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LA PETITE BIBLIOTHÈQUE

DE S. CORINNA BILLE

ILLUSTRÉ PAR MIRJANA FARKAS

Les Éditions La Joie de lire bénéficient d’un soutien structurelde l’Office fédéral de la culture pour les années 2016-2020.

Les Éditions La Joie de lire bénéficient du soutiende la République et canton de Genève.

Avec le soutien de la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin - CIIP

Textes publiés pour la première fois en 1999 aux Éditions La Joie de lire dans la collection Récits sous le titre Œuvres complètes pour la jeunesse.

Tous droits réservés pour tous paysTextes © Fondation de l’Abbaye

© Éditions La Joie de lire SA5 chemin Neuf, CH–1207 Genève

ISBN : 978-2-88908-488-3Dépôt légal : novembre 2019

Mise en page : Christelle Duhil et Pascale RosierImprimé en Lettonie

www.lajoiedelire.ch

MARIETTA, L’OURS ET LE CAVALIER

UNE LECTURE OFFERTE PAR LES ÉDITIONS LA JOIE DE LIRE

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MARIETTA CHEZ LES CLOWNS

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C’était une marionnette abandonnée au fond d’une armoire.Elle s’ennuyait beaucoup. Elle espérait que quelqu’un

viendrait la chercher.Mais on ne s’occupait plus d’elle depuis longtemps.La jeune fille et le jeune homme, qui avaient fait jouer les

marionnettes dans un petit théâtre, s’étaient mariés et ils avaient une demi-douzaine d’enfants.

Ils leur avaient donné les marionnettes pour s’amuser. À présent, elles étaient toutes cassées. Sauf Marietta qui aurait bien voulu reprendre la glorieuse vie d’autrefois.

Mais on l’avait complètement oubliée.Le père de famille, qui était un grand clown, et sa femme

trouvaient, avec raison, qu’ils avaient assez à faire avec leurs marionnettes vivantes : Lina, Rouri, Marco, Sylvia, Paolo et Fatatou.

Un jour, Fatatou entra dans l’armoire et ne voulut plus en sortir. Il fouilla par-dessous les jouets accumulés avec les années, reconnut sa première auto (sans roue), son premier avion (sans aile), son singe musicien, et son ours qui n’avait plus de poil tant ils avaient dormi ensemble.

Il finit par découvrir tout au fond la marionnette. Elle avait même encore au bout des bras et des jambes les fils qui lui

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Marietta était heureuse mais elle voulait encore quelque chose.— Je veux devenir clownesse !Les enfants se moquèrent d’elle à nouveau.— Nous sommes, nous, de vrais clowns !Ils allèrent chercher leurs beaux habits de clowns et para-

dèrent devant elle. Lina fit la roue, Paolo joua de l’harmonica, Rouri cracha du feu, Marco s’enferma dans une boîte à double fond, Sylvia coupa la boîte en deux. Mais Fatatou ne fit rien du tout.

avaient donné le mouvement. Mais elle était nue et son pauvre corps de bois était couvert d’égratignures et de salissures.

— Marietta ! s’écria Fatatou.Il fut si heureux de l’avoir retrouvée qu’il la pressa contre son

cœur. Il battait si fort ce bon cœur d’enfant qu’il insuffla la vie à la marionnette.

Elle eut, soudain, le pouvoir de bouger bras et jambes, de tourner la tête, de marcher, de courir, de s’asseoir, de danser.

Et même de parler.Mais d’abord elle ne savait pas très bien. Fatatou dut tout lui

apprendre comme à un petit enfant. Ils riaient beaucoup tous les deux tant ils étaient contents.

La marionnette s’empêtrait un peu dans ses ficelles devenues inutiles. Il les coupa à l’aide de ses ciseaux à bouts ronds. Et, la prenant par sa petite main de bois, il alla la présenter à ses sœurs, à ses frères, à son papa et à sa maman.

Ils furent tous très étonnés.Les frères se moquèrent parce que la marionnette n’avait pas

d’habits. Et les sœurs dirent que Marietta n’était pas tellement jolie.

Mais Dimitri, le clown, lui ouvrit tout grand les bras, et la gentille maman lui donna un baiser sur ses deux joues de bois.

— Ah, bon ! dit Marietta. Maintenant j’ai une famille.On lui fit prendre un bain et on la mit dormir dans un panier

tendu d’une étoffe blanche à rayures rouges. Le berceau de la poupée de Sylvia s’était révélé trop exigu. Dimitri lui installa au jardin une petite maison pour elle seule, avec des rideaux bleus aux fenêtres, et il peignit sur la façade un arbre en fleur.

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Il demanda simplement à sa maman de coudre un habit de clownesse pour la marionnette. Et il cassa sa tirelire pour acheter des paillettes et des perles. Lina plissa une collerette avec du papier de chocolat, Sylvia donna les chaussettes et les souliers blancs de sa poupée. Marco confectionna un chapeau pointu avec du carton. Et Paolo offrit à Marietta un violon minuscule.

— Tu seras unique au monde ! dit Fatatou. Car tu es la plus petite clownesse du monde. Même les nains les plus petits sont encore bien plus grands que toi.

Mais la marionnette, en vérité, ne savait pas faire grand-chose. Elle avait eu l’habitude d’obéir aux ficelles qui la commandaient, l’obligeaient à faire ceci ou cela, et maintenant elle était un peu maladroite.

Les frères et les sœurs de Fatatou recommencèrent à la taquiner :

— Tu es unique au monde, oui, mais tu ne sais pas, comme nous, marcher les jambes en l’air, jouer de la trompette, jongler avec des boules ou des assiettes, faire le saut périlleux, traverser les cerceaux en flammes, etc.

Alors Fatatou alla prier son père de bien vouloir enseigner ses tours à Marietta.

C’était une marionnette très ambitieuse, aussi se donna-t-elle beaucoup de peine. Elle s’exerçait tous les jours, vêtue d’un petit maillot de laine que Lina avait tricoté pour elle. Et le bon clown lui apprit, dans une salle réservée à cet effet, toutes sortes d’acrobaties.

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Marietta pouvait se promener dans le grand jardin. « Mais tu n’en dépasseras pas les limites ! Sinon tu risques de tomber au fond des gorges », lui avait dit sa maman.

Le givre et les glaçons étincelaient comme des petits soleils. La marionnette qui était très curieuse se pencha trop, hors de la barrière, oui beaucoup trop…

Elle dégringola, tête la première. Mais elle fit un redressement, un de ces tours complets qu’elle avait appris. Sa jupe se gonfla comme un parachute. Si la vitesse en fut atténuée, elle arriva quand même au milieu du torrent. Elle s’enfonça, puis reparut à la surface et se mit à flotter : elle était en bois !

On s’aperçut de son absence. On la chercha. On découvrit son chapeau pointu accroché à une branche…

Marietta était tellement étonnée de se trouver voguant sur les eaux, tourniquant au gré des courants, qu’elle n’appelait même pas au secours ! Et sans la longue-vue de papa Dimitri, personne n’aurait pu la voir.

Alors il lança un filet et repêcha la marionnette. Elle fut enlevée en l’air comme une crevette.

Son bel habit de clownesse était tout trempé, tout déteint. Les poissons avaient avalé les paillettes, croyant que c’étaient des vers luisants. Et aussi les pierreries et les perles, croyant que c’étaient des mouches rouges et des mouches vertes.

— J’espère que tu ne recommenceras pas ! dit la maman. Te voilà bien punie : tu as une vilaine angine, tu dois garder le lit ! Tandis que tes frères et sœurs viendront avec nous en auto jusqu’au village pour ouvrir le théâtre.

Il lui fabriqua de petits anneaux, un petit trapèze, de petites échelles et même des instruments de musique tellement petits qu’on pouvait les mettre dans des boîtes d’allumettes. Les enfants collèrent des papiers multicolores sur les couvercles et, chaque soir, Marietta rangeait soigneusement dans ces boîtes : la flûte, l’harmonica, l’accordéon, le tambour, la guitare, et le violon de Paolo dont l’archet était une arête de poisson.

Dimitri fut satisfait des progrès de Marietta et il découvrit qu’elle avait une charmante voix. Il lui fit chanter des comptines :

Bonjour, Madame Lundi ;Comment va Madame Mardi ?

— Très bien, Madame Mercredi ;Dites à Madame Jeudi

De venir VendrediDanser Samedi

Dans la salle de Dimanche.

Il la félicita devant les autres enfants.— Papa Dimitri ? demanda la marionnette. Quand me

prendras-tu avec toi dans ton théâtre ?— Quand le printemps sera venu, nous irons tous au village

et j’ouvrirai mon théâtre qui reste fermé l’hiver.

Ils habitaient, dans une vallée, une longue maison au sommet d’une presqu’île rocheuse entourée d’eaux sauvages.

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que c’était Fatatou. Mais pas du tout, c’était un employé des chemins de fer. Il grommela :

— Encore un enfant qui a oublié son Pinocchio ! Il faut le mettre aux Objets trouvés.

— Je ne suis pas Pinocchio ! Je m’appelle Marietta et je suis une fille !

Elle avait beau hurler, il la mit sous son bras, elle et ses boîtes d’allumettes, et la déposa dans un bureau parmi une centaine de parapluies, de gants dépareillés, de sacs en peau de crocodile, et se retira en fermant la porte à clé.

Mais la marionnette fit un tel tintamarre en renversant tous les parapluies (il y avait aussi des parasols), qu’un autre employé arriva.

Il ne fut pas peu surpris, mais se montra plus compréhensif, plus poli. Bien qu’elle eût perdu sa perruque, il lui dit Mademoiselle et lui fit faire un passeport en règle ainsi libellé :

Fatatou voulut rester avec elle, mais le père l’obligea à venir, car c’était toujours Fatatou qui balayait les salles. Et Marietta demeura seule avec la bonne.

Décidément, elle n’avait plus du tout mal à la gorge, elle se sentait bien et avait très envie d’aller voir le Théâtre Dimitri.

— Comment il est ? demandait-elle à la bonne.— C’est une grande maison, rose pâle, au milieu d’un labyrinthe

de ruelles noires où des chats rôdent, gros comme des lions.Elle croyait faire peur à Marietta en disant cela, mais la

marionnette n’avait pas du tout peur. Au contraire, elle avait toujours plus envie d’aller jouer dans ce théâtre.

Pendant que la bonne repassait les sept pantalons bouffants, les sept chemises, les sept tabliers, les sept vestes des enfants, Marietta se leva sans bruit et enfila son costume de clownesse. Sa maman lui en avait fait un nouveau, avec une large collerette de tulle et des rubans cousus aux manches. Puis elle fit, à l’aide d’une aiguille, un petit trou aux boîtes d’allumettes qui contenaient ses instruments de musique. Elle les lia par une ficelle et les porta en bandoulière.

Elle courut sur la route jusqu’à la petite gare. Justement le train de la vallée arrivait en sifflant. Il s’arrêta. Elle se hissa sur les marches par la force des poignets, comme son père le lui avait appris.

Elle se cacha sous un banc et fut très heureuse de sentir le train rouler de plus en plus vite et la bercer. Si bien qu’elle finit par s’endormir.

— Qu’est-ce que tu fais là ?La marionnette fut réveillée par un coup de balai et crut

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Alors elle se dépêcha de descendre et vit sans peine ce qu’elle cherchait. Aux coins des rues, de jolies petites pancartes portaient ces mots : « Théâtre D*imitri ». Le premier I du nom de son papa était toujours surmonté d’une étoile.

Mais elle trouva la porte fermée. Il n’y avait plus personne.Devant était assis un gros chat roux qui la regardait de ses yeux verts. C’est vrai que pour elle, il était gros comme un lion. Mais elle savait qu’un chat c’est un chat et elle n’eut pas peur du tout.

Mais comment pénétrer dans le théâtre ? Quelle vaste maison ! Avec un toit de granit à quatre pans et deux cheminées. Au midi s’étendait une cour mais elle s’entourait de hauts murs.

— Ah ! Voilà ! dit-elle.Une chatière s’ouvrait au bas d’une porte de bois et vite elle

s’y faufila.

Nom : MARIETTAPère : MONSIEUR DIMITRIMère : MADAME GUNDAÂge : INCERTAINProfession : CLOWNESSETaille : 42 CMYeux : NOIRSCheveux : ABSENTSSignes particuliers : …

— Signes particuliers ?L’employé allait mettre comme d’habitude : NEANTMais il examina bien Marietta et il écrivit : ÉGRATIGNURES SUR LE NEZPuis il lui attacha une étiquette autour du cou, avec son

adresse très lisible.— Ainsi tu ne pourras plus te perdre.Il lui donna encore un billet de train et l’installa sur la

banquette d’un compartiment de première classe.Et départ !Elle put regarder par la fenêtre et s’amusa beaucoup de voir

défiler les montagnes, les villages, les arbres, les moutons. Et dans les prairies, les primevères jaune soufre la saluèrent car c’était déjà le printemps.

Elle se tenait assise, très droite, très fière. Et soudain elle entendit crier :

— Verscio !

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en pyramide ses boîtes et fit le double saut périlleux par-dessus. Elle chanta une comptine en s’accompagnant de la guitare :

La petite sourisOù donc est-elle ?Dans la chapelle.

Qu’est-ce qu’elle y fait ?De la dentelle.

Pour qui ?Pour les dames de Paris.

Et les gamins reprirent en chœur :

La petite souris Où donc est-elle ?

Ce qui attira les chats du quartier qui comprenaient tout, mais ils demeurèrent prudemment sur les murs. Ils n’aimaient pas beaucoup qu’on leur tirât la queue.

Le crépuscule tombait, il commençait à faire froid.— Lumière ! Lumière ! crièrent les enfants. Nous voulons

manger, c’est l’entracte !— Vous n’en avez pas assez vu et entendu comme ça ?

demanda la marionnette un peu vexée.— Non, le Théâtre Dimitri ça dure jusqu’à minuit. Et il y a des

lumières et toujours on mange une bonne soupe, des saucisses et on boit de la limonade.

— Mais la maison est fermée ! dit Marietta.

La cour était bien claire, bien balayée par Fatatou. Au milieu se trouvait un podium. Elle s’empressa d’y monter, se débarrassa de ses boîtes d’allumettes qu’elle portait toujours en bandoulière, ouvrit celle du tambour et se mit à le battre. Puis elle exécuta quelques pirouettes, marcha sur les mains, ouvrit une seconde boîte, en sortit la trompette, souffla dedans…

À ce moment-là, des têtes hirsutes commencèrent à se montrer sur le sommet du mur.

Heureuse d’avoir un public, la marionnette s’appliqua, joua encore du violon, de la flûte, et inventa mille fantaisies.

Bientôt tous les gamins du village furent là. Ils ont l’oreille fine ! Ils s’installaient sur le mur, puis sautaient dans la cour. Ils ouvraient des yeux tout ronds.

— C’est Pinocchio ?Marietta cessa de jouer et se fâcha tout rouge.— Vous m’embêtez avec votre Pinocchio ! Il y a longtemps

qu’il est mort. Moi je suis une fille et je m’appelle Marietta. Et mon père, c’est le grand clown Dimitri !

Pour bien leur montrer qu’elle avait été à bonne école, elle avala son harmonica, se contorsionna et le recracha en trois morceaux.

— Oh ! firent les enfants.Elle sortit de la dernière boîte d’allumettes l’accordéon. Il était

si petit qu’on aurait dit un cachou noir. Elle le tint d’un côté et le laissa s’ouvrir perpendiculairement. L’accordéon soupira des sons étranges, si charmeurs que tous claquèrent des mains.

Mais le spectacle ne faisait que débuter. Elle jongla avec des pièces de monnaie, elle lança en l’air des

drapeaux qu’elle recueillit sur le bout de son nez. Elle entassa

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Un chat rayé, gris et blanc, souleva une chatière au bas de la porte de la maison et poussa un long miaulement.

— J’y vais ! dit-elle.Et elle s’enfila par le trou. Inutile de dire que les enfants ne

purent la suivre, mais je le dis. Elle en ressortit bientôt avec des bougies qu’ils plantèrent autour du podium et allumèrent.

— On veut manger ! réclamèrent-ils encore.— J’ai pas vu de provisions dans les armoires, dit Marietta.— Monte au grenier, c’est plein de châtaignes qui sèchent, tu

n’as qu’à les jeter par la lucarne. La marionnette monta l’escalier. Il faisait nuit noire dans

la grande maison vide. Au sous-sol était le théâtre. Au rez-de-chaussée, le restaurant, la buvette, mais rien encore n’avait été apporté. Elle ne trouva qu’une bouteille de Coca-Cola. Le dernier étage contenait quelques lits où dormaient durant la saison les artistes qui venaient jouer.

Elle monta encore plus haut et là, oui, elle trouva, séchant sur des draps, beaucoup de petites châtaignes. Elle les jeta par la lu-carne. Et les châtaignes faisaient toc-toc sur le crâne des gamins.

Tous les ramassaient et couraient les mettre dans un âtre, à l’angle de la cour, où ils avaient déjà allumé un feu. Ils les faisaient griller sur une poêle percée de trous qu’ils secouaient à deux ou trois. Elle était lourde.

— Chauds ! Chauds, les marrons ! hurlaient-ils.Et tout en se barbouillant de suie, ils les croquaient avec avidité.

Marietta avait aussi découvert une corde à lessive au grenier. Elle la fit doucement descendre par la lucarne. Puis elle la lâcha

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aussi sont des acrobates, les meilleurs acrobates du monde, et pour consoler Marietta ils lui montrent tout ce qu’ils savent faire.

Ils lui donnent encore un concert de miaulements, mais elle ne trouve pas cela très beau. Elle leur dit qu’elle a sommeil. Alors, ils se retirent sans bruit.

Pendant qu’elle dort, une petite souris vient ronger discrètement son nouveau pied. À l’aube il n’en reste plus rien, pas même la colle que la souris a trouvée fort à son goût.

Et c’est en boitillant que Marietta reprit le petit train de la vallée.

Sa famille avait eu beaucoup d’inquiétude. On avait cherché partout, même aux Objets trouvés. Personne ne s’était douté que la marionnette avait passé un jour et une nuit dans le théâtre. Les gamins n’avaient rien dit, les chats n’avaient rien dit, la souris n’avait rien dit. Et pour cause : elle n’arrivait pas à digérer la poix.

— Nigaude de Marietta ! dit le bon clown. Je vais te refaire un pied plus solide qu’avant.

Il choisit du bois de chêne et lui sculpta un pied très mignon. Et Fatatou peignit dessus un soulier tout pareil à l’autre.

Et maman Gunda coupa un nouveau costume dans du satin blanc, et la bonne lui tuyauta une collerette de gaze violette.

— C’est pour jouer avec nous au théâtre, durant la belle saison, lui dirent-ils.

Marietta fut tout à fait contente.

et la corde fut par terre ; tout enroulée comme un serpent. Elle demanda aux plus solides garçons d’en attacher les deux bouts de chaque côté de la cour.

— Je suis danseuse de corde aussi ! annonça-t-elle.Elle mentait. Mais le succès de sa soirée l’avait grisée et elle

avait encore envie de se faire admirer.— Hourra ! dirent les enfants et ils se dépêchèrent d’attacher

la corde à plusieurs mètres du sol.— Veux-tu un balancier ?Ils lui donnèrent une baguette de roseau.Elle esquissa quelques pas glissants, salua à droite, à gauche,

entendit monter vers elle un tonnerre d’applaudissements.Mais soudain : patatras !Son pied se cassa sur un pavé et rebondit jusque dans le feu

où il se consuma en compagnie des dernières châtaignes.— Me voilà belle ! dit la marionnette sans pleurer, car elle

n’avait pas trop mal.— On t’en fera un autre ! promirent les enfants.Ils lui en taillèrent un dans une châtaigne. Un joli pied qu’ils

collèrent avec de la poix.Puis comme ils avaient tout leur content du spectacle, ils se

retirèrent en repassant le mur.À présent la marionnette est toute seule, assise au milieu de

la cour et les bougies achèvent de se consumer. Elle est un peu mélancolique. Tout avait si bien commencé…

Mais les chats, après le départ des gamins, sont entrés en silence. Ils se sont tous installés sur le podium. Eux

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— Et l’an prochain, lui annonça Dimitri, si tu es sage, si tu travailles bien tes flexions, je te prendrai avec moi dans la grande tournée du Cirque Knie.

La marionnette sauta de joie.— Je viendrai aussi, dit Fatatou.— Et moi aussi ! dit Paolo.— Et moi aussi ! dit Sylvia.— Et moi aussi ! dit Rouri.— Et moi aussi ! dit Marco.— Et moi aussi ! dit Lina.

Mais ceci est une autre histoire.

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S. CORINNA BILLE

Stéphanie Bille est née le 29 août 1912 à Sierre, en Suisse. Elle choisira plus tard le prénom de Corinna qui évoque le village de Corin, près de Sierre, d’où sa mère était originaire. Elle visita Paris, voyagea, puis s’installa dans le Valais où l’environnement inspira profondément son œuvre. S. Corinna Bille est l’auteur de romans et de nouvelles. Son recueil, La Demoiselle sauvage, lui valut le Goncourt de la nouvelle en 1975. Elle a également publié des poèmes, des pièces de théâtre et des contes. Elle était l’épouse de Maurice Chappaz. Elle s’est éteinte à Sierre, le 24 octobre 1979.

Du même auteur chez le même éditeur :Le Mystère du Monstre, illustré par Fanny DreyerLe Masque géant, illustré par Janis HeezenLe Pantin noir, illustré par Hannes BinderLa Balade en traîneau, illustré par Géraldine AlibeuMarietta chez les clowns, illustré par AlbertineLa Petite Danseuse et la marionnette, illustré par C. BravoLe Parfum de Mademoiselle Personne, illustré par Y. Grigorov

COLLECTION LA PETITE BIBLIOTHÈQUE DE S. CORINNA BILLE

À paraître :

MONSIEUR TUUUYO ET MADAME RONDO

ILLUSTRÉ PAR ISABELLE PRALONG