platero y yo. Juan Ramón tiene veinticinco años cuando empieza a redactarlo, aunque no sea ésta su primera obra literaria. Hijo pródigo de la poesía, publica en 1899 en una revista madri-leña algunos poemas inmediatamente apreciados por el poeta a quien todos admiran en aquel momento : Rubén Darío. Éste lo invita a venir a Madrid donde frecuenta a algunos maestros del Parnaso : Villaespesa, Valle-Inclán, los hermanos Machado. Sin embargo, la euforia madrileña no dura y el poeta, cuya sensibilidad exacerbada no resiste al choque provocado por la muerte repentina de su padre (1900), sufre una grave depresión para la que sigue un tratamiento en una clínica del Bouscat (cerca de Burdeos) y después en Madrid. De vuelta a su pueblo andaluz de Moguer empieza a escribir Platero y yo. La primera edición saldrá a la luz ocho años después, en 1914, con el subtítulo de Elegía andaluza. “Elegía”, porque en sus páginas, Juan Ramón evoca el recuerdo de Platero, su burro y amigo, pero elegía “andaluza” por estar la obra bien arraigada en la tierra andaluza : Moguer, sus casas blancas, sus calles polvorientas, su campo.

Entre los ciento treinta y ocho capítulos que componen la obra Mario Castelnuovo-Tedesco se-leccionó veintiocho. Su elección es pertinente por partida doble en la medida en que dichos capí-tulos son aquéllos en que el talento poético de Juan Ramón se expresa con la mayor delicadeza y también aquéllos en que el pensamiento del poeta vibra con más fuerza. Ése es, en efecto, el doble aspecto de Platero y yo. Por una parte, se puede leer esa obra, o mejor aún escucharla gracias a Clément Riot y Miguel Ángel Romero, como una crónica de la vida cotidiana en Moguer a principios del siglo pasado. Por otra parte, se puede ver en ella “un diario íntimo en el que el poeta expresa los sentimientos diversos que animan su alma ante el espectáculo del mundo” (Bernard Sesé). O sea, nos encontramos ante uno de los rasgos más atractivos de Platero y yo : va dirigido tanto a los niños (el mismo Juan Ramón lo define, al principio de la edición de 1914,

Un personaje literario llamado Platero

8

Page 21: La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo La poésie

como un “libro para niños”) como a los adultos e incluso a los eruditos. Por eso, hoy es en España y en toda el área hispánica libro de estudio en las escuelas (como en Francia El Principito o Cartas desde mi molino), pero también un libro estudiado en las universidades del mundo entero y que ha dado lugar a una impresionante bibliografía crítica. Tales son los dos niveles de lectura de Platero y yo que acto seguido vamos a tratar de definir. En primer lugar, dejemos al poeta contestar a la pregunta que se hacen todos sus lectores : ¿ existió Platero ? “Claro que ha existido. En Andalucía todo el mundo, si tiene campo, tiene burros, además de caballos, yeguas, mulos [...] Platero es el nombre jeneral (sic) de una clase de burro, burro color de plata [...] En realidad mi “Platero” no es un solo burro sino varios, una sín-tesis de burros plateros.” Platero, cuyo retrato traza magistralmente el primer capítulo (“Platero es pequeño, peludo, suave”), no es ni un burro sabio, ni un animal dotado de la palabra como en las fábulas de La Fontaine. Desde el principio hasta el final de la obra conserva su estatuto de animal de compañía al mismo tiempo que se va convirtiendo de página en página en mucho más que un sencillo compañero de paseo. Platero es un ser sencillo, inocente, espontáneo, a la vez robusto (“Tien’asero”) y sensible, a imagen de su amo. Como un niño se duerme escuchando una nana (“La arrulladora”, cap. 12) y, también como un niño, salta de alegría cuando el canario fugitivo vuelve a la jaula (“El canario vuela”, cap. 10). Es de ver la delicadeza con que lleva a la “tísica” para un pequeño paseo : “Iba Platero despacio, como sabiendo que llevaba encima un frágil lirio de cristal fino” (cap. 13). El título del capítulo 11 nos lo dice todo sobre los lazos que unen al burro con el poeta : “Amistad”. “Nos entendemos bien. Yo lo dejo ir a su antojo, y él me lleva siempre adonde quiero.” Su complicidad llega incluso a convertirse en fusión en el capítulo 7, “Retorno” : “Y pensé, de pronto, en Platero, que, aunque iba debajo de mí, se me había, como si fuera mi cuerpo, olvidado.” Esa amistad, y también el libro, podrían acabarse con la muerte de Platero. Pero no es así. Tres nuevos capítulos de título revelador (“Nostalgia”, “Melancolía”, “A Platero, en el cielo de Moguer”) sugieren que si el cuerpo de Platero volvió a la tierra, su alma sigue viva y acompaña aún al poeta. Se manifiesta inmediatamente después de la muerte del burrito : “Por la cuadra en silencio, encendiéndose cada vez que pasaba por el rayo de sol de la ventanilla, revolaba una bella mariposa de tres colores…” (cap. 25). Volvemos a encontrar la metáfora del alma-mariposa en el capítulo 27, “Melancolía” : “Una leve mariposa blanca, que antes no había visto, revolaba insistentemente, igual que un alma, de lirio en lirio…” Estas dos metáforas nos invitan a volver a leer o a escuchar el texto desde el principio. Nos damos cuenta entonces de que las mariposas (y también los lirios sobre los cuales les gusta posarse) están presentes a lo largo del libro. Así es como queda aclarado el fin del capítulo 2 en el que el poeta declara al empleado de Consumos que el burro y su amo no llevan más que “mariposas blancas”. El uno y el otro sólo son almas y este pasaje cobra su sentido cabal cuando se lee en el último capítulo : “A ti este libro que habla de ti, ahora que puedes entenderlo. Va a tu alma, que 9

Page 22: La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo La poésie

ya pace en el Paraíso, por el alma de nuestros paisajes moguereños, que también habrá subido al cielo con la tuya”. Dichas líneas son esenciales para entender y apreciar correctamente el alcance del libro. Es cierto que Platero y yo ofrece una colección de anécdotas, ora pintorescas, ora con-movedoras, unos paisajes sutilmente evocados, tipos humanos, escenas pueblerinas, pero la obra no perduraría si se resumiera a ello. Poco antes de morir, Juan Ramón confió a su amigo Ricardo Gullón : “La poesía es una tentativa de aproximarse a lo absoluto por medio de símbolos”. Eso es justamente lo que hace el poeta en Platero y yo, donde pretende alcanzar la quintaesencia, el alma de los seres, de las cosas, de los instantes de la vida. Lo consigue gracias a una constante idealización de la naturaleza, de los animales y a veces de las personas. Sus recursos son la metáfora y más aún la comparación, el juego de los colores, las flores, el cristal, las piedras y los metales preciosos : zafiro, esmeralda, oro, plata. El siguiente pasaje sacado de “Retorno” es una muestra representativa de la visión del mundo idealizada que propone la obra : “Caía la tarde de abril. Todo lo que en el poniente había sido cristal de oro, era luego cristal de plata, una alegoría lisa y luminosa, de azucenas de cristal. Después, el vasto cielo fue cual un zafiro transparente, trocado en esmeralda”. También los seres participan en esta transfiguración. La tísica a quien Platero pasea por las calles del pueblo se convierte en un “frágil lirio de cristal fino” y los ojos de Platero en “dos bellas rosas” (cap. 5). El amor franciscano que el poeta siente por los seres y las cosas es el origen de la constante transfiguración de la realidad, la cual está presente en todas las páginas del libro, pero en una constante ascensión hacia lo divino : “Mi alma, escribe Juan Ramón en el último capítulo, […] caminando entre zarzas en flor a su ascensión, se hace más buena, más pacífica, más pura cada día”. Por eso, se comprende que un crítico como Michael P. Predmore haga hincapié en el carácter evangélico de la obra. Observa que, como Cristo, Platero y su amo están atentos a los niños, los pobres, los enfermos y escribe : “La muerte de Platero es triste, pero también alegre. Con su ejemplo, su puesta en prática de la doctrina de Jesús (dirigido por su amo, su alma), ha preparado el mundo para mayores grados de perfeccionamiento moral, ha contribuido a la marcha ascendente del hombre hacia la plenitud vital. Lo que Platero da al mundo es un precioso legado de amor y pureza”. Sin embargo, la tensión hacia lo spiritual conduce al poeta y a su compañero hacia una especie de huida, de negación de cuanto pudiera asemejarse a la vulgaridad. El capítulo 24 nos brinda un buen ejemplo de esa tendencia del poeta que no dudó en dedicar una de sus antologías poéticas “A la minoría, siempre”. Este capítulo, titulado “Carnaval”, nos presenta un pequeño drama vivido por Platero y el narrador. Es día de Carnaval y debería ser día de alegría, como lo deja suponer la exclamación inicial : “¡ Qué guapo está hoy Platero !” Los niños del pueblo forman un grupo cuyo anonimato subrayan las máscaras que llevan. Han disfrazado al pobre Platero que 10

Page 23: La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo La poésie

parece agobiado bajo su “aparejo moruno”, como lo sugiere la abundante adjetivación. ¡ Qué carnaval tan triste ! Llueve, hace frío, el viento sopla y los confetis (cuyo nombre, notémoslo, es sustituido por una larga perífrasis) no vuelan sino que van rodando por la acera. Ahora están todos en la plaza del pueblo. Unas mujeres “vestidas de locas” se ponen a bailar ruidosamente alrededor del burrito y, acto seguido, los niños hacen lo mismo. Dos adjetivos nos indican en qué estado anímico se encuentra Platero : “indeciso” y “nervioso”. Se ve cogido en la trampa, “como un alacrán cercado por el fuego”. Asistimos entonces a un doble movimiento. Platero aparece como un animal frágil que se humaniza cada vez más, mientras que aquéllos que lo atormentan se ponen a rebuznar, despojándose así de su humanidad. La enumeración con que se acaba el penúltimo párrafo (“Toda la plaza es ya un concierto altivo de metal amarillo, de rebuznos, de risas, de coplas, de panderetas y de almireces...”) traduce la impresión de hartazgo que se des-prende de esa fiesta bullanguera. Platero adquiere entonces una dimensión plenamente humana, rompiendo, voluntario y decidido (“igual que un hombre”), pero también con los ojos arrasados en lágrimas, el corro de las “locas” y de los niños burlones para reunirse con su amo. Se puede leer “Carnaval” como si fuese una simple anécdota : un lunes de carnaval en Moguer, asimismo como una parábola en la que cada uno de los elementos conduce hacia la lección moral final. En este capítulo se ve al individuo (Platero), solo, indefenso, frente a una masa, una sociedad, que lo oprime, lo ahoga y lo priva de su dignidad. El mensaje es claro : el grupo, la muchedumbre (aquí las mujeres y los niños) hacen del hombre un ser gregario, capaz de cual-quier exceso. Por eso, en el último párrafo el poeta exalta al individuo, su libertad y su poder de decisión. Lo hace identificándose con el burro en las dos últimas frases del texto : “Como yo, no quiere nada con los Carnavales... No servimos para estas cosas...”, proclamando que sólo la inti-midad puede crear relaciones auténticas entre los seres. Esas líneas recuerdan irresistiblemente la dedicatoria citada más arriba : “A la minoría, siempre”. La prolongación natural de una lectura o una audición de Platero y yo sería ir a Moguer, allá en el extremo sur de Andalucía y, con el libro en la mano, buscar los lugares recorridos por el poeta y su burro. Paseo tanto más agradable cuanto que las autoridades locales tuvieron el acierto de colocar en todos los sitios del pueblo y de los alrededores, citados en el libro, cuadros de azulejos de magníficos colores, en los que están pulcramente escritos pasajes de Platero y yo. Esa “ruta literaria” pasa por supuesto por la Casa-Museo Zenobia y Juan Ramón Jiménez donde se conser-van numerosos recuerdos del poeta y gran parte de su rica biblioteca. En ella fue donde vivió con su familia a partir de los cinco años y durante su juventud hasta que, a consecuencia de la ruina de la empresa familiar, fue vendida y comprada por Fernando Hernández-Pinzón, cuñado de Juan Ramón, quien, en 1956, la cedió a la Diputación Provincial de Huelva para que fuese convertida en Casa-Museo. Hoy día magníficamente restaurado, este edificio del siglo XVIII es la sede de 11

Page 24: La poésie de Juan Ramón Jiménez, la musique de Castelnuovo ... · Parmi la petite centaine de compositions que Castelnuovo-Tedesco dédia à la guitare, Platero y yo La poésie

la Fundación Zenobia y Juan Ramón Jiménez, creada en 1989 por la Diputación de Huelva y el Ayuntamiento de Moguer. La casa natal del poeta, situada cerca de la Casa-Museo, está también perfectamente conservada. Todos esos lugares, los caminos de la campiña circundante, los colo-res del paisaje, las flores y las mariposas nos hablan todavía de Platero, burrito andaluz, elevado por la gracia poética de Juan Ramón Jiménez, su creador, amo y amigo, al rango de personaje literario universalmente conocido.

Jacques IssorelPerpignan, juin 2008

Jacques Issorel es catedrático emérito de la Universidad de Perpignan. Ha dedicado parte de su labor crítica a la obra de Fernando Villalón (1881-1930), compañero de colegio y amigo de J.R. Jiménez : Fernando Villalón ou la rébellion de l’automne, Perpignan, 1988, y F.V., Poesías com-pletas, Madrid, 1998. Es también autor de Collioure 1939 : últimos días de Antonio Machado, 2002 (3ª ed.).

12photographies Nadia El Hafidi & R. Arnold - Illustration Godeleine de Rosamel ® oui’dire éditions 2008