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La politique, une science ?

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La politique, une science ?

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Le concept de « politique »

• La politique est une activité qui vise la conquête, l’exercice est la conservation du pouvoir.

• Essayons maintenant de définir le pouvoir. Peut-être trouverez-vous une définition qui est meilleure que celle que je propose sur la diapositive suivante ?

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Le pouvoir détermine les normes

• Le pouvoir est la capacité à faire agir autrui, à donner des injonctions écoutées, à assigner des buts. Lorsque je dis à quelqu’un ce qu’il faut faire ou ce qu’il doit faire et que je suis suivi, j’ai du pouvoir.

• Le pouvoir peut s’exercer sur un individu (le pouvoir du pater familias), sur un groupe ou sur une nation. Dans tous les cas, ceux qui ont du pouvoir imposent des normes* aux autres.

* Règles, prescriptions, principes de conduite, de pensée, imposés par la société, la morale, qui constituent l'idéal sur lequel on doit régler son existence sous peine de sanctions plus ou moins diffuses. Empr. au lat. norma «équerre, règle, loi». (Atilf)

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Les sources primitives du pouvoir

• Pour faire agir un individu selon un plan qu’il n’a pas lui-même déterminé, il convient de distribuer des récompenses ou des punitions.

• Les sources du pouvoir seront donc la force répressive brutale (l’armée) et la capacité d’offrir une rémunération (le capital).

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Une fois admis que l’accès au pouvoir passe par la distribution de récompenses ou de punition, on reconnaîtra que l'exercice du pouvoir a un coût : celui qui veut donner une récompense ou infliger une punition devra, d'une manière ou d'une autre, le payer. La menace est une façon de faire l'économie de la punition tout en obtenant le même résultat. Mais dans le cas où la menace ne serait pas suivie de l'effet escompté, celui ou celle qui l'utilise devra absolument appliquer la sanction faute de perdre toute crédibilité et donc tout pouvoir sur le récalcitrant.Symétriquement, la promesse non tenue disqualifie celui qui l'utilisait pour obtenir un certain pouvoir.

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Le pouvoir de la persuasion et de la foi

• Le pouvoir le plus subtil s’exercera lorsque l’individu qui suit une norme ou une injonction sera convaincu qu’il agit pour son propre bien.

• En d’autres termes, plutôt que te menacer si tu ne fais pas ou te promettre si tu fais, je peux te persuader que c’est ton intérêt de faire. Tu n’obéis donc plus pour moi mais pour toi-même

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• La magie de la rhétorique morale et religieuse est précisément de permettre l’internalisation des normes. Nous obéissons mieux à une norme dont on nous a persuadé qu’elle était bonne pour nous-mêmes. Notre intérêt se confond avec notre devoir.

• Le paradis est l’invention d’une récompense virtuelle et absolue, le bénéfice imaginaire d’une promesse qui ne sera jamais honorée.

• Exercice : reformuler la phrase précédente en commençant par « L’enfer ».

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Qui mérite le pouvoir ?

S’il faut que quelqu’un fasse les lois, les règles, qu’il impose ses volontés aux autres, ne conviendrait-il pas qu’il soit un sage ?

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Pour Platon, celui qui connaît la vérité connaît également le bien et pratique la vertu. Le philosophe contemple l’idée de bien qui est l’ordre juste de l’univers.Il semble donc naturel que la « race des purs philosophes », véritables dépositaires du savoir de ce qui est le bien pour tous, gouverne la société.

Nous retrouverons cette idée dans le communisme ou les membres du Comité central du parti seront les seuls à connaître le véritable bien de la population.

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Texte : PLATON, 428-347 av. J.-C.

« Finalement, je compris que tous les États actuels sont mal gouvernés, car leur législation est à peu près incurable sans d'énergiques préparatifs joints à d'heureuses circonstances. Je fus alors irrésistiblement amené à louer la vraie philosophie et à proclamer que, à sa lumière seule, on peut reconnaître où est la justice dans la vie publique et dans la vie privée. Donc, les maux ne cesseront pas pour les humains avant que la race des purs et authentiques philosophes n'arrive au pouvoir ou que les chefs des cités, par une grâce divine, ne se mettent à philosopher véritablement. »

• Lettre VII, 325, 326, trad. J. Souilhé, Ed. «Belles-Lettres»

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L’équation platonicienne du Bien et du Vrai

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Platon a élaboré une idée qui est encore reçue aujourd’hui comme une évidence : le Bien n’est qu’une forme particulière de Vérité. Le Bien ne peut être que Vrai et inversement.

Cette idée est profondément enracinée dans la tradition qui part de l’idéalisme platonicien pour conduire au spiritualisme chrétien. Lorsque nous sommes vraiment persuadés qu’une norme ou une prescription est « bonne », nous avons tendance à croire qu’elle est aussi « vraie ».

C’est ainsi que presque tout le monde en Europe est persuadé que les propositions normatives suivantes sont vraies : « Il faut interdire l’application de la peine de mort » ; «Les hommes et les femmes doivent avoir des droits égaux »…Vous trouverez bien d’autres exemples.

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ALLOCUTION DU PAPE BENOÎT XVIPOUR LA RENCONTRE AVEC LES ÉTUDIANTSDE L'UNIVERSITÉ "LA SAPIENZA" DE ROME

• « L'homme veut connaître - il veut la vérité. La vérité est avant tout un élément en relation avec le fait de voir, de comprendre, avec la theoría, comme l'appelle la tradition grecque. Mais la vérité n'est jamais seulement théorique. En établissant une corrélation entre les Béatitudes du Discours sur la Montagne et les dons de l'Esprit mentionnés dans Isaïe 11, Augustin a affirmé une réciprocité entre "scientia" et "tristitia" : le simple savoir, dit-il, rend triste. Et de fait, celui qui voit et qui apprend seulement tout ce qui survient dans le monde finit par devenir triste. Mais la vérité signifie davantage que le savoir : la connaissance de la vérité a pour objectif la connaissance du bien. Tel est également le sens de l'interrogation socratique : Quel est le bien qui nous rend vrais? La vérité nous rend bons, et la bonté est vraie : tel est l'optimisme qui est contenu dans la foi chrétienne, car à celle-ci a été accordée la vision du Logos, de la Raison créatrice qui, dans l'incarnation de Dieu, s'est en même temps révélée comme le Bien, comme la Bonté elle-même. »

• (Texte extrait du discours que le Pape aurait dû prononcer à l'Université "La Sapienza" de Rome, le 17 janvier 2008. La visite a été annulée le 15 janvier 2008.)

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L'AMALGAME DE LA VÉRITÉ ET DU BIEN DANS L'ÉGLISE D'AUJOURD'HUI

En matière de confusion conceptuelle, nul ne peut rivaliser avec l’ancien patron des catholiques. Peu importe que le prestigieux concept de vérité soit dénaturé pourvu que cela nous serve ! Dans cette perspective dogmatique, la vérité est seulement ce qui peut servir NOTRE conception du bien.Les philosophes soucieux de bon sens et de clarté conceptuelle ont depuis longtemps reconnu que le vrai n’a rien à voir avec le bon ou le bien. La vérité est la propriété d’énoncés descriptifs de certains états du monde, passé, présent ou futur. Sont vrais les énoncés qui ne sont pas en contradiction avec les observations qui les concernent.La langue ordinaire nourrit la confusion en attribuant la vérité, par métonymie, à des personnes. Du fait que les énoncés « il est libraire », « il est croyant » sont vrais, nous insisterons sur l’exclusivité de ces vérités en utilisant les expressions « un vrai libraire » et « un vrai croyant ». Le vrai libraire vend exclusivement des livres et le vrai croyant a une foi authentique.La bonté et le bien, en revanche, sont des propriétés d’êtres ou d’actions utiles à des objectifs que nous partageons, à des fins que nous défendons. S’ils n’étaient pas écrits par un pape se revendiquant de Socrate, les énoncés « La vérité nous rend bons » et « la bonté est vraie » constitueraient une double sottise sans signification. Tel est, en effet, l’optimisme de la foi chrétienne.

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De la vérité des jugements normatifs

Une proposition telle que « Il faut abolir la peine de mort » peut-elle être dite « vraie » ? La vérité d’une proposition tient à ce qu’elle énonce certains faits observables. Pour justifier une norme, nous nous appuyons sur les conséquences prévisibles de son application. Mais que ces conséquences soient souhaitables, est-ce là un fait ?

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Considérons un autre exemple : Les écologistes suisses ont proposé d’adopter la norme suivante : « Il faut imposer une taxe supplémentaire importante aux carburants. »

Pourquoi ? Parce que si les carburants sont très chers les gens utiliseront moins leur véhicule ce qui réduira la pollution de l’air. Mais seuls les pauvres rouleront moins. Faut-il dès lors accepter une réduction du taux de particules dans l’air à la seule charge des moins favorisés?Nous sommes ici devant un conflit de valeurs : une norme (protéger l’environnement) s’oppose à une autre norme (les plus démunis ne doivent pas payer pour les riches).

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Texte : Kant, in Magnard page 113

• Aux visions totalitaires de Platon, je préfère de beaucoup la sagesse mesurée de Kant lorsqu’il envisage les rapports du philosophe avec le pouvoir :

« [...] Que les rois deviennent philosophes ou les philosophes rois, on ne peut guère s'y attendre et l'on ne doit pas non plus le souhaiter, parce que la possession du pouvoir corrompt inévitablement le libre jugement de la raison. Mais que les rois ou les peuples (c'est-à-dire les peuples qui se gouvernent eux-mêmes d'après les lois de l'égalité) ne souffrent pas que la classe des philosophes disparaisse ou soit réduite au silence, mais qu'ils la laissent parler tout haut, c'est ce qui leur est indispensable pour s'éclairer sur leurs propres affaires. Cette classe est d'ailleurs, par sa nature même, incapable de former des rassemblements et des clubs, et par conséquent elle échappe au soupçon d'esprit de propagande. »

• Essai philosophique sur la paix perpétuelle, trad. J. Barni in Éléments métaphysiques de la doctrine du droit Ed. A. Durand, p.316.

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La tyrannie, forme naturelle du pouvoir ?

• Cependant, que les rois soient philosophes ou qu’ils ne le soient pas, l’histoire nous les montre presque toujours seuls au pouvoir.

• De toutes les formes de gouvernement, la tyrannie est sans aucun doute la plus fréquente. C’est vrai dans l’histoire mais c’est aussi vrai, malheureusement, aujourd’hui. Savez-vous combien d’états sont représentés à l’ONU ? Combien parmi eux sont des démocraties ?

• Voilà sans doute pourquoi l’ami de Montaigne, Étienne de la Boétie, se demandait déjà au 16e

siècle si les hommes n’aimaient pas leurs tyrans.

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Texte :Etienne de LA BOÉTIE, 1530-1563, in Magnard, page 128

« Pour le moment, je désirerais seulement qu'on me fît comprendre comment il se peut que tant d'hommes, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois tout d'un Tyran seul, qui n'a de puissance que celle qu'on lui donne, qui n'a pouvoir de leur nuire qu'autant qu'ils veulent bien l'endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal, s'ils n'aimaient mieux tout souffrir de lui, que de le contredire. Chose vraiment surprenante (et pourtant si commune, qu'il faut plutôt en gémir que s'en étonner)! c'est de voir des millions de millions d'hommes, misérablement asservis, et soumis tête baissée, à un joug déplorable, non qu'ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu'ils sont fascinés et, pour ainsi dire, ensorcelés par le seul nom d'un, qu'ils ne devraient redouter, puisqu'il est seul, ni chérir, puisqu'il est, envers eux tous, inhumain et cruel. Telle est pourtant la faiblesse des hommes ! »

• Discours de la servitude volontaire, Payot, pp. 174-175. 14

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La sécurité de la tyrannie

Pour Thomas Hobbes l’homme est un loup pour l’homme. Le pouvoir absolu d’un souverain est dès lors nécessaire à la constitution d’une société civile qui garantira la sécurité des citoyens.

Les gens aiment la sécurité que leur apporte la servitude. Une grande liberté laissée aux hommes les plonge dans un capharnaüm anarchique dangereux.

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Dans le texte suivant, Hobbes défend la nécessité de la « société civile » en lui opposant l’impressionnante série des catastrophes qui résulteraient de son absence.C’est l’éternelle justification des dictateurs : vous avez le choix entre moi et le chaos !

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Texte : Thomas Hobbes , 1642, in Magnard, page 135

« Hors de l'état civil, chacun jouit sans doute d'une liberté entière, mais stérile ; car, s'il a la liberté de faire tout ce qu'il lui plaît, il est en revanche, puisque les autres ont la même liberté, exposé à subir tout ce qu'il leur plaît. Mais, une fois la société civile constituée, chaque citoyen ne conserve qu'autant de liberté qu'il lui en faut pour vivre bien et vivre en paix, de même les autres perdent de leur liberté juste ce qu'il faut pour qu'ils ne soient plus à redouter. Hors de la société civile, chacun a un droit sur toutes choses, si bien qu'il ne peut néanmoins jouir d'aucune. Dans une société civile par contre, chacun jouit en toute sécurité d'un droit limité. Hors de la société civile, tout homme peut être dépouillé et tué par n'importe quel autre. Dans une société civile, il ne peut plus l'être que par un seul. Hors de la société civile, nous n'avons pour nous protéger que nos propres forces ; dans une société civile, nous avons celles de tous. Hors de la société civile, personne n'est assuré de jouir des fruits de son industrie ; dans une société civile, tous le sont. On ne trouve enfin hors de la société civile que l'empire des passions, la guerre, la crainte, la pauvreté, la laideur, la solitude, la barbarie, l'ignorance et la férocité ; dans une société civile, on voit, sous l'empire de la raison, régner la paix, la sécurité, l'abondance, la beauté, la sociabilité, la politesse, le savoir et la bienveillance. »

Hobbes, T., Le Citoyen, chap. X, § 1 in R. Derathé, Rousseau et la science politique de son temps, Vrin, p. 312.

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TEXTE : ENGELS, L’ORIGINE DE L’ÉTAT

« L'Etat n'est donc pas un pouvoir imposé du dehors à la société ; il n'est pas davantage « la réalité de l'idée morale », « l'image et la réalité de la raison », comme le prétend Hegel. Il est bien plutôt un produit de la société à un stade déterminé de son développement ; il est l'aveu que cette société s'empêtre dans une insoluble contradiction avec elle-même, s'étant scindée en oppositions inconciliables qu'elle est impuissante à conjurer. Mais pour que les antagonistes, les classes aux intérêts économiques opposés, ne se consument pas, elles et la société, en une lutte stérile, le besoin s'impose d'un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de l'« ordre » ; et ce pouvoir, né de la société, mais qui se place au-dessus d'elle et lui devient de plus en plus étranger, c'est l'Etat »

Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, Éd. sociales 1971.(Cité par André Comte-Sponville, in Le mythe d’Icare, P.U.F., p. 89 17

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L’anarchisme*

L’anarchiste déteste le pouvoir et son incarnation institutionnelle : l’État. Il est convaincu que l’homme, une fois délivré du joug des institutions aliénantes* exercera sa liberté retrouvée dans le sens que lui dicte sa générosité naturelle..

L’étymologie du mot est explicite : Empr. au gr. « absence de chef, état d'un peuple sans chef ». On doit à l’anarchiste français Jean Grave le célèbre mot d’ordre : « Ni Dieu, ni maître ! »

18* Doctrine politique ou attitude intellectuelle rejetant l'autorité de l'État et préconisant un individualisme absolu. (atilf)

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Texte : M. A. BAKOUNINE, 1872, in Magnard page 137

« Qu'est-ce que l'État? C'est, nous répondent les métaphysiciens et les docteurs en droit, c'est la chose publique ; les intérêts, le bien collectif et le droit de tout le monde, opposés à l'action dissolvante des intérêts et des passions égoïstes de chacun. C'est la justice et la réalisation de la morale et de la vertu sur la terre. Par conséquent, il n'est point d'acte plus sublime ni de plus grand devoir pour les individus que de se dévouer, de se sacrifier, et au besoin de mourir pour le triomphe, pour la puissance de l'État [...]. Voyons maintenant si cette théologie politique, de même que la théologie religieuse, ne cache pas, sous de très belles et de très poétiques apparences, des réalités très communes et très sales.(…)(L’idée même de l’État c’est) l'immolation de chaque individu comme de toutes les associations locales, l'abstraction destructive de la société vivante, la limitation ou, pour mieux dire, la complète négation de la vie et du droit de toutes les parties qui composent tout le monde, pour le soi-disant bien de tout le monde : c'est l'État, c'est l'autel de la religion politique sur lequel la société naturelle est toujours immolée : une universalité dévorante, vivant de sacrifices humains [...]. »

Œuvres, tome I, in Henri Arvon: Michel Bakounine, Éd. Seghers, 1966, pp.98-99.

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LA MÉTAPHORE FAMILIALE DU POUVOIR

• On comprend dès lors l’inclination des dictateurs, des rois et des prêtres à emprunter le vocabulaire de la famille: ils seront des « pères de la nation » ou des « pères spirituels » qui s’adresseront aux individus soumis comme s’ils étaient des enfants.

• Qui a raison de Hobbes ou de Bakounine ? L’homme a-t-il besoin d’une autorité lui imposant ses tâches et ses valeurs ?

• Jusqu’à une époque récente, on pensait qu’un chef s’impose à la famille : le père. Son autorité était naturelle et ne pouvait être remise en question jusqu’à sa mort.

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TEXTE :JEAN-JACQUES ROUSSEAU, 1762, IN MAGNARD, PAGE 138.

« La famille est donc si l'on veut le premier modèle des sociétés politiques; le chef est l'image du père, le peuple est l'image des enfants, et tous étant nés égaux et libres n'aliènent leur liberté que pour leur utilité. Toute la différence est que dans la famille l'amour du père pour ses enfants le paye des soins qu'il leur rend, et que dans l'État le plaisir de commander supplée à cet amour que le chef n'a pas pour ses peuples. »• Du Contrat Social Livre 1 chap. 1

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LE LEADERSHIP EST-IL UNE NÉCESSITÉ ?

La conviction de l’anarchiste qu’un homme ne devrait jamais obéir à aucun chef se heurte au fait que les associations coopératives ne fonctionnent tout simplement pas si leur action n’est pas coordonnée. À partir de combien de musiciens un groupe a-t-il besoin d’un chef ?

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Cependant, au contraire du « pater familias » le chef de bureau, le chef de compagnie ou le chef d’atelier, le gouverneur de province, le ministre ou le président ne sont pas dans leur position par « nature ».Le « patron » peut également être une assemblée, un conseil. L’essentiel est que le leadership soit fonctionnel. Mais il se peut qu’une personnalité charismatique domine le groupe des décideurs et commence à exercer l’une des formes de la tyrannie désastreuse pour la collectivité.

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Les tyrannies et la démocratie

Les formes de la tyrannie sont nombreuses : monarchie autoritaire, régime impérial, dictature militaire, théocratie*, totalitarisme* particratique. Elles ont en commun de réprimer toute manifestation d’opposition.

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L’essence même de la démocratie résiderait dans cette possibilité fondamentale de manifester une opinion opposée au projet du gouvernement et, dans le cas où cette opposition deviendrait majoritaire, de contraindre les gouvernants à s’en aller.

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Texte : Popper, Liberté et égalitéIl faut prendre garde ici au piège du langage : les pires tyrannies se sont appelées elles-mêmes des démocraties. En particulier, les communistes parlaient de « démocraties populaires » ou de « république démocratique » alors même que les polices politiques éradiquaient toute velléité d’expression libre.

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« Si la conjonction du socialisme et de la liberté individuelle était réalisable, je serais socialiste aujourd'hui encore. Car rien de mieux que vivre une vie modeste, simple et libre dans une société égalitaire. Il me fallut du temps avant de réaliser que ce n'était qu'un beau rêve ; que la liberté importe davantage que l'égalité ; que la tentative d'instaurer l'égalité met la liberté en danger; et que, à sacrifier la liberté, on ne fait même pas régner l'égalité parmi ceux qu'on a asservis. »

Karl R. Popper, La quête inachevée, «Unended Quest- (1974), Calman-Lévy, 1981, p. 56.

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LE POUVOIR PÉTRIFIÉ

• Karl Popper a élaboré un critère de démarcation permettant de séparer les théories possédant une valeur empirique des autres : la falsifiabilité*.

• Il est tentant de comparer le destin des régimes politiques à celui des théories. Comme une théorie qui n’explique rien, un régime tyrannique serait en quelque sorte « infalsifiable » et ne pourrait donc en aucun cas évoluer.

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Mais la Démocratie - qui devrait nous garantir contre l’asphyxie d’une société fermée - est une valeur perpétuellement menacée.Elle ne peut en effet se constituer que par des procédures d’élection ou de consultation populaire qui peuvent à leur tour être manipulées. La ploutocratie est toujours possible et elle est une forme cachée de despotisme.

Ploutocratie :de «richesse» et de «force, domination, puissance»

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SI LA DÉMOCRATIE DEVENAIT TYRANNIQUE…

Le texte qui suit est prémonitoire d’une situation que nous vivons quotidiennement au XXIe siècle.

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La démocratie peut-elle, engendrer insidieusement une sorte de tyrannie subreptice* ?

C’est ce qu’envisageait déjà Alexis de Tocqueville, un des penseurs fondateurs du libéralisme politique.

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Texte : de TOCQUEVILLE, 1835, in Magnard page 138.

« Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde: je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l'espèce humaine ; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d'eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n'existe qu'en lui-même et pour lui seul, et, s'il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu'il n'a plus de patrie.Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux, il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril; mais il ne cherche au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages ; que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ?C'est ainsi que tous les jours il rend moins utile et plus rare l'emploi du libre arbitre ; qu'il renferme l'action de la volonté dans un plus petit espace, et dérobe peu à peu chaque citoyen jusqu'à l'usage de lui-même. L'égalité a préparé les hommes à toutes ces choses : elle les a disposés à les souffrir et souvent même à les regarder comme un bienfait.

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de TOCQUEVILLE, (suite)Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière ; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébété, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger.J'ai toujours cru que cette sorte de servitude, réglée, douce et paisible, dont je viens de faire le tableau, pourrait se combiner mieux qu'on ne l'imagine avec quelques-unes des formes extérieures de la liberté, et qu'il ne lui serait pas impossible de s'établir à l'ombre même de la souveraineté du peuple. »

De la Démocratie en Amérique, UGE, 10-18, pp. 361-362.28

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LA LIBERTÉ SACRIFIÉE

La victime d’une société démocratique – fondée sur la volonté du plus grand nombre – pourrait bien être la liberté individuelle. Une majorité peut en effet s’acharner à réduire les espaces de liberté que s’accordent quelques individus qui ont le vilain défaut de n’être pas conformes à la pensée dominante.

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Dans le texte qui suit, John Stuart Mill s’attaque à cette « tyrannie de la majorité » qui peut prendre la forme d’un paternalisme étatique que dénonce, de nos jours encore, le philosophe et moraliste Ruwen Ogien.

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Texte : La tyrannie de la majorité

« De même que les autres tyrannies, la tyrannie de la majorité inspirait — et inspire encore généralement — de la crainte d'abord parce qu'elle transparaissait dans les actes des autorités publiques. Mais les gens réfléchis s'aperçurent que, lorsque la société devient le tyran — lorsque la masse en vient à opprimer l'individu — ses moyens de tyranniser ne se limitent pas aux actes qu'elle impose à ses fonctionnaires politiques. La société applique les décisions qu'elle prend. Si elle en prend de mauvaises, si elle veut ce faisant s'ingérer dans des affaires qui ne sont pas de son ressort, elle pratique une tyrannie sociale d'une ampleur nouvelle — différente des formes d'oppression politique qui s'imposent à coups de sanctions pénales — tyrannie qui laisse d'autant moins d'échappatoire qu'elle va jusqu'à se glisser dans les plus petits détails de la vie, asservissant ainsi l'âme elle-même. Se protéger contre la tyrannie du magistrat ne suffit donc pas. Il faut aussi se protéger contre la tyrannie de l'opinion et du sentiment dominants, contre la tendance de la société à imposer, par d'autres moyens que les sanctions pénales, ses propres idées et ses propres pratiques comme règles de conduite à ceux qui ne seraient pas de son avis. Il faut encore se protéger contre sa tendance à entraver le développement — sinon à empêcher la formation — de toute individualité qui ne serait pas en harmonie avec ses mœurs et à façonner tous les caractères sur un modèle préétabli. Il existe une limite à l'ingérence légitime de l'opinion collective dans l'indépendance individuelle : trouver cette limite — et la défendre contre tout empiétement éventuel — est tout aussi indispensable à la bonne marche des affaires humaines que se protéger contre le despotisme politique. »STUART Mill, John, De la liberté,Gallimard, Folio, 1990, pages 66 – 67.

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Texte : Paternalisme de l’Etat…Dans certaines de ces sociétés, on continue de stigmatiser ou de pénaliser le suicide assisté même lorsqu'il est réclamé de façon insistante par des malades incurables, l'usage des drogues même lorsqu'elles sont dites «douces», les échanges sadomasochistes même lorsqu'ils sont le fait d'adultes consentants, les grossesses pour autrui même sans compensations financières, la prostitution quelles que soient les conditions dans lesquelles elle est exercée, etc.Bref, la liberté de faire ce qu'on veut de sa propre vie du moment qu'on ne nuit pas à autrui y est toujours fortement contestée, tantôt au nom de la «dignité humaine» tantôt au nom de la «nature humaine».Pour qualifier ces interventions répressives de l'État (la pénalisation) et ces ingérences plus informelles de chacun et de tout le monde (la stigmatisation), on peut parler de « police morale » à la façon imagée de Mill, mais aussi, ce qui revient au même en un certain sens, de «paternalisme moral».

Ogien, Ruwen, L’éthique aujourd’hui, Gallimard, Folio, 2007, pp.195-196.

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