LA PHYSIQUE D’UNE GOUTTE D’EAU

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 C’est au sein du centre de congrès de Cahors que se tenait cette huitième séance de l’Université des Lycéens, clôturant l’année scolaire 2003-2004. Trois lycé es ava ient r ép ond u présen ts : Clémen t Marot et Gaston Monnerville d e Cah ors ainsi que le Lycée J ean Lurçat de Saint-Céré. Ce sont ainsi 200 élève s de seconde et de 1re S qui pa rt icipaient à cette conférence-déb at.  Tous n o s re merciem e nts à Alain Chartie r, c onseil le r p our l’a ct ion culturelle au p rès d e l’In sp ecteur d’ Ac adémie du Lo t. LES CAHIERS DE L’UNIVERSITÉ DES L Y CÉENS 1 UN IV E R S I TÉ DES LYCÉENS LA PHYSIQUE D’UNE GOUTTE D’EAU ANCE DU 13 M AI 20 0 4  Avec Dav id Q uér é, p hysi cie n, d irecteur d e re che rch e au CNR S. Et Claudius Laburthe, ancien ingénieur d’essais Airbus (EADS) SA LLE DE CON RENCE D E L’E SPACE CLÉ MENT MAROT, CAHORS ( 46 ) PRÉFECTURE DE LA RÉGION MIDI-PYRÉNÉES www.agrobiosciences.org

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LES CAHIERS DE LUNIVERSIT DES LYCENS

LA PHYSIQUE DUNE GOUTTE DEAUSANCE DU 13 MAI 2004

Avec David Qur, physicien, directeur de recherche au CNRS. Et Claudius Laburthe, ancien ingnieur dessais Airbus (EADS)

SALLE DE CONFRENCE DE LESPACE CLMENT MAROT, CAHORS (46)Cest au sein du centre de congrs de Cahors que se tenait cette huitime sance de lUniversit des Lycens, clturant lanne scolaire 2003-2004. Trois lyces avaient rpondu prsents : Clment Marot et Gaston Monnerville de Cahors ainsi que le Lyce Jean Lurat de Saint-Cr. Ce sont ainsi 200 lves de seconde et de 1re S qui participaient cette confrence-dbat. Tous nos remerciements Alain Chartier, conseiller pour laction culturelle auprs de lInspecteur dAcadmie du Lot.

www.agrobiosciences.orgPRFECTURE DE LA RGION MIDI-PYRNES

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UNE INITIATIVE POUR SENSIBILISER LES JEUNES LA CULTURE SCIENTIFIQUELes principaux objectifs de lUniversit des Lycens sont : Inscrire les sciences, les technologies et les techniques dans la culture gnrale afin de permettre aux jeunes de se forger un esprit critique, Redonner du sens aux savoirs scientifiques en montrant les passerelles existant entre les disciplines, les relations entre la science et le contexte socio-conomique et culturel, ainsi que les liens entre les savoirs et les mtiers, Incarner la science travers lexemple du parcours de scientifiques venus la rencontre des lves pour raconter la science et dialoguer.LUNIVERSIT DES LYCENS

UNE EXPRIENCE PILOTE EN MIDI-PYRNES POUR METTRE LA SCIENCE EN CULTUREEn France et en Europe, la rgression des effectifs tudiants dans certaines filires scientifiques proccupe les pouvoirs publics. Ce phnomne pose moyen terme le problme du renouvellement des cadres scientifiques et techniques, des enseignants et des chercheurs. De plus, le dsintrt des jeunes lgard de la science risque de nuire au dbat dmocratique sur les choix dorientation de la recherche et de ses applications. La revalorisation de la place de la science dans la cit est dailleurs lune des priorits du Ministre de la Jeunesse, de lducation et de la Recherche.

UNE QUESTION, UNE DISCIPLINE, UNE TRAJECTOIRE La dcouverte dune discipline scientifique : chaque sance, anime par lquipe de la MAA, fait intervenir un chercheur, le confrencier principal, qui explore un champ scientifique travers sa trajectoire individuelle, mais aussi travers lhistoire collective de sa discipline : les grands enjeux, les questionnements, les perspectives. La confrontation des approches et linterdisciplinarit : en contrepoint du confrencier principal, un intervenant de discipline ou de secteur professionnel autres apporte son point de vue et ragit aux propos du chercheur. Un dialogue avec les lycens : lissue de ces exposs, une heure est consacre au dbat entre les lycens et les intervenants.

UN ACCOMPAGNEMENT PDAGOGIQUE DES CLASSES Ldition dun dossier prparatoire permet aux enseignants de prparer le dbat en amont : listes des ressources documentaires, biographies des intervenants, principaux points de repres sur les sujets La diffusion du contenu des sances est assure par la mise en ligne sur les sites de la MAA www.agrobiosciences.org et de ses partenaires, ainsi que par la diffusion dun document crit.

LA CONNAISSANCE ET LA CULTURE SCIENTIFIQUE AU CUR DES RAPPORTS ENTRE LA SCIENCE ET LA SOCITLa Mission dAnimation des Agrobiosciences (MAA), cre dans le cadre du Contrat de Plan tat-Rgion Midi-Pyrnes 2000-2006, a pour vocation, au plan rgional et national, de favoriser linformation, les changes et le dbat entre la science et la socit. Elle est linitiative de lUniversit des Lycens : une srie de rencontres visant rapprocher les chercheurs, les professionnels, les lycens et leurs enseignants. Cette dmarche destine aux lycens de Midi-Pyrnes, en 2003-2004, devrait terme tre transpose dans dautres rgions de France, voire dEurope.

UNE VALUATION DES SANCESLa mise en place et la validation dun protocole dvaluation sont assures par des chercheurs de lquipe de recherche en didactique des sciences, lcole Nationale de Formation Agronomique, auprs des lycens : recueil de leurs ractions, apprhension des volutions de leur opinion et de leur appropriation des connaissances.

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LE SUJET

LA PHYSIQUE DUNE GOUTTE DEAU NI VENTRUE, NI POINTUENon, la goutte deau nest pas telle que nous la dessinons, de la forme des larmes. Toute ronde, elle lutte mme pour rester sphrique quoi quil arrive, dans un nuage ou ailleurs. Une forme quexpliquent des forces tonnantes et qui a des consquences essentielles sur le comportement des gouttes, lorsquelles tombent sur la surface de vos lunettes ou sur le pare-brise des voitures.

RISQUES DE GIVRAGELenjeu de ces recherches prend encore une importance tout autre lorsquil sagit dviter aux avions de salourdir de centaines de kilos de glace, qui cassent antennes ou moteurs. Sans oublier une simple pluie qui, criblant lavion lanc 500 km/heure, assourdit le pilote et dcape la peinture aussi efficacement quun karcher

JAMAIS PLUS DE 3 MILLIMTRESPourquoi les gouttes ne seraient-elles pas normes ? Impossible : sur Terre, elles ne dpassent jamais 3 millimtres de rayon. Au-del, elles explosent L encore, des raisons trs physiques expliquent ce phnomne, auquel chappent, en revanche, les grlons. Heureusement : vu la frquence des pluies violentes, moins rares que les averses de grle, les dgts provoqus seraient considrables

LA MORT DES ESSUIE-GLACES ?La goutte frappant une vitre ou imbibant un matriau nous amne au cur de la matire. Pouvons-nous tirer de ces observations des applications qui rvolutionneraient la vie de tous les jours ? Par exemple, des parebrise qui pourraient se passer dessuie-glaces, des btons hydrophobes ou des verres de lunettes qui ne pourraient plus sembuer

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DAVID QURCe jeune physicien est directeur de recherches au CNRS. Il travaille au Laboratoire de physique de la matire condense du Collge de France. Professeur Charg de Cours en Physique lcole Polytechnique, il est galement conseiller scientifique chez Saint-Gobain, un groupe industriel spcialis notamment dans la fabrication du verre. Ses recherches exprimentales portent sur lhydrodynamique et la physico-chimie des surfaces (gouttes, bulles, films, morphogense, impacts). Il est lauteur dune centaine darticles, de deux livres (Gouttes, bulles, perles et ondes en 2002 avec Franoise Brochard-Wyart et Pierre-Gilles de Gennes et Quest-ce quune goutte deau ? aux Petites Pommes du Savoir, 2003), ainsi que de plus de 200 communications sur ces sujets.

LA CONFRENCE

LES TRANGES PROPRITS DUNE GOUTTE DEAUBlottie dans le nuage, chutant dans lair ou tombant sur votre pare-brise, la goutte deau na pas forcment les comportements auxquels on sattend. Dote de proprits tonnantes, sa forme, sa taille, sa faon de scouler ou de saccrocher mobilisent les chercheurs pour mieux comprendre la faon dont elle nat et dont elle voyage, mais aussi pour inventer les matriaux de demain, capables de repousser totalement leau. Explications pleines de rebondissements avec David Qur.LE PTROLE ET LA MACHINE LAVERLa branche scientifique dans laquelle je travaille, et qui est un domaine o la France est trs en pointe, a pour nom la physique de la matire molle. Elle est ne partir de proccupations concrtes et une date trs rcente : 1973. Cette anne l, nous tions plongs dans la premire grande crise ptrolire et de nombreux pays se sont soudain mus du fait que lorsquon extrayait le ptrole, environ la moiti du gisement restait sous terre. Une grande socit ptrolire, Exxon, a alors dcid de lancer un programme de recherches pour rcuprer ces ressources enfouies, jusque-l ngliges. Une petite exprience permet de comprendre le problme. Prenons un petit tube, remplissons-le dhuile et soufflons de lair dedans : cest lquivalent dune roche remplie de ptrole et de la manire dont on procde pour lextraire, en appuyant avec de lair. Eh bien, on a beau souffler trs fort, on constate quil reste toujours peu prs la moiti du liquide dans le tube. On peut alors tenter den comprendre les raisons en faisant de la mcanique des fluides. Mais Exxon a opt pour une dmarche tout fait diffrente. Cette socit est partie du principe quil existait un autre procd efficace que nous connaissons tous pour extraire lhuile dun milieu poreux, cest la machine laver ! En effet, si je mets un pull tach de matire grasse dans la machine laver, il en ressortira tout propre. Leau savonneuse a russi faire cette chose tout fait extraordinaire quon tente dobtenir dans lindustrie ptrolire. Exxon sest donc intress lanalyse et la comprhension de la dtergence : leau savonneuse, comment a marche ? Et pourrait-on essayer dextraire le ptrole avec cette mthode ? Une science est ne ainsi, au croisement de la mcanique des fluides, de la physique et de la chimie ; mais aussi au croisement de la physique applique rsoudre des problmes trs concrets tels que lextraction du ptrole et de la physique fondamentale, puisqu partir du moment o je me demande Comment marche une eau savonneuse ? , je me pose des questions de comprhension. Trente ans plus tard, ces questions ont permis non seulement de rcuprer plus de ptrole mais ont galement dbouch sur de nombreuses inventions qui ntaient pas du tout prvues au dpart, par exemple la mise au point de nouvelles familles de produits cosmtiques. Cest l lune des particularits de cette science, toujours vraie aujourdhui : on passe sans arrt de problmes trs pratiques des questions fondamentales ; non seulement on cherche des solutions, mais on fait avancer aussi la connaissance.

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COMME LES PINGOUINS SUR LA BANQUISELe sujet dont je vais vous parler aujourdhui est caractristique de ce va-et-vient. Une goutte deau est un petit objet familier, visible lil nu, mais qui pose un certain nombre de questions. Curieusement, certaines dentre elles peuvent rester sans rponse, mme si elles sont trs simples. Dautres relvent de mathmatiques assez pousses. Et quelques-unes, enfin, sont des questions pratiques qui dbouchent sur des innovations technologiques. La premire chose qui caractrise une goutte deau et qui va se rvler trs importante pour nous, cest quelle dfinit une frontire entre leau intrieure la goutte et lair extrieur. Imaginez cette frontire comme un trait. Sous ce trait, qui reprsente la surface, il y a le liquide. Et au-dessus du trait, lair. Sur cette surface, va se jouer quelque chose de trs particulier. Quest-ce quun liquide ? Cest quelque chose de lourd - quand on ramne six litres deau du supermarch, on a bien conscience de cela. Et lorsque la bouteille est vide, elle est nettement plus lgre. Car lair dans la bouteille pse 1 000 fois moins que leau. Si leau est si lourde, cest parce que les molcules qui la composent, et cest vrai pour tous les liquides et les solides, sont trs proches les unes des autres. Elles sattirent rciproquement. Cest ce phnomne qui donne sa cohsion aux liquides et aux solides. Du coup, on comprend que les molcules qui sont la frontire avec lair, sont plus malheureuses que celles qui se trouvent au milieu du volume deau, puisquelles cherchent se mettre en contact avec leurs semblables, mais y parviennent moins bien. Ceci va engendrer une force, pour que la frontire soit la plus petite possible, de faon limiter le nombre de molcules peuplant la surface. Or quelle est la surface la plus petite pour un volume donn ? Cest la sphre. Et donc trs naturellement, une goutte ou son inverse, une bulle dair dans leau, tendront tre sphriques. Dans la nature, des tres vivants obissent aux mmes principes : ce sont les pingouins sur la banquise. Lorsquil fait trs froid, les pingouins se collent les uns aux autres pour se rchauffer mutuellement. Cela marche dailleurs trs bien : des scientifiques ont mesur la temprature qui rgne au milieu du groupe : elle est de 30 C ! Comme pour les molcules deau, une force pousse ces animaux les uns vers les autres et va donner lensemble une cohsion. Et pour quil y ait le moins de pingouins possibles en contact direct avec le vent et le froid polaires, ils se regroupent en cercle. Exactement comme la goutte tend tre sphrique. On appelle cette force la tension superficielle .

molcules entre elles. Goethe a ainsi crit en 1807, deux ans aprs les ides de Laplace et Young, un roman intitul Les Affinits lectives, o il met en scne ces thories. Au dbut du roman, trois personnages dialoguent. Le premier explique aux autres que leau, lhuile et le mercure, malgr leur grande diffrence, ont un point commun : ils rsistent la sparation, comme sils avaient un principe dunit, une force qui les maintient en cohsion. Je peux videmment sparer des gouttes dune flaque, mais, ds que je cesse de les carter, ces corps se rassemblent aussitt. Arrive un personnage fminin, Charlotte, qui est en quelque sorte une exprimentatrice : dans notre enfance, ditelle, nous nous amusions sparer des bouts de mercure (vif-argent) en globules, pour les regarder ensuite se rassembler. Enfin, un troisime personnage, le Capitaine, que nous pourrions appeler le thoricien , en tire des conclusions : cette attraction entre les petits grains de matire qui constituent lhuile, leau, le mercure, rendue possible par la fluidit, se manifeste nettement et toujours par la forme sphrique. Et il ajoute une phrase assez surprenante, que jappelle le thorme de Goethe et quon essaiera de dmontrer : La goutte deau qui tombe est ronde . A priori, on se dit que cest faux, cause du mouvement. Nous savons tous, en effet, que lair provoque une friction, et nous en dduisons que cette friction dforme la goutte. partir de l, beaucoup dexpriences ont t menes au XIXe sicle, en particulier par le Belge Joseph Plateau. Des expriences qui ont t popularises plus tard par un autre belge, Herg, qui montre le capitaine Haddock, en route vers la Lune, donc en apesanteur, tre frapp de stupeur devant du whisky chapp du verre et prenant une forme parfaitement sphrique.

LES GOUTTES EXISTENT GRCE LA POUSSIRE.Ceci a un certain nombre de consquences. Par exemple, si vous commencez empcher une goutte de prendre une forme ronde en ltirant, pour lui faire prendre plutt la forme dune poire, vous vous doutez bien que ds que vous la laisserez tranquille, elle reviendra dans son tat idal, celui dune sphre, comme sous leffet dun ressort. Cette force lastique cest dire la tension superficielle . Imaginons une goutte qui tente de natre. Elle est alors videmment trs dforme, ce qui signifie quelle est le sige dune pression norme. Or, dans ce cas, elle doit exploser Donc en thorie, une goutte ne peut pas natre. Ce que je viens de vous dire est strictement vrai. Et pourtant, des gouttes, nous en voyons tout le temps, ne serait-ce que la pluie qui tombe. Si les gouttes naissent quand mme, cest parce que leau parvient se condenser sur de petites poussires qui font disparatre leffet dexplosion. Cest galement vrai pour les bulles dair : si vous regardez un verre de boisson effervescente, vous remarquez que les bulles ne naissent pas dans le volume de liquide, mais toujours la frontire du verre, donc en contact avec une surface solide, comme la poussire pour la goutte deau.

MME UNE GOUTTE QUI TOMBE RESTE RONDELhomme a pris conscience trs tt de ce phnomne. Il y a dj 200 ans, de grands esprits comme le Franais Pierre Laplace, lAnglais Thomas Young ou Goethe en Allemagne, se sont demands pourquoi les gouttes avaient une forme sphrique et ils ont compris que ctait li, comme on la vu, lattirance mutuelle des

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LARME DE LA CREVETTE DU MEXIQUE : UNE BULLE !Il existe nanmoins des cas trs exceptionnels, pour faire natre des gouttes ou des bulles hors de tout autre matriau. Cest une quipe de chercheurs allemands et hollandais qui a trouv la solution, il y a deux ans, ce que jappellerai le problme de La Crevette du Golfe du Mexique . Dans ce golfe, il existe une zone paradisiaque o les promoteurs immobiliers amricains sont pourtant dans limpossibilit de construire des stations balnaires. Il y a l en effet une varit de crevettes qui fait un caqutement absolument insupportable, comme si vous tiez en permanence au milieu dun trs gros troupeau doies ! Les Amricains ont cherch videmment comprendre comment ces crevettes parvenaient faire un tel bruit et ont constat quelles avaient une sorte de pince, quelles actionnent sans arrt. Ils se sont donc dit que le bruit provenait du claquement de cette pince. Mais la raison est plus subtile que cela, comme lont dcouvert les chercheurs dont je vous parlais, et elle a voir avec nos gouttes deau. La pince de cette crevette se ferme une vitesse tout fait extraordinaire et, ce faisant, fait partir un jet deau 100 km/h. Or, comme nous lapprend une loi de physique, qui sappelle la loi de Bernoulli, quand un liquide va extraordinairement vite, il se trouve en trs forte dpression. Dans notre cas, le jet 100 km/h fait tomber la pression dans leau -10 atmosphres. Au moment o cette pression chute trs brutalement, une bulle apparat. Celle-ci, qui est en dpression forte, se trouve expdie trs vite dans un milieu qui est, lui, pression ordinaire. Ce milieu appuie donc sur elle et laplatit avec une violence extrme. Eh bien, le bruit provient tout simplement de lexplosion de cette petite bulle ! Et pour les crevettes, cest une arme. Car leffondrement de la bulle est un vnement tellement violent quil propage des ondes de choc, tuant toute proie qui se trouvait autour. En outre, la bulle se ferme dune faon si rapide que lair chauffe jusqu 5 000 C lintrieur : un flash apparat alors. Cest un phnomne que lon appelle la sonoluminescence dont cette crevette nous offre la seule manifestation naturelle connue.

Goutte deau millimtrique en chute libre dans lair. Photo : lise Lorenceau.

LES GOUTTES SUR TERRE ONT UNE TAILLE LIMITE.Mais revenons nos gouttes deau. Quelles soient rondes dans le nuage, nous lavons compris. Mais quen est-il du thorme de Goethe, selon lequel mme en tombant, elles conservent leur forme ? Nous avons du mal le croire car le mouvement de lair doit dformer les gouttes. Pourtant cest vrai, comme le montre la photographie ci-contre. Par ailleurs, lquilibre entre le poids de la goutte qui la fait tomber et la friction de lair qui la freine nous donne la vitesse laquelle elle tombe. Vous devinez que plus la goutte sera grosse, plus elle va tomber vite. Or plus elle va vite, plus la friction de lair est grande. En fait, il va se jouer un rapport de forces : si une goutte devient trs grosse, les frottements de lair peuvent tre suprieurs la force qui pousse cette goutte rester rondeGoutte deau centimtrique en chute libre dans lair, aprs quelques mtres de descente. Photo : Anne-Laure Biance et Frdric Chevy.

sa tension superficielle. Elle narrive plus tre sphrique, mais elle nest pas non plus comme on les dessine habituellement, cest--dire comme une sorte de larme, ventrue dun ct et pointue de lautre. Imaginez cette grosse goutte en train de tomber, avec de lair qui vient sans arrt appuyer sur elle, la dformant : ces frictions de lair aplatissent dabord la face avant de la goutte, qui va ressembler une sorte de hamburger, puis lair va sengouffrer dans la goutte et la gonfler comme une bulle dair.

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Elle devient alors encore plus grosse et ses parois explosent, lchant une myriade de petites gouttelettes. Si ces gouttelettes sont encore trop grosses pour rester rondes, elles explosent leur tour, jusqu ce quelles atteignent une taille suffisamment petite pour que les frottements de lair ne puissent plus les dformer. Et voil pourquoi, sur Terre, les gouttes ne font jamais plus de 3 millimtres de rayon (cest ce quon appelle la longueur capillaire ), mme dans les averses tropicales. Heureusement, dailleurs, car si elles taient plus grosses, leur masse et leur vitesse de chute feraient dnormes dgts sur le sol ! Et les grlons, me direz-vous ? Ils peuvent en effet tre 10 fois plus gros, et donc 1 000 fois plus lourds. Mais ils sont solides, et ne seront donc pas dforms par lair, ne risquant pas dexploser.

colle sur les vitres des serres empche le soleil de les traverser ; la bue sur les lunettes vous gne ; sil ny avait pas dessuie-glace, vous ne verriez pas grand-chose travers votre pare-brise par temps de pluie. Malgr la pente de mes lunettes, presque la verticale, ou linclinaison du pare-brise, les gouttes restent en place. Comment prvenir ce phnomne, comment mettre au point un matriau o leau nadhrerait pas la surface, ne la mouillerait pas ? Ou comment viter que le bton, partir duquel sont faites presque toutes les constructions de travaux publics, simbibe deau, ce qui le fragilise ?

LA RECHERCHE DE LA GOUTTE PARFAITEBeaucoup de recherches portent donc sur llaboration de matriaux dits hydrophobes (littralement, qui naiment pas leau ). On voudrait idalement que, sur un solide, leau reste comme elle tait dans le nuage, cest--dire sphrique, sans staler ni entrer dans le matriau, permettant ce dernier de rester sec ou du moins, de scher trs rapidement. On connat des substances chimiques qui sont hydrophobes, qui empchent partiellement leau de rester accroche. Les cires, par exemple, ou le tflon des poles, qui repousse leau. Lorsquune goutte se pose sur un matriau de ce type, son angle de contact nest plus de 90, mais d peu prs 120. Cest le signe quon est sur la bonne voie : la goutte prend alors la forme dune demi-sphre pose sur le solide. Mais cest encore trs loin du schma idal, o la goutte resterait parfaitement ronde, sans saplatir du tout, et donc sans mouiller la surface. Pour cela, il faut parvenir un angle de contact de 180. Les chimistes ont travaill pendant des dcennies mais ils ny arrivaient pas. Et puis, rvolution, il y a sept ans : une entreprise chimique japonaise a eu une ide toute simple. Il sagissait de prendre une cire et de rendre sa surface rugueuse, laide de grains minuscules dun dixime de millimtres. On dit de ce matriau quil est textur. Si on pose alors une goutte deau dessus, on constate quelle garde une forme trs pure, un rond presque parfait, avec un angle de contact qui est cette fois de 174. Reste comprendre pourquoi la cire rugueuse aboutit cet effet ultra-hydrophobe. En fait, ce matriau est poreux, plein de petits trous comme une sorte dponge, mais en cire. Du coup, la plupart du temps, les gouttes reposent sur de lair : elle est alors dans la mme situation que dans le nuage et elle garde sa rondeur. Mais pour quelle tienne, elle ne peut pas reposer entirement sur de lair : une petite fraction touche des fragments de cire, ce qui explique quelle natteigne pas langle de contact de 180. Cest ce que nous appelons leffet fakir . Car cette goutte est comme un fakir sur le tapis de clous : elle ne senfonce pas, de mme que le fakir ne sempale sur les clous, mais reste leur surface. Par consquent, sous notre fakir, il y a surtout de lair. Il se trouve que la nature a produit un certain nombre de matriaux qui ont cette remarquable proprit de la cire rugueuse des industriels japonais. Cest le cas du

DES GOUTTES QUI SACCROCHENTLa goutte est ne, elle est en train de chuter dans lair Continuons son voyage jusqu ce quelle entre en contact avec une surface. L, les choses se compliquent. Car en plus du liquide et de lair, intervient un solide. Pour comprendre ce quil se passe, je pose une goutte sur une feuille de plastique transparente, totalement impermable, que jclaire par en dessous, comme sur un rtro-projecteur. La goutte apparat comme un point noir : les frontires liquides tentant de rester sphriques, la lumire ne passe pas tout droit. Mais ce nest pas une sphre parfaite car une partie de la goutte sest aplatie au contact avec la feuille. Cest important car si vous cherchez fabriquer une peinture, par exemple, vous voulez que cette goutte stale le plus possible, que le contact avec la feuille soit le plus grand possible. Or quelle taille fait ce contact pour notre goutte deau ? Eh bien, si la goutte fait peu prs 1 mm, ce contact sera aussi peu prs d1 mm, et son angle est gnralement entre 30 et 90. Continuons notre exprience - car en gnral, ce nest pas une seule goutte deau qui tombe mais plusieurs. Donc je renverse un peu plus deau, disons 1 cm3 deau, sur la feuille. ce moment-l, je nai plus un point noir mais un objet presque blanc : les forces de gravit sont plus importantes que la tension superficielle et elles parviennent aplatir cette petite flaque : la lumire peut donc passer. La diffrence entre une flaque et une goutte, cest juste une question de taille, et donc de forme, en raison des forces de surface et de pesanteur. Mais on peut faire une petite variante. Si jincline un peu la feuille, que se passe-t-il ? Dans le premier cas, la petite goutte reste colle, dans lautre cas, la flaque dvale et tombe. Que la flaque dvale ne me surprend pas car comme elle est aplatie par les forces de pesanteur, elle continue dobir ce champ de la pesanteur et se met couler, ce qui est le propre des liquides. Mais pourquoi la goutte, elle, ne coule pas ? Parce que mme si la surface de ma feuille de plastique parat lisse, elle est couverte de poussire ou elle a dinvisibles petits dfauts : la goutte sy accroche, ce qui empche son coulement. Cela a une grande importance pratique parce quon connat de nombreux exemples o cette proprit nous semble prjudiciable : leau qui reste

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Goutte deau millimtrique sur un substrat textur hydrophobe : la goutte garde la forme dune perle (on dit du matriau quil est super-hydrophobe). La texture est un rseau de plots rgulirement organiss lchelle du micron, ce qui confre au matriau ses couleurs. Photo : Mathilde Callies.

nnuphar et du lotus, trs hydrophobes. Non seulement parce quils sont base de cire, mais aussi parce que leur surface est recouverte dinvisibles btonnets, eux-mmes pleins de petites fibres poilues. On retrouve la mme chose pour les plumes du canard, sur lesquelles leau ne fait que glisser, ce qui permet au canard de scher trs rapidement. Rcemment, un de mes collgues amricains a observ ce phnomne pour les araignes deau, ce qui explique quelles parviennent marcher la surface de leau : leau repousse ses pattes. Du coup, depuis quatre ou cinq ans, la recherche industrielle met au point une foule de prototypes de matriaux qui sinspirent souvent de ces exemples naturels.

Le deuxime exemple a, lui, 250 ans. Il vient dun mdecin allemand, Leidenfrost, qui avait constat que lorsquon verse de leau sur une plaque brlante, elle na pas le temps de mouiller la plaque car elle se vaporise immdiatement. Cest ce quon appelle la calfaction : quand leau, qui bout 100 C, arrive sur une plaque chauffe 300 C, elle se vaporise, et un petit film de vapeur sintercale entre la plaque et leau, comme un coussin dair, et la rend parfaitement nonmouillante. Si lon reprend limage du fakir, il na mme plus besoin de clous pour le tenir. Dailleurs, cest grce ce film de vapeur quils parviennent marcher pieds nus sur des braises. Continuons nous intresser ces gouttes de Leidenfrost : lorsquelles arrivent sur la plaque chauffe 300 C, elles se mettent bouger dans tous les sens de manire trs rapide. Normal : le film de vapeur a supprim le contact entre le solide et le liquide. Ces gouttes, qui ne sont alors entoures que dair, sont comme la goutte de pluie qui tombe. Enfin, toujours sur cette plaque, elles jouent un vritable rle daspirateur : une fois leau vapore, il ny a plus une seule poussire. Cest un effet quon appelle, en anglais, le self-cleaning, lauto nettoiement . Do un intrt supplmentaire pour la fabrication de matriaux ultrahydrophobes : non seulement les gouttes vont glisser trs commodment sur ces surfaces, mais elles vont ramasser en plus toutes les salets en partant. Cest probablement pour cette raison que lon plante de plus en plus dans nos villes des arbres comme le ginkgo biloba, une espce japonaise dont les feuilles ont les mmes vertus que celles du nnuphar et du lotus et qui restent brillantes, sans poussires.

UN EFFET AUTO-NETTOYANTJe voudrais vous donner deux derniers exemples de situations de trs grande hydrophobie. La premire exprience a t mene par Pascale Aussillous, une tudiante native de Mazamet, qui a travaill dans notre laboratoire et qui a eu une ide remarquable : au lieu de faire des structures la surface dun solide, on va faire linverse, en les fabriquant la surface dun liquide. Il sagit donc de poser une poudre hydrophobe, de la suie par exemple, sur une goutte deau. Cette poudre ne rentre pas dans leau, puisquelle est hydrophobe. Elle va juste se poser la surface de la goutte. Et si vous prenez cette goutte ainsi recouverte et que vous la posez sur le sol ou sur une plaque de verre, vous constaterez quelle reste parfaitement sphrique : grce cette protection poudreuse, elle nest plus en contact avec la plaque. Cest tellement vrai que si vous la posez sur leau, elle flotte ! Cest le signe dun noncontact absolu, de sa totale impermabilit.

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LES LARMES, LES CACAHUTES ET LES ROUES LIQUIDES.Je vais conclure en illustrant les proprits dynamiques exceptionnelles quont les gouttes deau quand on les place dans cette situation de trs grande hydrophobie. Sur le dvalement, dabord : comme nous lavons vu tout lheure, si je pose une goutte deau sur une plaque brlante, elle tourne sur elle-mme une vitesse 100 1 000 fois plus rapide que lorsquelle descend sur une vitre. Et de fait, elle ne glisse pas, mais roule comme une bille solide. Or, il est justement intressant que les gouttes puissent tre vacues toute allure dune surface, laissant en outre cette dernire absolument sche, au contraire dune larme qui glisse lentement sur la joue en abandonnant une trane. Mais quoi ressemblent ces gouttes dvalant ? On pourrait se dire que cest la mme chose que pour les gouttes de pluie qui restent sphriques malgr la friction de lair. Sauf que dans mon dernier cas, en plus, elles tournent sur elles-mmes. En fait, imaginez au ralenti une goutte dvalant une plaque ultra-hydrophobe. Elle na plus du tout une forme ronde : elle prend la forme dune cacahute qui bondit. Pour comprendre pour quelle raison elle adopte cette forme trange, il faut remonter Newton et ses considrations sur la forme des corps clestes. Newton le premier a propos que, parce que la Terre tourne, elle est centrifuge, de la mme faon quon est dport vers lextrieur quand on prend un virage rapidement. Et ce phnomne, sest-il dit, doit changer la forme de notre plante : cela doit laplatir un peu aux ples et lpaissir un peu lquateur - ce qui est vrai. Plus tard, au dbut du XXe sicle, Poincar dune part et un grand physicien indien, Chandrasekhar, dautre part, ont compris que si la rotation tait plus rapide, lobjet finissait par tendre se sparer, comme en tmoigne notre forme de cacahute, qui est une tape vers cette sparation. Il y a un deuxime type de dformation. Si on observe la camra rapide notre goutte qui dvale trs vite, on se rend compte quelle peut galement prendre la forme dune roue liquide, troue au milieu. Ctait l lide de Pierre Laplace qui, aprs Newton, sest demand ce quil se passerait si la Terre tournait beaucoup plus vite. On connat des exemples dobjets clestes qui tournent beaucoup plus vite que notre plante. Dans un premier temps, comme la dit Newton, la terre est aplatie aux ples et gonfle lquateur, mais si sa rotation sacclre de plus en plus, elle va saplatir au point de devenir un disque. Puis, cause de la centrifugation qui tend mettre la masse lextrieur de laxe de rotation, et bien, trs naturellement, ce disque se troue Et citons pour finir une autre proprit trs inhabituelle des matriaux trs hydrophobes : si leau les frappe, elle y rebondit intgralement, la manire dun petit ballon solide : leau tape le matriau et sen va. On devine lintrt dun tel systme pour nos pare-brise : les gouttes restant alors trs peu de temps au contact, le pare-brise resterait quasiment sec, mme sous la pluie. Peut-tre vos futures voitures en seront-elles dotes. Mais pour

Forme de billes liquides dvalant des plans inclins de 30. Les images sont prises laide dune camra rapide incline du mme angle. La barre indique 1 cm, et lcart entre deux images successives est de 9 ms dans le premier cas, et de 23 ms dans le second. Photos : Pascale Aussillous.

revenir notre point de dpart, cette dernire exprience illustre bien llasticit que leur frontire confre aux liquides : une goutte est comme un petit ressort, dautant plus lastique que sa tension superficielle est grande.

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Pierre Simon de Laplace (1749-1827) : mathmaticien et physicien franais. Avec plusieurs autres savants de son poque, il publia de nombreux travaux en physique, principalement sur la cosmologie. Il explique ainsi comment sest form le systme solaire partir dune nbuleuse, thorie encore valide aujourdhui. Surnomm le Newton franais, il sest galement consacr aux phnomnes de gravitation. Thomas Young (1773-1829) : Ce physicien anglais se passionna dabord pour les langues trangres puis la botanique. Trs jeune, il ralise dabord son propre microscope pour mieux observer les plantes. Il commence ensuite des tudes mdicales et ses premiers travaux scientifiques porteront sur la physiologie de lil. Lun de ses plus grands apports la science concerne ses tudes sur loptique, avec la thorie ondulatoire de la lumire. Johan Wolfgang von Goethe (1749-1832) : Paralllement ses tudes de droit, il publie ses premiers livres de posie. Aprs avoir compos une comdie, il sintresse galement larchitecture gothique allemande. Tandis quil sinstalle comme avocat, il continue dcrire, publiant des drames et des romans (dont Les souffrances du jeune Werther, 1774) et se passionne pour les sciences de la nature, dont la physique. Il publie plusieurs romans ou essais mettant en avant ses connaissances et ses hypothses scientifiques : les Affinits lectives en 1808 sur la chimie, ou encore la Thorie des couleurs. Joseph Plateau (1801-1883) : Physicien belge, il a tudi les problmes de tension superficielle et le comportement des liquides au contact dune paroi solide. Il sest galement intress loptique et la vision. Il a invent le stroboscope, jetant les bases du cinmatographe. La condensation : Changement dtat de leau, qui passe de la phase gazeuse la phase liquide ou solide. En fonction de la temprature, lorsque la quantit de vapeur deau atteint sa pression maximale dans lair, tout apport nouveau de vapeur entrane la condensation : au sol, celle-ci se traduit par le dpt de rose ou la formation de brouillard. En altitude, la condensation engendre les nuages. Mais la condensation ne sopre en gnral que si des solides (poussires, cristaux de sel) servent de supports permettant la naissance des gouttelettes. Ces impurets dans latmosphre sont les noyaux de condensation . Daniel Bernoulli (1700-1782) : Physicien suisse. Issudune famille de mathmaticiens et de physiciens clbres, il sintresse entre autres ltude des coulements, des jets, de la propulsion des navires, du comportement des gaz, de llvation de leau par des pompes Il publie ses travaux en 1738 dans un trait intitul Hydrodynamica. La Loi de Bernoulli sapplique aux vibrations de lair dans des tuyaux : selon cette loi, la pression de lair diminue quand sa vitesse augmente.

La sonoluminescence dsigne la conversion du son enlumire. Ce phnomne se produit lorsquune ou plusieurs bulles, piges dans un liquide, seffondrent sous leffet de pressions extrmes et de fortes tempratures lintrieur de la bulle. Elle met alors une lumire.

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CLAUDIUS LABURTHEPilotant dj un planeur 16 ans, Claudius Laburthe na cess de se consacrer sa passion. Aprs son diplme de SupAro, il devient en effet pilote de lArme de lAir, puis ingnieur dessais, dabord au Centre dEssais en Vol, o il se spcialise sur les commandes de vol des avions de combat, puis lOffice National dtudes et de Recherches Arospatiales (Onera), o il se consacre galement aux deltaplanes et aux montgolfires. Intgrant Airbus Industrie (EADS) partir de 1986, il y devient rapidement ingnieur navigant aux Essais en Vol Airbus, et sattache tudier tout particulirement la physique de latmosphre, dont les phnomnes de givrage sur les avions. Depuis 2003, il forme des pilotes et ingnieurs dessais pour Airbus. Auteur du livre La pratique du vol libre (ed.Arthaud, 1979), il a contribu au lancement de la Fdration Franaise de Vol Libre et prside la commission Dirigeables de lAroclub de France.

LE POINT DU VUE DE LINGNIEUR DESSAIS

PLUIE, GIVRE ET GLACE : LES AVIONS SOUS HAUTE SURVEILLANCEEn vol ou au sol, de simples gouttes ou des vapeurs deau peuvent provoquer sur un avion de menus incidents comme de grosses catastrophes. Des problmes que les ingnieurs cherchent mieux comprendre pour les viter, quitte changer la forme des avions. Attachez vos ceintures : lancien ingnieur dessais Claudius Laburthe nous invitait ce jour-l traverser les nuages, les ondes et les zones de turbulence et en examiner les effets.David vous a expliqu ce quil se passe lorsque la pluie arrive au sol des vitesses raisonnables. Malheureusement, les avions volent environ 500 km/h. Et dans ce cas, la premire chose que vous percevez cest le bruit. Un bruit infernal. tel point que les pilotes sont obligs de remettre leur casque et de parler trs prs dans le micro. En revanche, larrire, les passagers nentendent presque rien. Ils voient des gouttes deau dfiler le long des hublots et cest tout. pouvons renforcer le bord dattaque de laile laide de plaques de mtal en aluminium ou en acier. Elles ne sont pas peintes, mais traites avec un matriau qui est de la famille du tflon. Plus perturbant encore : le givrage. Nous sommes dans les nuages et des gouttes deau se forment. Si ces nuages sont soulevs par des mouvements de latmosphre, ils atteignent des hauteurs o la temprature devient ngative. Et l, il se passe un phnomne extrmement bizarre. On pense en effet quil ny a que trois tats possibles pour leau : la vapeur, le liquide et la glace, en allant de 100 C 0 C. Mais si vous prenez une gouttelette deau +1 C et que vous lamenez 1 C, voire des tempratures beaucoup plus basses, elle ne va pas forcment geler tout de suite. Dans un premier temps, elle va rester en surfusion , sauf si elle entre en collision avec un solide, une surface. Dans ce cas, elle se fige en glace dune manire trs brutale, presque instantane. Or, pour ce qui nous concerne, lavion entre en collision 500 km/h avec des gouttelettes en surfusion. Celles-ci se conglent immdiatement et le nez de lavion, lavant de laile, le train datterrissage sil est sorti, lentre dair des moteurs, tout ce qui dpasse se couvre de glace. Cela peut-tre trs dangereux. Pour un avion lger, cest mme une catastrophe, car en quelques minutes, il se couvre de 100 300 kg de glace. Ainsi, une antenne radio peut salourdir de 10 20 kg de glace. la moindre turbulence, elle se casse et nous perdons la radio qui va avec. Lavion en devient tellement lourd quil peut tomber. Dautre part, la forme de laile en est change et elle na plus du tout les performances arodynamiques normales. Lavion perd donc de la vitesse et il arrive quon soit oblig datterrir trs rapidement si on ne parvient pas sortir de ces nuages froids.

UNE PLUIE QUI DCAPE, UNE GLACE QUI PLOMBELa pluie a dautres effets sur les avions, plus graves. Car 500 km/h, une goutte deau a une force trs grande. Elle ne peut pas se recomposer et elle clate en de trs nombreuses gouttelettes qui criblent le fuselage, abmant la peinture du nez de lavion, la dcapant comme le ferait un karcher. En plus, le nez de lavion contenant un radar, nous ne pouvons pas mettre de peinture paisse, car elle stopperait le rayonnement du radar. Nous sommes donc obligs de changer les nez trs rgulirement, ce qui cote trs cher. Pour linstant, nous navons pas trouv dautre solution. En revanche, nous

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DES AVIONS QUI ONT CHANG DE FORMEBien dautres problmes se posent cause des gouttes deau et pas seulement en vol. Imaginez un avion qui vient de se poser laroport. Il pleut, la temprature est positive et a priori, il ny a donc pas de problme de givrage. Malheureusement, cause du vol qui vient davoir lieu en altitude, le carburant dans les ailes de lavion est encore des tempratures fortement ngatives. Sur les Airbus, nous arrivons des tempratures de -42 C aprs une traverse de lAtlantique. Du coup, lorsque la pluie tombe sur laile contenant ce carburant trs froid, leau se met geler et une plaque de glace se forme sur laile. Sur un avion tel que le Mac Donell Douglas, avec les moteurs larrire, quand ces plaques de glace commencent fondre et se dtachent, elles peuvent tomber dans le moteur, y provoquant des dommages. Ce type dincident sest reproduit un grand nombre de fois sur ces avions et il est en partie lorigine de la faillite de cette socit : elle a t rachete par Boeing qui a cess la ligne de fabrication des avions comportant des moteurs larrire, trop exposs au givrage. Pour empcher ce problme, on pourrait galement chauffer le carburant, mais cela cote cher et peut savrer dangereux en cas de surchauffe. La seule solution consiste donc, placer les moteurs sous les ailes, ce qui est aujourdhui le cas de tous les avions. Tous ces phnomnes ont en effet des incidences sur la manire dont on dessine la ligne dun avion. Dautant que les lignes dcoulement de lair le long de lavion ne sont pas les mmes que celles des gouttelettes, qui sont 100 1 000 fois plus lourdes que lair. Alors que lair commence prendre le virage, sur le ct de lavion et contourner le bord dattaque de laile, les gouttelettes elles, par inertie, continuent leur trajectoire tout droit sur laile, ne dviant quun tout petit peu. Les ingnieurs avaient dailleurs cru trouver l une explication la forme que prend le givrage sur laile : une forme en croissant, au bout de laile. Malheureusement, la glace ne se dpose pas que l, et pas uniquement sous cette forme : le plus souvent, la drive est galement recouverte de glace. De mme, si, lentre dair des moteurs, la chaleur empche cet endroit que cela givre, leau qui ruisselle regle larrire Bien sr, du fait de tous ces problmes, nous menons beaucoup dessais, pour mieux comprendre la forme de givre que nous pouvons rencontrer en vol. Par exemple, laide dun tube de mtal de 2 cm de diamtre plac gauche du poste de pilotage. Et ce que lon obtient le plus souvent nest pas du tout un arc arrondi, comme le croissant dont je vous parlais, mais une sorte de double corne. La rgle que nous avons finie par tablir force de faire des essais dans des conditions tout fait diffrentes, cest que nous navons cette forme darc que lorsque la temprature est extrmement froide et que les gouttelettes sont trs petites. L, seulement, le givrage prend la forme que les ingnieurs avaient imagine. Mais lorsque la temprature est entre 0 C et -10 C seulement, les gouttes sont beaucoup plus grosses et il leur arrive bien des malheurs. Sur le devant de lavion, elles commencent croiser les filets dair : du vent plusieurs centaines de km/h ! Elles prennent une vritable gifle, qui les fait exploser en plusieurs milliers de morceaux minuscules. Cela produit une sorte de brouillard, qui explique la manire dont se dpose le givre : une sorte de double corne, o la glace est beaucoup moins paisse au milieu. Quant au dernier modle de lA 340, nous sommes alls plus loin. Sur cet avion-l, nous avons en effet trouv ncessaire de dgivrer le bord dattaque en le chauffant, mais seulement sur une petite partie, pour faire des conomies de poids. Et cela fonctionne parfaitement, comme nous lavons dmontr dans les vols de certification : en cas de givre, la partie de laile qui est juste avant le moteur est totalement intacte de glace.

La surfusion : Dans latmosphre, leau liquide ne passe pas forcment ltat de glace lorsque la temprature descend en dessous de 0 C. Cet tat est appel la surfusion, qui peut avoir lieu jusqu des tempratures trs basses. En fait, pour que ces gouttelettes passent la phase solide, il faut quelles arrivent au contact dune surface. Elles se conglent alors immdiatement.

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QUESTIONS ET RPONSES

DES VERRES AUTO-NETTOYANTS ET DES CHEVEUX-PARAPLUIE l'issue des deux confrences, les changes entre les lycens et les deux intervenants ont permis de revenir sur des points encore un peu obscurs ou de dvelopper dautres aspects des recherches sur les gouttes deau. O lon voque les verres auto-nettoyants, des shampoings rendant vos cheveux impermables, une astuce pour empcher vos lunettes de sembuer Mais aussi le parcours et le mtier de David Qur et Claudius Laburthe, tous deux passionns par une activit o mme lchec permet de mieux rebondir.

rent anglais. Cest un verre issu de recherches japonaises portant sur des matriaux qui se nettoient tout seuls Ce nest pas un hasard : les Japonais sont trs pris dhygine. Et cest dailleurs une entreprise de sanitaires, Toto , qui a mis au point ce nouveau matriau, base doxyde de titane. Si on dpose de loxyde de titane sur la surface dun verre ou mme dune cramique, il se passe un phnomne un peu complexe, que lon comprend encore mal : les rayons ultraviolets du ciel, en frappant cette surface, dgradent chimiquement les matriaux organiques qui sy sont dposs. Ces rayons les brlent, exactement comme le ferait un feu, mais plus lentement. Ces matriaux organiques vont donc disparatre, se transformant en gaz carbonique et en eau. Cest trs impressionnant voir. Imaginez une table de verre traite par un revtement doxyde de titane. Si vous passez votre pouce dessus, vous savez tous que cela fera une trace. Mais ici, si vous attendez un quart dheure, vous voyez cette trace disparatre progressivement : le dpt quelle laisse sur la table a t brl par les rayons ultraviolets. videmment, cela ne fonctionne bien qu lextrieur, car dans les maisons, les ultraviolets sont arrts par les vitrages standards. Saint-Gobain a donc dvelopp ces verres-l mais, chose tout fait remarquable, ils ne savent pas bien comment a marche ! Ils sexpliquent mal le mcanisme chimique, et ne savent mme pas si cest bien la raison pour laquelle ces vitrages restent propres plus longtemps. Car en plus, sur ce type de verre trait loxyde de titane, leau a tendance se dposer sous forme de film. Donc elle scoule, emportant les salets qui peuvent tre prsentes la surface du verre. Peu importe : pour la recherche industrielle, ce qui compte, cest davoir un matriau qui marche. Cela a du bon, car les choses avancent, et du moins bon, parce quon nest pas sr de matriser rellement les capacits des nouveaux matriaux quon lance. Pourquoi personne ne dveloppe des pare-brise de voitures qui ne ncessitent plus dessuie-glaces ?

Jai entendu une publicit la radio sur un nouveau verre auto-nettoyant, Bio-Clean, que Saint-Gobain a mis au point. Apparemment, il serait hydrophobe tout en restant transparent. Vous connaissez ce nouveau procd qui semble trs efficace ?

David Qur : Tout lheure, je vous ai expliqu quon pouvait obtenir des matriaux extrmement hydrophobes en mettant des petites pointes sa surface dun solide. Seul problme : en gnral, ce procd fait disparatre la transparence. On aboutit des verres un peu opaques, dpolis, tels quon les utilise pour des cabines de douche, par exemple. Mais Saint-Gobain a beaucoup travaill rduire la taille des petites textures places la surface du verre pour que celui-ci reste transparent.Cela dit, il se trouve que pour Bio-Clean, il sagit dautre chose. Ce verre a t mis au point par Saint-Gobain, pour contrer une offensive commerciale dun concur-

David Qur : Cela pose encore des problmes techniques, car, comme on la dit, rajouter une texture la surface du verre, cest le rendre opaque. Et mme si je parviens faire une texture plus fine, le verre devient certes transparent, mais aussi lgrement iris. Or, les principales firmes qui seraient intresses par ces parebrise-l fabriquent des voitures trs haut de gamme, qui exigent un matriau absolument impeccable au niveau de la transparence. Mais il y a une deuxime raison. Les petites textures la surface du verre sont susceptibles de sencrasser. Et vu leur chelle minuscule, il est extrmement difficile de les nettoyer. Nous ne sommes donc pas encore au point sur la manire dont ces matriaux vieillissent lusage. Claudius Laburthe : A une poque, jai voulu introduire le pare-brise hydrophobe Airbus Industrie. Je suis donc all voir lentreprise qui tait susceptible de

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les fabriquer. Son responsable a voulu savoir combien de centaines de pare-brises nous pouvions lui acheter par jour Je lui ai dit coutez, nous fabriquons 200 avions par an, soit moins dun avion par jour. Cela fait donc peine deux pare-brises par jour ouvrable . Il ma rpondu : Vous ny pensez pas ! Moi, mes clients, ce sont des lunetiers qui me demandent 10 000 20 000, lunettes par jour, ou des constructeurs automobiles qui veulent 1 000 pare-brises par jour. Votre truc, a ne mintresse pas Si toutes les grandes tours taient quipes de verres hydrophobes, que deviendrait leau qui rebondit dessus ? Nest-ce pas dangereux pour les pitons qui passent dessous ?

David Qur : Effectivement, quand la goutte de pluietape une surface trs hydrophobe, elle rebondit. Elle va alors tout simplement sadditionner la pluie, qui sera un peu plus fournie puisque tout ce qui aurait d scouler le long de limmeuble se rpercute sur la rue. Mais ce jour-l, les habitants auront eux-mmes des parapluies super-hydrophobes, et ils seront parfaitement protgs ! Certains fabricants de cosmtiques pensent mme inventer des shampoings qui rendraient vos cheveux super-hydrophobes. Un cheveu observ au microscope lectronique est, vous le savez peut-tre, couvert dcailles. Il a donc naturellement des textures qui font un micromtre, ce qui est une bonne dimension pour repousser leau. Sils y arrivent, ce sera votre chevelure elle-mme qui sera un parapluie. Est-ce que le problme de givrage des avions a produit des accidents et lA380, qui est un trs gros porteur, sera-t-il protg de ce type dincidents ?

dans lesquelles on lche un petit ascenseur en chute libre. Durant les quelques secondes de sa chute, nous menons des expriences, laide de camras embarques. De fait, les choses prennent un tour totalement diffrent. Prenez le feu, qui est li la pesanteur : lair chaud monte, de lair froid redescend, et cest ce va-etvient qui alimente les feux, leur amenant de loxygne. Si vous faites un feu dans la navette spatiale ce qui nest pas recommand il naura pas du tout cette forme ascensionnelle quon connat bien : cela donne une boule qui, en gnral, meurt assez vite en labsence de ce mouvement de convection. Mais dans mon domaine, travailler en microgravit na pas produit grand-chose parce quil est trs lourd de monter des expriences dans les navettes spatiales qui durent une poigne de secondes. Par ailleurs, dans lespace, non seulement il ny a plus de gravit mais il y a aussi le vide. Et l, la goutte va svaporer et disparatre. Lhistoire se termine pratiquement aussi vite quelle a commenc, tout simplement parce que le vide absorbe la matire. Je voulais quon revienne sur lexplication de la goutte qui saccroche une paroi de verre mme verticale. Je nai pas bien compris.

Claudius Laburthe : LA380 est tellement gros que cenest pas 3 cm de glace sur laile qui le perturberont linverse, les avions lgers des aroclubs ont linterdiction absolue de rentrer dans les nuages en cas de grand froid et de sexposer ainsi au givrage. Ce sont donc les avions intermdiaires qui rencontrent le plus ce risque ! Les avions taxis, par exemple. Nous avons malheureusement perdu au moins deux ATR avec leurs quipages cause du givrage. Nous donnons donc des consignes trs strictes ces avions. Et les petites compagnies ariennes comme Air Littoral, qui ont principalement des avions moyen-porteurs, y sont trs attentives. Ils ont toujours un plan de vol de secours en cas de givrage, qui leur permet dviter les nuages. Je voudrais savoir quelle forme prend leau dans lespace, quand il ny a pas dair autour ?

David Qur : Dune certaine faon, sur Terre, la gravit complique les choses. La pesanteur se rajoute des phnomnes qui sont dj assez complexes. Du coup, sur les questions de traitements de surface, nous travaillons beaucoup en microgravit , cest--dire comme dans la navette spatiale, ou dans des tours de chutes, qui font peu prs cent mtres de haut et 14UNIVERSIT DES LYCENS

David Qur : En fait, quest-ce que la bue ? Cest cela la question. Pour former de la bue, je prends de lair chaud, celui qui sort de ma bouche 37 C. Cet air est satur en eau et cette vapeur deau se trouve projete sur mes lunettes qui, elles, sont 20-22 C. Si je suis dans une station de sport dhiver, mes lunettes seront mme plutt 0 C. Et l, lair que jai souffl se retrouve une temprature nettement plus basse, ce qui le condense : en clair, la vapeur va devenir de leau sous forme de gouttes. En fait, la manire la plus simple de lobserver, cest en regardant une casserole deau chauffer. Je vois de la fume. Presque tout le monde dit : Cest de la vapeur deau . Eh non, ce nest pas vrai car on ne peut pas voir la vapeur deau. Elle est comme lair : absolument transparente. La fume, cest de leau qui, aprs tre sortie 100 C sous forme de vapeur et que je ne vois pas, se retrouve dans un air plus froid et donc qui sy condense sur des micro-poussires. Cest la mme chose que ce que je vous ai expliqu prcdemment pour un nuage. Cela produit des microgouttes. Cest pour cela quon voit quelque chose de blanc qui monte, entran par lair chaud schappant de la casserole. Voil ce quest la bue : des millions de gouttes minuscules arrivant au contact dun solide. Une petite partie de chacune de ces sphres va alors se poser, se condenser sur mes lunettes, ce qui avoir le mme effet quune texture rugueuse lchelle du millimtre : cela va rendre mes verres opaques, comme un verre dpoli. Comment viter ce phnomne ? Prenez des lunettes et un morceau de pomme de terre avec lequel vous frottez les verres. Puis, soufflez sur vos lunettes. Quest-ce que vous allez voir ? Rien du tout ! Car le dpt qua fait la pomme de terre a rendu le verre totalement hydrophile : chaque petite goutte va compltement staler,

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formant un film deau la surface des lunettes, ce qui leur conserve leur transparence absolue. Vous ne supprimez donc pas la bue, ni la condensation de leau, mais vous avez simplement rendu cette couche transparente. Pouvez-vous nous parler, tous les deux, de vos joies dingnieur et de chercheur ?

rencontre dans ce mtier sont souvent fascinants. Il vaut en effet mieux avoir un esprit non-conventionnel pour faire de la recherche, ou savoir adopter un point de vue inattendu. Dit autrement, le facteur humain vient rchauffer un univers qui sans cela serait peut-tre assez froid.

Claudius Laburthe : Je suis trs vieux par rapport vous puisque jai pass mon bac en 54 Je suis dune gnration o, une fois que lon rentrait dans une filire, on y restait toute sa vie. Moi, je nai pas trop voulu faire cela. Je mintressais tous les aspects de laviation. Jai commenc par tre pilote, jai ensuite intgr le Centre dessais en vol mais je suis galement retourn dans la recherche pendant 11 ans, lONERA qui est lquivalent en France de la NASA amricaine. Jai donc fait une carrire totalement imprvue, et jen suis ravi. Pour moi, il ne faut pas avoir peur de linconnu, il faut foncer quand il y a des trucs intressants faire. Jai termin Airbus, mais jai toujours t heureux partout o jtais, et je voudrais engager les gens de votre gnration ne pas couter les mauvais propos quon leur tient, ne pas dire, Oh la la, autrefois ctait facile, aujourdhui cest difficile de trouver du boulot . Cest vrai quil nest pas forcment facile de trouver un travail, mais quand on se passionne pour quelque chose, on trouve toujours des opportunits et il faut y mordre.

David Qur : Je vais dire peu prs la mme chose mais diffremment. La particularit de la recherche, comme pour tous les mtiers de cration, cest quil sagit de faire apparatre quelque chose l o il ny avait rien. Cela ncessite beaucoup dnergie, mais cela nous donne aussi une force qui peut permettre de soulever des montagnes ! Nous connaissons videmment beaucoup de hauts et de bas, et pour tre plus prcis et plus honnte, plus de bas que de hauts. Je dirais mme quun bon chercheur, cest quelquun qui sait grer lchec, qui sait en tirer parti pour rebondir dans une autre direction. Il y a une phrase que jaime beaucoup, et qui est dun grand physicien danois du xxe sicle, Niels Bohr : Est expert dans un domaine celui qui a fait toutes les erreurs dans ce domaine . La recherche est le mtier de lerreur, si vous voulez. Et si lon parvient faonner son esprit pour sen accommoder, cela devient trs amusant. A la limite, lchec est alors trs porteur car en comprendre les raisons, on peut aboutir des ides nouvelles. On apprend ragir. Cela dit, quand on se trompe, qui nous corrige ? En gnral, ce sont les autres. Et justement, un des charmes principaux de ce mtier, cest quil se fait en quipe. Dans mon cas, jai la chance de travailler avec des tudiants et des collgues avec lesquels je passe beaucoup de temps changer les ides. En outre, la communaut scientifique est de dimension mondiale : nous sommes connects en permanence les uns avec les autres, et nous avons des amis un peu partout sur la plante, Boston, Dehli, Canberra. Et puis je dois ajouter que les gens que je 15UNIVERSIT DES LYCENS

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prendre ce qui modle certains objets clestes. Qur David, Aussillous Pascale Billes liquides. Pour la science, n 286, aot 2001. Les billes liquides sont des gouttes deau recouvertes dune poudre hydrophobe. Ainsi truques, ces gouttes ne mouillent pas, prennent la forme de roues ou de cacahutes en roulant. Des photographies illustrent le phnomne. Sur le web www2.cnrs.fr/presse/thema/ 376.htm Sur ce site du cnrs, un article prsentant les travaux de David Qur sur les matriaux hydrophobes imitant des phnomnes naturels. Qur David, Bergeron Vance plantes y restent accrochs ? Louvrage dcrit et explique ces phnomnes de capillarit et de mouillage qui proccupent industriels et ingnieurs. Qur David. Bulles, gouttes et perles liquides. Graines de sciences, n 3. Le Pommier, 2001 Lauteur, qui sintresse aux gouttes et perles liquides, nous familiarise avec leurs proprits et les applications technologiques qui en dcoulent. Ltude porte sur plusieurs points particuliers : tension superficielle, mouillage et talement de liquides, monte capillaire, tensioactifs. Des articles de priodique Qur, David, La protection des rcoltes. ESPCI, 2003 www.espci.fr/esp/CONF/20 03/C03_02/conf2_2003 .htm Compte rendu de la confrence donne par David Qur et Vance Bergeron le 19 mai 2003 lcole Suprieure de Physique et de Chimie Industrielles de la ville de Paris. Lorsque les agriculteurs pulvrisent leurs plantations, les gouttes de produit traitant rebondissent sur les feuilles. Comment limiter ce phnomne. Des gouttes rebondissent. ARTE, 1998 www.arte-tv.com/hebdo/archimed/19981208/ftext/sujet3 .html David Qur propose dobserver le comportement dune goutte deau dpose sur une surface hydrophobe. (Retranscription intgrale du reportage TV ralis par lmission Archimde le 8 dcembre 1998). Qur David, intervenant, Prdignac Christophe, ral. Au bout du fil : cette semaine Archimde a rencontr David Qur, physicien. ARTE, 1998

QUELQUES RESSOURCES DOCUMENTAIRES Savoir smerveiller devant une goutte deau Pierre-Gilles de Gennes, Prix Nobel de physique 1991LES CRITS DE DAVID QURDes ouvrages Qur David Quest-ce quune goutte deau ? Le Pommier, 2003. Les Petites Pommes du Savoir Quest-ce quune goutte deau ? Dabord, quelle est sa forme : ronde ou pointue ? Ou les deux la fois ? Et en quoi cette question a-t-elle un rapport avec nos produits de maquillage, nos immeubles ou nos examens mdicaux ? Quelles surprises ce petit objet familier et mou nous rserve-t-il donc ? De Gennes Pierre-Gilles de,

Clanet Christophe Brochard-Wyart Franoise et Qur DavidGouttes, bulles, perles et ondes. Belin, 2002. Comment faire pour que les gouttes deau glissent sur les pare-brise, que les shampoings moussent ou que les pesticides pulvriss sur les feuilles des Sur la forme des gouttes et des bulles. La sphre sous toutes ses formes : Dossier Pour la Science, n 41, octobre 2003. Do vient quune petite goutte soit sphrique ? Et quen est-il des grosses ? Et des bulles ? Au-del des phnomnes quotidiens, rpondre ces questions aide com-

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Podgorski Thomas, Flesselles Jean-Marc La forme dune goutte qui ruisselle. Pour la science, n 301, novembre 2002. Quand une goutte glisse sur une surface incline, elle forme un front arrire en coin . Une tude qui peut avoir des applications industrielles comme limpression jet dencre ou le traitement de leau. Des photographies illustrent le phnomne. Une goutte deau peut rebondir comme un ressort Science et vie, n 1020, septembre 2002. Actualits : le rebond dune goutte deau sur une surface hydrophobe film par des chercheurs. Bonn Daniel,

Bergeron Vance, Vovelle Louiswww.arte-tv.com/hebdo/archimed/19980421/ftext/sujet2 .html Comment se forme la myriade de gouttelettes qui couvre les bras de la toile daraigne ? Retranscription de lmission Archimde du 21 avril 1998. le chapitre : la surface des choses : mouillage et dmouillage. Daoud M. dir., Quand les gouttes ne rebondissent plus : comment rendre leau aussi visqueuse que le miel ? La Recherche, n 351, mars 2002. Lorsquelle tombe sur une feuille une goutte deau rebondit. Comment limiter ce phnomne et concevoir des arosols efficaces pour lagriculture ? Quelques grammes de polymres peuvent modifier les proprits dcoulement de leau Greffoz Valrie Les gouttes deau ne sont plus ce quelles taient. Science et vie, n 1011, dcembre 2001. tudes menes en 2001 sur le comportement des gouttes deau recouvertes de poudre hydrophobe : histoire de la cration de ces gouttes deau, leurs proprits, leurs diffrentes formes prises en fonction de leur vitesse, les moyens utiliss pour les empcher de rebondir, les applications pratiques de cette technique. Brochart-Wyart Franoise Quand les liquides dmouillent : des surfaces sches, archisches, qui ont sch sans scher. La Recherche n 286, avril 1996. Le dmouillage, naissance sans vaporation de rgions sches

Williams C. dir.La juste argile : introduction la matire molle. Les ditions de Physique, 1995 Le but du prsent livre nest pas dentrer dans le ddale thorique sur les molcules, mais plutt de montrer, sur des exemples relativement simples, comment les expriences et les concepts se marient, de nos jours, propos dobjets courants : savons, caoutchoucs, mulsions, plastiques, grains en suspensions On lira avec intrt le chapitre i de Franoise Brochart-Wyart : Histoires de gouttes : capillarit et mouillage. Des articles de priodique Bac to basics : leau La Recherche, n 372, fvrier 2004. Un dossier de vulgarisation scientifique sur leau : quoi ressemble la molcule deau ? Comment les molcules sorganisent dans le liquide ? Pourquoi leau gle-t-elle 0et bout-elle 100 ? Les nuages sont-ils constitus deau qui sest vapore ? Y a-t-il de leau dans lespace ? Etc.

AUTRES DOCUMENTS SUR LE SUJETDes ouvrages Lagus Michel, Gennes Pierre-

Gilles de, prf.Leau au quotidien. Odile Jacob, 2001 Une dcouverte des phnomnes physiques les plus complexes partir dune observation des proprits les plus familires de leau. Gennes Pierre-Gilles de, Badoz Jacques Les objets fragiles. Pocket, 1996 Ns dune srie de rencontres entre P.-G. de Gennes et des lycens, ces entretiens, qui ont largement dbord sur le devenir de la recherche, portaient sur la matire molle (matires plastiques, bulles de savon, transformation de leau par certains polymres). On lira en particulier

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signe ici un des premiers articles de fond sur le sujet. Sur le web Des gouttes deau indformables ? Tout ce quil faut savoir sur leau, 2002. www.chez.com/exposeh2o/e au_indeformable.htm http://membres.lycos.fr/exposeh2o/eau_indeformable.htm Une page web, destine la prparation des TPE, qui rend compte des travaux de David Qur, Pascale Aussillous et Vance Bergeron: tude de la forme sphrique dune goutte, transformation de gouttes en billes liquides qui en roulant prennent la forme de cacahutes, applications industrielles envisages. Ball, Philip Lotus inspires dirt repellent spray. Nature, 2002. www.nature.com/nsu/0211 18/021118-4.html www.nature.com/nsu/0008 10/000810-4.html Des sprays antipoussires inspirs du lotus : les gouttes de pluie ruissellent trs facilement le long des feuilles de lotus grce la forme et la composition chimique de leur surface. Les gouttes captent les poussires au passage et les emmnent avec elles, ce qui explique la propret constante de ces feuilles. Des chimistes ont dvelopp des sprays qui imitent ce comportement pour des matriaux aussi divers que les textiles, le papier, la pierre, le verre (devantures de magasins et parebrise). Texte en anglais. Demarthon Fabrice Un seul pschh suffit. Infosciences, 2000. www.photoamateur.net/ goutte.htm Lincorporation de polymres dans les produits pulvrisables permet dempcher le rebond des gouttes et donc le gaspillage. Cette dcouverte de Vance Bergeron devrait tre utilise pour amliorer lpandage des pesticides et des herbicides. (Source de larticle : Nature, vol 405, pp772-775, 2000)

Philippe Buf Robert in space http://perso.wanadoo.fr/ philippe.boeuf/robert/ physique/matierequest.htm Sur son site personnel Philippe Buf, enseignant, rpond aux questions que peuvent se poser des lycens prparant des TPE : Pourquoi les gouttes deau qui courent-elles sur une plaque chauffante ? Pourquoi est-ce que les gouttes deau sont rondes ? Pourquoi suis-je mouill quand il pleut ? Comment tiennent les chteaux de sable ? Comment sont formes les bulles de savon ? Tocheport Bernard Gilles Plitch platch : portraits de la goutte deau . Photos damateurs pour amateurs de photos. www.photoamateur.net/ goutte.htm Belles photographies de gouttes deau en train de tomber prises par un amateur.

sur une surface initialement mouille, fascine les physiciens et nargue -ou charme- les industriels. Dune grande richesse thorique, ce phnomne dpend tant du liquide que du substrat sur lequel il repose . Ondaruhu Thierry Mouillage de surfaces mixtes. Bulletin de la Socit franaise de physique, 102 19, 1995. Le rsultat des travaux de Thierry Ondaruhu, chercheur au CEMES, laboratoire de recherche du CNRS de Toulouse. Tanner Lonard H. Les gouttes. La Recherche, n 174, fvrier 1986. Sous leffet des forces qui sexercent sur elles, les gouttes prennent des formes trs varies. Lauteur dcrit et analyse une srie dexpriences quil a ralises. De belles et surprenantes photographies illustrent larticle. Gennes Pierre-Gilles de Comment stale une goutte ? Pour la Science n 79, mai 1984. Une goutte, pose sur une plaque solide, stale dabord vite, puis trs lentement : explications du phnomne. P-G de Gennes

Jolle Caillard CRDP Midi-Pyrnes. Avril 2004

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