La petite marieuse de Saint-Jean-de-Luz

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Barbara Ibarra

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Une géniale comédie romantique qui se déroule au Pays basque, à Saint-Jean-de-Luz.

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15 €

www.aitamatxi.comISBN : 978-2-9532331-5-5

Quand Marion quitte Paris le cœur brisé et débarque sur la côte basque, elle est loin d’imaginer qu’elle aura un jour à organiser le mariage de deux célébrités locales.

Vincent Izarra, champion de rugby reconverti dans les affaires, et Nova Kim Shark, étoile du surf à la tête d’un empire de la glisse, ont en effet décidé de lui confier leur fête nuptiale.

Hélas ! La future épouse se révèle extravagante et capricieuse, ce qui met les nerfs du futur marié en pelote. Marion comprend vite que cet événement grandiose ne sera pas le plus beau jour de sa vie.

Son avenir professionnel étant lié au succès de la cérémonie, elle va devoir user de sa diplomatie naturelle et des idées fantaisistes d’Amaia, son associée, pour s’assurer que les époux se diront bien « oui » devant l’autel.

Ce que Marion ignore encore, c’est qu’au fil des préparatifs Vincent Izarra va tomber sous son charme...

Notre marieuse va alors découvrir qu’on ne peut pas longtemps tourner le dos à l’amour, surtout quand on en a fait son métier !

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En basque, Saint-Jean-de-Luz se dit Donibane Lohitzune. Ce nom n’a rien à voir avec la lumière sublime des couchers de soleil sur la baie de la ville comme le «Luz» espagnol le laisse à penser. En fait, il signifie Saint-Jean-des-Marais en référence aux marécages sordides qui cernaient jadis la cité corsaire.

Or, c’était bien dans de lugubres sables mouvants que Marion Mazagran avait la sensation de s’enfoncer. Le sol de sa petite agence de mariage, Le plus beau jour de votre vie, semblait l’absorber à mesure que le couple debout devant elle se chamaillait toujours plus fort pour des détails toujours plus futiles.

Je dois faire diversion ! pensa-t-elle.— J’espère que le clocher ne va pas vous tomber sur

la tête au sortir de l’église, lança-t-elle avec un demi-sourire ambigu sur les lèvres.

Ses deux interlocuteurs marquèrent une pause dans leur dispute pour la dévisager avec incrédulité.

—  Pourquoi nous dites-vous cela, mademoiselle  ? s’enquit Nova Kim Shark avec un accent anglo-saxon prononcé.

— Parce que c’était la hantise de Louis XIV quand

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il y épousa l’infante d’Espagne le 9 juin 1660 ! pour-suivit Marion. Il faut dire que l’édifice était encore en construction à l’époque…

Un ange passa. La future mariée en profita pour évaluer si Marion plaisantait ou bien si elle se moquait d’eux. Le Grand Louis ayant bien pris pour reine Marie-Thérèse d’Autriche dans l’église Saint-Jean-Baptiste, Nova Kim accepta l’explication farfelue, mais avec un sourire coincé.

—  Je ne crains rien, les Basques ont la tête dure  ! lâcha Vincent Izarra en bombant le torse.

— Vous, c’est certain, vous l’avez maintes fois prouvé sur le terrain. Celle de madame semble plus fragile…rétorqua Marion avec une ironie perceptible qu’elle regretta aussitôt.

Izarra dévisagea Marion avec un air cynique.— Ne vous fiez pas au visage d’ange de cette beauté,

le surf l’a rendue aussi coriace qu’un squale.— Tu me flattes, mon chéri ! lâcha l’intéressée avec

un rictus qui trahissait son envie de le mordre.Vincent Izarra lui envoya un baiser puis coula un

regard amusé sur Marion.—  Je n’avais jamais entendu parler de cette abra-

cadabrante histoire de clocher… Je sais juste que les Espagnols avaient un mois de retard et que les Luziens ont célébré leur jeune roi durant trente jours… Sacré enterrement de vie de garçon ! Un peu comme une méga Fête de la Sardine...

Marion sourit en évitant de commenter la blague de l’ex-capitaine de l’équipe de France de rugby. Mieux valait avaler sa langue et flatter ses riches clients si elle voulait que son banquier cesse de la harceler.

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Cependant, lui dire ce qu’elle pensait de son humour de troisième mi-temps lui aurait probablement calmé les nerfs. Le beau quadra s’imaginait sans doute que son corps d’athlète et sa gueule d’acteur lui donnaient tous les droits. Quinze ans plus tôt, le futur marié avait profité de sa carrière internationale pour faire d’Izarra, l’étoile en basque, une griffe de parfums, de vêtements de sport chics, d’hôtels et de centres de thalassothérapie, qui faisaient pâlir Serge Blanco de jalousie. Ce Ralph Lauren local semblait pouvoir reprendre et transformer n’importe quelle faillite en entreprises juteuses. Les hommes voulaient être « lui » et les femmes être « à lui », c’est du moins la réputation qu’on lui prêtait. Cependant, son charme semblait de plus en plus rebondir sur sa future épouse. Nova Kim était une magnifique sirène blonde de trente ans, dans le genre de Daryl Hannah jeune. Elle dominait le circuit professionnel de surf depuis cinq ans. Comme si cela ne suffisait pas, était également l’héritière du leader mondial de l’industrie de la glisse, dont elle était l’icône. La vie l’avait trop gâtée. La vie l’avait pourrie. Cool et souriante sur le papier verni des tabloïds, ses caprices rendaient le travail de Marion de plus en plus pénible.

La jeune femme se demandait lequel des deux l’irritait le plus : Vincent Izarra qui se prenait pour le Midas de l’ovalie, ou sa naïade qui passait son temps à poser telle Pamela Anderson dans Alerte à Malibu… Une série qui avait très mal vieilli ! Ce couple, c’était un peu comme si le docteur Jekyll épousait miss Hyde. Ils allaient ensemble comme l’herpès va aux lèvres. Marion se dit que leurs futurs enfants, si Nova Kim

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acceptait un jour de sacrifier sa plastique à la maternité, seraient forcément bipolaires, et elle se réjouit secrète-ment de ne pas organiser de baptêmes.

Ces noces allaient ressembler au mariage rouge de Game of Thrones, celui qui tourne au carnage.

Mon Dieu, faites qu’ils divorcent après avoir payé mes honoraires et avant de se reproduire, pria la jeune marieuse tandis que Nova Kim et Vincent se déchi-raient à nouveau sur le nombre des invités.

Marion avait la patience d’une conseillère conjugale. Mais là, elle était à deux doigts d’aller leur chercher des armes à feu pour qu’ils en finissent.

Elle mit ses mains sur ses hanches en se raclant la gorge avec insistance, afin de signifier à ces deux oiseaux de proie qu’ils préparaient une fête, et pas le partage d’une charogne.

— À vous de me dire si vous souhaitez une cérémo-nie intime ou une garden-party digne de l’Élysée, glissa-t-elle avec un demi-sourire. Moi, je peux tout faire !

Le problème central venait du fait que Nova Kim, ne payant pas l’addition, donnait libre cours à sa frénésie mégalomane. En revanche, Vincent Izarra qui avait la réputation d’être près de ses sous malgré sa fortune, aurait préféré quelque chose de plus… familial autour d’une centaine de personnes.

—  Je voudrais une réception à l’image de mon amour pour Vincent ! lança Nova Kim, les mains théâ-tralement enlacées sur le cœur.

Faisons ça dans un cimetière ! songea Marion.— Si je peux oser un conseil… commença-t-elle.— Non merci, les caprices de ma future femme me

suffisent ! coupa froidement Vincent Izarra.

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Marion retint son souffle.Lors de sa première entrevue avec l’ex-champion, il

portait une tenue décontractée et affichait un sourire timide. L’espace d’un instant, elle avait regretté de ne pas organiser leur mariage à eux deux.

Plus que son physique avantageux, c’était le magné-tisme qu’il dégageait qui opérait sur les gens. Un halo invisible qui faisait que, malgré son ego, vous vous sur-preniez à apprécier sa compagnie, le velouté de sa voix et son regard complice qui vous donnait l’impression d’être son ami depuis la maternelle.

Grâce à cette aura séductrice, il était devenu la coque-luche des médias locaux et des chaînes nationales qui l’employaient pour commenter les grands tournois de rugby. Comme ses apparitions régulières dynamisaient ses affaires, la boucle était bouclée. Il était populaire parce qu’il passait à la télévision et il passait à la télévi-sion parce qu’il était populaire. Tout cela, en jouant le rôle travaillé du gars simple qu’il n’était en réalité que devant les caméras, avec ses parents et les trois amis d’enfance qui lui restaient encore.

Ainsi, maintenant qu’elle le connaissait mieux, Marion rêvait d’être Mike Tyson pour lui faire cracher quelques dents.

Je crois que je vais l’envoyer au diable !Au lieu de quoi elle décida de tourner soixante-

dix-sept fois la langue dans sa bouche en se rappelant les missions fondamentales de son métier de wedding planner, comme disent les magazines branchés.

Avant le mariage, elle devait aider ses clients à définir le thème de leur journée et à estimer leur budget. Elle leur proposait des modèles de faire-part et se chargeait

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de leur impression et de leur expédition. Elle assistait la future épouse dans le choix de sa robe et l’époux dans l’achat de son costume, en veillant à ce que les deux restent au secret. Bien entendu, elle conseillait la promise sur sa coiffure puis lui suggérait les talents d’une maquilleuse et l’achat de divers accessoires pour la mettre en valeur.

La tradition voulant que le mariage ait lieu dans la ville de la jeune fille, restait encore à trouver un endroit convenable cadrant avec le budget. Et une fois ce lieu choisi, il fallait envisager le plan de table, le type de vaisselle, la décoration de l’ensemble, sans oublier la programmation musicale qui était un ingrédient clé d’une fête réussie. Trompez-vous sur l’animateur et vos noces risquaient de ressembler à la soirée de loto d’une pension de retraite !

Marion connaissait l’ensemble des traiteurs de la région ainsi que les coordonnées des extras mobili-sables pour le service. Son agenda renfermait aussi tous les photographes ou vidéastes dignes de ce nom, capables de transformer un couple banal en gravure de mode. Parfois, elle était également sollicitée pour gérer la liste de mariage, et dénicher les petits cadeaux sou-venirs destinés aux invités.

Cela ne s’arrêtait pas là. En effet, tout au long du mariage, Marion devait se charger de renseigner les convives, de coordonner les différents prestataires et la logistique d’ensemble. Sa mission principale était d’aller au-devant des problèmes avant qu’ils ne deviennent des catastrophes. Les tensions, les crises et les imprévus devant rester invisibles aux deux mariés, c’était à elle de tout encaisser.

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Tout cela bien sûr, en gardant un œil sur les puéri-cultrices chargées des enfants et en jouant les infir-mières en cas de petits bobos.

Bien entendu, après la cérémonie, elle devait super-viser le règlement des fournisseurs et adresser les cartes de remerciement accompagnées de la photo emblé-matique du couple. Parfois, on lui confiait également l’organisation du voyage de noces dans ses moindres détails et il était même advenu qu’un couple timide lui confiât l’achat d’accessoires coquins afin de pimenter leur croisière.

Évidemment, à ce rythme, il arrivait qu’après un week-end éprouvant, Marion tombât dans une petite dépression et envisageât de changer de métier.

Et de prénom !Néanmoins après trois jours de remises en question,

elle se jetait à corps perdu dans un nouveau projet nup-tial, comme si la sauvegarde de son âme en dépendait. Probablement parce qu’à sept ans, elle avait fait le vœu d’organiser des mariages de contes de fées ! Et, même si elle avait pris conscience en grandissant que les princes se métamorphosaient plus souvent en crapauds que l’inverse, elle restait fidèle au vœu de la fillette naïve qu’elle avait été.

D’autant que ce qui se passait après le mariage ne la concernait pas. Son métier à elle consistait à transfor-mer les palefreniers en rois et les servantes en reines, le temps d’une soirée. Et rien ne la rendait plus heureuse que de voir le sacre d’un homme et d’une femme, transfigurés par l’amour. Bien entendu, elle ignorait ce que deviendraient les mariés une fois que le voile de magie qu’elle avait tissé se désagrégerait.

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En fait, elle était plus chef de cabine en première classe que fée.

Son job à elle se limitait à assurer la sécurité et le confort des passagers au cours du décollage ; pas à garan-tir la sécurité du vol tout entier. Elle connaissait bien les statistiques condamnant un couple sur deux au crash et savait que l’époque était aux détournements conjugaux.

Particulièrement dans le cas de ces deux-là ! pensa-t-elle en achevant son dernier tour de langue.

Et 77 ! Me voilà presque calmée !Nova Kim avança vers Vincent avec des allures de

tragédienne, comme pour défendre Marion.—  Chéri, laisse-la au moins parler ! C’est pour ça

qu’on la paye non ! suggéra Nova Kim.Elle est charmante !— Que JE la paye ! Alors ce sera deux cents invités

et pas un de plus ! gronda Vincent. Je te rappelle que je voulais quelque chose d’intime et pas une kermesse au Stade de France.

—  Mon chéri, est-ce que… entama Nova Kim en fixant sa bague de fiançailles – un diamant gros comme un escargot – et en évaluant jusqu’où elle pouvait pous-ser le bouchon sans tout compromettre.

— Stop, Nova Kim ! C’est mon dernier mot.La belle releva tout de même la tête avec la moue

désarmante du chat botté dans Shrek.—  J’ai accepté de t’épouser dans ton petit pays

Vince à la condition d’offrir une fête inoubliable à mes copines de l’ASP1 ! Si nous devons tout bâcler, autant faire un mariage express à Las Vegas !

1. Association des surfeurs professionnels.

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— Et pourquoi pas ? suggéra Vincent excédé.L’héritière de Shark Surf Inc. leva les yeux.— Ne fais pas le bad boy darling ou je vais regretter

de t’avoir dit « oui » !Vincent soupira longuement, et se demanda juste-

ment ce qu’était devenue la nana qui lui avait soufflé ça devant une piña colada, à peine quatre mois plus tôt. Ils venaient alors de passer trois semaines à Bali, à surfer de l’aube au couchant et à faire l’amour le reste du temps. Au cours de l’idylle, Nova Kim avait montré le visage ingénu d’une jeune femme généreuse. Cependant, depuis qu’elle avait accepté de porter son nom, l’éternelle adolescente bohème avait laissé la place à une Paris Hilton des plages arrogante et sophistiquée. Elle ne riait plus du tout et leur complicité semblait n’avoir été qu’un mirage. Vincent avait la désagréable impression que le lasso qu’elle lui avait subtilement passé autour du cou l’étranglait chaque jour davantage. Du reste, il remarquait que Nova Kim n’était même plus tendre envers lui, comme si elle considérait ne plus avoir d’efforts à fournir pour l’apprivoiser. Elle était devenue obsédée par les préparatifs formels du mariage, en négligeant leur relation. Ainsi, plus la date fatidique approchait, et plus elle lui cherchait de poux dans la tête.

Il fallait bien avouer que la présence de cette orga-nisatrice n’arrangeait rien  ! Elle était efficace, certes... D’ailleurs trop peut-être, car loin de freiner les caprices de Nova Kim, elle arrivait toujours à trouver des solu-tions pour les satisfaire. Pas étonnant quand on savait que ses honoraires étaient indexés sur le budget du mariage…

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Il croisa ses bras musclés sur ses pectoraux en levant le menton comme il le faisait jadis pour défier l’adver-saire avant de marquer un essai décisif.

—  J’ai cédé à toutes tes lubies Nova Kim, la robe D&G, le DJ d’Ibiza, les billets d’avion offerts à tes copines les plus fauchées, la fontaine de champagne, le feu d’artifice, la limousine… Alors, ou tu arrêtes tes folies ou bien tu te marieras sans moi ! Ma famille est d’origine modeste. Tout ce luxe va les mettre mal à l’aise. Même ton père milliardaire s’est marié plus simplement !

— Normal, après cinq divorces ! nota Nova Kim.— Oui, eh bien, j’espère que ce n’est pas une malé-

diction familiale, car ce serait une raison supplémen-taire de faire profil bas ! ajouta Vincent.

— Tu me proposes une cérémonie low-cost, c’est ça ? s’insurgea Nova Kim.

— Non, juste une célébration où notre amour serait vraiment la chose la plus précieuse à tes yeux.

Marion sourit : il fallait avouer que parfois, derrière son air buté, perçait en Izarra l’âme des poètes chan-teurs locaux, les bertsulari.

Nova Kim mit ses mains sur les hanches, sembla hésiter quelques secondes puis abdiqua.

— OK, mon chéri, va pour deux cents guests ! Après tout ce n’est pas le nombre d’amis qui compte, on n’est pas sur Facebook ! Je veux juste que ce soit inoubliable !

En tout cas pour moi ça le sera ! pensa Marion en trou-vant suspect que la chipie cédât si facilement.

Elle poussa un soupir soulagé.—  Bon, puisque vous êtes d’accord sur le nombre

définitif d’invités, nous pouvons avancer sur le reste…,

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lâcha-t-elle en jetant un œil à sa montre.Elle savait que ce qui l’attendait serait une véritable

guerre de tranchées : le menu, le plan de table, les faire-part, la décoration…

Il n’était que 10  heures du matin et Marion avait l’impression d’avoir avalé une mine antipersonnel. La contemplation de la magnifique baie de Saint-Jean-de-Luz par la vitrine de sa petite agence ne parvenait pas à soulager sa migraine et ses maux d’estomac. D’autant qu’un rendez-vous l’attendait dans moins d’une heure à Guéthary et que sa journée était loin d’être terminée.

C’est à l’approche de l’été que s’amassait l’avalanche de mousseline blanche et de confettis qui déferlerait bientôt sur tous les week-ends jusqu’à l’automne. Ces six mois-là constituaient une période cruciale pour Marion. Une longue saison des amours qui culminait entre juin et août, période où elle pouvait organiser jusqu’à quatre mariages par semaine tout en donnant à chaque couple, le sentiment d’être unique devant les Cieux !

Tiens au fait, en parlant des Cieux…Marion prit une longue inspiration.— Souhaitez-vous modifier les chants ou les textes

d’église  ? demanda-t-elle en croisant les doigts pour que ce ne fût pas le cas.

Izarra secoua la tête.— Non, je fais confiance au père Etchegori, c’est un

ami de la famille, lâcha-t-il.J’espère qu’il le restera !Marion jeta un coup d’œil à Nova Kim. Elle savait

que la surfeuse australienne était protestante. Ceci expliquait que les époux ne recevraient qu’une béné-diction. C’était Vincent qui avait insisté pour passer

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devant l’autel, car même si ses vraies religions étaient les affaires et le rugby, cela demeurait la tradition.

À la grande surprise de Marion, Nova Kim releva la tête et acquiesça.

— Moi ça m’est égal, du moment qu’il y a des mil-liers de roses…

Vincent s’approcha d’elle puis déposa un baiser déli-cat sur son front, pour la remercier d’avoir abdiqué sur ce point.

— Tu verras. Ce sera magnifique, ma chérie…Nova Kim sourit et son visage sembla touché par

la grâce. Marion comprit ce qui avait plu à Izarra : la championne de surf était restée une enfant. Le revers de la médaille était qu’elle considérait ce mariage comme un Noël géant. Et Vincent devait mobiliser tous ses talents de négociateur pour la canaliser.

Marion n’était pas dupe de ce semblant d’harmonie retrouvée. Elle sentait que l’accalmie serait de courte durée et que ce couple allait lui attirer des ennuis. Si elle n’avait pas besoin de gagner la confiance de son banquier pour ses projets immobiliers, elle leur aurait bien rendu leur chèque d’acompte sous la forme de l’origami d’un majeur dressé vers le ciel.

Cependant, elle aspirait à vivre un jour dans l’une des vieilles maisons de la grande plage, et ce rêve traînait derrière lui un sacré paquet de zéros. Même si elle devait faire le Casque bleu jusqu’à la fin de ces noces, ce mariage représentait une véritable aubaine. Au-delà de son bud-get colossal, il était évident que les médias s’y intéresse-raient. Nova Kim et Vincent, l’alliance people du surf et du rugby, feraient parler d’eux dans les cahiers spéciaux que les hebdomadaires nationaux consacraient au Pays

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basque chaque été : L’Express, Le Nouvel Observateur, Le Point, Paris Match… Si un seul d’entre eux mentionnait le nom de son agence, Le plus beau jour de votre vie, ce serait un coup de pub phénoménal.

Les personnalités fréquentant le coin étaient nom-breuses  : sportifs, artistes, journalistes, hommes d’affaires, présentateurs, stylistes… Certains écrivains y avaient planté le décor de leurs romans et d’autres, comme Philippe Djian, y avaient ancré leur talent. Ces célébrités disaient pouvoir jouir ici d’un anonymat devenu impossible ailleurs parce que la fierté basque était peu friande d’autographes.

Marion inspira donc en s’efforçant de voir le bon côté des choses. Même si Nova Kim était la Reine des casse-pieds et Izarra le Roi des cyniques, l’opération serait juteuse pour sa petite entreprise si le mariage était un succès.

Marion redescendit sur Terre.— Le père Etchegori, c’est prévu ! valida-t-elle.Même si c’est un exorciste qu’il vous faudrait !C’est alors que Nova Kim reprit la parole sur un ton

militaire comme si après avoir lâché quelques mètres de terrain, elle voulait garder la main.

—  Après la bénédiction nuptiale, nous quitterons l’église pour nous rendre au vin d’honneur sur la col-line de Sainte-Barbe qui domine la baie ! En limousine blanche, une Maybach bien sûr, précisa-t-elle… Ce sont les plus luxueuses du monde !

—  Vous êtes certaine de pouvoir en trouver une  ? demanda Vincent à Marion, sans qu’elle devine la réponse qu’il espérait dans la mesure où louer une Maybach lui coûterait un bras.

—  Aucun problème, elle vient de Saint-Sébastien,

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de l’autre côté de la frontière, confirma la marieuse qui avait remué ciel et terre pour la dénicher.

Et le jour J, vous resterez bloqués dans les bouchons que votre caprice aura causés au cœur de la ville. Et Sainte-Barbe portera bien son nom ! pensa Marion en acquies-çant avec diplomatie.

Les tourtereaux, qui s’étaient plutôt comportés comme deux tourteaux dans le même panier jusqu’ici, opinèrent, l’air satisfait.

Marion eut envie de se pincer.Ils étaient d’accord deux fois de suite, un tsunami

allait s’abattre sur la Côte et la dévaster !— Prendre l’apéritif en plein air à Sainte-Barbe sera

grandiose s’il fait beau, cependant, que ferons-nous en cas d’orage ? s’inquiéta Vincent.

— Le vin d’honneur serait alors servi au Grand Hôtel Loreamar, puisque c’est là que vous dînerez avec vos invités  ! Les baies du restaurant donnent sur l’océan. S’il est démonté, cela devrait déchaîner l’ambiance  ! lâcha Marion avec un sourire forcé.

Sa blague tomba à plat, car Vincent semblait inquiet : le ciel du pays avait le caractère farouche de ses habi-tants et il était fréquent que les journées de canicule accouchent d’orages violents. Du reste, il voulait s’assurer que Nova Kim n’ajouterait pas de caprices à ceux du temps.

Marion s’avança vers eux, l’air curieux.—  À propos du vin d’honneur, avez-vous arrêté

votre choix sur le champagne : Dom Pérignon, Krug, Bollinger, Deutz, Roederer ou Ruinard  ? Il faudrait commander sans tarder ces grands crus.

Les deux candidats au mariage se consultèrent en

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silence.Izarra avait le regard noir.Nova Kim désirait une fontaine de champagne rosé,

alors que Vincent considérait que c’était un sacrilège. «  Autant y mettre de la grenadine  !  » avait-il hurlé lors du dernier rendez-vous. Et même s’il s’était plié à certaines excentricités de sa cavalière, l’étalon sauvage renâclait en lui et semblait vouloir prendre le mors aux dents.

Au moment où il allait parler, la silhouette d’une armoire à glace se découpa dans l’embrasure de la porte. C’était le chauffeur et le secrétaire particulier de « Monsieur je suis pourtant resté très simple ».

Vincent jeta un regard à sa Rolex Oyster Perpetual Submariner et ses sourcils bondirent.

— Désolé, je dois vous laisser, nous pouvons valider ces détails par courriel de toute façon, non ?

Oui bien sûr, ou par pigeons voyageurs ! pesta Marion en son for intérieur.

—  Compte tenu du nombre de choses restant à régler, je préfère en discuter de vive voix…

Nova Kim, en alliée imprévue, acquiesça.— Moi aussi ! Tu es vraiment obligé de m’abandon-

ner maintenant, Vince ?— Hélas oui, chérie, les affaires sont les affaires. Tu

veux bien t’occuper  de fixer un autre rendez-vous  ? Moi, il faut vraiment que je file ! Au revoir.

Nova Kim accepta le baiser de Vincent avec une moue boudeuse, puis le regarda s’éloigner, telle Pénélope observant Ulysse partir pour l’Odyssée  –  en priant secrètement Poséidon de faire couler son bateau dans le port.

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Pauvre de moi  ! pensa Marion en s’apitoyant sur son sort. Si ça continue, il faudra reporter le mariage à Noël !

Elle devrait soumettre d’urgence ces deux enquiqui-neurs à un rétroplanning serré si elle voulait boucler ce dossier et avoir une chance de se réveiller un jour dans une maison s’ouvrant sur la plage de Saint-Jean-de-Luz.

À propos de timing, l’heure tournait ! Elle devait se dépêcher, au risque de manquer son rendez-vous avec le couple suivant, puis avec ceux qui lui succéderaient jusqu’au soir… Pour finir enfin sa journée en honorant une invitation professionnelle et donner un coup de pouce à ses relations publiques. Le Pays basque était un petit royaume dont il fallait se montrer digne si on voulait y prospérer.

Elle attendit que Nova Kim quitte sa boutique en lui promettant de l’appeler pour choisir une date, ferma la porte à clé et sauta dans sa voiture hybride. Elle alluma la radio puis monta le son car Adele chantait Rolling in The Deep et ce morceau tonique la ressourçait. Elle se mit à fredonner doucement en baissant la vitre pour mieux respirer.

Son emploi du temps de folie laissait peu de place à sa vie privée. Préparer le mariage des autres occultait les perspectives du sien et Marion était célibataire depuis longtemps. À la manière des médecins qui semblaient immunisés contre les maladies qu’ils soignaient, elle paraissait vaccinée contre celle qui poussait ses clients à convoler : la maladie d’amour.

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Je dois être pourvue d’un paratonnerre contre le coup de foudre ! pensa Marion avec dérision. Et je préfère ne pas savoir où il se cache ! Cela expliquerait l’air coincé que me trouve parfois Amaia.