Editions La Decouverte

La Neige et la FleurAuthor(s): R. R.Source: L'Actualité de l'histoire, No. 4 (Apr., 1953), pp. 28-30Published by: Editions La Decouverte on behalf of Association Le Mouvement SocialStable URL: http://www.jstor.org/stable/3776952 .

Accessed: 14/06/2014 05:18

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LA NEIGE ET LA FLEUR

M. Andre Chamson publiait Fan dernier La Neige et la

fleur, etude romancee de la jeunesse contemporaine. Rappe- lons brievement ce theme : un homme mur, par la vertu des circonstances, est arrache a sa solitude egoiste d'homme ins- talle, integre au groupe de jeunes intellectuels ou artistes

frequentant Fatelier du Barbu. Lie a eux par sa jeunesse retrouvee, et sa tendresse humaine, il va partager leurs enthousiasmes, leurs espoirs, leurs peines. Vivre leur vie. Les evenements, les discussions aideront a la connaissance pro- gressive des membres du groupe, et Fauteur ? le narrateur ?

trouvera dans les faits le pretexte a reflexions, meditations.

Le livre a suscite, suscite encore des discussions passion- nees. De jeunes, de moins jeunes. Mais toutes enrichissantes, necessaires. Les positions, les idees se precisent. Les Jerontes

pontifiants sont vaincus, les delateurs absolus convaincus de mauvaise foi. Le livre de M. Andre Chamson temoigne... //

fallait qu'il fut ecrit.

II fallait qu'il fut ecrit... De nombreux problemes sont

evoques, d'ordre esthetique, philosophique, educatif, d'ordre humain. Problemes d'une jeune humanite desemparee qui lutte, triomphe, ou echoue (mort de Robert). D'etranges lueurs, au hasard des pages, apparaissent; des reflexions de Fauteur, d'un des membres du groupe, eclatent. Citons ? nous consi- derant seulement jeunes, et envisageant de ce fait uniquement les problemes de la jeunesse ? quelques phrases : ? La peur de ne pouvoir realiser ses projets et d'etre entrainee dans des

catastrophes semblait etre le tourment secret de cette jeu? nesse. ? ? Elle (Faventure sadique de Lucien) supposait un

mepris theorique de la vie en meme temps qu'une frenetique volonte de jouissance. ? ? Dans un univers ou Fon tue les

peres de famille, le mariage ne peut pas rester indefiniment

quelque chose de sacre. ? ? De Nietzsche a Gide... Liberez- vous!... G'est la grande decouverte de l'homme moderne... Mais de quoi peut-on se liberer quand on n'existe pas encore?... La liberte n'est qu'un mode de l'existence... Nous avons voulu etre libre avant d'etre quoi que ce soit... ?

Mais que notre gratitude ne nous aveugle pas! Si La Neige et la fleur nous a seduits, elle nous a plus encore decus. Nous nous sentons par elle reduits, denatures. Les personnages de M. Andre Chamson ne restituent pas le vrai visage de la

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jeunesse. Trop de problemes sont affleures, aucun n'est tota- lement examine dans tous ses aspects, dans toutes ses conse-

quences. D'autres problemes, essentiels a nos yeux, n'appa- raissent pas meme, ou bien peu : probleme de Fangoisse, non reflexion, mais soufTrance, besoin et volonte de depasse- ment de soi-meme, nes de Fexperience de la guerre, vecue ou subie, ou jaillis de la necessite vitale de depasser un monde ressenti tragiquement absurde ? probleme de la vocation d'artiste.

D'autres reproches nous viennent a Fesprit, qu'il ne nous est pas permis de developper ici; nous ne ferons que les enu- merer. Le premier d'entre eux, le plus grave a nos yeux, peut se formuler ainsi : les etres de M. Andre Chamson sont des etres statiques, non vivants. Or la jeunesse est l'epoque de la creation de soi-meme : nous aurions aime assister a la construction des heros du roman par eux-memes. Ils nous sont donnes intelligences, non ames, impulsions. Un autre reproche s'impose : tous les personnages de La Neige et la fleur reus- sissent. II n'est pas parmi eux d'etre inadapte ? la mort de Robert ne resoud pas le probleme ? et condamne a le demeu- rer. II n'est pas de ? rates ?, il n'est pas d'echec total. Nous avons, quant a nous, la conviction profonde qu'il est des echecs

qui, moralement s'egalent, et depassent meme, les plus eclatan- tes reussites. Et que ces echecs dans la jeunesse contemporaine sont un fait, et un fait particulierement grave. Regrettons egalement que M. Andre Chamson n'ait pas cru devoir signaler la faveur du marxisme, des philosophies de Fabsurde et de Fexistence au sein de la jeunesse intellectuelle de notre epoque ? faveur nee de la conscience, et conscience cathartique, de leurs propres problemes d'hommes naissant au monde reel ?

qu'il ait omis de signaler limportance de l'apolitisme, et de la revolte antimilitariste, fait de nombreux jeunes intellectuels.

Regrettons enfm qu'il n'ait pas cru devoir faire une place plus importante a cette jeunesse issue directement de la guerre, et dont le comportement nous parait essentiel a la compre- hension de la jeunesse contemporaine. D'avoir privilegie Fado- lescence de 1950 au mepris de la jeunesse de 1945.

Meditant en conclusion sur Forigine des ? erreurs ? de M. Andre Chamson, il semble qu'il faille la chercher dans cette idee chere a Fauteur de Crime des justes : les problemes de la jeunesse ? affirmait-il lors d'une recente conference radio- phonique ? ne sont en definitive que les problemes des hommes, de tous les hommes. Nous croyons cette idee fausse en un sens. Les problemes peuvent etre memes, leur con? science, leur retentissement intime different. Un homme mur ne peut juger de la meme maniere qu'un etre qui n'? existe ?

pas encore. La ? conscience-reflet ? n'existe pas pour Fadoles-

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cent. Les personnages de La Neige et la fleur ne sont pas, ne

pouvaient pas etre totalement lies au monde.

II semble donc en definitive que seul un ecrivain jeune puisse ecrire le roman veridique de la jeunesse. Nous atten- dons sa revelation, mais sans impatience; la connaissance de notre jeunesse ne peut se faire que retrospectivement. On ne

peut connaitre que ce qui est deja depasse. R. R.

AU BON BEURRE

II y a lieu de signaler ici Foeuvre de Jean Dutourd, ceuvre

qui, parmi les tout-venant des prix litteraires, est d'une valeur exceptionnelle. Et d'une double qualite.

Le roman Au bon Beurre est en effet a la fois une satire et un recueil des moeurs de la societe francaise, mais la satire des moeurs depasse les temps durant lesquels le recit se deve-

loppe.

Le satiriste, chez Jean Dutourd, evoque par le talent, sinon

par la personne, le nom de Jonathan Swift; il existe entre les deux personnalites un contraste qui n'est pas du simple- ment a leur existence. Mais ce contraste meme les apparente.

En fait, les memoires du cremier d'Au bon Beurre sont la peinture de realites aussi cruelles que les Lettres du Drapier et les Contes du Tonneau. Mais si le style et la maniere de Jonathan Swift et de Jean Dutourd sont si differents, cela tient autant au pays qui les a vu naitre qu'a leur originalite d'ecrivains. Hippolyte Taine parlant de Jonathan Swift a dit : ? II a fallu une forme d'esprit etrange et puissante aussi

anglaise que son orgueil et ses passions pour inspirer les Contes du Tonneau et les Voyages de Gulliver. ? Sans doute. Mais chez les deux pamphletaires, on rencontre, sous des costumes nationaux, ? un ton uni, des termes exacts et pre- cis, ces comparaisons familieres abaissent tout a la portee de la main, meme les choses les plus hautes decrites avec un flegme brutal et hautain ?. (Taine : De la Litterature anglaise.) Si ce flegme brutal et hautain n'est en rien semblable a Fatti- tude d'esprit de Jean Dutourd, c'est que cet ecrivain a un comportement typiquement francais et, par opposition avec Fironie acerbe et mordante de Swift, il possede un fonds solide de bonne humeur rejouissante. A la difference de Swift, qui ne cherche ni a distraire ni a plaire, Jean Dutourd sait

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