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Master en Sciences de la Population & du Développement La participation des associations belgo-tunisiennes au processus de transition démocratique en Tunisie Vers une approche complexe et multidimensionnelle Présenté par : Pierre Beaulieu Membres du Jury : M Mohamed NACHI (Promoteur) M Hassan BOUSETTA (Lecteur) M Gautier PIROTTE (Lecteur) Année Académique 2015-2016

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Master en Sciences de la Population &

du Développement

La participation des associations belgo-tunisiennes

au processus de transition démocratique en Tunisie

Vers une approche complexe et multidimensionnelle

Présenté par : Pierre Beaulieu

Membres du Jury :

M Mohamed NACHI (Promoteur)

M Hassan BOUSETTA (Lecteur)

M Gautier PIROTTE (Lecteur)

Année Académique 2015-2016

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Remerciements

Nous tenons à exprimer toute notre reconnaissance à notre promoteur, Mohamed Nachi, pour sa

patience, sa disponibilité, et la transmission de son expérience. Nous tenons également à remercier nos

deux lecteurs de mémoire, Hassan Bousetta et Gautier Pirotte, pour leurs précieux conseils, leur

confiance et leur souci des détails.

Ce mémoire est également le meilleur des remerciements que nous pouvons adresser à notre entourage

et notre famille pour leur soutien régulier et de manière générale, à toutes les personnes qui n’ont eu de

cesse de croire en nous et de nous prodiguer leurs encouragements lors des périodes les plus difficiles

de notre vie et de notre parcours scolaire.

Merci, enfin, à toutes les Tunisiennes et tous les Tunisiens de Belgique rencontré(e)s, pour leur

disponibilité et leur passion. Nos sincères remerciements, en particulier, à Monsieur Ali Belhaj pour sa

générosité, sa compétence, et son encadrement régulier.

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Liste des acronymes et abréviations

ASBL Association Sans But Lucratif

OSC Organisations de la Société Civile

ONG Organisation Non Gouvernementale

PME Petites et Moyennes Entreprises

UGTT Union Générale Tunisienne du Travail

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SOMMAIRE

1 Introduction générale ........................................................................................................ 1

1.1 Types et profils des acteurs et types d’associations rencontrées ....................................... 3

1.2 Une brève contextualisation du printemps arabe tunisien et de la révolution tunisienne

6

1.3 Un renversement de perspective .......................................................................................... 8

2 Contextualisation et cadre théorique général ................................................................... 9

2.1 La notion de société civile, entre consensus bien utile et fortes contradictions

d’interprétation ................................................................................................................................. 9 2.1.1 Définition(s) et ancrages historiques et conceptuels qui fondent notre positionnement .................. 10 2.1.2 Une « société civile émancipatrice » ? La nécessaire prise en considération de la prédominance des

rapports de force, de domination, des discours et des perceptions ............................................................... 13

2.2 L’espace public et les trois dimensions de la société civile ............................................... 14

2.3 Le « Transnationalisme » : brève revue de la littérature et du prisme d’analyse choisi16 2.3.1 Quelques éléments de définition ..................................................................................................... 16 2.3.2 Les contextes et les facteurs conditionnant les pratiques transnationales ........................................ 17 2.3.3 Modèle d’analyse de l’action politique transnationale .................................................................... 18

2.4 Sociologie des associations, action collective et publicité de l’action : une approche

multidimensionnelle ........................................................................................................................ 20 2.4.1 Définition et présentation des différentes approches concernant les associations ........................... 21 2.4.2 Quelques éléments de considération ............................................................................................... 21 2.4.3 Définition et présentation des différentes approches de l’action collective .................................... 22

2.5 Conclusion ............................................................................................................................ 26 2.5.1 Les limites du paradigme de Transnationalisme : Vers une approche prenant en compte les rapports

de force, de domination, et la publicité de l’action collective ...................................................................... 26 2.5.2 La pluralité des contextes et des formes de pratiques transnationales, l’importance des enjeux de

pouvoir, des rapports de force, des perceptions et des constructions de discours et de sens dans les

associations et les formes d’action collective ............................................................................................... 27

3 Les associations belgo-tunisiennes et la transition démocratique en Tunisie ............... 29

3.1 Introduction ......................................................................................................................... 29

3.2 Cadre méthodologique ........................................................................................................ 30

3.3 Les motifs de l’engagement, l’identification des problèmes, les solutions et les stratégies

misent en place ................................................................................................................................. 32 3.3.1 Les motifs de l’engagement (et les systèmes de valeurs) ................................................................ 33 3.3.2 L’identification des problèmes ........................................................................................................ 41

3.4 La pluralité des formes d’engagement et des pratiques transnationales des

Tunisien(ne)s de Belgique : Entre discours publics et discours cachés, entre résistances

ouvertes et résistances couvertes .................................................................................................... 44 3.4.1 Les pratiques transnationales civiques et politiques ............................................................................ 47

3.5 La révolution de 2011 : Mutation et publicisation du discours caché et des formes

infra-politiques de résistance et de contestation ........................................................................... 48 3.5.1 Les formes de matérialisation et d’explication sociopolitiques de la publicisation du discours des

acteurs associatifs tunisiens de Belgique ...................................................................................................... 51

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3.6 Les facteurs de réussite ou d’entrave, les enjeux et les clivages qui conditionnent la

participation des associations des Belgo-Tunisien(ne)s au processus démocratique en Tunisie

56 3.6.1 Le « Bloc MAT » : Entre statut socio-économique, transmission intergénérationnelle et forte identité

tunisienne ..................................................................................................................................................... 57 3.6.2 La transmission intergénérationnelle et la légitimité auprès de l’ensemble des Belgo-Tunisiens ....... 59 3.6.3 Les clivages idéologiques, politiques et les conflits autour des engagements partisans ...................... 61 3.6.4 La difficulté à mettre en place des instances de représentation ........................................................... 62 3.6.5 La difficulté à se rassembler, à promouvoir et mettre en valeur sa culture et à se fédérer entre

membres de la communauté belgo-tunisienne .............................................................................................. 64

4 Conclusion(s) générale(s) ................................................................................................ 66

Bibliographie ...............................................................................................................................

Annexes ........................................................................................................................................

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1 Introduction générale

Dans ce mémoire, nous allons nous demander « quelles sont les conditions et les formes de la

participation des associations des Tunisien(ne)s de Belgique à la consolidation du processus

démocratique en Tunisie ? ». Cette démarche est le résultat d’un important investissement intellectuel

et physique d’un an et demi et de tout un cadre évolutif de réflexion personnelle et d’intérêt porté au

Maghreb et au monde arabo-musulman, à leur(s) culture(s), leur histoire, leur langue,… ; depuis

plusieurs années. La consécration d’un intérêt également pour les grands changements sociopolitiques

en Tunisie, point de départ de ceux qui ont bousculé l’ensemble de la région et du Moyen-Orient. Des

changements sociopolitiques et une articulation avec le peuple et la société civile tunisien(ne)s qui

selon nous, nous en apprennent également beaucoup sur l’ensemble des dynamiques contestataires et

(re)fondatrices d’un nouveau monde, qui sont en train d’émerger à l’échelle de la planète. Bien que

notre intention de départ était d’aller étudier ces changements directement sur place, la réorientation de

notre étude sur la participation des associations des Tunisien(ne)s de Belgique à la transition

démocratique nous donne finalement à réfléchir, et ce de manière tout à fait atypique et passionnante,

sur les modalités et perspectives de nos propres engagements citoyens et civiques. De ce fait, dans ce

mémoire, bien que le mot « conditions » pourrait le laisser penser, il ne nous appartiendra pas de juger

prioritairement « l’impact » ou encore « l’efficacité » de la participation du monde associatif belgo-

tunisien mais plutôt l’ensemble des facteurs, des « contextes » et des enjeux qui gravitent autour de

cette dernière.

Une compréhension de cette participation et floraison associatives qui, en accord avec l’intuition de la

démarche socio-anthropologique, s’est manifestée avant tout par l’observation et la rencontre et puis

seulement par le risque de poser des hypothèses de compréhension. A ce sujet, cette étude prend forme

dans un espace et un temps consacrés à la recherche inscrits dans les limites de notre dernière année

d’études. Elle est donc consciente de la prudence et de la modestie à avoir dans les propos qu’elle tient

et dans d’éventuelles normalisations. Une initiative qui nous garde également de la prétention de faire

de « l’orientalisme » (la simple curiosité pour des pratiques et des cultures différentes sans s’interroger

sur le propre fonctionnement de notre société ou des mondes associatifs belges et occidentaux).

Dans la première partie de ce travail, notre démarche sera de poser le cadre théorique et conceptuel,

notamment en vue de comprendre l’identité, les pratiques multiples des acteurs et l’aspect vaste des

concepts mobilisés et nécessaires à leur compréhension. A titre d’exemple, le fait de s’interroger sur la

participation des Belgo-Tunisien(ne)s, des définitions que nous faisons de la « société civile » et de

« l’espace public » et de la prise de position que nous prenons par rapport à ces concepts. De plus, le

caractère incontestablement « transnational » de nos acteurs observés provoque automatiquement un

mélange et une complémentarité entre leurs intentions et volontés transnationales et leurs formes

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d’engagement et « d’action collective », parfois transnationales et portées vers la Tunisie, parfois

entièrement inscrites dans le cadre socioculturel et sociopolitique belge. C’est indissociable et lié.

Notre analyse a oscillé sans cesse entre les concepts de « société civile », « d’espace public », de

« transnationalisme » et « d’action collective ». Dans une volonté de complexification et de

combinaison de différentes approches de compréhension, nous avons également mobilisé tant les

outils de l’anthropologie que de la sociologie, que ce soit la sociologie pragmatique et la

microsociologie, la sociologie des mouvements sociaux ou de type « tourainienne » ou encore la

sociologie des associations. De plus, nous insisterons à de nombreuses reprises sur le prisme des

rapports de force, de domination, de pouvoir,… qu’ouvre la situation révolutionnaire et la transition

démocratique en Tunisie et leur nécessaire prise en considération dans les concepts et grilles d’analyse

mobilisés.

Dans la seconde partie de ce mémoire, il s’agira de présenter ce que nous avons découvert et

observé dans le cadre des pratiques (les actions et les logiques) de participation des associations belgo-

tunisiennes à la transition démocratique en Tunisie. Nous y découvrirons notamment que les pratiques

sont évolutives, plurielles, multiples et variées. A la suite de cette partie, nous cheminerons vers la

présentation et la justification de nos interprétations analytiques en regard de ce que nous aurons

présentés dans notre partie théorique et nos observations empiriques. Nous présenterons également

notre cadre méthodologique et notre méthode qualitative, principalement composée d’entretiens semi

directifs, de nombreux déplacements à des évènements (le dernier en date étant le Forum Social

Mondial à Montréal), de l’observation participante, etc. Nous découvrirons notamment que

l’environnement de la participation citoyenne et associative belgo-tunisienne a tendance à être dominé

par des profils socio-économiques précis et que dans le cadre du recul de l’ancien Etat Tunisien et du

remodelage des jeux et responsabilités politiques à pourvoir, qu’il ouvre la porte à de nouveaux

clivages et dysfonctionnements ou à la superposition et la reproduction d’anciens clivages et

dysfonctionnements préexistants.

Enfin, après avoir exprimé les limites de ce mémoire et les pistes de recherche et de réflexion que nous

espérons avoir ouvertes pour nous-mêmes et pour toute personne intéressée par le sujet, nous

conclurons par ce que nous aurons choisi de retenir de notre analyse. Nous exprimerons notamment

notre prise de position contre le déterminisme culturel et rappellerons notre perception de la

complexité et de la multidimensionnalité de la notion de culture, chaque acteur social étant porteur

d'une diversité de répertoires d'actions et de pratiques sociales multiples, qui, selon nous, aujourd’hui

plus que jamais, ne peuvent se laisser enfermer dans une grille de lecture unique.

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1.1 Types et profils des acteurs et types d’associations rencontrées

L’une des caractéristiques inévitables qui s’est imposée à nous quand nous avons commencé notre

étude est le caractère transnational incontournable des acteurs observés. Nous avons, dès le départ,

écarté l’idée d’utiliser le concept de « diaspora » pour cerner les associations belgo tunisiennes et la

communauté belgo-tunisienne en général. Comme l’ont également choisi Sonia Gsir et Elsa Mescoli

(Gsir, Mescoli, 2015), nous avons opté pour une approche en partie, transnationale appréhendant nos

acteurs, non pas en priorité comme un groupe déterminé ou enfermé dans une catégorie culturelle ou

ethnique exclusive mais comme un groupe portant plusieurs catégories de pratiques. Pour souligner

notre propos, nous empruntons la définition de Brubaker (Brubaker, 2005 ; p.12 cité par Gsir, Mescoli,

2015; p. 6) : « en tant que catégorie de pratique, « diaspora » est utilisé pour faire des réclamations,

articuler des projets, formuler des attentes, mobiliser les énergies, faire appel à des loyautés ».

Le groupe d’acteurs analysé dans ce mémoire est issu de l’immigration belgo tunisienne qui selon les

personnes interviewées, aurait débuté dès les années soixante, avec les accords bilatéraux de travail

entre la Tunisie et la Belgique, en particulier l’accord du 7 aout 1969 (Gsir, Mescoli, 2015 ; p. 10). Ce

dernier a vu l’arrivée en Belgique de travailleurs tunisiens, souvent peu qualifiés (paysans,

artisans,…), dans différents secteurs d’emploi, au contraire des accords avec le Maroc et l’Italie qui

ont débouché essentiellement sur des postes dans l’industrie minière et métallurgique.

Toujours selon les témoignages et toujours selon ce qu’en disent Sonia Gsir Elsa Mescoli dans leur

étude, ce type d’immigration a pris fin en 1974 (Ibidem ; p. 9) en raison du choc pétrolier, ce qui

donna place, comme nous y reviendrons plus tard, à une migration par la voie des études, à des

regroupements familiaux, à des mariages (mixtes) et, ce qui nous intéressera tout particulièrement dans

notre étude, à des demandes d’asile d’opposants au régime ou à des migrations de type « politique ».

Les Tunisien(ne)s résidant à l’étranger correspondent à 10% du total de la population Tunisienne. La

plupart vit en Europe dont 58,5% en France (Ibidem ; p 10)1. En Belgique, environ 23 000 y résident

(52% d’hommes et 48% de femmes). La majorité de cette population se situerait dans les tranches

d’âge de 0 à 10 ans et de 20 à 30 ans (Ibidem). Ces données ont toute leur importance, particulièrement

pour quelques-unes des observations et hypothèses que nous détaillerons par la suite. Selon certains

répondants rencontrés dans nos divers déplacements, la plupart des Tunisiens de Belgique vivent dans

la région de Bruxelles (environ une grosse moitié) et dans une moindre mesure à Liège, Gand, Renaix

et enfin Charleroi et le Hainaut. L’une des caractéristiques qui nous a tout de suite marqué dans nos

entretiens, nos immersions et notre découverte de la communauté belgo-tunisienne est le fait que les

acteurs, au contraire de la communauté marocaine, italienne, turque ou encore congolaise, sont peu ou

1 Pouessel, S. 2014. Report on Tunisian Legal Emigration to the EU: Modes of Integration, Policy,

Institutional Frameworks and Engagement of Non-State Actors, INTERACT RR 2014/22,

Robert Schuman Centre for Advanced Studies, San Domenico di Fiesole (FI): European

University Institute, cité par Gsir, Mescoli,… ; p.10.

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pas du tout concentrés dans des zones géographiques ou urbaines communes2. Selon plusieurs

intervenants, ce phénomène s’explique majoritairement par le nombre relativement modeste par

rapport à d’autres communautés (marocaine ou turque) et également au vu de nombreux mariages

mixtes, qui caractérisent visiblement un certain nombre de Tunisien(ne)s de Belgique. Au niveau de la

circulation (transnationale) des individus, elle est assez fréquente. Plusieurs répondants affirment

rentrer au moins chaque été en Tunisie (souvent avec famille au complet) et y consacrer une part

importante de leur revenu et salaire.

Depuis 2011 et la révolution, on observe un foisonnement associatif assez spectaculaire, en Tunisie,

mais également en Belgique en ce qui concerne les associations des Tunisien(ne)s de Belgique.

Selon le rapport du PNUD sur la société civile tunisienne datant de 20143, l’ancien régime avait

favorisé l’activité de quelques 9700 associations (essentiellement artistiques, culturelles et sportives).

Depuis 2011, on estime que plus de 2000 nouvelles associations ont été créées. En Belgique, parmi les

associations identifiées, ce sont 10 et 15 associations créées entre fin 2010 et 2015 avec lesquelles

nous avons pu rentrer en contact. Cela dit, selon les entretiens avec des responsables associatifs ou

consulaires, il existe un nombre assez important d’associations et d’initiatives citoyennes (belgo-

tunisiennes) qui existent en dehors du recensement que nous avons pu faire ou que les mêmes

responsables ont pu nous renseigner, qui se manifestent alors en tant qu’associations clairement et

officiellement rattachées aux grands partis tunisiens (« ennahda »4, « nidaa tounes »

5,

« ettakatol »6,…) ou dans le cadre d’initiatives autour de la sphère religieuse.

Au vu des éléments sociodémographiques présentés, même si certains membres associatifs rencontrés

revendiquent pleinement leur citoyenneté belge et sont contre le concept de « communauté » (une

divergence d’avis que nous attribuons personnellement à la pluralité et à la divergence des classes

sociales de ceux qui se positionnent sur la question…) , il nous semble intéressant de mentionner que

certains intervenants nous ont souvent décrit que le travail des associations nées depuis 2011 et les

nouvelles formes de participation citoyenne qu’il implique ont un impact positif sur la construction

d’une « communauté » tunisienne en Belgique, qu’il serait autrement impossible d’identifier.

A ce titre, il nous semble intéressant de mentionner que beaucoup de personnes rencontrées se

comparaient et se définissaient spontanément et volontiers avec les marocains et les turques (de

2 En ce qui concerne cette affirmation, nous nous appuyons sur nos propres observations et expériences de vie dans différents

quartiers multi-culturels de villes comme Bruxelles, Namur ou Liège. 3METOUI Mokhtar, MAINSI Ahmed, GAFSI Henda, MALENA Carmen, 2014, « La société civile dans une Tunisie en

pleine mutation », rapport du Programme des Nations Unies pour le Développement p.12 4 Le parti islamo-conservateur, longtemps réprimé sous Ben Ali, au pouvoir entre 2011 et 2014, en Tunisie. En arabe,

« ḥarakat en-nahḍa », signifie « mouvement de la renaissance ». 5 Le parti créé par Béji Caïd Essebsi, actuellement au pouvoir depuis 2014. En arabe, « nidaa tounes » signifie « appel de la

Tunisie » ou encore « appel pour la Tunisie ». 6 Le parti qui se rapproche le plus d’une forme de parti socialiste ou de centre gauche. En arabe, « et-takatol ed-dīmoqrāṭī

min ajl il-‘amal wa l-horiyāt », signifie ce que nous traduisons nous-mêmes par « le forum démocratique pour le travail et les

libertés ».

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Belgique), tant au niveau de leurs caractéristiques sociodémographiques, qu’au niveau de la

psychologie individuelle des individus, du rapport à l’islam, de l’éducation, des rapports hommes-

femmes, etc7 (voir Annexes 3.6 Majid, enregistrement du 5 février 2016 ; 3.7 Majid, enregistrement du

5 février 2016).

En résumé, les pratiques et les formes d’engagement citoyennes et transnationales dont il sera question

dans ce mémoire sont le fait d’acteurs ayant des profils différents (des Tunisien(ne)s immigrés depuis

plusieurs décennies, des enfants de Tunisien(ne)s issus ou non de couples mixtes, etc.) mais une partie

écrasante appartient à la classe moyenne éduquée, ont plus de 40 ans et présentent une expérience dans

l’associatif ou la participation citoyenne en Belgique et/ou en Tunisie. Ces considérations impliquent

notamment qu’ils et elles sont connecté(e)s à des réseaux, ont la capacité de se promouvoir et de

maitriser les nouvelles technologies (réseaux sociaux, mails,…) et bénéficient d’un capital relationnel

important.

La liste de contacts et d’associations (en Belgique) sur base de laquelle nous nous sommes appuyé

pour rencontrer les acteurs principaux de notre étude nous a été aimablement fournie par Monsieur Ali

Belhaj et le Centre socio culturel tunisien « dar tounsi »8. Au vu des restrictions temporelles et

géographiques de notre terrain d’étude mais également au vu de la difficulté d’établir des contacts ou

de recevoir de réponses avec certains acteurs précis de la «société civile belgo-tunisienne», notamment

à cause du fait qu’ils sont en dehors des « réseaux formels » par lesquels nous sommes passés, il ne

nous a malheureusement pas été possible de rencontrer ou d’avoir des contacts avec l’entièreté des

associations belgo-tunisiennes. Les associations rencontrées ou qui ont été étudiées dans ce mémoire

sont :

L’Amitié Belgo Tunisienne, située à Charleroi

L’association des Démocrates Tunisiens au Benelux (ADTB), située à Bruxelles

Asteria Ronse, située à Renaix

Le Comité de Vigilance pour la Démocratie en Tunisie (CVDT), situé à Liège

L’Entraide Belgo Tunisienne (EBT), située à Bruxelles

Ezaitouna Humanitaire, située à Gand

Forum Euro-Tunisien de Citoyenneté Active (FETCA), situé à Bruxelles

La Main d’Ilyssa, située à Bruxelles

7 En effet, nombreux sont celles et ceux qui, parmi les personnes interviewées et les arabo-maghrébins eux-mêmes, pensent

que les Tunisiens se démarqueraient de façon assez atypique dans le monde arabo-maghrébin. Une exception socio-culturelle

qui s’expliquerait majoritairement et en partie par le haut niveau d’éducation prôné dès la moitié du 20eme siècle, la place

privilégiée et l’indépendance de la femme dans la famille et la société tunisienne, une certaine laïcité (politique ou

individuelle) héritée de l’ère Bourguiba ou encore des avancées sociopolitiques tout à fait particulières que l’on peut

identifier dès la période des « bey » (les souverains attachés à l’empire ottoman entre le 16eme et le 20eme siècle). Parmi

celles-ci, les premières constitutions (1861) et ligue des droits de l’homme (1976) du monde arabe, les premiers syndicats et

parti communiste de la région, le code du statut personnel (1957) qui instaure l’égalité homme-femme, le mariage civil, la

scolarisation obligatoire, qui abolit la répudiation, etc. 8 Situé à Bruxelles, il accueille les associations et la communauté belgo-tunisienne pour des expositions, des évènements, des

conférences, des réunions, des stages, des cours d’arabe,… En arabe, « dar tounsi », se traduit par « la maison tunisienne ».

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Passerelles Humanitaires Europe Tunisie (PHET), située à Bruxelles

Wissal, située à Bruxelles

Etudiants Tunisiens de Belgique, située à Bruxelles

1.2 Une brève contextualisation du printemps arabe tunisien et de la révolution

tunisienne

Le déclenchement du printemps arabe tunisien, qui est le point de départ de toute la vague de

contestation qui s’est propagée dans tout le monde arabe ces dernières années, peut, selon les

interprétations, correspondre à deux évènements. D’une part, les contestations qui sont parties des

régions rurales du centre ouest (Sidi Bouzid) suite, notamment, à l’immolation par le feu du jeune

marchand Mohammed Bouazizi, qui s’était vu confisquer sa marchandise par la police. D’autre part, le

départ du président Ben Ali et la fin de la dictature. Ces deux dates, respectivement le 17/12/2010 et le

14/01/2011, bien que reconnues toutes deux dans la constitution de 2014, sont discutées selon l’origine

des contestataires et des protagonistes. A notre sens, ces deux phases et ce débat touchent intimement

la non homogénéité, voire la division, socioéconomique notamment, de la société civile tunisienne. Ils

mettent en lumière également la pluralité et la diversité des acteurs de cette dernière. D’un côté, les

soulèvements populaires cristallisés depuis de nombreuses années, issus des régions défavorisées et

oubliées du pays, et qui portent des revendications essentiellement socio-économiques. D’un autre

côté, la propagation de ces contestations à la région de la capitale (Tunis), aux classes moyennes et à

une partie des élites, avec des revendications plus seulement socio-économiques mais également

politiques (Nachi, 2015 ; Beaulieu, 2015 ; Ben Nefissa, 2011, pp. 5-24).

Les deux mois qui suivirent le départ de Ben Ali marquèrent l’histoire du pays. Ses ministres

démissionnèrent mais se retrouvèrent, pour beaucoup d’entre eux, dans le gouvernement de R.

Ghannouchi, ce qui (re)provoqua la mobilisation des deux mêmes types d’acteurs, respectivement

dans les régions du centre-ouest, puis à deux reprises sur la place « Kasbah » de Tunis. Les ministres

ayant été remplacés par d’autres, peu ou pas plus révolutionnaires, le départ de Ghannouchi et une

assemblée constituante furent exigés. Ces deux revendications, le pouvoir révocatoire et constituant,

deux invités privilégiés dans l’histoire des révolutions et des changements sociopolitiques majeurs, ont

été les deux fers de lance de la révolution citoyenne tunisienne. Ces revendications se soldèrent par les

élections du 24/07/2011 et la nomination de Beji Caïd Essebsi, un homme politique d’expérience et

ancien collaborateur de Bourguiba, comme premier ministre. Cette issue a permis de démontrer que le

processus révolutionnaire de l’époque manquait de convergence et de leadership. Suite à ce dernier,

s’en suivirent donc le processus électoral et la logique du dialogue national. De 2011 à 2014, le parti

islamiste « Ennahda » dirigea le pays s’appuyant sur les partis « Ettakatol » au gouvernement, et le

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CPR9, à la présidence de la République. A ce stade de la transition démocratique, on peut affirmer

objectivement que l’opposition de gauche et la société civile étaient quelque peu biaisées et mises de

côté et que nous assistions donc à une bipolarisation du champ politique avec au pouvoir, la « troïka »

des trois partis cités précédemment, et dans une position marginalisée, les partis de gauche et

d’opposition et une grande partie de la société civile tunisienne (Ben Lamine, 2013 ; Beaulieu, 2015).

Dans une certaine mesure, « le peuple de la révolution » contre « le peuple des élections ». Suite à de

nombreux excès de pouvoir d’« Ennahda » (notamment en ce qui concerne son influence sur

l’assemblée générale), à de nombreuses contestations, aux assassinats des leaders de gauche

Mohammed Brahmi et Chokri Belaid et les accusations qui suivirent, à la montée en puissance des

salafistes dans tout le pays,… ; « Ennahda » est obligé d’accepter de faire un pas en arrière. Cette

dernière période nous entraîne dans la phase que nous pourrions qualifier de « phase de compromis »

durant laquelle le syndicat UGTT et la gauche ont poussé au dialogue national et à la démission du

gouvernement (Nachi, 2015). Cette période déboucha sur l’élection législative d’octobre 2014 avec la

victoire de « Nidaa Tounes » et l’élection présidentielle à suffrage universel direct les 23 novembre

(1er tour) et 21 décembre 2014 (2eme tour) avec la nomination de Beji Caïd Essebsi. L’actualité

tunisienne de l’année 2015 et de l’année 2016 a principalement été marquée par la volonté de

continuer la construction et l’apprentissage du compromis politique et par les divers attentats qui ont

frappé le pays, accentuant ainsi la crise socio-économique, marquée par l’insécurité et les tensions

liées à la présence terroriste sur le sol tunisien. Une insécurité et une crise tant liées aux attentats de

mars et juin 2015, avec des conséquences désastreuses sur l’industrie touristique tunisienne, qu’à la

présence de groupes terroristes armés à la frontière libyenne et à la forte présence de combattants

Tunisiens dans les rangs de « Daesh »10

.

A ce titre, comme nous le découvrirons plus avant dans ce mémoire, certaines des associations ont fait

de ces diverses problématiques les fers de lance de leurs activités et initiatives, à l’image

d’associations comme l’Association des Démocrates Tunisiens de Belgique (ADTB) et leur

organisation d’un colloque d’échange entre la Belgique et la Tunisie autour de l’art du compromis ou

encore le Comité de Vigilance pour la Démocratie en Tunisie (CVDT) et l’organisation d’actions de

soutien au tourisme en Tunisie ou d’ateliers autour de la radicalisation chez les jeunes. A la situation

d’état d’urgence prolongé du pays se superposent les problèmes qui, selon les intervenants, ne

semblent pas avoir tout à fait disparus depuis la chute du régime, à savoir : le chômage11

, la difficulté à

attirer des investissements étrangers, l’afflux de nombreux réfugiés venus de Lybie, etc.

9 Parti du leader Moncef Marzouki, président de la Tunisie entre 2011 et 2014. En arabe, « al-moʾtamar min ājl al-

jomhūriya ». 10 Abréviation de l’arabe « al dawlah al islāmiyya fi-l-ʿirāq wa al shām », que nous traduisons par « l’Etat islamique en Irak

et dans le Sham » (les territoires actuels de la Syrie, Jordanie, Israël et Liban). 11 A noter que c’est précisément un taux élevé de chômage chez les jeunes diplômés tunisiens qui s’est avéré être l’un des

facteurs qui a amplifié le processus révolutionnaire et la transformation socio-politique du pays.

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- 8 -

1.3 Un renversement de perspective

D’une approche « top down » à une approche « bottom up » des concepts de « société civile » et

« d’espace public »

Comme nous l’avons déjà en partie découvert, les acteurs que nous analysons prennent place à

la fois dans le monde associatif, la société civile belge ainsi que dans l’espace public belge et

Tunisien.

Au vu des éléments de terrain et du contexte particulier de la révolution tunisienne que nous vous

présenterons dans ce mémoire, il apparait clair dès le départ que les associations belgo-tunisiennes,

leurs membres et leur entourage, prennent place ou tentent de prendre place dans une forme d’espace

public transnational. Un espace interconnecté entre l’espace public belge et l’espace public tunisien,

encore jeune et en pleine construction, ainsi que dans une communauté internationale de citoyens

(pour ne pas employer le terme « société civile internationale »), que ce soit autour des affinités et

engagements particuliers pour des causes bien précises (cause palestinienne,...) ou autour de la

participation à des évènements comme le Forum Social Mondial, ou encore à des revues ou des

conférences internationales, etc.

Ce type de considérations nous a amené, dès le début de notre étude, à nous poser certaines des

questions suivantes : Quelle forme prend l’engagement des associations des Tunisien(ne)s de Belgique

dans la société civile ? : Un espace davantage orienté vers un contrôle étatique ou vers la sphère

privée ?, Un espace empreint d’influences familiales/communautaires ? Un tiers-secteur classique ou

un contre-pouvoir ?, Un espace monopolisé par certains « gros » acteurs ? Une continuité des élites

associatives et civiles vers des structures préexistantes de l’ancien régime ? Un tremplin de ces mêmes

élites vers les nouvelles formes d’organisation du système politique et vers les nouvelles

responsabilités à pourvoir ? Les associations des Tunisien(ne)s de Belgique sont-elles les courtiers

entre les deux espaces publics (belge et tunisien) ? Quelles capacités de connexion ont-elles avec

l’espace public belge ?

Autant de questions dont, en ne perdant jamais de vue notre question de départ, nous tenterons de

répondre dans le présent mémoire. De plus, le modeste apport et la finalité ultime de ce dernier se

subdivisent en trois grands objectifs.

D’une part, mettre sur le devant de l’analyse et imposer à des concepts aussi vastes que celui de

« société civile », « espace public » ou encore « transnationalisme », la prédominance des rapports de

force, de pouvoir, de domination, les intérêts particuliers ou collectifs, les enjeux passés et présents,

les interrelations, les situations de monopole de l’action ou de légitimité s’il y a lieu d’être, les

clivages qui séparent, etc. Ce mémoire traduit une volonté claire, à l’instar d’auteurs comme Oliver de

Sardan (Olivier de Sardan, 1995 ; pp.10-70), Cefaï (Cefaï, 2001, pp. 6-322) ou encore Barthelemy

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- 9 -

(Aligisakis, 2001 ; pp. 589-591) de considérer notre groupe d’acteurs et l’espace d’interaction dans

lequel ils prennent place comme une « arène ». En d’autres termes, pour nous, situer les associations

belgo-tunisiennes dans la société civile, dans l’espace public et dans la participation au processus de

transition démocratique tunisien, c’est faire état des clivages et des espaces de conquête et de lutte que

laissent le recul de « l’ancien » Etat tunisien et la révolution. Cette approche, plus ciblée et davantage

socio-anthropologique ou ethnographique, a pour volonté d’essayer de se concentrer plus

profondément sur les perceptions et les régimes de sens, ce qui nous a permis notamment et également

de nous poser le type de questions suivantes : Qui touchent les associations tunisiennes de Belgique,

quelles générations (en âge et en « générations d’immigration ») ? ; Quel type de personnes et quelle

population cible, pour quel champ d’action ? ; Quels sont les « gagnants » et les « perdants » ? Quels

sont les plus visibles et les moins visibles ?

D’une autre part, aller à l’encontre d’un excès de « mysticisme », d’« essentialisme » ou

d’ethnocentrisme ou, au contraire, de culturalisme ou encore de pessimisme s’agissant du regard que

l’on peut porter sur les sociétés arabo-musulmanes et sur leurs capacités à s’approprier la démocratie

ou à se constituer en société civile de type émancipatrice. Enfin, des types d’analyse qui ont l’ambition

de creuser aussi loin dans les logiques et les réalités (parfois sous-jacentes ou infra-politiques) des

personnes, permettent la présentation de la complexité, de la diversité et de la multi dimensionnalité de

la culture et des formes d’engagement d’un groupe donné d’acteurs.

2 Contextualisation et cadre théorique général

Ce chapitre, porte d’entrée mais déjà aussi matière de notre analyse et de la présentation de nos

hypothèses, a pour but de situer et de contextualiser les grands concepts et paradigmes qui ont jalonné

notre étude, à savoir « société civile et espace public », « transnationalisme » et « sociologie des

associations et de l’action collective ». Ce chapitre, moins le reflet de la démonstration de notre

gloutonnerie livresque ou de la passion qui nous a animée autour des trois grands domaines mobilisés

que la volonté, déjà analytique, de sélectionner les éléments de définition et d’analyse, ainsi que le

cadrage théorique, essentiels à la réponse de notre question de départ et au détail de nos hypothèses.

Ainsi, nous proposerons également une prise de position et une synthèse de nos réflexions

personnelles sur ces différents concepts ainsi que ce que nous déciderons précisément et

synthétiquement d’en retenir.

2.1 La notion de société civile, entre consensus bien utile et fortes contradictions

d’interprétation

Dans les lignes qui suivent, il n’est nullement question pour nous de nous attarder trop longuement et

lourdement sur les aspects théoriques des deux concepts de « société civile » et d’ « espace public »,

nous avons eu l’occasion de le faire dans différents travaux lors de notre cursus de Master. Il s’agit

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simplement de contextualiser et de situer le prisme avec lequel nous avons choisi d’appréhender ces

deux concepts et plus important encore, celui avec lequel, à travers notre question de départ, nous

avons choisi d’y intégrer les acteurs observés, selon leur histoire, leur historicité et leur contexte

actuel.

2.1.1 Définition(s) et ancrages historiques et conceptuels qui fondent notre positionnement

La notion de société civile prête à discussion, à contradiction, et à opposition. Il n’y a pas un

consensus sur sa définition et le sens qu’il faut lui donner. Au départ, il s’agit d’un concept de la

philosophie politique occidentale, issu de la philosophie antique, récupérée et exploitée entre le 17eme

et 18eme siècle. En sa qualité de « buzzword » des trente dernières années, il a connu un succès

populaire et planétaire sans jamais parvenir à acquérir une définition précise et légitime au niveau

sémantique. Ce concept est finalement une sorte de « label du vide » qui donne l’impression de faire

consensus tout en désignant finalement des interprétations et des perceptions différentes (Poncelet,

Pirotte, 2007 ; p.10).

La société civile est une des notions les plus ambiguës du champ et du débat sociopolitique actuel.

Certains l’ont définie et la définissent toujours par opposition à l’Etat, en englobant ainsi l’ensemble

des institutions (famille, entreprise, associations...) à travers desquelles les individus poursuivent des

intérêts communs sans interférence de l’Etat (Rangeon, 2014 ; p. 10). Pour d’autres, la société civile

ne devrait pas être perçue en opposition à l’Etat mais au contraire, comme étant le lieu où le privé et le

public s'interpénètrent (Freund, 1965 ; p.299). Une dichotomie, d’une certaine façon présente en

grande partie présente dans notre mémoire et chez les acteurs belgo-tunisiens observés. Comme nous y

reviendrons en conclusion de ce mémoire, dans le contexte des « sociétés civiles maghrébines » en

particulier, il existe également un réel problème de définition et un déchirement théorique et empirique

constant entre la volonté et la perception d’une société civile universelle ou une d’une société civile à

l’occidentale (l’exceptionnalisme occidental).

Pour Hobbes, comme pour beaucoup d’auteurs du XVIème siècle (Machiavel,…), la société civile

signifie pour la première fois l’Etat. A l’inverse de la cité grecque d’Aristote, il s’agit ici d’une

organisation politique et juridique des hommes vivant sous un pouvoir commun souverain, et dans les

limites d'un territoire déterminé (l’Etat), créée dans le but d’assurer leur sécurité et leur bien-être

(Rangeon, 2014 ; p. 12). Au XVIIème siècle, John Locke concevait la société civile plus ou moins

selon les mêmes termes si ce n’est qu’il nous renseignait que sa finalité principale est la conservation

du droit, de la liberté et de la propriété. Si l’Etat ne se conformait pas à ces principes, les citoyens

avaient le droit légitime de se rebeller (Locke, 2008). Rousseau accentuera dans ses théories la notion

de propriété privée et l’autonomisation de la société civile par rapport à l’Etat., en y rajoutant la notion

de civilisation, la société civile (ou civilisée) étant un espace de gens « civilisés » (Ibidem ; p.16). La

perception de Jean-Jacques Rousseau du concept de société civile nous semble on ne peut plus actuelle

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et liée à notre sujet d’étude dans le sens où il la percevait comme étant autant un giron de progrès

social qu’une source d’injustice et d’inégalité. A l’inverse de beaucoup de penseurs de son temps,

Rousseau s’oppose donc à l’optimisme d’une société civile (ou civilisée) régie par les bienfaits du

marché, de la concurrence, des intérêts particuliers, des besoins et de la modernité (Mandeville, Smith,

Ferguson, Constant,…) et introduit les contradictions que comprend cette dernière.

L'œuvre de Kant fait renaitre la société civile face à la croyance de la primauté et l’antériorité de la

nation et de l’Etat (l’Etat créé la société civile et non l’inverse), comme l’atteste, par exemple, la loi Le

Chapelier (1791), qui prononce la dissolution des corporations en France. A partir du code civil

français de 1804, possédant son propre droit, la société civile est désormais capable de s'émanciper et

de rompre le lien qui la reliait constamment à l'Etat, ce qui créera par la suite, et jusqu’à aujourd’hui,

l'opposition civil-politique, la société civile s'identifiant progressivement à la sphère privée, distincte

de la sphère publique où règne en maître l’Etat (Rangeon, 2014 ; p.30). Cette considération, comme

nous le découvrions par la suite, est elle aussi intimement liée à notre analyse et aux conclusions que

nous tenterons de proposer dans ce mémoire.

Hegel, précédant Marx, est sans aucun doute le penseur à qui l’on doit le plus d’avancées en ce qui

concerne la clarification du concept contemporain de société civile (Ibidem, p.22). Sans sa conception

de la « bürgerliche gesellschalt »12

, l’objet principal est le bourgeois, tout comme l’est la personne

dans le système juridique, ou le membre de la famille dans la famille (Hegel, 1989 ; p. 258). La

bourgeoisie, lieu d’expression de la société civile, est venue progressivement s’intercaler entre

l’Etat et la sphère familiale. Dans le premier espace de socialisation qu’est la famille, tout est mis en

commun et rien n’est susceptible d’y être échangé. Ce sera donc l’éclatement ou la sortie de la famille

de l’individu qui produira le besoin d’échanges, qui lui-même conduira à la nécessité de se constituer

et de s’allier en tant que société civile. Alors que l'individu lambda n'était jusque-là qu’un membre

ordinaire de la famille, il s'émancipe dans et par la société civile et devient lui-même la propre fin et le

strict enjeu de son action. De par sa nature bourgeoise, elle ne poursuit que des « buts limités et finis »,

c’est-à-dire différents intérêts individuels ou collectifs (Rangeon, 2014 ; p.23). Suite à cette

constatation, Hegel marque les limites de l’émancipation de cette société civile (bourgeoise) en

affirmant que c’est via la soumission à l’Etat qu’elle doit se réaliser, ce dernier étant chargé de

résoudre (juridiquement) les contradictions internes de la société civile, et de se porter garant de

l’intérêt universel (celui du citoyen) et non du particulier (celui du bourgeois ou de l’égoïste). Dans

cette logique, la vision de plus en plus contemporaine de « notre société civile » belgo-tunisienne

apparaît, dans laquelle ce rapport ambigu entre Etat et société civile est l’expression d’un

équilibre constant entre opposition, contrôle, et de plus en plus, complémentarité ou

collaboration.

12 En allemand : « société bourgeoise »

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Karl Marx reconnait l’existence de la société civile en tant que société bourgeoise mais à travers la

mise en avant de la lutte des classes. La société bourgeoise de son époque n’est pas encore totalement

dominante dans l'État, mais fait bel et bien sentir sa prépondérance dans la société civile et, bien

entendu, d'abord dans l'économie, à travers le monopole des moyens de production. Marx voit l’être

humain comme un « animal politique », grégaire, qui s’individualise au sein de la société civile,

perçue comme l’évolution d’un procédé où l’on observe la matérialisation de la défense des intérêts

particuliers sous une forme administrative et corporative (Marx, 2008 ; p.84). Cela dit, la différence

fondamentale entre Hegel et Marx, réside dans le fait que la propriété privée, au lieu de favoriser

l’humanité et la moralisation de l’homme en étant contenue par l’Etat éthique et l’influence de l’esprit

(chez Hegel), au contraire, pénètre l’Etat pour maintenir l’aliénation des hommes et des travailleurs.

Marx introduit ici l’idée que la « force spirituelle dominante » est en même temps celle de la classe

qui est la force matérielle dominante de la société.

C’est dans ce cadre conceptuel qu’Antonio Gramsci créé une analyse de l’Etat en le divisant en

société civile (syndicats, écoles, aujourd’hui OSC, asbl,…), animée par la sphère de l’hégémonie

culturelle, et société politique (Etat, institutions, police, armée,…), animée par la sphère de la

coercition (Gramsci, 1975 ; pp. 13-31). Cette distinction et la pensée gramscienne sont absolument

indispensables à mentionner pour introduire les conclusions et les hypothèses que nous proposerons

dans ce mémoire.

Gramsci accuse la société civile, en tant que membre de son Etat, d’être, en quelque sorte, le moyen de

légitimation et la deuxième jambe de l’hégémonie idéologique, de la coercition et du contrôle de

l’Etat. Il prononce le verdict que si le pouvoir bourgeois tient en place et prospère, ce n’est pas

uniquement par la main de fer par laquelle il tient le prolétariat, mais davantage grâce à son emprise

sur les représentations culturelles de la masse des travailleurs. Cette hégémonie culturelle amenant

même les dominés à adopter la vision du monde des dominants et à l’accepter comme « allant de

soi ». Pour renverser la vapeur, la conquête du pouvoir doit passer par un long travail idéologique et

une préparation du terrain au sein de la société civile. Si dans les régimes dictatoriaux, comme la

Tunisie sous Ben Ali, c’est surtout la société politique qui règne (par l’oppression, la cooptation et

par des libéralisations de façade), dans les sociétés occidentales démocratiques, c’est

principalement une partie de la société civile qui organise la domination. Comme nous y

reviendrons dans les conclusions de notre partie analytique, c’est donc autant en son sein que le

combat (culturel) doit être mené et non par une confrontation frontale avec la société politique.

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2.1.2 Une « société civile émancipatrice » ? La nécessaire prise en considération de la

prédominance des rapports de force, de domination, des discours et des perceptions

Comme nous avons tenté de l’introduire ci-dessus, ce mémoire est à la fois d’influence hégélienne,

marxienne13

et gramscienne. Selon nous, la « société civile » et la multitude de ses pratiques gagnent à

être envisagées par le prisme des rapports de force, de domination, par les stratégies et les différentes

perceptions, par les différents discours,… ; qui gravitent en elles et autour d’elles.

La normalisation des concepts de « société civile » et d’ « espace public » et la pratique d’un discours

et d’un savoir trop technique ou trop sémantique permet, certes, de faire consensus mais a

également parfois pour conséquence de maintenir le citoyen éloigné de la compréhension de la

réalité et l’acteur (associatif) du centre de gravité de l’analyse. Le danger est alors, consciemment ou

inconsciemment, de choisir de ne pas se focaliser sur la dynamique politique, conflictuelle et

finalement participative de l’action populaire et citoyenne. Le but de ce mémoire est cela dit, comme

nous y reviendrons plus tard, d’attirer l’attention du lecteur sur la complexité de la notion

émancipatrice de la société civile, et sur la nécessité de prendre en compte et de respecter la diversité

des contextes.

En effet, selon les lieux et les contextes, les réactions à l’oppression, l’injustice ou tout simplement à

ce qui est défini comme un problème plus ou moins collectif, peuvent prendre des formes bien

différentes. Dans certains contextes, comme ce fut le cas de nombreuses fois en Europe, Occident,

Amérique Latine, Monde arabe,… et pour les Tunisiens ; l’action contestatrice et émancipatrice

d’une « société civile » a pu prendre la forme d’un mouvement social ou d’une mobilisation

collective, identifiant une privation hautement valorisée, une frustration plus ou moins forte, un

ennemi clairement identifiable, mettant en route une mobilisation plus ou moins conséquente, et

débouchant sur une organisation de la mobilisation plus ou moins forte, efficace, et légitime (Bajoit,

2011). Parmi les derniers exemples en date, les printemps arabes et « notre révolution Tunisienne »,

les indignés espagnols, Occupy Wall Street, Podemos (alliance entre mobilisation collective

horizontale et forme de représentation partisane verticale), etc. Dans certains contextes, bien souvent

les sociétés du Sud sous régime autoritaire, la société civile émancipatrice ou contestataire peuvent

également, ou parallèlement, se manifester sous forme de stratégies de résistance qui recevront un

intérêt tout particulier dans ce mémoire.

Une action civile et citoyenne émancipatrice qui occupe également une grande place dans l’étude

qui nous intéresse et qui tend à se manifester dans la totalité du monde, à des échelons plus ou

moins locaux et selon des dispositifs modestes et irréguliers ou selon des initiatives plus importantes

et solidement ancrées (Pirotte, Poncelet, 2007 ; pp. 9-22). Le cas de la Tunisie, bien entendu,

13 Nous différencions volontairement l’analyse marxiste (se voulant fidèle à l’application stricte des concepts de Marx) et

l’analyse « marxienne » (adaptant la pensée de Marx à un concept et une réalité contemporain(e)).

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représente un cas particulièrement intéressant et atypique, tant pour les milliers d’associations et

d’organisations de la société civile en Tunisie au rôle déterminant dans la transition démocratique,

mais que ce mémoire ne nous permet pas d’approcher, que pour les associations des Tunisien(ne)s de

Belgique.

C’est la combinaison de ces divers éléments de description qu’il faut retenir. Une société civile

qui s’est mondialisée, interconnectée et développée un peu partout, mise en mouvement selon

différentes spécificités, historicités et particularités culturelles, sociales et politiques. Une société

civile mise en danger par la technocratisation, la normalisation, l’institutionnalisation,… ; mais dont la

fibre émancipatrice est toujours vivace, se posant souvent en grand arbitre des directions que prend ce

monde. Que ce soit par l’intermédiaire de grands mouvements sociaux capables de faire tomber des

gouvernements ou de changer l’ordre mondial (comme en Tunisie), par de grands événements

internationaux comme le Forum Social Mondial (auquel participent des associations

(belgo)tunisiennes), ou encore par la multitude et la diversité des initiatives locales et dispersées,

comme les associations qui nous intéresserons dans ce mémoire.

2.2 L’espace public et les trois dimensions de la société civile

Dans la continuité (historique et conceptuelle) de ce que nous venons de présenté et pour tenter de

rendre l’approche de ce mémoire plus fine, plus précise, et plus représentative des enjeux

contemporains, nous avons choisi d’isoler la société civile en trois dimensions. Ainsi, la société civile

prend forme dans l’émancipation des individus par rapport à leur famille et la sphère privée. La

première dimension de la société civile est représentée par la sphère associative ou le fait associatif.

Les associations (réseaux, groupes, organisations, institutions, ONG…) produisent du capital social

(ici compris comme les relations familiales, amicales, professionnelles,…) nécessaire au

développement économique et donc au fonctionnement d’une société démocratique selon la thèse

d’auteurs (anglo-saxons) comme R. Putnam (Putnam, 1993), s’inscrivant dans la tradition

tocquevilienne (de Tocqueville, 2010).

Ces associations produisent un système et des structures de normes sociales, de valeurs,

d’opinions, de représentations, d’identités,… Cette pluralité et ces contradictions sont projetées dans

l’espace public, perçu comme une ou des arènes d'argumentations et de délibérations, sous la sphère

d’influence (et d’arbitrage) de l’Etat14

.

Bien que notre analyse concernera presqu’exclusivement le monde associatif belgo-tunisien, nous

faisons le pari que placer les acteurs dans cette dernière dimension et dans les conditions de l’exercice

de leur (nouvelle) citoyenneté (parfois de type contestataire et politique), permet d’éviter une analyse

simpliste, réductrice au fait associatif, et quantitativiste, des « sociétés civiles ». En effet, toutes les

14 Pour une schématisation de cette démonstration, voir Annexe 1.

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associations ne sont pas les mêmes et le lien entre vivacité du monde associatif et vivacité

démocratique n’est pas toujours si évident et limpide. De plus, comme nous nous en apercevrons plus

tard, cette définition est fidèle et importante à retenir, tant par rapport au (nouveau) contexte socio

politique post révolution qui caractérise nos acteurs, que par rapport à nos hypothèses et sous

hypothèses que nous proposerons dans ce mémoire.

Dans cette perspective, nous entendons par « espace public », l’espace où se noue un processus

d’argumentation et de délibération au sein d’un tissu dense d’associations et d’institutions. Et la

société civile est donc caractérisée par « les associations, organisations et mouvements qui condensent,

répercutent, en les amplifiant dans l’espace public politique la résonance que les problèmes sociaux

trouvent dans les sphères de la vie privée » (Habermas, 1997 ; p. 394).

L’espace public est donc perçu comme un espace s'ouvrant entre l'Etat et la société civile (dans

notre cas, les associations), où les citoyens se rencontrent afin de débattre librement des

questions d'intérêt général. Pour Arlette Farge, à travers l’espace public, le peuple tente de se

forger une identité en s'émancipant par la discussion politique (Farge, 1992).

Habermas décrit également l’espace public comme « le processus au cours duquel le public

constitué d'individus faisant usage de leur raison s'approprie la sphère publique contrôlée par

l'autorité et la transforme en une sphère où la critique s'exerce contre le pouvoir de l'État »

(Habermas, 1993 ; p. 61). Par rapport à notre surjet d’étude, il s’agit donc ici d’insister sur la

capacité de résistance, et surtout le potentiel critique d'un public de masse pluraliste et

différencié, qui, en principe et en théorie, déborde les frontières de classe dans ses habitudes

culturelles et citoyennes.

Le concept de sphère publique ou d’espace public renvoie donc également aux conditions de

possibilité sociales de formation d'une opinion publique. En effet, chez Habermas, la

perspective de l’accaparation de l’espace public par une élite bourgeoise et la question de la

légitimité autour de l’intérêt général authentique sont également présentes.

Dans l’œuvre d’Habermas, l'espace public apparait aussi comme une distinction pour distinguer

les sociétés modernes pouvant être appelées « sociétés de la publicité » en opposition aux sociétés

traditionnelles ou « sociétés sans publicité » ou encore « société du secret », dans le cas où la

plupart des paroles sur lesquelles s'appuie l'autorité sont secrètes ou privées, et ne reposent donc

pas sur une diffusion ou un débat public à propos de ces paroles au sein de la population (Miège,

1996).

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L’ensemble de ces éléments de définition sur lesquels nous venons de nous attarder, correspondent

aux hypothèses que nous développerons et dont nous avons déjà esquissé les prémices. De plus, l’une

de nos intentions dans ce mémoire, est de dépasser la conception de la « publicité » (reliée et limitée à

la presse et aux médias) comme indicateur d’analyse des espaces publics dans la tradition

d’Habermas et de l’Ecole de Francfort, en analysant dans notre cas précis d’étude, la « publicité de

l’action et de la mobilisation » des acteurs belgo-tunisiens observés ainsi que leurs formes sous-

jacentes ou infra politiques de résistance et de contestation, dans le contexte bien précis de l’après

révolution tunisienne.

2.3 Le « Transnationalisme » : brève revue de la littérature et du prisme d’analyse

choisi

Nous avons découvert précédemment que les membres de la communauté belgo-tunisienne sont

présents et installés en Belgique depuis maintenant plus de cinquante ans à la suite de migrations de

travail, pour raison d’études, de regroupements familiaux, pour mariages (mixtes) ou encore à la suite

de migrations de type « politique ». Cette dernière catégorie et composante de l’identité multiple des

Tunisiens de Belgique, remise au-devant de la scène par les dynamiques de la révolution, nous

renseigne spécifiquement sur les formes de transnationalisme politique dont les membres des

associations belgo-tunisiennes sont porteurs. Une présence et une installation sur le sol belge

entremêlées à un attachement plus ou moins fort pour le pays d’origine, que ce soit à travers le

maintien de voyages fréquents ou de liens familiaux mais également et surtout à travers les nouvelles

portes qu’ouvre la révolution. Dans cette partie, nous proposerons un cadrage théorique et une

contextualisation autour du concept de transnationalisme, de l’éventail des contextes particuliers que

couvre ce dernier et du prisme dynamique avec lequel nous avons choisi d’analyser l’identité

transnationale des acteurs.

2.3.1 Quelques éléments de définition

Par transnationalisme nous entendons « les processus par lesquels les immigrés forgent et

entretiennent des relations sociales qui lient ensemble leur sociétés d’origine et d’établissement »

(Basch, Glick-Schiller, Szanton Blanc, 1994 ; cité par Lafleur, 2005 ; p.7). Cette définition du

transnationalisme, certes classique et « droit au but », suggère néanmoins que les liens entretenus entre

les migrants et les Etats d’émigration et d’immigration sont multiples et non exclusifs. Les pratiques

transnationales renseignent donc un espace qui comprend à la fois l’Etat d’origine et de résidence

(Perrin, Martiniello, 2011), mais également une typologie de pratiques transnationales qui oscillent, la

plupart du temps, entre pratiques économiques, politiques et socioculturelles (Gsir, Mescoli ; p. 5).

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2.3.2 Les contextes et les facteurs conditionnant les pratiques transnationales

Jean Michel Lafleur et plusieurs théoriciens du transnationalisme distinguent plusieurs pratiques

transnationales ainsi qu’un cadre théorique où l’on peut insérer et comprendre différents contextes de

transnationalisme (politique).

Une première distinction à effectuer concerne la différence entre le « homeland » et le « host

country » ou « host society ». Littéralement, le premier terme désigne la « patrie », et donc la manière

dont l’acteur transnational définit sa propre identité et son appartenance (Lafleur, 2005 ; p. 13).

Lafleur confirme également que l’appartenance et l’identification à une nationalité, dépend fortement

du contexte (Ibidem). Le deuxième terme, littéralement « pays ou société d’accueil », désigne le pays

où l’individu réside suite à son propre départ ou suite à celui de ses ancêtres proches (Ibidem ; p. 14).

Dans cette optique, l’intérêt de l’approche transnationale réside dans le fait qu’elle suggère

d’appréhender le « migrant » comme un être partagé entre son pays d’accueil et d’origine, cherchant à

maintenir des liens étroits avec ces deux Etats-nations. L’individu n’est donc pas seulement perçu

selon la seule question de son intégration dans son pays d’accueil (Ibidem ; p. 7).

Nous découvrirons plus avant dans la partie d’analyse empirique les critères qui conditionnent la

légitimité du concept sur notre groupe étudié. En attendant, Jean Michel Lafleur nous en dit également

plus sur les facteurs conditionnant l’efficacité des politiques transnationales des communautés

immigrées en regard du fait que le transnationalisme correspond à l’émergence de réseaux globaux et

de formes diverses, liés et provoqués par le phénomène de la mondialisation (Ibidem ; p. 9). C’est cette

approche socioéconomique qui nous permet de comprendre dans quelle mesure des facteurs tels que

les conséquences de la mondialisation (économique), l’augmentation de la mobilité, l’utilisation

des nouvelles technologies de communication et du phénomène numérique, ont une influence

forte sur les pratiques des individus et leur capacité à maintenir des liens (ou non) avec le pays

d’origine. Autant d’éléments importants à retenir à ce stade en vue du développement futur de l’une

de nos hypothèses centrales dans ce mémoire.

Ainsi, pour conclure, de nombreux immigrés construisent aussi des sphères sociales qui traversent les

frontières géographiques, culturelles et politiques traditionnelles. Un élément essentiel du

transnationalisme est la multiciplité des participations des immigrés transnationaux à la fois dans

le pays d’accueil et d’origine » (Ibidem ; p.13). L’identité est donc ici définie comme détachée d’un

territoire exclusif, ce qui fait tout l’attrait du concept, en particulier pour notre groupe d’acteurs

observés. La contextualisation des différentes pratiques que nous mettrons en lumière et

exemplifierons dans la partie analytique consacrée encore davantage aux rencontres que nous avons

faites, implique également notre volonté d’insister sur l’importance de se baser sur les pratiques et

les formes d’engagement plutôt que sur la communauté belgo-tunisienne en tant que telle, tant

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- 18 -

par manque de temps et de moyens, tant pour éviter l’essentialisme et la normalisation à partir d’un

groupe insuffisamment observé.

2.3.3 Modèle d’analyse de l’action politique transnationale

Selon Jean Michel Lafleur, on parlera de « transnationalisme politique » devant l’organisation de

campagnes de soutien, de fond vers des partis ou associations du pays d’origine, ou encore dans le cas

où quelques citoyens se mobilisent ou s’associent pour soutenir ou financer un projet de leur région ou

village d’origine (Lafleur, 2005 ; p.25). Le lobbying politique, lui, s’exerce, par exemple, quand

plusieurs membres d’une communauté font pression sur le gouvernement du pays d’accueil pour

défendre ou sensibiliser à une cause de leur pays d’origine (Ibidem).

L’ensemble de ce modèle est emprunté à Jean Michel Lafleur (Ibidem pp. 48-61) et montre une

dynamique évolutive et non figée des « contextes » d’une communauté transnationale. Une analyse

et une perception, complexe et diversifiée, des particularités des pratiques (politiques)

transnationales qui, comme nous le découvrirons plus tard, est particulièrement corrélée à la propre

grille de compréhension que nous avons développée intuitivement pendant nos mois d’étude et la

rédaction de ce mémoire. Autant d’éléments que l’on peut catégoriser selon :

Le contexte de départ

Les raisons du départ (l’importance des motifs qui poussent un individu à quitter son pays).

La perspective du retour (l’espoir ou l’envie de retourner fréquemment ou définitivement dans le

pays d’origine).

La vision qu’a le pays d’origine de sa diaspora (les dispositions légales du « homeland » en

relation avec sa diaspora, notamment sur les questions liées à la citoyenneté, éléments que nous

aborderons dans ce mémoire).

Le contexte de réception

L’ensemble des dispositions légales sur l’immigration et les normes fixant les conditions dans

lesquelles les immigrés doivent être reçus (Ibidem ; p. 52). Le contexte de la législation ou de

l’attention aux défis d’intégration de la part des (deux) gouvernements, peut pousser les membres de la

communauté à s’organiser selon l’orientation de différents clivages et la naissance de plusieurs

aménagements sociopolitiques qui seront analysés dans ce mémoire : l’accès à la citoyenneté, la

nationalité, l’ouverture du système politique aux intérêts transnationaux, la faculté de la communauté

transnationale à se faire entendre, par le biais d’un système électoral ou via l’opinion publique et les

médias, etc.

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- 19 -

Le contexte interne à la communauté

Dans le cadre de notre étude, c’est ce qui nous semble être le plus directement crucial par rapport aux

points saillants de notre terrain d’enquête. Ces catégories trouveront un écho tout particulier dans

l’analyse des problèmes identifiés par les acteurs, dans les clivages et les dynamiques qui animent le

monde associatif Belgo-Tunisien et dans le détail des hypothèses qui seront présentées à l’issue de

notre analyse.

Le statut socio-économique.

La mobilisation, la cohésion et la définition de l’agenda politique transnational (concentration

géographique, fédération ou division des actions transnationales).

Le leadership dans la communauté (influence la coordination et la visibilité des actions de la

communauté).

La gestion de la question générationnelle (l’importante ou faible transmission du combat politique

transnational aux générations nées dans le pays d’accueil).

Le contexte international

Par souci de cohérence et par la restriction que nous impose la taille limitée de ce mémoire, ce dernier

espace ne sera que peu abordé, si ce n’est de manière ponctuelle dans l’une ou l’autre de nos

interprétations ou encore à travers l’évidente influence de la révolution Tunisienne. Il fixe toute une

série de contraintes que la communauté doit subir dans ses activités politiques, en termes, notamment,

d’idéologie et d’ordre international (qui ont des influences sur les mises en mouvement autour de

concepts tels que la « démocratie », la « laïcité », etc.), les relations bilatérales entre les

gouvernements du « homeland » et du « hostcountry » qui peuvent influencer la communauté et

surtout être influencées par cette dernière.

15

15 LAFLEUR Jean Michel, Le transnationalisme pol… , op. cit. ; p. 61.

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- 20 -

Comme nous avons tenté de l’expliquer dans les précédentes pages et avec l’aide des auteurs

mobilisés, tout type d’activité politique transnationale est influencé par une série de facteurs et de

contextes et ce constat renforce l’approche dynamique et évolutive sur laquelle nous insistons nous-

mêmes dans ce mémoire en ce qui concerne le transnationalisme (politique).

Ce qu’il est important de retenir, c’est que c’est la complexe conjonction des quatre contextes et

l’importance de chaque facteur sur l’ensemble du « système » qui façonne un espace d’expression

politique pour la communauté transnationale (Lafleur, 2005 ; p.63). De plus, comme le confirme

Jean Michel Lafleur, le développement de nouvelles formes de citoyenneté comme la double

nationalité ou la citoyenneté supranationale ou encore la « wiki citoyenneté » favorise le fait qu’un

nombre important et sans cesse croissant d’individus définissent leur identité en termes pluriels

(Ibidem ; p. 64) et non plus exclusifs ou selon la perception classique, figée, et sans doute révolue de

l’Etat nation.

De ce fait, les thèmes « transnationaux » suivants ressortiront particulièrement de notre terrain

d’enquête et de l’analyse présente dans ce mémoire : l’émergence ou la consolidation d’une

citoyenneté politique à distance ou citoyenneté transnationale, la transmission intergénérationnelle

(du combat politique) et la problématique des instances de représentation et de la cohésion de

l’agenda politique transnational.

2.4 Sociologie des associations, action collective et publicité de l’action : une

approche multidimensionnelle

L’analyse des raisons de l’engagement dans les mobilisations collectives est dominée par une

opposition entre deux traditions concurrentes. D’un côté, l’approche de la mobilisation des

ressources, qui donne de l’importance aux motivations individuelles de l’action (des auteurs comme

Oberschall, Tilly,…), succédant ainsi aux approches rationnelles et de psychologie des foules. D’un

autre côté, celle qui accentue les raisons structurelles et identitaires de l’engagement (des auteurs

comme Touraine, Bajoit, ou encore Inglehart,…). Une troisième enfin, plus moderne et qui a tenu une

place importante dans notre mémoire propose en complément l’analyse des significations, des

représentations, du sens accordé à l’action, au(x) discours, etc. L’ensemble de ces approches et de ces

manières de concevoir l’engagement associatif et l’action collective se reflètent dans le profil et dans

les comportements divers de nos acteurs. Comme nous le découvrirons par la suite, elles se reflètent

également dans la manière dont nous avons construit intuitivement notre pensée pour comprendre les

acteurs observés et faire émerger des pistes de réflexion autour de leurs enjeux et logiques

d’engagement contemporain(e)s et à venir.

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- 21 -

2.4.1 Définition et présentation des différentes approches concernant les associations

Comme nous le renseignent Ekman et Amna, « l’engagement citoyen se réfère à des activités menées

par des citoyens ordinaires et qui visent la société et non pas des membres de leur famille ou leurs

amis (Ekman, Amna, 2009 ; p.291). Vogel et Triandafyllidou définissent aussi la participation

citoyenne active comme un investissement constant en temps et en énergie pour organiser la solidarité

et exprimer des préoccupations sociales (Vogel, Triandafyllidou ; p.13)16

. La citoyenneté active est

également « la capacité de prendre un rôle actif dans les affaires publiques que ce soit via les

structures démocratiques formelles, les médias, les débats publics, les associations, les partis

politiques, les syndicats, les clubs locaux ou simplement via des réseaux informels ou d’aide entre

voisins, amis ou parents » (Gsir, Mescoli, 2015 ; p.5). A notre époque, comme nous le renseigne Jean

Louis Laville et Alain Caillé, « il n’y a pas de démocratie nationale vivante sans une société civile

puissante (une société civile associationiste) qui ne se réduise pas aux seules entreprises commerciales

et tant soit peu qu’il y ait un Etat qui leur accorde les conditions d’existence nécessaires » (Laville,

Caillé, 2010 ; p. 11). En réalité, plusieurs approches se mêlent et se nuancent : entre celle de Latouche

(Latouche, 2010, pp. 10-28) qui à l’instar de Bayart (Bayart, 2006, pp. 4-320), mettent en lumière les

carences, les défaillances des associations (corruption, amateurisme, néo-corporatisme, seconde jambe

du système et continuité des élites, etc.) et celle d’auteurs comme Laville, Chanial, Caillé, qui

reconnaissent volontiers certaines de ces problématiques tout en voyant dans les associations notre

salut démocratique et civique, que ce soit à l’échelon local, national ou mondial (Laville et al., 2010).

Alain Caillé nous renseigne que « par association, on désigne la mise en commun volontaire de divers

types de ressources à des fins communes » (Caillé, 2010 ; p. 185). Eric Dacheux, quant à lui, nous dit

que « l’association est caractérisée par une dimension de libre volonté d’une part et par l’absence de

but lucratif de l’autre. Plus précisément, il est possible de considérer comme associations toutes les

formes de libre mise en commun de ressources diverses qui subordonnent la contrainte ou le profit

matériel à des fins de solidarité,… » (Dacheux, 2010 ; p 165).

2.4.2 Quelques éléments de considération

Comme le suggère Laville (Laville, 2010 ; pp. 62-140) et comme nous avons tenté de le définir

précédemment en définissant l’espace public, les associations sont ici comprises comme des espaces

intermédiaires opérant le passage entre la sphère privée et publique. Ainsi, l’action dans une

association ouvre à la rencontre entre personnes et ouvre un chemin aux individus vers l’espace public

de délibération ou ce que Laville appelle « la construction d’un monde commun, essentiel à la

démocratie, à travers l’engagement volontaire, la pluralité des opinions, la conflictualité des intérêts et

16 Traduction de l’anglais : « first generation immigrants who are continuously investing time and energy to organise

solidarity or give a voice to societal concerns in the receiving society ».

Page 27: La participation des associations belgo-tunisiennes au ... · 3.6 Les facteurs de réussite ou d’entrave, les enjeux et les clivages qui conditionnent la participation des associations

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la différence des perspectives » (Laville, 2010 ; p. 64). Autant d’éléments de définition qui nous

tiennent particulièrement à cœur par rapport à ce qui ressort de nos propres acteurs observés.

A l’instar de ce qu’en dit Eric Dacheux, l’association est donc ici perçue, une fois de plus, comme « un

élément de contre-pouvoir puisqu’elle se constitue souvent pour pallier certaines faiblesses de l’action

étatique ou pour protester contre telle ou telle action administrative. Elles servent également à définir

l’intérêt général et à le commander aux institutions » (Dacheux, 2010 ; p. 165).

D’un point de vue pratique, les associations, sous différents statuts et sous différentes formes (ASBL,

associations de fait,…) peuvent être comprises comme allant de la simple petite association de quartier

à des associations puissantes et dont le budget n’a parfois rien à envier à des PME ou des organisations

lourdement subsidiées. Les associations qui seront étudiées dans ce mémoire sont de petite taille ou de

taille moyenne (une dizaine de membres en moyenne).

2.4.3 Définition et présentation des différentes approches de l’action collective

Parmi la multitude des définitions possibles de l’action collective, on pourrait la définir comme « une

action concertée » qui « implique une intention consciente », existant dans un contexte temporel et

spatial, étant ordonnée en forme organisationnelle et présentant des visées multiples au sein desquelles

le droit joue un rôle fondamental » (Cefaï, 2007 ; p.8).

Pour être tout à fait complet et pour être fidèle mot pat mot, à la dynamique qu’il nous a semblé cerner

chez l’ensemble de nos acteurs et associations Belgo-Tunisien(ne)s, on peut également ajouter que

« l’action collective renvoie à toute tentative de constitution d’un collectif, plus ou moins formalisé et

institutionnalisé, par des individus qui cherchent à atteindre un objectif partagé, dans des contextes de

coopération et de compétition avec d’autres collectifs » (Ibidem).

Pour Daniel Cefaï, l’action collective et ses acteurs semblent être tendus entre plusieurs logiques de

rationalité et de légitimité (Ibidem ; p. 18). Ils peuvent par exemple se manifester en vecteur de

militantisme qui refusent toute récupération de l’Etat, du marché, de partis politiques, etc. ;

s’institutionnaliser en groupes de pressions, en associations de biens et services (dans une logique de

remplacement ou de complémentarité à l’Etat), ou encore se « limiter » à être tout simplement des

lieux de rencontre et de socialisation, comme des associations de loisirs où l’on se réunit, on discute

autour d’un verre, de loisirs, on organise des évènements sportifs et culturels, etc. (Ibidem).

Ce même auteur, établit une typologie en terme d’action ou de mobilisation collective, qui peut nous

être utile dans ce mémoire.

L’approche « collective behavior » ou des « comportements collectifs », s’intéresse aux acteurs

collectifs en tant que publics, foules ou masses. C’est la première école (celle de Chicago) qui s’est

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intéressée à l’action collective. Pour cette approche, les modes d’agrégation se font via l’alignement

par imitation, contagion ou suggestion, par croyances généralisées et griefs partagés. Le « type de

cité » (nous préférons pour notre part utiliser l’expression, « le type d’arène »), peut être caractérisé

par la société civile ou encore la démocratie des publics. Cette approche étudie notamment les

logiques des interactions individuelles, intégrant ainsi des modèles explicatifs empruntés à la

psychologie et à la psychanalyse (Cefaï, 2007 ; pp. 39-84).

Même si des auteurs comme Cefaï appellent à ne pas oublier les apports de l'Ecole de Chicago et que

nous retenons indéniablement la dimension affective et culturelle des engagements collectifs des

Tunisien(ne)s de Belgique, cette approche ne sera pas unique dans les aspects analytiques de ce

mémoire. Elle aurait encore pu prendre plus de place dans le cas où nous aurions étudié une

mobilisation collective plus vaste en Tunisie et elle a certainement du sens quand nous évoquons les

mobilisations et changements socio-politiques massifs qui ont eu lieu en Tunisie dès la fin du mois de

décembre 2010.

Au vu de l'émergence de nouvelles formes d’action collective dans les années 60, comme les

mouvements menés par les minorités (ethniques, sexuelles,…), les revendications pour l'égalité, les

droits civiques, les mouvements étudiants (mai 68), etc. ; les théories de l'irrationalité des foules et des

masses ont perdu quelque peu leur importance au profit de théories de l'action rationnelle et aux

théories de la mobilisation des ressources.

Les théories de l’action rationnelle s’intéressent aux entreprises, associations et ONG qui établissent

des alliances fondées sur l’intérêt et l’utilité et qui ont des stratégies de mobilisation et de consensus.

Ces théories, animées par des auteurs comme Oberschall (Oberschall, 1973), insistent, notamment, sur

les ressources nécessaires à la mobilisation, sur les modes d’organisation des mouvements, les

stratégies des leaders de mobilisation, etc (Hamidi, 2002 ; p. 150). Un intérêt également pour la nature

des rétributions du militantisme nécessaires pour expliquer le passage à l’engagement. Cette approche,

bien évidemment, transparaitra dans notre analyse du foisonnement associatif (belgo) tunisien et des

conditions de sa participation au processus de transition démocratique en Tunisie mais il nous

déplairait de laisser penser qu’elle occupera une place unique dans nos interprétations.

L’analyse en termes de réseaux, où ces mêmes acteurs basent leur mobilisation collective sur des

dynamiques de recrutement et le tissage de liens entre associations et organisations, place l’action

collective dans le champ inter-organisationnel (Cefaï, 2007 ; p. 22). Selon les tenants de cette

approche, les réseaux sont vus comme essentiels dans leur capacité à atteindre les individus, les

mettant ainsi en contact effectif avec l’organisation. Encore, une fois, dans une perspective

multidimensionnelle et à plusieurs niveaux de compréhension, nous aborderons prochainement la

capacité qu’ont les acteurs associatifs belgo-tunisiens observés à se fédérer et à mettre en place (ou

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non) des dynamiques communes et des réseautages coordonné(e)s. Cette grille d’analyse rejoint

présentement l’analyse en terme de processus politique (Cefaï, 2007 ; p. 22) où la mobilisation se fait

par des entreprises ou des réseaux d’associations entremêlés dans des alliances d’intérêt et de pouvoir

guidées par un agir stratégique, prenant place dans des structures de contraintes et d’opportunités

politiques.

Avec la contextualisation (sociopolitique) des actions collectives, les approches et les analyses se

composent également de ce que Cefaï nomme, « la sociologie culturelle » (Ibidem ; p. 23). L'action

rationnelle doit désormais s'envisager avec d'autres logiques comme celle de solidarité, de légitimité,

de liberté, de dignité, etc. (Ibidem ; pp. 259-270). Ces théories mettent fin à l'analyse en terme de

foules, de masse et de comportements collectifs et principalement après le soulèvement de mai 1968,

marquent l’arrivée des Nouveaux Mouvements Sociaux et le retour de l’individu sujet, théorisés

notamment par Touraine (Touraine, 1965 ; pp. 30-500), Melucci (Melucci, 1978 ; pp. 37-54), ou

encore Bajoit (Bajoit, 2003 ; 2012).

La Sociologie des Nouveaux Mouvements Sociaux (NMS) où les acteurs civils et les associations,

inséré(e)s dans des mouvements sociaux plus vastes qu’eux, coopèrent et agissent, en interne et

collectivement, sur base de projets culturels et identitaires. Ce type d’associations prend place dans ce

que Inglehart (Inglehart, Welzel, 2005), mais également Touraine (Ibidem), Bajoit (Ibidem),… ; ont

appelé les sociétés de communication ou « post-industrielles », « post-matérialistes » ou encore, et

c’est cette appellation que nous préférons, « post modernes ».

Il existe potentiellement une multitude de définitions possibles d’un mouvement social, mais celle de

Cefaï est certainement l’une de celle qui est la plus complète et synthétique : « on pourrait dire, de

façon minimaliste, qu’un mouvement social est une action collective orientée par un souci du bien

public à promouvoir ou d’un mal public à écarter, et qui se donne des adversaires à combattre, en vue

de rendre possibles des processus de participation, de redistribution ou de reconnaissance » (Cefaï,

2007 ; p. 15). L’accent n’est pas mis, ici, que sur les motivations individuelles mais sur les causes

structurelles et idéologiques de l’engagement. C’est une approche identitaire et culturelle de la

mobilisation collective, que nous détaillerons dans notre analyse à travers la confrontation de la pensée

d’auteurs comme Inglehart (la « révolution silencieuse » et les aspirations post modernes à la liberté),

Touraine, Bajoit,… ; avec nos données empiriques et nos propres interprétations.

Cefaï renseigne aussi la démocratie délibérative et participative où les associations peuvent être

perçues comme des assemblées de citoyens ou encore des manifestations d’initiatives populaires et

d’actions directes. Cette perception correspond également, de facto, à notre société, à notre démocratie

et monde associatif modernes, et donc aux acteurs étudiés dans ce mémoire (Ibidem ; p. 22).

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Enfin, la « frame analysis » ou « l'analyse des opérations de cadrage de l'expérience et de

l'activité », théorisée par Goffman, présente les membres d’associations comme s’alignant

stratégiquement sur les « cadres » produits par des leaders et par une certaine forme de culture de

l’association (Cefaï, 2007 ; pp. 550-618). En résumé, c’est un modèle d'analyse des conditions

cognitives de l'engagement protestataire (Cefaï, Trom, 2001). Nous en empruntons la description à

Mathieu Lilian : l’idée principale est qu' « un individu sera susceptible de se mobiliser dans une

association si le cadre qu'il utilise pour comprendre et interpréter un problème donné entre en

congruence avec celui que cette association lui propose » (Lilian, 2002 ; p. 787).

Suite à la volonté d’approche multidimensionnelle de l’action collective exprimée et présentée

précédemment, Cefaï nous encourage dans notre démarche en nous recommandant d’insister sur la

nécessité de décloisonner les différentes approches et disciplines (Cefaï, 2007 ; p.31) et sur la

nécessaire prise en considération du monde des acteurs, des régimes de sens et de perception ainsi

que des interactions et des réseaux. Ainsi, l’analyse des cadres apporterait « un supplément d'âme

aux perspectives structuralistes » (Ibidem ; p. 408) et apporte des réflexions sur le langage,

l'imaginaire, les représentations, les symboliques,… ; tout en permettant la prise en compte de

thématiques comme les récits d'acteurs, des récits de vie, des outils d'analyse du discours et de

construction de sens.

Avec cette approche, notre mémoire (et la démarche méthodologique et d’entretien qui l’a précédé) a

également le visage d’une enquête sur la « culture » en essayant de problématiser les significations et

d'intégrer la notion de sens dans la démarche analytique. L’enjeu est ici, en étant fidèle à l'œuvre de

Goffman (Goffman, 1973) telle que relatée par Cefaï (Cefaï ; p. 29-32), de mettre en avant une

microsociologie de l'action collective en complémentarité des approches et des réflexions en

termes de nouveaux mouvements sociaux et d’analyse (infra) politique de l’action collective.

Les théories de Charles Tilly et Sidney Tarrow dans leur livre « Dynamics of Contention » (Tarrow,

Tilly, McAdam 2001), principaux porteurs de cette « sociologie de la culture » décrite précédemment,

s’inscrivent dans l’idée d’une mutation de l’action collective et du militantisme face aux récentes

dynamiques sociales de ces dernières années (mouvements sociaux en Europe, printemps arabe(s),

évènements de type révolutionnaire, transitions démocratiques,…). Elles donnent ainsi de l’appui à

notre intuition de vouloir « recomposer » et fusionner les différentes approches de l’engagement

(citoyen et associatif) et de l’action et de la mobilisation collective pour notre cas d’étude et groupe

d’acteur précis.

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De plus, cette intention a pour vocation de faire la jonction entre notre (jeune) tradition et inspiration

intellectuelle (sociologie bourdieusienne et tourainienne, structuralisme, théories des mouvements

sociaux, influence hégélienne, marxienne et gramscienne,…) et une méthodologie et une analyse

ethnographique ou socio-anthropologique pure, imposée par essence par le contexte et les modalités

de notre terrain d’étude. Comme nous le découvrirons par la suite, l’ensemble des thèmes et des titres

de notre analyse des acteurs seront articulés autour de ces différents niveaux et de ces différentes

« couches » de perception que nous vous avons présentées.

2.5 Conclusion

2.5.1 Les limites du paradigme de Transnationalisme : Vers une approche prenant en

compte les rapports de force, de domination, et la publicité de l’action collective

Comme nous l’avons découvert dans les chapitres précédents, depuis les années 90, les études et les

écrits (anglo-saxons pour la plupart) sont nombreux sur le « transnationalisme ». Les précisions et les

théorisations du concept sont néanmoins récentes (Martiniello, Bousetta, 2008 ; p.45) et il existe

encore de fortes contradictions sur la validité même du concept, animées par des auteurs comme

Samuel Huntington17

, au nom, notamment, de la loyauté nationale ou d’une certaine morale à avoir

envers l’Etat nation (Lafleur, 2005 ; p. 19).

En ce qui nous concerne, considérant que la perception figée de l’Etat nation traditionnel est révolue et

à travers les éléments théoriques que nous avons présentés et leur correspondance aux caractéristiques

des Tunisien(ne)s de Belgique, nous n’émettons aucun doute sur la validité du concept, celui-ci étant

d’ailleurs l’un des premiers à nous être venu en tête intuitivement au début de notre étude. Cela dit,

nous pensons très sincèrement qu’il gagnerait à être utilisé et à être redéployé en prenant en

considération l’interaction entre les contextes (macro) et les évolutions socio-politiques des

« homeland » et les logiques, les luttes et les rapports de force que ces derniers et ces dernières

impliquent chez les acteurs transnationaux (au niveau micro). Dans notre cas d’étude, l’intérêt pour

ces facteurs permet l’utilisation du prisme transnational pour la compréhension des relations qu’ont les

acteurs entre eux et envers leurs institutions (du « homeland »), des (nouvelles) stratégies qu’ils

mettent en place pour la défense de leurs intérêts personnels et collectifs, ou encore de l’articulation et

de l’évolution de leur(s) discours et perceptions par rapport aux conditions et à l’exercice de leur

citoyenneté politique et transnationale, par rapport à leurs institutions et Etats respectifs, etc.

Pour la réalisation de ce mémoire, nous nous sommes imprégné des études et des écrits des chercheurs

et des chercheuses du Centre d’Etudes et d’Ethnicité et des Migrations (CEDEM) de l’Ulg, tant pour

17 HUNTINGTON Samuel, 1997, « The erosion of American National Interest », Foreign Affairs, vol. 76, n°5, pp. 28-49 cité

par LAFLEUR Jean Michel, 2005, Le transanationalisme pol…, op. cit. ; p. 19.

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leur accessibilité (au niveau géographique et linguistique), que pour leur synthèse. Nous avons, bien

évidemment, pris connaissance de l’étude de Sonia Gsir et Elsa Mescoli sur les pratiques citoyennes

transnationales des Tunisiens et Tunisiennes de Belgique (Gsir, Mescoli, 2015). En ce qui concerne

l’approche transnationale, le but de ce mémoire est d’apporter, modestement et dans les limites des

pages imposées, une pierre à l’édifice dans la floraison d’écrits de la discipline. Tout particulièrement

en tentant de mettre en lumière les pratiques, les logiques civiles et citoyennes des Tunisiens de

Belgique, en regard des récents changements sociopolitiques qu’ils ont connus et en regard de la

dynamisation du concept recherchée par l’analyse, peut-être plus subtile et complexe, de leurs

contextes et formes d’engagement infra-politiques.

2.5.2 La pluralité des contextes et des formes de pratiques transnationales, l’importance

des enjeux de pouvoir, des rapports de force, des perceptions et des constructions

de discours et de sens dans les associations et les formes d’action collective

De manière générale, nous avons découvert plusieurs prismes avec lesquels envisager et comprendre

nos associations tunisiennes, tant dans leurs pratiques citoyennes et civiles transnationales

(l’importance des différents contextes qui fondent la « transnationalité » de nos acteurs belgo-

tunisiens), que dans leurs formes d’engagement associatif et de mobilisation collective. En d’autres

termes, différents individus peuvent être analysés et considérés comme porteurs de différentes

logiques, et de diverses traditions d’analyse.

De plus, nous avons évoqué le fait que depuis le début des années 2000, on observe le foisonnement

général d’une myriade d’associations de tous pays et de toutes cultures, dans notre cas qui émergent

suite à la lutte contre l’emprise d’un Etat (anciennement) autoritaire ou dictatorial, ou encore en

militant pour des droits et des besoins divers et contemporains (dignité, droit à la participation

politique, etc.). En se référant à la tradition tocquevilienne (de Tocqueville, 2010) et de ceux qui l’ont

suivi (Putnam ou encore Inglehart) ou encore Philipe Chanial (Chanial, 2010 ; pp. 140-165), il est de

commun accord de penser que plus une société donnée possède et encadre des associations en son

sein, plus cette société est démocratique. A travers cette partie de contextualisation et de cadrage

théorique, nous espérons, cela dit, avoir bien introduit le fait que les associations, qu’elles soient

insérées dans et actrices d’une société civile nationale et transnationale, ne sont pas, forcément et

exclusivement, que l’expression d’une société civile « parfaite » et garante d’une démocratie (ou

démocratisation) « idéale » et automatique.

En étant fidèle à notre intention, à notre question, et à nos hypothèses de départ, il nous faut dépasser

le tronc commun de ce postulat pour s’intéresser à ses contours, afin de considérer le fait que

toutes les associations, au-delà de leur apport indéniable à l’exercice et à la propagation de la

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démocratie, ne sont pas pour autant toutes entièrement et indiscutablement démocratiques (en

leur sein) ou démocratisantes (dans leur société)18

.

Certains, comme Jean Francois Bayart (2006 ; p.45), nous suggèrent même qu’elles peuvent

représenter « un appareil de cooptation des contre-élites dans le système dominant ». Nous pensons

nous-mêmes, au vu de notre propre expérience du monde associatif et de notre précédente étude sur le

monde associatif au Maroc (Beaulieu, 2013), qu’elles peuvent parfois avoir tendance à être porteuses

et reproductrices de pratiques et de comportements qu’elles condamnent ou qu’elles combattent au

sein même de leur société ou de leur système politique. Autant de pratiques et de comportements

comme la reproduction des inégalités, des injustices, l’autoritarisme, des dysfonctionnements

administratifs et organisationnels, des rapports de compétition et de domination, l’éparpillement des

activités et des objectifs, etc. D’où la nécessité de s’interroger dans ce mémoire sur la typologie,

les lignes de fracture et les clivages qui composent les associations des Tunisiens de Belgique.

Enfin, bien entendu, comme le confirme aussi Philippe Chanial, nous appuierons avec autant de

conviction, que l’expression de méfiances, bien que légitimes, ne peut empêcher que les associations

soient parmi les formes d’action collective les plus aptes à susciter l’espoir pour la démocratie en

général (Chanial, 2010 ; p. 142) et pour celle de « l’après 2011 » pour les Tunisiens de Belgique.

Ainsi, notre renversement de perspective se conclut par la combinaison des deux éléments suivants :

Une perspective macro de l’influence des changements socio-économiques en Tunisie sur

l’évolution d’une part, des associations des Tunisiens de Belgique et d’une autre part, sur les

rapports de force et de domination entre l’Etat Tunisien et ces mêmes associations.

Une perspective micro au sein de la société civile, des réseaux d’associations et des

associations Belgo-Tunisiennes elles-mêmes, de l’influence des contraintes des rapports de force,

de pouvoir et de domination, ainsi que les différences socio-économiques entre les individus sur

leur typologie et leurs modalités d’engagement.

18 A notre sens, cette remarque vaut autant pour les « vieilles démocraties » que pour les « démocraties (re)naissantes », cette

distinction représentant les deux faces du contexte sociopolitique de nos acteurs belgo-tunisiens et les deux portes d’entrées

distinctives de notre analyse.

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- 29 -

3 Les associations belgo-tunisiennes et la transition démocratique en Tunisie

3.1 Introduction

Pour rappel, l’objet de ce mémoire est de se demander « quelles sont les conditions et les formes de la

participation des associations des Tunisien(ne)s de Belgique à la consolidation du processus

démocratique en Tunisie ? ».

La réponse à cette question et le raisonnement que nous avons suivi nous amènent à formuler les deux

hypothèses suivantes :

« Les associations belgo-tunisiennes ne connaitraient-elles pas une évolution et ne se

transformeraient-elles pas selon les productions et les interactions des changements socio-politiques

en cours en Tunisie ? ».

De cette hypothèse découlent les sous hypothèses suivantes :

« La diminution des moyens de contrôle et de répression de l’Etat tunisien n’aurait-elle pas permis,

autant ou plus que les facteurs traditionnels (développement socioéconomique, mondialisation,

nouvelles technologies,…), le développement des pratiques transnationales et des formes

d’engagement des Tunisien(ne)s de Belgique ? ».

« Ces changements sociopolitiques n’auraient-ils pas changé le rapport entre le monde associatif, la

société civile belgo-tunisien(ne) et l’Etat tunisien ? ».

« Ces changements sociopolitiques n’auraient-ils pas une influence au niveau juridique, électoral et

en ce qui concerne la (nouvelle) citoyenneté politique des Tunisien(ne)s de Belgique ? ».

« Les contraintes des rapports de force, de pouvoir, et de domination, ainsi que les différences

socio-économiques entre les individus n’influenceraient-elles pas la typologie et les modalités

d’engagement des Tunisien(ne)s de Belgique ? ».

Serge Latouche va dans le sens de notre renversement de perspective souhaité et présenté dans ce

mémoire en nous disant qu’il y a une tendance à considérer que des phénomènes comme la lutte des

classes se sont terminés en une fin heureuse, que la société civile, le monde associatif en premier lieu,

serait l’espace d’un jeu entre « gagnants-gagnants » et où est les conflits et les rapports de force ne

seraient pas spécialement niés, mais « lissés » et sortis peu à peu des analyses (Latouche, 2010 ; pp.10-

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15). D’où la nécessité de s’interroger sur la typologie, les lignes de fracture et les clivages qui

composent les associations des Tunisien(ne)s de Belgique et cette population aux profils diversifiés

(en termes générationnels, en termes de classes sociales et de profils socioéconomiques, d’intérêts, de

tendances et d’idéologies politiques, etc.). En d’autres termes, notre renversement de perspective

souhaité dans ce mémoire va dans le sens d’une perspective macro des rapports de force et de

domination entre institutions-Etat et associations combinée à une perspective micro au sein de la

société civile, des réseaux d’associations et des associations belgo-tunisiennes elles-mêmes.

De plus, comme certains éléments d’analyse pourront le suggérer plus avant dans ce mémoire, Laville

nous confirme également un sentiment d’éparpillement du monde associatif, tant face aux

puissances techniques, financières, politiques,… ; auxquelles elles font face, qu’entre leurs réseaux et

initiatives respectives (Laville, 2010 ; p.57). Comme nous l’appuierons plus avant dans ce chapitre,

ces quelques clivages et dysfonctionnements, certes, se superposent mais ne sont certainement pas

exhaustifs et représentatifs de l’identité ou de la culture (belgo)tunisienne.

3.2 Cadre méthodologique

Au-delà des caractéristiques méthodologiques qui ont été présentées en introduction à ce mémoire, en

vue de répondre à notre question de départ et en référence à Quivy et Van Campenhoudt (Quivy, Van

Campenhoudt, 1995), notre méthodologie d’enquête et de rédaction s’est inspirée des cinq étapes

suivantes. En premier lieu, après avoir déterminé notre question de départ, nous avons connus une

période d’exploration de sources écrites via la création de grilles de lecture et de sources empiriques

par la réalisation d’entretiens (semi-directifs). Ensuite, nous avons tenté de faire émerger les

différentes problématiques et hypothèses présentées dans ce mémoire et résultant du contexte observé

et des sources accumulées. Enfin, via l’analyse des informations, nous avons fait émerger plusieurs

modèle(s) et pistes d’analyse. Cela dit, l’analyse socio-anthropologique nous a rappelé à de

nombreuses reprises la nécessite de faire un aller-retour constant entre théorie, méthodologie,

observations et interprétation. En d’autres termes, il s’agissait et il s’agit ici d’éviter la normalisation

d’un phénomène sur base de quelques observations de terrain ou encore de tenter de croiser et de

vérifier nos observations, intuitions et déductions en fonction de la légitimité du terrain, de la

complexité et de la diversité des réalités des acteurs.

Devant notre tendance et notre réflexe de toujours se placer du côté de l’acteur, du « peuple », des

« petits » ou des plus démunis par rapport à des phénomènes sociaux bien précis, nous nous sommes

également imposé la discipline de rester vigilant face à une certaine forme de « dérive populiste ». En

effet, tout ce qui est dit, pensé ou exprimé n’est pas toujours à valider empiriquement et

théoriquement. Notre responsabilité socio-anthropologique est d’aller au-delà de la surface des choses.

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Pour ce faire et pour ce mémoire, nous nous sommes tout particulièrement aidés de l’apport du

concept de James Scott (Scott, 1992) sur les différents niveaux de discours qui peuvent animer les

logiques et les actions des individus.

C’est l’ensemble de ces logiques et de ces formes cachées ou infra-politiques qu’il faut être capable de

discerner. Un discernement sous la logique de « raconter », « interpréter », « analyser » ou encore

« voir », « juger », « agir ». Comme nous le mettrons en pratique plus tard dans ce mémoire, nous

aimons également percevoir et interroger les acteurs en fonction du triptyque suivant : quels problèmes

sont identifiables et identifiés par les acteurs eux-mêmes ? ; Quelles solutions sont mises en place ? ;

Dans quel(s) espace(s) d’interactions évoluent-t-ils ? Dans ce sens, il nous a semblé préférable

d’appréhender les acteurs, leurs récits, leurs perceptions et leurs réalités, en fonction des espaces

d’interactions dans lesquels ils évoluent. Quel est l’état des rapports de force et de domination ? Qui a

le pouvoir ? Qui prend la parole, les initiatives,… et pourquoi ?

Au niveau purement méthodologique, en combinant les recommandations des livres de méthode de

Cefaï (Cefaï, 2003), Van Campenhoudt (Quivy, Van Campenhoudt, 1995) et Olivier de Sardan

(Olivier de Sardan, 2003), nos entretiens semi-directifs avaient pour vocation de laisser parler le plus

possible l'interviewé, tout en le réorientant subtilement si nécessaire. Selon les différents thèmes ou

« items », le but des entretiens était de faire émerger le sens donné aux pratiques et aux événements

vécus, les systèmes de valeurs, les repères normatifs, les interprétations des situations conflictuelles,

etc.

Nous avons ainsi interviewé environ une quarantaine de personnes, entre décembre 2015 et juin 2016

dans les villes de Bruxelles, Liège, Charleroi, Mons et Renaix. Au vu des contraintes temporelles et de

nos ressources limitées, nous avons privilégié une méthode qualitative. Les entretiens ont été

structurés en abordant chaque fois trois thèmes principaux : (1) Le parcours migratoire et les

motivations à l’engagement. (2) la participation à la transition démocratique et les pratiques en elles-

mêmes. 3) Les liens entretenus, les positionnements socioculturels et la représentativité (voir Annexe

4. Guide d’entretien(s)). La majorité des entretiens ont été enregistrés et chacun durait en moyenne

une heure ou une heure et demie. Des conversations « informelles » ont également eu lieu, notamment

avec un nombre important de « jeunes » belgo-tunisien(ne)s (des 18-30 ans). Il est également utile de

renseigner qu’au vu du contenu parfois « sensible » de certains propos et pour des raisons évidentes

d’anonymat, nous avons choisi d’attribuer et de référencer des noms d’emprunt dans nos extraits de

témoignages, disponibles en annexes.

Les caractéristiques socio-économiques des répondants différaient en partie et nous avons rencontré un

éventail de personnes assez varié. Cependant, comme nous allons le développer dans cette partie

d’analyse, certains profils socioéconomiques ont largement émergé suite à la synthèse de notre

démarche d’enquête.

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La majorité des intervenants rencontrés était des responsables ou membres actifs d’associations. Au-

delà des particularités socio-économiques que cette observation implique, nous nous devons de

renseigner que cela oriente automatiquement le contexte et la nature de nos observations ainsi que les

conclusions que nous pourrons tirer dans ce mémoire. Il nous a également été possible de rencontrer

des personnes « périphériques » aux sphères de décision des associations (membres, sympathisants,

personnes issues de la communauté belgo-tunisienne). Le groupe majoritaire rencontré est caractérisé

par ce nous avons été tenté d’appeler le « bloc MAT ». « M » pour classes moyennes ; « A » pour «

âgé(e)s » ; « T » pour Tunisien(ne)s. Comme nous le découvrirons plus tard, cette catégorisation

sociale est absolument déterminante pour l’articulation de nos observations et pour la trame des

analyses que nous proposerons plus avant dans ce mémoire.

Enfin, nous tenons à rappeler que nous sommes, bien évidemment, conscient du fait qu’un plus large

éventail de catégories sociales composant la population tunisienne de Belgique n’a pu être atteint, en

raison notamment des contraintes temporelles et en termes de moyens pour ce mémoire.

3.3 Les motifs de l’engagement, l’identification des problèmes, les solutions et les

stratégies misent en place

Dans cette partie, nous allons nous intéresser aux motifs d’engagement de nos acteurs belgo-tunisiens

ainsi qu’aux problèmes qu’ils identifient. La compréhension de ces derniers nous permettra d’avancer

vers la découverte de leurs formes d’engagement et/ou de leurs pratiques transnationales citoyennes

et politiques concrètes. Une découverte qui se veut aller au-delà du descriptif, en analysant

notamment la subtilité des logiques, des systèmes de valeurs, des discours, et des clivages qui animent

notre groupe d’acteurs.

Pour rappel, en ce qui concerne la perception des motifs de l’engagement, nous insistons plutôt sur

une analyse de type microsociologique et sur l’importance de l’émotionnel, des perceptions, des

discours, des logiques et stratégies,… ; dans les créations de sens commun et des actions collectives.

Perception et approches qui se retrouvent dans nos entretiens et dans la formulation des résultats de

l’étude.

D’un point de vue tout à fait microsociologique, « l’analyse des cadres », comme nous l’avons déjà

explicité précédemment, permet la compréhension de ce que nous avons appelé les « conditions

cognitives de l'engagement protestataire ». Un individu est propice à matérialiser son engagement

dans une association si le « cadre » (régime de sens, de perception, de valeurs,…) qu'il utilise pour

comprendre et interpréter un problème qu’il a identifié auparavant, correspond à celui que

l’association lui propose.

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De manière générale, cette perception correspond également à la façon dont, tout au long de notre

étude, nous avons essayé d’appréhender les acteurs. Cette perception correspond au schéma suivant :

A quel type d’acteurs avons-nous affaire et comment se matérialisent leurs motivations à

l’engagement ?

Quels problèmes identifient-t-ils et cristallisent leurs engagements ?

Quelles solutions et quelles stratégies mettent les acteurs en place ? ; Dans quels types d’espaces

d’interaction prennent-ils place et sur quels types de clivages et de conflits cela débouche-t-il ?

On peut également rattacher cette « méthodologie » au triptyque « naming, blaming, claiming », qui

nous avait été suggéré par Angeliki Monnier, chercheuse et maître de conférence à l’Université de

Haute Alsace, lors d’une rencontre organisée. Selon son concepteur (Felstiner, 1991), ce triptyque «

réaliser ou nommer, reprocher, réclamer » est particulièrement utile pour analyser l’émergence des

problèmes publics dans des groupes prenant place dans les espaces publics.

De plus, dans cette partie d’analyse, l’accent ne sera pas mis que sur les motivations individuelles

mais également sur les causes structurelles et idéologiques de l’engagement. C’est également une

approche identitaire et culturelle de la mobilisation collective.

A titre d’exemple et de synthèse, Bert Klandermans et Sydney Tarrow nous confirment que

l’engagement individuel est produit par la rencontre entre plusieurs niveaux (Klandermans, Tarrow,

1988, pp. 1-38). D’un côté, la motivation en fonction des coûts, des barrières et des bénéfices

escomptés de la participation. Il est ici question de l’intention de l’acteur, qui intègre l’importance de

la subjectivité et le niveau individuel de la mobilisation. D’un autre, le niveau ou « contexte

socioculturel », qui détermine le champ d’action possible des individus en fonction de leur position

dans l’espace social et créé ou amplifie, enfin, le « contexte relationnel », l’effet des réseaux.

3.3.1 Les motifs de l’engagement (et les systèmes de valeurs)

Les éléments d’enquête, d’entretiens et des observations participantes nous ont renseigné les éléments

suivants. Pour cette typologie, nous avons effectué un recensement et une priorisation de données

selon le calcul de celles qui revenaient le plus dans les entretiens et dans les expressions spontanées

des motivations et raisons d’être des associations et de leurs membres. Pour en vérifier la véracité,

nous avons également croisé ces données avec les « valeurs » et les objectifs que l’on trouve sur les

sites internet ou les différents documents de présentation des différentes associations étudiées.

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Données à corrélation et récurrence très forte

Volonté de se fédérer, de se rassembler (entre belgo-tunisiens, amis et connaissances, familles

originaires de la même région,…).

Rendre au pays et à la communauté ce qu’il/elle a donné, ce que l’on n’a pas pu donner pendant

les années de dictature et apporter une aide/expertise.

Sensibiliser à la réflexion et à l’ouverture, l’intégration, éviter le communautarisme.

Offrir des activités et des services culturels et de loisir (apprentissage de la langue arabe, sport,

voyages,…).

Promouvoir la culture et l’identité tunisienne et arabo musulmane.

Données à corrélation et récurrence forte mais parfois moins perceptible

Participation à la transition démocratique en Tunisie, débattre des questions sociales et politiques

en Tunisie (dignité, droits pour tous, humanisme, solidarité, liberté, égalité, droit au travail et au

développement économique…).

Promouvoir un islam tolérant.

Un grand nombre d’associations tunisiennes en Belgique se sont formées dans les mois qui ont suivi la

révolution de fin 2010 et de début 2011, créations en partie cristallisées autour de l’organisation des

premières élections libres en 201119

. Une création d’associations et une motivation à l’engagement

d’autant plus dopées par l’influence des amitiés, des connaissances, des affinités ou mobilisations

politiques présentes ou partagées dans le passé ou tout simplement par « ouï dire », comme le

confirment un certain nombre d’intervenants.

L’engagement associatif des Belgo-Tunisien(ne)s, à ce stade, peut résulter d’un état de polarisation

assez typique au monde associatif. D’une part, un aspect socio-politique d’association, qui résulte

d’une volonté de « s’associer en commun » et de créer des liens sociaux et de solidarité (Chanial,

1998 ; p 32). Dans ce cas, il s’agit en fait de recréer (librement) des liens sociaux entre individus d’une

même communauté et avec la société d’accueil et d’origine.

D’autre part, un aspect économique dans le sens où l’entend Eme, c’est-à-dire simplement, une

production d’activités. Une production de biens et services divers, en faveur de ses membres et de

toute personne fréquentant l’association (Eme, 2010 ; p. 30).

19 Un grand nombre d’entre elles ont d’ailleurs joué un rôle important dans la surveillance des élections et processus

électoraux.

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3.3.1.1 Les motivations individuelles, « émotionnelles » et liées aux perceptions du pays d’origine

En tout premier lieu dans la conduite des entretiens et dans l’observation participante, un lien

sentimental fort envers la Tunisie était très aisément perceptible. Cette observation vaut

particulièrement pour les Belgo-Tunisien(ne)s de première génération d’immigration.

Nous ajoutons également à cela la perception dans les entretiens d’un certain « sentiment de

redevance » de la part des interviewés envers la Tunisie. Un sentiment, tant pour les bienfaits

(éducation, scolarité,...)20

que le pays leur a apporté, pour l’affection pure pour leur pays d’origine, que

pour, et c’est cette dernière information qui retient tout particulièrement notre attention dans ce

mémoire, le regret d’inactivité ou de sentiment d’impuissance sous l’ère du régime de Ben Ali.

Ces observations recoupent celles recensées dans l’étude de Gsir et Mescoli, qui, en plus de la

perception d’un lien sentimental fort et d’un sentiment de redevance, nous renseignent également la

présence d’une « conscience collective » de la Tunisie et de l’identité tunisienne (Gsir, Mescoli, 2015 ;

p. 36).

L’ensemble de ces considérations, au risque de nous répéter, reflètent plus que jamais l’importance de

se focaliser (dans un premier temps) sur les représentations et les perceptions qu’ont les acteurs de la

Tunisie. Leurs raisons d’engagement et leurs motivations à s’associer dans l’un de leurs « pôles

d’engagement » (le présent et l’avenir social, culturel, économique et politique de la Tunisie) sont

intimement dépendantes de leurs représentations du pays et de la société tunisienne ainsi que de la

diversité de leurs parcours et de leurs histoires propres.

Nous avons également décelé l’importance de se rassembler autour de valeurs qui sont déterminées

comme fédératrices et représentatives de la « Tunisie » ou d’une certaine forme de « culture » ou

« mentalité » tunisienne au sens large. Autant de valeurs comme « la solidarité », « le respect »,

« l’ouverture », « l’égalité »,…

Selon certains intervenants mais également selon les objectifs de certaines de leurs activités, la

motivation à l’engagement se traduit également dans la volonté d’exercer une certaine

« responsabilisation » ou encore sensibilisation des personnes en Tunisie, autant les citoyens que les

responsables administratifs et politiques. Cette interprétation est à mettre directement en corrélation

avec la présentation du profil socio-économique des acteurs que nous découvrirons d’ici quelques

pages, ainsi qu’avec les conditions et les contextes particuliers du contexte éminemment transnational

des acteurs.

20 A ce sujet, une certaine nostalgie de l’époque de Bourguiba (de 1957 à 1987) est perceptible dans les propos de certains

intervenants. Ils y font mention d’un système scolaire efficace et de politiques ou d’un vrai budget alloué(e)s à des

thématiques comme l’éducation, la santé, la famille,... (Voir Annexe 3.10 Majid, enregistrement du 5 février 2016).

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Le premier élément qu’implique cette observation, est que pour les acteurs, la démocratie est « en

apprentissage » ou « en cours de construction ». Deuxièmement, nous pensons que certains des

acteurs ressentent un « sentiment de légitimité et de compétences », tant au vu de leur niveau élevé de

formation qu’au vu de leur « expérience », « identité », et plus probablement culture civique

européennes, par rapport à leurs compatriotes et pays d’origine. Il s’agirait ici, au final, d’« apprendre

la démocratie aux gens » ou de la renforcer selon toute une série d’apports que la communauté

tunisienne de Belgique pourrait apporter, toujours selon les acteurs, à la consolidation du processus de

transition démocratique en cours en Tunisie (formation, rigueur, organisation et professionnalisme,

qualité des initiatives, tradition du « compromis à la belge »,…). Nous nous référons notamment ici à

la notion de « musawat », qui en langue arabe pourrait être traduite par « égalité », et qui traduit, dans

ce contexte, l’intention de la part des acteurs de transmettre aux dirigeants, aux acteurs de la société

civile tunisienne, ainsi qu’à eux-mêmes, des valeurs et des comportements comme l’égalité (entre

membres, hommes-femmes, entre classes sociales,…) ou encore la notion de bonne gouvernance, la

lutte contre la corruption, etc (voir Annexes 3.13 Aicha, enregistrement du 16 février 2016 ; 3.15

Hamid, enregistrement du 2 juin 2016).

Enfin, cette dernière considération introduit déjà la partie suivante de ce chapitre : les motivations et

les raisons d’engagement de tous et toutes les tunisien(ne)s de Belgique rencontré(e)s (sans exception),

sont fortement corrélées avec une forte conscience des problèmes et des inégalités en Tunisie mais

également en Belgique. Des problèmes qui, comme nous l’analyserons par la suite, sont de nature

socioéconomique, politique ou encore liés à l’organisation même du monde associatif et de la société

civile belgo-tunisien(ne).

3.3.1.2 Les raisons d’ordre structurel et les motivations socioéconomiques et politiques de

l’engagement

Pour rappel, Jean Michel Lafleur, dans la présentation des différents contextes du transnationalisme,

nous recommande d’envisager nos acteurs belgo-tunisiens (et donc leurs motivations à l’engagement,

en partie, transnationales) selon leur contexte de départ. De ce fait, les raisons du départ et

l’importance des motifs qui poussent un individu à quitter son pays s’avèrent capitales dans la teneur

et l’intensité des actions politiques qu’il entreprendra depuis son pays d’accueil (Lafleur, 2005, p.48).

En ce qui concerne nos acteurs, les conditions de l’immigration peuvent être attribuées à des raisons

aussi variées que la migration de travail ou d’étude, le regroupement familial ou le mariage, mais

également et surtout pour cause d’incompatibilité ou de désapprobation en ce qui concerne le régime

politique, allant même, pour certains intervenants, jusqu’à une sorte d’asile politique, leur sécurité et

celle de leur famille n’étant plus assurée en cas de retour en Tunisie.

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La perspective du retour, autre facteur indispensable de l’analyse du « contexte de départ », représente

l’espoir ou l’envie de retourner fréquemment ou définitivement dans le pays d’origine (Lafleur, 2005 ;

p.49). Autant de sentiments et de perceptions qui sont directement en lien avec les observations, tirées

des entretiens et des observations, que nous allons vous présenter. La vision qu’a le pays d’origine de

sa diaspora (critère symbolique) nous renseigne sur les dispositions légales du « homeland » en

relation avec sa diaspora (Ibidem ; p. 50), notamment sur les questions liées à la citoyenneté, éléments

que nous aborderons plus en détail dans un chapitre suivant.

Autant de critères pour mettre en exergue que nos acteurs belgo-tunisiens, en ce qui concerne un

nombre significatif d’entre eux, ont quitté ou fui leur pays pour des raisons diverses. Cela dit, une

grande majorité d’entre eux ne bénéficiait par contre pas de la possibilité soit : de rentrer librement

chez eux, de participer, de près ou de loin, au débat politique de leur pays d’origine mais également à

la mise en place d’activités transnationales (vers la Tunisie) sans souffrir d’évènements fâcheux

comme des ennuis administratifs, la corruption ou dans certains cas, des menaces.

La recherche dans les associations d’un moyen de compenser les divers manques ressentis dans les

autres sphères de la vie sociale antérieure (d’avant la révolution).

Il nous a semblé, au vu des éléments empiriques recueillis sur notre terrain d’étude et parmi ceux que

nous avons déjà présenté dans ce mémoire, que les associations assurent une fonction de substitution

en regard de la frustration relative et antérieure éprouvée. Une fonction qui permet aux adhérents les

plus impliqués et aux responsables de faire dans l’association ce qui leur était difficilement possible de

faire dans leur vie d’avant la révolution, en tous cas, en ce qui concerne plus particulièrement les

activités de type militantisme et engagement politique.

De plus, pour rejoindre le premier type de motivations à l’engagement expliqué précédemment,

plusieurs intervenants nous ont confié qu’ils ressentaient comme un sentiment de dette envers leur

pays d’origine. Pour rappel, soit envers leur pays qui leur a permis de se former et d’accéder à

l’instruction, soit envers la volonté de rattraper le temps perdu par rapport à la mise de côté antérieure

de leur engagement militant. Une mise de côté par peur de représailles ou de pressions sur eux ou leurs

familles ou encore par rapport au fait d’avoir écarté leur simple volonté de s’associer pour le bien

commun, en dehors des amicales du parti RCD21

(voir Annexes 3.2 Abdelkader, enregistrement du 19

juin 2016 ; 3.3 Samira, enregistrement du 19 juin 2016 ; 3.4 Bilal, enregistrement du 19 juin 2016 ; 3.5

Majid, enregistrement du 5 février 2016).

Ces observations auront un impact important sur les conclusions que nous tirerons dans ce mémoire.

21 Le Rassemblement constitutionnel démocratique, le parti de Ben Ali.

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Comme nous l’avons évoqué précédemment dans notre partie sur l’action collective, les théories de la

mobilisation des ressources supposent traditionnellement que les acteurs ont besoin d’un certain

nombre de ressources pour s’engager dans une action, ce qui peut d’ailleurs parfois permettre

d’expliquer le manque d’impact ou l’échec d’initiatives et de mobilisations collectives de personnes

sans ressources comme les chômeurs, les sans-papiers, etc. (Hamidi, 2002 ; p. 157). Cela dit, nos

acteurs, leur(s) contexte(s) et leur histoire respective nous montrent que l’absence ou la privation de

l’expression de ressources sociales, culturelles,… ; peut, au contraire, propulser l’engagement, dès lors

tout de même que les acteurs ont des ressources d’un autre type à faire valoir.

Acquérir de nouvelles compétences, de nouveaux réseaux, de nouvelles reconnaissances qui peuvent

servir au niveau personnel et professionnel.

L’engagement associatif fournit aux membres l’opportunité d’occuper des postes et des fonctions dont

l’équivalent leur serait moins facilement accessible sur le marché du travail. Dans ces postes et ces

fonctions, on peut mentionner des positions hiérarchiques favorables, la rencontre de gens importants

(ministres tunisiens et belges, hommes politiques, grands responsables de la société civile, journalistes,

etc.), la participation à des évènements d’envergure et gratifiants (des colloques et forums, des

conférences, une cérémonie du prix Nobel de la paix, un forum social mondial, etc.). Egalement des

types d’activités plus variés qu’en entreprise, plus adaptés aux goûts et préférences, proférant plus de

responsabilité et d’autonomie, etc. Selon cette logique, l’engagement associatif peut donc permettre

aux acteurs d’avoir accès à des postes et des responsabilités plus en adéquation avec leurs ambitions

personnelles et plus gratifiantes. Il peut également émerger comme une réponse au sentiment de

frustration relative analysé plus haut.

Un lien évident est à faire ici avec les « capitaux » de Bourdieu22

. Comme nous le détaillerons un peu

plus loin dans cette partie analytique, dans le cas du groupe d’acteurs observés, une part significative

des personnes qui sont membres des associations et qui expriment leur engagement sont intégrées

économiquement (classe moyenne et revenus à priori satisfaisants) et possèdent un bon ou haut niveau

de qualification (diplômes de l’enseignement supérieur et universitaire, professions valorisées

socialement, etc.). Il s’agit donc, à priori, comparativement à d’autres échantillons de populations

issues de l’immigration, et dans leur ensemble, de personnes déjà relativement bien intégrées dans le

tissu socioéconomique belge. Leur engagement et les résultats bénéfiques qu’ils retirent du succès ou

22 Selon lui, les capitaux que possède un individu déterminent sa position au sein de la société, à travers la palette de

ressources dont il bénéficie. Ces ressources sont de quatre types. Le capital économique regroupe les ressources matérielles

et financières qui appartiennent à l’individu (revenus, patrimoine). Le capital culturel se compose, lui, de trois éléments : les

comportements « incorporés » que chacun a acquis au cours de son éducation et de sa socialisation (« habitus »), les biens

culturels que chacun peut s'approprier et enfin, les titres et diplômes scolaires acquis. Le capital social regroupe, d'une part,

le réseau de relations sociales qu'une personne peut mobiliser à son profit (ou au profit de ses proches), et d'autre part les

ressources symboliques que sa position sociale lui confère (rayonnement, autorité, respect,…). Le capital symbolique est

généralement la ressource qui provient de la reconnaissance, par les dominés, de la légitimité de la domination, et dont

disposent donc les dominants. Elle s’ajoute aux autres capitaux, venant augmenter ainsi leur efficacité.

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- 39 -

de la valorisation de leurs activités, combinés à leur capital économique et leur capital culturel déjà

importants, augmentent de manière significative leurs capitaux social et symbolique dans la société et

au sein de leur communauté. (voir Annexe 3.18 Sara, enregistrement du 22 avril 2016).

Un outil d'intégration par le politique ou vers le politique

Comme nous le confirme à nouveau Camille Hamidi (Hamidi, 2002 ; p. 159) mais également des

auteurs comme Jean Louis Laville (Laville, 2010 ; pp.62-140), l’activité associative peut constituer un

tremplin vers un autre engagement symboliquement très fort en termes d’intégration politique et

sociale : l’engagement militant de type lobbying politique ou l’engagement politique tout court.

Le terrain et les entretiens menés révèlent que pour certains membres déjà politisés (soit militants, soit

sympathisants et membres de partis), le fait d'être cadre ou responsable d'une association peut

aisément constituer un tremplin vers une reconnaissance politique, ce dernier facteur augmentant

encore plus leur intégration sociale. C'est le cas de certains membres ou responsables associatifs qui

peuvent intéresser des partis (tunisiens et belges) désireux de dénicher des personnalités issues de la

société civile (voir également de l’immigration).

A l’inverse, après 2011, ces mêmes personnes ont pu faire le trajet opposé d’une zone d’influence et

d’action politique vers la zone d’activité et d’engagement associative. Nous parlons précisément de

personnes qui viennent de partis ou de milieux politiques et qui par sympathie pour une cause ou pour

des connaissances, ont rejoint l’association.

Pour rappel, dans le cas des associations interrogées et observées, aucune n’est rattachée officiellement

et à titre organisationnel à des partis politiques tunisiens ou belges. De plus, un grand nombre d’entre

elles manifestent une volonté ferme d’être « apolitiques » et de respecter le pluralisme des idées

politiques en leur sein. Certaines personnes ayant fait le transfert du politique vers l’associatif ont donc

dû abandonner leur étiquette de parti pour pouvoir être acceptées en tant que membres. Ceci

n’empêche, bien évidemment, aucunement le fait qu’un certain nombre de membres soient

sympathisant ou militants, à titre personnel, de partis bien définis (« ennahda », « nidaa tounes », des

partis de gauche radicale,…).

Au-delà de la sympathie ou de l’engagement partisan(e), d’autres membres rencontrés ont également

joué un rôle déterminant et charismatique dans la tenue d’événements politiques comme les premières

élections libre de 2011. En outre, ce qui ressort le plus de notre terrain est l’organisation ponctuelle de

manifestations ou de lobbying politique concernant des causes aussi variées que la promotion et la

relance du tourisme en Tunisie, la formation à l’observation des élections, etc.

L’ensemble de ces considérations ne renseigne aucunement une réalité figée et établie de la typologie

et des contextes des motivations politiques de l’engagement des Tunisien(ne)s de Belgique. D’autant

plus que nous n’avons pu rencontrer que des associations à action non militante (associations

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socioculturelles, de loisir,…), ou des associations militantes et/ou de type lobbying politique mais qui

se revendiquent apolitiques (en terme d’appartenance à des partis). De plus, les informations dont nous

disposons sur l’engagement personnel de membres dans des partis ou des milieux politiques bien

précis nous viennent bien souvent des déductions intuitives et personnelles que nous avons pu nous-

mêmes faire, ou de renseignements de personnes tierces (d’autres associations ou observateurs du

monde associatif belgo-tunisien). Enfin, malheureusement, les associations officiellement rattachées à

des partis ou les milieux d’engagement rattachés à une mouvance « islamiste » n’ont pas pu être

rencontrées de manière satisfaisante dans le cadre de ce mémoire.

Cela dit, il apparait évident que ces premières informations sur les composantes et les contextes

politiques des associations et des personnes de la société civile rencontrées nous renseignent déjà sur

les formes de matérialisation infra-politiques des motivations et des formes d’engagement et, dans le

cas de notre groupe d’acteurs, sur les aménagements de contexte, ainsi que sur les clivages ou les

tensions autour du « politique » que nous analyserons plus avant dans cette partie analytique.

En conclusion, l’analyse des motivations de l’engagement associatif des Belgo-Tunisiens

renseigne ce dernier comme un outil d’ascension et une réponse à un formidable appel de

conquête de l’espace public après la révolution de 2011.

La présentation de notre terrain et des motivations à l’engagement de nos acteurs reflète également la

diversité des différentes approches de la sociologie des associations et de l’action collective qui ont

été présentées précédemment dans ce mémoire. Nous tenons ainsi à réaffirmer ici que différents

individus peuvent être analysés et considérés comme porteurs de différentes logiques, et de diverses

traditions d’analyse. Certains individus, certaines associations, certaines pratiques ou certaines

formes d’engagement seront parfois analysables, en même temps, en termes de rétributions du

militantisme et/ou de déterminants sociaux et/ou de construction identitaire, etc.

Dans un cadre beaucoup plus large, la floraison associative et les motivations à l’engagement des

Belgo-Tunisien(ne)s sont à mettre en parallèle avec les évolutions structurelles des sociétés

(capitalistes occidentales ou maghrébines) en général. Plus précisément encore avec l’apparition de

nouvelles aspirations « post-matérialistes » à la liberté (« Postmaterialist Liberty Aspirations »),

résultant de l’avènement d’un syndrome plus large de valeurs d’expression de soi (« Self-Expression

Values Syndrome ») tel que décrit comme variable centrale dans l’œuvre et dans le modèle d’analyse

de Ronald Inglehart (Inglehart, Welzel, 2005) et d’autant plus permis et libéré au grand jour par le

changement sociopolitique et civique majeur induit par la révolution tunisienne.

Page 46: La participation des associations belgo-tunisiennes au ... · 3.6 Les facteurs de réussite ou d’entrave, les enjeux et les clivages qui conditionnent la participation des associations

- 41 -

3.3.2 L’identification des problèmes

En guise de rappel, nous associons la découverte des acteurs et l’importance de leurs récits, histoires,

contextes, perceptions, régimes de sens,… ; à la formulation et à la construction qu’ils font de leurs

« problèmes », condition « sine qua non », des raisons et des formes de leur engagement.

En ce qui concerne l’approche microsociologique ou ethnographique des problèmes identifiés par nos

acteurs belgo-tunisiens, les éléments que nous avons récoltés sur le sujet viennent de leurs

formulations mêmes via nos entretiens ou via leurs documents, sites internet, pages Facebook,… ; et

couvrent une période qui va du début de la révolution à la réalisation de cette étude. De manière plus

précise, certaines des thématiques expliquées ci-dessous n’ont, bien entendu, pas directement été

formulées comme telles par les acteurs. Mais notre interprétation, que nos entretiens illustrent et

confirment, s’inscrit dans l’ensemble de notre réflexion présentée dans ce mémoire et s’articule autour

des hypothèses que nous proposons. En voici la synthèse :

L’insuffisance des évènements de rassemblement, de débat et de sensibilisation proposés à la

communauté belgo-tunisienne.

Le manque de participation de la communauté belgo-tunisienne aux changements sociopolitiques

en cours en Tunisie.

Comme rappelé précédemment, au-delà des frustrations relatives ressenties par rapport à

l’impossibilité d’une participation (politique) des acteurs à la vie sociale (belgo)tunisienne avant la

révolution, on observe également un sentiment de légitimité et de compétence de la part des acteurs

interviewés ainsi qu’une volonté de se porter garant du bon déroulement de la transition démocratique.

En effet, nombreux et nombreuses sont ceux et celles qui s’expriment sur la récupération politique de

la transition démocratique ou sur la peur d’un retour ou de la persistance du régime (de ses pratiques et

des mécanismes : autoritarisme, corruption,…).

L’insuffisance de la connaissance et de la promotion de la langue, de la culture et du patrimoine

d’origine.

Ce problème prend principalement place dans la vie des Tunisien(ne)s de Belgique dans la société

belge, notamment en ce qui concerne le manque de visibilité de la richesse du patrimoine tunisien au

sein de la société belge, mais également le manque de connaissance ou d’intérêt de la deuxième

génération et des enfants belgo-tunisiens nés en Belgique, notamment en ce qui concerne la culture, le

folklore ou encore la maitrise de l’arabe classique.

L’intégration et la sociabilité en Belgique (voir Annexe Sara, enregistrement du 22 avril 2016).

La dégradation du tourisme, de l’économie, et de l’emploi en Tunisie. Comme nous l’avons

également déjà évoqué, l’identification de ce problème se réfère tant aux défis en terme d’emploi,

Page 47: La participation des associations belgo-tunisiennes au ... · 3.6 Les facteurs de réussite ou d’entrave, les enjeux et les clivages qui conditionnent la participation des associations

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de chômage et de performance économique (investissements étrangers, diversification de

l’économie,…) auxquels fait face la Tunisie qu’à la catastrophe économique causée par

l’effondrement de l’industrie touristique, principalement depuis les différents attentats de ces deux

dernières années.

Les problèmes liés à l’éducation en Tunisie, en particulier dans les régions rurales (voir Annexe

3.10 Majid, enregistrement du 5 février 2016 ; 3.16 Nadia, enregistrement du 17 mars 2016).

Les problèmes liés à la pauvreté et à certaines situations humanitaires en Tunisie (populations

rurales et urbaines pauvres, gestion des réfugiés.

Des éléments macro et structurels

Des auteurs comme Guy Bajoit (Bajoit, 2003) et Alain Touraine (Touraine, 1965), mais encore Cefaï

(Cefaï, 2001) nous confortent dans notre démarche en nous parlant de « problèmes de la vie collective

» et de « la construction des problèmes au sein des arènes publiques ».

Ainsi, selon la répartition qu’en fait Bajoit (Ibidem), voici l’une des synthèses possibles concernant

l’expression des problèmes et l’articulation de la « vie sociale » des acteurs décrits dans ce mémoire :

La volonté de participation à la gestion de l’ordre politique interne (les interactions entre des

individus citoyens qui interagissent avec les élites politiques, judiciaires, institutionnelles,

répressives…).

La volonté de participation à l’élaboration du « contrat social » (le dispositif institué qui permet

l’articulation des multiples groupes d’intérêt qui coexistent ensemble et pacifiquement selon

certains dispositifs).

L’expression de types particuliers de demandes (de reconnaissance de l’identité, d’intégration, de

reconnaissance des plusieurs composantes des mouvements sociaux ou dynamiques associatives,

etc.) ;

Une volonté accrue d’intégration et de socialisation dans la société (le passage d’un modèle

d’intégration et de socialisation basé sur le devoir à celui basé sur le droit. L’action des individus

n’est plus axée sur les devoirs que l’on attend d’eux mais sur les droits à l’autoréalisation

personnelle qu’ils revendiquent et qu’ils cherchent à assurer ou à (re)conquérir). Cette formulation

renvoie également à l’adaptation dans le milieu dans lequel la communauté vit et à la continuité de

la transmission de l’identité, de la culture, de l’engagement,… ; de génération en génération.

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La volonté de prendre place dans l’évolution des échanges inter-sociaux (la croyance en la version

figée de « la nation » est en recul, les échanges se mondialisent et évoluent vers des formes

transnationales, ce que la nature et l’identité multiple de nos acteurs prouvent tout

particulièrement).

A ce stade du mémoire, l’expression et l’identification de ces problèmes, non seulement nous servent

de transition vers l’analyse des solutions, des formes d’engagement et des pratiques qui ont été mises

en place en réponse, mais également et surtout, ouvrent la porte à l’analyse et à l’interprétation des

enjeux et des clivages qui gravitent autour de la participation des membres des associations

tunisiennes de Belgique aux changements sociopolitiques et à la transition démocratique toujours en

cours en Tunisie.

Conclusion

Dans cette première partie de notre « schéma méthodologique » et d’analyse, nous avons donc

découvert des acteurs se mobilisant à travers l’articulation entre des motivations personnelles (un

sentiment d’affection fort et de redevance envers la Tunisie, le partage et la diffusion de valeurs

fédératrices, la volonté de sensibiliser et de responsabiliser l’opinion publique et les dirigeants des

deux pays,…) ; et des motivations structurelles (principalement caractérisées par la compréhension

de l’engagement associatif comme un outil d’ascension sociopolitique et symbolique ainsi que comme

conquête de l’espace public suite à la révolution).

Des acteurs qui ont enclenché et enclenchent donc leur mobilisation et leur engagement associatif face

à et en raison de problématiques aussi diverses que la volonté de débattre, sensibiliser, participer,… ;

ou encore faire face aux problèmes de leur pays d’origine (en termes de chômage, de pauvreté,

d’éducation, de santé, économique, politique,…) et à ceux qui conditionnent leur vie en Belgique

(contexte et amélioration de l’intégration23

, promotion et transmission de la culture, etc.).

Nous découvrirons plus tard que l’identification des problèmes des acteurs que nous avons présentée

est intimement liée à la superposition des clivages et tensions qui cimentent les associations belgo-

tunisiennes, tant au niveau individuel (à l’échelle des décisions et des libertés personnelles), qu’au

niveau collectif (les distances qu’il peut y avoir au sein des associations et entre les associations).

23 Ce mémoire n’a pas l’ambition ou la taille pour aborder cette thématique en profondeur mais nous reviendrons de manière

plus importante et analytique dans notre partie finale d’analyse sur ce que nous percevons de « l’intégration » des acteurs

associatifs belgo-tunisiens, qui comme nous l’avons déjà laissé apercevoir, est relativement élevée et marque également et

surtout l’expression d’une grande pluralité et diversité d’approche et de perception des acteurs eux-mêmes.

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Ainsi, voici le schéma de compréhension et d’analyse que nous avons mis en place :

Acteurs : Perceptions, régimes de sens et motivations personnelles ou structurelles de l’engagement

Identification des problèmes

Stratégies, solutions mises en place, activités et pratiques transnationales ou associatives

Les espaces d’interaction, l’expression des conflits et la superposition des clivages

3.4 La pluralité des formes d’engagement et des pratiques transnationales des

Tunisien(ne)s de Belgique : Entre discours publics et discours cachés, entre

résistances ouvertes et résistances couvertes

Pour rappel, nous avons introduit l’idée précédemment que l’appartenance et l’identification à une

nationalité, dépendent fortement du contexte (Lafleur, 2005 ; p.63). Nos acteurs étudiés ici

correspondent tout à fait à cette description. A titre d’exemple, quand il s’agissait de participer au

grand processus de la révolution tunisienne, un certain nombre de nos acteurs ont été ardemment

unisiens. Quand la Belgique a été frappée par les attentats du 22 mars 2016, nous avons pu constater

qu’un grand nombre d’entre eux arboraient le drapeau belge ou participaient à des évènements de

commémoration et d’unité, notamment via les réseaux sociaux.

Nous avons également vu que, à travers la distinction entre le « homeland » et le « host country », si

un citoyen d’origine tunisienne (double nationalité, résidant, ou avec seulement des ancêtres,…)

s’engage de manière récurrente et impliquée pour le pays en question, cela représente un processus

suffisant pour désigner le pays d’origine comme étant sa patrie (Lafleur, 2005 ; p.13).

Comme nous le rappelle Portes (Portes et al., 1999 ; pp. 218-219), l’activité de la communauté

transnationale doit également être dirigée et/ou influencée par des liens avec un pays ou une

population précise, dont elle se sent partiellement ou entièrement membre. L’activité transnationale

ne se définit donc pas uniquement par le déplacement physique d’une communauté vers son pays

d’origine mais plutôt par l’importance de ses activités dans ce pays. De nombreux Tunisiens de

Belgique construisent ainsi des sphères sociales qui traversent les frontières géographiques,

culturelles et politiques traditionnelles. Un élément essentiel du transnationalisme est la multiciplité

des participations des immigrés transnationaux à la fois dans le pays d’accueil et d’origine » (Lafleur,

2005 ; p. 13). Comme nous l’avons présenté précédemment, l’identité est donc ici définie comme

détachée d’un territoire exclusif, ce qui fait tout l’attrait du concept, en particulier pour notre groupe

d’acteurs observés.

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Des auteurs comme Bousetta (Martiniello, Bousetta, 2008, pp. 45-66), Martiniello (Martiniello,

Lafleur, 2009 ; pp. 7-50), Perrin (Perrin, Martiniello, 2011 ; pp. 4-66), Lafleur (Lafleur, 2005 ; pp. 7-

63), Gsir et Mescoli (Gsir, Mescoli, 2015, pp. 4-50) ou encore Mandin (Mandin, Martiniello, 2013, pp.

7-97), etc. ; nous renseignent plusieurs types de pratiques transnationales. Voici la combinaison entre

des éléments de leur présentation et notre propre synthèse et apport empirique par rapport aux

pratiques transnationales des Tunisien(ne)s de Belgique. La « nature » et l’identité multiple de nos

acteurs observés provoque automatiquement un mélange et une complémentarité, entre leurs intentions

et volontés transnationales et leurs formes d’engagement et d’action collective, parfois transnationales

et portées vers la Tunisie, parfois entièrement inscrites dans le cadre socioculturel et sociopolitique

belge.

Les pratiques économiques et humanitaires transnationales (transfert de fonds à la famille, soutien

financier à la communauté d’origine, financement de projets et d’infrastructures, réseau de solidarité

envers la communauté d’origine et projets de développement...).

Certains des acteurs et certaines des associations rencontré(e)s ont des activités ou des projets

d’activités de type économique. Autant d’initiatives qui répondent à l’un des problèmes spécifiques

identifiés que nous avons présenté précédemment : « La dégradation du tourisme, de l’économie, et de

l’emploi en Tunisie ». Les informations que nous avons exploitées durant notre terrain d’enquête et

l’orientation et le cadre de ce mémoire ne nous permettent pas d’aller plus loin dans l’analyse de ce

sujet, bien que nous l’aurions voulu (et pu) au vu de notre formation initiale (un baccalauréat en

coopération internationale et le présent master en développement).

L’ensemble des initiatives (transnationales) économiques des Tunisiens de Belgique, qu’elles se

fassent à titre personnel ou à travers l’encadrement d’une association, tiennent en la création

d’activités commerciales, d’emploi ou de financement d’entreprises (locales et rurales).

Les pratiques humanitaires et de solidarité, quant à elles, sont aisément et largement ressorties de

nos entretiens, enquêtes observations participantes. A titre d’exemple, dès 2011, des Tunisiens de

Belgique ont participé en 2011 à une caravane humanitaire pour aider les réfugiés arrivés en Tunisie

lors de la guerre en Lybie, avec à la clé, l’achat et la récolte de médicaments, la récolte de vivre auprès

de leurs réseaux familiaux et communautaires locaux, etc. Comme l’explique très bien Sonia Gsir et

Elsa Mescoli, des membres d’associations, en particulier ceux de l’association Wissal avec le projet

« cœurs chauds », ont réussi à acheminer des biens de première nécessité (vêtements, couvertures,..)

aux populations du nord-ouest tunisien lors de l’hiver de l’année 2012 (Gsir, Mescoli, 2015 ; p.22).

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Enfin, bien que notre terrain ne nous ait pas spécialement permis de l’observer massivement et

concrètement, la construction, la rénovation ou le soutien d’infrastructures locales, spécialement dans

les localités d’origine, sont autant de projets souvent évoqués.

Les pratiques sociales et culturelles transnationales (échanges culturels et artistiques, échanges

académiques, etc).

Ces pratiques répondent tout particulièrement aux besoins ou aux problèmes suivants : « l’insuffisance

de la connaissance et de la promotion de la langue, de la culture et du patrimoine d’origine »,

« l’intégration et la sociabilité en Belgique », « l’insuffisance des évènements de rassemblement, de

débat et de sensibilisation proposés à la communauté belgo-tunisienne » ou encore, « le manque de

participation de la communauté belgo-tunisienne aux changements sociopolitiques en cours en

Tunisie ».

Ces pratiques s’expriment majoritairement par la valorisation du patrimoine, de la culture et du

tourisme tunisien mais également par des initiatives interculturelles ou d’éducation populaire qui

visent à créer des ponts et de l’échange avec d’autres cultures (belge, marocaine, congolaise,

turque,…). De plus, des projets de sensibilisation/ apprentissage de la culture tunisienne (expositions,

diffusions de films, concerts, soirées et évènements,…) ou de la langue arabe (cours et leçons) sont

mis en place, que ce soit via le centre socioculturel « dar tounsi » ou les associations elles-mêmes.

Des initiatives plus directement à vocation d’insertion consistent également à l’organisation, par

exemple, d’écoles de devoirs ou encore la mise en place d’un soutien aux Tunisien(ne)s en situation de

séjour irrégulier.

Des collaborations scientifiques, des conférences diverses ou des rencontres débat sont également

régulièrement organisées. Cela vaut particulièrement pour le CVDT et l’ADTB, à travers

l’organisation de conférences et de rencontres débat autour de thèmes comme la radicalisation, la

participation et le développement de la société civile, la révolution tunisienne… ; avec la participation

d’universitaires ou d’experts issus de Belgique et de Tunisie ou encore à travers l’organisation d’un

colloque d’échange à Tunis entre des membres belges et tunisiens de la société civile autour de la

notion de « compromis ». L’association « passerelles humanitaire » a également lancé un projet de

revue internationale destinée à la diaspora tunisienne, visant à mettre en avant des sujets divers

concernant la Tunisie ou la diaspora et à faire collaborer et mettre en avant diverses personnalités

tunisiennes (et européennes) dans les articles du magazine.

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Une volonté de soutien à la scolarité, aux études (matériel et infrastructures scolaires, accès financier

et géographique,…) et à la santé (en Tunisie) est également exprimée et organisée par plusieurs

associations, en réponse à la gestion de ces politiques jugées insuffisantes et régressives depuis l’ère

Ben Ali (voir Annexe 3.16 Nadia, enregistrement du 17 mars 2016).

3.4.1 Les pratiques transnationales civiques et politiques

Selon Lafleur, on peut recenser trois types d’activités et de formes d’engagement politiques

transnationales (Lafleur, 2005 ; pp. 27-28).

Les « homeland politics » (activités politiques dans la patrie) ou « nationalisme de longue

distance ». Nous entendons par là, le soutien ou l’hostilité de la communauté vers le régime ou le

processus politique en cours dans leur pays d’origine.

Les « immigrants politics » (activités politiques d’immigrés) : activités qu’entreprend la

communauté pour améliorer sa situation dans son pays d’accueil.

Les « translocal politics » (activités politiques entre localités). Des activités entre membres de

deux pays, reliés par l’intérêt et les initiatives autour d’une localité (d’origine) ou dans le cadre

d’un jumelage, par exemple. Ce type d’initiatives ne requiert pas spécialement la présence des

Etats.

Comme le confirme également Gsir et Mescoli (Gsir, Mescoli ; pp. 18-21), on observe deux types de

participation (transnationale) politique dans le chef des Tunisiens de Belgique. Une participation

formelle à travers notamment les liens entretenus avec la « haute instance pour la réalisation des

objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique », le « secrétariat

chargé de l'immigration et des Tunisiens vivant à l'étranger » rattaché au ministère des affaires

sociales, ou encore à travers le droit de vote à distance et la participation aux élections constituantes du

22 octobre 2011 et des élections législatives de 2014, où les Tunisiens vivant à l'étranger ont été en

mesure d'élire des représentants à l'ANC24

et à l'assemblée des représentants du peuple.

Une participation informelle à travers l’observation des élections (en particulier les formations à

l’observation électorale organisées par le CVDT et la FETCA), les actions de sensibilisation-lobbying

à propos de la politique belge et tunisienne organisées en particulier par ces mêmes acteurs et l’ADTB

(conférences et débats avec des intellectuels, représentants de partis, journalistes, députés,…), la

participation à diverses manifestations, l’expression d’opinions dans les médias ou sur Facebook, les

affections ou appartenances personnelles à des partis belges ou tunisiens, etc. Ces initiatives peuvent

donc parfois épouser une forme assez structurée et mobiliser l’activation de réseaux au sein de la

société civile, du monde militant-associatif, politique et institutionnel belge. A titre d’exemple,

l’initiative d’observation des élections tunisiennes en Belgique et en Tunisie a bénéficié du partenariat

de certaines institutions belges telles que la Province de Liège et la Fédération Wallonie Bruxelles.

24 Assemblée nationale constituante

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Selon les responsables et membres d’associations rencontrés, ce genre d’initiative ne vise pas

l’affiliation à un parti mais bien la sensibilisation des Tunisiens et Tunisiennes de Belgique à la

politique et à la prise de position. Cela n’empêche pas que certaines personnes (une minorité dans les

personnes rencontrées) soient devenues membre d’un parti politique tunisien en se proposant même

comme représentant de circonscription pour les Tunisiens à l’étranger, ou s’y soient affiliées sans y

prendre nécessairement un rôle actif par des cotisations, un support en coulisses aux récentes

campagnes électorales,…(Gsir, Mescoli ; p. 20).

Des Tunisiens se mobilisent également pour soutenir une cause particulière qui peut toucher des droits

ou revendications communes à plusieurs pays ou groupes socio-culturels. L’un des engagements les

plus marquants qui ressort de notre terrain est celui pour la cause palestinienne, en particulier chez des

jeunes belgo-tunisiens, pour la plupart à titre individuel ou en dehors du cadre des associations

observées… Ou encore la signature de pétitions pour la défense et la promotion du tourisme en

Tunisie ou la revendication d’une Belgique unie et multiculturelle, etc.

Les formes d’engagement civiques et associatives sont donc diverses et se superposent. Ainsi, une

même association peut proposer, sur la même année, des initiatives culturelles, éducationnelles,

humanitaires ou encore politique, ce qui représente, à coup sûr, la diversité et l’intérêt du monde

associatif en général, ainsi que dans notre contexte, la richesse de l’identité (transnationale et

multiculturelle) de nos acteurs belgo-tunisiens. Elles se résument de la façon suivante :

Participation, débat, sensibilisation, pression concernant les affaires socio-politiques en Tunisie.

Soutien financier ou humanitaire pour un projet dans des zones rurales ou dans les communautés

d’origine.

Partenariat avec des organisations, associations socio-culturelles, académiques, médiatiques,…

Partenariat politique (liens avec des partis politiques tunisiens ou diversité des sensibilités et

soutiens politiques individuels au sein des associations,…).

3.5 La révolution de 2011 : Mutation et publicisation du discours caché et des

formes infra-politiques de résistance et de contestation

Comme le confirme Jean Michel Lafleur (Lafleur, 2005, pp. 7-63), une bonne intégration économique,

un haut niveau de formation, un sentiment d’appartenance plus ou moins élevé envers le pays

d’accueil, ainsi qu’une relative intégration dans son tissu social favorisent les pratiques

transnationales.

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Des facteurs tels que les conséquences de la mondialisation (économique), l’augmentation de la

mobilité, l’utilisation des nouvelles technologies de communication et du phénomène numérique,

ont une influence forte sur les pratiques des individus et leur capacité à maintenir des liens (ou

non) avec le pays d’origine.

Toujours selon Lafleur mais également d’autres théoriciens du transnationalisme, il existe deux grands

facteurs qui déterminent et dynamisent les pratiques transnationales. La marginalisation dans le pays

d’accueil et les différentes formes qu’elle peut prendre, pousse l’immigré à chercher une

reconnaissance, du prestige, et une place dans son pays d’origine (Lafleur, 2005 ; p. 16). Dans notre

cas d’étude, nous contestons plutôt cette hypothèse dans le sens où un grand nombre des acteurs

observés qui s’engagent en faveur de la Tunisie, appartiennent tous, pour la plupart, à une catégorie

socio-économique relativement élevée à l’échelle de la société belge.

Le deuxième facteur qui est cité est le facteur technologique. Difficile d’en nier l’évidence en 2016...

L’hyper diffusion des récentes technologies de la fin du 20eme siècle et du début du 21eme siècle,

internet, la mondialisation et la démocratisation des transports, … sont autant d’élément qui ont dopé

l’émergence d’activités transnationales fortes (Ibidem ; p. 17). Le phénomène numérique est très

certainement un facteur de développement des pratiques transnationales, tant pour notre groupe

observé (un grand nombre d’associations ont un compte Facebook qu’elles utilisent très fréquemment,

etc.) que pour l’ensemble des citoyens du monde qui ont accès à ces technologies. Le cadre de ce

mémoire ne nous permet pas, à regret, d’exploiter en profondeur cette dynamique et ce facteur mais

des auteurs comme Tristan Mattelart (Mattelart, 2009, pp. 13-50), Appadurai (Appadurai, 1996 ; pp.

10-22), Romain Lecomte (Lecomte, 2009 ; pp. 201-226, Dahlgren (Dahlgren, 2000 ; pp. 157-186)

nous détaillent la mutation des pratiques des diasporas ou de celles de citoyens et militants « lambda »

dans le cadre de l’émergence d’un espace public transnational ou encore d’une « wikicitoyenneté ».

Eric George (2003) et John Keane (1988, 1995), déjà à leur époque, confirmaient l’émergence de

nouvelles pratiques citoyennes, d’un espace public en voie de démocratisation et en chemin vers un «

espace public transnational », notamment du fait des usages d’Internet susceptibles de participer à des

pratiques de communication à l’échelle internationale. John Keane met l’accent sur la fin de la

domination d’un espace public national lié aux moyens traditionnels de communication tels que la

radio, la télévision, les journaux,… ; au profit d’une multiplication d’espaces de communication

organisés en réseaux qui ne sont pas directement liés au territoire (Keane, 1995).

Comme nous l’avons en partie présenté précédemment, des auteurs comme Lafleur (Lafleur, 2005 ;

p.9), Laville (Laville, 2005 ; pp. 62-140), Barthélémy (cité par Aligisakis, 2001 ; pp. 589-591), Bajoit

(Bajoit, 2013), Touraine (Touraine, 1965 ; pp. 30-500), mais aussi et surtout des auteurs comme

Putnam (Thiebault, 2003 ; pp. 341-355) et Inglehart (Inglehart, Welzel, 2005), nous indiquent des

facteurs comme l’ouverture des économies nationales, le démantèlement du protectionnisme

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économique ou encore l’effondrement de la dualité est-ouest, l’urbanisation ou encore l’accroissement

du « capital culturel » et des classes moyennes comme étant décisifs au développement des pratiques

associatives et des formes d’engagement (transnationales). Un phénomène qui se base sur autant de

facteurs « classiques » d’augmentation des formes d’engagement associatif regroupés en facteurs

socio-économiques (vieillissement de la population, diversification du profil des ménages, progression

du travail féminin et augmentation de la demande de services,…) ainsi qu’en facteurs politiques

(politisation de la vie quotidienne et apparition de mouvements sociaux et nouvelles formes

d’engagement : féminisme, écologie, droits des minorités, le traitement social du chômage et la

régulation d’insertion socioprofessionnelle, etc.).

Comme nous l’avons déjà en partie démontré et comme nous allons le découvrir plus en profondeur

dans les pages qui suivent, dans le cas du groupe d’acteurs observés, une part significative des

personnes qui sont membres des associations sont, en effet, intégrées économiquement (classe

moyenne et revenus à priori satisfaisants) et possèdent un bon ou haut niveau de qualification

(diplômes de l’enseignement supérieur et universitaire, professions valorisées socialement, etc.). Il

s’agit donc, à priori, comparativement à d’autres échantillons de populations issues de l’immigration,

et dans leur ensemble, de personnes déjà relativement bien intégrées dans le tissu social belge et

porteurs ou bénéficiaires de plusieurs des facteurs décrits et détaillés ci-dessus. Si l’on se fie à ce que

disent les tenants de l’approche transnationale et spécifiquement aux motivations à l’engagement que

nous avons présentées précédemment, leurs pratiques transnationales avec et envers la Tunisie ne font

donc que renforcer leur position sociale et leur intégration, tant dans le pays d’accueil que dans le pays

d’origine. Position et intégration d’autant plus renforcées que les acteurs sont pleinement citoyens

belges. Les limites de cette étude de terrain et de ce mémoire ne permettent d’ailleurs pas de répondre

clairement à la question de savoir dans quelle mesure l’intégration des Tunisiens en Belgique

influence leur engagement transnational.

Cela dit, dans le contexte tunisien et dans le contexte des acteurs belgo-tunisiens observés, nous

faisons l’hypothèse dans ce mémoire que l’on assisterait à un réel emballement des pratiques

(politiques) transnationales en raison d’un facteur autant voire plus important et déterminant :

la révolution de 2011, la chute d’un régime autoritaire et la rupture, ou plus vraisemblablement,

la diminution des moyens de contrôle et de répression de l’Etat tunisien.

Tant l’histoire contemporaine de la Tunisie que les entretiens et témoignages recueillis et présentés en

partie dans ce mémoire, mettent en évidence l’influence capitale de la révolution, du changement de

régime et des changements sociopolitiques en général dans la profusion de tous les aspects

transnationaux et en terme de mobilisation collective ou d’engagement de ce qui était interdit ou

réprimé auparavant. A titre de rappel, autant d’initiatives comme rendre visite librement à sa famille

plusieurs fois par an sans être surveillé ou menacé, se rassembler, se fédérer et créer une association

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non satellite du RCD, obtenir des droits et être représenté en tant que Tunisien vivant à l’étranger,

mettre en place des projets de partenariat, d’investissement, de soutien avec et envers la Tunisie,

organiser une conférence et un débat public et politique, etc.

En étant fidèle à nos hypothèses de départ, ce raisonnement nous amène à nous poser la question

suivante : « Les associations belgo-tunisiennes ne connaitraient-elles pas une évolution et ne se

transformeraient-elles pas selon les productions et les interactions des changements socio-politiques

en cours en Tunisie ? ».

De cette question découle la sous-question suivante : « La diminution des moyens de contrôle et de

répression de l’Etat tunisien n’aurait-elle pas permis, autant ou plus que les facteurs traditionnels

(développement socioéconomique, mondialisation, nouvelles technologies,…), le développement des

pratiques transnationales et des formes d’engagement des Tunisien(ne)s de Belgique ? ».

3.5.1 Les formes de matérialisation et d’explication sociopolitiques de la publicisation du

discours des acteurs associatifs tunisiens de Belgique

Comme nous nous en rappellerons aisément, dans le cadre conceptuel d’Antonio Gramsci présenté

précédemment, ce dernier a créé une analyse de l’Etat en le divisant en société civile (syndicats,

écoles, aujourd’hui OSC, asbl,…), animée par la sphère de l’hégémonie culturelle, et société politique

(Etat, institutions, police, armée,…), animée par la sphère de la coercition.

Dans le contexte de la Tunisie et plus spécifiquement dans celui des acteurs associatifs belgo-

tunisiens, le fond de l’hypothèse que nous proposons dans ce mémoire, consiste en l’idée que la

modification du curseur d’intensité de la sphère coercitive de l’Etat tunisien a impliqué et implique

toujours un changement d’orientation des discours et des positions dans la sphère de l’hégémonie

culturelle et de la société civile (belgo-tunisienne). D’une part, l’augmentation et la floraison des

pratiques associatives et transnationales, en particulier les pratiques socio-culturelles et politiques.

C’est ce phénomène et ce processus que nous allons détailler dans ce chapitre.

D’une autre part, la modification du rapport (politique, juridique,…) entre cette société civile et l’Etat

tunisien, ainsi que la modification du fonctionnement, des rôles, de l’accès à la participation et

finalement, des acteurs clés de l’arène citoyenne et associative dans laquelle les Tunisiens de Belgique

prennent place. Ces éléments seront abordés et détaillés, dans la limite des pages imposées, dans la

prochaine et dernière partie de ce mémoire.

Il est utile de se rappeler que, sauf erreur de notre part, la méfiance envers les associations fut

constante tant de la période qui va de la loi le Chapelier (1791) aux lois du début du 20eme siècle

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concernant le tiers secteur dans nos régions, que dans celle qui couvre le régime de Ben Ali (de 1987 à

2011), en Tunisie. Une méfiance principalement due à « la proximité sociale et la sociabilité

construites dans la vie quotidienne par les membres des associations, qui apparaissaient et apparaissent

parfois encore comme dangereuses et mettant en péril l’ordre de la puissance publique » (Eme, 2010,

p. 33). Une méfiance, souvent accompagnée d’une répression avant 2011 en Tunisie, car les

associations représentent au final la possibilité d’un espace public qui ne se voit pas enfermé dans le

système représentatif mais également, comme nous l’avons à plusieurs fois présenté dans ce mémoire,

la division démocratique entre l’Etat et la société, tout en y introduisant une tension critique et

délibérative.

Les faits et les sources que nous avons présenté en introduction de ce mémoire, l’étude de Gsir et

Mescoli (Gsir, Mescoli ; pp. 6-50) ainsi que les nombreux témoignages recueillis pour la bonne

réalisation ce mémoire, renseignent qu’avant 2011, une société civile active existait en Tunisie et en

Belgique, et donc également des associations. Toutefois, ces associations (en Belgique, principalement

sous forme d’amicales du parti «RCD» ou d’associations de loisir) devaient se soumettre aux règles du

régime de Ben Ali et dans le cas contraire, leurs membres pouvaient être sévèrement réprimés (voir

Annexes 3.2 Abdelkader, enregistrement du 19 juin 2016 ; 3.3 Samira, enregistrement du 19 juin

2016 ; 3.4 Bilal, enregistrement du 19 juin 2016 ; 3.5 Majid, enregistrement du 5 février 2016).

A titre d’exemple, certaines associations acceptaient de faire allégeance au régime pour pouvoir

« survivre » sans ennui. Depuis 2011 et la révolution, comme nous l’avons démontré dans ce mémoire,

on observe un foisonnement associatif assez spectaculaire, en Tunisie, mais également en Belgique et

l’engagement des belgo-tunisiens s’exprime donc majoritairement à travers le monde associatif.

Ce serait donc la fin du régime autoritaire et la perception d’une liberté d’expression retrouvée qui

aurait déclenché un dynamisme dans la société civile tunisienne en Tunisie et en Belgique. Ces

observations sont en cohérence avec la description d’une culture civique démocratique (optimale) que

fait Inglehart (Inglehart, Welzel, 2005). Dans la synthèse de son œuvre et dans son modèle d’analyse,

la centralité des valeurs d’expression de soi et les aspirations à la liberté (d’expression) est la variable

la plus élevée. Elle surplombe (en ordre croissant) des « valeurs » civiques comme la confiance en les

institutions (l’approche de la légitimité : Easton,…), l’obéissance à la norme, la confiance

interpersonnelle et l’engagement associatif (l’approche communautaire de Putnam), ou encore les

préférences de la démocratie par rapport à l’autoritarisme, la tolérance des minorités, et la critique du

pouvoir… ; les premières variables fondatrices de sa propre « approche du développement humain »

(voir tableau en annexe 2.).

Néanmoins, les spécialistes de la Tunisie et les acteurs belgo-tunisiens eux-mêmes nous en voudraient,

à raison, de résumer, stricto sensu, la situation actuelle des associations des Tunisiens de Belgique

Page 58: La participation des associations belgo-tunisiennes au ... · 3.6 Les facteurs de réussite ou d’entrave, les enjeux et les clivages qui conditionnent la participation des associations

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comme une situation tombée du ciel instantanément après décembre 2010 et résultant uniquement et

naturellement du simple fait du statut socioéconomique élevé d’une part importante des

(belgo)tunisiens et de la présence des valeurs post-matérialistes détaillées ci-dessus dans la société

tunisienne (urbaine) et belge.

Il s’agit bel et bien d’un processus politique, émancipateur et contestataire qui renseigne que la

« société civile (belgo) tunisienne » n’est pas arrivée de nulle part et était aussi présente pendant la

dictature même si ses actions étaient contrôlées, réprimées et souvent « inefficaces ». D’autant plus

que, d’après Gsir et Mescoli (Gsir, Mescoli, 2015 ; p. 32) ainsi que selon certains interviewés, sous le

régime de Ben Ali, l’opposition ne pouvait être exercée qu’à l’étranger et dans le cadre d’associations

(qu’elles aient été subordonnées au régime ou que les membres tunisiens aient choisi d’œuvrer dans

d’autres associations non tunisiennes) et non de partis. C’est le cas d’anciens militants rencontrés

(devenus leaders au sein de leur association ou personnalité dans le monde associatif belgo-tunisien

aujourd’hui) qui se sont engagés toute leur vie dans des syndicats belges, dans des ONG ou

institutions internationales du type d’Amnesty International ou de la Ligue des droits de l’homme,

dans des réseaux d’associations belges ou belgo-marocaines, etc. Tant la diversité des parcours

migratoires que les motivations à l’engagement des Tunisiens de Belgique que nous avons présentés

tout au long de ce mémoire montrent l’importante de la présence des motivations d’ordre politique.

Des étudiants tunisiens migraient souvent en raison de leurs activités politiques (au sein par exemple

du mouvement d’extrême gauche « Perspectives Tunisiennes Amel Tounsi »25

, dans des partis

d’opposition au régime tels qu’ « Ennahdha » ou des mouvances d’extrême gauche ou marxistes, de

leurs activités syndicales, etc. Certains membres d’associations militaient aussi dans des partis

politiques, tels que le Parti des travailleurs, « Ennahdha » ou le parti communiste des ouvriers de

Tunisie, « opposants » du régime autoritaire.

Après plus d’un an et demi de réflexion et d’observation sur le sujet, nous formulons l’idée que c’est

précisément l’ensemble de ces initiatives et dynamiques « clandestines » ou cachées, qui

représentent les pièces du rouage qui ont accéléré et contribué à lancer le changement

sociopolitique de régime et l’actuelle mise en place d’un nouveau modèle de société et

d’interaction sociopolitique et personnelle avec la Tunisie pour les Tunisien(ne)s de Belgique

rencontré(e)s. Ce processus valait aussi bien pour la simple discussion et contestation informelle dans

un café ou au sein de la famille, que pour les passés contestataires et d’opposition de certains militants

(belgo) tunisiens,

Des auteurs comme Bennani-Chraïbi, Fillieule (Bennani-Chraïbi, Fillieule, 2012), Ben Nefissa (Ben

Nefissa, 2011 ; pp. 5-24) ou encore Ben Lamine (Ben Lamine, 2013) nous confirme qu’il y avait des

25 Du nom de la revue publiée en France et diffusée clandestinement en Tunisie par un groupe d’étudiants (Gsir, Mescoli,

2015 ; p.12)

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associations en Tunisie avant janvier 2011, mais pas de société civile, c’est-à-dire un véritable espace

public où les citoyens pouvaient s’associer ou s’exprimer librement. Les éléments empiriques

présentés et le présent mémoire en général ont confirmé qu’on observait une situation similaire en ce

qui concerne les Tunisiens de Belgique. En effet, durant l’ère Ben Ali, les associations étaient utilisées

par le régime comme un instrument de clientélisme et de contrôle social. De ce fait, la relative

importance accordée au secteur associatif permettait aussi bien de jouir d’une bonne image sur la

scène internationale que, via certains des mécanismes que nous avons décrits, de contrôler les citoyens

à l’intérieur du pays et des pays d’accueil de la diaspora.

Selon le rapport du PNUD sur la société civile tunisienne datant de 201426

, l’ancien régime a favorisé

l’activité de quelques 9700 associations, essentiellement artistiques, culturelles et sportives.

Cependant, « il est important de souligner qu’un très grand nombre d’entre elles n’étaient que des

coquilles vides au service de l’image du régime. Inféodées au pouvoir, la majorité de ces associations

se contentaient de jouer le rôle qui leur était assigné, profitant des largesses du parti dirigeant, elles

mobilisaient, en guise de contrepartie, leurs adhérents aux grandes manifestations du régime ». Au

lendemain de la révolution, tant en Tunisie qu’en Belgique, le tissu associatif s’est vu investi d’une

conscience collective nouvelle et a connu une véritable mutation, en créant notamment des dizaines de

comités et d’associations.

Selon nous, mais aussi selon un grand nombre d’intervenants rencontrés, si l’on est convaincu que le

monde associatif belgo-tunisien représente et peut représenter à l’avenir, une force de contre-pouvoir

importante, l’idée de « société civile » ne peut évoquer une possible démocratisation que si l’espace

public est lui-même libéré, c’est-à-dire si les associations de services et de loisirs y ont accès

librement, et s’il existe, en plus de ces dernières, des organisations de plaidoyer actives et réellement

influentes.

Nous avons tenté de démontrer qu’avec la révolution et les changements sociopolitiques qui ont suivi,

les Tunisiens de Belgique sont à présent convaincus qu’ils peuvent influer sur les affaires publiques et

politiques qui les concernent et qui concernent la Tunisie. Comme nous l’avons également démontré,

cet engagement à distance est d’autant plus fort maintenant que pour certains, il était impossible de

s’engager librement et publiquement plus tôt.

La singularité et la pluralité des pratiques citoyennes transnationales et des formes d’engagement

associatives des Tunisien(ne)s de Belgique sont donc à mettre en lien avec les changements inclus par

la révolution tunisienne et la rupture avec des années de politiques fortement répressives à l’égard des

citoyens et de leurs libertés.

26 METOUI Mokhtar, MAINSI Ahmed, GAFSI Henda, MALENA Carmen, 2014, « La société civile dans une Tunisie en

pleine mutation », rapport du Programme des Nations Unies pour le Développement, pp. 4-48.

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L’ensemble des analyses et du raisonnement que nous avons présentés est à mettre en relation avec les

théories de James Scott (Scott, 1992). Selon cet auteur et sa théorie des discours, une période et une

relation donnée d’hégémonie cachent toujours des formes de résistance cachées ou « privées » en

situation de subalternité.

Les dominants, par l’intermédiaire de leurs jeux entre véracité de leur discours public (« les images

flatteuses que les élites produisent d’elles-mêmes » ; p. 32) et réalité cachée et subtile de leurs intérêts

et discours cachés, exercent une domination de type sémantique, de contrôle et répressive, s’appuyant

sur du néo-corporatisme ou en étant au sommet d’une pyramide de redistribution de biens et de

privilèges. Les dominés, en retour, répondent, approuvent, ou subissent toute une série de mesures par

l’intermédiaire de leur discours public (« public transcript ») et, selon leurs contextes et

caractéristiques propres, établissent des stratégies de résistance (du plus infime des gestes et de la plus

insignifiante des discussions à l’association clandestine ou interdite), par l’intermédiaire d’un discours

caché (« hidden transcript »). Ces théories relativisent quelque peu la théorie classique de l’hégémonie

gramscienne (ou encore bourdieusienne). Ces prises de position sont notamment basées sur le postulat

que la population dominée intègre les normes dominantes des acteurs hégémoniques, notamment par

l’intermédiaire de la société civile. Or, on peut se demander dans quelle mesure ce n’est pas

l’ensemble de ce discours et de ces stratégies cachées qui alimente la résistance locale et

contextualisée et qui émerge un jour comme une dynamique émancipatrice ou contestataire. Et Scott

de confirmer « lorsque le « cordon sanitaire » entre les différents « textes » s’érode ou se rompt, la

situation se fait explosive parce que l’arbitraire de la domination apparaît au grand jour et que la

subordination des dominés se montre telle qu’elle est : une feinte » (p.240). Cette dimension, à notre

sens, comme nous l’avons précédemment mentionné, est trop peu prise en compte par certains

analystes ou acteurs de la « société civile ». Scott nous confirme d’ailleurs que la plus grande partie

de la vie politique active des groupes dominés a souvent été ignorée parce qu’elle a lieu à un niveau

qui est rarement reconnu comme politique » (Scott, 1192 ; p. 214). Paolo Freire, un autre auteur qui

conforte notre réflexion, dans la « pédagogie des opprimés » (Freire, 1982), nous explique comment et

combien un opprimé ou un individu subissant l’hégémonie, peut faire surgir un savoir et des

compétences utiles à son émancipation. Une approche «qui fait de l’oppression et de ses causes un

objet de réflexion des opprimés d’où résultera nécessairement leur engagement dans une lutte pour

leur libération, à travers laquelle cette pédagogie s’exercera et se renouvellera.» (Ibidem ; p. 22).

Le contexte et l’histoire de certains des acteurs associatifs présentés dans ce mémoire montrent bien

que la floraison associative ainsi que la dynamique participative au processus de transition

démocratique sont la conséquence du passage de l’insubordination voilée à une forme de révolte

ouverte. Tout ce qui est compris par résistance infra-politique et ce qui à l’abri du regard des puissants,

consistait auparavant en des propos, des gestes et des pratiques qui confirmaient, contredisaient ou

infléchissaient, hors de l’arène publique et souvent en anonymat ou comité réduit, ce qui

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transparaissait dans le texte public des anciens « dominés ». La « fausse complicité » ou l’adaptation

aux normes du pouvoir, faute de pouvoir agir à l’encontre des dominants auxquelles fait référence

Scott dans son œuvre, dans le cas de nos acteurs, pouvaient se manifester parmi certains

comportements que nous avons décrit dans ce mémoire : couper tout contact avec la sphère citoyenne

tunisienne officielle mais accumuler de la frustration ou de l’opposition cachée pendant des années,

faire partie des amicales du parti tout en « rongeant son frein », s’engager dans d’autres associations

internationales ou belges, etc. Les comportements d’aujourd’hui et certaines des pratiques que nous

avons présentés dans cette étude seraient donc l’expression du discours dissident, subversif, anti-

hégémonique et d'opposition, d’avant 2011.

3.6 Les facteurs de réussite ou d’entrave, les enjeux et les clivages qui conditionnent

la participation des associations des Belgo-Tunisien(ne)s au processus

démocratique en Tunisie

Comme nous l’avons introduit précédemment, les changements sociopolitiques décrits dans ce

mémoire et les processus qui gravitent autour ont entraîné la modification du rapport (politique,

juridique,…) entre le monde associatif et la communauté des Tunisiens de Belgique et les institutions

de l’Etat tunisien, mais aussi la modification du fonctionnement, des rôles, de l’accès à la

participation et finalement, des acteurs clés de l’arène citoyenne et associative dans laquelle les

Tunisiens de Belgique prennent place. Ces deux postulats représentent les deux dernières parties de

nos hypothèses et la partie finale de ce mémoire.

Comme nous le renseigne Eme (Eme, 2010 ; p. 29), le rapport socio-politique d’engagement que nous

avons décrit précédemment est lui-même en contradiction avec des formes de sociabilité distinctes, qui

se traduisent dans les formes d’engagement et pratiques associatives diverses des Belgo-Tunisiens que

nous analysons dans cette partie. Des formes de sociabilité qui oscillent, notamment, entre

socialisation de réciprocité entre les membres (rapports sociaux fondés sur l’échange, le don, la

solidarité,…) et une socialisation qui implique des rapports sociaux de pouvoir fondés sur la

contrainte et la conquête de la visibilité.

L’objectif est ici d’être fidèle à nos hypothèses et aux éléments empiriques qui se dégagent, tout en

introduisant l’idée d’une « sociologie de la polarité des phénomènes associatifs » (Ibidem ; p. 30), qui

éclaire les ambivalences constitutives des associations des Tunisiens de Belgique. En effet, les

associations belgo-tunisiennes, mais les associations en général, sont animées par des tensions

dynamiques qui leur sont propres et qui nous renseignent quelques fois sur l’occasionnelle fragilité de

leur fonctionnement. Si notre deuxième hypothèse s’avère juste (« les contraintes des rapports de

force, de pouvoir, et de domination, ainsi que les différences socio-économiques entre les individus

influencent la typologie et les modalités d’engagement »), elle nous renseigne que le phénomène

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associatif et les associations des Tunisiens de Belgique, avec leurs contextes et spécificités propres,

semblent cristalliser les contradictions et les contraintes mêmes de notre vie sociale. De plus, via la

révolution tunisienne, ces mêmes contradictions ouvriraient la porte à une polarité des espaces

publics et l’émergence d’une discursivité publicisée. Certains des clivages et des enjeux qui

conditionnent la participation des Tunisiens et Tunisiennes de Belgique à l’émergence de leur

nouvelle citoyenneté à distance et à la transition démocratique en Tunisie que nous développons dans

cette partie, sont issus de nos propres déductions et analyses mais sont fortement corrélés avec les

témoignages et les propos de certains individus ainsi qu’avec les faits observés dans certaines des

associations elles-mêmes. Ce sont d’ailleurs l’ensemble de ces phénomènes qui ont façonné nos

hypothèses et l’analyse que nous tentons de proposer dans ce mémoire. Des clivages et des enjeux qui,

comme nous nous en rappellerons, font écho aux problèmes directement identifiés par les acteurs, tant

ceux ressortant directement des éléments empiriques et de nos propres interprétations que ceux que

nous avons tirés d’éléments structurels et macro sociologiques d’analyse (Bajoit, Touraine, Cefaï,…).

3.6.1 Le « Bloc MAT » : Entre statut socio-économique, transmission intergénérationnelle et

forte identité tunisienne

A notre sens, l’une des facettes (plus subtiles) du raisonnement de Scott, en accord avec les analyses

de notre terrain d’étude, est qu’il peut ouvrir la porte à une part de réversibilité et de reproduction

en ce qui concerne la publicisation du discours « privé » ou « caché » dans le contexte précis de

l’influence des changements socio-politiques en Tunisie sur l’environnement de la participation

des associations des Tunisiens de Belgique. La question est ici d’analyser dans quelle mesure, dans le

chef des associations et acteurs observé(e)s et dans le cadre de la redistribution de l’échiquier du

pouvoir, des nouvelles publicités de l’action et des nouvelles interactions entre associations et

membres de la société civile, on ne constaterait pas la présence des conditions de la survie ou de la

reproduction de certaines des logiques inhérentes et caractéristiques de l’ancienne « société

tunisienne » ou même de notre propre société. Ce raisonnement est confirmé par les témoignages des

deux membres d’associations suivants : « Vous savez, on n’efface pas trente ans de dictature, dans les

associations, comme ça, en un coup de baguette magique » ou encore «de plus, ce qui peut faire

reculer certains et notamment les jeunes, c’est qu’il y a parfois un manque de libertés dans les

associations. Il y a comme une transmission inconsciente du virus de la dictature et de la domination »

(voir Annexe 3.22 Hossein, enregistrement du 20 avril 2016).

Comme nous l’avons présenté dans la première partie de ce mémoire, Hegel et Habermas à sa suite,

posaient déjà la question de la légitimité des espaces publics, de leur représentation, ou de leur

accaparement par un groupe plus ou moins restreint. Eme confirme notre intuition que « c’est à un

conflit de légitimité dans la représentation civique des intérêts » (Eme, 2010 ; p. 34) que renvoient

ainsi les associations des Tunisiens de Belgique et les associations en général. Un conflit de légitimité,

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clair et affirmé, envers et contre le monopole de représentation des intérêts par le monde politique et

l’Etat. Mais également un conflit de légitimité, beaucoup plus insidieux et difficile à percevoir, de la

difficulté du monde associatif lui-même à représenter légitimement les besoins et les revendications

civiques de l’ensemble de « sa » société, dans ce cas et sans vouloir restreindre la volonté de champ

d’influence de nos associations étudiées, ceux et celles de la communauté belgo-tunisienne. Laville

confirme également que l’engouement associatif du moment traduirait surtout la « domination

culturelle des classes moyennes » (Laville, 2010 ; p63).

Le « bloc MAT »

Rappelons-nous les différents éléments de contexte renseignés par Jean Michel Lafleur (Lafleur,

2005 ; pp. 48-61) qui conditionnent l’analyse et la compréhension des phénomènes transnationaux.

Deux d’entre eux sont particulièrement en corrélation avec notre analyse :

Le statut socio-économique : Pas seulement dépendant de la communauté elle-même mais aussi de la

nature des politiques d’intégration. La marginalisation qui peut en découler, et le statut socio-

économique plus ou moins élevé des membres d’une communauté, influencent automatiquement les

liens transnationaux qu’elle développera. La gestion de la question générationnelle (l’importante ou

faible transmission du combat politique transnational aux générations nées dans le pays d’accueil).

Rappelons-nous également des critères pour conditionner et légitimer l’aspect transnational d’un

groupe. Alejandro Portes (Portes et al., 1999 ; pp. 218-219) nous les formule et nous les renseigne :

Les activités doivent se produire de manière stable et récurrente, les contacts transfrontaliers

occasionnels ne sont pas suffisants. De plus, l’activité de la communauté transnationale doit

également être dirigée et/ou influencée par des liens avec un pays ou une population précise, dont elle

se sent partiellement ou entièrement membre. Mais surtout, une part significative de la communauté

concernée doit être impliquée dans les activités transnationales.

Pour rappel, le groupe majoritaire rencontré dans cette étude et ce mémoire est caractérisé par ce nous

avons été tenté d’appeler le « bloc MAT ». « M » pour classes moyennes ; « A » pour « âgé(e)s » ; «

T » pour Tunisien(ne)s. En effet, l’une des premières observations que nous avons faite quand nous

avons commencé nos entretiens et nos observations de terrain était que la majorité des personnes

rencontrées appartenait à un groupe social plus ou moins homogène. En premier lieu, la plupart sont

diplômées de l’enseignement supérieur et universitaire, ont des professions valorisantes ou à

responsabilité (ingénieurs, professeurs, formateurs, avocats, comptables, indépendants,…). Elles

occupent également une position sociale que l’on pourrait juger, à priori, comme satisfaisante et

valorisante au sein de la société, tant en Belgique, qu’en Tunisie. Deuxièmement, environ nonante

pour cent des personnes rencontrées dans les associations ont plus de quarante ans et sont nées et ou

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- 59 -

ont grandi en Tunisie. Un nombre significatif d’entre elles sont des anciens étudiants venus faire leurs

études supérieures et universitaires en Belgique. Enfin, ils maîtrisent l’arabe classique (écriture et

lecture), parlent l’arabe dialectal tunisien couramment ou en langue maternelle et ont une attache plus

ou moins forte avec leurs racines et/ou la culture tunisienne et arabo musulmane. Pour reprendre les

termes d’une dame interrogée à ce sujet, il s’agirait donc d’avantage de « Tuniso Belges » que de

Belgo-Tunisiens (voir Annexe 3.17 Nadia, enregistrement du 17 mars 2016). De plus, certains

membres des associations les plus actives au niveau des formes d’engagement transnationales et

associatives de type « politiques », ont bien souvent un passé et un capital militant importants. Un

nombre important des acteurs rencontrés sont des hommes mais si majorité il y a, cette dernière

s’avère très faible. Les femmes, dans la communauté associative belgo-tunisienne, sont très présentes,

ce y compris à la tête des associations. Au regard de nos observations et de ce qui ressort des

intéressées elles-mêmes, cette réalité s’explique notamment par la place centrale qu’occupe la femme

tunisienne dans la famille, le haut taux d’instruction en Tunisie depuis les politiques bourguibiennes

ou encore le fait qu’une part significative des femmes tunisiennes travaillent et soient autonomes (voir

Annexe 3.7 Majid, enregistrement du 5 février 2016).

3.6.2 La transmission intergénérationnelle et la légitimité auprès de l’ensemble des Belgo-

Tunisiens

Comme nous l’avons présenté précédemment, il s’agit, sans aucun doute, du phénomène observé le

plus fort et le plus « problématique » en ce qui concerne les conditions de la participation des Belgo-

Tunisien(ne)s au processus de transition démocratique. Ce phénomène consiste en la difficulté à

mobiliser un grand nombre de Belgo-Tunisiens pour des projets quelconques et à toucher les plus

jeunes, c’est-à-dire, l’engagement de la deuxième génération, qui, pour rappel, représentent pourtant la

majorité de la population belgo-tunisienne (0 à 10 ans et 20 à 30 ans). Des faits qui, selon les acteurs et

les témoignages, pourraient s’expliquer par des causes comme le manque d’intérêt de la jeunesse pour

l’environnement sociopolitique et culturel de la Tunisie, une vie et une intégration sociales

entièrement tournées vers la Belgique ; la responsabilité ou les dysfonctionnements des acteurs

dominants du « bloc MAT » dans les associations et la société civile ; des pratiques, des éléments de

culture et des comportements perçus comme décourageants à la participation, etc. (voir Annexes 3.8

Hamid, enregistrement du 2 juin 2016 ; 3.17 Nadia, enregistrement du 17 mars 2016 ; 3.18 Sara,

enregistrement du 22 avril 2016 ou encore 3.22 Hossein, enregistrement du 20 avril 2016).

Comme le confirment également les enquêtes de Sonia Gsir et Elsa Mescoli (Gsir, Mescoli, 2015 ; p.

50), plusieurs intervenants nous ont confié que les jeunes générations perçoivent la Tunisie comme un

lieu de voyage en famille, un retour aux sources occasionnel et/ou un lieu de déplacement conditionné

par un intérêt touristique ou des obligations familiales. Cela n’empêche pas qu’un certain nombre de

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jeunes fasse preuve d’un engagement diversifié et occasionnel, notamment via les réseaux sociaux

(opinions personnelles et partages d’opinions, initiatives occasionnelles, etc.). Nous sommes donc

d’avis que certains jeunes belgo-tunisiens utilisent Facebook ou internet comme alternative à la non

possibilité ou à la non volonté d’existence au sein des associations mais que d’autres ne s’y

investissent pas, tout simplement car l’entièreté de leur vie sociale est tournée vers leurs

préoccupations de jeunesse et les enjeux de leur épanouissement en Belgique, leur société de naissance

et de socialisation. Lafleur confirme notre observation en nous disant que « bien souvent, la deuxième

génération est plus distante vis-à-vis du « homeland » dans la mesure où cette génération est née et a

vécu plus longtemps dans son pays d’accueil. Ces origines peuvent également, dès l’enfance et la

socialisation, avoir été perçues et vécues comme socialement gênantes ou tout simplement comme

faisant non-sens pour les individus concernés » (Lafleur, 2005 ; p. 57). Ce constat rejoint la définition

de la transmission intergénérationnelle que fait Bernard Lahire relayé par Dortier, qui renseigne une «

contre-socialisation », un mécanisme « d'identification négative » qui sont parfois source de conflits

dans de nombreux foyers (Dortier, 1998). En bref, selon lui, les enfants ne sont jamais, entièrement,

des clones sociaux de leurs parents.

En résumé, les pratiques et les formes d’engagement citoyennes et transnationales dont il a été

question dans ce mémoire sont le fait d’acteurs ayant des profils différents (des Tunisien(ne)s

immigrés depuis plusieurs décennies, des enfants de Tunisien(ne)s issus ou non de couples mixtes,

etc.) mais une partie écrasante appartient à la classe moyenne éduquée, a plus de quarante ans et

présente une expérience dans l’associatif ou la participation citoyenne en Belgique et/ou en Tunisie.

Ces considérations impliquent notamment qu’ils et elles sont connecté(e)s à des réseaux, ont la

capacité de se promouvoir et de maîtriser les nouvelles technologies (réseaux sociaux, mails,…) et

bénéficient d’un capital relationnel important. De plus, l’une des premières questions que nous nous

sommes posée au début de notre enquête de terrain a été la suivante : Les associations des Belgo-

Tunisien(ne)s s’impliquent-elles davantage dans l’insertion socio-culturelle de leur communauté en

Belgique ou s’impliquent-elles davantage vers la participation ou la conquête du pouvoir associatif,

représentatif, et/ou politique en Tunisie ? A ce stade de l’analyse, en guise de réponse, nous tenons à

rappeler que les activités et les initiatives des associations des Tunisien(ne)s de Belgique allient

l’investissement dans le contexte social, économique et politique du pays d’origine et l’intérêt pour

l’intégration dans la société belge et le soutien direct à la diaspora. Cela dit, cela n’empêche pas que

des clivages existent et que ces derniers créent un fort décalage, au sein de certaines associations, entre

un investissement total sur les thématiques liées à la Tunisie et une certaine forme de délaissement des

enjeux sociaux, culturels, économiques et politiques directs de la communauté belgo-tunisienne. En

d’autres termes, les « homeland politics » et les « translocal politics » auraient tendance à prendre

(beaucoup) plus de place que les « immigrants politics », celles destinées plus directement à

l’intégration et au soin de la communauté belgo-tunisienne.

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- 61 -

3.6.3 Les clivages idéologiques, politiques et les conflits autour des engagements partisans

Bien que ce sujet ait été délicat à aborder et difficile à percevoir clairement dans les entretiens menés,

il semblerait que les appartenances politiques de chacun(e) et les tentatives de récupérations politiques

qu’il y a eu entre 2011 et aujourd’hui, aient été le sujet de vives tensions au sein du monde associatif

belgo-tunisien. En effet, chaque parti tunisien a eu et a encore des « satellites » associatifs en Belgique

(bien qu’aucune de ces associations n’aient été clairement et officiellement rencontrées dans le cadre

de ce mémoire) et l’objectif électoral entre 2011 et 2014 semble avoir été de « conquérir » le million

de voix que compose l’électorat étranger tunisien. D’après les éléments que nous avons présentés, bien

qu’une même association puisse être plurielle et diverse selon les contextes d’engagement, le monde

associatif belgo-tunisien serait donc composé d’une quinzaine d’associations rencontrées ou analysées

dans ce mémoire ainsi que d’une série d’associations sous l’influence ou rattachées (officiellement)

aux grands partis tunisiens. Ce qui nous donne un clivage plus ou moins proportionnel en deux

« camps » : des associations de type partisanes et des associations de type « ONG », ASBL ou encore

« IPSI »27

elles-mêmes subdivisées pour les trois quarts d’entre elles en associations de type

«militantisme »/ « lobbying politique » et pour le quart d’entre elles en associations de type

« culturelles-humanitaires-sociales » (voir Annexe 3.20 Younes, enregistrement du 31 mars 2016).

A titre de rappel, comme nous l’avons déjà présenté dans l’une des composantes des motivations à

l’engagement (un outil d'intégration par le politique ou vers le politique), dans les associations

observées, la plupart des membres se définissent comme « apolitiques » mais beaucoup ont été ou sont

encore en contact avec des milieux, réseaux d’influence ou partis politiques, ou encore se sont

présentés sur des listes. Cette relation politique crée des tensions parfois vives et passionnées et il n’est

pas rare que dans certaines des associations rencontrées (seulement certaines), un membre ait dû ou

doive cesser toute activité politique pour rester dans l’association.

Comme nous l’avons expliqué dans ce mémoire, certains membres étaient déjà actifs dans le cadre des

« amicales » ou d’autres associations tunisiennes, belges ou internationales, et présentent donc soit un

capital de militantisme fort et expérimenté, soit une « appartenance » ou une couleur idéologique. La

première observation renvoie à un point que nous aborderons également dans ce chapitre et peut

conditionner le fait que certaines associations soient beaucoup plus visibles et entreprenantes que

d’autres, ce qui accélère certainement le jeu des interactions concurrentes entre les associations de

militance et les associations « moins expérimentées », à visée moins directement politique. La

deuxième observation, quant à elle, ouvre la porte, et c’est un phénomène bien normal et fréquent dans

la société civile, à des tensions, clivages et prises de position au sein des associations, entre les

associations et enfin, dans la perception qu’a la communauté belgo-tunisienne des associations.

27 Initiatives Populaires de Solidarité Internationale, voir Pirotte Gautier, Godin, Julie, 2013, Coopération au développement.

Enquête sur les Initiatives Populaires de Solidarité Internationale, Presses universitaires de Liège.

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L’ensemble de ces clivages (idéologiques et politiques), surtout depuis les dernières élections de 2014,

tendent à se matérialiser sous la forme de clivages entre les associations proches d’« ennahda » et

celles proches de « Nidaa Tounes » ou encore de l’extrême gauche tunisienne, entre les membres

d’associations d’influence plutôt « laïque » ou « islamiste », entre ceux qui assument leur politisation

et ceux qui souhaitent être non politisés et enfin, entre ceux qui souhaitent la collaboration avec les

nouvelles institutions de l’Etat et ceux qui souhaitent un indépendantisme et une liberté associative

totale (voir Annexes 3.15 Hamid, enregistrement du 2 juin 2016 ou encore 3.21 Hamid, enregistrement

du 30 mars 2016).

Comme le confirment nos entretiens, le fait, pour certains acteurs, de ne pas s’engager dans des

conditions structurées et associatives ainsi que le souhait de prendre distance avec la société civile

s’inscrirait donc dans la volonté de ne pas prendre part à des activités jugées « politisées », de ne pas

recevoir l’étiquette de l’un des grands partis tunisiens ou encore de ne pas prendre part à une

dynamique jugée excessivement laïque ou, à l’inverse, baignant dans un islam politique ou même

wahhabite jugé propice à la régression des avancées sociales de la société tunisienne.

Le passé de certains membres d’associations et le clivage entre volonté de collaboration avec l’Etat

ou autonomie, renvoient tout particulièrement à un raisonnement présenté par Scott dans sa théorie

des discours et formes de résistance infra-politiques présentée précédemment. Ce dernier l’illustre

comme suit : « Tout dominé cherchant à obtenir des privilèges pour lui-même en rentrant dans les

bonnes grâces de son supérieur devra répondre de cette conduite lorsqu'il s'en retournera dans l'arrière-

scène, au milieu de ses semblables » (Scott, 1992 ; p. 32). Ce raisonnement de Scott caractérise assez

bien les tensions qui ont existé et qui semblent encore exister autour des anciennes appartenances au

régime et ses anciennes structures ainsi qu’autour de la peur qu’ont certains acteurs associatifs belgo-

tunisiens que ces dernières persistent dans les relations au sein de la société civile et dans les relations

du nouveau monde associatif belgo-tunisien avec les nouvelles institutions de l’Etat.

3.6.4 La difficulté à mettre en place des instances de représentation

Comme nous l’avons présenté dans notre chapitre sur le « Transnationalisme », les instances et les

dynamiques de représentation permettent (ou permettraient) tout particulièrement aux Tunisiens de

Belgique d’être représentés et d’assurer la transmission générationnelle de la culture et du « combat

politique ». Depuis 2011, avec l’ouverture et la renégociation spéciale qu’ouvre le changement de

régime, on assiste à des formes embryonnaires d’harmonisation des dynamiques de représentation et

de continuité de la transmission générationnelle de l’identité tunisienne.

Comme le décrivent très bien Sonia Gsir et Elsa Mescoli et comme certains des responsables

administratifs et consulaires rencontrés dans le cadre de ce mémoire nous l’ont eux-mêmes renseignés,

la politique tunisienne à l’égard de la communauté belgo-tunisienne est gérée par les services

consulaires tunisiens, se reposant en partie et notamment sur des attachés sociaux chargés de la

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défense et de la protection des droits des migrants tunisiens (Gsir, Mescoli, 2015 ; p. 14), Ces

dispositifs succèdent ainsi aux « amicales » et anciennes structures du régime à visée, déjà à l’époque,

culturelle mais surtout politique, de contrôle et à intérêt économique (notamment en ce qui concerne

les devises et investissements).

Les consignes de ce mémoire ne nous permettent pas de rentrer plus avant dans cette problématique

mais plusieurs personnes interviewées ont exprimé leur questionnement et leurs doutes concernant le

bon avancement de la représentation des Tunisiens de l’étranger. Certain(e)s Belgo-Tunisien(ne)s se

sont présenté(e)s au sein de partis pour les élections législatives de 2014 dans la circonscription

électorale qui comprend la Belgique et ont élu une représentante, mais certains se préoccupent

également et surtout de la création d’une instance représentative des Tunisiens à l’étranger, sujet de

tensions et de craintes concernant les pratiques du nouveau Etat tunisien. Un organe qu’ils

souhaiteraient voir se concrétiser, être indépendant et réellement représentatif de leurs droits et

intérêts. L’ensemble de cette thématique, à défaut d’entrer dans les détails factuels et juridiques, nous

rappelle notre clivage « entre volonté de collaboration avec l’Etat et volonté d’autonomie ».

De fait, prenant place clairement parmi les différentes perceptions de la « société civile » que nous

avons présentées dans ce mémoire, pour un grand nombre d’intervenants rencontrés, la société civile

doit être « contre l’Etat ». C’est bel et bien une vision de type contre-pouvoir et émancipatrice,

perception et méfiance tout à fait compréhensibles au vu du passé particulièrement traumatisant entre

la communauté belgo-tunisienne et l’ancien Etat tunisien. Selon les intervenants, un monde associatif

qui a émergé contre ce que Ben Ali a fait mais également un monde associatif qui doit émerger contre

ce qui a été fait après (selon les affinités politiques : contre « ennahda », contre « nidaa tounes », etc.).

Barthélémy, relayée par Aligisakis semble confirmer notre intention de vouloir nous intéresser à cette

facette importante du développement associatif belgo-tunisien, dans le contexte particulier de la

rupture avec le régime autoritaire et de la transition démocratique en cours. Selon cette dernière,

certes, les associations sont l'expression de la société civile, du changement social ou de la

contestation, mais peuvent aussi être aussi facilement (ré)instrumentalisées par les pouvoirs

institutionnels et devenir des moyens de clientélisme politique et de contrôle social (Aligisakis, 2001 ;

pp. 589-591). Toutefois, certains membres des institutions consulaires ou de l’Etat, à l’instar de

Barthelemy, nous renseignent que l'associationnisme ne devrait pas être totalement apolitique. Certes,

selon ce point de vue, il n'est pas question de le mettre au service de l'État, des partis politiques,… ;

mais de lui fournir un horizon politique et un réel projet de société, en collaboration avec les nouvelles

institutions qu’a vu émerger le soulèvement de 2011, comme laisse le présager l’encourageante

collaboration entre les associations étudiées dans ce mémoire et le centre socio-culturel « dar tounsi »,

situé à Bruxelles, qui fournit locaux, infrastructures et collaborations avisées. Ce mémoire n’a pas

pour but de donner un avis tranché sur la question mais plutôt se faire le relais d’acteurs interviewés

(en particulier ceux en relation ou en fonction pour des institutions ou l’Etat tunisien) et de la

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perception d’auteurs comme Chanial (Chanial, 2010 ; p. 141) qui confirment que si la société civile

doit consister à surveiller la démocratisation de l’Etat, l’Etat doit accompagner en retour la

démocratisation de la société civile et l’affrontement des inégalités, des formes d’oppression et de

domination qui animent le monde associatif.

3.6.5 La difficulté à se rassembler, à promouvoir et mettre en valeur sa culture et à se

fédérer entre membres de la communauté belgo-tunisienne

Ces éléments sont particulièrement en rapport avec le contexte d’analyse du transnationalisme que

Lafleur nous a renseignés précédemment dans ce mémoire (Lafleur, 2005 ; pp. 48-61), en particulier la

« mobilisation, cohésion et définition de l’agenda politique transnational ». Pour rappel, selon Jean-

Michel Lafleur, la concentration géographique de la communauté transnationale représente un atout.

Mais bien plus que cela, il s’agit ici d’analyser la fédération (malgré le pluralisme) ou, au contraire, la

division qui peut empêcher toute action coordonnée des organisations sur la scène politique (Ibidem ;

p. 56). Il semblerait donc que « le leadership dans la communauté » soit un élément clé dans la

mobilisation et la mise en place d’activités concrètes et coordonnées. En effet, l’absence de leadership

clair et assumé peut semer le doute et l’hésitation de la part des autorités du pays d’accueil en ce qui

concerne la perception de la représentativité et des capacités à répondre aux attentes de la

communauté. Nous suggérons également que ces mêmes facteurs peuvent aussi semer un doute au

moins équivalent dans la population de la communauté belgo-tunisienne par rapport à la possibilité de

s’engager collectivement ou de se sentir « bien » représentée. Bien que le cadre de ce mémoire ne nous

permette pas d’exploiter davantage cette théorie, nous pouvons ici citer des étapes qu’un sociologue de

l’action collective, Guy Bajoit (Bajoit, 2011), renseigne pour le bon déroulement d’une action

mobilisée : le passage de la privation à la frustration ; de la frustration à la mobilisation ; de la

mobilisation à l’organisation, notamment via un leadership clair et affirmé, des activités coordonnées,

des objectifs communs, réalisables et fédérateurs, etc.

A une difficulté en termes de mobilisation, de cohésion et de définition de l’agenda politique

transnational, se mêle une certaine forme de concurrence non productive entre les associations se

matérialisant surtout via l’organisation d’évènements similaires mais de manière parallèle et

concurrentielle28

. Bien que cela soit propre au monde associatif dans son ensemble, des conflits

d’intérêt sont également fréquents au sein de certaines associations (entre les plus âgés et les plus

jeunes, entre les différents egos, entre les différentes affinités politiques ou idéologiques,…) et entre

les associations elles-mêmes. Selon plusieurs intervenants et selon nos observations sur le long terme,

même si certaines (grosses) associations rencontrées comme le CVDT, L’ADTB, la FETCA,…

affirment et affichent clairement leurs objectifs, les associations belgo-tunisiennes, dans leur

28 Ainsi, à titre d’exemple, dans une même ville, plusieurs événements sportifs du même type peuvent être organisés en

même temps. Ou encore, dans des conditions similaires, des événements autour de la commémoration de la révolution ou

autour des enjeux de la transition démocratique peuvent être organisés par des associations et membres similaires, mais sans

partenariat ou collaboration.

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ensemble, manqueraient d’une vision partagée et d’objectifs clairs, ce qui poserait des problèmes au

niveau de la durabilité et des impacts des initiatives, tantôt dispersées envers la Tunisie, tantôt

orientées vers la vie en Belgique et se superposant les unes aux autres. De plus, certain(ne)s

interviewé(e)s déplorent le manque d’engagement des citoyens belgo-tunisiens sur le long terme. Ils

constatent que l’engouement de 2011 est déjà en partie retombé, regrettent l’absence de mobilisation

continue et enfin, expriment leurs craintes concernant la relève ou la continuité des associations, en

diminution depuis les premières heures de la révolution.

Bernard Eme va dans ce sens en posant l’hypothèse d’une « crise larvée mais profonde dans les

nébuleuses associatives » (Eme, 2010 ; p. 28). En accord avec certains de nos éléments empiriques, il

nous renseigne une crise culturelle (brouillage de sens et d’objectifs dans les différentes pratiques)

combinée à une crise politique où les finalités et les orientations générales des associations semblent

se perdre dans des logiques technico-instrumentales ou dans des systèmes politiques et de rapports de

pouvoir. Des logiques qui s’installent au détriment des logiques militantes coordonnées (ou qui

provoquent une certaine dispersion), des logiques civiques de solidarité (entre les membres de

l’association et les autres membres de la société ou communauté), ou encore d’une visée (politique)

claire et coordonnée de transformation de « sa » société (Voir Annexes 3.21 Hamid, enregistrement du

30 mars 2016 ; 3.15 Hamid, enregistrement du 2 juin 2016 ; 3.11 Hamid, enregistrement du 2 juin

2016 ; 3.8 Hamid, enregistrement du 2 juin 2016).

Comme nous l’avons démontré tout au long de ce mémoire, la sociologie associative, les motivations à

l’engagement et les modalités des pratiques présentées, montrent bien que l’absence de course au

profit (économique ou personnel) dans les associations n’occulte pas spécialement la course au

pouvoir, ceci y compris les stratégies personnelles, les comportements autoritaires, etc. Scott (Scott,,

1992), auteur clé dans l’architecture du raisonnement de ce mémoire, soutient également que plus la

domination est importante et plus le pouvoir est menaçant dans une société donnée, plus le « texte

caché » développe des trésors d’ingéniosité et le masque se fait plus épais chez le dominé.

L’ambivalence de la métaphore de Scott qui est pointée ici se matérialise dans le fait que quand les

« dominés », par des situations de domination, sont amenés à feindre le port d'un masque, ils peuvent

un jour se rendre compte que leurs visages en viennent à épouser certains des contours de ce masque.

Les éléments empiriques et les enjeux et clivages gravitant autour de (l’accès à) la participation des

associations des Tunisien(ne)s de Belgique débouchent sur une situation de méfiance et de doute de la

part des personnes gravitant autour du monde associatif belgo-tunisien, mais aussi au sein de ses

membres eux-mêmes. Des doutes et une méfiance envers l’Etat et les institutions mais également

envers le contexte et les pratiques de cette floraison civique, citoyenne et associative, encourageante

et très positive, mais encore dispersée et en construction selon la bonne volonté et les bonnes

intentions isolées de chaque association. Bien que les initiatives des associations continuent à se

développer de manière très positive et influente sur le débat public et la construction de sens commun

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autour de la compréhension de la participation à la transition démocratique, une méfiance semble

persister envers les modes de fonctionnement constitutifs de l’environnement des associations sous

régimes autoritaires que la révolution n’aurait pas permis d’éradiquer complètement. Autant

d’éléments évoqués dans les entretiens comme la corruption, les problèmes organisationnels et

administratifs, des « problèmes de mentalité » et « d’individualisme », un « virus de la dictature »,…).

4 Conclusion(s) générale(s)

Durant cette analyse, nous avons eu l’occasion de tenter de déterminer dans quelle mesure et dans

quelles conditions le groupe observé participait au processus de transition démocratique en Tunisie.

Préalablement, nous avions proposé en introduction à cet ouvrage, une précision « ethnographique » et

politique des acteurs étudiés dans ce mémoire, un cadrage théorique des différents concepts gravitant

autour de ces derniers ainsi qu’une présentation du prisme et du renversement de perspective que nous

préconisions. La première hypothèse et conclusion centrale que nous avons tirée dans ce mémoire

s’exprime, en définitive, par le fait que les associations belgo-tunisiennes semblent connaître une

évolution et une transformation selon les productions et les interactions des changements socio-

politiques en cours en Tunisie. Cela implique en retour que la diminution des moyens de contrôle

et de répression de l’Etat tunisien aurait permis, autant ou plus que les facteurs traditionnels qui

ont été présentés dans ce mémoire, le développement des pratiques transnationales et des formes

d’engagement diverses et variées des Tunisien(ne)s de Belgique. De plus, ces changements

sociopolitiques auraient changé le rapport entre le monde associatif et la société civile belgo-

tunisien(ne) et l’Etat tunisien. L’une des limites de ce mémoire consiste certainement dans le fait que

nous n’avons pas eu l’espace et le temps de décrire plus en détails ce que d’autres auteurs que nous

entendent par l’émergence d’une nouvelle forme de citoyenneté politique à distance. De plus, bien que

nous ayons à de nombreuses reprises évoqué et décrit le sujet, nous avons eu peu l’occasion d’analyser

et de préciser ce que le changement de régime implique pour les Tunisien(ne)s en termes de nouvelles

perspectives de représentation institutionnelle. Nous laissons ces thématiques pour des recherches et

des réflexions futures et remettons le lecteur dans les mains des nombreux auteurs spécialisés en

transnationalisme ou en sociologie politique, qui ont commenté le sujet. Il n’empêche que nous

pouvons également conclure que les changements sociopolitiques qui ont été analysés ont une

influence au niveau juridique, électoral et en ce qui concerne la (nouvelle) citoyenneté politique

des Tunisien(ne)s de Belgique.

La deuxième hypothèse et conclusion centrale de ce mémoire réside dans le fait que les contraintes

des rapports de force, de pouvoir, et de domination, ainsi que les différences socio-économiques

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entre les individus influenceraient la typologie et la diversité des modalités d’engagement

(associatives, transnationales et en terme d’action collective) des Tunisien(ne)s de Belgique.

Comme nous l’avons de nombreuses fois souligné dans ce mémoire, le prisme qu’implique cette

hypothèse, autour de concepts comme l’action collective et surtout, le transnationalisme, pourrait

ouvrir une nouvelle porte ou apporter une approche quelque peu différente en permettant de prendre

les « façades » et les interactions complexes entre les acteurs en question, pour ce qu’elles sont. Du

moins, c’est le pari que nous avons tenu à faire dans ce mémoire. Cette approche a pris forme à travers

plusieurs éléments empiriques (la présentation des acteurs, de leurs motivations multidimensionnelles

à l’engagement, des problèmes qu’ils identifient comme poussant ou freinant à l’action collective et la

pluralité de leurs formes d’engagement), des exemplifications à travers des extraits de nombreux

entretiens menés et plusieurs éléments de cristallisation, de clivages et d’enjeux sur lesquels nous

venons de conclure et qui conditionnent le jeune monde associatif belgo-tunisien.

Autant d’éléments qui, dans leur nature, pourraient laisser croire au lecteur que nous concluons ce

mémoire sur une note de pessimisme et de déterminisme culturel. Il n’en est point.

Une posture contre le déterminisme culturel et en faveur d’une approche complexe et

multidimensionnelle de la culture

Tout comme nous l’avons constaté à titre non exhaustif et expérimental tout au long de notre

expérience dans le monde associatif et la société civile belges, européen(e)s, béninoi(se)s et

marocain(e)s, il est nécessaire de prendre conscience que, dans tout projet, dans tout partenariat, dans

toute association, dans toute mobilisation,… ; les participants portent en eux et reproduisent des

référents culturels et des expressions de leur socialisation, de leur éducation, de la tradition de laquelle

ils sont issus ainsi que de l’histoire sociopolitique qu’ils ont vécus. Dans cette optique, les initiatives,

les comportements et les pratiques que l’on observe doivent être accompagnées de la considération de

l’imperfection de l’Homme, de son caractère justement « humain », et du temps qui est souvent

nécessaire pour mener à bien les changements et les processus qu’il souhaiterait voir concrétisés.

Les perceptions et les mobilisations de la « société civile » sont souvent diverses et marquent surtout

l’opposition entre universalisme (prescriptif) et exceptionnalisme occidental. L’universalisme du

concept voudrait sa propagation à l’échelle du monde sous le schéma (occidental) classique : plus une

société civile est développée dans un Etat ou une communauté (et donc plus la société est

« civilisée »), plus la démocratie progresse et plus l’autoritarisme et l’arbitraire du pouvoir reculent.

L’exceptionnalisme occidental, quant à lui, doute de l’existence d’une société civile en dehors du

cadre sociopolitique occidental. Ce courant met l’accent sur l’impossibilité constante de voir émerger

un espace qui serait autonome à l’égard des contraintes de la sphère de l’Etat et de celle des liens

familiaux (Pirotte, Poncelet, 2007).

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Nous avons largement laissé envisager que les acteurs associatifs que nous avons présentés dans ce

mémoire sont le fruit d’une floraison d’identités, d’identifications et de pratiques culturelles, entre

Europe et Tunisie, entre Occident et Orient, entre laïcité et Islam. Dans cette conclusion, nous

contestons, bien entendu, et à notre époque plus que jamais, l’idée trop souvent répandue que les

maghrébins et les arabes, notamment par l’intermédiaire de l’Islam, seraient condamnés à faire preuve

d’une affection innée pour l’autoritarisme. Si culturalisme il doit y avoir, celui-ci doit être « raisonné »

et s’exprimer par la capacité à appréhender la culture dans sa perspective et son évolution

historique et constamment sujette au changement. L’élément culturel intervient, certes, mais

d’une façon non déterministe. Nous contestons également et vivement le fait que certains théoriciens

s’obstinent à vouloir transférer les mêmes logiques et schémas de reproduction entre des aires

culturelles complètement différentes. Le concept de « société civile » tel que l’on a tendance à

l’appréhender aujourd’hui a été élaboré et pensé sur base d’expériences et de théories occidentales et

son exportabilité dans le monde et la culture arabe et maghrébine pose problème. Par exemple, il y a

de nombreux contrastes entre l’identité socio-historique de la modernité politique occidentale et celle

du Maghreb par la distinction entre l’égalité et la hiérarchie (relation maître-esclave) d’une part, et

entre l’individualisme et le holisme d’autre part qui sont, par exemple, des éléments déterminants à

prendre en considération. De plus, nous estimons avoir assez développé dans ce mémoire que les

relations au pouvoir et à l’autorité ne sont pas les mêmes et que dans la culture maghrébine en général,

même en situation d’oppression apparente, les individus peuvent mobiliser tout un système ingénieux

et invisible (à l’œil de celui qui ne veut pas voir) pour contrecarrer l’autorité. En outre, plus les

opposants, même cooptés, croient qu’une démocratisation est possible, plus ils contribuent à la rendre

possible. En d’autres termes, l’adoption d’institutions démocratiques et le développement d’une

société civile et articulée autour d’un monde associatif (surtout urbain) significatif en Belgique et en

Tunisie (re)crée des pratiques et des comportements favorables, à long terme, à la démocratie. Enfin,

quand une fenêtre d’opportunité sociopolitique s’ouvre, comme ce fut le cas pour nos acteurs belgo-

tunisiens, l’histoire prouve qu’il leur est tout à fait possible de renverser la hiérarchie et la domination

et d’influer sur la construction de leur société. Ces associations et cette société civile tunisienne(s),

récent prix nobel de la paix, par une complexe combinaison entre terreaux historiques et socio-

culturels favorables, émerge comme l’acteur déterminant de la reconstruction politique et sociale du

pays. Ces faits ne montrent-ils pas les contours et les aperçus d’une culture émancipatrice,

contestataire et civique forte ? Une « culture » qui prendrait tout simplement des formes tout à fait

différentes (et parfois beaucoup plus marquées et convaincantes) par rapport à la ou aux culture(s)

occidentale(s).

En d’autres termes, nous sommes d’avis qu’il existe toute une série d’habitus (comportements et

habitudes propres à l’individu, dictés par sa culture et son éducation) qui contraignent une

société civile dans l’exercice de la démocratie. Cela dit, ce qui nous fait nous détacher de façon

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complète et radicale du « déterminisme extrême » réside dans le fait que nous pensons que chaque

individu, face à un problème social donné et grâce à ses interactions et ses alliances avec la société et

d’autres groupes d’individus, à un moment donné de l’histoire, a la capacité de remodeler ses

habitus et ses pratiques culturelles, et de (re)penser la notion de « démocratie » et l’action

collective et civile. Bien que nous reconnaissions volontiers notre influence bourdieusienne et son

influence prégnante sur l’une des facettes analytiques de ce mémoire, nous approuvons tout autant la

critique et le dépassement critique que fait Bernard Lahire de la notion d’habitus (Dortier, 1998).

Selon ce dernier, chaque acteur social dispose non pas d'un seul mais d'une multiplicité d'habitus liée à

la diversité de ses univers de socialisation, parfois contradictoires, comme le prouve très bien le

contexte et l’identité multiple des acteurs présentés dans ce mémoire. De plus, en lien avec le

problème de la transmission générationnelle que nous avons soulevé, la transmission d'un héritage

culturel et identitaire ne se réalise pas par un simple « transfert » d'une génération à l'autre, mais induit

de nombreuses adaptations, évolutions et réinterprétations. Face à l’ensemble de ces considérations, on

peut en conclure que les pratiques sociales sont multiples et ne se laissent pas enfermer dans une grille

de lecture unique.

Ce fut notre intention durant tout ce mémoire : à pluralité d'actions, pluralité des outils d'analyse et des

approches. Une intention qui rejoint l’intuition de l’approche multidimensionnelle et complexe, tant

pour la compréhension des différents contextes des pratiques (politiques) transnationales, des

motivations et des formes d’engagement, des différentes approches de l’action collective et

finalement, de la culture, que nous avons voulu présenter dans ce mémoire et sur lesquelles nous

voudrions conclure, comme le préconisent des penseurs et sociologues comme Edgard Morin (Morin,

2005) ou Jacques Ardoino (Ardoino, 1971). En particulier en se basant sur les théories de ce dernier, la

compréhension de la réalité sociale, de l’engagement associatif et transnational et des particularités et

déterminismes culturel(le)s et identitaires multiples des Tunisien(ne)s de Belgique a été menée sur six

niveaux de compréhension. Le premier niveau, l'individuel, nous fait considérer chaque acteur

associatif belgo-tunisien et membre de la communauté belgo-tunisienne dans son individualité en

prenant en compte ses caractéristiques individuelles, ses motivations (à l’engagement), ses récits,

régimes de sens, ses traits de caractère, comportements (solidaires, égalitaires, conflictuels,

individualistes, autoritaires,…). Un niveau tout à fait en accord avec la perspective microsociologique

qui, sans induire l’origine et la solution des dysfonctionnements dans la nature des individus et en

insistant tout autant sur des éléments systémiques et structurels, a été préconisée dans ce mémoire. Le

deuxième niveau, le relationnel, a insisté tout particulièrement sur les relations interpersonnelles entre

les acteurs associatifs belgo-tunisiens et les membres de leur communauté, pour en extraire, justement,

leurs logiques (sous-jacentes), leurs positions sociales et la nature de leurs rapports de force. Le

troisième niveau, le groupal, nous a fait nous intéresser aux phénomènes analysés en nous situant au

niveau des phénomènes et dynamiques de groupe, c’est-à-dire, les associations et la communauté

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belgo-tunisienne (les membres rencontrés) en elles-mêmes. Autant d’éléments comme, dans la limite

des possibilités de notre terrain, la compréhension et l’observation des conditions des règles de

fonctionnement, des prises de décision, de l’expression des leaderships au sein des associations et de

leur communauté associative et les capacités à s’allier ou au contraire, se concurrencer, etc. Le

quatrième niveau, l'organisationnel, a été exploité dans l’analyse des acteurs, des relations de pouvoir

mais très peu au niveau de l’analyse des structures organisationnelles et sans mobiliser les auteurs

classiques de la sociologie des organisations (Crozier, Mintzberg,…), au vu des restrictions de ce

mémoire et pour ne pas nous éloigner de nos hypothèses. Le cinquième niveau est l'institutionnel et il

nous a amené à nous focaliser, plus seulement sur le niveau des associations, mais sur celui, plus

général, des politiques et des enjeux dans lesquels elles s’inscrivent. C’est ce qui nous a poussé à nous

intéresser notamment aux enjeux de la représentativité institutionnelle des Tunisien(ne)s de Belgique,

aux relations avec le nouvel Etat tunisien, les organes institutionnels et les partis politiques, aux

conditions de l’émergence de leur nouvelle citoyenneté politique, à l’état de la transmission

intergénérationnelle, etc.

Le dernier niveau, l’historicité, nous amène à la conclusion et à l’essence même de ce que nous

suggérons de retenir de ce mémoire. Autant nos hypothèses que la présentation des pratiques et des

formes d’engagement des Tunisien(ne)s de Belgique nous ont montré l’intime relation que ces acteurs

ont avec les grands changements sociopolitiques de la Tunisie et les nouveaux rapports de force qu’ils

induisent. Une capacité auto-transformatrice de la communauté belgo-tunisienne capable, s’il est

encore utile de le rappeler, d’influencer les ajustements et les cheminements citoyens, politiques et

culturels qui, nous n’en doutons pas, iront à l’avenir vers plus de collaboration, de dialogue et de

concertation.

Nous tenons enfin et tout particulièrement à insister sur le fait que les réflexions et les enjeux en

termes de participation présentés dans ce mémoire peuvent s’appliquer à tout type de société (civile) et

de monde associatif. Le présent travail, qui s’inscrit dans un projet personnel et intellectuel plus vaste

entre intérêt poussé et sincère pour le monde et la culture arabe et maghrébine et réflexions sur l’avenir

et le nécessaire renforcement des dynamiques citoyennes et des mouvements sociaux à l’échelle du

monde, laisse des portes de réflexion et d’action que nous avons entre-ouvertes, qu’il s’agira pour

nous, d’exploiter à l’avenir. De plus, ce mémoire ne se voulait pas être la simple expression d’un

« orientalisme » ou de la simple curiosité pour des pratiques et des cultures différentes sans

s’interroger sur le propre fonctionnement de notre société ou des mondes associatifs (strictement)

belges et occidentaux. Ces rencontres, ce travail de longue haleine et cette réflexion sur la

communauté belgo-tunisienne et au final, la Tunisie, devraient également nous amener à

reconsidérer le travail fait en Belgique et en Occident et la situation de notre propre société et

monde associatif. En effet, sommes-nous vraiment en « démocratie » ? N’avons-nous pas, nous aussi

en tant que citoyen, en tant que membre associatif ou de la société civile, en tant que diplômé en

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développement et coopérant international,… ; à subir l’influence néfaste des propres dérives

autoritaires qui contraignent nos sociétés ? Si tel est le cas, par qui sont-elles représentées et desquelles

de nos faiblesses se nourrissent-elles ?

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Annexes

Annexe 1.

29

29 Source tirée du cours « Globalisation et Société civile : théories et acteurs », PIROTTE Gautier, année académique 2015-

2016, Master en Population et Développement, Université de Liège in VOLKHART Heinrich, LORENZO Fioramonti, 2007,

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Annexe 2.

30

30 INGLEHART Ronald, WELZEL Christian, 2005, Modernization, Cultural Change and Democracy. Chapter 11 :

Components of a Pro-Democratic Civic Culture , Cambridge, Cambridge University Press, p. 6.

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Annexes 3. Extraits de témoignages

3.1 Younes, enregistrement du 31 mars 2016 : « Dans les années 60, c’était des étudiants, pas des

travailleurs. Puis il y a eu les accords bilatéraux de main d’œuvre et c’était essentiellement des

ouvriers avec un niveau d’éducation secondaires ou techniques. A l’époque et jusqu’à la révolution,

au niveau de la communauté, il n’y avait pas de perspectives collectives, pas de leadership fort, de

mobilisation, etc. C’était une perspective individualisée. C’est après la révolution que les Tunisiens se

constituent en groupe ».

3.2 Abdelkader, enregistrement du 19 juin 2016 : « J’avais une activité politique clandestine,

notamment au sein des activités des étudiants de Tunisie. J’ai fait de la prison et puis je suis parti en

Belgique où j’ai continué mon engagement dans des associations d’étudiants, pour la ligue des droits

de l’homme,… ». C’est seulement après la révolution qu’il y a eu une prolifération et une légalisation

des associations, mais on a quand même été de nouveau déçus par le monde politique et par le conseil

de la Révolution en Tunisie. Toute cette mouvance a été récupérée par « ennahda ».

3.3 Samira, enregistrement du 19 juin 2016 : « Quand j’étais jeune, l’activité associative était la

seule alternative mais elle était réprimée… Elle était toujours clandestine et rien n’était légal. Je

participais à des manifestations, particulièrement pour les droits des femmes ou pour le soutien à

l’UGGT (grand syndicat du pays), mais on a été quelques fois réprimés ».

3.4 Bilal, enregistrement du 19 juin 2016 : « Depuis mon adolescence, j’étais actif dans les

mouvements de syndicat étudiants et de gauche. Dans les années 80, j’ai été expulsé de Tunisie pour

mes orientations et mes activités de militantisme. En Belgique, j’ai mis tout ça de côté, je n’ai plus

rien fait si ce n’est de temps en temps quand je passais à l’amicale… Et puis dans les années 90, je

m’y suis remis avec un engagement pour la cause palestinienne, Amnesty International et puis

pendant la révolution dès 2010 en étant surtout actif sur internet et puis en retournant sur place…

« … » Je sentais que j’avais une dette envers la Tunisie, si je ne m’engageais pas avant, c’est parce

que je ne voulais pas être récupéré par des partis politiques et le régime ».

3.5 Majid, enregistrement du 5 février 2016 : « Dans les années 90, j’ai quitté Ben Ali et j’ai fondé

une petite association en Belgique. Elle a fermé sous les pressions du régime et le mur de peur qu’on

subissait, avec des pressions et menaces sur la famille, etc. Chacun était dans son coin, il y avait de

l’espionnage, etc. « … », Aujourd’hui, le mur de peur est tombé et il y a la volonté de rattraper le

temps perdu et de rendre sa dette. « … », L’ambassade et le consulat ont changé et il y a une porte

ouverte maintenant ».

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3.6 Majid, enregistrement du 5 février 2016 : « On est en contact avec beaucoup de monde ici : des

associations marocaines, turques, algériennes. On fait des échanges de locaux, on s’invite à nos repas

et fêtes communes, etc. « … », les turques sont super organisés, ils sont nombreux et ont beaucoup de

moyens, ils nous aident pas mal. On a un peu la volonté d’arriver à leur niveau. Les marocains ont un

peu une autre philosophie, ils sont plus « entre vieux » et créent des mosquées. On a un peu moins de

contacts. Avec les « belges » (comprenons les belges d’origine), un peu, quelques-uns s’intéressent

aux activités mais c’est plutôt rare ».

3.7 Majid, enregistrement du 5 février 2016 : « Les marocains, les turques, les algériens sont plus

sexistes… On n’a pas la même mentalité. La femme est le pilier de la famille chez nous, il y a

beaucoup de respect. Et c’est renforcé par la loi tunisienne ».

3.8 Hamid, enregistrement du 2 juin 2016 : « Rien n’empêchait vraiment les associations d’aider la

Tunisie avant 2011, au niveau social, culturel, etc. C’était surtout des enjeux politiques…

Aujourd’hui, les associations sont aussi trop militantes ou tournées vers le politique, purement

revendicatives,… Il faut une logique nouvelle et bien cerner les publics cibles, les actions,… «… » Par

exemple, des actions tournées vers le développement régional de la Tunisie, la jeunesse, la culture

tunisienne pour la deuxième génération en Belgique, s’occuper des jeunes en centre fermé, des

personnes âgées,... Des intentions existent pour quelques associations mais il y a un manque de

moyens et d’efficacité ».

3.9 Majid, enregistrement du 5 février 2016 : « J’ai été éduqué deux fois, par mes deux pays. Je

revendique pleinement ma place de citoyen belge. Mais les deuxièmes et troisièmes générations sont à

200 % belges. La plupart ne parlent pas arabes ».

3.10 Majid, enregistrement du 5 février 2016 : « La première génération d’immigration est une

classe éduquée. Grâce aux politiques sous Bourguiba (scolarisation obligatoire), elle a émergé et

trouvé du boulot. C’est des médecins, des ingénieurs, etc. Nous, on a huit universitaires dans la

famille. Maintenant, beaucoup de jeunes sont peu éduqués et il y a une dégradation de la réputation

des tunisiens ici ! C’est une réelle fracture, on n’avait pas ça avant (trafic de drogue, sans papiers,…).

« ... », il y a aussi une montée du radicalisme. Moi, je me fais appeler « le traitre » par certains car je

suis trop occidental. Il faut faire le ménage et apprendre aux jeunes à penser avec l’esprit critique,

etc. »

3.11 Hamid, enregistrement du 2 juin 2016 : « Il n’y a pas vraiment de monopole mais bel et bien

une logique de concurrence inutile. Entre elles (les associations) et avec les institutions publiques. Par

exemple, dans une ville comme « … », il y a plus ou moins 1000 tunisiens, quatre associations, et sur

deux semaines, quatre évènements identiques. « … », Pour la commémoration de la révolution de

2011, pas une « semaine de la Tunisie » organisée par tout le monde mais des dizaines d’évènements !

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Pour les repas du Ramadan, pareil. « … » : Il y a beaucoup de bonnes intentions et activités des

associations mais pas un projet commun de société. Elles ont toutes leurs propres programmes et

intentions. Il y a un manque de recul et de maturité. Il faut encore laisser du temps ».

3.12 Majid, enregistrement du 5 février 2016 : « Les associations belgo-tunisiennes se rassemblent

tous les samedis à Dar tounsi, mais c’est tout le temps à Bruxelles. L’accessibilité est dure pour ceux

qui viennent d’ailleurs et c’est pas facile pour la vie de famille et le boulot ».

3.13 Aicha, enregistrement du 16 février 2016 : « Le dialogue s’est ouvert dans la communauté

tunisienne de Belgique mais il reste des méfiances, des craintes, c’est toujours en processus. Il faut

sensibiliser au politique et à l’intérêt pour la société ».

3.14 Aicha, enregistrement du 16 février 2016 : « Il y a un public varié dans notre association,

quelques européens, etc. Mais beaucoup de classes moyennes et d’intellectuels, de gens plus en faveur

de la laïcité, de la mentalité « à l’européenne », beaucoup ont de plus de 40 ans et il n’y a pas

beaucoup de jeunes. C’est difficile de les sensibiliser, ils sont nés ici et ils n’ont pas cette relation avec

la Tunisie. Et dans l’entourage de l’association, il y a beaucoup de couples mixtes, donc les enfants

sont européens ! ».

3.15 Hamid, enregistrement du 2 juin 2016 : « il y a une survivance de la logique dirigiste

spécifique à chaque association et à l’intérieur. Je pense que la logique « centre-périphérie » se

reproduit un peu partout… De plus, il reste une concurrence et une méfiance par rapport à l’Etat et

un manque de professionnalisme. Bref, c’est une apprentissage social nouveau ».

3.16 Nadia, enregistrement du 17 mars 2016 : « Le système scolaire en Tunisie est catastrophique.

C’est Ben Ali qui a détraqué tout ça. Dans les régions rurales, il n’y a pas de matériel, de programme

scolaire,… De plus, il a promis des emplois à toute une partie de la jeunesse et de la population qui

avait fait des études, et il n’a pas pu leur offrir ».

3.17 Nadia, enregistrement du 17 mars 2016 : « Il n’y a presque pas de jeunes dans les activités des

associations, c’est surtout la première génération. A vrai dire, c’est plus des « Tuniso-Belges » que

des « Belgo-Tunisiens ». De plus, il y a un décalage entre les attentes de la jeunesse et les agendas

politiques des associations « … », Pour les générations suivantes, « leur belgitude » va s’affirmer ».

3.18 Nadia, enregistrement du 17 mars 2016 : « On est ouvert « aux belges » mais ils ne sont pas

trop intéressés. Pendant la révolution, tout le monde était emballé. Après, avec le temps, les choses

s’usent et l’emballement est beaucoup retombé ».

3.18 Sara, enregistrement du 22 avril 2016 : « Même si on a beaucoup de jeunes et d’enfants qui

suivent nos ateliers ou nos cours d’arabe et qu’il y un mélange des classes, la majorité des gens sont

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aisés, intégrés, diplômés, parlent arabes. Ce sont aussi des couples mixtes, bien souvent. Il y a très

peu de « belges » (non issus de l’immigration) ».

3.19 Sara, enregistrement du 22 avril 2016 : « L’Etat belge doit assumer qu’il a fait venir des

immigrés. On veut lutter contre l’échec d’intégration qui est une catastrophe en Belgique ».

3.20 Younes, enregistrement du 31 mars 2016 : « Ces associations sont le produit de la révolution

plutôt que de la Belgique. Il y a deux niveaux d’associations : celles qui ont leur légitimité en voulant

aider à la transition démocratique en Tunisie et qui ont leur action dirigée vers la Tunisie. Si vous

voulez, c’est à géométrie variable, c’est sensibiliser les gens ici mais sur des choses qui se passent de

l’autre côté. D’un autre côté, il y a les militants et ceux qui sont déjà investis dans la société belge

depuis longtemps et qui ont un capital de militantisme fort. La plupart sont des étudiants venus en

Belgique il y a plusieurs années et ils sont insérés dans l’espace public belge. Cela fait une très

grande différence avec les associations dont c’est la première expérience. « … », De plus, il y a des

associations de type « progressistes », des associations liées à la militance et rattachées à des partis et

enfin, des associations de type « humanitaire » ou « éducation permanente ».

3.21 Hamid, enregistrement du 30 mars 2016 : « Les mentalités dans la diaspora n’ont guère

changées depuis la révolution. L’exécutif de l’Etat doit se métamorphoser. Au départ, depuis les

années 60, sa mission était d’encadrer les travailleurs et puis cela s’est transformé en une machine de

propagande politique et d’encadrement sociopolitique. Depuis 2011, les choses changent mais

attention, le politique veut toujours avoir la main mise sur les associations et la dose politique est

encore beaucoup trop présente. Il faut définir de nouvelles thématiques culturelles, éducationnelles et

non instrumentalisées ! Ça serait beaucoup plus représentatif et utile aux tunisiens qui vivent ici et à

leurs enfants. A vrai dire, c’est clé pour la transmission intergénérationnelle. Il faudrait inclure toutes

les associations dans la société civile. De plus, il faut un vrai travail de réflexion entre société civile et

Etat pour réfléchir à ces mécanismes ».

3.22 Hossein, enregistrement du 20 avril 2016 : « La Tunisie n’est pas une nation. C’est un peuple.

De plus, ce qui peut faire reculer certains et notamment les jeunes, c’est qu’il y a parfois un manque

de libertés dans les associations. Il y a comme une transmission inconsciente du virus de la dictature

et de la domination. C’est un facteur de recul pour les jeunes. Vous savez, on n’efface pas trente ans

de dictature, dans les associations, comme ça, en un coup de baguette magique ».

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Annexe 4. Guide d’entretien(s)

En « gras », les questions à adresser aux interviewers. En caractères simples, nos fils conducteurs

personnels.

- Présentation personnelle et de notre projet de mémoire.

- Demande d'autorisation pour l'enregistrement.

Quelles sont les activités de votre association ? Cela fait longtemps que vous existez ? Vous êtes

une asbl ? Vous avez des AG, réunions fréquentes ?,…

Comment vous décririez vous ? Votre type d’activité ? Votre statut ? Votre historique ? Les

financements ?

Comment cela se passait pour vous, avant 2011 ?

Quel était l'état et la nature de vos rapports avec les acteurs politiques et publiques sous l'ancien

régime ?

Quels problèmes identifiez-vous ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous engager dans

l’association ?

Et maintenant ? Avec qui êtes-vous le plus souvent en contact, en Tunisie ?

Qu’en est-il aujourd'hui ?

Avez-vous des rapports et des échanges avec des partis et des associations, organisations,

mouvements,… en Tunisie ?

Quel type de rapports entretenez-vous avec les partis politiques tunisiens ?

Avec la société civile en Tunisie ?

Selon vous, avez-vous pu jouer un rôle, à votre échelle, dans ce qu’il s’est passé en 2011, et

après ?

Comment évaluerez-vous l'impact de votre organisation dans les changements socio-politiques en

cours en Tunisie depuis 2011 ?

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Avec quelle population votre association est-elle le plus souvent en contact ? A qui bénéficient

vos activités ?

Quelle population cible et majoritaire touche le champ d'action de votre organisation au sein de la

population belgo-tunisienne ? (Générations (en âge et en « générations d'immigration », classes

sociales,...).

Avez-vous des valeurs, des idées qui vous sont chères et que vous aimez défendre dans vos

activités ? Avez-vous une « charte des valeurs » par exemple ?...

Quelle(s) idéologie(s)/ valeurs pensez-vous défendre ou représenter ? Avec quel(s) groupe(s) vous

sentez vous connectés ?

Selon vous, quelle est la place des Tunisien(ne)s dans la société belge ? Par rapport aux autres

communautés (marocaines, turques,…) ?

Comment situerez-vous la place de la communauté tunisienne, en tant que représentant de cette

dernière, par rapport aux autres communautés (maghrébines) ?

Avez-vous des contacts avec d’autres acteurs associatifs tunisiens en Wallonie et en Flandre ?

Existe-t-il des différences de fonctionnement, etc… ; avec la Flandre ?

Identifiez-vous une différence en termes d'identité, d'action, de logiques, ... entre les organisations

tunisiennes d'un côté ou l'autre de la frontière linguistique ?

Votre action, votre engagement, vos priorités sont-ils/elles en priorité tourné(e)s vers la Belgique

et les tunisiens de Belgique, ou vers la Tunisie ?

En tant qu'acteur de la société civile tunisienne, vers quelle partie de votre identité vous sentez vous le

plus tourné ? L'identité belgo(tunisienne) ou l'identité tunisienne ?

Quels acteurs étatiques ou de représentation identifiez-vous ?

Dans votre association, utilisez-vous beaucoup internet, les e-mails, les réseaux sociaux, les

« clouds » (dropbox,…) et plateformes d’échange ? En quoi cela vous aide-t-il ?

Quelle utilisation faites-vous du « phénomène numérique » (Internet, site, réseaux sociaux,

campagnes, organisation par mails, clouds,...) ? En quoi cela change ou dynamise vos pratiques

organisationnelles et en quoi cela vous munit de moyens supplémentaires d'organisation, de lutte ou de

pression par rapport à l'Etat ?

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Résumé

Ce mémoire est un voyage entre société civile, espace public, pratiques transnationales, formes

d’engagement et action collective. De manière plus précise, nous tenterons de découvrir ensemble

dans quelle mesure et dans quelles conditions la communauté et les associations belgo-tunisiennes

participent au processus de transition démocratique en Tunisie.

Une floraison associative et un certain dynamisme citoyen et participatif qui semblent nous renseigner

sur le fait que les associations belgo-tunisiennes connaissent une évolution et une transformation selon

les productions et les interactions des grands changements socio-politiques en cours en Tunisie.

Depuis le début de notre travail, nous avons eu l’intuition que la Tunisie et les dynamiques de la

révolution tunisienne, qu’elles puissent s’observer ici ou là-bas, avaient beaucoup à nous apprendre en

ce qui concerne la nécessaire refondation et remise en valeur des dynamiques socio-politiques et

participatives européennes et par extension, belges. Au-delà de l’intérêt porté à une communauté, une

culture et une région encore trop méconnues, aujourd’hui plus que jamais, ces rencontres, ce travail de

longue haleine et cette réflexion pourraient nous amener à changer notre rapport à l’autre, parfois plus

proche géographiquement et culturellement que ce qu’on ne pourrait le penser. Nous amener

également à reconsidérer le travail fait en Belgique et en Occident et la situation de notre propre

société et monde associatif.