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LA PETITE FADETTE

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De George Sand dans la même collection

CONTES D'UNE GRAND-MÈREHISTOIRE DE MA VIE (2 vol.)LETTRES D'UN VOYAGEURLA MARE AU DIABLEMAUPRATLA PETITE FADETTE

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GEORGE SAND

LA PETITE FADETTE

Introduction, chronologieet bibliographie par

Geneviève VAN DEN BOGAERT

Bibliographie mise à jour en 2016par

Valentina PONZETTO

GF Flammarion

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© Garnier-Flammarion, Paris, 1967.Flammarion, Paris, 2016, pour cette édition.

ISBN : 978-2-0813-8268-8

www.centrenationaldulivre.fr

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INTRODUCTION

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Quelques lignes suffisent pour rappeler dans quellescirconstances La Petite Fadette fut conçue, écrite etpubliée. Le 18 mai 1848, George Sand a quitté Pariset son atmosphère de guerre civile. Elle s'est réfugiéeà Nohant. Elle reste effrayée du spectacle qu'elle vientd'observer dans la capitale, de ce déchaînement deviolence, de toute cette folie. Elle a des raisons depenser que la réaction bourgeoise ne lui pardonnerapas ses imprudences de plume. D'autre part, si ellene se trouve pas ruinée, ses ressources sont du moinsfortement diminuées. Maintenant qu'elle est à Nohant,il lui faut gagner quelque argent. Elle écrit alorsLa Petite Fadette. Elle se met au travail dans lesderniers jours de juillet, et le 8 août déjà elle peutannoncer que son roman sera terminé dans huit oudix jours. Le 1er décembre, La Petite Fadette commenceà paraître en feuilleton dans Le Crédit, journal desrépublicains modérés. Le roman est publié en volumeau cours de 1849.

Il y aurait là peut-être de quoi nous inquiéter. Voicidonc un roman qui n'aurait été entrepris que pourgagner de l'argent et que son auteur aurait écrit trèsvite. Les lettres de Sand aggravent encore notre gêne.Elle a ce mot fâcheux et désinvolte : « ... je reviensaux bergeries. » Et dans une autre lettre à Hetzel, elleexplique,que « ces sortes de fadaises » ne lui coûtentguère de fatigue morale, mais seulement « une certainefatigue physique quand il faut se presser ». GeorgeSand finirait par nous faire croire que La Petite Fadette

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ne mérite pas la place que de nos jours encore ellecontinue d'occuper dans notre littérature. Nous pour-rions penser que le roman a plu pour de mauvaisesraisons, pour une naïveté qui serait fausse, pour uncertain étalage de beaux sentiments, pour une sortede mérites qui touche le grand public mais déshonoreun écrivain et une œuvre aux yeux des connaisseurs.

Certes, il y a dans La Petite Fadette des moments oùl'écrivain cède à la facilité des procédés ou tombe dansFartifice, II arrive plusieurs fois à Sand de forcer lanote et de faire parler à ses campagnards un langageoù la volonté de paraître simple frôlerait presque laniaiserie. Tantôt, au contraire, elle oublie qu'elleraconte une histoire de paysans, et ses personnages semettent à construire leurs périodes et recourent à desmots abstraits comme Sand et ses amis les gens delettres pouvaient faire, mais non pas ses Berrichons.

Ces défaillances pourtant sont rares et restentétroitement limitées. Elles n'autorisent pas à rangerLa Petite Fadette dans la littérature bucolique, qui asi rarement réussi chez nous à donner des œuvres devaleur. Il serait difficile de découvrir un rapport entrel'œuvre de Sand et ces poésies où Saint-Lambert,Roucher, l'abbé Delille et quelques autres ont célébré« l'homme des champs », la beauté des « saisons » etdes « mois ».

-Où voit-on que la romancière nous donne de sespaysans une image embellie et chimérique? Ellenous les montre tels qu'ils sont, sans vaine complai-sance, durs à la tâche et durs aussi à défendre leursintérêts. Ils ne se laissent pas facilement attendrir.Ce ne sont pas non plus des esprits éclairés. Ils croientà toutes les superstitions. Il leur arrive de porter surleurs semblables des jugements injustes qui leur sontdictés par cette sorte de conscience anonyme, collectiveet aveugle que Ton appelle la voix publique. GeorgeSand le savait, et cette clairvoyance l'empêche de tomberdans les ridicules de l'idylle.

Mais ces paysans qu'elle connaissait si bien, elleles aimait aussi. Elle avait vécu parmi eux les années

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de son enfance, et elle avait trouvé près d'eux desjoies simples et sereines. Elle ne devait jamais l'oublier.Elle ne devait jamais se séparer d'eux pour de troplongues périodes, et chaque fois que la vie de Parislui avait apporté de nouvelles occasions de souffrir,elle était retournée auprès d'eux pour se reposer etpour guérir.

Elle les aimait. Elle aimait leur courage tenace,leur prudence. Elle savait que leur sagesse était fondéesur une longue expérience, et que s'ils se montraienthabituellement méfiants, c'était pour avoir apprisque le danger est partout dans l'existence de l'hommeet que les belles paroles cachent trop souvent unpiège. Dans ces vies simples elle discernait une grandenoblesse. Une noblesse qu'à coup sûr elle n'avait pasrencontrée à Paris. Elle n'avait vu dans la sociétéparisienne que mensonge et fausseté. Partout l'artifice,les simulacres d'amitié, l'étalage de sentiments feints.Partout de vaines agitations en vue de conquérir unegloire également vaine. Sand avait pu mesurer ladistance entre ce monde livré à l'imposture et lemonde paysan, fruste sans doute, mais sérieux, hon-nête, respectueux de l'effort, et dont la vie laborieuse,liée au rythme de la nature et des saisons, s'imposaitcomme une sagesse.

Si les paysans du Berry croyaient encore aux fées,aux farfadets, aux sorcières, si les feux follets leursemblaient des êtres mystérieux et terribles, Sand neles en aimait pas moins. Car dans ces croyances super-stitieuses elle avait compris que se perpétuait unereligion très antique, la religion de l'humanité primi-tive, tout obsédée par les enchantements et les terreursdes forces naturelles. Elle était trop pénétrée de lapensée romantique, trop dégagée de certaines étroi-tesses de la philosophie des Lumières, pour mépriserces vieilles croyances. Elle les avait observées à Nohant.Elle avait eu soin également de s'informer des ouvragesmodernes où elles étaient recueillies. Elle connaissaitYHistoire du Berry de Raynal, dont les premiersvolumes avaient paru en 1844. Elle avait publié dans

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son propre journal, L'Eclaireur de f Indre, en 1845,une série d'articles intitulés Légendes et croyances ducentre de la France.

Cet effort pour comprendre une humanité profon-dément différente de la société moderne, et restéefidèle à ses vieilles formes de vie comme à ses habitudesde pensée, n'a rien de commun avec les fadeurs de lalittérature idyllique. Il explique le langage que 'Sandfait parler à ses personnages et au Narrateur qui nousrapporte l'histoire de Fadette. Les difficultés de cettetentative sautent aux yeux. La romancière ne pouvaitsonger un instant à reproduire exactement le patoisdes paysans du Berry. Il lui fallait avant toutes chosesêtre comprise de son public. Mais elle devait aussimettre dans son livre un certain ton qui donnât aulecteur l'impression d'entendre une histoire racontéepar un chanvreur du Berry, et d'assister à des conver-sations de paysans. Les critiques pourront toujours luireprocher de n'y avoir pas entièrement réussi* Cesreproches sont vains, car la perfection n'est guèreconcevable quand il s'agit de découvrir un équilibreentre des exigences contraires. Il nous faut admirerplutôt le tact, le sens de la mesure et des justes nuancesdont la romancière a fait preuve.

Elle avait d'ailleurs sérieusement étudié le patois duBerry. Elle avait dressé des listes de mots et d'expres-sions qui ont été de nos jours retrouvées et publiées.Elle savait si bien la difficulté de son entreprise qu'ellene s'est pas attachée, dans ses romans champêtres, àune manière unique et constante. La proportion desmots de patois n'est pas la même dans La Mare auDiable, dans François le Champi et dans La PetiteFadette.

Dans ce monde que son isolement protège et quireste fidèle aux croyances et aux mœurs du passé,Sand a placé les histoires de deux bessons et d'unepetite sauvageonne. Peut-être n'avait-elle d'abordpensé qu'à la première. Il est en effet curieux d'obser-ver qu'elle avait primitivement choisi pour titre Les

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Bessons; d'ailleurs la petite Fadette n'apparaît qu'asseztard au premier plan. La raison pourrait en être toutesimple. Les historiens ont noté que Sand connaissaitle poète Jasmin. Elle s'est, selon de fortes vraisem-blances, inspirée de la ballade des Deux Bessons qu'ilvenait de publier en 1846. Ce fut là le point de départde son roman. Puis il est probable que, sans l'avoirprémédité, elle laissa Fadette occuper dans son récitune place de plus en plus importante et rejeter lesautres personnages au second plan.

Il faudrait être fermé à un certain ordre de beautépour rester indifférent à cette histoire de deux enfantset de l'amour qui les unit. Cet amour est d'une absoluepureté. Mais sa force est incroyable, et de ces deuxêtres innocents il ne fait qu'un seul être. Car il n'estpas le résultat d'un choix. Sa réalité est, pour ainsidire, organique, et ses racines plongent au plus profondde la sensibilité des bessons, au-delà des régionsqu 'atteignent la conscience et la volonté.

Le danger était grand, pour la romancière, detomber dans la monotonie et la fadeur. Elle a su trèshabilement éviter ces périls. Les deux jumeaux, enapparence tout semblables, sont en réalité profonde*ment différents, et l'opposition de leur nature se révèleprogressivement à mesure qu'ils grandissent. Landryest un garçon solide et sain. L'amour qu'il porte àson frère est d'une force et d'une délicatesse merveil-leuses. Mais il n'a pas les inquiétudes du petit Sylvinet.Il ne vit pas, comme lui, dans la crainte obsédante den'être plus aimé. On songe, à lire ce très beau récit,à l'admirable Tonio Kroger de Thomas Mann, où leromancier allemand a décrit de façon si pénétranteces deux formes que l'amour peut revêtir chez dejeunes enfants.

Dans la deuxième partie du roman, l'intérêt sedéplace. C'est maintenant la petite Fadette qui estau centre du récit. Peut-être cette histoire d'une jeunefille s'éveillant à l'amour n'offre-t-elle pas les mêmesqualités de grâce touchante et de délicatesse que celledes deux bessons et de leur affection réciproque. Mais

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la création de George Sand, ici moins lumineuse quedans les premiers chapitres, pose pour l'esprit plus deproblèmes, et moins faciles à résoudre.

A considérer le premier portrait de la petite Fadette,on se rend compte aisément que George Sand a faitappel aux souvenirs de sa propre jeunesse. Elle futjadis la petite fille à la peau trop brune qui jouait avecles garçons du village. Les yeux de la petite Fadette,qui seuls dans ce visage sans charme méritent deretenir l'attention, ce sont les yeux de la jeune Aurore.Le « vilain grelet » a des allures garçonnières commeSand, et comme elle le regard hardi et moqueur. Ellea déjà seize ans quand le brave Landry a le couragede lui dire pourquoi elle n'est pas aimée, pourquoi ellen'est même pas respectée comme une fille de son âgedevrait pouvoir l'exiger. « C'est, lui dit-il, que tu n'asrien d'une fille, et tout d'un garçon, dans ton air etdans tes manières. » Elle néglige sa personne, et s'en-laidit comme à plaisir. Il n'est pas un de ces traits quine s'accorde avec l'image que George Sand nous alaissée de ses jeunes années. Certaines ressemblancesprécises interdisent l'hésitation. Quand nous apprenonsque la petite Fadette grimpe aux arbres comme unécureuil, saute volontiers sur une jument sans brideni selle, et la fait galoper « comme si le diable étaitdessus », nous songeons aux récits tout pareils queGeorge Sand a placés dans son Histoire de ma vie.

Ces rapprochements ont une valeur qui n'est passimplement anecdotique. Ils permettent de comprendreles intentions que Sand a mises dans la création de sapetite Fadette. Elle se soucie peu de nous raconter unehistoire gracieuse et attendrissante. Ce qu'elle veut,c'est évoquer certaines enfances difficiles, mal dirigées,mal faites pour s'insérer sans effort dans les cadres dela vie sociale. Elle pense à sa propre vie, à tant d'échecs,de scandales, d'aventures pitoyables. Elle plaide sacause et, pour plaider, elle raconte.

De tels propos ne sont pas vraisemblables dans labouche d'une petite paysanne sans instruction. Maisils sont émouvants et d'une très grande beauté.

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On ne peut rester insensible à ce plaidoyer passionnéd'une femme qui sait qu'elle fut plus à plaindre qu'àblâmer, et que, si elle eut des torts, elle fut du moinsla victime de ses erreurs. Elle sait que l'origine de toutle mal, ce furent les fautes de sa mère. Mais par unbeau mouvement de fierté elle se refuse à la condamner.Elle est persuadée que son devoir est de la défendre,et elle est décidée à l'aimer toujours « de toute la forcede son cœur ».

Nous arrivons là sans doute au centre de ce caractèreétonnant. Fadette est fière, et c'est à son indomptablefierté qu'elle doit les méfiances et l'animosité quil'entourent II est plaisant de voir comment Sainte-Beuve, trop perspicace pour ne pas discerner ce traitdu personnage de Fadette, mais trop asservi à certainesconventions pour l'accepter, s'en étonne et s'eninquiète. Cette fierté s'accorde mal avec l'interpréta-tion qu'il avait donnée du roman. Pour lui, commepour tant d'autres, La Petite Fadette était une idylle.Et voilà qu'il y découvrait une âme énergique et dure.Il écrit donc, dans ce style onctueux qui faisait l'indi-gnation de Balzac et la joie de Proust : « Mme Sand,même quand elle se mêle d'idylle, n'y porte pas natu-rellement la douceur et la suavité tendre d'un Virgileou d'un Tibulle : elle y fait encore entrer la fierté.La petite Fadette est fière avant tout. » L'idée nevenait pas à l'illustre critique que l'interprétationbanale et idyllique du roman était un contresens, etque Sand n'avait que faire d'y mettre de la douceuret une « suavité tendre ». La fierté sauvage de l'enfantn'est pas, de la part de l'écrivain, une erreur. Elle estl'essentiel du roman, et elle lui donne toute sa beauté.

Mais ce caractère si fortement marqué est-il tout àfait cohérent ? La petite Fadette de la seconde partiedu roman, si clairvoyante, si habile à se conduire età conseiller les autres, si raisonnable, est-elle la mêmejeune fille qui, dans la première partie, se montraitvolontiers cruelle et inquiétante? La difficulté estcertaine, et gêne un peu. On serait tenté de dire quel'écrivain ne s'est pas assez fermement tenu à l'idée

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qu'il nous avait d'abord donnée de son héroïne. Iln'y aurait à cela rien d'impossible. George Sand neconstruisait pas ses romans avec rigueur. Elle selaissait volontiers mener par son propre récit. 11 seraitinjuste pourtant de parler de désordre et de confusion.En réalité, elle préférait aux constructions logiquesle mouvement de la vie, ses développements néces-saires, ses merveilleuses transformations.

C'est là sans doute ce qui explique l'apparenteincohérence du caractère de la petite Fadette. Dans lapremière partie du roman, elle a déjà les qualités dontelle donnera plus tard tant de preuves. Mais elle ne lesmontre pas. C'est même à son insu qu'elle les possède.Sa mère est partie, il y a longtemps, avec des soldats.Elle a grandi auprès de sa grand-mère, et celle-ci estune de ces femmes étranges qui connaissent (es secretsde la nature, vendent des remèdes, et que les paysansprennent volontiers pour des sorcières.

La petite Fadette se sent donc une isolée. Elle saitqu'on l'appelle « enfant de coureuse et de vivandière ».Sa seule défense, c'est de dire aux autres les véritésqu'ils méritent. Elle surprend leurs secrets pour avoirle plaisir de les divulguer. Nous dirions aujourd'huique son comportement est dominé par des réactionsd'agressivité. Elle le dit avec d'autres mots : « Si l'onavait été bon et humain envers moi, je n'aurais passongé à contenter ma curiosité aux dépens du pro-chain. » Et c'est parce que la société des hommes futcruelle pour cette enfant qu'elle s'est enfermée dansla connaissance des secrets que sa grand-mère lui aenseignés. Sa plus grande joie est d'être seule, d'allerdans des endroits que les hommes ne fréquentent pas,et d'y rêver. Quels autres sentiments pourrait-ellenourrir, lorsqu'elle s'entend traiter de sorcière parles gens du village, en remerciement des services qu'elleleur avait rendus?

Mais voici que l'amour entre dans cette âme et latransforme. Elle croit maintenant à la bonté et à lajustice. Landry la réconcilie avec la société deshommes. 11 lui révèle qu'ils ne sont pas tous méchants.

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et qu'il vaut mieux leur faire confiance que de lesheurter par une attitude de défi. Grâce à lui, ses donsmerveilleux qui étaient jusqu'alors demeurés cachéspeuvent librement s'affirmer.

Un lecteur sceptique pourrait s'étonner de voir quecet amour passionné reste pur jusqu'au bout. 11 pour-rait croire que sur ce point du moins George Sandest tombée dans les invraisemblances de l'idylle. Ceserait une erreur. La romancière avait certainementconscience de peindre des caractères vrais. Elle savaitqu'il existe dans les campagnes des jeunes gens commeson Landry, et la fierté de Fadette explique sans peinequ'elle ne songe même pas à mettre dans son amour lemoindre geste dont elle ait plus tard à rougir.

A l'époque où George Sand écrivait La PetiteFadette, Balzac composait Les Paysans. On ne sauraitcomparer les deux œuvres. Elles ne sont pas simple-ment différentes ou contraires. Elles s'inspirent depréoccupations si éloignées qu'elles sont en réalitésans rapport entre elles. Quand il écrit Les Paysans,Balzac veut développer une idée qui lui tient profon-dément à cœur, et cette idée est politique. 11 s'agit pourlui de montrer que la Révolution française, en brisantles vieux cadres de la société, en bouleversant le régimede la propriété, a fait du paysan un être entièrementasservi aux basses cupidités. D'où l'image brutalequ'il en donne, et la condamnation qu'il porte sur lapaysannerie française.

Quoi qu'on en ait pu penser, George Sand n'estpas moins vraie. Elle a voulu dire autre chose. Elle aoublié, en écrivant La Petite Fadette, toute préoccupa-tion politique. Elle n'étudie pas les conditions maté-rielles où vivent les paysans du Berry. Mais elle agrandi parmi eux, elle a retrouvé, chaque fois qu'elleest revenue à Nohant, des formes de vie dont elle asenti les effets de purification et d'apaisement, et ellea voulu faire revivre dans La Petite Fadette ce mondedont elle a senti la noblesse, admiré le courage, lapatience, la sagesse. Elle n'a jamais dit ni pensé que

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tous les paysans du Berry étaient de belles âmes.Elle s'est contentée d'évoquer certaines figures trèspures, dont l'existence n'aurait pas été concevable àParis. Et qui sait si, parce qu'elle s'inspirait de sonamour pour ces hommes simples, elle ne les a pasmieux compris que ne pouvaient faire des observa*teurs indifférents?

Geneviève VAN DEN BOGAERT.

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PRÉFACES

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Nohant, septembre 1848.

Et, tout en parlant de la République que nous rêvonset de celle que nous subissons, nous étions arrivés àl'endroit du chemin ombragé où le serpolet invite aurepos.

— Te souviens-tu, me dit-il, que nous passions ici,il y a un an, et que nous nous y sommes arrêtés toutun soir? Car c'est ici que tu me racontas l'histoiredu Champi, et que je te conseillai de l'écrire dans lestyle familier dont tu t'étais servi avec moi.

— Et que j'imitais de la manière de notre Chanvreur.Je m'en souviens, et il me semble que, depuis ce jour-là, nous avons vécu dix ans.

— Et pourtant la nature n'a pas changé, reprit monami : la nuit est toujours pure, les étoiles brillent tou-jours, le thym sauvage sent toujours bon.

— Mais les hommes ont empiré, et nous comme lesautres. Les bons sont devenus faibles, les faibles pol-trons, les poltrons lâches, les généreux téméraires, lessceptiques pervers, les égoïstes féroces.

— Et nous, dit-il, qu'étions-nous, et que sommes-nous devenus ?

— Nous étions tristes, nous sommes devenus mal-heureux, lui répondis-je.

Il me blâma de mon découragement et voulut meprouver que les révolutions ne sont point des lits derosés. Je le savais bien et ne m'en souciais guère,quant à moi; mais il voulut aussi me prouver que

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l'école du malheur était bonne et développait des forcesque le calme finit par engourdir. Je n'étais point de sonavis dans ce moment-là; je ne pouvais pas si aisémentprendre mon parti sur les mauvais instincts, les mau-vaises passions, et les mauvaises actions que les révo-lutions font remonter à la surface.

— Un peu de gêne et de surcroît de travail peut êtrefort salutaire aux gens de notre condition, lui disais-je;mais un surcroît de misère, c'est la mort du pauvre.Et puis, mettons de côté la souffrance matérielle :il y a dans l'humanité, à l'heure qu'il est, une souf-france morale qui ne peut rien amener de bon. Leméchant souffre, et la souffrance du méchant, c'est larage; le juste souffre, et la souffrance du juste, c'est lemartyre auquel peu d'hommes survivent.

— Tu perds donc la foi ? me demanda mon amiscandalisé.

— C'est le moment de ma vie, au contraire, luidis-je, où j'ai eu le plus de foi à l'avenir des idées, à labonté de Dieu, aux destinées de la révolution. Mais lafoi compte par siècles, et l'idée embrasse le temps etl'espace, sans tenir compte des jours et des heures;et nous, pauvres humains, nous comptons les instantsde notre rapide passage, et nous en savourons la joieou l'amertume sans pouvoir nous défendre de vivrepar le cœur et par la pensée avec nos contemporains.Quand ils s'égarent nous sommes troublés; quand ilsse perdent, nous désespérons; quand ils souffrent, nousne pouvons être tranquilles et heureux. La nuit estbelle, dis-tu, et les étoiles brillent. Sans doute, et cettesérénité des cieux et de la terre est l'image de l'impé-rissable vérité dont les hommes ne peuvent tarir nitroubler la source divine. Mais, tandis que nouscontemplons l'éther et les astres, tandis que nous res-pirons le parfum des plantes sauvages et que la naturechante autour de nous son éternelle idylle, on éiouffe,on languit, on pleure, on râle, on expire dans lesmansardes et dans les cachots. Jamais la race humainen'a fait entendre une plainte plus sourde, plus rauqueet plus menaçante. Tout cela passera et l'avenir est

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PRÉFACE I 25

à nous, je le sais; mais le présent nous décime. Dieurègne toujours; mais, à cette heure, il ne gouverne pas.

— Fais un effort pour sortir de cet abattement, medit mon ami. Songe à ton art et tâche de retrouverquelque charme pour toi-même dans les loisirs qu'ilt'impose.

— L'art est comme la nature, lui dis-je : il est tou-jours beau, il est comme Dieu, qui est toujours bon;mais il est des temps où il se contente d'exister à l'étatd'abstraction, sauf à se manifester plus tard quandses adeptes en seront dignes. Son souffle ranimera alorsles lyres longtemps muettes; mais pourra-t-il fairevibrer celles qui se seront brisées dans la tempête?L'art est aujourd'hui en travail de décompositionpour une éclosion nouvelle. Il est comme toutes leschoses humaines, en temps de révolution, comme lesplantes qui meurent en hiver pour renaître au prin-temps. Mais le mauvais temps fait périr beaucoup degermes. Qu'importent dans la nature quelques fleursou quelques fruits de moins ? Qu'importent dans l'hu-manité quelques voix éteintes, quelques cœurs glacéspar la douleur ou par la mort ? Non, l'art ne sauraitme consoler de ce que souffrent aujourd'hui sur laterre la justice et la vérité. L'art vivra bien sans nous.Superbe et immortel comme la poésie, comme lanature, il sourira toujours sur nos ruines. Nous quitraversons ces jours néfastes, avant d'être artistes,tâchons d'être hommes; nous avons bien autre choseà déplorer que le silence des muses.

— Ecoute le chant du labourage, me dit mon ami;celui-là, du moins, n'insulte à aucune douleur, et ily a peut-être plus de mille ans que le bon vin de noscampagnes sème et consacre, comme les sorcières deFaust, sous l'influence de cette cantilène simple etsolennelle.

J'écoutai le récitatif du laboureur, entrecoupé delongs silences, j'admirai la variété infinie que le gravecaprice de son improvisation imposait au vieux thèmesacramentel. C'était comme une rêverie de la natureelle-même, ou comme une mystérieuse formule par

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N° d'édition : L.01EHPN000770.N001Dépôt légal : avril 2016

Imprimé en Espagne par Novoprint (Barcelone)