La pièce de rechange automobile

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AVERTISSEMENT Ce document est le fruit d'un long travail approuvé par le jury de soutenance et mis à disposition de l'ensemble de la communauté universitaire élargie. Il est soumis à la propriété intellectuelle de l'auteur. Ceci implique une obligation de citation et de référencement lors de l’utilisation de ce document. D'autre part, toute contrefaçon, plagiat, reproduction illicite encourt une poursuite pénale. Contact : [email protected] LIENS Code de la Propriété Intellectuelle. articles L 122. 4 Code de la Propriété Intellectuelle. articles L 335.2- L 335.10 http://www.cfcopies.com/V2/leg/leg_droi.php http://www.culture.gouv.fr/culture/infos-pratiques/droits/protection.htm

Transcript of La pièce de rechange automobile

  • AVERTISSEMENT

    Ce document est le fruit d'un long travail approuv par le jury de soutenance et mis disposition de l'ensemble de la communaut universitaire largie. Il est soumis la proprit intellectuelle de l'auteur. Ceci implique une obligation de citation et de rfrencement lors de lutilisation de ce document. D'autre part, toute contrefaon, plagiat, reproduction illicite encourt une poursuite pnale. Contact : [email protected]

    LIENS Code de la Proprit Intellectuelle. articles L 122. 4 Code de la Proprit Intellectuelle. articles L 335.2- L 335.10 http://www.cfcopies.com/V2/leg/leg_droi.php http://www.culture.gouv.fr/culture/infos-pratiques/droits/protection.htm

  • COLE DOCTORALE SCIENCES JURIDIQUES, POLITIQUES, CONOMIQUES ET DE GESTION

    Thse en vue de lobtention du grade de Docteur en droit

    (Doctorat nouveau rgime Droit priv)

    La pice de rechange automobile

    prsente et soutenue publiquement le 28 novembre 2012

    par Lise GUILLEMIN

    Membres du jury :

    Mme Joanna SCHMIDTSZALEWSKI, Professeur mrite lUniversit de Strasbourg

    Rapporteur

    Mme Emmanuelle CLAUDEL, Professeur lUniversit Paris Ouest Nanterre La Dfense

    Rapporteur

    M. Bertrand WARUSFEL, Professeur lUniversit Lille 2

    M. Julien PNIN, Professeur lUniversit de Strasbourg

    M. Thierry LAMBERT, Professeur lUniversit de Lorraine, Directeur de thse

  • III

    La facult nentend donner ni approbation ni improbation aux opinions mises dans cette

    thse ; celles-ci doivent tre considres comme propres leur auteur.

  • V

    Remerciements

    Je tiens prsenter mes plus sincres remerciements mon directeur de thse,

    M. le Professeur Thierry Lambert, pour la confiance quil a su maccorder, ses nombreux

    conseils ainsi que ses inpuisables encouragements.

    Je remercie aussi les membres du jury pour avoir accept de lire les lignes qui vont suivre

    et plus particulirement Mme le Professeur Emmanuelle CLAUDEL et Mme le Professeur

    Joanna SCHMIDTSZALEWSKI pour avoir accept den tre les rapporteurs.

    Ma gratitude sadresse galement M. le Doyen Olivier Cachard, pour mavoir entrane

    sur la voie de la recherche, ainsi qu Mme le Professeur Annette Ganzer, avec qui les

    affres de lenseignement furent finalement aussi agrables quenrichissants.

    Je tiens galement remercier M. Khalid Zarrougui, journaliste lAutomobile Magazine,

    pour lintrt quil a su porter mon sujet ainsi que pour les nombreuses rencontres quil

    ma permis de faire.

    Je tiens aussi remercier ma famille et mes amis, notamment ma mre et mon frre pour

    leur soutien sans faille et leur aide constante.

    Enfin, mes remerciements vont Mathieu, pour sa patience dabord et son affection

    surtout.

  • VII

    Abrviations

    ACEA Association des constructeurs europens dautomobiles

    act. Actualit

    ADERPI Association pour le dveloppement de l'enseignement et de la recherche en matire de proprit intellectuelle

    ADPIC Aspects des droits de proprit intellectuelle qui touchent au commerce (Accord ADPIC)

    AFEC Association franaise dtude de la concurrence

    Ann. propr. indus Annales de la proprit industrielle

    art. Article

    BOPI Bulletin officiel de la proprit industrielle

    Bull. Bulletin

    Bull. civ. Bulletin civil

    Bull. crim. Bulletin criminel

    C. civ Code civil

    C. com Code de commerce

    c/ Contre

    CA Cour dappel

    Cah. dr. entr. Cahiers de droit de lentreprise

    Cah. dr. eur. Cahiers de droit europen

    Cass. civ. Cour de cassation, chambre civile

    Cass. com. Cour de cassation, chambre commerciale

    Cass. crim. Cour de cassation, chambre criminelle

    Cass. req. Cour de cassation, chambre des requtes

    CCFA Comit des constructeurs franais dautomobiles

    CCE Revue communication commerce lectronique

    CDF Charte des droits fondamentaux

    CE Conseil dtat

  • VIII

    CEDH Convention europenne des droits de lhomme

    CES Comit conomique et social

    CESE Comit conomique et social europen

    CGI Code gnral des impts

    Ch. Chambre

    Ch. Mixte. Cour de cassation, chambre mixte

    chron. Chronique

    CJCE Cour de justice des Communauts europennes

    CJUE Cour de justice de lUnion europenne

    CNPA Conseil national des professions de lautomobile

    comm. Commentaires

    Cons. Conc. Conseil de la concurrence ou Autorit de la concurrence

    Cons. Const. Conseil constitutionnel

    Contrats, conc., cons. Revue contrats, concurrence, consommation

    CPI Code de la proprit intellectuelle

    CREDA Centre de recherche sur le droit des affaires

    CUERPI Centre universitaire d'enseignement et de recherche sur la proprit industrielle

    CUP Convention dunion de Paris

    D. Recueil Dalloz

    Dalloz actu. Dalloz actualit

    DGCCRF Direction gnrale de la concurrence, de la consommation et de la rpression des fraudes

    dir. Direction

    Dr. et patri. Revue droit et patrimoine, Lamy

    ECAR European Campaign for the Freedom of the Automotive Parts and Repair Market

    fasc. Fascicule

    FEDA Fdration des syndicats de la distribution automobile

    FIEV Fdration des industries des quipements pour vhicules

    FIGIEFA Fdration internationale des grossistes importateurs et exportateurs en fournitures automobiles

  • IX

    GAJUE Les grands arrts de la jurisprudence de lUnion europenne

    GAPI Les grands arrts de la proprit intellectuelle

    GATT General Agreement on Tariffs and Trade

    Gaz. pal. Gazette du palais

    IAM Independant Aftermarket

    Ibid. Ibidem, au mme endroit

    i. e. Id est, cest--dire

    in Dans

    infra Ci-dessous

    INPI Institut national de la proprit industrielle

    INSEE Institut national de la statistique et des tudes conomiques

    IRPI Institut de recherche en proprit intellectuelle

    JCl Jurisclasseur

    JCP E Semaine juridique dition entreprise et affaire

    JCP G Semaine juridique dition gnrale

    JDI Journal du droit international, Clunet

    JO Journal officiel

    JOCE Journal officiel des Communauts europennes

    JOUE Journal officiel de lUnion europenne

    LD Lignes directrices gnrales

    LDS Lignes directrices supplmentaires

    LEDC Lessentiel - droit des contrats

    LGDJ Librairie gnrale de droit et de jurisprudence

    LPA Les petites affiches

    Mds Milliards

    MRA Mcanicien rparateur automobile

    n Numro

    OEB Office europen des brevets

    OEM Original Equipment Manufacturer

    OES Original Equipment Supplier

    OHMI Office dharmonisation du march intrieur

  • X

    OMC Organisation mondiale du commerce

    OMPI Organisation mondiale de la proprit intellectuelle

    op. cit. Opere citato, dans luvre dj cite

    OPI Observatoire de la proprit intellectuelle

    p. Page(s)

    PFA Plateforme de la filire automobile

    PI Proprit intellectuelle

    prat. Fiche pratique

    Propr. indus. Revue proprit industrielle

    PUF Presses universitaires de France

    RAE Revue des affaires europennes

    RCDIP Revue critique de droit international priv

    RDAI/IBLJ Revue de droit des affaires international / International Business Law Journal

    RDC Revue des contrats

    RDUE Revue du droit de lUnion europenne

    REC Rglement dexemption catgorielle gnral

    Rec. Recueil

    Rec. CJCE Recueil de la Cour de justice des Communauts europennes

    RECSA Rglement dexemption catgorielle pour le secteur automobile

    rp. Rpertoire

    rp. com. Rpertoire de droit commercial

    RIDA Revue internationale de droit dauteur

    RIDE Revue internationale de droit conomique

    RIPIA Revue internationale de la proprit industrielle et artistique

    RJC Revue de jurisprudence commerciale

    RJDA Revue de jurisprudence de droit des affaires

    RLC Revue Lamy de la concurrence

    RLDA Revue Lamy droit des affaires

    RLDI Revue Lamy droit de limmatriel

    RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil, Dalloz

  • XI

    RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial, Dalloz

    RTD eur. Revue trimestrielle de droit europen, Dalloz

    S. Recueil Sirey

    Sect. Section

    SESSI Service des tudes et des statistiques industrielles

    somm. Sommaire

    SRA Scurit et rparation automobiles

    suiv. Suivant

    supra Ci-dessus

    TCE Trait instituant la Communaut europenne conomique

    TFUE Trait sur le fonctionnement de lUnion europenne

    TGI Tribunal de grande instance

    TPI Tribunal de premire instance des Communauts europennes

    TUE Trait sur lUnion europenne

    vol. Volume

  • XIII

    Sommaire

    Abrviations VII

    Sommaire XIII

    Introduction gnrale 1

    Partie I. Une concurrence renforce 19

    Titre I. Le march de la pice de rechange automobile 25

    Chapitre 1. Une concurrence insuffisante sur le march de laprs-vente automobile 29

    Chapitre 2. La pice de rechange automobile 101

    Titre II. Le renforcement de la concurrence 135

    Chapitre 1. Le renforcement par la rorganisation des rseaux 139

    Chapitre 2. Le renforcement par la libration des acteurs 195

    Partie II. Une proprit intellectuelle limite 249

    Titre I. La limitation progressive des droits de proprit intellectuelle 255

    Chapitre 1. La protection au titre des droit de proprit intellectuelle 259

    Chapitre 2. La difficile conciliation avec les principes communautaires 303

    Titre II. Vers la disparition des droits de proprit intellectuelle 351

    Chapitre 1. Lventualit dune disparation du droit des dessins et modles 355

    Chapitre 2. Linluctable volution des droits de proprit intellectuelle nationaux 403

    Conclusion 457

    Bibliographie 461

    Textes internationaux et nationaux 490

    Table des matires 501

  • Introduction gnrale

    1

    Introduction gnrale

    Au vingtime sicle, il y aura une nation extraordinaire. Cette

    nation sera grande, ce qui ne lempchera pas dtre libre. Elle sera

    illustre, riche, pensante, pacifique, cordiale au reste de lhumanit.

    Elle aura la gravit douce dune ane. []

    Elle sera plus que nation, elle sera civilisation ; elle sera mieux que

    civilisation, elle sera famille. Unit de langue, unit de monnaie,

    unit de mtre, unit de mridien, unit de code []

    Cette nation [] sappellera lEurope. Elle sappellera lEurope au

    vingtime sicle, et, aux sicles suivants, plus transfigure encore,

    elle sappellera lHumanit.

    LHumanit, nation dfinitive, est ds prsent entrevue par les

    penseurs, ces contemplateurs des pnombres ; mais ce quoi assiste

    le dix-neuvime sicle, cest la formation de lEurope.

    Victor Hugo, Introduction au Paris-guide de lexposition universelle de 1869, Librairie internationale, 1867, Chapitre I LAvenir .

  • Introduction gnrale

    2

    1. En visionnaire, Victor Hugo avait prvu la formation dune vritable nation

    europenne ; il ne se sera finalement mpris que sur le temps que demanderait une telle

    entreprise. Car, nul ne peut en douter, lEurope, qute aussi bien dteste quadore, est

    bien l. Aprs un chantier de plus de 50 ans, le vingt-et-unime sicle voit enfin sa

    naissance et sa concrtisation avec la conscration de lUnion europenne par le trait

    de Lisbonne1.

    2. Cette volution tait tout particulirement attendue car ncessaire pour faire face

    aux volutions structurelles et conomiques des Communauts2. Cette rforme vient

    notamment renforcer les pouvoirs et les attributions de lUnion europenne et simplifier

    son fonctionnement ainsi que les prises de dcisions au niveau communautaire et mondial.

    3. Bien que fondamentales pour le droit communautaire institutionnel, ces volutions

    ne suffisent pas pour faire progresser la construction europenne. Il est ainsi ncessaire

    dtablir des objectifs prcis et adapts chaque problme afin de guider laction des

    autorits communautaires comme nationales dans un but commun : le rapprochement

    toujours plus grand des tats membres3. Ces objectifs ont su voluer en fonction des

    besoins de lUnion4 tout en gardant un lien avec le grand dessein qui avait motiv lessor

    communautaire. Lobjectif fondamental de lUnion europenne est alors la ralisation du

    1 Trait de Lisbonne modifiant le trait sur lUnion europenne et le trait instituant la Communaut europenne, sign le 13 dcembre 2007, entr en vigueur le 1er dcembre 2009, JOUE C 306/1, 17 dcembre 2007 ; Trait sur lUnion europenne (TUE), JOUE n C 83/13, 30 mars 2010, art. premier : Par le prsent trait, les HAUTES PARTIES CONTRACTANTES instituent entre elles une UNION EUROPENNE [] Le prsent trait marque une nouvelle tape dans le processus crant une union sans cesse plus troite entre les peuples de l'Europe, dans laquelle les dcisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d'ouverture et le plus prs possible des citoyens. [] LUnion se substitue et succde la Communaut europenne . Comme le rappelle C. Nourrissat, il sagit bien dune vritable fusion cration autour dune nouvelle Union europenne : Droit des affaires de lUnion europenne, Dalloz, Hypercours, 3e dition, 2010, point 5. 2 La question de la gestion des diffrents largissements europens simpose comme une question essentielle depuis la chute du mur de Berlin et lintgration du Royaume-Uni au sein des Communauts et na cess de crotre avec le nombre des tats membres. Chaque largissement tait lobjet dune adaptation succincte des textes et des autorits, mais navait jamais conduit une vritable refonte du systme institutionnel. Pourtant, une Europe 27 ne pouvait indfiniment continuer de fonctionner sur un systme originairement tablit pour 6 pays. 3 Ainsi que le prcisait dj le trait instituant la Communaut conomique europenne (TCE), du 25 mars 1957, version consolide, JOCE C 325/33, 24 dcembre 2002, les tats membres se dclarent dtermins tablir les fondements dune union sans cesse plus troite entre les peuples europens , prambule du trait. 4 Par souci de simplicit, les termes Union ou Union europenne seront utiliss dans la suite de ltude pour dsigner lentit europenne dans sa globalit, peu important alors la priode de rfrence en cause.

  • Introduction gnrale

    3

    march intrieur 5. Il ne sagit plus dun simple rapprochement conomique des tats

    europens mais de la cration dun espace commun juridique, politique mais aussi social.

    4. Cest prcisment la recherche de ce march intrieur ainsi que les mthodes

    employes par les autorits communautaires pour atteindre cet objectif qui seront traites

    ici. Ainsi, partant du principe que le march intrieur doit se raliser en Europe plus ou moins long terme, ltude s'attachera rechercher et identifier les freins persistants la

    ralisation du march et les moyens dy remdier6. Pour ce faire, lanalyse se placera au

    sein du march spcifique de la pice de rechange automobile. Le choix de ce march se

    justifie parfaitement pour deux raisons. Tout dabord il sagit l dun march

    conomiquement et socialement dterminant en Europe comme en France7. Ensuite, et

    prcisment parce quil sagit dun march dterminant, ce secteur a fait lobjet dune

    attention toute particulire de la part des autorits communautaires et ce depuis plus de 25

    ans8.

    5. Il sera ainsi effectu une premire prsentation de la construction europenne et de

    ses grandes tapes avant denvisager plus prcisment les objectifs actuels de lUnion

    europenne. Il conviendra alors de donner une premire vision du march de la pice de

    rechange automobile et de mettre en lumire ses spcificits en droit de la concurrence

    comme en droit de la proprit intellectuelle.

    La construction europenne

    6. Comme lexpliquait trs juste titre Robert Schuman, lun des pres fondateurs de

    lUnion europenne, l'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction

    d'ensemble : elle se fera par des ralisations concrtes crant d'abord une solidarit de

    5 Notion que nous dtaillerons plus avant dans cette introduction ; voir infra, 13 et suiv. 6 La thse aura alors une vision trs communautariste des diffrents domaines juridiques tudis. Ainsi, ltude partira de lide que le droit, dans son ensemble, doit tre regard comme un instrument au service de la ralisation du march intrieur et non comme une fin en soi. Par consquent, si les objectifs du droit communautaire lexigent, les concepts juridiques, et plus particulirement les conceptions nationales, devront admettre les volutions, adaptations ou modifications ncessaires au bon fonctionnement de lUnion. Cette approche sinsre dans linterprtation tlologique donne aux traits par les autorits communautaires. Il conviendra alors sans cesse dvaluer et dinterprter les textes en fonction de leurs finalits. 7 Voir sur ce point, infra, 25 et 26. 8 Voir sur ce point, infra, 27 et suiv.

  • Introduction gnrale

    4

    fait 9/10. La construction europenne se voit ainsi jalonne par les traits successifs depuis

    la cration de la Communaut europenne du charbon et de lacier (CECA) au sortir de la

    guerre jusqu la cration de lUnion europenne par lentre en vigueur du trait de

    Lisbonne11.

    Les fondations de lEurope

    7. Bien loin des considrations conomiques et politiques actuelles, cest dabord la

    recherche de la paix qui a amorc le rapprochement des tats12. La premire tape ft alors

    celle de la cration de la Communaut du charbon et de lacier13/14. Sur une proposition de

    Jean Monnet, la France et lAllemagne acceptaient alors de mettre lintgralit de leurs

    productions de charbon et dacier en commun, sous lgide dune Haute Autorit

    commune. Ainsi, comme le prcisait Robert Schuman, la mise en commun des

    productions de charbon et d'acier assurera immdiatement l'tablissement de bases

    communes de dveloppement conomique, premire tape de la Fdration europenne, et

    changera le destin de ces rgions longtemps voues la fabrication des armes de guerre

    dont elles ont t les plus constantes victimes [] Ainsi sera ralise simplement et

    rapidement la fusion d'intrts indispensable l'tablissement d'une communaut 9 Dclaration Schuman, du 9 mai 1950, disponible sur le site europa : http://europa.eu/about-eu/basic-information/symbols/europe-day/schuman-declaration/index_fr.htm. 10 Plutt que de lancer de vastes projets aux contours imprcis et regroupant des partenaires trop disparates, il importe au contraire de crer des solidarits de fait , dans des domaines concrets, donc conomiques ou techniques [ce qui] aboutira de manire inluctable une union conomique d'ensemble, qui elle-mme ne manquera pas de gnrer une union politique prenant la forme d'un super-tat fdral, lequel constitue l'objectif ultime de la construction europenne. Les principes fondamentaux de progressivit et d'effet d'entranement se trouvent donc au cur du message originel si ce n'est la politique des petits pas , C. Blumann, Communaut europenne du charbon et de lacier, rp. communautaire Dalloz, 1992. 11 Voir pour une prsentation historique, conomique et sociologique de la construction europenne : P. Gerbet, La construction europenne, Armand Colin, U, 4e dition, 2007. 12 J. Monnet, Mmoires, Fayard, 1976, p. 353 : Lessentiel se trouvait dans les cent quatre lignes maintenant rdiges auxquelles les jours napportaient plus que des changements mineurs, et mieux encore dans ces cinq lignes : Par la mise en commun de productions de base et linstitution dune Haute Autorit nouvelle, dont les dcisions lieront la France, lAllemagne et les pays qui y adhreront, cette proposition ralisera les premires assises concrtes dune fdration europenne indispensable la prservation de la paix. Je demandai que ce passage ft soulign parce quil dcrivait la fois la mthode, les moyens et lobjectif dsormais indissociables. Le dernier mot tait le matre mot : la paix. , mis en exergue par nous. 13 Trait instituant la Communaut europenne du charbon et de lacier (CECA), sign Paris le 18 avril 1951, entr en vigueur le 23 juillet 1952, non publi au journal officiel. Le trait CECA tait prvu pour une dure de 50 ans, il est donc logiquement arriv expiration le 23 juillet 2002. Depuis lexpiration du texte, les marchs du charbon et de lacier sont rgls par les textes gnraux relatifs aux communauts europennes puis lUnion europenne. Voir sur ce point, C. Blumann, Communaut europenne du charbon et de lacier, op. cit., point 9 mis jour. 14 Voir notamment pour une prsentation du trait : R. Kovar, Le pouvoir rglementaire de la CECA, LGDJ, 1964 ; R. Prieur, La Communaut europenne du charbon et de l'acier, Montchrestien, 1962 ; P. Reuter, La Communaut europenne du charbon et de lacier, LGDJ, 1953.

  • Introduction gnrale

    5

    conomique qui introduit le ferment d'une communaut plus large et plus profonde entre

    des pays longtemps opposs par des divisions sanglantes 15.

    Certes, il ne sagissait alors que dune coopration limite et sectorielle mais il sagissait

    dun premier pas : les premires assises concrtes d'une Fdration europenne

    indispensable la prservation de la paix 16. Le chantier de la construction

    communautaire fut alors celui de la deuxime moiti du XXe sicle. Les traits se sont ainsi

    succds pour faire face aux largissements successifs de lUnion comme la demande

    toujours plus prononce dune intgration europenne.

    Lintgration communautaire

    8. Si le trait CECA posait les fondations de la construction europenne, cest le trait

    CEE, ou trait de Rome17/18, de 1957 qui constitua incontestablement lacte crateur de

    laventure europenne 19. Le trait pose alors les bases de lintgration communautaire20.

    Contrairement aux traits CECA et CEEA qui proposaient une approche sectorielle de la

    construction europenne, le trait CEE avait pour ambition la cration dun march

    conomique commun tous les tats membres21, dune union douanire et de politiques

    15 Dclaration Schuman, prcit. 16 Ibid. 17 Les deux traits de Rome font suite lchec de la CED, la Communaut europenne de dfense, qui visait la cration dune arme europenne place sous la directe supervision de lOTAN. Suite au refus de la France de ratifier le trait, les membres de la CECA, runis lors de la confrence de Messine, dcident de relancer le projet europen sous deux angles : le dveloppement de lnergie atomique et la cration dun march conomique commun. Le trait instituant la Communaut europenne de lnergie atomique (CEEA), aussi appel trait Euratom, 25 mars 1957, JO 17/309, 19 mars 1959. Le trait a alors pour objectif la mise en commun des ressources et des connaissances sur lnergie atomique. Lindustrie nuclaire reprsentant des cots trop importants lchelle des pays europens, cette mise en commun devait permettre lEurope de dvelopper ce secteur sans se laisser distancer par les tats-Unis ou la Russie. Et, sign en parallle, le trait instituant la Communaut conomique europenne (TCE), prcit. 18 Voir notamment pour une prsentation du trait : V. Constantinesco, J.P. Jacqu, R. Kovar et D. Simon (sous la dir. de), Trait instituant la CEE, Commentaire article par article, Economica, 1992. 19 C. Gavalda et G. Parleani, Droit des affaires de lUnion europenne, Litec, Manuel, 6e dition, 2010, point 7. 20 Les bases poses dans le TCE ont par la suite t reprises et compltes dans les diffrentes traits communautaires : Trait de fusion, 8 avril 1965, JO 152/, 13 juillet 1967 ; Trait modifiant certaines dispositions budgtaires, 22 avril 1970, JO L 2/, 2 janvier 1971 ; Trait modifiant certaines dispositions financires, 22 juillet 1975, JO L 359/, 31 dcembre 1977 ; Acte unique europen, 28 fvrier 1986, JOCE L 169/1, 29 juin 1987 ; Trait sur lUnion europenne ou trait de Maastricht, 7 fvrier 1992, JOCE C 191/1, 29 juillet 1992 ; Trait dAmsterdam, 2 octobre 1997, JOCE C 340/1, 10 novembre 1997 ; Trait de Nice, 26 fvrier 2001, JOCE C 80/1, 10 mars 2001 ; Trait de Lisbonne, prcit. 21 TCE, prcit, art. 2 : La Communaut a pour mission, par ltablissement dun march commun et par le rapprochement progressif des politiques conomiques des tats membres, de promouvoir un dveloppement harmonieux des activits conomiques dans lensemble de la Communaut, une expansion continue et

  • Introduction gnrale

    6

    communes22. Lintgration est alors en premier lieu conomique mais repose galement sur

    une intgration juridique et, dans une moindre porte, sur une intgration politique23.

    LUnion europenne

    9. Le vingt-et-unime sicle voit se poursuivre la construction europenne avec la

    conscration de lUnion europenne. On pourrait alors regretter quil ne sagisse toujours

    que dune Autorit supranationale et non dune nation fdrant les tats europens

    comme lesprait Hugo. La constitutionnalisation de lEurope sest en effet solde par un

    chec suite au refus de ratification du trait tablissant une Constitution pour lEurope24 par

    la France et les Pays-Bas. Lvolution des textes ntant cependant plus une simple option

    pour les tats membres, cet chec fut immdiatement suivi par de nouvelles ngociations,

    dbouchant sur la rdaction dun texte nouveau : le trait de Lisbonne. Malgr son

    appellation de simple trait modificatif , le trait de Lisbonne vient enfin adapter les

    textes communautaires une Union 27 tats membres et renforce la position de lautorit

    communautaire en Europe comme dans le monde25. Ainsi, si la forme en est diffrente, le

    contenu du trait est sensiblement identique celui du TECE26. Le texte cre ainsi

    lUnion europenne , entit supranationale dote dune personnalit juridique propre27.

    quilibre, une stabilit accrue, un relvement acclr du niveau de vie, et des relations plus troites entre les tats quelle runit. ; C. Nourrissat, Droit des affaires de lUnion europenne, op. cit., point 13 : le trait CEE souhaitait rien moins quembrasser lensemble des relation conomiques qui peuvent se nouer entre les oprateurs des tats membres . 22 TCE, prcit, art. 3. 23 C. Gavalda et G. Parleani, Droit des affaires de lUnion europenne, op. cit., point 9 : il y avait partout prsente lide que la construction europenne progresserait mieux si lon partait de lconomique pour aller vers le politique, que si on faisait linverse . 24 Trait tablissant une Constitution pour lEurope (TECE), aussi appel trait de Rome II, sign le 29 octobre 2004, non ratifi, JOUE C 310/1, 16 dcembre 2004. Voir notamment : B. Mathieu et M. Verpeaux, Une Constitution pour quelle Europe ?. Brves rflexions loccasion dun anniversaire, JCP G 2007/12, act. 128. 25 Voir notamment pour une prsentation du trait : B. Angel et F. Chaltiel-terral, Quelle Europe aprs le trait de Lisbonne ?, LGDJ, 2008 ; E. De Poncins, Le trait de Lisbonne en vingt-sept cls, Lignes de repres, 2011 ; F-X. Priollaud et D. Siritzky, Le trait de Lisbonne : texte et commentaire article par article des nouveaux traits europens (TUE-TFUE), La Documentation franaise, 2008 ; J-L. Sauron, Comprendre le trait de Lisbonne : texte consolid intgral des traits, explications et commentaires, Gualino, 2007 ; J. Ziller (sous la dir. de), L'Union europenne : dition trait de Lisbonne, La Documentation franaise, Les notices, 2008 et Les nouveaux traits europens : Lisbonne et aprs, Montchrestien, Cls Politique, 2008 ; J-P. Jacqu, Le trait de Lisbonne Une vue cavalire, RDT eur. 2008/3, p. 439 ; F. Picod, Le nouveau cadre institutionnel de l'Union europenne, JCP G 2010/14, n 400. 26 En ce sens : M. Dony, Aprs la rforme de Lisbonne : les nouveaux traits europens, dition de luniversit de Bruxelles, I.E.E., 2008, point 33 : Dans tous les cas, la modification est de pure forme, mais hautement symbolique. Lobjectif est clair : il sagit de bien marquer que les traits nauront aucun caractre constitutionnel, pour permettre aux gouvernements qui le peuvent de procder leur ratification

  • Introduction gnrale

    7

    10. Comme lexpliquait J-M. Barroso, prsident de la Commission europenne, le

    projet europen est bien plus qu'un projet de dimension conomique. Il repose sur des

    valeurs de paix, de libert, de justice et de solidarit, et doit avoir pour objet de faire

    avancer l'Europe des citoyens. L'Union europenne offre ses citoyens des droits, une

    protection et des opportunits sur le march, mais galement au-del. Elle permet

    galement de rapprocher les peuples, de tirer parti de la diversit culturelle de l'Europe

    pour en faire un puissant canal de communication. Les principes de libre circulation et

    d'galit de traitement des citoyens de l'UE doivent se traduire concrtement dans la vie

    quotidienne de chacun 28.

    11. Ainsi, mme si le volet conomique reste le plus dvelopp en Europe, le droit

    communautaire a su se teinter dune dimension sociale et politique. LEurope se veut ds

    lors une Europe des droits et des valeurs, de la libert, de la solidarit et de la scurit,

    qui promeut les valeurs de l'Union, intgre la Charte des droits fondamentaux29 dans le

    droit europen primaire, prvoit de nouveaux mcanismes de solidarit et garantit une

    meilleure protection des citoyens europens 30. On est alors bien loin des prmisses

    esquisses par les premiers traits de la moiti du XXe sicle.

    12. Le citoyen mais aussi le consommateur europen doit ainsi tre plac au cur du

    projet europen31. Il conviendra alors de sattacher, pour chaque tape du raisonnement,

    sans passer par un rfrendum, alors mme que le contenu des deux traits modifis ne diffrera que peu de celui de la Constitution. ; F. Picod, Trait de Lisbonne, JCl Europe trait, fasc. 10, points 3 et 2 : Aprs rflexion et laboration de plusieurs scnarios [], il a t dcid d'laborer un nouveau trait qui prserverait les principales avances dcoulant du trait constitutionnel tout en occultant les rfrences explicites la nature constitutionnelle de l'Union et les principaux lments qui pouvaient conduire introduire le doute dans un esprit clair sur la vritable nature de l'Union europenne . Ainsi, loin de constituer un "mini-trait" comme certains l'avaient prmaturment et erronment qualifi, le trait de Lisbonne est un trait modificatif d'envergure qui ne compte pas moins de 325 pages comprenant des dispositions nouvelles, des dispositions modificatives, 37 protocoles et 65 dclarations . 27 TUE, prcit, art. 47. 28 Orientations politiques pour la prochaine Commission, le 3 septembre 2009, Discours du Prsident de la Commission, J-M. Barroso, p. 3 ; disponible sur le site europa : http://ec.europa.eu/commission_2010-2014/president/pdf/press_20090903_fr.pdf. 29 Charte des droits fondamentaux de lUnion europenne, CDF, 7 dcembre 2000, JOUE C 303/1, 14 dcembre 2007 : Consciente de son patrimoine spirituel et moral, l'Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignit humaine, de libert, d'galit et de solidarit ; elle repose sur le principe de la dmocratie et le principe de l'tat de droit. Elle place la personne au cur de son action en instituant la citoyennet de l'Union et en crant un espace de libert, de scurit et de justice , prambule. 30 Le trait de Lisbonne, Le trait en bref, disponible sur le site europa : http://europa.eu/lisbon_treaty/glance/index_fr.htm. 31 Dclaration du Prsident de la Commission, J-M. Barroso, disponible sur le site europa : http://ec.europa.eu/commission_2010-2014/president/about/political/index_fr.htm. L'Europe est confronte des choix difficiles dans le monde interdpendant d'aujourd'hui. Soit nous cooprons pour tre en mesure de relever les dfis, soit notre action perdra sa pertinence. Je redoublerai d'efforts pour uvrer l'avnement d'une Europe ambitieuse : une Europe qui place les citoyens au cur

  • Introduction gnrale

    8

    vrifier que les avances du droit communautaire se rpercutent effectivement sur le

    consommateur final. Cette approche doit notamment permettre dvaluer limpact des

    politiques communautaires sur laboutissement des objectifs de lUnion europenne et

    notamment la ralisation du march intrieur.

    La ralisation du march intrieur32

    13. Au long de la construction europenne, lobjectif communautaire sest dessin,

    affin ; il sest vu confirm par le trait de Lisbonne et la cration de lUnion europenne.

    LEurope est ainsi fonde sur lintgration progressive des marchs nationaux au sein du

    march intrieur . Comme le rappelle M. Barroso, le march unique est le roc sur

    lequel est btie la croissance europenne 33.

    14. Cette intgration repose sur deux grands piliers34 que sont les principes de libre

    circulation et de libre concurrence. La ralisation du march intrieur exige la cration

    dun espace unique et homogne au sein de lEurope ; un espace dnu de frontire ou de

    barrire entre les tats membres. Cet espace commandait la ralisation dune union

    douanire35. Celle-ci supposait non seulement la suppression totale de toutes les

    de son projet stratgique et s'emploie faire rayonner les valeurs et les intrts europens dans le monde, une Europe qui favorise le dveloppement de nouvelles sources de croissance et fait progresser une rglementation intelligente en vue de marchs sains au service des citoyens, une Europe, enfin, de la libert et de la solidarit. , mis en exergue par nous. 32 TUE, prcit, art. 3 3 : L'Union tablit un march intrieur. Elle uvre pour le dveloppement durable de l'Europe fond sur une croissance conomique quilibre et sur la stabilit des prix, une conomie sociale de march hautement comptitive, qui tend au plein emploi et au progrs social, et un niveau lev de protection et d'amlioration de la qualit de l'environnement. Elle promeut le progrs scientifique et technique. . Il sagit dailleurs de la finalit premire du trait selon la Cour de justice : les finalits du trait [] parmi lesquelles figure, en premier lieu, l'tablissement dun march commun [qui] vise l'limination de toutes les entraves aux changes intracommunautaires en vue de la fusion des marchs nationaux dans un march unique ralisant des conditions aussi proches que possible de celles d'un vritable march intrieur , CJCE, 5 mai 1982, Gaston Schul Douane Expediteur BV c/ Inspecteur des droits d'importation et des accises, de Roosendaal, Rec. CJCE 1982, p. 1409. 33 Orientations politiques pour la prochaine Commission, prcit, p. 33. Le prsident de la Commission ajoute, p. 4, que la stratgie pour l EU 2020 doit reposer sur notre attachement des marchs ouverts et sains. Elle se fonde, en interne, sur la dfense acharne du march intrieur et des rgles de concurrence et relatives aux aides d'tat, qui instaurent des conditions quitables garantissant accs et dbouchs pour tous, indpendamment de la taille ou de la puissance de chacun savoir les consommateurs et les PME. Sur le plan externe, elle repose sur le rejet de toute forme de protectionnisme conomique, tout en dfendant fermement et sans navet les intrts europens , mis en exergue par nous. 34 J. Stuyck, Libre circulation et concurrence : les deux piliers du march commun, in Mlanges en lhonneur de Michel Waelbroeck, Bruylant, tude de droit europen et international, vol. II, 1999. 35 Quil ne faut pas confondre avec la zone de libre change dans la quelle les tats membres conservent leur autonomie et leurs spcificits dans leurs rapports avec les pays tiers.

  • Introduction gnrale

    9

    restrictions, tarifaires ou non, aux changes entre les tats membres mais aussi la cration

    dune politique commerciale europenne et dun tarif douanier commun applicable

    lentre des marchandises originaires des pays tiers. Cette exigence est lorigine de la

    cration des 4 grandes liberts de circulation : la libre circulation des personnes, la libre

    circulation des capitaux, la libre circulation des services et bien sr la libre circulation des

    marchandises. La ralisation du march intrieur suppose galement ltablissement dune

    conomie de march ouverte o la concurrence est libre.

    La libre circulation des marchandises

    15. Le march intrieur comporte un espace sans frontires intrieures dans lequel

    la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est

    assure selon les dispositions des traits 36. Parmi ces quatre grandes liberts, la libre

    circulation des marchandises sest depuis toujours vu reconnatre une position dcisive de

    la part des textes communautaires37 et de la jurisprudence38.

    16. Le principe de libre circulation des marchandises procde de lide dune galit

    de traitement entre tous les produits quelle que soit leur origine au sein de lUnion. Ainsi,

    une marchandise lgalement fabrique et commercialise en France doit pouvoir circuler

    dans tout lespace communautaire. Il faut alors dcloisonner le march et interdire toutes

    les entraves la fluidit des changes intracommunautaires. Pour parvenir cet objectif, le

    droit communautaire a dgag deux moyens daction complmentaires : le rapprochement

    des lgislations nationales39 et la suppression des obstacles aux frontires40. Le

    rapprochement des lgislations doit permettre la cration dun espace unique et homogne

    en Europe ; les disparits nationales doivent alors seffacer devant lharmonisation

    communautaire. La suppression des obstacles suppose quant elle linterdiction de toutes

    les barrires tarifaires ou techniques. En ce sens, le texte prvoit, la charge des tats, la

    suppression progressive des entraves existantes et linterdiction den dicter de nouvelles. 36 Trait sur le fonctionnement de lUnion europenne (TFUE), JOUE n C 115/47, 9 mai 2008, art. 26 2. 37 Parmi les politiques et actions internes de lUnion, la libre circulation se voit traite en premier lieu et fait lobjet dun titre complet au sein du trait : TFUE, prcit, troisime partie, titre II, art. 28 37. Limportance de la matire se voyait dj reconnue dans le TCE qui lui consacrait le titre premier des fondements de la Communauts (divis en deux chapitres : lunion douanire et llimination des restrictions quantitatives entre les tats membres). 38 CJCE, 14 dcembre 1962, Commission c/ Grand-Duch de Luxembourg et Royaume de Belgique, affaire du pain dpices , Rec. CJCE 1962, p. 813. 39 TFUE, prcit, art. 114 118. 40 Ibid., art. 34 37.

  • Introduction gnrale

    10

    17. Reste cependant la possibilit pour les tats dinvoquer une srie dexceptions la

    libre circulation des marchandises, la plus significative tant la protection de la proprit

    intellectuelle. Sorganise alors larticulation des deux principes sous la forme dune

    balance des intrts en cause, le soutien de lun supposant le dlaissement de lautre. Le

    droit communautaire, droit pragmatique par excellence, verra ainsi la balance sincliner

    dun cot ou de lautre en fonction des objectifs raliser.

    La libre concurrence

    18. Aux fins nonces l'article 3 du trait sur l'Union europenne, l'action des tats

    membres et de l'Union comporte, dans les conditions prvues par les traits, l'instauration

    d'une politique conomique fonde sur l'troite coordination des politiques conomiques

    des tats membres, sur le march intrieur et sur la dfinition d'objectifs communs, et

    conduite conformment au respect du principe d'une conomie de march ouverte o la

    concurrence est libre 41.

    19. Aujourdhui, la libre concurrence est un principe autonome fond sur une vision

    pragmatique et conomique du march42 : la libre concurrence est le fondement de

    lconomie de march 43. Ainsi, selon les termes de la Commission elle-mme, la

    concurrence est le meilleur stimulant de lactivit conomique en garantissant ses

    participants la libert daction la plus large possible. Une politique active de concurrence

    [...] facilite ladaptation continue des structures de la demande et de loffre lvolution

    des techniques ; par le jeu des mcanismes dcentraliss de dcision, elle permet

    dobtenir, des entreprises, une efficacit sans cesse amliore qui est la condition de base

    pour lamlioration constante des niveaux de vie [...] Elle tend assurer la meilleure

    utilisation possible des facteurs de production pour le plus grand profit de lconomie

    41 Ibid., art. 119 1, mis en exergue par nous. De plus, lUnion se voit reconnatre la comptence exclusive relative l'tablissement des rgles de concurrence ncessaires au fonctionnement du march intrieur , Ibid., art. 3 1. b. 42 Ainsi que lexplique M. Dony, on est surtout dans le domaine de la symbolique : la concurrence non fausse nest plus place au mme niveau que des objectifs gnraux comme le dveloppement durable ou la cohsion conomique, sociale et territoriale ; elle napparat plus comme un objectif ou une fin en soi mais comme un moyen ncessaire au bon fonctionnement du march intrieur : Aprs la rforme de Lisbonne : les nouveaux traits europens, op. cit., point 34. 43 A. et G. Decocq, Droit de la concurrence, droit interne et droit de lUnion europenne, LGDJ, Manuel, 4e dition, 2010, point 5.

  • Introduction gnrale

    11

    dans son ensemble, et en particulier dans lintrt des consommateurs 44. Par consquent,

    il ne faut pas permettre aux acteurs de recloisonner le march intrieur ou den entraver la

    ralisation45. Le droit communautaire de la concurrence prvoit ainsi la condamnation des

    comportements anti-concurrentiels qui maneraient des entreprises ou les favoriseraient

    dune quelconque manire. Se voient alors interdits les ententes46, les abus de position

    dominante47 et les concentrations48 dune part, ainsi que les aides dtat49 dautre part.

    20. Cependant, en Europe50, contrairement au droit amricain51, le principe de libre

    concurrence na jamais t vritablement considr comme une fin en soi mais plutt

    comme un moyen de parvenir un meilleur dveloppement conomique52. Ainsi, le droit

    communautaire applique, ici aussi, une conception pragmatique ou empirique du principe.

    La libre concurrence est perue comme tant a priori le meilleur systme pour lconomie

    mais il ne sagit que dune prsomption simple qui peut tre renverse si les lments

    44 Commission, Rapport sur la politique de concurrence, 1972, cit par R. Kovar et S. Poillot-Perruzeto, Politique de concurrence, rp. communautaire Dalloz, 2005, point 2. 45 En ce sens : R. Kovar et S. Poillot-Perruzeto, Politique de concurrence op. cit., points 14 et suiv. 46 TFUE, prcit, art. 101 : sont incompatibles avec le march intrieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes dcisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertes, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre tats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence l'intrieur du march intrieur . 47 Ibid., art. 102 : est incompatible avec le march intrieur et interdit, dans la mesure o le commerce entre tats membres est susceptible d'en tre affect, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de faon abusive une position dominante sur le march intrieur ou dans une partie substantielle de celui-ci . 48 Rglement (CE) n 139/2004 du Conseil , du 20 janvier 2004, relatif au contrle des concentrations entre entreprises, JOUE L 24/1, 29 janvier 2004 ; Rglement (CE) n 802/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, concernant la mise en uvre du rglement (CE) n 139/2004 du Conseil relatif au contrle des concentrations entre entreprises, JOUE L 133/1, 30 avril 2004 ; Rglement (CE) n 1033/2008 de la Commission, du 20 octobre 2008, modifiant le rglement (CE) n 802/2004 concernant la mise en uvre du rglement (CE) n 139/2004 du Conseil relatif au contrle des concentrations entre entreprises, JOUE L 279/3, 22 octobre 2008 ; Communication de la Commission, concernant le rglement (CE) n 139/2004 du Conseil relatif au contrle des oprations de concentration entre entreprises, JOUE C 95/1, 16 avril 2008 ; Communication de la Commission, Communication consolide sur la comptence de la Commission en vertu du rglement (CE) n 139/2004 du Conseil relatif au contrle des oprations de concentration entre entreprises, JOUE C 43/10, 21 fvrier 2009. 49 TFUE, prcit, art. 107 : sauf drogations prvues par les traits, sont incompatibles avec le march intrieur, dans la mesure o elles affectent les changes entre tats membres, les aides accordes par les tats ou au moyen de ressources d'tat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions . 50 Voir pour une prsentation des origines du droit de la concurrence en Europe et, dans une moindre mesure, aux tats-Unis : G. Marenco, La notion de restriction de concurrence dans le cadre de linterdiction des ententes, in Mlanges en lhonneur de Michel Waelbroeck, op. cit. ; R. Kovar et S. Poillot-Perruzeto, Politique de concurrence, op. cit., points 28 et suiv. 51 Sherman Act (1880) et Clayton Act (1914). 52 La concurrence est davantage un instrument quune fin en soi. Elle est mise au service de la ralisation de lune des finalits majeures du Trait lintgration des marchs ce qui permet den souligner tout la fois limportance et la relativit : F. Riem, Concurrence effective ou concurrence efficace ? L'ordre concurrentiel en trompe-lil, RIDE 2008/1, p. 67.

  • Introduction gnrale

    12

    de fait dmontrent que les restrictions de concurrence sont en ralit bnfiques pour

    lconomie53/54.

    21. Cette approche est particulirement bien illustre par le droit des ententes. Larticle

    101 du TFUE repose sur un raisonnement en 3 phases. Le paragraphe 1 pose le principe de

    linterdiction des ententes et en donne une dfinition, le paragraphe 2 prcise la sanction

    encourue par les entreprises et le paragraphe 3 pose une exception : lexemption

    individuelle aussi appele bilan conomique 55. Lexemption pose alors le principe

    dune balance entre les effets anti-concurrentiels de la pratique et les gains defficience

    conomique qui peuvent en rsulter. Le raisonnement est alors simple : si le bilan est

    ngatif, lentente sera interdite, sil est positif, elle sera rachete.

    22. Par extension de ce principe, la Commission europenne sest vu reconnatre le

    pouvoir daccorder des exemptions catgorielles aux pratiques ayant dmontr leurs

    apports pro-concurrentiels sur le march56. Lide tait alors de consentir une prsomption

    de licit des catgories daccords dans des textes communautaires spcifiques.

    Lexemption de plein droit est alors accorde si lentente entre dans le champ dapplication

    du texte et en respecte les conditions.

    23. Lvolution de ces exemptions catgorielles est alors fonction des objectifs de

    lUnion europenne. Ainsi, les secteurs concerns ou les conditions exiges se

    53 En ce sens : A. et G. Decocq, Droit de la concurrence, op. cit., point 6. Voir galement : R. Kovar et S. Poillot-Perruzeto, Politique de concurrence, op. cit., points 23 et suiv. : La politique communautaire de concurrence et les rgles qui en sont lexpression procdent dune conception relativise de la concurrence et point 56 : La confiance dans les vertus de la concurrence, mais aussi le refus de la sacraliser est une constante . 54 La finalit des rgles de concurrence est de promouvoir une meilleure allocation des ressources et, par l, la baisse des prix pour les consommateurs. Il serait absurde de frapper par les rgles de la concurrence des phnomnes tendant accrotre la production et, ds lors, faire baisser les prix. Si tel tait le cas, il y aurait lieu de croire que la rgle de concurrence est mal interprte. : G. Marenco, La notion de restriction de concurrence dans le cadre de linterdiction des ententes, op. cit. 55 TFUE, prcit, art. 101 3 : Toutefois, les dispositions du paragraphe 1 peuvent tre dclares inapplicables : tout accord ou catgorie d'accords entre entreprises, toute dcision ou catgorie de dcisions d'associations d'entreprises et toute pratique concerte ou catgorie de pratiques concertes qui contribuent amliorer la production ou la distribution des produits ou promouvoir le progrs technique ou conomique, tout en rservant aux utilisateurs une partie quitable du profit qui en rsulte, et sans : a) imposer aux entreprises intresses des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs, b) donner des entreprises la possibilit, pour une partie substantielle des produits en cause, d'liminer la concurrence. . 56 Rglement (CEE) n 19/65, du Conseil, du 2 mars 1965, concernant l'application de l'article 85 paragraphe 3 du trait des catgories d'accords et de pratiques concertes, JOCE 36/533, 6 mars 1965.

  • Introduction gnrale

    13

    transformeront de manire sadapter la pratique des marchs en cause et tendre vers la

    ralisation du march intrieur. Cette observation est dailleurs particulirement notable au

    sein de certains secteurs et notamment sur le march automobile.

    Le march de la pice de rechange automobile

    24. De par son importance tant conomique que socitale, le march automobile sest

    vu reconnatre un traitement spcifique de la part du droit communautaire depuis plus de

    25 ans. Cette spcificit se retrouve en droit de la concurrence mais aussi dans

    larticulation particulire des principes de libre circulation et de protection de la proprit

    intellectuelle.

    Importance conomique et stratgique du secteur57

    25. Le secteur automobile est dterminant pour lconomie franaise mais aussi

    europenne. Pris dans sa forme la plus simple, ce secteur regroupe le march de la vente de

    vhicules neufs, le march primaire, et celui de la rparation automobile58, le march

    secondaire. Il gnre alors plus de 500 Mds deuros de chiffre daffaires et reprsente plus

    de 2,4 millions de salaris uniquement en Europe59. Le secteur automobile ne sarrte

    cependant pas la vente et la rparation des vhicules. En effet, une approche plus large

    de la matire nous permet de voir les liens, directs ou indirects, du secteur avec bons

    nombres dactivits60. Au total, lindustrie automobile reprsenterait plus de 2,3 millions

    demplois en France, soit un peu plus de 9 % de la population active61.

    26. Au sein du secteur automobile, le march de laprs-vente gnre plus de 84 Mds

    deuros de chiffre daffaires en Europe, dont 44 Mds uniquement pour le march de la

    57 Voir pour tude dtaille de limportance conomique et socitale du secteur, infra, 98 et suiv. 58 Runissant le march de la prestation de service et celui de la fourniture de pices de rechange automobiles. 59 Le portail de lindustrie, Espace thmatique, Secteurs industriels, Automobile, chiffres cls ; disponible sur le site : http://www.industrie.gouv.fr/enjeux/auto/auto-ccles.php. CCFA, Lindustrie automobile franaise Analyse et statistiques, dition 2011, p. 2 et 21, selon des chiffres de 2008. 60 Production et vente des matires premires, gestion des infrastructures, carburant, auto-cole, transport de marchandises ou de personnes, etc. 61 CCFA, Lindustrie automobile franaise Analyse et statistiques, prcit, p. 54.

  • Introduction gnrale

    14

    pice de rechange automobile62. Le march de la pice est alors fondamental pour le

    consommateur qui dpense autant, si ce nest plus, dans la rparation et lentretien de son

    vhicule que lors de lachat initial de celui-ci63. La question est dailleurs dautant plus

    importante que le march subit des hausses de prix rgulires tant sur la prestation de

    service que sur les pices de rechange64. Cest alors prcisment pour tenter denrayer ces

    hausses de prix que le droit communautaire a choisi dencadrer juridiquement le march.

    Spcificit juridique du secteur

    27. Le choix du march de la pice de rechange automobile sexplique galement par

    les spcificits juridiques du secteur. Ainsi, le march sest vu reconnatre suffisamment

    dimportance pour justifier dune surveillance et dun encadrement particuliers de la part

    des autorits communautaires.

    En droit de la concurrence

    28. Depuis plus de 25 ans, le secteur automobile se voit trait part des autres secteurs

    conomiques par le droit de la concurrence communautaire. Ainsi, persuade que le

    march ncessitait une approche et un encadrement particuliers, la Commission

    europenne a dict une exemption catgorielle spcifique au secteur : le rglement

    n 123/8565. Le texte regroupait alors tous les domaines de la distribution automobile, de la

    vente de vhicules neufs celle des pices de rechange.

    29. Cependant, dans sa poursuite de la ralisation du march intrieur, lapproche de la

    Commission sest peu peu diffrencie en fonction des avances pro- ou anti-

    concurrentielles de chacun des secteurs. Aprs la mise en exergue du secteur automobile,

    ce fut au tour du march de laprs-vente automobile, et plus particulirement du march 62 FEDA, La distribution en France, Dossiers, 2010 ; ECAR, The position of ECAR, The spare parts issue, 2006/2007. 63 Autorit de la concurrence, consultation publique, Comment dynamiser la concurrence dans le secteur de laprs-vente automobile ? , instruction de la dcision n 11-SOA-01 du 30 juin 2011, disponible sur le site : http://www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/consultation_automobiles.pdf, point 10. Selon lAutorit de la concurrence, les cots induits par le secteur entretien-rparation et pices reprsenteraient 37 % du budget total li lautomobile contre seulement 24 % pour lachat du vhicule lui-mme. 64 Autorit de la concurrence, consultation publique, Comment dynamiser la concurrence dans le secteur de laprs-vente automobile ? , prcit, points 48 et suiv. 65 Rglement (CEE) n 123/85 de la Commission, du 12 dcembre 1984, concernant l'application de l'article 85 (ancien), paragraphe 3, du trait CEE des catgories d'accords de distribution et de service de vente et d'aprs-vente de vhicules automobiles, JOCE L 15/16, 18 janvier 1985.

  • Introduction gnrale

    15

    de la pice de rechange automobile, dtre mis en vidence en raison de son manque de

    concurrence66.

    30. Les textes se sont alors succds, multipliant les tentatives et les mthodes dans un

    but clairement affich par la Commission europenne : permettre de renforcer la

    concurrence sur le march en incitant les acteurs conomiques modifier leur comportement. Ltude de ces textes communautaires ainsi que des rgimes qui leur ont

    succds nous donne alors une image prcise et fidle du raisonnement communautaire en

    droit de la concurrence et prouve encore une fois le caractre pragmatique voire

    tlologique de la mthode employe par la Commission.

    Et en droit de la proprit intellectuelle

    31. Traditionnellement, les pices de rechange automobiles sont protges par

    diffrents droits de proprit intellectuelle tels que le droit des brevets ou le droit des

    marques. Parmi ces pices de rechange automobiles, certaines sont dites visibles et

    bnficient, en France, dun cumul de protection au titre du droit des dessins et modles et

    du droit dauteur. Ces droits assurent en principe un monopole de droit au titulaire du titre,

    en rgle gnrale, le constructeur automobile. Ce monopole, bien que contraire au principe

    de libre circulation des marchandises, est admis en droit communautaire afin de

    rcompenser les efforts et les investissements consentis par le titulaire. Il sagit de la

    manifestation du principe de conciliation de la libre circulation des marchandises et de la

    proprit intellectuelle.

    32. Sur le march de la pice de rechange automobile, les droits de brevet ou de

    marque ne posent pas de rels problmes ; en effet, leur application nempche pas le

    secteur de rester concurrenc. La solution est cependant radicalement diffrente sur le

    march des pices visibles aussi appeles pices captives . Sur ce march, deux

    principaux obstacles empchent toujours la ralisation du march intrieur. Tout dabord, il

    existe en la matire une certaine rsistance des tats membres face la construction

    europenne. Ainsi, il nexiste pour le moment aucune harmonisation communautaire sur la

    question de la protection de ces pices ; chaque tat applique une norme diffrente et vient

    de ce fait recloisonner le march. Ensuite, le monopole reconnu aux constructeurs

    66 Voir en ce sens : T. Lambert, La pice de rechange automobile, JCP E 2010/46, n 1985, point 1.

  • Introduction gnrale

    16

    automobiles apparat trop tendu : dun monopole de droit on en arrive au constat dun

    monopole de fait en faveur des titulaires du titre. Cette pratique vient automatiquement

    fausser le jeu de la balance communautaire et justifie de tendre vers une limitation

    progressive de la protection des pices de rechange. Ltude svertuera alors valuer les

    moyens dj employs et en proposer de nouveaux.

    33. Il nest cependant pas question de supprimer lintgralit des prrogatives ou

    avantages reconnus aux constructeurs automobiles mais de revenir un quilibre plus juste

    dans lapplication des principes communautaires. Dailleurs, il est noter que la limitation

    des droits de proprit intellectuelle na pas vocation toucher les droits de brevet ou de

    marque concernant pourtant une trs grande majorit de pices. Par consquent, mme

    dpossd dune partie de ses prrogatives, le constructeur automobile conserverait un

    monopole de droit sur ses inventions comme sur son image de marque.

    Les enjeux

    34. Ltude a deux ambitions distinctes mais complmentaires. Il sagit, dabord, de

    produire une analyse prcise et aussi exhaustive que possible du march de la pice de

    rechange automobile de manire identifier les derniers freins la ralisation du march

    intrieur et dy proposer les remdes adapts. Ltude sera alors loccasion danalyser le

    raisonnement et la mthode de travail des autorits communautaires et plus

    particulirement de la Commission europenne. Le raisonnement cherchera ainsi mettre

    en lumire les pivots du droit communautaire pouvant permettre la ralisation du march

    intrieur.

    35. Cette approche conduit une tude du march de la pice de rechange automobile

    en deux temps. Ltude portera en premier lieu sur le renforcement de la concurrence sur le

    march automobile secondaire en fonction de lvolution du droit communautaire des

    ententes (Partie I. Une concurrence renforce). Aprs avoir dmontr limportance

    conomique comme socitale du march, il sera question dvaluer limpact de lancien

    rgime comme les consquences attendues des nouveaux textes sur le march. Ltude

    sintressera, en second lieu, la question de la protection des pices de rechange

    automobiles visibles au titre de la proprit intellectuelle (Partie II. Une proprit

    intellectuelle limite). Nous tcherons ainsi de dmontrer limportance des droits de

  • Introduction gnrale

    17

    proprit intellectuelle au sein du secteur ainsi que leur impact ngatif sur la ralisation du

    march intrieur. Le problme ntant toujours pas rsolu en droit communautaire ou

    national, lanalyse sefforcera alors de proposer diffrentes solutions pour atteindre les

    objectifs communautaires.

    Partie I. Une concurrence renforce

    Partie II. Une proprit intellectuelle limite

  • 19

    Partie I. Une concurrence renforce

  • I. Une concurrence renforce

    21

    36. Les institutions europennes ont cherch instaurer une logique de libre

    concurrence entre les entreprises de la Communaut, et ce en raison des atouts

    considrables du systme concurrentiel. Ce systme implique la mise en place dune

    rivalit entre les acteurs conomiques, ceux-ci devant alors constamment se dmarquer

    pour que les consommateurs achtent leurs produits. Pour y arriver, ils chercheront

    innover, rduire leurs cots ou fournir des services plus attirants afin de proposer un

    produit toujours plus attractif pour le consommateur. On assiste alors une stimulation

    continue de lconomie et un accroissement du bien-tre social.

    37. Cependant ce systme ne peut exister dans un tat de non-rgulation67. En effet, la

    concurrence porte en elle-mme sa propre destruction. La concurrence tue la

    concurrence 68. Les entreprises, laisses elles-mmes, chercheraient naturellement

    faire disparatre toutes formes de concurrence de manire rduire leurs cots. Elles y

    parviendraient soit en sassociant entre elles pour former des groupes, soit en supprimant

    leurs concurrents jusqu' arriver une situation de monopole. Dans les deux cas, la perte

    de limprvisibilit et des ennemis entranerait des effets pervers. La demande tant alors

    totalement soumise une offre unique, les entreprises pourraient fixer leurs prix

    indpendamment de leurs cots au dtriment du consommateur.

    38. Pour lutter contre ces drives, lEurope a choisit dadopter une politique

    concurrentielle commune. Il sagit dun ensemble de rgles interdisant certains

    comportements nocifs aux entreprises. Cette politique a deux objectifs. Tout dabord, elle a

    pour but la prservation dintrts lgitimes tels que la protection du consommateur ou du

    petit concurrent, cette prservation tant ncessaire pour aboutir un choix de socit

    conciliant les intrts sociaux et la libralisation du march. Mais surtout, cette politique

    doit assurer la ralisation du march intrieur en interdisant aux grands groupes de se

    partager lEurope. Le droit communautaire, ayant dj tant fait pour supprimer les

    barrires riges par les tats membres, perdrait tout effet utile si lon permettait aux

    entreprises prives de segmenter le march intrieur.

    67 Sil est admis que le meilleur gagne dans son domaine dactivit, encore faut-il quil gagne sans tricher, sans fausser les mcanismes du march et sans attenter la libert des oprateurs conomiques, de quelque manire que ce soit : les rgles du jeu de la concurrence doivent tre respectes. : C. Grynfogel, Droit communautaire de la concurrence, LGDJ, Systmes, 3e dition, 2008, p. 10. 68 M. Malaurie-Vignal, Droit de la concurrence interne et europen, Sirey, Universit, 5e dition, 2011, point 1.

  • I. Une concurrence renforce

    22

    39. La politique de libre concurrence pose le principe de linterdiction des ententes

    dans larticle 101 1 du trait sur le fonctionnement de lUnion europenne69 ; ainsi :

    sont incompatibles avec le march commun et interdits tous accords entre entreprises,

    toutes dcisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertes, qui sont

    susceptibles d'affecter le commerce entre tats membres et qui ont pour objet ou pour effet

    d'empcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence l'intrieur du march

    commun . Ce principe a t dot de leffet direct par la Cour de justice des Communauts

    europennes (CJCE)70. En consquence, trois formes dententes sont prohibes, dont les

    contrats entre entreprises, ce qui comprend naturellement les contrats de distribution, de

    licence et de franchise. Or, le secteur automobile est caractris par le fait que chaque

    constructeur possde son propre rseau de concessionnaires grce un ensemble daccords

    de distribution ; ce secteur est donc directement concern par cette interdiction de principe.

    Partant, si cette interdiction venait tre applicable aux constructeurs automobiles, tous les

    accords, ainsi que les rseaux de distribution qui en dcoulent, seraient entachs dune

    nullit de plein droit71.

    40. Toutefois ds 1957, les tats fondateurs ont eu conscience quune entente pouvait

    la fois fausser la concurrence et tre bnfique pour lconomie communautaire72. Cest

    pourquoi ils ont confi une autorit la mission de racheter ces ententes. La Commission

    Europenne a reu le pouvoir dexempter individuellement ou par catgorie les bonnes

    ententes. Au dpart, seul le systme de lexemption individuelle tait possible

    puisquaucun rglement dexemption catgorielle nexistait. Chaque entente devait tre

    notifie au pralable la Commission afin dtablir son bilan conomique. Pour pouvoir

    tre exempte, lentente devait produire des gains defficacit, c'est--dire amener un

    avantage conomique objectif dont la ralit tait strictement tablie. Bien entendu, cest

    sur les entreprises que pesait la charge de la preuve. Par consquent, celles-ci devaient

    69 TFUE, prcit, art. 101 (ancien art. 81 du TCE, prcit). 70 CJCE, 06 avril 1962, De Geus en Uitdenbogerd / Bosch e.a., 13/61, Rec. CJCE 1962, p. 89. Sur larrt : A. Franon, Une premire interprtation de l'article 85 du trait de Rome par la Cour des Communauts europennes ( propos de l'arrt Bosch du 6 avril 1962), JDI 1963, p. 390 ; Y. Loussouarn, Droit international du commerce et March Commun, RTD com. 1962, p. 529 ; M. Waelbroeck, Le problme de la validit des ententes conomiques dans le droit priv du march commun, RCDIP 1962 p. 415. 71 TFUE, prcit, art. 101 2. 72 M. Malaurie-Vignal, Logique conomique et logique juridique, Contrats, conc., cons. 2005/11, tude 20 : La richesse du droit de la concurrence est dintgrer deux logiques diffrentes, la logique conomique rigoureuse mais implacable et la logique juridique flexible, pour reprendre la pense de Jean Carbonnier, cherchant un quilibre entre des intrts divers et souvent contradictoires .

  • I. Une concurrence renforce

    23

    toujours attendre laval de la Commission sans jamais tre sres que leur projet

    naboutisse.

    41. Pour assurer une plus grande scurit juridique aux entreprises, la Commission a

    commenc tablir diffrents rglements dexemption catgorielle pour des catgories

    daccords dont la pratique avait montr le caractre bnfique pour lconomie. Ces

    rglements fixant eux-mmes leur champ dapplication, les entreprises navaient plus alors

    qu vrifier si leur accord entrait dans ce champ dapplication et se conformer aux rgles

    nonces par le texte pour obtenir lexemption.

    42. Traditionnellement, les accords verticaux73 ont toujours t considrs comme

    moins nocifs pour la concurrence que les accords horizontaux74/75. Selon le considrant 8 du

    rglement n 1400/200276, ces accords produisent en gnral des avantages objectifs de

    nature et de taille compenser leurs inconvnients sur le plan de la concurrence . En

    effet, mme sils viennent attnuer la concurrence, les cocontractants ne se situent pas au

    mme niveau de la chane de production, ils restent donc soumis la concurrence des

    autres entreprises de mme niveau.

    43. Sur ce point, le march automobile, et plus prcisment le march de laprs-vente,

    connat un traitement tout fait particulier en droit communautaire de la concurrence. Le

    secteur automobile est, en effet, le seul secteur pouvant se prvaloir dun rglement

    dexemption particulier, et ce depuis le rglement n 123/85 du 12 dcembre 198477. Cet

    amnagement du droit commun de la concurrence sexplique tout dabord par le caractre

    unique du produit, lautomobile tant certainement le produit le plus encadr juridiquement

    en Europe. Il sexplique aussi en raison de la ncessaire prise en compte de la dpendance

    conomique du distributeur face son fournisseur, le constructeur automobile se trouvant

    en position de force face aux quipementiers comme aux rparateurs.

    73 Les accords verticaux sont les accords conclus entre des acteurs se situant des niveaux diffrents de la chane de distribution. Il sagit par exemple de laccord entre un fournisseur et ses distributeurs. 74 Les accords horizontaux sont les accords conclus entre des acteurs conomiques directement concurrents. 75 Voir notamment les explications de L. et J. Vogel, Droit de la distribution, Trait de droit conomique, Lawlex, Juriscience, 2012, points 6 et suiv. 76 Rglement (CE) n 1400/2002 de la Commission, du 31 juillet 2002, concernant lapplication de larticle 81 (ancien) 3 du trait des catgories daccords verticaux et de pratiques concertes dans le secteur automobile, JOCE L 203/30, 1er aot 2002. 77 Rglement (CEE) n 123/85, prcit.

  • I. Une concurrence renforce

    24

    44. Il convient alors de commencer par prsenter les spcificits du march de la pice

    de rechange automobile, pour tudier ensuite le renforcement de la concurrence sur ce

    march la faveur des textes communautaires.

  • I.I. Le march de la pice de rechange automobile

    25

    Titre I. Le march de la pice de rechange automobile

    45. Lautomobile sinscrit durablement dans notre histoire industrielle, quelle a

    contribu enrichir et faonner, en ce quelle est fondatrice du concept de production de

    masse et de grande consommation. Elle est partie intgrante de notre patrimoine social,

    dont certains sites en sont les tmoins, par les hommes et les femmes qui ont forg son

    histoire 78.

    46. Nul ne saurait nier limportance du secteur automobile au sein de la socit, que ce

    soit pour lconomie ou lindustrie communautaire, pour les emplois ou mme pour le

    consommateur. Or, au sein de ce secteur, le march spcifique de la pice de rechange

    automobile est loin dtre ngligeable.

    47. Le secteur automobile peut tre divis en deux marchs distincts mais

    complmentaires : le march automobile primaire et le march automobile secondaire. Le

    march primaire regroupe les activits de distribution et de vente de vhicules neufs alors

    que le march secondaire regroupe les activits de rparation et dentretien du parc

    automobile. Au sein du march secondaire, on peut encore distinguer le march de la

    prestation de service et le march spcifique de la pice de rechange automobile.

    48. Lautomobile fait dsormais partie de notre quotidien. Bien plus quun simple

    produit de consommation, elle reprsente un vritable besoin pour le citoyen europen.

    Or, le vhicule est un bien dutilisation courante. Il ne suffit donc pas de pouvoir acheter

    un vhicule, encore faut-il avoir les moyens de lentretenir et de le rparer pour pouvoir

    continuer lutiliser. Ainsi, selon lAutorit de la concurrence79, la rparation et lentretien

    reprsenteraient le premier poste des dpenses lies lautomobile pour les mnages

    78 Avis CES (Conseil conomique et social) sur Lautomobile franaise : une filire majeure en mutation , du 28 juin 2006, Rapporteur : R. Gardin, disponible sur le site : http://www.lecese.fr/travaux-publies/lautomoblie-francaise-une-filiere-majeure-en-mutation. 79 Pour des raisons de simplicit, le Conseil de la concurrence devenu Autorit de la concurrence sera, tout au long du dveloppement, dsign par le terme Autorit de la concurrence et ce, quelle que soit la date du texte prsent.

  • I.I. Le march de la pice de rechange automobile

    26

    franais80. Et, au sein de ce premier poste, la prestation et la pice se rpartiraient le march

    de manire relativement quitable81.

    49. Pourtant, un constat simpose : la concurrence est nettement insuffisante sur le

    march de laprs-vente automobile. Les consommateurs en subiraient dailleurs les effets

    de plein fouet en raison des hausses rgulires de cots non justifies. Les autorits

    nationales comme communautaires relvent ainsi une hausse constante des prix de la

    prestation et des pices ; hausse qui ne semble pas pouvoir se justifier par lespacement des

    interventions ou la complexit des vhicules, contrairement ce quinvoquent les

    constructeurs automobiles82.

    50. Selon lAutorit de la concurrence, lindice des prix rels de lentretien et de la

    rparation aurait augment de 30 % entre 2000 et 2011 en France, ce qui placerait le pays

    au 7e rang des pays de lUnion ayant connu les plus fortes augmentations de prix83. Au vu

    de ces lments, lautorit ne semble pas convaincue par les justifications apportes par les

    constructeurs et relve quune des seules explications logiques rsiderait dans une raction

    des rseaux face au dclin de la demande. Ainsi, les prix augmenteraient pour compenser

    la baisse des interventions84.

    51. Les autorits communautaires sont elles aussi arrives la mme conclusion. La

    Commission prcise ainsi que les prix des services de rparation et dentretien ainsi que

    des pices dtaches continuent daugmenter un rythme nettement suprieur

    linflation 85. Elle confirme ainsi la position dveloppe par les textes communautaires de

    droit de la concurrence relatifs au secteur de laprs-vente automobile. En effet, depuis de

    nombreuses annes, le secteur automobile a fait lobjet dune attention particulire de la

    part du droit communautaire de la concurrence. Aujourdhui, cest le march spcifique de

    laprs-vente automobile qui est plac sous surveillance86. La concurrence y serait trop

    80 Autorit de la concurrence, consultation publique, Comment dynamiser la concurrence dans le secteur de laprs-vente automobile ? , prcit, point 10 : il sagit du premier poste parmi les dpenses lies lautomobile : 37 %, devant lachat du vhicule : 24 %. 81 Ibid., point 13 : En 2010, le secteur de lentretien et de la rparation de vhicules automobiles a reprsent un chiffre daffaires de 31,2 milliards deuros HT en 2010, compos 45 % de vente de pices dtaches et 55 % de main-duvre. . 82 Ibid., points 51, 52 et 101. 83 Ibid., points 49 et 53. 84 Ibid., points 51 et 52. 85 Ententes et abus de position dominante : les prix de l'automobile n'ont baiss que faiblement en 2009, alors que les prix des rparations et de l'entretien poursuivent leur ascension malgr la crise, Communiqu, IP/10/913, 9 juillet 2010, disponible sur le site europa. 86 Voir pour une tude plus pousse : infra, 190.

  • I.I. Le march de la pice de rechange automobile

    27

    faible, et ce au dtriment du consommateur, ce qui justifierait la cration dun rgime

    juridique spcifique afin de limiter cet tat de fait.

    52. Ltude portera tout dabord sur ltat de la concurrence au sein du march de

    laprs-vente automobile et plus prcisment pour le march de la pice de rechange

    automobile, puis se penchera sur les contours juridiques de la pice de rechange

    automobile elle-mme.

  • I.I.1. Une concurrence insuffisante sur le march de laprs-vente automobile

    29

    Chapitre 1. Une concurrence insuffisante sur le march de

    laprs-vente automobile

    53. Comme pralablement voqu, la concurrence est nettement trop faible sur le

    march de laprs-vente automobile. Les acteurs conomiques, principalement les

    constructeurs et leurs rseaux, matrisent parfaitement le secteur et imposent leurs

    conditions aux consommateurs captifs. Ltude dmontrera en quoi linsuffisance de la

    concurrence et la prise de contrle de la chane de distribution par les rseaux

    constructeurs font du march automobile secondaire un march surveiller, march quil

    faut dautant plus surveiller du fait quil est conomiquement dterminant pour lUnion

    mais aussi pour les acteurs et consommateurs du secteur.

    54. Lobjectif semble alors simple : renforcer la concurrence sur le march de laprs-

    vente automobile. Cependant, si lobjectif est clair, les mthodes employer pour y

    parvenir le sont moins. Faut-il laisser le libre jeu de la concurrence se drouler sans entrave

    et sans intervention aucune de la part des autorits ou faut-il venir imposer ou interdire

    purement et simplement les comportements anti-concurrentiels sur le march ?

    55. La Commission, comme souvent, a choisi une voie des plus pragmatiques pour agir

    sur la concurrence. Elle a dfini les objectifs atteindre ainsi que les obstacles pouvant

    freiner leur ralisation et elle a offert un choix aux acteurs conomiques. Ceux-ci peuvent

    alors respecter un idal de distribution cens permettre la ralisation des objectifs, ou

    alors se soumettre un contrle de leur activit par la Commission au risque de voir leurs

    rseaux dclars invalides. Une tactique subtile laissant une apparence de choix pour les

    acteurs conomiques tout en les entranant dans la direction souhaite par la Commission

    europenne.

    56. Les objectifs dfinis par la Commission ont tous un but commun qui est de

    renforcer la concurrence sur le march en offrant un plus vaste choix au consommateur.

    Pour lAutorit de la concurrence, laction de la Commission europenne sarticule

  • I.I.1. Une concurrence insuffisante sur le march de laprs-vente automobile

    30

    autour de quatre objectifs 87 que sont le renforcement de la concurrence entre rseaux

    agrs et indpendants, le renforcement de la concurrence au sein des rseaux agrs,

    laccs aux pices de rechange automobiles et enfin la diffusion des informations

    techniques vers tous les oprateurs du secteur. Ltude les divisera en deux points :

    lassurance dun libre choix pour le consommateur et lindpendance des professionnels du

    secteur. En effet, la ralisation du march passe par la mise en concurrence des acteurs

    conomiques du march, cest--dire par la mise en place dune offre vaste et diversifie

    de prestataires de service et de produits la disposition du consommateur. Enfin, aprs

    ltude de ces diffrents objectifs, lanalyse portera sur la mthode la Commission :

    llaboration dune exemption spcifique la pice de rechange automobile.

    57. Il convient alors dexaminer en premier lieu le march de laprs-vente automobile,

    un march surveiller, avant de sintresser la mise en uvre dune concurrence efficace

    sur ce march.

    87 Autorit de la concurrence, consultation publique, Comment dynamiser la concurrence dans le secteur de laprs-vente automobile ? , prcit, point 129 ; voir aussi pour la position de la Commission : Rapport dvaluation de la Commission, du 28 mai 2008, sur lapplication du rglement (CE) n 1400/2002 concernant la distribution et les services aprs-vente dans le secteur automobile (ci-aprs nomm Rapport dvaluation sur le rglement n 1400/2002), SEC (2008) 1946, II, points D, E et F.

  • I.I.1. Une concurrence insuffisante sur le march de laprs-vente automobile

    31

    Section 1. Un march surveiller

    58. Comme ltude le montrera, le constat relatif la concurrence est particulirement

    dsolant sur le march de laprs-vente automobile. En effet, les choix offerts aux

    consommateurs ou aux professionnels du secteur sont singulirement limits une fois la

    marque du vhicule choisie. De plus, ladoption dun systme de distribution en rseaux

    accentue la faiblesse de la concurrence inter et intra marques sur le march.

    59. Comme lindiquait le Comit conomique et social europen, la production

    automobile est lune des industries cls de lUE. Elle est une force motrice pour la

    croissance, lemploi, les exportations et linnovation 88. Malheureusement,

    contrairement au march primaire, le march daval89 connat des problmes de

    concurrence. Les rseaux agrs dtiennent dimportantes parts de march [] et les

    constructeurs automobiles possdent des parts leves du march des pices de

    rechange 90.

    60. Ce constat est dautant plus dsolant que le secteur automobile, et plus

    particulirement celui de la rparation automobile, est conomiquement dterminant pour

    la socit europenne mais aussi pour les acteurs du march et ses destinataires : les

    automobilistes. En effet, toujours selon le Comit social conomique europen, le march91

    regrouperait quelque 834 700 entreprises (principalement des PME), ralisant un chiffre

    daffaires global de 1 107 milliards deuros et employant environ 4,6 millions de

    88 Avis CESE (Conseil conomique et social europen) sur Les marchs des quipements et les marchs d'aval du secteur automobile , du 16 juillet 2009, Rapporteur: M. Zhrer, CESE 1204/2009, JOUE C 317/29, 23 septembre 2009, point 1.1. 89 Ibid. : Les acteurs de ce march sont les constructeurs, leurs fournisseurs, et les oprateurs indpendants ou agrs prsents sur les marchs de lentretien automobile, des pices dtaches et des accessoires, ainsi que dans la fabrication, la distribution et le dtail. . 90 Avis CESE sur Les marchs des quipements et les marchs d'aval du secteur automobile , prcit, point 4.1. 91 Pris dans sa globalit.

  • I.I.1. Une concurrence insuffisante sur le march de laprs-vente automobile

    32

    salaris 92. En France, le secteur de laprs-vente automobile reprsente[rait] un peu

    plus de 30 milliards de chiffre daffaires au niveau de la vente au dtail 93.

    61. Il convient alors dtudier plus prcisment les lments permettant daffirmer que

    la concurrence est encore trop limite sur le march de laprs-vente automobile avant de

    voir en quoi ce march est particulirement dterminant tant pour lconomie europenne

    que pour ses acteurs.

    1. Une concurrence encore trop limite

    62. Depuis les analyses de Montesquieu94 et de Smith95, le concept de concurrence est

    devenu un des piliers du libralisme conomique sur lequel se fonde aujourdhui la

    construction europenne et le droit communautaire de la concurrence.

    63. Les objectifs de la construction europenne, autant conomiques que sociaux,

    politiques ou thiques96, ont t noncs ds le trait de Rome et la cration de la

    Communaut conomique europenne (CEE) en 1957. Bien que la politique de la

    concurrence ne soit pas encore prcise par le texte97, le principe dune concurrence non

    fausse sur le march est affich comme lun des moyens utiliser pour atteindre cette

    construction europenne98.

    64. Le modle du march concurrentiel est alors un but atteindre pour lUnion

    europenne, et nul ne saurait y droger, ni les acteurs conomiques, ni les tats membres.

    Le droit communautaire, et plus particulirement le droit de la concurrence, est alors un

    droit trs pragmatique, souvent considr comme un simple outil au service de la

    92 Avis CESE sur Les marchs des quipements et les marchs d'aval du secteur automobile , prcit, point 1.1. 93 Autorit de la concurrence, consultation publique, Comment dynamiser la concurrence dans le secteur de laprs-vente automobile ? , prcit, point 10. 94 Montesquieu, De lesprit des lois, 1758. 95 Voir : A. Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations, 1776. 96 TCE, prcit, art. 2. 97 Contrairement la politique agricole commune, la politique commerciale commune et la politique des transports. 98 TCE, prcit, art. 3 1. g.

  • I.I.1. Une concurrence insuffisante sur le march de laprs-vente automobile

    33

    ralisation du march99. Pourtant, plus quun instrument purement servile, le droit

    communautaire a su marier la pense conomique actuelle avec le respect des principes

    juridiques afin dlaborer une vritable politique de la concurrence en Europe ; et ce en

    application de la vision du premier commissaire europen charg de la concurrence, M.

    Van der Groeben : la politique de concurrence ne signifie pas le dchanement d'une

    lutte effrne de tous contre tous, mais la fixation et la ralisation de normes juridiques,

    afin de rendre possible et de prserver une concurrence pratique, et de protger les

    entreprises contre les pratiques anticoncurrentielles et dloyales. Car cette seule

    concurrence, en accroissant la prosprit et la libert, a les effets bnfiques qui fondent

    la russite conomique, sociale, et politique de l'conomie de march 100.

    65. Par application du principe de la libert du commerce et de lindustrie101, la doctrine

    a dgag deux concepts essentiels au bon fonctionnement du march : la libert

    dentreprendre102 et la libert de la concurrence103.

    66. Pourtant, au sein du secteur automobile et plus particulirement sur le march de

    laprs-vente automobile, la libre concurrence peine simposer dans les rapports entre les

    acteurs conomiques. Si, sur le march primaire, une concurrence effective se maintient, la

    concurrence inter et intra marques est clairement limite sur le march secondaire et ce en

    raison du contrle quexercent les constructeurs automobiles sur le march (A). Grce

    leurs parts de march leves, ces derniers matrisent le secteur et imposent leurs exigences

    aux autres acteurs, plus faibles conomiquement. Graduellement, ils ont su sintgrer

    chacune des tapes de la chane de distribution, ils dominent le march (B). 99 La prsente tude ne cherchera pas dterminer qui du droit ou de lconomie prdomine sur lautre. Voir, pour les dbats doctrinaux : A. Jacquemin, Le droit conomique serviteur de lconomie ?, RTD com. 1972, p. 283 ; L. Vogel, Droit de la concurrence et concentration conomique, Economica, 1988, n 10 ; D. Danet, La science juridique, servante ou matresse de la science conomique ?, RIDE 1993/1, p. 5. 100 C. Gavalda et G. Parleani, Droit des affaires de lUnion europenne, op. cit., point 398. 101 Voir, pour une reconnaissance du principe en tant que principe gnral du droit par le Conseil dtat : CE, 22 juin 1951, Daudignac, Rec. Lebon 1951, p. 362 : porter atteinte la libert de l'industrie et du commerce garantie par la loi ; CE, 13 mai 1983, socit Ren Moline, n 37030, Rec. Lebon 1983, p. 191 : et sans que puisse y faire obstacle le principe de libert du commerce et de l'industrie . 102 Voir pour une reconnaissance de la valeur constitutionnelle du principe de libert dentreprendre : Cons. Const., 16 janvier 1982, Loi de nationalisation, Dcision n 81-132 DC, que la libert qui, aux termes de l'article 4 de la Dclaration, consiste pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas autrui, ne saurait elle-mme tre prserve si des restrictions arbitraires ou abusives taient apportes la libert d'entreprendre , point 16. 103 Voir pour une apprciation du principe de libre concurrence par la jurisprudence communautaire : CJCE, 7 fvrier 1985, Procureur de la Rpublique c/ Association de dfense des brleurs d'huiles usages (ADBHU), 240/83, Rec. CJCE 1985, p. 531, point 9 : il est ra