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la porte des étoiles le journal des astronomes amateurs du nord de la France 26 Numéro 26 - automne 2014

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la porte des étoilesle journal des astronomes amateurs du nord de la France

26Numéro 26 - automne 2014

Edition numérique sous Licence Creative Commons

A la une

Edito

Sommaire4�������������������������������������������������� Le GAAC chez les Tchèques

par Simon Lericque

28�Ondřejov, l’incroyable passion de deux frères pour l’astronomiepar Jean-Pierre Auger

32.........................................................................Pražský orlojpar Stephen Kowalczyk et Simon Lericque

39�������������������������������Brahé et Kepler : sur la trace des géantspar Michel Pruvost

44����������������������������������������������������Le déclassement de Plutonpar François Lefebvre

60������� Pollution lumineuse : de la République Tchèque à la Francepar Emeline Taubert

65��������������������������� Petite galerie de cadrans solaires tchèquespar Simon Lericque

70������������������������������������������������������������������������������ La galerie

L’horloge astronomique de Prague

Auteur : Simon LericqueDate : 14/07/2014Lieu : Prague (CZ)Matériel : APN Canon EOS 450D et téléobjectif Canon 70-300GROUPEMENT D’ASTRONOMES

AMATEURS COURRIEROIS

Adresse postale

GAAC - Simon Lericque12 lotissement des Flandres62128 WANCOURT

Internet

Site : http://www.astrogaac.frE-mail : [email protected]

Les auteurs de ce numéro

Michel Pruvost - Membre du GAACE-mail : [email protected] : http://cielaucrayon.pagesperso-orange.fr/

Auger Jean-Pierre - Membre du GAACE-mail : [email protected]

Emeline Taubert - Membre du GAACE-mail : [email protected]

Stephen Kowalczyk - Membre du GAACE-mail : [email protected]

François Lefebvre - Membre du GAACE-mail : [email protected]

Simon Lericque - Membre du GAACE-mail : [email protected] : http://lericque.simon.free.fr

L’équipe de conception

Simon Lericque : rédac’ chef tyranniqueArnaud Agache : relecture et diffusionCatherine Ulicska : relecture et bonnes idéesFabienne Clauss : relecture et bonnes idéesOlivier Moreau : conseiller scientifique

Ce nouveau numéro de la Porte des Etoiles sera encore un peu spécial puisque nous consacrons ce trimestriel automnal en mettant à l’honneur la Tchéquie. En juillet dernier, le GAAC est en effet parti à la découverte de ce beau pays, de sa riche histoire, de son patrimoine astronomique étonnant et... de sa bière ! Notre voyage va ici vous être conté, mais plus encore, vous verrez au fil de ces pages qu’il s’en est passé des choses en Tchéquie, à travers l’histoire de l’astronomie : en commençant par la rencontre de Johannes Kepler et Tycho Brahé jusqu’aux prémices de la lutte contre la pollution lumineuse. C’est aussi à Prague en 2006 que Pluton se verra retirer son statut de planète. Lors de notre périple tchèque, nous avons vu beaucoup, mais nous sommes très loin d’avoir encore tout vu���

Fête de la Science

Les 10 et 11 octobre prochains, le GAAC organisera à nouveau la Fête de la Science à Courrières, d’abord au collège Debussy pour les scolaires, puis à la Ferme Pédagogique pour tous.

RCE 2014

Les Rencontres du Ciel et de l’Espace se déroulent tous les deux ans à la Cité des Sciences et de l’Industrie de La Villette, près de Paris. Le GAAC sera présent pour ce grand rendez-vous.

Promenade en Cotentin

Fin octobre, durant un long weekend, plusieurs membres du GAAC partiront pour la Normandie afin d’y découvrir, entre autres, l’observatoire-planétarium de Ludiver.

Retrouvez l’agenda complet de l’association sur http://www.astrogaac.fr/agenda.html

• • • • ACTU DU GAAC

C’était cet été

Ce sera cet automne

Escapade astronomique en Tchéquie

Assemblée Générale du GAAC

La Nuit des Etoiles

L’exposition « Carnets de voyages astronomiques » à la médiathèque de Courrières

Visite du parc de cadrans solaires de Genk

Visite du studio astronomique de Festraets à Saint-Trond

Premières lumières du Strock 200

La Fête du Soleil

17ème Nuit Noire du Pas-de-Calais

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Le GAAC chez les TchèquesPar Simon Lericque

• • • • VOYAGE

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• • • • VOYAGE

Après le GAAC chez les grands bretons durant l’été 2013, voici contée la nouvelle aventure de notre association : « le GAAC chez les Tchèques ». Le choix de ce joli pays, coincé entre Allemagne, Autriche, Pologne et Slovaquie, remonte à quelques années déjà. Au détour d’un forum astro bien connu, un expatrié Français à Prague, François, annonce qu’il rentre au pays – pas de chance, dans le Nord de la France - et cherche désespérément une association d’astronomie. Il deviendra un membre du GAAC des plus actifs !

Bien vite après son arrivée, nous rencontrons sa compagne, Andrea. Cette dernière n’aura pas résisté longtemps à vouloir nous faire découvrir son pays, sa Tchéquie. Après quelques réunions de travail – productives ou non – des sites astronomiques sont choisis, le circuit théorique est dessiné ; ne reste plus qu’à prendre les contacts avec les observatoires et les planétariums: Andrea se chargera de la chose avec brio et n’obtiendra quasiment que des réponses positives. Bravo... Et merci Andrea ! Nous n’avons plus qu’à mettre les pieds sous la table et attendre le jour du départ.

Sur la route des vacancesJour 1 – samedi 12 juillet. Nous partons de Chéreng en banlieue lilloise vers 9h30. Il était normalement prévu un départ à 8 heures, mais personne n’y a jamais vraiment cru... Les quatre voitures prennent la route. En tête, François, Andrea et leurs deux gamines Julie et Sophie. Ensuite, c’est moi qui ai en charge de chaperonner deux autres gamins insupportables Émeline et Stephen ; plus loin derrière on trouve Huguette, qui ne veut pas lâcher le volant avec son homme Michel. Enfin, les sages, Françoise et Jean-Pierre ferment la marche.

La première partie de la route se fait sous un crachin d’automne, sans encombre ou presque... Juste un petit raté à l’approche de Cologne qui fera faire un détour. Sophie, dans la voiture de tête, a eu la bonne idée de ne pas digérer un cookie pourtant préparé avec amour par Émeline... Aïe ! Pause improvisée ! Le repas est pris sur une aire d’autoroute près de Cologne. On croise de nombreux routiers, beaucoup d’Allemands aux voitures maquillées aux couleurs de leur équipe nationale (la finale de la coupe du monde de foot sera pour le lendemain). Les hommes pourront se soulager gratuitement contre un bosquet chétif, tandis que les dames devront se soulager de 70 centimes d’euros. Difficile d’accepter de laisser filer une somme si faramineuse... Mais la volonté de se soustraire à cette dépense inutile sera de courte durée.

Bref... La route reprend et les paysages commencent à changer. Le centre de l’Allemagne que nous traversons, devient vallonné et surtout extrêmement boisé. Le Soleil même, commence à percer derrière les nuages. Certains roupillent... Les chauffeurs heureusement non... La balade devient agréable malgré les kilomètres qui s’accumulent. Encore une pause... Et puis une autre... Nous passons finalement la frontière tchèque où une dernière formalité administrative nous attend : l’achat de la vignette qui nous permettra de circuler librement durant notre séjour ici.

Il ne nous reste plus que quelques kilomètres pour atteindre la première étape de notre escapade tchèque : Mariánské Lázně. Le soir de ce premier jour, nous ne verrons que quelques bâtisses bourgeoises de cette célèbre ville thermale. Nous avons juste le temps de prendre possession de notre pension baptisée “Endinburg Penzion” dégotée par Andrea avant de nous faire emmener vers notre premier resto tchèque ! La nuit commence à tomber, la Lune est belle, toute ronde... Les premières bières sont descendues... Les premières pièces de viandes

Notre guide !

Casse-croûte autoroute

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sont avalées... Et surtout, notre accent franchouillard se fait rapidement remarquer et nous attire la sympathie des propriétaires de l’auberge. Après le digestif traditionnel... Et un deuxième digestif traditionnel... Nous regagnons tous notre chambre pour une première nuit sous le ciel étoilé de la Tchéquie�

De Mariánské Lázně à Prague

Jour 2 – dimanche 13 juillet. Le réveil sonne vers 8 heures mais la nuit fut bonne pour presque tous. Les derniers à sortir de leur chambre rejoindront le reste de la troupe vers 9h30. On

ne dénoncera personne, mais il s’agit de François et Andrea... Après un petit déjeuner copieux (confitures, charcuteries, fromages), la fine équipe prend le chemin du centre-ville de Mariánské Lázně sous un Soleil menacé par la pluie mais une température déjà haute.

La ville est splendide. Les façades des immenses immeubles colorés datant des années 1900 sont étonnantes. Nous déambulons tranquillement jusqu’au centre de la cité, là où sont concentrées la plupart des sources de cette ville thermale. Là, nous aurons tous la joie (ou pas) de goutter aux différentes sources aux vertus thérapeutiques, riches en gaz carbonique et en soufre. Elles s’avéreront pour la plupart très odorantes et imbuvables ! Dégueulasse ! Non loin de là, sur le plafond de l’imposant bâtiment des Colonnades, figure une improbable fresque montrant des cosmonautes - dont un est probablement Youri Gagarine, le premier homme dans l’espace - et le premier satellite artificiel Spoutnik. Tout cela nous ramène à la grande époque des réussites spatiales soviétiques.

Après cela, nous nous dirigeons vers le Sud de la ville, en rejoignant un joli parc traversé par un petit cours d’eau. Même si nous avons pris un gros petit déjeuner, l’heure de casser la croûte arrive. Nous nous arrêtons sur la terrasse d’un snack, en plein milieu du parc, pour reprendre quelques forces. Bien nous en a pris puisqu’un orage aussi violent qu’interminable s’abat sur nous. Certains courageux – Michel, Jean-Pierre et François – décident d’aller récupérer dans les voitures les équipements de pluie des uns et des autres. Ils reviendront au moment où l’averse se décidera enfin à cesser... La balade reprend donc vers une dernière source baptisée Ferdinandův Pramen, réputée pour être la plus soufrée de toutes. Elle ne nous décevra pas ! La source est abritée par un beau bâtiment, fait de colonnes en marbre blanc. Un piano traîne là, presque abandonné. François ne résistera pas à interpréter quelques grands morceaux de musique classique : Jean-Michel Jarre, la Compagnie Créole, la danse des canards... Pendant ce temps, Sophie arrache les fleurs du parc et c’est Huguette qui se fait enguirlander par des habitués des lieux.

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Première bière

Gagarine et Spoutnik

Dégustation Huguette fait sa difficile Le petit bonhomme en mousse... la la la...

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Vers 15 heures, nous rejoignons nos voitures laissées à l’hôtel. Nous disons au revoir à l’Edinburg Penzion et mettons le cap vers Prague. La route n’est pas très longue ; après une grosse heure de voyage nous arrivons dans la banlieue Sud de la capitale tchèque, là où logeront Andrea et François. Le père d’Andrea nous prête sa voiture. Nous laissons les nôtres ici - car elles seront inutiles durant notre escale praguoise - et nous nous faisons accompagner jusqu’à notre hôtel tout proche du vieux centre-ville.

Après avoir pris possession de nos chambres et fait une petite pause, nous rechaussons nos godasses pour une “courte” balade dans le centre de Prague. Ce soir-là, nous longerons d’abord la Vltava, le fleuve qui baigne Prague, avant de découvrir les premiers monuments de la capitale tchèque. Une halte dans une pizzeria au Soleil couchant nous permettra de descendre à nouveau quelques bières. Michel, quant à lui, se laissera tenter par un dessert à base de glace à la vanille et de framboises chaudes... Miam ! Il en entendra parler tout le séjour... Après le repas, nous prenons le chemin de l’hôtel en longeant à nouveau la Vltava, sauf pour Françoise et Jean-Pierre qui choisiront un chemin plus direct qui les emmènera tout près d’un quartier... animé de péripatéticiennes. Avec l’arrivée de la nuit, le paysage a totalement changé, les lumières de la ville sur les rives se reflètent désormais dans les eaux calmes du fleuve, l’horizon n’existe plus vraiment, et nous ne résistons pas à rendre visite au Pont Charles qui nous appelle non loin de là...

Nous finissons par laisser Andrea et François à la bouche de métro la plus proche de l’hôtel et nous gagnons notre chambre après une dernière marche, juste à temps pour voir sur une chaîne de télévision tchèque le but allemand, synonyme de victoire en Coupe du Monde de football. Il faudra lutter pour voir la cérémonie jusqu’au bout. Le sommeil l’emportera...

Prague historique, Prague astronomique...Jour 3 – 1undi 14 juillet. C’est reparti ! Après un nouveau petit déjeuner copieux, rendez-vous est fixé à 9 heures devant le Best-Western hôtel de Prague. Andrea et François arriveront finalement à 10h15 à la station de métro la plus proche. Justement, pour cette première journée praguoise, la première chose à faire est de récupérer les “pass” qui nous permettront de circuler en métro, en tramway et même en funiculaire. Le métro de Prague a cela de surprenant que les escalators sont très raides et très longs. On aura parfois envie de vomir mais on arrivera toujours à bien se tenir.

Après cette première expérience dans les profondeurs, nous débarquons au plein cœur du centre-ville et commençons notre balade. La première halte se fera devant la splendide horloge astronomique, célébrité de la Tchéquie bien au-delà des frontières du pays. Pražský orloj comme on la nomme ici aurait été construite en 1410, faisant d’elle l’une des plus anciennes horloges

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Balade romantique sur le pont Charles

Prague la nuit sur les rives de la Vltava

La foule devant l’horloge

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astronomiques encore en fonctionnement dans le monde (voir article dédié page 32). A midi, nous serons tous au pied des cadrans, agglutinés avec des centaines d’autres touristes pour assister au spectacle des automates qui se produit à chaque heure jusque 21 heures. La chose est toujours amusante à admirer. Sur la place près de l’horloge, nous dénichons le méridien de Prague. Celui-ci, situé exactement à 14°25’ à l’Est du méridien de Greenwich, était historiquement la référence de l’établissement de l’heure pour Prague. Sur la plaque de laiton qui signifie l’emplacement du méridien, on peut d’ailleurs lire : “Meridianus quo olim tempus pragense dirigebatur” que l’on pourrait traduire par “Le méridien, selon lequel dans le passé, on dirigeait le temps praguois”. Sur cette Staroměstské náměstí, il y avait à l’origine un monument baptisé “la colonne de la Vierge” qui a été enlevé en 1918. C’est cette colonne, qui par son ombre, indiquait l’heure du midi sur le sol pavé.

La promenade se poursuit par les rues typiques de la vieille ville et par la visite de quelques monuments: à commencer par la tour poudrière au sommet de laquelle se dévoile une spectaculaire vue sur les toits de Prague. C’est aussi à cette occasion que nous découvrirons l’amour profond que porte François aux tours, qu’il ne peut pas s’empêcher de gravir... Une fois descendus, nous constatons que certaines églises sont fermées le lundi. Nous raterons notamment Notre-Dame de Týn, là même où est enterré l’astronome Tycho Brahé� Pas de chance. Après le déjeuner, une visite de l’ancien quartier juif s’impose. Huguette insiste pour aller visiter le vieux cimetière. Michel, bien sûr, ne saura pas dire non.

Enfin, nous terminerons notre journée culturelle par le Klementinum : un complexe de plusieurs bâtiments qui abrite notamment l’immense bibliothèque nationale fondée en 1781, le collège Jésuite Saint-Clément, et – ce qui nous intéresse surtout – l’édifice de l’Astronomická věž. Il s’agit d’une tour astronomique haute de 52 mètres érigée en 1722 au sommet de laquelle trône une imposante statue de plomb de 750 kilogrammes, représentant Atlas soutenant une sphère céleste. Cette tour a été bâtie sous l’impulsion du Recteur de l’Université de Prague de l’époque, un certain František Retz. Jusqu’en 1928, elle sera considérée comme l’Observatoire astronomique national�

La visite de ce lieu s’avérera riche et insolite. Tantôt en anglais, tantôt en français, mais surtout en tchèque, les guides qui nous accompagnent seront traduits dans leur propos par l’indispensable Andrea. François quant à lui, sera heureux de gravir les 172 marches qui mènent vers le sommet de l’édifice. La tour astronomique du Klementinum abrite aujourd’hui une riche collection d’instruments astronomiques et météorologiques anciens, mais aussi des photographies et dessins lunaires de

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Tour d’horizon de la place de la vieille villeLe méridien de Prague

La tour astronomique du Klementinum

C’est écrit dessus !

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grande qualité annotés en français car l’un des anciens directeurs était proche d’astronomes hexagonaux et friand des résultats obtenus notamment à l’Observatoire de Paris. Dans la bibliothèque, ornée de fresques astronomiques, nous apercevrons aussi de splendides globes terrestres et célestes magnifiquement conservés, qui datent de plusieurs siècles, ainsi que quelques horloges astronomiques de salon.

Au sein même de la tour sont logées deux belles lunettes méridiennes, l’une orientée au Sud, classique ; et une seconde, quasiment identique, mais étrangement dirigée vers le Nord. Ce deuxième instrument est d’ailleurs inachevé puisque aucune graduation n’y figure. Le guide ne saura d’ailleurs pas nous expliquer cette orientation particulière. Dans cette pièce plongée dans la pénombre, on trouve également au sol et sur l’un des murs un méridien orienté Nord-Sud qui, par le biais d’un discret œilleton, projette au sol ou sur le mur une tache de lumière indiquant l’heure du midi solaire. L’histoire raconte que lorsque le “midi” était constaté, un tissu de couleur était agité au sommet de la tour pour indiquer l’heure à ceux qui réglaient l’horloge astronomique située à quelques encablures de là.

Au sommet de la tour astronomique, le paysage est une fois de plus spectaculaire, d’autant que depuis cet endroit on peut apercevoir le château de Prague et le magnifique pont Charles qui surplombe la Vltava. On comprend pourquoi Prague est surnommée la ville aux cent tours, puisqu’il y en a dans toutes les directions. Mais l’heure passe, le bâtiment va bientôt fermer ses portes et nous sommes contraints de quitter à regret ce lieu chargé d’histoire non sans remercier chaleureusement notre guide. Après cette visite, et tout près du Klementinum, nous passerons devant la bâtisse où vivait Johannes Kepler lors de ces séjours à Prague, précisément au numéro 4 de la rue Karlova (Charles) qui débouche sur le célèbre pont du même nom. Une plaque commémore d’ailleurs le passage ici de l’illustre astronome.

La fin de journée approche, nous prenons le tramway jusqu’à notre hôtel pour une douche salvatrice avant de reprendre le métro pour rejoindre le restaurant brésilien dont Andrea et François nous ont tant parlé depuis des mois. Au menu : viandes, viandes et encore un peu de viande. Celles-ci sont servies à table par “petits’’ morceaux et coupées directement sur la broche par le serveur : Huguette ne pourra s’empêcher de faire l’amalgame avec nos restaurants kebab. Les ceintures se desserrent au fur et à mesure du repas... La compétition pour savoir celui qui en ingurgitera le plus sera finalement remportée par François et moi, ex-æquo ! Pour digérer, une promenade s’impose encore... Comme la veille, nous gagnons les rives du fleuve pour prendre quelques images nocturnes du Pont Charles et du château de Prague. Un dernier petit tour en tramway nous approche de l’hôtel. Nous abandonnons une nouvelle fois nos guides à la bouche de métro pour nous traîner péniblement et le ventre plein vers notre chambre... La nuit est bienvenue ! Au lit !

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La double méridienne de la tour astronomique du Klementinum

Banquet gargentuesque

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...et Prague classiqueJour 4 – mardi 15 juillet. La routine s’installe vite, mais cette fois-ci le lever et le petit déjeuner sont pris en ordre dispersé. Ceux qui vivent à l’hôtel - Émeline, Françoise, Huguette, Jean-Pierre, Michel, Stephen et moi – savent bien que les guides ne seront pas à l’heure... Raté ! A 5 minutes près, le timing sera respecté. Cap sur le centre de Prague où les hommes, une fois n’est pas coutume, pourront s’adonner au lèche-vitrine. En effet, nous croiserons sur notre route un magasin d’astronomie et une splendide boutique de matériel photographique ancien... Après cette courte halte près de la vieille ville, nous prenons la direction du quartier du château, sur la rive Ouest de la Vltava. Pour cela, le tramway est impératif ; il nous emmènera au pied de la statue de Johannes Kepler et Tycho Brahé... L’astronomie n’est jamais loin, d’autant qu’entre temps, nous avons pu croiser quelques cadrans solaires sur les façades de plusieurs bâtiments.

Nous voici maintenant devant l’entrée du château de Prague gardé par deux militaires de la Garde Nationale. Huguette - comme en Angleterre il y a un an - ne résistera pas à prendre la pose à côté de ceux-ci. Depuis la place qui se trouve devant le château, la vue est belle sur l’autre rive de Prague. Situé en hauteur, le lieu domine véritablement les environs et nous retrouvons les toits des monuments visités la veille. A l’intérieur des remparts du château de Prague sont implantés plusieurs sites intéressants à commencer par de nombreuses églises, mais aussi par le palais présidentiel. L’endroit le plus impressionnant est sans conteste la cathédrale Saint-Guy (Katedrála svatého Víta en tchèque), dont les plans initiaux ont été établis par un architecte originaire... d’Arras ! Cette cathédrale est d’ailleurs plus spectaculaire à l’extérieur qu’à l’intérieur. D’un style gothique, elle culmine à 96,5 mètres de haut. Ses pierres noircies par les outrages du temps lui donnent un aspect très particulier que je n’ai jamais vu jusqu’ici.

Pour redescendre de la colline, nous empruntons des jardins en escaliers accolés à la falaise. Des vignes sont même plantées là... La vue sur Prague est toujours splendide, d’autant qu’un lourd Soleil est au rendez-vous. Nous croisons ce que nous prenons pour une cérémonie d’un mariage. Il s’agit en fait du repas offert aux figurants d’un film dont le tournage est proche. Nous faisons ensuite une halte dans un restaurant qui offre un menu local. Pour la première fois du séjour, la nourriture sera tchèque : goulash, svickova et soupe traditionnelle ; toujours accompagnée d’un demi-litre de bière.

La promenade digestive sera encore une fois la bienvenue, la visite de la cathédrale Saint-Nicolas de Malà Strana également. Il faut dire que la fraîcheur du lieu est bénéfique ! Les ornements de cette cathédrale baroque sont splendides : fresques sur les voûtes, statues, vitraux, peintures... Il y en a pour tous les goûts. Le plus impressionnant reste la coupole de 80 mètres de haut décorée par des statues du sculpteur Ignác František Platzer. Les orgues ne passent pas non plus inaperçues. D’ailleurs Mozart jouera ici durant un séjour à Prague. Non loin de la cathédrale Saint-Nicolas, nous franchissons, cette fois complètement, le pont Charles. A l’extrémité, les plus courageux grimpent au sommet de la tour qui offre une vue panoramique sur les environs du pont et du quartier de la vieille ville. C’est d’ailleurs depuis ce point de vue que l’on aperçoit dans les meilleures conditions la tour astronomique du Klementinum visitée la veille�

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Kepler, Brahé... et tous les autres

Huguette ne sait pas se tenir Dans la cathédrale Saint-GuyLe plafond de Saint-Nicolas

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Après cette dernière visite touristique, nous retournons rapidement à l’hôtel pour nous refaire une beauté. Andrea a tenu à nous emmener à un concert de musique classique dans l’église Svaty Martin ve zdi : costard (ou presque) obligatoire ! Nous y écouterons la musique jouée par un organiste, Drahoslav Gric, un violoniste, Filip Himmer, et une soprano Libuse Moravcova. La (longue) journée, s’achèvera dans un restaurant où l’on est fier de nous annoncer qu’Albert Einstein y a déjà posé ses fesses. Quelques bières plus tard, la fine équipe s’engouffre à nouveau dans le métro pour rejoindre ses quartiers.

Au plus près des étoilesJour 5 – Mercredi 16 juillet. Encore une journée riche s’annonce. Ce soir, nous avons rendez-vous à l’observatoire de Štefanik pour une observation. Nous allons donc guetter le ciel durant toute la journée. Dès le matin, le ciel est un peu menaçant. Mais il parait qu’en Tchéquie, les orages ne sont pas fréquents et que le ciel redevient clair à l’approche de la nuit (cela se vérifiera mais nous ne le savons pas encore). Avant cela, il faut passer par la case “petit déjeuner”. Nous imaginons que François et Andrea seront en retard, ce qui sera

vite confirmé par un SMS, puis par un second, donc nous ne nous pressons pas. Un jus d’orange est pris sur la terrasse face à l’hôtel pour patienter en regardant passer de jolies jeunes filles tchèques.

Au programme du jour : la colline de Petřín. Nous débutons par un court voyage en tram qui nous débarque au pied du monument “obětem komunismu’’. Impressionnant ! Celui-ci rend hommage aux victimes du communisme entre 1948 et 1989. Nous grimpons ensuite en funiculaire sur la colline de Petřín qui domine la ville. Un peu de sport pour commencer : nous “escaladons’’ la petite tour Eiffel et ses 300 marches. La vue est splendide ! Un panorama à 360° s’étant devant nous. On ne peut pas trouver plus haut ! On retrouve sous un autre point de vue les différents quartiers et les différentes tours de la ville visités les deux jours précédents. De là-haut, et quand on regarde en bas, on a des petits frissons. Il est difficile de faire des photographies tant la tour tangue.

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La tour du Klementinum au centre, la tour de l’horloge astronomique en arrière-plan sur la droite

Obětem komunismu

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Du sommet de la tour de Petřín, nous apercevons également les trois coupoles de l’observatoire Štefánik où nous serons ce soir : le ciel d’ailleurs, semble sensiblement s’améliorer.

En descendant, nous passons par le labyrinthe des miroirs, juste pour retourner en enfance. Cette courte visite donnera lieu à de belles parties de rigolades. Je me découvrirai d’ailleurs devant certains miroirs une silhouette de jeune premier. Ensuite, nous regagnons le centre de Prague par une descente sinueuse de la colline. Il y a des arbres fruitiers partout, notamment des mirabelliers. Par moment, on doute d’être à dans la capitale du pays. En bas de la colline, nous joignons le quartier de l’île de Kampa. C’est celui des ambassades. Nous croisons d’ailleurs un sympathique orchestre danois qui “improvise” différents morceaux modernes. Nous passons devant la très chic ambassade de France et juste en face, le mur John Lennon: un mémorial informel qui depuis les années 1980 recueille des hommages sous la forme de graffitis. Il est à l’origine de tensions qui éclatèrent à la fin des années 1980 sous le régime communiste et il est devenu un symbole pour la jeunesse locale.

Nous prenons le tramway jusqu’au Nord de Prague et le parc Stromovka. Dans ce parc, il y a un cadran solaire “exotique” que nous mettrons un moment à dénicher. Nous avons ensuite rendez-vous avec Monsieur Sifner, le directeur-adjoint du planétarium de Prague, pour une visite privée des lieux. Le planétarium de Prague est le plus grand du pays ; il dispose de trois systèmes différents et fonctionnels, (deux numériques, un opto-mécanique) dans une salle orientée de 210 places abritée par une coupole de 23,50 mètres. Le système de projection Cosmorama de la firme Carl Zeiss qui trône au centre de la pièce date des années 1960. Il est donc toujours opérationnel. C’est lui qui donne le ciel le plus réaliste : les deux autres systèmes numériques étant plus à la traîne de ce côté... J’aurai même la chance de pouvoir prendre les commandes de ce bel engin.

La priorité est ici donnée à la pédagogie, contrairement aux autres planétariums tchèques plus modernes qui passent des films “à l’américaine”. Monsieur Sifner est d’ailleurs fier d’annoncer que des écoles de l’Est du pays préfèrent venir ici plutôt qu’aller dans des planétariums numériques plus proches, mais projetant des spectacles “sensationnalistes”. Les productions des séances sont faites en interne avec une équipe d’une

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L’observatoire Štefánik depuis la tour de Petřín

Prague vue d’en haut... C’est beau ! Le mur John Lennon

En tchèque, Michel redécouvre le cielLe planétarium de PragueUn beau cadran solaire

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trentaine de personnes : animateurs, techniciens, personnels administratifs compris. Le plus étonnant est le mélange entre le matériel ultramoderne (projecteurs vidéo 4K) et des vieux projecteurs de diapositives datant de plusieurs décennies�

La visite se poursuit dans l’espace muséographique où de belles maquettes pédagogiques d’envergure permettent de poursuivre les démonstrations et les explications. En outre, un grand nombre d’expositions garnissent les murs du hall d’accueil. Dans une salle attenante, l’ancien planétarium a été conservé. Celui-ci est le plus ancien système de projection tchèque, un Zeiss là-aussi, sauvegardé en guise de patrimoine. Plus étonnant, deux simulateurs imaginés par les animateurs du planétarium permettent au public de circuler à bord d’un rover lunaire ou martien. François ne résistera pas à faire quelques pointes de vitesse au fond de Valles Marineris.

Après avoir remercié Monsieur Sifner, nous ne perdons pas de temps pour gagner la station de tram car nous sommes attendus. Le repas est pris dans un restaurant tchèque traditionnel : c’est le premier contact avec les tuplak (chopes d’un litre de bière) ! Ma deuxième chope sera difficile à engloutir, mais c’était une question d’honneur de la terminer ! Après ce repas frugal fait d’un demi-canard, nous retournons en vitesse sur la colline de Petřín, car nous avons rendez-vous avec Monsieur Poddany, qui travaille, entre autres, à l’observatoire de Štefánik.

Nous retrouvons devant les portes de l’observatoire Štefánik, Xavier Outhier, un astronome amateur Français qui vit en Tchéquie depuis quasiment vingt ans. La visite débute par la nouvelle salle d’exposition consacrée à la plus belle collection de météorites d’Europe centrale. Elle a été prêtée à l’observatoire par un collectionneur privé. Mais ce qui nous intéresse surtout, c’est la possibilité d’observer. L’observatoire de Štefánik compte trois coupoles : la première privée, mais que nous avons malgré tout pu découvrir, abrite un télescope de type Cassegrain Meade “Mark” de 400 millimètres, utilisé à des fins scientifiques (suivi d’exoplanètes, photométrie d’étoiles variables...). Notre guide, Monsieur Poddany, est d’ailleurs l’auteur d’une base de données internationale sur les exoplanètes baptisée “Exoplanet Transit Database”. Dans la deuxième coupole, un télescope Weiss de 370 millimètres de diamètre a été installé en 1976. Nous y observerons de grands classiques : Albireo, Epsilon Lyrae, M13 et M57.

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Photo de groupe sous le Cosmorama

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Dans la troisième coupole, on a deux lunettes Zeiss “jumelles”, l’une pour le visuel, l’autre pour la photographie : 220 mm de diamètre et 3000 mètres de focale. Elles datent du début du XXème siècle (1905-1907 approximativement) et étaient utilisées à l’origine par l’astronome viennois Rudolf Koening (1865-1927) pour l’observation et la photographie lunaire essentiellement. Après la mort du premier propriétaire, les lunettes ont été démontées et installées à Prague en 1929. Aujourd’hui, il n’y a plus de projets scientifiques menés avec ce double réfracteur. Les observations sont faites pour le public et encadrées dans notre cas par une étudiante de l’université. Nous avons pu admirer Mars et Saturne : les images sont belles dans les trous de turbulence. A 23 heures, les coupoles se ferment déjà, mais de toute façon le ciel est en train de se gâter. Nous reprenons le dernier funiculaire pour descendre de la colline. Prague la nuit est magnifique. C’est moche à avouer,mais la pollution lumineuse sublime le panorama. Un tramway et un métro plus tard, nous rejoignons notre hôtel. Notre dernière journée à Prague aura été la plus épuisante mais sans doute la plus enrichissante d’un point de vue astronomique�

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Milan Štefánik

L’observatoire de Prague a été nommé en l’honneur de Milan Rastislav Štefánik, un astronome franco-tchécoslovaque né en 1880 et mort en 1919. Brillant scientifique, il aura notamment mené de riches études en France, en collaborant avec Jules Janssen au tout début du XXème siècle à l’Observatoire de Meudon. Il consacrera dix années de sa vie à l’astronomie mais il s’illustrera surtout durant la Première Guerre Mondiale. Aviateur, il est incorporé à sa demande à l’Armée de l’Air Française et s’illustrera notamment lors de la bataille... d’Arras ! Durant le reste du conflit, il se muera davantage en diplomate et en homme politique et œuvrera pour la création d’un État tchécoslovaque indépendant.

Superbe visite à Hradec KrálovéJour 6 - Jeudi 17 juillet. Ce matin, nous quittons Prague pour la province. Première étape : récupérer les voitures laissées chez le père d’Andrea lors de notre arrivée. Nous mettons le cap à l’Est. Quelques bouchons dans le contournement de Prague nous ferons prendre un peu retard. Pas d’inquiétude cependant, notre seul rendez-vous de la journée est fixé vers 18 heures, ce qui nous laisse largement le temps d’arriver à destination. Nous débarquons à Kutná Hora, là où nous logerons le soir vers 12h30, et commençons la visite de l’ossuaire de Kostnice, un lieu étrange où les ornements sont tous constitués d’ossements humains. On estime à 40000, le nombre de personnes dont les restes sont entreposés sur le site : une grande majorité provient de la grande peste noire qui a ravagé la Bohême en 1348. C’est un lieu étonnant !

Il fait très chaud : plus de 30°C. Je suis contraint de faire une pause et d’aller roupiller deux bonnes heures pendant que mes camarades vont visiter quelques sites de la ville de Kutná Hora, notamment l’église Sainte-Barbe et la cathédrale de Notre-Dame de Sedlec. Vers 17 heures, mes camarades me rejoignent à l’hôtel. C’est là qu’Émeline apprendra, grâce à la réceptionniste qu’il ne faut pas confondre une télécommande de climatisation et un téléphone portable...

Statue de Štefánik à l’entrée de l’observatoire

Michel et la lunette de Prague

Y avait-il des astronomes dans le lot ?

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Nous partons vers Hradec Králové où nous avons rendez-vous pour visiter l’observatoire et le planétarium. Nous y retrouvons Monsieur Vesely, le directeur des lieux, qui est accompagné de l’un de ses collègues. La visite sera superbe et commencera par une démonstration de l’expérience du pendule de Foucault, intelligemment installé dans la cage d’escalier du bâtiment. Nos hôtes nous emmènent d’abord dans la coupole d’observations principale qui abrite différents instruments installés sur une imposante monture équatoriale Zeiss : une lunette de 200 millimètres de diamètre et de 3500 millimètres de focale, surmontée d’un Newton de 250 millimètres, avec, également en parallèle un coronographe d’environ 150 millimètres qui n’est plus en état de marche. Dommage ! En compensation, Monsieur Vesely met en place une projection solaire à travers la grande lunette. Le disque solaire, d’un bon mètre de diamètre est projeté sur un écran blanc prévu à cet effet et judicieusement placé sur la coupole. Même si le jour de notre visite, il n’y avait pas de taches, nous y avons vu de nombreuses plages faculaires. La qualité de l’image obtenue est vraiment très bonne !

Après ce passage sous la coupole, nous sommes invités sur les toits de l’observatoire, qui sert à la fois de plate-forme d’observations pour le grand public et de plate-forme météo : des relevés y sont d’ailleurs effectués quotidiennement. Là, nous pourrons tester d’étranges paires de jumelles qui étaient à l’origine des optiques utilisées sur des chars d’assaut ! En attendant le coucher du Soleil, les plus courageux se lancent dans une escapade à travers le Système solaire. Aux alentours de l’observatoire, un parcours de planètes a été placé à l’échelle sur plusieurs kilomètres. Pendant que mes camarades s’en vont rendre visite à Saturne et se font dévorés par les moustiques, je reprends quelques forces en somnolant sur un banc à deux pas des coupoles de l’observatoire.

Attenant à l’observatoire, une association baptisée Astronomická společnost v Hradci Králové (Société Astronomique de Hradec Králové) dont le collègue de Monsieur Vesely est le Président, a installé dans des abris à toits roulants deux instruments : - un Newton 400/2000, qui permet la photométrie sur des étoiles variables et des astéroïdes.- une chambre de Schmidt de 600 millimètres qui, hélas, n'est plus utilisée depuis les années 90 à cause de la pollution lumineuse grandissante dans les environs de Hradec Králové et qui est devenue obsolète avec l’arrivée des caméras CCD.

La soirée se poursuit par une présentation des travaux réalisés grâce aux différents instruments de l’observatoire dans la salle de conférence puis, ensuite, par la visite du planétarium. Il s’agit d’une petite salle de 6,5 mètres de diamètre, conviviale, pouvant accueillir une trentaine de personnes. Le système de projection est un Zeiss ZKP-1 datant de 1954. Il semblerait que ce soit le dernier en état de marche avec toutes les pièces d’origine. Il est utilisé comme outil principal pour les démonstrations publiques. A la base du dôme ont été représentés les différents éléments du paysage visibles depuis Hradec Králové. Ce petit planétarium accueille près de 30000 personnes par an, essentiellement des scolaires qui viennent découvrir le ciel. Malgré les presque 70ans

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La Terre tourne !

Sur les toits de l’observatoire de Hradec Králové

Les observations se préparent

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du projecteur, le ciel est vraiment de très bonne qualité. La magnitude des étoiles est simplement retranscrite par des points plus ou moins épais : des gros points pour les étoiles brillantes, des plus fins pour les plus faibles. Cette technique offre un ciel des plus réalistes. Les planètes, le Soleil, la Lune, certaines constellations et repères célestes, sont affichés par des projecteurs additionnels. Un nouveau planétarium numérique est en cours de construction tout à côté de celui-ci. Seront alors diffusés des programmes pédagogiques plus modernes. Néanmoins, l’ancien système sera toujours utilisé pour des descriptions réalistes du ciel.

Le ciel est toujours dégagé et notre passage à Hradec Králové ne s’arrête donc pas là. Clou de la visite, nous avons la chance de pouvoir utiliser la grande lunette pour quelques observations : Mars, Saturne, Epsilon Lyrae et M13 seront nos cibles. Le piqué est impressionnant et malgré la turbulence, les images sont très belles. Sur le toit de l’observatoire, à deux pas de la coupole, nous nous promenons à travers le ciel grâce aux “monstres” de jumelles présentées plus tôt dans l’après-midi. Là encore, les images se révéleront de bonne qualité ! Nous nous succédons tous derrière l’oculaire, échangeons quelques mots en Tchèque et en Anglais avec nos guides et savourons le moment présent.

Certains commencent à fléchir. C’est vrai qu’il est déjà tard et nous décidons, un peu à contre cœur de quitter l’observatoire. Nous échangeons coordonnées, documentations et signons le livre d’or avant de remercier chaleureusement nos hôtes. Le retour en voiture sera difficile d’autant que François s’entête à diffuser de la musique électronique tchèque d’un autre temps... Vers 0h30 nous arrivons à notre pension de Kutná Hora des étoiles plein la tête.

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Zeiss ZKP1 : une relique !

Photo de groupe sous la coupole

Superbe moment passé sous la coupole de l’observatoire de Hradec Králové

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Ondřejov ou l’histoire de l’astronomie tchèqueJour 7 – vendredi 18 juillet. Après l’observation de Hradec Králové, la nuit a forcément été un peu courte, d’autant que le petit déjeuner de notre pension de Kutná Hora n’est servi que jusque 9 heures. Mais de toute façon, pas le temps de lambiner ce matin car nous avons rendez-vous à l’observatoire d’Ondřejov situé au Sud-Est de Prague, à une petite heure de route de là.

Fini l’autoroute, nous empruntons cette fois des petites routes de campagne, vallonnées et sinueuses. Nous arrivons à Ondřejov en avance... Ce sera la première (et unique) fois du séjour. Nous y retrouvons Xavier dont nous avons fait la connaissance il y a deux jours à l’observatoire de Štefánik. Là, une inquiétude : nous apprenons que le contact d’Andrea qui devait nous faire visiter l’observatoire est en mission aux États-Unis. Heureusement, il s’est fait remplacer par une astronome amateur passionnée par l’histoire du lieu spécialement venue de Prague pour encadrer notre visite.

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Photo de groupe à l’entrée de l’observatoire d’Ondřejov

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L’observatoire d’Ondřejov est merveilleusement situé, sur une belle colline et au milieu d’une immense forêt de pins. Son histoire, qui remonte à plus de 110 ans, est étonnante (voir article dédié page 28). Durant la visite, nous aurons la chance de découvrir plusieurs coupoles et instruments car un travail de conservation du patrimoine a visiblement été entrepris ici il y a déjà longtemps. Les instruments anciens et les coupoles sont parfaitement entretenus et mis en valeur. Mais avant les instruments classiques nous commençons par un petit musée où était initialement installé un grand spectrographe solaire horizontal de type Czerny-Turner. Dans ce bâtiment sont abrités tout un tas de vieux instruments scientifiques (pas uniquement astronomiques) conçus par les fondateurs de l’observatoire, ainsi que du matériel informatique rustique. Michel reconnaîtra notamment son premier écran d’ordinateur datant des années 80 ! On trouvera aussi la première lunette de Joseph Frič, l’un des fondateurs de l’observatoire d’Ondřejov.

La première coupole dans laquelle nous pénétrons abrite deux instruments anciens montés en parallèle : un Cassegrain de 200 millimètres et une lunette de 150. Le premier permet l’observation visuelle du Soleil, la seconde une projection sur un écran judicieusement placé sur la coupole. Le système d’entraînement est d’origine avec le poids à remonter à la manivelle et qui descend à l’intérieur même du pilier qui supporte la monture. Malheureusement, le jour de notre visite, le Soleil ne voudra se montrer que quelques instants et nous ne pourrons véritablement profiter de la qualité optique du réfracteur.

Dans la seconde coupole, nous retrouvons un instrument qui nous rappelle au premier coup d’œil la lunette de l’observatoire de Thury-Sous-Clermont. Celle d’Ondřejov consiste en une lunette de 217 millimètres de diamètre surmontée d’une chambre de Schmidt pour la photographie. Il semblerait que l’instrument n’ait jamais été véritablement utilisé car de mauvaise qualité et a été laissé à l’abandon durant de longues années. Il existerait une instrumentation similaire en ex-Yougoslavie, fonctionnelle quant à elle. Depuis quelques temps, le personnel de l’observatoire d’Ondřejov tente de redonner vie à ce bel instrument en le modernisant et en l’équipant de nouvelles optiques de meilleure qualité. Affaire à suivre...

Des reliques��� ���des reliques��� ...et encore des reliques !

La première coupole avec le Cassegrain de 200 et la lunette de 150

La belle lunette de 217 millimètres

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La visite de l’observatoire se poursuit par le parc. Notre accompagnatrice nous interrompt lorsqu’elle aperçoit le jardinier ; maître des lieux. Celui-ci a, semble-t-il, une irascible réputation. Il est impératif de ne pas marcher sur les pelouses sous peine de représailles sévères nous annonce notre guide ! D’ailleurs, les touristes ne sont pas les seuls visés. On raconte dans le personnel de l’observatoire qu’une journée de congés a été octroyée à ce jardinier afin qu’il soit absent le jour d’une visite du Président de la République Tchèque Václav Havel il y a quelques années. Il aurait également copieusement “incendié” le directeur de l’observatoire d’Ondřejov un jour où il aurait justement marché sur ses précieuses pelouses.

Dans une clairière donnant sur un beau panorama, plusieurs instruments radio sont installés. Le plus impressionnant de ceux-ci, dédiés à la radioastronomie, est une grande antenne récupérée de l’armée allemande après la Seconde Guerre Mondiale. Elle affiche 15 mètres de diamètre et date des années 50. Cette antenne, toujours fonctionnelle aujourd’hui, a pour mission l’étude du Soleil et en particulier de la couronne de notre étoile. Ce radiotélescope, comme les autres instruments annexes d’ailleurs, est aujourd’hui piloté directement depuis les bureaux de l’observatoire via un réseau wifi.

Nous nous dirigeons maintenant vers la coupole du télescope de 2 mètres qui sera le clou de notre visite, quand une voiture s’arrête à notre niveau : il s’agit d’un astronome professionnel qui a eu vent de notre venue et qui se propose de nous faire découvrir rapidement (la visite durera près d’une heure) son instrumentation solaire. Il s’agit d’un des plus grands instruments destiné à l’observation de notre étoile en Europe : un cœlostat de 35 mètres de focale permettant une photographie et une étude du Soleil dans plusieurs longueurs d’ondes (5 exactement) par l’intermédiaire d’un réseau. Après avoir glissé le toit de protection, dévoilé les optiques et ouvert les portes de la chambre noire, notre hôte continue à nous causer spectroscopie, imagerie, protubérances et rayonnement... Une rencontre et une découverte très enrichissantes qui n’étaient pas prévues au programme!

A la recherche de l’ombre On capte Canal + avec ça ?

Le coelostat professionnel Les caméras à l’intérieur du « monstre »

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Notre passage à Ondřejov se termine donc par le plus gros instrument de la collection : un Schmidt-Cassegrain de 2 mètres de diamètre - le plus gros télescope installé sur le territoire tchèque - destiné à l’étude des étoiles et à la photométrie. Déjà, en tournant autour de la coupole, on se doute que l’instrument qui y est abrité est d’une dimension peu commune. Effectivement, il s’agit là d’un monstre de plus de 80 tonnes (32 tonnes pour le tube et 27 tonnes uniquement pour le contrepoids) ; comme Michel et tous les autres, il s’agit là du plus imposant télescope qu’il m’ait été donné de voir. Le plus amusant est de se dire que le “petit” chercheur en parallèle de l’instrument principal est en fait la plus grande lunette Tchèque, de 300 millimètres de diamètre. On se sent vraiment tout petit à côté d’une telle installation�

Après cette dernière coupole, nous regagnons nos voitures, offrons le panier traditionnel à notre guide en la remerciant pour sa passion, et allons tous manger chez Xavier, où sa femme Bozena, sa fille Laetitia et le chien Ida, nous accueillent chaleureusement. Petits plats dans les grands : le banquet est fabuleux ! Il traînera jusque la fin de l’après-midi avec notamment des tentatives désespérées de François pour jouer convenablement de l’ukulélé. La fille de Xavier, Laetitia, sera la seule à sortir de véritables mélodies grâce à sa guitare !

Nous remercions Xavier et sa famille et prenons la route de Benešov, là où se trouve notre prochain hôtel. Après avoir pris possession de nos chambrées, nous allons avaler quelques “pivo” en centre ville, histoire de faire évoluer un peu le classement... Au retour dans notre chambre, nous avons la désagréable surprise de constater qu’un concert est en cours dans le café mitoyen à notre hôtel. En d’autres circonstances, nous aurions pu apprécier qu’un groupe de rock Tchèque massacre The Scorpions ou Leonard Cohen, mais vu notre état de fatigue... François devra râler auprès de la réception pour que le niveau sonore baisse et que nous puissions enfin commencer notre nuit.

Comment ça ! Pas d’astronomie aujourd’hui ?Jour 8 – samedi 19 juillet. Réveil, puis petit déjeuner copieux comme à l’accoutumée. C’est la première journée sans astronomie de notre voyage. Au programme, une plongée vers le Sud de la Tchéquie et la belle région de Bohême : le château de Konopiště, la ville fortifiée de Tábor et la visite d’un des plus beaux châteaux du pays, celui de Červená Lhota. Ce dernier, bâti en pierres rougeâtres a été érigé au XVIème siècle au milieu d’un étang. C’est cette particularité qui fait surtout l’intérêt du lieu. Sous un Soleil toujours franc et un ciel d’un bleu profond, le panorama sera fort apprécié par les photographes qui n’auront de cesse de jouer avec les reflets de l’eau...

Le Schmidt de 2 mètres !

Et sa coupole tout aussi impressionnante !

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Le château de Konopiště

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Il fait encore plus chaud que les autres jours. Heureusement la climatisation des voitures est là. Nous gagnons la ville de Jindřichův Hradec (prononcez “yindjirouf hradetse”), prenons possession de nos chambres (très bel hôtel-restaurant) et allons dîner au bord de la rivière qui traverse la ville. Stephen tombe immédiatement amoureux de la serveuse, il fallait que ça arrive. Après une bière... puis deux... puis une troisième - ce n’est pas raisonnable - j’abandonne mes camarades qui s’en vont visiter la ville pour une promenade digestive. Ils croiseront sur le sol un méridien indiquant en différentes langues le passage symbolique de la longitude 15°E en différentes langues... On est quand même loin de chez nous !

Encore plus chaudJour 9 – dimanche 20 juillet - Nous entamons la journée par une visite plus approfondie de la ville de Jindřichův Hradec. J’en profite pour aller photographier le 15ème méridien raté la veille. Nous flânons ensuite autour du château. François, toujours attiré par les tours, ne résistera pas non plus à grimper celle qui domine la cité, en emmenant dans son sillage plusieurs membres de la troupe. Il faut dire que le paysage vu d’en haut est toujours plus saisissant.

Après cette promenade matinale, nous regagnons les voitures pour prendre

le chemin du château de Hluboká. Mais avant cela, nous vidons le rayon Becherovka (le tord boyau Tchèque typique) du supermarché local et nous procurons quelques victuailles pour le pique-nique du midi. Dehors, c’est le cagnard ! Sans doute la température la plus élevée subie depuis notre arrivée en Tchéquie : le mercure dépasse allégrement les 35°C. La clim’ tourne à plein dans les voitures et la petite heure de route jusque Hluboká nous fera du bien. Mais à l’arrivée, il faut bien grimper au sommet de la colline sur laquelle est installé ce splendide château de type néogothique datant du XIIIème

KrtekTaupek, la petite taupe, (Krtek en version originale) est un personnage de dessin animé de la télévision publique Tchèque. Il a été créé en 1957 par l’illustrateur Zdeněk Miler, les derniers épisodes de ses aventures ont été diffusés jusque 2002. De nombreux produits dérivés ont vu le jour depuis : livres, jouets, vêtements... Une peluche à son effigie a même été apportée dans la Station Spatiale Internationale en 2011 par l’astronaute américain Andrew Feustel dont l’épouse est d’origine Tchèque�

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Le beau château de Červená Lhota

Loin de chez nous !

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siècle et reconstruit à XVIème (merci Wikipedia). Nous pique-niquons dans le parc du château à l’ombre mais cruelle déconvenue : Michel a oublié son précieux tire-bouchon. Il doit redescendre jusqu’au parking en contrebas et reviendra dégoulinant.

Depuis les hauteurs du domaine de Hluboká, nous avons vue sur České Budějovice, là-même où nous crécherons ce soir. Il n’y a que quelques minutes de route et nous dénichons rapidement notre hôtel, à deux pas de la belle place du centre-ville. Nous trouvons rapidement un petit restaurant sympathique, sifflons quelques bières et avalons quelques escalopes pannées (entre autres), avant d’aller prendre un repos bien mérité. En sortant du restaurant, je remarque dans une rue à deux pas de la place du centre ville un beau cadran solaire et une horloge à Lune qui n’étaient pas prévus au programme et que je viendrai photographier le lendemain matin avant le petit déjeuner.

Toujours plus chaudJour 10 – lundi 21 juillet. Aujourd’hui, nous avons rendez-vous avec Miloš Tichý et Jana Tichá qui travaillent tous les deux à l’observatoire de Kleť (que nous ne pourrons malheureusement pas visiter) et au planétarium de České Budějovice. Ces deux sites font en réalité partie de la même institution. Monsieur Tichý est le directeur de l’observatoire, où il a découvert plus de 527 objets (dont une majorité d’astéroïdes), tandis que son épouse, Madame Tichá, est elle directrice du planétarium. C’est à deux pas de notre hôtel, dans un petit parc à la confluence des rivières Vltava et Malse que nous trouvons le bâtiment estampillé “planetárium” surmonté d’une coupole. Le site, ouvert en 1937, est normalement inaccessible au public durant la période estivale - le planétarium et l’observatoire accueillent essentiellement un public scolaire - mais les portes s’ouvriront aujourd’hui juste pour nous...

Après un rapide mot d’accueil de nos hôtes, nous gagnons la coupole. Celle-ci, de 5 mètres de diamètre, abrite quatre instruments, installés en parallèle sur une monture toujours fonctionnelle, datant de l’origine de l’observatoire. L’instrument principal est un télescope Cassegrain de 300 millimètres de diamètre et de 4 mètres de focale. Il a été le plus gros télescope

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Le château de Hluboká

Pique-nique dans le parc de Hluboká L’horloge à Lune de České Budějovice

A l’entrée du planétarium

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de la République Tchèque de 1937 jusque la fin des années 1970. Il est accompagné de deux lunettes Merz encore plus anciennes, datant de 1870 : la première affiche un diamètre de 150 millimètres de diamètre pour 1800 millimètres de focale tandis que la seconde, de 110 millimètres de diamètre, dispose d’une focale de 1400 millimètres. Enfin, un téléobjectif équipé pour recevoir des plaques photographiques datant des années 1970 complète l’instrumentation.

Nous aurons la chance de pouvoir observer le Soleil à travers la plus grande de deux lunettes. Elle est équipée d’un hélioscope d’Herschel et d’un filtre polarisant montrant les taches solaires avec une belle précision. Le fait de varier la filtration avec la polarisation permet, non seulement de changer la couleur du Soleil, mais également d’augmenter sensiblement le contraste des différentes zones d’activités solaires : groupes de taches, facules...

Nous passons ensuite dans une belle salle de projection où nous pourrons découvrir les différentes vidéos et animations pédagogiques destinées aux enfants de tous niveaux. Celles-ci mettent notamment en scène la fameuse taupe, bien connue des tchèques, grands et petits. Comme la plupart des sites astronomiques publics que nous avons découverts au cours de ce séjour tchèque, l’essentiel des visiteurs est composé des élèves des écoles des environs. Miloš Tichý est même fier de dire que le planétarium accueille du public âgé de 3 à 103 ans, pour un total de 25 000 personnes par an. Nous retrouvons dans cette démonstration les thématiques abordées lors de nos propres animations : mécanisme des saisons, phases de Lune, éclipses, Système solaire,

distance dans l’Univers. Quelques unes présentées nous donneront certainement des idées qui ne demanderont plus qu’à être concrétisées lors de notre retour dans l’hexagone.

La dernière salle que nous visiterons sera celle du planétarium. Le dôme de 8,5 mètres de diamètre abrite comme à Hradec Králové un système “préhistorique” ZKP1 de la firme allemande Zeiss datant de 1971. La position des planètes y est réglée une fois par semaine et le système dans sa globalité est entretenu une fois par an par Monsieur Sifner, que nous avons rencontré au planétarium de Prague il y a quelques jours. La salle

permet d’accueillir 65 personnes par séance. On retrouve, représenté sur l’horizon, les environs de České Budějovice tels qu’ils étaient dans les années 70. La qualité de ciel est de nouveau au rendez-vous, très réaliste, même si elle n’atteint pas celle du planétarium de Hradec Králové : la taille plus large du dôme sans doute. Aucun projet de passage au numérique n’est prévu pour le moment et c’est tant mieux ! C’est à l’occasion d’un échange à propos de ce matériel de planétarium que je sortirai ma première (et seule) phrase en anglais... Il y a encore quelques restes du séjour à Londres de 2013.

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Sous la coupole de l’observatoire de České Budějovice

Miloš Tichý à l’oculaire

Le planétarium de České Budějovice est lui aussi équipé d’un projecteur Zeiss ZKP1

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Après avoir pris de la documentation sur le planétarium de České Budějovice et sur l’observatoire astronomique de Kleť, nous reprenons la voiture direction la ville médiévale de Český Krumlov, classée au patrimoine mondiale de l’UNESCO depuis 1992. Pour l’anecdote, sachez qu’il existe un astéroïde qui porte le nom de cette belle ville. Il a été découvert en 1980 par l’astronome Tchèque Antonín Mrkos.

Il nous faudra une petite heure pour arriver sur place, mais l’accès à notre hôtel ne sera pas des plus aisés. En effet, ce dernier, situé en plein centre ville n’est accessible que par des petites rues normalement interdites à la circulation automobile. Sur les (mauvais) conseils du réceptionniste de l’hôtel, nous nous engouffrons dans les ruelles bondées de touristes, forcément mécontents de croiser quatre voitures... Nous finissons par réussir à trouver de la place pour descendre nos bagages et allons garer rapidement nos véhicules sur un parking à l’extérieur de la ville.

Le ciel se couvre et l’orage menace. Même si nous serons encore à Český Krumlov demain, nous préférons assurer le coup et en visiter un maximum au sec. Le paysage est splendide avec la Vltava qui dessine des méandres au milieu de la ville. Nous découvrons le château, ses jardins à la française, grimpons une fois encore au sommet d’une tour. Laissée en arrière dans l’ascension, Françoise se rattrapera à la terrasse d’un café en draguant deux Québécois en transit pour quelques jours. La soirée se termine comme d’habitude au restaurant en sifflant une bière ou deux... Stephen prendra une bonne quinzaine de minutes pour s’entraîner à commander une glace au chocolat avant de finalement s’entendre dire que la cuisine est fermée. Dommage !

Ce n’est qu’un au revoirJour 11 – mardi 22 juillet. Ce onzième jour de voyage est un peu particulier à plus d’un titre. Déjà parce qu’il pleut... C’est la première fois depuis la journée passée à Mariánské Lázně le deuxième jour que de l’eau nous tombe dessus. En même temps, la température a un peu baissé, ce qui n’est pas plus mal. Ensuite, c’est aussi l’anniversaire de François qui prend d’entrée un coup de vieux et n’arrive pas à suivre le rythme des autres buveurs de bière. Enfin, c’est aussi le dernier jour de voyage pour Huguette, Michel, Françoise et Jean-Pierre qui reprendront la direction de la France demain matin.

Contraints, nous avons sorti les parapluies pour poursuivre notre balade dans Český Krumlov. Il faudra tout au long de la journée passer entre les gouttes, si bien que les femmes (entre autres) iront souvent se réfugier dans les boutiques pour dévaliser les stocks. Juste avant le déjeuner, en attendant les adeptes du shopping, Jean-Pierre déniche sur la porte menant à l’extérieur de la ville historique, un vieux cadran solaire. Ce sera le dernier que nous croiserons sur notre route durant ce séjour tchèque.

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Balade dans Český Krumlov

Dernier jour de vacances : Jean-Pierre se lache !

Ambiance humide

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Encore une petite balade et puis c’est quartier libre pour tout le monde : certains optent pour la sieste, d’autres pour les boutiques, d’autres pour les jeux vidéo... Vers 18 heures, nous nous réunissons tous pour faire le bilan de ce voyage avant de partir pour un dernier restaurant tous ensemble. Une promenade digestive nous emmènera une dernière fois sur les rives de la Vltava, où nous pourrons admirer les illuminations du château et de la vieille ville�

La montagne, ça vous gagneJour 12 – mercredi 23 juillet. Ce matin, au petit déjeuner, nous disons au revoir aux “vieux”. Les Pruvost et les Auger nous abandonnent et reprennent le chemin de chez eux tandis que les jeunes restent en Tchéquie pour encore deux jours. Direction le lac de Lipno au Sud de Český Krumlov à deux pas de la frontière autrichienne. Ce lac de barrage, le plus grand du pays, a été créé dans les années 50. Il est aujourd’hui une base de loisirs très prisée des tchèques. A Lipno, nous avons commencé par une petite descente de Bobova, une espèce de bobsleigh pour enfants qui permet tout de même des pointes de vitesse à 50 kilomètres par heure : sensations garanties et belle brûlure pour Stephen. Après cela, nous avons gravi la colline (encore une) qui surplombe le lac à 800 mètres d’altitude. Au sommet de celle-ci, une tour (encore une) que nous gravirons elle aussi. Au sommet, un splendide panorama à 360° sur les montagnes boisées de la Bohême. Superbe !

Nous reprenons la route vers Modrava, dans le parc naturel de Šumava, où nous passerons nos deux derniers jours. A peine le temps de poser les affaires que François et Andrea nous traînent déjà dans une randonnée “casse-gueule” le long d’un petit ruisseau. Fin de journée sur la terrasse de l’hôtel : une “petite” pivo, une “petite” goulash, puis une improbable partie de bowling privée dans le sous-sol du chalet.

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Sur les hauteurs de Český Krumlov

La dernière tour près du lac de Lipno

La foule... même dans la forêt Même pas honte !

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Après une partie endiablée au résultat incertain, nous ne résistons pas à l’appel des étoiles. Le ciel semble propre mais les éclairages de la terrasse nous empêchent de prendre connaissance de son véritable potentiel. Nous prenons la voiture, faisons quelques centaines de mètres et nous engageons dans un petit chemin repéré lors de la randonnée de l’après-midi. Et là, c’est la claque : les étoiles fourmillent, la Voie lactée d’été est éclatante. Les yeux habitués au noir, nous apercevons sans difficulté une foultitude de zones obscures. Ce ciel ne vaut peut-être pas celui de Saint-Véran, mais il est quand même exceptionnel. Quelques photos d’ambiance... Quelques observations à travers la longue vue d’Émeline... De quoi garder des souvenirs de cette (presque) dernière soirée de voyage.

La fin de l’aventureJour 13 – jeudi 24 juillet. Cette fois, on y est... C’est le dernier jour de vacances. Et pour ce dernier jour, Andrea a décidé de nous en faire baver. Au programme: une randonnée de 15 kilomètres au milieu des forêts de pins du parc naturel de Šumava. Beau, mais usant! En grand sportif, j’aurai encore mal aux mollets quelques jours plus tard, à mon retour en France.

Après la rando, quartier libre pour tout le monde. Certains se reposent, d’autres flânent sur la terrasse de l’hôtel une bière à la main. Nous nous retrouvons tous une dernière fois vers 18h30 pour une dernière “pivo’’ commune et un dernier repas. Pour digérer, comme la veille, c’est partie de bowling. Et pour finir ce séjour en beauté, une fois la nuit tombée, nous allons admirer durant quelques minutes le ciel étoilé de Tchéquie, un peu comme la veille. Personne n’a envie de rentrer en France tant ce séjour a été riche... Mais il n’y a pas le choix !

Émeline, Stephen et moi, nous disons au revoir à François et Andrea dès ce soir car demain nous partirons tôt vers le France et ne voulons pas les obliger à sortir du lit dès l’aube. Vendredi 25 juillet, je me réveille devant les forêts de Šumava, alors que je me coucherai chez moi ce soir. Après 10 heures, d’une route sans encombre ou presque à travers la Tchéquie, l’Allemagne et la Belgique, le fidèle Duster arrive à Chéreng. J’y dépose Émeline, elle récupère sa voiture qui, étonnamment, démarrera à la première tentative. Je me débarrasse ensuite de Stephen, puis regagne mon petit coin de campagne... Fin des vacances ! Fin de l’aventure !

Pivo prosím

Toutes les statistiques le démontrent, les Tchèques sont les plus grands buveurs de bière du monde, bien avant les belges et les français. Afin de nous intégrer à la population locale, nous n’avons pas rechigné à savourer Pilsner Urquell, Staropramen et autres Gambrinus et Budweiser Budvar... Cela donnera d’ailleurs lieu à un amical concours du plus grand buveur de bière, brillamment remporté par Stephen et moi-même : 23 litres engloutis chacun. Au total, lors de cette escapade du GAAC en Tchéquie, 95 litres auront été avalés. Chez les filles, davantage portées sur les cocktails (Mojito, Piña colada, Cuba libre), c’est Émeline qui, étonnamment, s’est imposée d’une courte tête...

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Rando au bord de l’eau

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Quelques liensLes nombreuses photos de notre séjour en Tchéquie : https://picasaweb.google.com/AstroGAAC/EscapadeAstronomiqueEnTchequie

La ville de Mariánské Lázně : http://www.marianskelazne.cz/enLa ville de Prague : http://www.praguewelcome.czLe planétarium de Prague : http://www.planetarium.czL’observatoire Štefanik : http://www.observatory.czLe Klementinum de Prague : http://www.klementinum.comL’observatoire, le planétarium et la Société Astronomique de Hradec Králové : http://www.astrohk.czLa ville de Kutná Hora : http://www.kutnahora.czL’observatoire d’Ondřejov : http://www.asu.cas.czLe château de Červená Lhota : http://www.zamek-cervenalhota.euLe château de Hluboká : http://www.zamek-hluboka.euLa ville de České Budějovice : http://www.c-budejovice.czL’observatoire et planétarium de České Budějovice, l’observatoire de Kleť : http://www.hvezdarnacb.czLa ville de Český Krumlov : http://www.ckrumlov.infoLe parc naturel de Šumava: http://www.npsumava.cz

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Ondrejov, l’incroyable passion de deux frères pour l’astronomie

Par Jean-Pierre Auger

Rappel historique sur l’astronomie tchèqueEn République Tchèque, l’astronomie a des racines profondes. Elle commença à s’y développer lors de la création de l’Université Charles de Prague par l’empereur Charles IV en 1348. L’astronomie était l’une des sept matières qui y était enseignée. L’âge d’or de l’astronomie tchèque s’établira de la fin du XVIème au XVIIème

siècle, lorsque Tycho Brahé et Johannes Kepler travaillèrent à Prague pour l’empereur Rodolphe II, qui était féru de sciences (voir article page 39). En 1556, à la demande de la noblesse catholique, soutenue par le roi de Bohême Ferdinand Ier, Saint Ignace de Loyola dépêcha à Prague Pierre Canisius pour y ouvrir le collège jésuite de Saint-Clément, appelé communément le Klementinum. A cette époque, l’enseignement donné par l’ordre religieux des jésuites était dans toute l’Europe considéré comme étant le meilleur. C’est la raison pour laquelle 6 ans seulement après sa création, le 15 mars 1562, le collège fut érigé en Académie par Ferdinand 1er� Le 15 février 1622, le Conseil Impérial supprima

l’Université Charles de Prague qui s’était révoltée pour soutenir une rébellion protestante et l’intégra à l’académie jésuite. Par cette fusion les jésuites chapeautèrent l’ensemble de l’enseignement supérieur du pays jusqu’en 1773, date à laquelle la Compagnie de Jésus fut officiellement supprimée par le pape Clément XIV.

C’est en 1722 que la tour de l’observatoire du Klementinum fut construite et vers 1750, Josef Stepling son premier directeur, la fit équiper des instruments d’observation les plus modernes d’Europe. Le Klementinum devint ainsi le premier observatoire astronomique de Tchéquie. Au XIXème siècle, le Klementinum passa sous le joug des Allemands. Les études qui y furent réalisées avaient un but uniquement géographique : la mesure des pôles et des mouvements de l’axe de la Terre (hors précession et nutation) par observation des très légères modifications dans la position des étoiles. Le 27 novembre 1885, Ladislav Weinek, le directeur de l’observatoire, y prendra la première photo d’une étoile filante. Après Weinek et jusqu’à la fin de la Première Guerre Mondiale, le Klementinum n’aura plus de directeur mais un simple curateur.

Ensuite, la nouvelle République Tchécoslovaque installera dans la tour astronomique du Klementinum son observatoire officiel. Après la Deuxième Guerre Mondiale, le complexe du Klementinum deviendra un département de l’Institut d’Astronomie Tchécoslovaque appartenant à l’Académie des Sciences, et la tour sera laissée à l’abandon. Comme tous les observatoires construits en ville, la pollution lumineuse les condamnent inéluctablement à un rôle historique. Jusqu’à très peu de temps, le haut de la tour était utilisé par

Vue partielle du Klementinum de Prague avec sa tour d’observation

Joseph Steping fut le premier directeur de l’observatoire

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une association d’amateurs pour l’observation. Nous avons pris leurs coordonnées… pour notre prochaine visite ! Les instruments exposés dans la tour sont des répliques, les originaux ayant été détruits, vendus ou dispersés dans d’autres Musées.

Après la création de l’Académie des Sciences de la République Tchécoslovaque en 1953, l’ancien Observatoire du Klementinum céda sa place à l’Observatoire d’Ondřejov où l’Académie des Sciences et l’Institut Astronomique de Tchécoslovaquie y établirent leur siège. L’observatoire d’Ondřejov est situé près du village d’Ondřejov, à environ 25 kilomètres au Sud-Est de Prague. Ce lieu est devenu aujourd’hui le fleuron de l’astronomie tchèque. Son existence est née de l’incroyable passion qu’eurent les deux frères Josef et Jan Frič pour l’astronomie.

Qui étaient les frères Josef et Jan Frič?Josef et Jan Frič étaient les fils du révolutionnaire tchèque Josef Václav Frič. Expulsé de son pays, ses deux fils naquirent à Paris lors de son exil. Ils étaient passionnés par l’astronomie et, revenus en Bohême, ils décidèrent de construire leur propre observatoire. Mais ce n’était pas chose facile car le matériel était très cher et tout devait être importé. Ils ne pouvaient se permettre ce luxe ; aussi décidèrent-ils de fabriquer eux-mêmes leur instrumentation. Ils créèrent en 1883 dans le quartier de Vinohrady à Prague un petit atelier de construction d’instruments de mesure astronomiques. Bientôt, les deux frères, sur les conseils du chimiste Karl Neumann Cyril, entreprirent la construction de machines permettant par polarisation de la lumière de mesurer le taux de sucre dans une solution aqueuse. Ils élargirent ensuite la gamme de leur production aux instruments de mesures géodésiques, militaires et minières.

Le pari de développement sur ces secteurs industriels leur apporta des bénéfices considérables et leurs instruments de mesure furent rapidement vendus dans le monde entier et même aux Etats-Unis où leur polarimètre fut adopté comme standard officiel. Après la mort de son frère Jan en 1897, Joseph assuma seul la direction de l’entreprise Jan et Josef Frič. En 1939, il refusa en vrai patriote de coopérer avec l’occupant allemand et la production en fut considérablement réduite. Après guerre, une restructuration de l’entreprise eut lieu, mais quelques mois après la libération de la République en 1945, Josef Frič décéda. En 1948, la société fut nationalisée et ferma définitivement ses portes dans les années 1960, concurrencée par les importations de matériel de mauvaise qualité venant de Pologne, d’Union Soviétique et d’Allemagne de l’Est.

Une passion : l’astronomieA Prague, sous le toit de leur maison, les deux frères aménagèrent un petit observatoire équipé d’un astrographe de leur propre production avec lequel ils observaient les comètes. Pour pouvoir se perfectionner il leurs fallait un ciel non pollué par la lumière et les particules de poussière. Ils décidèrent d’acheter un terrain en dehors de Prague : un endroit convenable, pas trop éloigné et pas trop cher. Ils le trouvèrent près de la commune d’Ondřejov, au sommet de la colline appelée Zalov.

Portrait de Jan et Joseph Frič

Polarimètre pour jus sucré de Jan et Joseph Frič

En 1901, le premier observatoire n’est qu’une simple maison de bois

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Mais Jan, le frère cadet décéda brutalement d’une appendicite le 21 janvier 1897. Après la mort de son jeune frère, Joseph n’abandonna pas leur projet. Pour 900 couronnes en or et pour honorer la mémoire de son frère, il signa l’acte d’acquisition du terrain d’Ondřejov le 21 janvier 1898. Au départ, l’observatoire ne fut qu’une simple maison provisoire en bois. La construction de l’observatoire définitif fut confiée à l’architecte Josef Fanta, dont l’œuvre la plus connue est la gare centrale de Prague. Les travaux commencèrent en 1905.

Le bâtiment de la coupole de l’Ouest fut achevé en 1911. Il fut dédié à Jan Frič. Dans ce bâtiment est installée une lunette qui était unique en 1859. Sa lentille de 217 millimètres de diamètre avait été façonnée par Alvan Clark aux Etats-Unis. Elle sert encore à l’observation de la photosphère du Soleil et des taches solaires de la chromosphère. La coupole centrale, ne fut achevée qu’en 1912. Elle renferme en rez-de-chaussée un petit musée retraçant l’historique de l’observatoire et montrant quelques objets fabriqués par les frères Frič. A l’étage sont installés une lunette de 217 millimètres de diamètre surmontée d’une chambre de Schmidt pour la photographie. Dans l’escalier est suspendue au plafond la lunette qui était utilisée par Josef Frič.

En 1913, la première station radio du pays destinée à émettre le signal horaire fut installée à l’observatoire d’Ondřejov. En 1927, Josef Frič est nommé Docteur de l’Université Tchèque des Sciences et Techniques. En 1928, pour le dixième anniversaire de la République Tchécoslovaque, il décida de faire don de son observatoire

à l’Etat, à la condition qu’il soit transformé en Institut Astronomique indépendant. Depuis, cet institut se consacre aux recherches des astéroïdes, des galaxies, du Soleil, des amas interplanétaires. Après la création de l’Académie des Sciences de la République Tchécoslovaque en 1953, l’ancien Observatoire du Klémentinum céda sa place à l’Observatoire d’Ondřejov qui devint ainsi le premier observatoire astronomique du pays. Josef Frič décéda le 10 Septembre 1945, à l’âge respectable de 84 ans. Pour rendre hommage aux deux frères, les astronomes donnèrent le nom de « Janjosefric » à un astéroïde.

Joseph Frič pose devant les fondations du bâtiment de la coupole centrale en 1906

Construction des coupoles dans les ateliers Ringhofer Smichov à Prague.

Construction de la Villa, demeure de la famille de Josef Frič. Sur ses façades, les fresques sont de Kl. Klusacek. Elles représentent les temps de notre vie : le jour, le matin, le midi, le soir et la nuit.

Plan de la coupole Ouest

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Ondřejov aujourd’huiL’Institut astronomique d’Ondřejov est spécialisé dans quatre types d’observation : stellaire, solaire, interplanétaire et galactique. Ces quatre départements de l’Institut orientent la recherche scientifique vers : la physique solaire, l’étude de la matière interplanétaire, la physique des étoiles, la physique des galaxies et des systèmes planétaires.

Le département de physique solaire se concentre sur les phénomènes solaires actifs tels que les taches, les éruptions solaires et les éjections de masse coronale. Les données provenant des instruments de l’observatoire d’Ondřejov, y compris dans les gammes d’ondes optiques et radio, sont combinées avec des observations en rayons X et UV faites à partir des satellites et des sondes spatiales pour mieux étudier ces phénomènes transitoires complexes. Ces observations sont comparées aux simulations numériques qui essaient de modéliser les mécanismes de base régissant le Soleil, tels le magnéto-hydrodynamisme et les processus radiatifs dans le plasma solaire.

Le département de la matière interplanétaire exploite le réseau européen de caméras qui enregistre les météores et les étoiles filantes. Ce réseau détient la primeur mondiale des découvertes sur les météorites et leur passage au travers de l’atmosphère terrestre. Le réseau d’observation par caméras fonctionne en continu depuis 1963 et est actuellement le seul de ce genre au monde. A l’aide des radars de l’observatoire, les chercheurs étudient la fragmentation atmosphérique, les propriétés structurelles des météorites et la composition chimique des météorites par la spectroscopie, la physique du rayonnement et de l’ionisation des particules. Depuis 1993, un programme d’observations avec une caméra CCD dédiée à un télescope de 650

millimètres a pour mission d’étudier la rotation des astéroïdes et leur détection de proximité avec la Terre.

Le département de physique stellaire possède le plus grand télescope du territoire de la République Tchèque. Il a un miroir primaire miroir de 2 mètres de diamètre. Son principal domaine de recherche concerne l’étude de la variation des étoiles binaires et la définition de leurs paramètres orbitaux. L’utilisation de la spectroscopie permet aussi l’étude des atmosphères stellaires.

Enfin, le département des galaxies et des systèmes planétaires possède son propre télescope zénithal. Il étudie la rotation de la Terre et les problèmes théoriques de la dynamique des systèmes solaires, des exoplanètes et des corps transneptuniens, y compris leurs résonances dans la ceinture de Kuiper. La formation des étoiles dans le milieu interstellaire y est étudié à la fois par observations et par simulations. Les études portent sur l’influence du recyclage des gaz dans l’évolution des galaxies à travers le temps et les processus d’accrétion et de résonances dans les disques autour des trous noirs�

La coupole de l’Ouest aujourd’hui.

La lunette de 217mm surmontée d’une chambre de Schmidt, abrités dans la coupole centrale

La lunette de 150 mm et le télescope Cassegrain de la coupole de l’Ouest

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Pražský orlojPar Stephen Kowalczyk et Simon Lericque

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L’horloge astronomique de Prague est depuis longtemps l’un des symboles de la capitale tchèque. Ce petit trésor trône en plein cœur de la vieille ville et accompagne les Praguois depuis plus de 6 siècles : l’horloge a d’ailleurs dignement fêté ses 600 ans en 2010. Nombreux sont les touristes à lui rendre visite et à se masser devant la façade Sud de l’Hôtel de ville pour attendre fébrilement l’heure juste, afin d’admirer le ballet de ses automates. Nous aussi, lors de notre passage à Prague, nous n’avons pu résister à l’appel et aux sonneries de l’horloge mais après avoir assisté au défilé des personnages, nous nous sommes longuement intéressés aux différents tracés figurant sur les cadrans...

L’histoire de l’horlogeAu Moyen-Age, de nombreuses cités européennes installent des horloges astronomiques dans leur centre-villes : Lund en Suède, Wells au Angleterre ou encore Strasbourg et Lyon en France. Prague ne dérogera pas à la règle et les échevins de la ville, alors la troisième d’Europe avec 40000 habitants, confient la réalisation d’une telle pièce d’horlogerie à Mikuláš z Kadaně (Nicolas de Kadau) en 1410. Il sera aidé par Jan Sindel, un mathématicien et astronome de l’Université Charles de Prague.

Nous n’avons que peu d’informations sur les modalités de réalisation de cette œuvre mais on trouve, plus tard, entre 1552 et 1572, des traces d’interventions sur l’horloge. Celles-ci ont surtout été effectuées par Jan Táborský (1500-1580). Ce dernier consacrera d’ailleurs vingt ans de sa vie à perfectionner le mécanisme de l’horloge. C’est aussi à lui que l’on doit les plus anciens documents écrits concernant l’horloge de Prague. D’autres opérations interviendront par la suite. Au XVIIème siècle, les figures animées des différents apôtres furent ajoutées. Josef Mánes sera à l’origine du nouveau disque calendaire en 1865. Durant leur fuite à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, en mai 1945, les Allemands bombardèrent Prague et incendièrent partiellement l’horloge. Celle-ci sera restaurée en 1948 avec le remplacement de certaines figurines et pour l’occasion, l’heure légale des pays d’Europe centrale prendra la place de celle de l’ancienne Tchécoslovaquie. Enfin, elle subira deux autres corrections en 1994 et 2006.

Gravure datant de 1791 représentant l’horloge

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La légende dit aussi parfois que l’horloge de Prague fut perfectionnée par Jan Ruze (également dénommé maître Hanus de la Rose) en 1490. On dit que l’on fit crever les yeux de ce dernier afin que le maître-horloger ne puisse construire une horloge plus belle que celle de Prague dans une autre cité européenne. Ce dernier se serait vengé en plongeant sa main dans le mécanisme de l’horloge – se mutilant volontairement – afin d’arrêter son fonctionnement. L’horloge cessera ainsi de fonctionner durant quatre siècles car personne ne put la réparer. Il existe des légendes similaires concernant les horloges de Strasbourg et Gdansk en Pologne. Quelle est donc la part de vérité dans cette histoire ? Pour l’instant, la réponse n’a pas été trouvée. Cela étant, concernant Prague, cette légende reste incompatible avec les éléments factuels dénichés récemment.

Le tympanLe cadran astronomique de l’horloge de Prague est basé sur une conception géocentrique de l’Univers ; la Terre est au centre du monde et les autres astres lui tournent autour. En 1410, date de sa création, Copernic, Brahé, Kepler et autre Galilée n’ont pas encore vu le jour. On trouve sur l’horloge de Prague un astrolabe, projection stéréographique de la voûte céleste, composé d’une partie fixe qui représente la sphère locale avec le ciel visible depuis la capitale tchèque et l’horizon : cette partie est appelée “tympan”. Ensuite, on trouve une partie mobile dénommée “araignée” qui symbolise les différents astres de la voûte étoilée.

Sur le tympan de l’horloge de Prague, le Nord est en bas, le Sud en haut, l’Est sur la gauche et l’Ouest sur la droite. Ce tympan est découpé en plusieurs parties. La partie noire représente la nuit noire, là où le Soleil est à -18° sous l’horizon, celle orangée qui l’entoure, représente le crépuscule, quand le Soleil est entre 0° et -18° (périodes des crépuscules civil, nautique et astronomique). Les autres parties du tympan sont colorées de nuances de bleu et de vert. Elles représentent les moments où le Soleil est au-dessus de l’horizon durant la journée. Enfin au centre, on trouve un cercle avec la Terre représentée qui symbolise l’horizon. Tous les astres qui passent au-dessus de cette partie du tympan sont alors couchés.

Portrait de Jan Táborský

Vue générale du cadran astronomique de l’horloge de Prague

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Sur l’extérieur du tympan, on note d’abord une première graduation en chiffres arabes grisés allant de ‘‘1’’ à ‘‘12’’� Ces chiffres indiquent les heures babyloniennes. A l’époque, les heures ne duraient pas forcément 60 minutes mais avaient des durées inégales. La journée était divisée en 12 heures de jour (présence du Soleil dans le ciel) et 12 heures de nuit (le Soleil est sous l’horizon). Avec les changements saisonniers marqués comme ils le sont à la latitude de Prague, les heures d’été pouvaient durer 1 heure et 20 minutes contre 40 minutes à peine au cœur de l’hiver. On a d’ailleurs les arcs dorés qui symbolisent le passage d’une heure babylonienne à une autre sur le tympan de l’horloge. Ces arcs, fort logiquement, ne sont pas représentés dans la partie “nuit” du tympan.

Toujours sur l’extérieur du tympan, on note ensuite deux séries de chiffres allant de ‘‘I’’ à ‘‘XII’’� Le XII du haut indique midi et celui du bas minuit. Ces indications donnent l’heure solaire. C’est cette graduation qu’il faudra regarder si l’on veut connaître l’heure “pratique”, celle qui est sur les montres modernes. Il conviendra néanmoins d’ajouter une heure en hiver et deux heures en été pour obtenir l’heure légale du pays (en négligeant de prendre en compte la correction de l’équation du temps). Sur la photo page 33, l’aiguille est entre le 10 et le 11 : il est donc près de 12h30 puisque la prise de vue date de juillet.

On trouve également reproduits sur le tympan les tropiques du Capricorne et du Cancer, ainsi que l’équateur céleste. Le cercle doré qui termine le tympan à l’extérieur est celui du Capricorne, le plus proche de la Terre est celui du Cancer et le cercle intermédiaire symbolise l’équateur. Le Soleil, coulissant sur son aiguille, se superposera au tropique du Cancer le jour du solstice d’hiver ; il se superposera au tropique du Capricorne le jour du solstice d’été et il se superposera à l’équateur aux moments des équinoxes d’automne et de printemps. On voit d’ailleurs que la partie noire ne touche pas le cercle du tropique du Capricorne. Cela veut dire qu’aux environs du solstice d’été - du 1er juin au 13 juillet exactement - le crépuscule est interminable ; le Soleil ne passant pas sous les 18° sous l’horizon, il n’existe pas de nuit noire. Cette particularité est bien connue des astronomes amateurs qui observent régulièrement le ciel.

Enfin, à l’intersection du “jour” et de la “nuit”, entre les parties orangée et bleutée, sur la gauche vers l’Est et le lever du Soleil, on note les inscriptions “aurora” et “ortus” (aurore et lever en français) et vers l’Ouest et le coucher du Soleil, à droite, les mentions “occasus” et “crepusculum” (coucher et crépuscule). Grâce à ces indications, on comprend aisément dans quel sens se déplacent le Soleil, la Lune et les autres astres symbolisés par l’araignée, d’Est en Ouest en culminant au Sud, en haut de l’horloge.

Les chiffres arabes de l’heure babylonienne

Les chiffres romains de l’heure solaire

Gros plan sur le crépuscule interminable

En bleu, les tropiques et l’équateur céleste

Gros plan sur les inscriptions du Soleil levant

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L’araignéeL’araignée de l’astrolabe de Prague est essentiellement composée de l’écliptique et du cercle zodiacal. Elle effectue un tour sur son axe en 23 heures, 56 minutes et 4 secondes (durée du jour sidéral). La trajectoire apparente du Soleil dans le ciel que l’on appelle donc écliptique, est ici représentée sur le bord le plus externe de la partie mobile. Cet écliptique est, par convention, divisé en douze constellations du zodiaque représentées par leur symbole. Chacune des constellations représente 30° de l’écliptique, soit 1/12ème de la trajectoire apparente du Soleil dans le ciel. En se superposant à l’un des signes, les aiguilles du Soleil et de la Lune indiquent dans quelles constellations se trouvent ces astres. On peut aussi savoir quelles constellations sont visibles dans le ciel et lesquelles sont encore sous l’horizon. Évidemment, la précision laisse à désirer puisque la lecture proposée ici est surtout celle des astrologues de l’époque et pas celle des astronomes modernes. Le découpage de l’écliptique aujourd’hui n’est plus le même qu’au XVIème siècle et le mouvement de précession des équinoxes a engendré un décalage de la position du Soleil par rapport aux constellations.

L’araignée est supportée par quatre montants. Ces derniers indiquent les changements de saisons. Un autre élément, très discret est emporté par le mouvement de l’araignée, c’est une petite étoile en or qui se trouve dans le prolongement du montant qui indique le passage au printemps. En plus d’indiquer le retour des beaux jours (le printemps), cette petite étoile permet aussi de connaître l’heure sidérale. Pour cela, on utilise les chiffres romains situés sur la partie externe du tympan, ceux-là même qui permettent de déduire l’heure solaire avec l’aiguille principale. En effet, l’heure sidérale n’est pas la même que l’heure solaire. L’heure solaire prend comme référence le Soleil qui “revient” approximativement à la même place dans le ciel toutes les 24 heures. L’heure sidérale quant à elle

prend comme référence une étoile qui reviendra à la même place dans le ciel toutes les 23 heures, 56 minutes et 4 secondes. Cette différence est due au mouvement de révolution de la Terre autour du Soleil. Ce décalage, aussi infime soit-il sur une journée, s’amplifie au fil du temps. C’est pour cela que les deux heures ne sont pas identiques. Finalement, le décalage s’annule au bout d’une révolution terrestre. C’est donc uniquement le jour du printemps que l’aiguille de l’heure solaire et la petite étoile d’or effectueront leur “route” ensemble et indiqueront approximativement la même heure tout au long de la journée.

Les aiguillesDeux aiguilles tournent autour du centre de l’horloge et donnent les indications astronomiques. La première aiguille, la principale, est celle qui accueille le Soleil et dont l’extrémité est dotée d’une main dorée. Elle effectue un tour autour de son axe en 24 heures. Le Soleil coulisse

Vue générale de l’araignée

L’étoile d’or signifiant le printemps

L’aiguille principale portant le Soleil

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tout au long de l’année sur son aiguille et indique par la même occasion sa déclinaison approximative. En été, le Soleil sera au plus loin du centre de l’horloge et longera le cercle du tropique du Capricorne : sa trajectoire dans le ciel sera longue. En hiver, c’est l’inverse : le Soleil se superposera au tropique du Cancer, tout près du centre de l’horloge et sa trajectoire dans le ciel sera courte. On peut aussi connaître à tout moment la hauteur du Soleil dans le ciel mais en l’absence de graduation, cette donnée restera très peu précise. De manière plus simple, on peut aussi savoir quand le Soleil se lève, quand il se couche, quand la nuit noire débute et quand elle s’achève. Il suffit d’attendre que l’aiguille croise les intersections de ces parties remarquables du tympan (voir plus haut).

L’autre aiguille est celle qui porte la Lune. Elle tourne sur l’axe principal de l’horloge mais également sur elle-même. Cela permet de savoir dans quelle constellation se situe la Lune (encore que cette donnée s’avère désormais plus ou moins erronée) mais aussi la phase. En effet, la sphère portée par l’aiguille est argentée sur l’une des faces seulement. En tournant sur elle-même en une lunaison, soit 29 jours et demi, elle présente toujours aux visiteurs la bonne phase : nouvelle Lune, croissant, quartier, Lune gibbeuse ou pleine Lune. Cette aiguille tourne sur l’axe central en 24 heures, 50 minutes et 28 secondes, permettant d’indiquer la bonne position de la Lune par rapport aux constellations zodiacales. D’ailleurs, tout comme le Soleil, la Lune coulisse sur son axe au fil du temps, permettant de connaître ses heures de levers, de couchers et de passages au méridien.

Les heures de BohêmeSur le cadran supérieur, on remarque enfin un dernier cercle qui cerne le tympan fixe de l’horloge et qui porte des chiffres arabes en écriture gothique. Ce cerceau est lui aussi mobile et indique les heures anciennes de la Bohême. Cette heure aujourd’hui oubliée, d’origine italienne, était surtout utilisée au Moyen-Age en Europe centrale. Elle découpe la journée en 24 heures qui sont comptées à partir du coucher du Soleil. Cette heure désuète est indiquée par l’aiguille principale qui porte le Soleil et la main d’or. Ce dernier cercle a donc un mouvement très particulier puisqu’il oscille tout au long de l’année pour coïncider avec les heures solaires des couchers du Soleil. Il conserve néanmoins un intérêt aujourd’hui puisqu’il suffit de regarder en face de quel chiffre romain se trouve le ‘‘24’’ gothique (début de la journée de l’ancienne Bohême) pour connaître l’heure du coucher du Soleil.

Gros plan sur l’aiguille portant la Lune

L’heure du coucher du Soleil

Partie inférieure du cercle des heures anciennes de la Bohême

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Le cadran inférieurLe cadran inférieur est plus récent que l’autre cadran de l’horloge puisqu’il daterait de 1490. Les ornements actuels ont été réalisés par le peintre tchèque Josef Mánes (1820-1871) en 1865 et sont venus remplacer les plus anciens – qui ressemblaient beaucoup à ceux d’aujourd’hui – peints en 1659. Au centre figurent les armoiries de la vieille ville de Prague. En allant vers l’extérieur, on trouve d’abord représentés les douze signes du zodiaque, puis douze scènes de la vie paysanne en Bohême symbolisant les douze mois de l’année. Enfin, le cercle le plus à l’extérieur est celui du calendrier : il figure le numéro du jour dans chaque mois, le nom de la fête correspondante à ce jour et la première syllabe de différents vers permettant justement de se remémorer les dates de ces fêtes. On note aussi sur la partie interne du calendrier une lettre allant de “a” à “g” ; c’est la lettre dominicale. Celle-ci permet de connaître le jour de la semaine pour n’importe quelle date. Il faut cependant se souvenir de la lettre de référence du premier janvier car cette indication change à chaque année nouvelle�

Ce disque du calendrier tourne aujourd’hui automatiquement autour du centre du cadran en 365 jours. A l’origine, il était déplacé manuellement chaque jour, sauf pour le jour supplémentaire des années bissextiles. Pour connaître la date, il suffit de regarder ce qu’indique le stylet dans la partie supérieur du cadran�

Vue générale du calendrier inférieur de l’horloge

Vue rapprochée sur le stylet indiquant la date du jour sur le calendrier

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Les automates et les ornementsLe ballet des apôtres est certainement le mouvement le plus attendu par les touristes. Celui-ci s’enclenche à chaque heure pleine, de 9 heures du matin jusqu’à 21 heures le soir. La première animation vient du squelette qui sonne le glas en tirant la corde de sa main droite. Les douze apôtres sont précédés dans leur déplacement par Saint-Pierre. Chacune des figurines vient se positionner devant les petites fenêtres et se tourne brièvement vers la foule pour les saluer. C’est le sculpteur Vojtěch Sucharda qui réalisa les figurines en 1912, puis les restaura après le bombardement de la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

Quatre personnages ornent le cadran de l’horloge. A gauche, on trouve d’abord le Vaniteux avec son miroir dans la main et l’Avare qui tient une canne et une bourse de pièces. Le premier hoche la tête et admire son reflet dans le miroir tandis que le second dodeline et agite sa sacoche. A droite, le squelette figure la Mort : il retourne son sablier, tinte la sonnette et hoche lui aussi la tête. A côté de lui, on trouve un Turc avec un luth dans la main. Celui-ci symbolise les caprices, les plaisirs et les vices humains. De ces quatre personnages, seule la Mort a survécu à l’incendie de 1945... Tout un symbole ! Les autres sont des copies installées plus tard, dans le courant de la deuxième moitié du XXème siècle. Au-dessus des fenêtres dans lesquelles apparaissent les apôtres trône un coq qui symbolise la vie. C’est lui qui, après le défilé des automates, clôt l’animation avec un puissant cocorico. Son installation remonte à 1866.

Le cadran du calendrier est lui aussi orné par quatre personnages. A gauche, on trouve un philosophe accolé à un archange, qui tient un bouclier et une épée en flammes. A droite, on trouve un astronome tenant une petite lunette dans sa main gauche et, à côté de lui, un chroniqueur public en train de rédiger un texte.

Le mécanismeLes cadrans principaux de l’horloge sont essentiellement mus par trois roues dentées tournant autour du même axe. La première compte 365 dents et met en rotation l’araignée supportant le zodiaque, la deuxième compte 366 dents et met en mouvement l’aiguille du Soleil, enfin, la dernière est dotée de 379 dents et fait tourner l’aiguille qui accueille la Lune. L’artisan qui s’occupe actuellement de l’horloge, Otakar Zámečník, estime que trois quarts des éléments du mécanisme sont encore les originaux. A plus de 600 ans, elle est la plus ancienne horloge encore en état de fonctionnement dans le monde, un bijou unique qu’il ne fallait donc pas rater !

Le coq d’or suplombant les fenêtres des automates Le squelette sonnant le glas

Une partie du mécanisme de l’horloge de Prague

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Kepler et BrahéSur la trace des géants

Par Michel Pruvost

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« On vous a déjà dit sans doute que j’ai été très gracieusement invité par Sa Majesté Impériale et que j’ai été reçu de la manière la plus bienveillante et la plus aimable. Je voudrais que vous veniez ici non point contraint par les adversités, mais de votre propre volonté et mû par le désir de travailler avec moi. Mais quelles que soient vos raisons, vous trouverez en moi un ami qui ne vous refusera pas ses conseils et son aide dans l’adversité, et qui sera prêt à vous assister. Et si vous venez bientôt nous trouverons peut-être des moyens pour que vous soyez, vous et votre famille, mieux pourvus dans l’avenir. Donné à Benatek, la Venise bohémienne, ce 9 décembre 1599, de la main de votre très affectionné Tycho Brahé.»

C’est en ces termes que Tycho Brahé invite Johannes Kepler à le rejoindre à Prague à la fin de 1599. Mais cette lettre n’arrivera pas dans les mains de Kepler. Celui-ci est déjà en route, parti le 1er janvier 1600, à la faveur du déplacement d’un conseiller de l’empereur, le Baron Hoffman. Ces deux géants, comme les appellera plus tard Isaac Newton, allaient se rencontrer. Pourtant, tout s’y opposait encore un an auparavant.

Avant PragueKepler travaille depuis longtemps sur les orbites planétaires. Partisan du système héliocentrique de Copernic, il avait constaté que les orbites des planètes n’étaient pas des cercles parfaits et que celles-ci ne tournaient pas à vitesse uniforme sur ces orbites. La vitesse était plus grande quand la planète était plus proche du Soleil. Mais comment bâtir la théorie sans avoir de mesures fiables des mouvements planétaires ? Un seul homme possède les données nécessaires à Kepler, c’est Tycho Brahé, qui, durant 35 ans dans son observatoire d’Uraniborg, a collecté patiemment et scrupuleusement les

mesures de position des planètes.

Ce trésor, Tycho Brahé ne veut pas le publier car il travaille sur sa propre théorie du Système solaire. Aussi, Kepler n’attend qu’une occasion pour aller le rencontrer mais un abime les sépare. Kepler occupe le poste de Mathematicus à l’école protestante de Gratz en Autriche depuis 1594, Brahé est astronome auprès du roi Frederic II du Danemark et possède l’observatoire d’Uraniborg sur l’île de Hveen entre Danemark et Suède. Des circonstances tout à fait improbables, mues par le destin, une volonté divine ou, tout simplement un hasard incroyable, vont toutefois réussir à rapprocher les deux hommes.

Au cours de l’été 1598, l’école de Kepler est fermée. Depuis 1596, le jeune duc Ferdinand de Habsbourg, archiduc d’Autriche, fait la chasse à l’hérésie luthérienne. En septembre 1598, les professeurs luthériens sont chassés de la province sous peine de mort s’ils y restent. Pourtant, Kepler parvient à y

revenir un mois plus tard. Ses relations avec la Compagnie de Jésus n’y sont certainement pas étrangères.

L’Uraniborg de Tycho Brahé

Le Duc Ferdinand de Habsbourg

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En août 1599, Kepler est toujours à Gratz mais n’a plus de travail, son deuxième enfant meurt de méningite, les persécutions envers les luthériens sont incessantes. Kepler tente de trouver un poste auprès de son ami Maestlin en Wurtemberg, mais celui-ci tarde à répondre et ne donne pas de retour franc à Kepler. L’année précédente, Tycho Brahé avait écrit à Kepler pour qu’ils se voient. Pressé par la situation difficile et la nécessité de trouver un asile, Kepler trouve enfin l’opportunité de se rendre à Prague le 1er janvier 1600.

Tycho en exilEn vingt ans à Uraniborg, Tycho Brahé a réussi à se rendre le plus détestable des hommes. Son arrogance et son mépris pour les autres, y compris pour le nouveau roi du Danemark, Christian IV, pousse ce dernier à réduire considérablement sa rente. Tycho Brahé quitte alors son observatoire de Hveen en 1597. Avec une caravane d’instruments et plus de vingt personnes qui l’accompagnent, Brahé fait d’abord escale à Copenhague, puis à Rostock d’où il écrit une lettre impertinente à Christian IV sur la façon dont il est traité. Cette lettre achève de le brouiller avec le roi. Durant deux ans, Tycho Brahé erre avec sa troupe à travers l’Allemagne, d’abord au château de Wandsbeck, puis à Dresde et à Wittenberg. En juin 1599, après avoir été nommé Mathematicus impérial auprès de l’empereur Rodolphe II de Habsbourg, il arrive à Prague, où réside l’empereur.

Tycho Brahé s’installe au château de Benatek à trente cinq kilomètres au Nord-Est de Prague, en août 1599, mais la situation n’est pas idéale. La pension de trois mille florins accordée par l’empereur n’est pas versée régulièrement, une partie des assistants de Tycho refuse de venir et les grands instruments sont encore sur l’ile de Hveen. Au moment où Kepler arrive, l’ambiance est à l’orage à Benatek. Tycho passe son temps à se quereller avec le régent des biens de la Couronne et menace de repartir, la peste sévit dans la région et une des filles de Tycho a une liaison avec son assistant Tengnagel.

1� mois de cohabitationC’est le 4 février 1600 que Kepler et Tycho se rencontrent. Tycho a cinquante-trois ans, Kepler vingt-neuf. Tycho est un riche aristocrate, Kepler un roturier misérable. Ils s’opposent en tout. La seule chose en commun qu’ils possèdent est un caractère irritable et coléreux. Le séjour sera donc jalonné de frictions, de querelles et de réconciliations, mais les deux personnages savent qu’ils sont complémentaires. Marqués par un destin qui les dépasse, ils avanceront ensemble, presque malgré eux, vers la construction d’un nouvel univers encore totalement inexploré. A l’arrivée de Kepler, Tycho redistribue le travail dans son équipe. Il confie au nouvel arrivant l’étude de l’orbite de Mars, domaine alors attribué au chef assistant Logomontanus. Les travaux de ce dernier n’aboutissaient pas, tournaient en rond. Kepler, fier de se voir confier un cas difficile, parie qu’il résoudra le problème en huit jours. Il lui faudra huit ans de lutte acharnée�

Rodolphe II de Habsbourg

Le château de Benatek

l’harmonie des sphères de Kepler

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Kepler ne sait pas en effet ce qui l’attend. Il est venu à Prague pour arracher à Tycho les chiffres d’excentricités et les distances moyennes de la planète qui pourront perfectionner son modèle d’univers basé sur les solides et les harmonies musicales. Il va rapidement reléguer à l’arrière plan ce projet devant la richesse des observations de Tycho. Kepler dit : “Ces observations m’empoignèrent si bien que je faillis en perdre l’esprit”� Les observations méticuleuses de Tycho aiguisèrent considérablement l’esprit de Kepler qui découvrit l’extrême nécessité de précision à apporter dans les observations et dans les calculs. Vers la fin de son étude et prêt à diffuser ses conclusions, Kepler renonça à son travail car il donnait 8 minutes d’arc d’écart avec les observations de Tycho.

Avant Prague, Kepler aurait balayé cet écart ; après avoir étudié avec Tycho, il ne pouvait l’admettre. Avant même de dévoiler un nouvel univers, Kepler découvre la rigueur scientifique. Mais les relations avec Tycho sont houleuses. Ce dernier a senti le potentiel de Kepler. Il se dit que ce sera ce parvenu ridicule et non lui, le grand seigneur, qui récoltera les fruits de toute une vie d’observations. Tycho devine que les lois de l’univers sont enfouies dans ses observations, il vieillit et il sait qu’il n’a pas l’imagination nécessaire. Alors il l’entrave, dévoile ses observations au compte goutte, cite au cours d’un repas l’apogée d’une planète, les nœuds d’une autre�

Le 5 avril, la dispute éclate. Kepler avait noté dans un document destiné à un certain Jessenius, professeur de médecine à Wittenberg, toutes les récriminations qu’il formulait à l’égard de Tycho. Conditions de travail, horaires, traitement, pension, fournitures de nourriture, de bois, de bière, tout y passait. Tycho avait lu ce document et, avec condescendance, avait essayé de négocier avec Kepler. Kepler se fâcha et quitta Benatek pour Prague où il s’installa chez le Baron Hoffman. A peine arrivé, il écrit une lettre d’injures à Tycho, mais, une semaine plus tard, il envoie de plates excuses. La lettre est celle d’un fils qui implore le pardon de son père. Trois semaines plus tard, Tycho vint à Prague rechercher Kepler.

En juin 1600, Kepler retourne à Gratz. Il espère encore revenir dans les papiers de l’archiduc Ferdinand et lui envoie un traité sur une éclipse de Soleil dans lequel il déclare qu’il existe une force dans la Terre qui influence le mouvement de la Lune et qui diminue en proportion de la distance. Mais l’archiduc est décidé à chasser l’hérésie de son royaume. Dès le début d’août, tous les bourgeois luthériens de Gratz doivent, soit se convertir, soit partir en exil. Kepler n’est pas exempt de cette mesure, ce qui rassure Tycho qui le presse alors de rentrer. Ce que fait Kepler en octobre. Tycho, entre temps, a quitté Benatek et s’est installé à Prague où Kepler et sa famille le rejoignent. Kepler consacre peu de temps à l’astronomie. Il s’occupe de répondre à des polémiques entre Tycho et John Craig, médecin du roi d’Ecosse qui met en cause la théorie des comètes de Tycho, soigne sa santé et s’occupe de sa femme Barbara qui déteste Prague et ses coutumes. Au printemps 1601, le beau-père de Kepler décède. Afin de capter une partie de l’héritage, Kepler retourne à Gratz. Il ne sauvera rien mais passera quatre mois agréables en Styrie. Il rentre à Prague en août.

“Le 13 octobre, Tycho Brahé, en compagnie de maître Minkowitz, dîna à la table de l’illustre baron Rosenberg et retint son eau plus que ne l’exige la politesse. Comme il but encore, il sentit augmenter la tension de sa vessie, mais il préféra la politesse à sa santé. En rentrant à la maison, il put à peine uriner... Le 24 octobre, son délire cessa pendant plusieurs heures ; la nature l’emporta et il expira paisiblement parmi les consolations, les prières et les larmes de tous les siens. Ainsi à cette date la série des observations célestes fut interrompue, et ses trente-huit années d’observations se sont achevées.” C’est ainsi que Kepler nous livre la mort de Tycho Brahé. Dans ces derniers instants, il répétait “Que je ne paraisse pas avoir vécu en vain.” Il adresse ainsi à Kepler le vœu qu’il construise un nouvel

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Plaque commémorative au numéro 4 de la rue Karlova à Prague

le monde géocentrique de Brahé

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univers basé sur sa théorie géocentrique, mais il sait bien que Kepler n’y croit pas et qu’il fera tout le contraire. Le 6 novembre, Kepler est nommé à la succession de Tycho au poste de Mathematicus impérial et peut donc maintenant accéder à l’ensemble de ses observations.

Le nouveau système du mondeKepler occupera le poste de Mathematicus impérial jusqu’en 1612, à la mort de Rodolphe II. Il fondera deux sciences, l’astronomie physique à laquelle il travaillera sans interruption de 1601 à 1606 et l’optique instrumentale. En 1609, il publie La Nouvelle Astronomie Causative ou Physique Céleste tirée des commentaires Des mouvements de Mars, d’après les observations de Tycho Brahé, où il publie les deux premières lois planétaires :- les planètes décrivent autour du Soleil, non point des cercles, mais des ellipses dont le Soleil occupe un des foyers.,- les planètes ne se déplacent pas sur leurs orbites à une vitesse uniforme, mais d’une manière telle que le rayon vecteur qui joint le Soleil à la planète balaie des aires égales en des temps égaux.Avant cela, il aura travaillé durant six ans sur la détermination de

l’orbite de Mars. Il se débarrassera d’abord du dogme du mouvement uniforme puis, au terme de trois années de travail, de celui, encore plus sacré, du cercle. Pour cela, il devra redéfinir l’orbite de la Terre. Il découvre que la vitesse de la Terre n’est pas non plus uniforme autour du Soleil et que l’orbite n’est pas un cercle. Il a alors l’intuition d’une force qui, depuis l’intérieur du Soleil fait tourner la planète. Un peu comme la lumière est plus forte si on s’approche d’une lanterne, la force d’attraction est plus forte si la planète est proche du Soleil et donc, tourne plus vite.

Kepler ouvre là une voie décisive en associant astronomie et physique. Il ne se contente plus de décrire, mais il recherche les causes et le mécanisme. Kepler découvrira en premier, dès 1602, sa “Deuxième loi” en étudiant l’orbite de la Terre� “Sachant qu’il y a un nombre infini de points sur l’orbite et par conséquent un nombre infini de distances, il me vint l’idée que la somme de ces distances est contenue dans l’aire de l’orbite. Je me rappelai en effet que de la même manière Archimède divisa aussi l’aire d’un cercle en un nombre infini de triangles”. C’est au bout de six ans d’études de l’orbite de Mars, en comparant l’aplatissement de l’orbite dont la valeur est de 0.00429 avec la sécante de l’angle de 5°18 entre le centre de l’orbite est la position du Soleil qui est de 1.00429 que Kepler comprend le secret de l’orbite de Mars. Muni des données de Tycho, Kepler construisit l’orbite de Mars et la vérité éclata : l’orbite était une ellipse !

Des considérations bien terre à terreIl ne faut pas imaginer Kepler travaillant sereinement sur ses lois. Sa vie à Prague est un parcours d’obstacles. Son principal travail consiste en la publication d’almanachs, de prévisions astrologiques, d’horoscopes et de divers articles relatifs aux comètes et à tous les phénomènes bizarres et inexpliqués vus dans les cieux, l’un des plus fameux étant la nova de 1604. Kepler s’intéresse aussi à l’optique. Il passera pratiquement toute l’année 1603 sur ce sujet. Ce n’est qu’au début de 1605 qu’il achève le brouillon de l’Astronomia Nova. Par manque d’argent, mais aussi en bute aux actions menées par la famille de Tycho, le livre ne sera publié que quatre ans plus tard.

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La cathédrale Notre Dame de Týn où est enterré Tycho Brahé

La loi des aires : deuxième loi de Kepler

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Parlons un peu de la famille de Tycho Brahé. L’ancien assistant de Tycho, Tengnagel, avait réussi à épouser Elizabeth, la première fille de Tycho, après l’avoir mis enceinte. Réclamant l’héritage, ce triste sire parvint à vendre à l’empereur les observations et les instruments de Tycho pour la somme de vingt mille thalers. Cette somme ne fut jamais versée et les instruments restèrent sous clef. Quelques années plus tard, privés d’entretien, ceux-ci n’étaient plus que des amas de ferraille.

Quant aux observations, celles-ci connurent un meilleur sort en se faisant dérober par Kepler. “J’avoue qu’à la mort de Tycho, je profitai vite de l’absence, ou du manque de surveillance des héritiers, pour mettre les observations sous ma garde, ou peut-être pour les usurper” dira plus tard Kepler. Tengnagel, sachant bien ce que les observations étaient devenues, fit tout ce qu’il pouvait pour empêcher l’édition du livre de Kepler. Finalement, il eut droit à mettre une préface au livre de Kepler, un texte sot et pompeux. Le livre fut accueilli avec une totale incompréhension. Kepler était trop en avance sur son temps. Même Galilée en Italie ne mesura pas l’importance des découvertes de Kepler. C’est en Angleterre que Thomas Harriot, Jeremiah Horrocks, le révérend John Donne virent le pas de géant fait par Kepler. La voie était ouverte pour Isaac Newton.

Une fois ses travaux achevés, Kepler revint à ses premières amours, l’astrologie et l’Harmonie des sphères. Il publia un traité sur les comètes, un autre sur la forme des cristaux de neige, un dernier sur la date de naissance du Christ. Kepler devint un maître renommé, membre de l’Academia dei Lincei à Rome et fréquentant la haute société praguoise. En 1610, Kepler reçoit un exemplaire du livre de Galilée, le “Messager Astral”. Il est d’emblée, séduit et deviendra un ardent défenseur de Galilée. En août 1610, Kepler peut enfin se servir, lui aussi, d’un télescope. Il rédigera un traité d’optique, la “Dioptrique”, où il déduit les principes du télescope astronomique�

Dans ce paysage exaltant, il y avait pourtant des raisons d’inquiétude. L’empereur Rodolphe ne s’occupait plus beaucoup de l’empire. Des révoltes en Moravie, en Hongrie faisaient chanceler l’empereur tandis que son frère Mathias s’accaparait ces territoires ainsi que l’Autriche. En 1611, c’est la guerre civile. Prague est en proie à une épidémie de variole apportée par la soldatesque qui dévaste la ville, la femme de Kepler et un de ses enfants meurent. L’empereur abdique le 23 mai et mourra le 20 janvier 1612. Cette mort marque la fin de l’époque féconde de Kepler. Le nouvel empereur, Mathias, lui laisse le titre de Mathematicus impérial mais Kepler doit quitter Prague pour Linz en Autriche. L’épisode praguois s’arrête ici.

Après PragueA Linz, Kepler publiera “l’Harmonie du Monde” en 1619. Il y livre notamment sa troisième loi. Il publiera encore deux autres grands livres. Le premier, “l’Epitome”, est un manuel de son système. Il parait en 1621. Dans cet ouvrage, les lois décrites sont appliquées à l’ensemble des planètes et de la Lune. C’est encore une fois un livre très en avance sur son temps. Qu’on se rende compte que trois ans plus tard, Maestlin fera imprimer un livre encore inspiré de Ptolémée et qu’en 1629, le fameux “Dialogues des deux grands systèmes du monde” de Galilée prendra comme base des mouvements orbitaux les cycles et épicycles. Le deuxième grand livre de Kepler et son dernier sera “Les tables Rodolphines”, un catalogue de 777 étoiles et des éphémérides précises issues des observations de Tycho.

Kepler reviendra à Prague une ou deux fois dans les trois dernières années de sa vie mais n’y restera pas. Comme une grande partie des européens, balloté par les événements dramatiques de l’époque, il devra aller de ville en ville pour fuir les désastres et les exactions de la guerre de Trente ans. Kepler meurt à Regensburg le 15 novembre 1630. Le cimetière où il fut enterré a été détruit pendant la guerre de Trente ans et ses ossements jetés au vent.Statue de Kepler et Brahé à Prague

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Le déclassement de PlutonPar François Lefebvre

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Prague, le 25 août 2006,“I believe we have a clear majority... but I am happy to count, if people wish me to do a count...”(je pense que nous avons une large majorité... mais je suis prêt à compter si vous le voulez.)[murmures de la foule]“Do you want me to count ?” (voulez-vous que je compte ?)[murmures négatifs de la foule]“Then I believe the resolution is clearly carried !” (dans ce cas, la résolution est acceptée !)[tonnerre d’applaudissements]

C’est Ronald D. Ekers qui vient de prononcer ces quelques phrases, lesquelles résonnent encore dans l’immense salle du palais des congrès de Prague, dans le quartier de Pankrac. Fermement assis derrière son bureau au centre de l’estrade, il préside la 26ème assemblée générale de l’Union Astronomique Internationale, lui qui en est, pour quelques heures encore, le plus haut représentant. Par ces mots, la résolution 5A, acceptée à l’écrasante majorité des 424 votants, scelle le destin de Pluton, rétrogradée au rang peu flatteur de “planète naine”. Retour sur une page haletante de l’histoire de l’astronomie.

Pluton : le feuilleton de la découverteL’histoire commence avec la découverte d’Uranus, en 1781, par Sir William Herschel, astronome germano-britannique passé à la postérité. Croyant d’abord y voir une comète, il se rend pourtant à l’évidence : il vient de découvrir la septième planète du Système solaire, repoussant ainsi ses frontières de dix unités astronomiques, soit le double de la taille connue antérieurement. Bien vite pourtant, la communauté scientifique se rend compte de certaines anomalies orbitales de cette nouvelle planète. Cette dernière semble en effet parcourir son orbite un peu moins vite parfois (un peu plus vite d’autres fois) que ce que prédisent les inoxydables lois de Kepler. On en vient donc à suspecter un corps, plus lointain encore, de perturber, par gravitation, le mouvement d’Uranus. Et c’est ainsi, par les calculs et “par la plume” comme le dira Arago, que la physique théorique aboutira à l’un de ses plus beaux tours de force : la découverte de Neptune, en 1846 par le Français Le Verrier. La course folle à la paternité de la huitième planète aura donc duré près de 65 ans et aura passionné la communauté scientifique de l’époque dans un climat de (mal)saines rivalités nationales. L’histoire montrera d’ailleurs que les calculs, des uns comme des autres, étaient partiellement faux.

Pour autant, si Neptune semble bien expliquer – à 2% près – les anomalies orbitales d’Uranus, on observe également des perturbations similaires dans l’orbite de Neptune. L’histoire n’étant qu’un éternel recommencement, une autre course effrénée s’amorce pour la découverte de la neuvième planète, à coup sûr coupable de la course perturbée de Neptune sur son orbite.

Parmi les passionnés on compte un certain Percival Lowell. Riche homme d’affaires devenu astronome amateur, il fonde en 1894 un observatoire absolument extraordinaire pour l’époque. Situé à 2175 mètres d’altitude à Flagstaff en Arizona, il abrite depuis 1896 un télescope de 61cm. Lowell se consacre à deux sujets que sont les (très célèbres mais finalement très fantasmés) canaux martiens et la recherche de cette fameuse “planète X” telle que baptisée depuis. Les instruments de l’époque ne peuvent mesurer avec suffisamment de précision les anomalies orbitales de Neptune, ce qui rend la tâche très compliquée. Lowell s’appuie pourtant sur les derniers progrès en matière de photographie, mais la fameuse planète se refuse à lui. Il décédera en 1916, sans découverte majeure à son actif, en laissant toutefois un héritage conséquent pour la poursuite

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des recherches. En 1926, un nouveau télescope, pourtant plus petit (33cm) est installé à l’observatoire de Flagstaff et c’est Clyde Tombaugh qui en aura la charge. Ce dernier dispose d’outils photographiques plus évolués que son prédécesseur, mais surtout il décide de changer de stratégie en observant un peu plus loin de l’écliptique que Lowell ne l’avait fait... Cette approche s’avérera payante ! En 1930, le 18 février à 16 heures – soyons précis –, Tombaugh observe un point de quinzième magnitude bouger sur ses plaques photographiques : la planète X est découverte ! On la nomme Pluton, en hommage au Dieu des enfers, mais également à Percival Lowell dont les initiales forment les deux premières lettres.

Mais rapidement, il faut se rendre à l’évidence : cet astre lointain que les télescopes les plus puissants n’arrivent pas à résoudre semble bien petit. Peut-être plus grand que Mercure, pense-t-on à l’époque, mais pas plus que Mars. Cet astre ne peut donc être la planète X recherchée par Lowell, planète à l’origine des troubles orbitaux de Neptune.

Pendant douze ans encore Tombaugh recherchera sans relâche cette planète qui lui échappe, mais ne piègera dans ses filets photographiques que des astéroïdes et quelques comètes. Nous sommes dans les années 40, et déjà, les astronomes suspectent qu’un grand nombre d’objets similaires à Pluton orbitent dans le Système

solaire. Deux scientifiques du nom de Kuiper et Edgeworth formulent même l’idée que “le Système solaire pourrait être constitué de plusieurs zones regroupant les corps célestes par familles : planètes telluriques, planètes géantes, et objet ‘ultra-neptuniens’ ” [1]. Ces objets forment, on le sait aujourd’hui, une ceinture au-delà de l’orbite de Neptune, laquelle porte le nom des deux scientifiques. La ceinture de Kuiper est d’ailleurs devenue l’hypothèse la plus crédible pour expliquer les anomalies orbitales neptuniennes (ainsi que les 2% manquants dans le cas d’Uranus), bien devant l’idée d’une “planète X” que nos télescopes les plus puissants n’ont jamais trouvée.

Pluton : un astre à part parmi les planètesOn le comprend donc : Pluton a rapidement vécu sous le sceau d’une indéniable dualité pour les astronomes. D’une part, il était une planète comme aucune autre, de par sa taille, sa distance au Soleil et son orbite éloignée de l’écliptique. D’autre part, c’était un objet comme on en trouve en quantité dans ces coins reculés du Système solaire (même si à l’époque cela ne restait qu’une hypothèse). Pluton conjuguait donc déjà maladroitement unicité et anonymat... Avant de comprendre où cette antinomie allait l’amener, regardons de plus près quelques caractéristiques physiques de Pluton.

Ainsi, jusque dans les années 1970, on estimait la taille de Pluton se situer dans un intervalle allant de celle de Mercure (4900 kilomètres de diamètre) à celle de Mars (6800 kilomètres de diamètre). En 1978, c’est en observant de curieuses protubérances – tantôt d’un côté, tantôt de l’autre – sur les plaques photographiques de Pluton que l’astronome James Christy découvrit le plus gros satellite naturel de Pluton : Charon. En calculant la masse combinée du système Pluton/Charon à partir des périodes orbitales de ces deux corps – Charon et Pluton tournent autour de leur barycentre en 6 jours environ – et de leur distance respective, les astronomes se rendirent compte qu’elle ne dépassait pas celle de notre Lune. En terme de taille, nous étions bien loin des estimations premières : 2320 kilomètres de diamètre pour Pluton, 1210 kilomètres pour Charon. Décidément Pluton était bien incapable d’influer sur l’orbite de Neptune.

Télescope de l’observatoire Lowell ayant servi à la découverte de Pluton (source Wikipédia)

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Pluton présente une orbite autour du Soleil très elliptique : le périhélie se situe à 29 unités astronomiques, soit plus proche que celui de Neptune, l’aphélie quant à lui, se situe à plus de 49 unités astronomiques. Dans sa course autour du Soleil, Pluton passe une vingtaine d’années plus proche du Soleil que ne l’est Neptune. C’était le cas de 1979 à 1999, et cela ne se reproduira plus avant... le 23ème siècle ! Sa révolution moyenne dure en effet 248 ans, mais l’influence de Neptune est si forte que cette durée n’est pas stable au cours du temps et peut varier en fait de 244 à 252 ans. Des simulations numériques poussées nous montrent pourtant que, malgré l’influence des quatre planètes géantes proches, l’orbite de Pluton restera stable pendant au moins quatre milliards d’années. Ces mêmes simulations montrent également que Pluton n’est pas une lune échappée de Neptune. Il est à noter que c’est bel et bien cette dernière qui domine Pluton : elle lui impose une résonance 3:2 (quand Pluton parcourt deux orbites, Neptune en parcourt 3). C’est d’ailleurs grâce à cette résonance que jamais Pluton et Neptune ne rentreront en collision. Dans les scénarios les plus plausibles de formation du Système solaire, c’est la migration de Neptune, poussée par les trois autres géantes vers les confins du système, qui aurait transformé l’orbite de Pluton, lui conférant son excentricité. Le schéma ci-contre montre à quel point l’orbite plutonienne est elliptique et éloignée du plan de l’écliptique.

Pluton présente donc un phénomène particulier de saisons, lesquelles ne sont pas de même durée. Particularité accentuée d’une part par l’excentricité de l’orbite (Pluton va plus vite quand elle est près du Soleil) et d’autre part par la forte inclinaison de son axe de rotation : 57°. Ainsi, pour l’hémisphère Nord, l’été et l’automne ne durent “que” 42 ans, alors que l’hiver et le printemps durent – eux – plus de 83 ans. Pour cet hémisphère, c’est en été (malgré sa courte durée) qu’il fait le plus chaud. Pour l’hémisphère Sud, en revanche, c’est au printemps. Sur Pluton, c’est donc bien la distance au Soleil qui devient le facteur premier des changements de température et non pas, comme c’est le cas sur Terre par exemple, l’influence de l’inclinaison de l’axe de rotation de la planète, ici relayée au second plan.

Ce phénomène saisonnier joue fort probablement un rôle prépondérant dans les fluctuations de densité atmosphérique. L’hypothèse assez largement admise est que l’atmosphère de Pluton croît pendant les 42 années de printemps de l’hémisphère Sud – qui correspond au périhélie – et décroît le reste du temps. Grâce à plusieurs occultations stellaires par Pluton (quatre entre 1988 et 2007) les astronomes ont pu mesurer certaines caractéristiques atmosphériques. En 1988, la pression en surface était d’environ 5 micro-bars, pour 10 micro-bars en 2002. De manière plus générale, la pression en surface croît de 0,3 micro-bar à son minimum (près de l’aphélie) à 15 micro-bars à son maximum. Le hasard faisant bien les choses, l’atmosphère plutonienne ne sera pas loin de son maximum en 2015 pour le survol de la sonde New Horizons de la NASA.

L’atmosphère est en fait composée, pense-t-on, d’azote, de traces de méthane et de monoxyde de carbone. Il est donc probable, notamment grâce au méthane – gaz à effet de serre – que la hausse de la température (qu’on estime d’un degré seulement, de 36 à 37 Kelvins) engendre la sublimation de l’azote de surface vers l’atmosphère. On pense que ce réchauffement saisonnier – aussi minime soit-il – pourrait également donner naissance à quelques geysers en surface. On suspecte également la présence d’une troposphère (couche basse près de la surface où la température diminue avec l’altitude) engendrant une dynamique physico-chimique nuageuse complexe. L’alternance nuit-jour pourrait aussi donner de belles surprises : le côté nuit pourrait engendrer la création d’une fine couche nuageuse se dissipant en journée, voire pourrait faire se condenser l’atmosphère de nouveau sur la surface. La présence d’une ionosphère fait peu de doutes, comme c’est le cas sur Triton, astre que l’on croit être en de nombreux points similaire à Pluton, notamment sur la dynamique atmosphérique comme celle de surface. Il est d’ailleurs probable que Triton soit lui aussi un objet de la ceinture de Kuiper capturé par l’imposante Neptune.

Les orbites des planètes du Système solaire (Source : http://www.vulgarisation-scientifique.com)

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La densité moyenne de Pluton est de 2g/cm3, soit à mi-chemin entre celle de l’eau et de la roche, ce qui laisse penser que l’une et l’autre se trouvent en grande quantité sur Pluton. Le scénario le plus accepté aujourd’hui est que Pluton soit un astre différencié, c’est à dire qu’il soit composé d’une couche interne de roches (silicates, sulfures et autres métaux) au plus près du noyau et d’une couche de glace (eau, ammoniac, monoxyde et dioxyde de carbone) au plus près de la surface. Les possibles sources de chaleurs internes de Pluton sont classiques (radioactivité, impact(s) géant(s) et chaleur résiduelle issue de la formation du corps), et on pense que le noyau atteint une température de 1000 Kelvins pour une pression de 10000 bars. On estime que la chaleur s’échappant de Pluton est d’environ 1% celle de Neptune ; laquelle se dissipe probablement de manière non-homogène à la surface créant des points chauds. Si toutefois cette hypothèse s’avérait fausse, et que Pluton soit resté froid pendant toute son histoire, il serait non-différencié et ses structures internes ne seraient qu’un mélange de roche et de glace réparti uniformément, ou presque, du noyau à la surface.

Les modèles d’atmosphère plutonienne en fonction de la température (source : Robert Shmude)

Deux modèles de structure interne de Pluton : un Pluton chaud et différencié et un Pluton froid et non-différencié avec pour seule nuance la structure de la glace en fonction de la pression (Source : Robert Shmude)

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De par sa taille, Pluton ne dispose pas d’un effet magnétique de dynamo. En revanche, comme beaucoup d’astres, il dispose d’un résidu de champ magnétique, extrêmement faible (on l’estime à moins d’un millième celui de la Terre). Cependant, aussi faible que soit ce champ, il suffirait à protéger l’atmosphère de Pluton du vent solaire, ainsi Pluton posséderait une magnétosphère. Il est également possible que la magnétosphère appartienne à Charon et non à Pluton. Les caractéristiques magnétiques des deux astres ne seront clarifiées qu’après le survol de New Horizons l’année prochaine.

L’étude de la surface de Pluton est restée jusqu’à aujourd’hui un exercice périlleux, où les hypothèses sont légion et où les certitudes se font rares. Le système Pluton – Charon est, on le rappelle, trop petit pour être résolu par les télescopes les plus puissants, au premier rang duquel le Hubble Space Telescope, accrochant à grand peine quelques détails grossiers. Ainsi, l’étude de Pluton en général et de sa surface en particulier s’est beaucoup appuyée sur l’étude de l’albédo et de la magnitude du système. Cela a même été le premier moyen historique de détermination des tailles respectives de Pluton et Charon : en mesurant les écarts d’albédo périodiques dus à l’occultation partielle de Charon passant devant Pluton (cette méthode, du reste séduisante, a été mise à l’écart au bénéfice des tailles calculées à partir des mesures faites à plusieurs endroits d’observation sur Terre d’occultations stellaires par Pluton). On sait aujourd’hui que Pluton émet près de 85% de la lumière totale du système, le reste venant presque exclusivement de Charon. Les changements d’albédo de l’un ou de l’autre influant donc sans aucun doute possible sur la luminosité totale du système.

On a observé une baisse de 3% de la luminosité totale du système entre les années 1930 et les années 2000. Le scénario le plus accepté est que cela soit lié au réchauffement des températures de par l’approche de Pluton au plus près du Soleil. En effet, il est suspecté que ce réchauffement fasse se sublimer la glace d’azote en surface, laissant donc apparaître les couches plus sombres du dessous. Cette hypothèse est cohérente avec l’augmentation de la pression atmosphérique dont il a été question plus haut dans ce chapitre. Elle est également cohérente avec l’observation, entre 1950 et 2000, de la courbe de lumière de Pluton : l’amplitude de cette courbe a quasiment triplé en 50 ans, c’est-à-dire que la différence de magnitude entre le point le plus sombre et le plus lumineux de l’astre a triplé. Toutefois une autre explication existe, possiblement complémentaire à la précédente, qui concerne le changement d’orientation de Pluton tel que vu de la Terre. Selon les conventions de l’UAI, c’est l’hémisphère Sud qui faisait face à la Terre en 2000, et donc l’hémisphère Nord en 1930. Si la différence d’albédo est importante entre ces deux hémisphères, cela pourrait contribuer à expliquer les observations précédentes. On pense que certaines zones les plus sombres de Pluton peuvent atteindre 50 Kelvins (au lieu des 36 en moyenne), température à laquelle – dans les conditions locales de pression atmosphérique – la glace de méthane se sublime également, nourrissant ainsi l’atmosphère de méthane. Comme dit précédemment, il est probable de trouver des points chauds sur Pluton, permettant à la chaleur interne de s’échapper.

Une autre déduction intéressante de l’étude de la luminosité du système est son évolution avec l’angle de phase solaire, c’est-à-dire avec l’angle formé par le Soleil, l’observateur (très souvent sur Terre !) et Pluton. Jusque dans les années 1980, les instruments n’étaient pas assez puissants pour différencier la lumière émise

Vue du vent solaire, repoussé par le champ magnétique résiduel de Pluton (Source : Robert Shmude)

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par Charon de celle de Pluton. On sait maintenant que la magnitude de Pluton baisse de 0,03 magnitude par angle de phase solaire, et celle de Charon d’environ 0,08 magnitude. Jusqu’en 2013, ces données n’étaient pas largement commentées de par la petitesse de l’éventail des angles de phase observés : de 0,5 à 2 degrés. La sonde New Horizons, bien qu’étant encore loin de son objectif, a déjà pu amener certaines contributions scientifiques, notamment en observant la chute relative de magnitude à un angle de phase de 11 degrés. Et ces derniers résultats

sont cohérents avec les précédents : Charon est plus sombre d’environ 0,25 magnitude comparativement à Pluton. Cette baisse plus rapide de la luminosité apparente de Charon avec l’augmentation de l’angle de phase nous permet de conclure que la surface de Charon est sans doute différente de celle de Pluton, et présente probablement une porosité supérieure.

Pour conclure ce tour d’horizon de Pluton, attardons nous sur ses satellites, au premier desquels : Charon. Ce dernier, bien qu’officiellement catégorisé comme satellite, pourrait (voire devrait) être vu comme une des composantes d’un système binaire, lui qui n’orbite qu’à 19000 kilomètres de Pluton. Rappelons en effet que le centre de gravité du système Pluton – Charon est à l’extérieur de Pluton, conférant à ces deux astres un mouvement de rotation assez esthétique dans leur course autour du Soleil. Notons qu’il est fort probable que Charon, comme c’est le cas de notre Lune, montre toujours la même face à Pluton.

Charon, comme écrit plus haut dans ce chapitre, est un corps de 1210 kilomètres de diamètre présentant une gravité de surface très faible : environ 2 micro-bars, rendant la présence d’une atmosphère hautement improbable. Sa surface est sans doute composée de glace d’eau cristalline mélangée à des impuretés plus sombres, peut-être des hydrocarbures. Le méthane et l’azote, s’ils ont un jour été présents, se sont échappés en large majorité, et depuis longtemps, de Charon vers l’espace. Pour autant, Charon peut réserver de belles surprises lors du survol de New Horizons en 2015 : sa densité de 1,7g/cm3 étant relativement élevée, elle abrite nécessairement une quantité significative de roches, pouvant faire penser que l’intérieur du corps est chauffé par des éléments radioactifs. Il est donc possible que le noyau soit suffisamment chaud pour faire fondre les couches de glace en eau près de celui-ci. L’hypothèse selon laquelle une partie de ce liquide trouverait le chemin de la surface et la réapprovisionnerait ainsi en glace cristalline n’est pas à exclure.

En 2005, deux satellites supplémentaires ont été découverts : Nix et Hydre. On sait peu de choses de ces deux corps, si ce n’est qu’ils font environ 80 kilomètres de diamètre chacun et qu’ils orbitent à 48000 et 64000 kilomètres du barycentre du système. Leur albédo ne changeant quasiment pas dans leur course autour du centre de masse, on peut déduire que la surface est homogène et que la forme de ces deux satellites est quasi-circulaire. En 2011, la NASA a annoncé avoir découvert un quatrième satellite – Kerberos – d’une taille moindre (entre 15 et 35 kilomètres de diamètre) à 59000 kilomètres du centre de masse. Et en juillet 2012 un cinquième satellite – Styx – a été découvert, d’une taille inférieure à 25 kilomètres et orbitant à 45000 kilomètres du centre de masse.

Pluton résolu à grande peine par Hubble. Les images brutes sont celles des encadrés supérieurs gauches, les grosses sphères sont le résultat d’un traitement d’extrapolation des informations initiales

Photo de Pluton par Hubble avec tous ses satellites (source Wikipédia)

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On le comprend : Pluton et sa horde de satellites ne manquent pas d’intérêt. Il s’agit d’un système complexe et dynamique, bien plus qu’on ne pourrait l’imaginer compte-tenu de sa distance faramineuse au Soleil. Pluton présente très probablement une saisonnalité marquée, une atmosphère dynamique, une structure interne différenciée, une activité magnétique résiduelle et sa surface semble le siège de phénomènes physico-chimiques surprenants. Pour autant que son observation et son histoire lui assurent une place à part dans la découverte du Système solaire par l’Homme, Pluton a assurément souffert des trop grandes espérances qu’on a mises en lui : on l’a vu influer sur l’orbite de Neptune alors qu’il en est incapable et sa taille s’est avérée beaucoup plus petite que prévue, tellement petite qu’il en est obligé de partager son environnement avec un envahissant comparse : Charon.

Mais surtout, avec les progrès de l’instrumentation, on a commencé à découvrir “d’autres Plutons”, similaires, aussi intéressants, tous ou presque situés dans cette fameuse ceinture de Kuiper. Et pire : on en a découvert de plus gros ! En 2003, fut observée pour la première fois Éris, un astre de 2330 kilomètres de diamètre, un tout petit peu plus grand que Pluton, mais de 30% plus massif, présentant une orbite encore plus excentrique : de 37 à 98 unités astronomiques dans sa course autour du Soleil ! Éris, honorant de son nom la déesse de la discorde, allait en fait précipiter la chute de Pluton. Ç’aurait pu être un amusant hasard prémonitoire, mais c’est bien a posteriori – en septembre 2006 – que le nom officiel de ce corps fut attribué. Un nom fort à propos...

Pluton : les prémices du déclassementLa découverte d’Éris allait en fait forcer l’Union Astronomique Internationale à statuer sur une question vieille comme le monde : qu’est-ce qu’une planète ? Les Grecs de l’Antiquité, par “planètes”, entendaient “astres voyageurs”, observant le curieux balai de cinq points lumineux dans le ciel. En effet, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne sont visibles aisément à l’œil nu et leur mouvement relatif par rapport à la Terre est différent de celui du reste du fond du ciel. D’où le terme “d’astre voyageur”. Depuis lors, les moyens d’observations aidant, on découvrit d’autres “astres voyageurs” tout en affinant notre compréhension de leur nature. Avant Neptune, on découvrit même Cérès en 1801, baptisée un temps comme “la planète manquante entre Mars et Jupiter”. En 1851, avec la découverte d’un nombre grandissants “d’autres Cérès”, on comptait 23 planètes dans le Système solaire. Conscients que des centaines de corps allaient bientôt venir grossir la liste, les astronomes commencèrent à appeler Cérès et les autres corps similaires “astéroïdes”. Mais, là encore, l’opportunité de définir rigoureusement le terme de “planète” ne fut pas prise et la communauté scientifique se satisfit des deux appellations “planètes” et “astéroïdes”, même à la découverte de Pluton en 1930. Comme on le sait, c’est la découverte “d’autres Plutons” de la ceinture de Kuiper, de “plutinos” comme on les appelle parfois quand ils sont en résonance 2:3 avec Neptune, qui mit l’Union Astronomique Internationale devant la lourde responsabilité de briser le statu quo.

Ainsi, en 2005, l’UAI créa un comité scientifique composé de 19 personnes, à la tête duquel Iwan Williams, professeur à l’université de Londres, qui eut le mérite de proposer trois approches possibles différentes, et pourquoi pas complémentaires, pour la définition d’une planète : une piste culturelle (une planète est une planète si les gens le disent), une piste structurelle (une planète est assez grosse pour former une sphère) et une piste dynamique (l’objet est assez gros pour causer l’éjection de son orbite de tout autre objet). Il est intéressant, à ce niveau, de constater que le débat n’est pas uniquement scientifique, il porte avec lui une composante vulgarisatrice culturelle. Sous-entendu, le terme planète est un terme du sens commun, il doit le rester. Cette approche aura son importance par la suite. L’UAI aimant les comités, un autre fut chargé – sur les bons conseils du précédent – de bâtir une proposition définitive en vue de la 26ème assemblée générale de l’Union se tenant à Prague du 14 au 25 août 2006.

Ainsi la proposition officielle de ce comité, s’appuyant largement sur l’approche structurelle précédemment citée, fut soumise le 16 août 2006 en session de travail aux astronomes de l’UAI. Elle stipulait qu’une planète a/ a une masse suffisante pour que sa propre gravité vainque les forces de rigidité des corps le constituant, de façon qu’il parvienne à une forme (presque ronde) en équilibre hydrostatiqueb/ est en orbite autour d’une étoile, et n’est ni une étoile, ni un satellite d’une planète.

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Comme il en sera question quelques fois au cours de ce chapitre, “l’équilibre hydrostatique” est une notion importante à définir. “En physique, on appelle équilibre hydrostatique l’état atteint par un système lorsque les forces de gravitation sont contrebalancées par un gradient de pression de direction opposée” [2]. Cet état est utilisé dans nombre de disciplines dont l’astrophysique. Ici en effet, l’équilibre hydrostatique d’un astre est atteint lorsque la pesanteur (force d’attraction qui tend à ce que le corps s’effondre sur lui-même) et le gradient de pression (force répulsive exercée par la rigidité du matériau composant l’astre) se compensent en conférant une forme quasi-sphérique à l’astre en question. On compte plus d’une trentaine de corps dans le Système solaire qui sont en équilibre hydrostatique, et la liste n’est pas close.

Cette proposition originelle, contresignée dès le 18 août par la très sérieuse “Division of Planetary Sciences” donnait immédiatement le statut de planète à Cérès (qui le retrouvait 150 ans après), Charon (car composante d’une “planète double”, le barycentre du système Pluton-Charon étant à l’extérieur de ces deux astres) et le récemment découvert Eris. Le gros avantage de cette proposition est qu’elle s’appuie sur une approche structurelle des astres, laissant ainsi peu de place à l’interprétation grâce à l’utilisation d’un facteur physique qualitatif (l’objet devant être rond). Selon les membres de l’UAI, cette définition ne nécessitait pas de limite “de main d’homme”, mais au contraire déférait à la “nature” pour décider si un objet relève ou non du statut de planète [3]. De plus, cette approche rendait le processus décisionnel du statut d’un astre très simple : une observation suffit à savoir si l’objet est rond ou pas. Et enfin (ou surtout ?) cette approche ne changeait pas le statut de Pluton, lequel reste plébiscité par le grand public, surtout outre-Atlantique.

Mais les critiques n’ont pas épargné cette proposition : premièrement elle déclassait les planètes “errantes” (c’est-à-dire n’orbitant autour d’aucune étoile car probablement éjectée au cours de la formation du système étoile - planètes) sans leur donner un statut clair, et deuxièmement, un système double évolue dans le temps. Ainsi avec la “fuite” de la Lune par rapport à la Terre, le barycentre Terre-Lune finira lui aussi, dans plusieurs milliards d’années (si le Soleil n’est pas encore devenu une géante rouge et n’a pas détruit les deux protagonistes) à se trouver à l’extérieur de la Terre, conférant ainsi à la Lune le statut de planète. Une dernière critique, et non des moindres, frisant le nihilisme, exprimant des doutes sur le besoin même de définir le terme “planète”, ce dernier faisant partie du vocabulaire commun, culturellement connu de tous. Mike Brown, astronome au

La résolution 5A, telle que présentée aux astronomes de l’UAI le 24 août 2006. On remarque que la page est en mode “édition”, et non “présentation”.

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CalTech, et co-découvreur de plusieurs candidats directement concernés par les débats de l’UAI à Prague (Sedna, Eris, Makémaké notamment), faisant même l’analogie avec le terme “continent”, compris de tous, que les géologues ont eu la sagesse de laisser comme ça [4].

En fait, pendant les premières réunions de travail de l’UAI à Prague, la proposition originelle apparut très vite en ballottage défavorable, et des sous-groupes alternatifs, pour ne pas dire dissidents, commencèrent à se former en marge des réunions. C’est notamment l’astronome uruguayen Julio Angel Fernandez de l’université de Montevideo qui mena les débats, en apportant une proposition de définition alternative, s’appuyant notamment sur des critères dynamiques orbitaux, sans pour autant occulter les critères structurels précédemment édictés.

Le 22 août, soit 3 jours avant le vote final, le chaos régnait sur le petit monde de l’UAI à Prague. A la définition du terme “planète”, venait également s’ajouter des débats sur la création – oui ou non – d’une classe spécifique regroupant les simili-planètes orbitant au-delà de Neptune, tout cela dans un contexte où le politiquement correct voulait que Pluton garde un statut particulier. Cette journée fut probablement la plus animée de l’histoire de la planétologie, avec des désaccords profonds, des débats passionnés et remuants. Pour autant, cela ne fut pas un vain effort : un projet de proposition final émergea, faisant suffisamment consensus pour être proposé aux votants le 25 août... Mais au prix d’un lourd tribut : la définition ne porterait que sur les corps du Système solaire. Les planètes extrasolaires étaient désormais exclues des débats.

La proposition – baptisée résolution 5A – qui allait être soumise aux votes le 25 août, en même temps que trois autres (la 5B, la 6A et la 6B, dont nous parlerons au prochain chapitre) se lisait ainsi :En conséquence, l’Union Astronomique Internationale (U.A.I.) décide de répartir les planètes et autres corps du Système solaire, excepté les satellites, en trois catégories de la manière suivante:(1) une planète [1] est un corps céleste qui(a) est en orbite autour du Soleil,(b) a une masse suffisante pour que sa gravite l’emporte sur les forces de cohésion du corps solide et le maintienne en équilibre hydrostatique, sous une forme presque sphérique,(c) a éliminé tout corps susceptible de se déplacer sur une orbite proche. La version anglaise a été reformulée en “a nettoyé le voisinage autour de son orbite” pour être plus clair pour le grand public.

(2) une “planète naine” est un corps céleste qui(a) est en orbite autour du Soleil,(b) a une masse suffisante pour que sa gravite l’emporte sur les forces de cohésion du corps solide et le maintienne en équilibre hydrostatique, sous une forme [2] presque sphérique,(c) n’a pas éliminé tout corps susceptible de se déplacer sur une orbite proche,(d) n’est pas un satellite.

(3) tous les autres objets [3], excepté les satellites, en orbite autour du Soleil sont appelés “petits corps du Système Solaire”.

Notes de bas de page :[1] Les 8 planètes sont : Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune.[2]. Une action spécifique sera organisée par l’U.A.I. pour décider a quelle catégorie, “planète naine” et/ou autres classes, appartiennent les cas limites.[3]. Ceci inclut la plupart des astéroïdes du

Système solaire, la plupart des objets trans-neptuniens (O.T.N.), les comètes et tous les autres corps.

Jocelyn Bell Burnell lors de sa prise de parole à la journée de clôture de la 26ème assemblée générale de l’UAI à Prague.

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Les résolutions �A et �B, où la chute de PlutonNous sommes donc le 25 août 2006. C’est le dernier jour, celui des votes, celui du protocole. C’est d’ailleurs pour cela que tout est filmé, et c’est ce film (disponible sur le site de l’UAI) qui nous permet aujourd’hui de savoir précisément comment les choses se sont passées. Après deux heures des plus protocolaires (allant de l’hommage aux disparus de l’UAI depuis sa création, aux identités de ceux chargés de compter les mains levées en cas de vote serré), les premières résolutions, portant sur des sujets variés de l’astrophysique commencent à être votées. A l’issu du vote unanime en faveur de la résolution 4 – adoption de la “Charte de Washington sur la communication de l’astronomie avec le public” qui contient plusieurs recommandations à l’intention des organisations de recherche, dont la nécessité de promouvoir le respect de la reconnaissance des professionnels de la communication publique [5] – le président Ronald Ekers appelle sur l’estrade Jocelyn Bell Burnell, chargée d’animer les débats pour les résolutions 5 et 6. Jocelyn Bell n’est pas n’importe qui. Elle est notamment connue pour avoir découvert le premier pulsar en 1967, elle est couverte d’honneurs (sauf du prix Nobel, très sexistement attribué à son directeur de thèse lors de la découverte du pulsar) et témoigne d’une connaissance approfondie des rouages du monde scientifique, académique et universitaire.

C’est donc une vraie personnalité qui est maintenant sur l’estrade, équipée d’un micro-casque et de cahiers qu’elle porte à la main. Étant Nord-Irlandaise, elle parle un anglais limpide. Cependant, elle parle lentement, très lentement, en articulant de manière très prononcée, consciente sans doute que l’UAI est un melting-pot de dizaines de nationalités, consciente aussi que l’heure est grave et que tout le monde doit comprendre l’intégralité des débats.

Quatre résolutions doivent être étudiées, au premier rang desquelles, la résolution 5A, celle qui définit ce qu’est une planète et ce qu’est une “planète naine”. La session débute avec quelques ajustements du texte de la résolution 5A, fruits de tractations et commentaires de dernière minute. Il s’agit notamment de flanquer le terme “planète naine” de deux solides guillemets, indiquant qu’il s’agit bien d’un seul terme et non d’un substantif (planète) et de son adjectif (naine). Cela peut paraître un détail, mais c’est fondamental : dans la résolution 5A, avec des guillemets, une “planète naine” n’est pas une planète. Il s’agit aussi, dans le point (3), de rajouter que tous les autres objets excepté les satellites en orbite autour du Soleil sont appelés “petits corps du Système solaire”. Là encore, c’est assez fondamental : la Lune, Ganymède ou encore Titan sont bien des satellites, pas des “petits corps du Système solaire”. Il est assez surprenant que ce genre de considération ne soit apparu que lors de tractations de dernière minute ; cela nous laissant présager du caractère passionnel des débats antérieurs. De manière plus surprenante encore, cela a bien été rajouté à la version anglaise (except satellites) mais je ne l’ai pas vu sur la version française, je me suis donc permis de le rajouter dans la retranscription du chapitre 3, bien que cela ne figure pas sur les documents officiels de l’UAI que j’ai pu trouver���

Ces quelques modifications effectuées, Jocelyn Bell appelle auprès d’elle Richard Binzel, professeur de planétologie au MIT. Richard Binzel est connu dans le petit monde de l’astronomie pour avoir inventé l’échelle de Turin, méthode servant à catégoriser les risques d’impacts d’objets géocroiseurs, tels que les astéroïdes ou les comètes [6]. Mais si ce dernier est sur l’estrade, c’est parce qu’il est membre du “planet definition

De gauche à droite sur l’estrade : Richard Binzel du “planet definition committee”, Ronald Ekers président de l’UAI, Oddbjorn Engvol secrétaire général et Jocelyn Bell membre du “resolution committee”.

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committee”, qui a travaillé sur les résolutions 5 et 6. Richard Binzel, selon sa page Wikipedia, est un fervent défenseur du statut de planète pour Pluton. Ce dernier monte donc sur l’estrade et lit à voix haute le contenu de la résolution 5A, une fois de plus. C’est après ce dernier tour de protocole que Jocelyn Bell appelle les participants à poser leurs questions ou faire part de leurs commentaires.

Sans faire un tour d’horizon exhaustif de l’ensemble des questions, tâche qui nécessiterait sans doute un numéro spécial de la Porte des Étoiles, certaines sont intéressantes, soit par leur contenu scientifique, soit par ce qu’elles laissent sous-entendre de l’ambiance générale au sein de l’UAI à ce moment. Cette partie spécifique du chapitre s’appuie sur la vidéo qui est à disposition sur le site de l’UAI, malheureusement, à aucun moment il n’est possible de connaître l’identité des intervenants, à part le tout premier, Jay Pasachoff grâce à un “Thank you, Jay !” lancé par Jocelyn Bell à son égard, et le dernier, Mike Robinson, car il se présente avant son intervention. Le premier donc, Jay Pasachoff, astronome américain, appuie sur le fait que “l’UAI définit trois catégories”, mais parle en fait dans la résolution, de quatre (avec les satellites). Son intervention mènera donc à une modification de la résolution, faisant clairement comprendre qu’il s’agit de trois catégories, en plus des satellites�

Une autre intervention intéressante d’un astronome, manifestement indien à en juger son accent, mets le doigt sur l’ambiguïté de planète-naine-qui-n’est-pas-une-planète. “Ce dont nous avons besoin est d’un nouveau mot, qui n’existe pas dans le dictionnaire”. Pour Jocelyn Bell, la remarque est pertinente, mais ce n’est pas le moment ni l’endroit d’être créatif et suggère de poursuivre avec “planète naine”.

La remarque suivante est très concrète : selon la résolution 5A, Charon et Cérès deviennent-elles des “planètes naines” ? Réponse claire pour Cérès : oui elle deviendrait une “planète naine” ; réponse moins argumentée mais tout aussi claire pour Charon : non, Charon ne serait pas une planète naine. On entend cependant un certain malaise sur le cas particulier de Charon. Plusieurs questions reviendront d’ailleurs sur le cas de cet astre si particulier.

Et notamment, de manière plus insidieuse, cette intervention qui dit : “je crois donc comprendre que cette résolution ne fait pas de distinction entre satellite et système planétaire binaire, et que cette distinction sera probablement le sujet d’une résolution future”. Réponse minimaliste de Richard Binzel : “That is correct.” Le participant suivant, en blanc juste derrière, quant à lui, provoque le débat sur l’appellation “petits corps du Système solaire”. On comprend que ce terme est un terme “chapeau” regroupant d’autres notions couramment employées telles que : astéroïdes, comètes etc.

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L’intervention suivante est intéressante car elle est une de celles qui remettent en cause l’approche trop “grand public” de cette résolution. L’appellation “presque sphérique” sous-entendrait en effet qu’on exclut les planètes tournant trop rapidement sur elles-mêmes (car trop aplaties), et en fait quelle est la définition de “presque sphérique” ? Après tout, les définitions doivent être satisfaisantes scientifiquement, la manière dont on les explique au grand public étant un autre problème. Malgré les critiques, Richard Binzel tient bon : le “planet defintion committee” est en charge de trouver une définition, avec une dimension culturelle, qui soit compréhensible par le public. Les termes “grand public” tels que “presque sphérique” ou “nettoyer le voisinage” resteront donc jusqu’au bout.

L’astronome ci-contre fait ici une intervention remarquée. Il est dit qu’un corps doit avoir nettoyé son orbite pour prétendre au statut de planète. Or, si l’orbite de la Terre est nettoyée, rien ne prouve que c’est bien la Terre qui a fait cette action de nettoyage. Même remarque pour les autres planètes actuellement connues. Réponse cinglante de Richard Binzel : l’assemblée générale de l’UAI il y a 3 milliards d’années aurait probablement eu une approche différente, mais pour aujourd’hui nous devons nous appuyer sur le Système solaire tel que nous l’observons. L’intervenant, ne se laissant pas démonter, répond alors : “Mon constat, pour cette résolution, est qu’il y a tellement de choses non scientifiques laissées au sens commun, que le mieux serait encore de tout supprimer du texte et de ne garder que la première note de bas de page (‘Les 8 planètes sont: Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune’)”. Grands éclats de rire et tonnerre d’applaudissements saluent cette intervention, laissant entrevoir tout le bien que pensent, au fond d’eux-mêmes, les astronomes de cette définition.

Malgré ce dernier coup d’éclat, c’est sans doute l’ultime intervention qui marque le plus les esprits. Il s’agit de Mike Rowan Robinson qui, en 2006, est le président de la très célèbre Royal Astronomical Society du Royaume-Uni. Un professeur qui en impose et qui n’est pas spécialiste des planètes mais de la cosmologie et astronomie infrarouge. Il se présente d’ailleurs ainsi à l’assemblée, en parlant de sa fascination pour les débats des derniers jours sur le Système solaire et tout ce qu’il en a appris, du fond des choses en quelque sorte. Il est toutefois très critique vis à vis de la forme : de la manière et de l’ambiance avec lesquelles certaines réunions ont été menées. Pour cela et selon lui, le comité exécutif est l’unique responsable, méritant même des sanctions (“there was a mood in this room, that the Executive should be punished for, I think”). Mais surtout, Michael a la sagesse de proposer à la communauté astronomique d’adopter désormais une attitude positive vis à vis de la résolution 5A, en faisant fi des discussions houleuses du passé : “Il serait désastreux pour l’astronomie si, après cette assemblée générale nous repartions avec rien (avec aucune définition du mot planète), le monde nous prendrait pour de véritables idiots. Et même si cela serait de la faute du comité exécutif (que nous passions pour des idiots), nous en paierions tous les conséquences. Il est donc capital que nous supportions sans retenue cette résolution (...) y compris auprès du grand public et des médias. (...) Et dans tout cela, le destin de Pluton n’a pas vraiment d’importance’.

Jocelyn Bell sent alors qu’il faut profiter de cette occasion inespérée pour faire voter l’assemblée. Elle met donc fin à la série de questions et commentaires, renvoyant à leur fauteuil au moins deux personnes qui attendaient leur tour au micro. Ronald Ekers, demande alors à ceux en faveur de la résolution de lever leur petit papier jaune... La suite, vous la connaissez, ce sont les premières phrases de cet article.

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A ce stade, il reste donc trois résolutions à considérer, et même si on sent un vent de soulagement parcourir l’assemblée, il reste encore beaucoup de travail. Le destin de Pluton n’est pas encore tout à fait scellé : son ultime espoir réside en la résolution 5B. Et pourtant, cette dernière ne consiste en tout et pour tout qu’à rajouter un seul et unique mot à la résolution 5A, un mot qui peut pourtant tout changer ! Il s’agit du mot “classique” à apposer devant le mot “planète” dans le premier paragraphe de la résolution 5A. Ce qui change en effet tout ! Car une planète peut alors être soit “naine” soit “classique”. Comprendre, si la résolution 5B est acceptée, Pluton reste une planète – certes naine – mais une planète tout de même.

Jocelyn Bell entreprend de rendre cette distinction limpide pour l’assemblée, en sortant d’un sac un ballon de baudruche bleu qu’elle pose sur la table de l’estrade. Ce dernier, dit-elle, représente les planètes telles que nous les connaissons avec la résolution 5A. Elle sort ensuite, dans l’hilarité générale une peluche de Pluto représentant Pluton – le lecteur se souvient peut-être que le chien de Disney doit son nom à l’astre alors récemment découverte –, et une boîte de céréales représentant Cérès (en anglais, les mots “céréales” et “Cérès” sont

phonétiquement proches). Céréales et peluche représentent les “planètes naines”. Elle sort, enfin, un citron, représentant les “petits corps du Système solaire”, non sphériques. Jocelyn Bell explique enfin que, en ajoutant l’adjectif “classique” au substantif “planète” tel que le prévoit la résolution 5B, on crée bien un terme chapeau (ou “umbrella term”, “terme parapluie” comme on dit en anglais) : “planète”, comprenant deux catégories distinctes : les planètes classiques et les planètes naines. Pour illustrer son propos, elle sort alors un parapluie affublé d’une étiquette “planets” qu’elle dispose au-dessus du ballon, des céréales et de la peluche.

Chassé par cette explication haute en couleurs, le protocole revient pourtant aussitôt. Richard Binzel, dont on connait l’attachement à Pluton-planète, est appelé à présenter cette résolution et à la défendre dans un temps court. Il le fait avec conviction mais ces mots sonnent creux, peut-être faute de ne pas avoir voulu dire honnêtement que Pluton, de par son histoire, plus que de par sa nature, méritait le titre de planète. De la même manière, un autre astronome, Mark Bailey, directeur de l’observatoire d’Armagh en Irlande du Nord, monte sur scène pour dire en quoi il est contre cette résolution. Mark Bailey commence par dire que la résolution 5A est très proche du consensus

Les votants s’expriment ici largement en faveur de la résolution 5A

Jocelyn Bell expliquant la résolution 5B

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obtenu lors des réunions de travail de l’UAI. Il dit ensuite que la résolution 5B est incohérente par rapport à la 5A en ce sens qu’il n’y a plus trois catégories d’astres mais deux (“les planètes et le reste”), faisant ainsi abstraction de la composante dynamique d’une planète, ne conservant que ses composantes culturelles et structurelles. Il poursuit en affirmant qu’à la question “combien y-a-t-il de planètes dans le Système solaire ?”, seule la résolution 5A permet, de manière pérenne, de répondre simplement. Il conclut enfin en disant que cette résolution portera grandement à la confusion du public. A la fin du discours, on sent que la résolution 5B est en ballottage défavorable. Jocelyn Bell laisse alors quelques instants de réflexion avant de passer au vote.

Le vote est d’ailleurs chaotique, le nombre de votants en faveur de la résolution semble suffisamment important pour que le président Ronald Ekers demande à ce que soient comptées les mains levées. Ce qui laisse ainsi place à dix minutes d’une totale confusion : comptage, recomptage, “qui compte cette allée ?”, “que les votants se lèvent tous !” Le président se risque même à plaisanter sur l’allocation à des fins plus scientifiques du budget initialement prévu à la mise en place d’un système de votes électroniques. Tout ceci est d’autant plus futile que, lorsque le président demande aux votants qui sont contre la résolution 5B de lever leur main, une majorité évidente apparaît aux yeux de tous. Pour anecdote, Jocelyn Bell elle-même vote contre la résolution 5B. “Then it’s clear, that resolution 5B is not passed” (“il est donc clair que la résolution 5B est refusée”) conclut le président. Avec ces mots, la sentence tombe : Pluton est rayé de la liste des planètes. Il est “planète naine”, aussi mal choisi que soit le terme, il n’est donc plus planète. En ce sens, c’est une révolution que vient de vivre l’UAI à Prague.

Les résolutions 6A et 6B, où le lot de consolationA ce moment, il reste deux résolutions à voter : la 6A et la 6B. La résolution 5B ayant été retoquée, Jocelyn Bell enlève le parapluie du pupitre. Les “planètes naines” ne sont pas des planètes, mais elles sont au cœur de l’attention de ces deux nouvelles résolutions. Prenant la peluche de Pluto dans ses bras, Jocelyn Bell explique alors ouvertement les attentes du grand public vis à vis de Pluton : “Nous avons la chance de travailler dans un secteur qui attire l’attention du grand public, et nous devons en être conscients” dit-elle, sous-entendant que le déclassement de Pluton les expose à des critiques ouvertes du public et des médias. La résolution 6A se focalise sur les “planètes naines” trans-neptuniennes et tente d’y remédier. Cette dernière se lit ainsi : “Pluton est une ‘planète naine’ selon la définition précédente, et est reconnu comme le prototype d’une nouvelle catégorie d’objets trans-neptuniens”�

Mike Bailey, contre la résolution 5B

Résolutions 6A et 6B sont à l’écran, Richard Binzel les lit à voix haute, Jocelyn Bell repose sa peluche de Pluto...

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On comprend très bien que cette résolution aspire beaucoup plus qu’à la création d’une nouvelle catégorie d’objets. Elle vise à reconnaître, et non sans raison, la profonde signification scientifique de la découverte de Pluton dans la connaissance du Système solaire lointain. Richard Binzel affirme que de nombreux “autres Plutons” seront bientôt découverts, et que cette nouvelle catégorie est une manière cohérente de les classer. Comme pour la résolution 5A, une série de questions et commentaires va suivre. Elles sont moins passionnées et moins passionnelles que précédemment et portent plus sur des points de grammaire ou de formulation que sur le véritable fond de la résolution. Le vote, bien qu’assez tranché, va donner lieu à une autre période de confusion totale lorsque les voix devront être comptées. A 237 voix contre 157, la résolution 6A est adoptée, Pluton, à défaut d’être une planète, est au moins le premier découvert d’une nouvelle catégorie d’astres du Système solaire.

La résolution 6B est – quant à elle – fort simple : elle propose un nom pour cette nouvelle catégorie : “objets plutoniens” (“plutonian objects”). Un peu plus encore que la résolution 6A, elle vise à rendre hommage à Pluton du nom de baptême de cette nouvelle classe. Si cette résolution n’est pas acceptée, il faudra s’en référer à la seule et unique note de bas de page de la résolution 6A, à savoir qu’une procédure interne à l’UAI sera établie pour déterminer un nom pour cette catégorie. Comme c’est désormais la tradition, Richard Binzel lit à voix haute le contenu de la résolution 6B en s’amusant du fait, qu’en anglais, “plutonien” soit un synonyme “d’infernal”, au sens premier du terme, “venant des enfers” (‘plutonian, adjective : relating to, or characteristic of Pluto or the lower world’). La résolution étant simplissime, il est directement demandé aux votants de s’exprimer sur le nom : le veulent-ils, ou ne le veulent-ils pas.

Mais – jamais deux sans trois – la communauté astronomique semble divisée, il faudra recompter. Une fois de plus, il règne une certaine confusion teintée cette fois d’un certain flegme pour ne pas dire d’un certain fatalisme. 183 voix sont annoncées pour... Et quelques minutes plus tard, on annonce... 186 voix contre ! Avec beaucoup d’humour Virginia Trimble, qui a en charge la coordination du personnel comptant les votes à main levée (et accessoirement astronome spécialiste de la structure et de l’évolution des étoiles et galaxies de l’Université de Californie) rajoute : “et malheureusement, si nous recomptons, nous allons très probablement tomber sur des chiffres différents... car les gens ne sont pas vraiment sûrs de quand ils doivent s’asseoir lorsqu’on a compté leur vote. Certains sont d’ailleurs morts in situ”. Suivra un débat pour déterminer si un deuxième vote de confirmation doit être fait, mais – malgré une intervention remarquée de Catherine Césarsky, astronome française prenant la présidence de l’UAI juste après Ronald Ekers, sur l’incohérence de donner naissance à une nouvelle classe d’objets sans la baptiser – la communauté préfère en rester là.

La résolution 6B ayant été refusée, c’est donc un groupe de travail que l’UAI devra constituer pour déterminer le meilleur nom possible, conformément à la résolution 6A. Cela prendra du temps, car il faudra attendre le 11 juin 2008, soit presque deux années plus tard, pour que l’UAI tranche sur le nom de cette classe : ce sera “plutoïdes”, rendant un clair et juste hommage à la place de Pluton dans la liste des grandes découvertes scientifiques relatives au système solaire (à noter qu’en anglais, les astronomes utilisent désormais aussi le non-officiel mais bien trouvé “ice dwarf” ou “naine glacée”).

Pour finirJuste après ce dernier vote, la session se termine. Quelques temps plus tard, probablement dans la journée, c’est la cérémonie de clôture, elle aussi filmée et disponible sur le site de l’UAI. Extrêmement protocolaire, elle met à l’honneur les organisateurs, comme elle annonce aussi l’endroit de la 28ème assemblée générale, six années plus tard, ce sera Pékin, en 2012. La future présidente, Catherine Césarsky, fait un discours, assez plat et peu intéressant. Très sobrement, mais avec émotion, Ronald Ekers clôturera l’assemblée, c’est d’ailleurs, avec ses adieux, le moment le plus fort de cette session de clôture.

L’assemblée générale de l’UAI à Prague aura révolutionné le monde de l’astronomie en cela qu’elle aura posé, pour la première fois, une définition claire – même si encore parfois critiquée de nos jours – de ce qu’est et de ce que n’est pas une planète. Un résultat qui peut sembler modeste de prime abord, mais qui est en fait un énorme pas en avant pour une organisation victime de l’inertie de son protocole, de son caractère multinational, et de ces 9000 membres perclus d’intimes convictions.

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Quant à Pluton, il a beaucoup perdu de son prestige : rétrogradé, disqualifié, sacrifié finalement sur l’autel d’une définition imparfaite mais impartiale dans son approche structurelle et dynamique des astres. Il est d’ailleurs frappant de noter un immobilisme indéniable de la communauté astronomique après cette session : on promettait des douzaines de “planètes naines”, il n’y en a aujourd’hui que cinq (Cérès, Pluton, Hauméa, Makémaké et le coupable Eris). Six autres sont candidates à ce statut, dont Sedna, un corps d’une taille d’environ 1000 kilomètres, à l’aphélie vertigineux de 937 unités astronomiques (5,5 jours-lumière tout de même) ! On promettait également des douzaines de plutoïdes, il n’y en a donc que quatre, les mêmes que précédemment, sans Cérès, situé dans la ceinture d’astéroïdes. La notion de système planétaire binaire, où “planète double” n’a, contrairement à ce que laissaient penser les débats de la résolution 5A, pas été revue par l’UAI, laissant à Charon le statut incohérent de satellite.

Et pour autant, en 2014, l’actualité de Pluton rattrape et dépasse de beaucoup ce genre de considérations formelles. La sonde New Horizons qui survolera Pluton et Charon à l’été 2015 passionne déjà : équipée d’une armée d’instruments (imageurs et spectromètres en tous genres) elle fonce en direction des confins du Système solaire et vient, le 24 août 2014, huit ans exactement après le déclassement de Prague, de dépasser l’orbite de Neptune. A partir du 5 mai 2015, la résolution de Pluton vue par New Horizons dépassera celle de Hubble, pour atteindre son apogée le 14 juillet 2015 par le survol de Pluton et de Charon. Planète ou pas, ne doutons pas une seule seconde que nous vivrons en 2015, grâce à Pluton et New Horizons, une année de grandes découvertes scientifiques dans la droite lignée de Voyager 2 survolant Neptune et Triton en 1989. Vivement !

Sources et références[1] [2] [3] [4] [6] : Wikipédia[5] : Michel Claessens, « Science et communication : pour le meilleur ou pour le pire », éditions Quae[Données scientifiques et figures] : Robert Schmude, « Uranus, Neptune, Pluto and how to observe them », éditions Springer[Extraits de l’Assemblée Générale de l’UAI] : www.iau.org/public/videos

Vue d’artiste de la sonde New Horizons survolant Pluton et Charon

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Pollution lumineuseDe la République Tchèque à la FrancePar Emeline Taubert

La voûte céleste, classée au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO, constitue le seul spectacle accessible à chacun des habitants de notre planète. Novice, amateur, ou professionnel, le regard porté vers le ciel n’est jamais dépourvu d’émerveillement, d’interrogations ou de fascination. Mais les étoiles et autres corps célestes qui génèrent habituellement chez nous tous ces sentiments enchanteurs sont en voie de disparition. Ces objets disparaîtraient-ils ? Non bien entendu. Ils sont simplement masqués au sein de certaines zones par la pollution lumineuse créée par les infrastructures humaines. Ce fléau, nous le connaissons bien dans le Nord-Pas-de-Calais. Il constitue la bête noire des astronomes amateurs, obligés de se retirer dans des zones isolées et de s’armer de filtres UHC ou OIII pour observer et/ou photographier leurs cibles. Mais qu’en est-il au-delà de nos frontières ? A l’occasion du déplacement de l’association en République Tchèque, le GAAC est parti enquêter sur les traces d’un phénomène loin d’être éradiqué…

Les Tchèques précurseursAvant de s’aventurer en terre tchèque, un petit recueil de données s’imposait quant à la problématique de la pollution lumineuse dans ce pays. Ce qu’il en ressortit fut une belle démarche d’initiative. En effet, si certains pays tels que l’Italie (Lombardie…) ou encore les États-Unis (Arizona…) avaient déjà effectué des démarches dans ce cadre (par le biais d’arrêtés notamment), ce sont bel et bien les tchèques qui, les premiers, ont initié la réglementation sur la pollution lumineuse. En effet, le 1er juin 2002 est entrée en vigueur la loi connue sous le nom de “Clean Air Act”, qui avait au préalable était signée par le président de l’époque, Václav Havel. Cette loi est englobée dans un projet global de lutte contre la pollution de l’air, et prévoit des amendes (pouvant monter jusque 3500 euros) pour “ toute illumination qui se disperse hors des zones auxquelles elle est destinée, en particulier si elle est dirigée au-dessus de l’horizontale”. Même s’il s’agit ici d’une thématique de réchauffement global, la grande nouveauté est que cette ordonnance reconnaît et réglemente le problème de la pollution lumineuse au niveau national, avec l’aval des deux maisons du Parlement tchèque. L’objectif ici étant de protéger la qualité du ciel nocturne, afin que chaque citoyen puisse profiter de ses richesses.

Cette prise d’initiative s’est réalisée sous l’impulsion (entre autres) de l’astronome tchèque Jeník Hollan. Pour lui, le constat était clair : l’arrivée du capitalisme, l’ouverture des frontières ainsi que la “poussée” des infrastructures (centres commerciaux, panneaux publicitaires en nombre, construction d’autoroutes) contribuèrent il y a une douzaine d’années à l’installation insidieuse et exponentielle de cette pollution au sein du pays. Et la situation ne faisait qu’empirer d’année en année, au point de provoquer la “fuite” des astronomes professionnels à la frontière autrichienne, dans le but de retrouver un ciel plus pur. Quant aux amateurs, ceux qui le pouvaient étaient presque obligés d’investir dans des équipements plus puissants afin d’observer la Voie lactée, ou encore de banales galaxies qu’ils n’arrivaient plus à distinguer dans leurs oculaires... Outre les impacts négatifs sur la santé humaine (insomnie, cancers), il était donc temps d’agir, surtout dans un pays où la culture astronomique est ancrée depuis le XVIème siècle. En effet, à l’époque, Prague fut transformée en centre à la fois culturel et scientifique par l’empereur Rodolphe qui invita Tycho Brahe et Johannes Kepler à étudier à sa cour (voir article page 39).

Cet événement juridique inscrit dans les textes tchèques revêtit un caractère hautement symbolique en 2002, et même si les articles sur le sujet furent relativement pauvres, les journaux internationaux (anglo-saxons en particulier) relatèrent l’événement, et l’information fit le tour du globe. Mais douze années après l’instauration de cette loi, peu d’informations ressortent sur ses retombées. Est-elle efficace ? Les choses ont-elles évolué en République Tchèque ? Une enquête sur le terrain s’impose donc…

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Constat sur placeUne fois arrivés en Tchéquie, force est de constater certaines redondances avec notre bonne vieille France : présence de “lampadaires boule”, sur-éclairage, éclairage persistant la nuit… Sommes-nous vraiment dans le premier pays à avoir promulgué une loi anti-pollution lumineuse ? Deuxième constat : au cours de nos visites dans les observatoires, nous avons pu remarquer que certains horizons sont tellement pollués qu’il est difficile d’observer, et encore moins de pratiquer l’astrophotographie. Il est donc temps d’aller à la pêche aux informations auprès des astronomes de cette lumineuse contrée�

Premier élément de réponse à l’observatoire de Štefánik à Prague, où la question de savoir si la loi de 2002 avait amélioré les conditions d’observation pour la communauté astronomique tchèque laissa nos interlocuteurs quelques peu abasourdis. Aucun d’entre eux n’avait entendu parler de la loi ! De plus, dans les couloirs de cet observatoire, nous vîmes des panneaux ainsi qu’une maquette sensibilisant le grand public à la problématique. En 2014 celle-ci est donc bien présente… Deuxième élément de réponse cette fois-ci non plus à Prague mais à l’observatoire de Hradec Králové ; selon les dires des astronomes (amateurs et professionnels) présents là-bas, la loi n’a pas vraiment amélioré les choses. En fait, le problème aurait même stagné, au point d’abroger la loi il y a quelques années, par défaut d’application. Les contrôles, ainsi que les éventuelles sanctions qui en découlèrent, furent inexistants au point de rendre la loi totalement inutile…

La pollution lumineuse en FranceDes objets célestes difficilement observables à l’horizon, des éclairages publics prédominants en milieu urbain et semi-urbains, des maquettes présentant ce fléau au grand public au sein des observatoires et planétariums… Cela ne vous rappelle-t-il rien? Nous le retrouvons donc ici, la pollution lumineuse constitue une problématique ubiquitaire, qui n’épargne ni la République Tchèque, ni la France. L’occasion pour nous de dresser un bilan sur la photo-pollution au sein de notre territoire, ou tout du moins d’en esquisser les premières retombées. Ce passage en revue revêt un caractère spécial dans un contexte de modification réglementaire. En effet, le 1er juillet 2013 est entré en vigueur un arrêté du 25 janvier 2013 sur l’extinction des éclairages nocturnes des bureaux, magasins, façades et bâtiments, dans un créneau compris entre 1 heure et 7 heures du matin (modulable selon l’activité des structures). Un an après, quel bilan pouvons-nous tirer de cette mise en application ? Les objectifs du ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie sont-ils remplis ? Mais avant d’analyser la situation au sein de notre pays, il convient de réaliser une petite piqûre de rappel sur les méfaits de cette pollution, bête noire (entre autres) des amoureux du ciel, et d’en donner les enjeux (pour plus de détails, voir article de Carine Souplet, La Porte des Étoiles n°12).

Les lampadaires de Prague

A l’observatoire de Štefánik : maquette sensibilisant à la pollution lumineuse

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Des êtres vivants perturbés au gaspillage énergétique, les conséquences de la pollution lumineuse sont nombreuses, aussi bien en République Tchèque qu’en France ! Mais d’où vient ce besoin de tout éclairer ? La recherche constante de l’esthétisme, les questions sécuritaires associées au coût “bas” de l’électricité en sont les principales causes. Le problème n’est pas seulement d’éclairer massivement quantitativement parlant mais est aussi de mal éclairer. En effet, les faisceaux lumineux sont bien souvent dirigés en partie ou en totalité vers le ciel (avec une puissance excessive d’ailleurs) au lieu d’éclairer le sol. De plus, l’éclairage public est souvent en activité toute la nuit. Où est l’utilité d’éclairer en milieu de nuit, créneau horaire où la quasi-totalité de la population dort ? D’autant plus que cela présente des conséquences néfastes sur la santé humaine car l’éclairage intensif des rues a aussi pour effet de dérégler notre horloge circadienne, par la perturbation de la production de mélatonine, l’hormone du sommeil. S’ensuivent des difficultés à l’endormissement, ainsi qu’une qualité du sommeil altérée par cette lumière dite intrusive car elle pénètre dans nos chambres, lieu où normalement l’obscurité totale devrait régner afin d’optimiser au maximum notre repos.

L’argument selon lequel la lumière diminuerait le nombre d’accidents de la route a, à de nombreuses reprises, été réfuté par des études internationales. Il en ressort que l’arrêt de l’éclairage sur les autoroutes n’entraîne pas plus de mortalité ni d’accidents corporels. Bien au contraire, lorsqu’on rallume des voies rapides habituellement non éclairées, la mortalité connait des pics, expliqués par le fait que les gens sont beaucoup moins vigilants au volant. Autre préoccupation sécuritaire au sein de l’opinion publique, ce sont les actes et faits de délinquance. Là aussi, l’argumentaire est contrecarré par des études qui démontrent, chiffres à la clé, que la majorité des vols et cambriolages s’opèrent en plein jour.

Les conséquencesL’Homme n’est malheureusement pas la seule espèce à être impactée par ce fléau, puisque toute la biosphère en subit les méfaits. En effet, dans tous les taxons sont décrits des cas où la photopollution perturbe la dynamique des espèces. Prenons tout d’abord l’exemple de l’avifaune. Les oiseaux, en période de migration se déplacent essentiellement de nuit. Lorsqu’il y a des lumières trop importantes sur leur couloir de migration, cela a pour conséquence de les attirer (engendrant ainsi parfois de la mortalité par collision) ou de les faire fuir. Dans les deux cas, cela entrave le bon déroulement de leur voyage. De plus, les oiseaux sont de très bons astronomes amateurs. Outre la perception du champ magnétique terrestre, ces derniers peuvent se déplacer par le biais de l’étoile polaire. Plus précisément, ils utilisent la rotation des étoiles autour de Polaris afin de se

Les nombreux éclairages jouxtant l’observatoire Štefánik à Prague

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repérer, et distinguer le Nord du Sud. Ce “système de navigation” intégré se retrouvant essentiellement chez les jeunes volants, il leur permet aussi de corriger les erreurs de trajectoire lorsqu’ils sont déroutés. On devine donc aisément qu’il y ait désorientation spatiale lors du passage au-dessus de zones particulièrement photo-polluées.

Le fait d’éclairer la nuit est également préjudiciable pour nombre d’animaux nocturnes, chez qui les rythmes biologiques sont perturbés. S’ensuivent des anomalies physiologiques (diminution de la pousse des plumes, du pelage…) et éthologiques (hibernation, alimentation…) pouvant aller jusqu’à des difficultés au niveau de la reproduction, et donc mettre en péril la pérennité des espèces. A contrario, les espèces lumifuges sont obligées de fuir, modifiant par conséquent la composition du biotope ainsi que la répartition géographique des habitats. Autre classe animale également durement touchée est aussi celle des insectes, qui tournent jusqu’à épuisement autour des lampadaires, et sont de plus impactés par la prédation. Ainsi, la mortalité chez les insectes est élevée, se répercutant sur le règne végétal (flore entomophile en particulier). Les arbres, qui pour certaines espèces voient leur photosynthèse perturbée par ce phénomène (retard de la chute des feuille par exemple).

Ces quelques exemples (non exhaustifs) laissent deviner l’ampleur du phénomène et inquiètent les écologues quant au devenir de certains écosystèmes. En effet, les niches écologiques subissent de profondes modifications, surtout quand les capacités de résilience des espèces sont faibles. La mise en relief du morcellement

progressif des habitats naturels (augmentation de la mortalité, sélection naturelle en faveur de certaines espèces invasives, modification des réseaux trophiques...) montre donc tout l’impact négatif de cette pollution anthropique, générant ainsi une préoccupation montante… Enfin, les pertes économiques constituent elles aussi un effet de cette pollution, puisque le mauvais éclairage associé à une politique énergivore entraînent un gaspillage de 30 à 40% de la facture énergétique des collectivités et communes�

Un bilan français mitigé…Les conséquences sont donc nombreuses, ce qui a amené les politiques à se pencher sur la question et en faire ressortir quelques pistes de réflexion, ce qui ne peut être considéré que comme bénéfique. Ainsi en France, est née la nouvelle réglementation citée précédemment. Élaborée sous le gouvernement Ayrault et sous l’égide de Delphine Batho, à l’époque ministre de l’Écologie, cette loi comprend un triple objectif : “limiter les durées de fonctionnement de certaines installations”, “supprimer les nuisances énergétiques”, et “réduire les nuisances lumineuses”. Mais cette loi tient-elle ses promesses ? Un an après, il n’est pas vraiment constaté de grande (r)évolution sur les forums d’astronomes amateurs, qui ne soulignent pas vraiment d’amélioration au niveau de l’éclairage des façades. Mais tentons de trouver des données concrètes, en décortiquant le bilan du Ministère paru le 31 janvier 2014 à ce sujet.

En analysant le détail de ce qui nous est rendu public, on s’aperçoit que le bilan est réalisé à partir de seulement 20% des services du Ministère. Il y a donc des doutes à émettre sur la significativité de l’étude, d’autant plus que les services répondant à l’enquête sont les mêmes qui appliquaient la loi bien avant son entrée en vigueur ! De plus, ce bilan ne s’avère pas exhaustif, car passe très vite sur les demandes de dérogations auprès des préfets de départements, qui pourtant, ont fait l’objet de questions médiatiques. Le seul aspect qui ressort vraiment, est le descriptif des outils de communication du Ministère afin de sensibiliser les différentes

Pollution lumineuse importante autour de l’observatoire de Hradec Králové

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structures concernées par l’application de la loi. Mais avec une totale absence de contrôles sur le terrain, on imagine aisément que le message ne touche que peu de destinataires, mis à l’abri d’éventuelles sanctions. Enfin, le Ministère n’envisage ni réajustement, ni mesures correctives pour l’avenir afin d’améliorer son futur bilan…

Parallèlement aux premiers résultats du Ministère, l’ANPCEN a apporté un autre éclairage sur le sujet, à savoir le dressage d’un portrait “contrasté”. En effet, pour les correspondants locaux de l’association, les résultats sont hétérogènes selon les lieux. Si de réels progrès sont visibles au sein de certaines communes, d’autres villes restent encore éclairées toute la nuit. Autre constat souligné, c’est l’absence d’exemplarité de l’État concernant l’éclairage de ses propres bâtiments, ainsi que la non-instauration de contrôles, et donc, de sanctions. L’association met également en relief quelques limites de la loi et émet certaines recommandations comme la mobilisation des élus via l’accentuation de la sensibilisation et de l’information notamment, ou encore l’étendue des acteurs concernés (inclure les enseignes et publicités lumineuses, ainsi que l’éclairage public). Selon elle, beaucoup d’actions sont encore à mener afin de profiter pleinement du ciel étoilé…

Ainsi donc, que ce soit en République Tchèque ou en France, la pollution lumineuse semble nuire de la même façon à la communauté astronomique. Ici comme là-bas, vous serez obligés de vous enfoncer parfois assez profondément en campagne pour pratiquer pleinement votre loisir préféré. Pourtant retardataire en terme de législation sur le domaine par rapport à la Tchéquie, la France se trouve donc à terrain égal avec cette dernière, laissant à penser que la législation n’est pas nécessairement la meilleure arme pour lutter contre ce cancer qui ne ronge plus seulement que les grandes métropoles. Alors, est-ce encore utile de légiférer ? Le souci majeur est que ces lois pourtant non dénuées de sens peinent à se faire appliquer et/ou se faire respecter. Manque de moyens, d’ambition ou tout simplement d’intérêt ? La question reste ouverte… Ce qui est certain, c’est que tant que les acteurs concernés n’agiront pas ensemble mais de manière sectaire, les choses auront beaucoup de mal à bouger, malgré l’énergie déployée par tous les passionnés du ciel afin de le sauver…

Les rives de la Vltava de nuit avec la vue sur le pont Charles et le château de Prague

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Le complexe du Klementinum accueille une douzaine de cadrans solaires. Seuls deux sont visibles depuis les axes publics. Le plus évident est un cadran oriental gravé et peint sur la façade Est de la Tour a s t ronomique � Sur ce cadran datant de 1722, on peut y lire la devise « A solis Ortu ». Le second cadran solaire est

installé dans la Cour des Voeux et visible à travers un portail. Il est peint directement sur le mur et présente la devise « Et caro ver fac bum tum est »�

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Petite galerie de cadrans solaires tchèques

Par Simon Lericque

Lors de notre séjour en Tchéquie, nous avons croisé sur notre route nombre de cadrans solaires. Il faut dire que le pays est plutôt ensoleillé et se prête à merveille aux jeux d’ombres et de lumière... A Prague surtout, mais aussi en province, à Hradec Králové, Konopiště, Ondřejov, Jindřichův Hradec, České Budějovice et Český Krumlov, nous avons déniché tout un tas de cadrans, certains classiques, d’autres plus exotiques. En voici l’inventaire.

Gros plan sur le style du cadran solaire des jardins de Prague

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Au Nord de la vieille ville de Prague, sur la rive gauche de la Vltava, dans le quartier de Hradcany se trouve un cadran solaire occidental peint sur le parvis d’une maison, rue Letenská. Il daterait de 1740.

Dans les splendides jardins en escaliers, tout près du château de Prague, un cadran solaire peint en 1752 figure sur l’un des porches entre la deuxième et la troisième terrasse. La devise suivante y est inscrite : Claret in orbe dies ac tetras hora pete umbras�

Deux autres cadrans sont visibles facilement depuis Malostranské námestí, la place qui accueille aussi la splendide cathédrale Saint-Nicolas de Malà Strana. Le premier, oriental (ci-dessous, à gauche) date de 1608 et le second (ci-dessous à droite) a la particularité de figurer une double graduation : le temps vrai et les heures babyloniques.

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Au Nord de Prague, bien caché dans le très beau parc Stromovka, se trouve un étrange cadran sphérique. Il trône sur une terrasse qui offre une vue intéressante sur le Nord de la capitale tchèque, notamment sur le zoo. Comme il est d’ailleurs indiqué, le monument date de 1698 mais il a été restauré dès 1772. De nombreuses inscriptions latines y figurent et permettent la lecture de plusieurs informations astronomiques. Le style est constitué par un arc mobile en rotation. Lorsque son ombre est minimum, on lit alors l’heure solaire.

Sur la colline de Petřín, devant l’entrée de l’observatoire Štefánik, on trouve un ensemble de quatre cadrans solaires classiques� Ces derniers trônent tout à côté de la statue de Milan Rastislav Štefánik (voir page 14).

A deux pas de l’observatoire et du planétarium de Hradec Králové, on trouve deux cadrans pédagogiques : le site reçoit de nombreux écoliers au cours de l’année. Le premier, en pierre, représente un réveil gradué de 0 à 24 heures. Il s’agit d’un cadran équatorial : le plan est parallèle à l’équateur et lorsqu’on met le style en place, il est parallèle à l’axe de rotation de la Terre et on lit l’heure solaire. Ce style doit certainement être ajouté lors des animations scolaires. Le second est un cadran analemmatique tracé sur le sol du parking. C’est l’ombre du visiteur qui, en se plaçant à la date adéquate, indique l’heure sur le sol.

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Dans le parc de l’observatoire d’Ondřejov, on trouve quelques monuments modernes installés dans les années 2000. Ces “oeuvres d’art” font accessoirement office de cadrans solaires puisqu’à certaines dates bien choisies, les ombres ou les rayons de lumière traversant la pierre indiquent certaines heures de la journée. Dommage cependant que les indications données par ces cadrans soient si restrictives�

Sur l’une des façades de la cour intérieure du château de Konopiště, on trouve un cadran classique orienté plein Sud (ci-dessous à gauche). On trouve un autre cadran, datant de 1850, sur l’un des murs de la cathédrale Saint-Nicolas, dans la rue Kanovnicka, à České Budějovice (ci-dessous à droite).

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Le cadran suivant figure sur la façade d’un beau bâtiment, dans la seconde cour du château de Český Krumlov (voir le bas de la page précédente). Il s’agit d’un beau cadran, légèrement déclinant du matin, qui doit être relativement ancien, sans pour autant qu’une date exacte puisse être avancée pour son installation. Il indique les arcs diurnes et les lignes horaires classiques.

Toujours à Český Krumlov (ci-dessus), sur la partie haute du château, on trouve un autre cadran déclinant avec une double graduation. Ce cadran est à deux pas d’un promontoire offrant une vue panoramique sur la splendide ville de Český Krumlov. Pas très loin de là : les beaux jardins à la française du château qu’il ne faut pas rater.

Au bout de la rue Latrán, dans le secteur pietonnier de Český Krumlov, on déniche une belle porte colorée de rouge et d’orange. Sur la partie haute de la tour figure un ancien cadran solaire où seuls les chiffres 7, 8, 9, 2, 3 et 4 sont indiqués. Ce cadran doit être ancien, mais là encore, aucune date de réalisation n’a été conservée. Ce cadran solaire sera le dernier visité lors de notre escapade tchèque. Mais évidemment, de nombreux autres demandent encore à être découverts dans ce beau pays ensoleillé ; lors d’un prochain séjour sans doute...

Merci à Christian Druon, spécialiste des cadrans solaires, pour sa relecture attentive et ses corrections avisées.

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La galerie

71�������������������������������������������������������������������������������������Nuits électriques

73����������������������������������������������������������������������� Le retour des noctiluques

74�������������������������������������������������������������������������� Oppositions planétaires

75��������������������������������������������������������������������������������������������� Plein Soleil

76����������������������������������������������������������������������������������� La petite dernière

Sommaire

Les nuages polaires mésosphériques, ou noctiluques culminent à près de 90 kilomètres d’altitude. Ils s’illuminent chaque année autour du solstice d’été. Leur origine est mal connue et leur intensification serait due à la pollution atmosphérique.

Au printemps dernier, deux belles planètes illuminaient le ciel. La première, Mars, est restée observable dans de bonnes conditions jusque la fin avril ; quant à la seconde, Saturne, elle a été visible jusque la moitié de l’été.

Fin juin, pour fêter l’arrivée de l’été, de violents orages se sont abattus sur le Nord de la France. Sources de frayeurs pour certains, les orages, et surtout les éclairs, sont des phénomènes très photogéniques chassés par des nombreux amateurs.

L’été, c’est la saison du Soleil... En tout cas astronomiquement parlant. C’est en effet au début de la saison estivale qu’il est le plus haut dans le ciel. Parfois, lorsque les nuages prennent du repos, l’astre du jour se laisse admirer dans plusieurs longueurs d’ondes.

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Nuits électriques• • • • LA GALERIE

La Fère (02) - 9 juin 2014APN EOS 6D et objectif Canon 17-40 - Sylvain WALLART

Péronne (80) - 9 juin 2014APN EOS 6D et objectif Canon 17-40 - Sylvain WALLART

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• • • • LA GALERIE

Orages sur la ville - Ostricourt (59) - 10 juin 2014APN Canon EOS 600D et objectif 18-55mm - Yann PICCO

La Fère (02) - 9 juin 2014APN Canon EOS 6D et

objectif Canon 17-40

Sylvain WALLART

Bouvignies-Boyeffles (62) 20 juillet 2014

APN Canon EOS 6D et objectif Canon 17-40

Sylvain WALLART

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Le retour des noctiluques• • • • LA GALERIE

Panorama de nuages noctiluques - Locon (62) - 4 juillet 2014APN Canon EOS 6D et objectif Canon 17-40 L - Sylvain WALLART

Discrets noctiluques matinaux - Wancourt (62) - 7 juillet 2014APN EOS 450d et téléobjectif 70-300 - Simon LERICQUE

Gros plan sur les noctulescents

Locon (62) - 4 juillet 2014

APN Canon EOS 6D et objectif Canon

70-200

Sylvain WALLART

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Oppositions planétaires

Saturne et ses satellites - Observatoire de Lille (59) - 5 juin 2014Caméra PLA-C2 et lunette Jonckheere 320/6000 - François LEFEBVRE

La planète Mars gibbeuseObservatoire de Lille (59) - 5 juin 2014Caméra PLA-C2 et lunette Jonckheere 320/6000 François LEFEBVRE

La planète SaturneRadinghem (62) - 21 juin 2014Caméra DMK 21 NB et lunette Hélios 150/1200

Patrick ROUSSEAU

Dessins de la planète Mars

Observatoire de Lille (59) - 5 mai 2014Oculaire Ethos 21 mm et lunette Jonckheere 320/6000

A gauche, Patrick ROUSSEAUA droite, Simon LERICQUE

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Plein Soleil

Zone active - Courrières (62) - 5 avril 2014Caméra DMK 21 NB et Lunt 60 B1200 Ha - Patrick ROUSSEAU

Protubérances solaires Radinghem (62) - 21/06/14 et 05/04/14Caméra DMK 21 NB et Lunt 60 B1200 HaPatrick ROUSSEAU

Groupes de taches solaires - Courrières (62) - 5 avril 2014Caméra DMK 21 NB et Lunt 60 B1200 CaK - Patrick ROUSSEAU

Zone active - Courrières (62) - 5 avril 2014Caméra DMK 21 NB et Lunt 60 B1200 CaK - Patrick ROUSSEAU

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La petite dernière

Une petite dernière réalisée lors de l’avant-dernière nuit de notre escapade en Tchéquie. L’image est certes perfectible - il s’agit ici d’une pose unique - mais elle montre en tout cas le potentiel du ciel étoilé de la Bohême du Sud, au milieu des montagnes du parc naturel de Sumava. Elle conclue surtout à merveille la belle aventure que l’on a vécu là-bas...