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LA NÉCESSITÉDU HASARD

Vers une théorie synthétiquede la biodiversité

Alain PAVÉ

17, avenue du HoggarParc d’activités de Courtabœuf, BP 112

91944 Les Ulis Cedex A, France

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ISBN : 978-2-86883-942-8

Imprimé en France

Conception graphique de la couverture : Béatrice Couëdel

Illustration de couverture : Musée des Tissus et des Arts décoratifsPhoto de Pierre Verrier

© EDP Sciences 2007

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservéspour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 del’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées àl’usage privé du copiste et non destinés à une utilisation collective », et d’autre part,que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toutereprésentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de sesayants droits ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représenta-tion ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contre-façon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.

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De l’une des discussions juridico-mathématiques des Babyloniens

surgit la conjecture suivante : si la loterie est une intensification

du hasard, une infusion périodique du chaos dans le cosmos,

ne conviendrait-il pas que le hasard intervînt dans toutes les étapes

du tirage et non plus dans une seule ?

J.L. Borges, La Loterie de Babylone, in Fictions.

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Avant-propos

Au début de la rédaction de ce texte, l’objectif était de défendre unenouvelle fois l’idée, déjà évoquée par Darwin et bien d’autres après lui, enparticulier Jacques Monod, selon laquelle le hasard, dont, le plus souvent,nous aimerions bien diminuer l’importance, voire l’évacuer, intervientde façon essentielle dans l’évolution des êtres vivants. Puis, en avançantdans la réflexion, il est apparu qu’il en est un principe indispensable etqu’en duo avec la nécessité, dont la sélection naturelle est une desfacettes, il joue la tragi-comédie de cette évolution. Il serait donc unélément déterminant, sinon le facteur primordial, à prendre en comptedans ce qu’on appelle aujourd’hui la dynamique de la biodiversité, àsavoir la diversification, la disparition ou le maintien des systèmesvivants de notre planète. En progressant encore, il est apparu raisonnablede supposer que des processus propres à ces systèmes engendrent duhasard et qu’ils seraient apparus spontanément et auraient été, eux aussi,sélectionnés au cours du temps. C’est ce que nous appelons des« roulettes biologiques », car, à l’image des dispositifs mécaniques, ilsproduisent des phénomènes à caractère aléatoire. Il faut donc en tenircompte, y compris dans des aspects très pratiques de manipulation, degestion ou d’ingénierie des systèmes vivants.

Nous sommes donc passés d’une vision strictement contingented’un hasard imposé, d’une espèce d’entité externe qui agite le monde dela vie, à une conception qui distingue d’une part les aléas environnemen-taux perturbant ce monde et, d’autre part, un hasard intrinsèque

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engendré par des mécanismes biologiques et écologiques sélectionnésdurant l’évolution. Ce dernier hasard est au centre de notre discussion, ilest le facteur essentiel de la diversification et de la dispersion des êtresvivants. Or diversification et dispersion constituent une réponse auxaléas environnementaux qui peuvent mettre en danger de nombreusesformes de vie comme le montre l’histoire des grandes extinctions surnotre planète. Le hasard intrinsèque est donc une sorte de réaction auhasard subi, celui des aléas. Le procédé est d’autant plus efficace qu’ontrouve des mécanismes, les roulettes biologiques, produisant ce hasardintrinsèque à tous les niveaux d’organisation, du gène à l’écosystème.Aussi, le hasard produit par ces roulettes et générateur de diversité bio-logique est-il une sorte d’assurance pour la vie.

Ces idées peuvent s’exprimer rapidement, une page suffit… Mais sion souhaite établir une démonstration pour convaincre le lecteur et enexplorer les différents aspects, on ne peut s’en contenter. Au bout ducompte, le texte obtenu est à la fois une reprise de connaissances bienétablies, mais nécessaires pour étayer le raisonnement, et une présenta-tion de résultats récents, voire de questions encore en débat, non moinsindispensables pour avancer dans la démonstration. Il y avait peut-êtred’autres solutions, mais c’est celle qui s’est imposée progressivement aucours de la rédaction. Elle a eu au moins une utilité pour l’auteur, cellede revisiter une partie de ses connaissances et d’avoir l’impression deprogresser dans une vision intégrée de la biologie.

Si l’on peut être convaincu que le hasard joue un rôle important,sinon essentiel, dans l’évolution et le fonctionnement de beaucoup desystèmes vivants, et si des processus biologiques et écologiques engen-drent ce hasard, il reste à formuler des hypothèses sur ces roulettes bio-logiques. C’est ce que nous avons tenté de faire dans un chapitre dévoluà la modélisation. À cette fin, nous avons supposé qu’à l’image dessystèmes mécaniques engendrant des résultats distribués au hasard, lesprocessus biologiques impliqués sont des « systèmes dynamiques » ausens des mathématiciens. Dans certaines conditions, ces systèmes exhi-bent des comportements chaotiques ; on peut alors se demander dansquelles mesures ce chaos ressemble à du hasard. Cette hypothèse estraisonnable, si on examine les modèles classiques de la biochimie, de labiologie ou de l’écologie. C’est ainsi qu’on a pu montrer que des varia-bles chaotiques peuvent avoir des propriétés analogues à celles qui sontconnues pour les variables aléatoires. Cette observation montre que des

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mécanismes parfaitement déterministes de type biologique peuventengendrer des résultats ayant de fortes similarités à ceux produits par desprocessus stochastiques. Au cours de l’évolution, il est alors loisible depenser que de tels mécanismes soient apparus et aient été sélectionnés.Cependant, les organismes sont des « machines vivantes », exhibant defines régulations qui semblent laisser peu de place au hasard, sauf peut-être pour faire face à certains imprévus, comme l’ingestion d’agentsinfectieux inconnus qui seront détectés et combattus par des systèmesimmunitaires faisant large place à des combinatoires. Pour eux, la néces-sité du fonctionnement « de tous les jours » limiterait le rôle du hasard etsa production à seulement quelques fonctions, encore que l’on endécouvre de plus en plus. On constate aussi qu’aux autres niveaux d’or-ganisation, le hasard et les mécanismes qui le produisent jouent un rôleimportant ; ils apparaissent même prépondérants, voire nécessaires pourle maintien de la vie elle-même.

Enfin, la « question de la biodiversité » est beaucoup plus vaste quele domaine couvert par cet ouvrage. L’objectif n’était pas d’en envisagertoutes les facettes, notamment humaines (sociales, culturelles ou écono-miques). Depuis quelques années d’excellents ouvrages leur sont consa-crés. Il s’agit ici de faire le point sur les aspects biologiques et écologiques,du gène à l’écosystème, afin de tracer les grandes lignes d’une théorie« biologique » de la biodiversité et d’en tirer des conséquences pratiques.En effet, il est de la responsabilité première des scientifiques d’essayer deconstruire des édifices théoriques et de ne pas se limiter à des « listes à laPrévert » de résultats ponctuels. Cette voie est la plus efficace pourélaborer des règles et des techniques utiles, notamment pour l’ingénierieet la gestion des systèmes vivants. Ainsi pour nombre d’entre eux,notamment les systèmes écologiques, il semble que la prise en compte duhasard et des mécanismes qui l’engendrent permet de mieux expliquerleur fonctionnement spontané, alors qu’on ne prête pas une attentionsuffisante pour les décrypter et en tirer des conséquences pratiques. C’estce que nous avons essayé de faire ici1.

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Avant-propos

1. J.-C. Mounolou a cité ce travail en « avant-première » lors de la réunion inaugu-rale des sessions de l’année 2005 de l’Académie d’agriculture de France qui marquaitégalement le début de son mandat de président de cette Académie. Une version résuméea été publiée à l’époque sous l’intitulé : « Hasard, nécessité et biodiversité : une assurancepour la vie » sur le site web http://www.academie-agriculture.fr/ (publications/notes deconjoncture), janvier 2005.

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Avant-propos .......................................................................... 7

1. Le hasard en question ......................................................... 15I. Introduction............................................................................... 15II. Différentes utilisations du mot « hasard » en sciences ......... 18Encadré 1. Génération de nombres pseudo-aléatoires................ 24

2. Le hasard dans les systèmes vivants ............................... 31I. Le hasard et la nécessité ............................................................ 32II. Mécanismes connus de diversification génétique ................. 36Encadré 2. Brassage du génome : représentation schématique des principaux mécanismes connus ..................... 42III. La cellule et l’organisme : un hasard limité........................... 49Encadré 3. Compétition et coopération ....................................... 53IV. Lignées, populations et espèces : au hasard des rencontres, des accouplements et des perturbations ........... 58Encadré 4. Populations, métapopulations, espèces .................... 59V. L’évolution et ses théories : au hasard des modifications génétiques ...................................................................................... 62VI. Le hasard écologique : vivre et subsister ensemble,faire face aux risques environnementaux ................................... 67Encadré 5. Exclusion compétitive................................................. 68Encadré 6. La coévolution............................................................. 77Encadré 7. Frugivorie et dissémination des graines :l’exploitation de Cecropia obtusa par la chauve-souris Artibeus jamaicensis....................................................................... 80

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Sommaire

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VII. Hasard, chaos et complexité ................................................ 92VIII. Hasard et niveaux d’organisation du vivant ..................... 99Encadré 8. Comment les systèmes vivants s’organisent-ils ? ......... 100IX. Conclusion............................................................................... 103

3. Des enseignements pour la gestion des systèmes vivants ................................................................. 109I. Les organismes ........................................................................... 110II. Les populations et les écosystèmes.......................................... 111III. La biodiversité ......................................................................... 112IV. L’information et le patrimoine génétiques ........................... 113V. La conservation des ressources génétiques............................. 114VI. Les modifications génétiques : hybridation et sélection...... 114VII. Les manipulations génétiques : insertion de gènes ............ 116VIII. Le clonage ............................................................................. 118IX. Les molécules actives d’origine biologique .......................... 119X. Les limites et les conséquences de l’intervention de l’Homme sur les systèmes vivants........................................... 121XI. Les technologies bio-inspirées et biomimétiques ................ 122

4. L’apport des modèles et de la modélisation : quelques exemples ..................................................................... 123I. Génétique et calcul des probabilités : lois élémentaires,évolution dans le temps de la constitution génétique d’une population........................................................................... 124II. Du chaos au hasard : les roulettes biologiques – exemple à partir du modèle logistique en temps discret ............ 129III. Le modèle logistique en temps continu et l’évolutionde la biodiversité .......................................................................... 137

IV. Vers un schéma général de la modélisation des systèmes vivants et de leurs diversités ................................... 146

Annexe À propos de l’évaluation de la biodiversité : exemple de la Guyane française............................................... 149I. Une grande diversité.................................................................. 150II. La diversité spécifique et son évaluation : données,certitudes et incertitudes .............................................................. 151

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III. La biodiversité à grande échelle physique ............................. 159IV. Observations multiéchelles et multiniveaux :du gène à l’écosystème.................................................................. 159V. Un terrain très favorable pour les recherches sur la biodiversité et sa dynamique.............................................. 161

Glossaire ...................................................................................... 167

Références bibliographiques .................................................... 175

Remerciements ........................................................................... 185

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Sommaire

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Le hasard en question

… que se él fuera de su consejo al tiempo de la general criación del

mundo, i de lo que en él se encierra, i se hallá con el, se huvieran

producido i formado algunas cosas mejor que fueran hechas,

i otras ni se hicieran, u se emmendaran i corrigieran.

Alphonse X le Sage, Roi de Castille et de Léon, 1221-12841.

I Introduction

Quand on s’intéresse à la biologie et à l’écologie, il est étonnant deconstater le rôle tenu par le hasard dans beaucoup de phénomènes vitaux,souvent dans une subtile alliance avec des déterminismes bien solides.

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C H A P I T R E

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1. Version originale donnée par Jim Murray dans l’un de ses ouvrages (2001) ;traduit en français moderne courant, cela donne à peu près : « Si le Dieu Tout-Puissantm’avait consulté avant de planifier sa création, je lui aurais recommandé quelque chose deplus simple. » Elle aurait été émise lorsque ce souverain remarquablement curieux etcultivé fut initié au système de Ptolémée. Cette idée semble intéressante, d’autant plusque ce livre procède du contraire : ce monde marche peut-être parce qu’il est sinoncompliqué du moins complexe… On peut aussi penser que c’est non pas au monde, maisau modèle de Ptolémée auquel Alphonse X fait allusion, qui n’est pas facile à comprendreet c’est toute la qualité de Nicolas Copernic d’avoir élaboré une représentation plussimple et conforme au réel. Cette référence historique est tirée de Koestler (1968).

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La présence souvent soupçonnée de régimes chaotiques ou intermittents,quelquefois assimilés à du hasard, est aussi une surprise. En effet, unevision sans doute naïve laisserait supposer que pour assurer un bon fonc-tionnement, le hasard, l’erratique, le chaotique doivent être bannis, ainsiqu’on essaie de le faire dans les systèmes technologiques2. Cette constata-tion débouche sur plusieurs questions : pourquoi l’évolution, qui parailleurs a produit tant de résultats étonnants, n’a-t-elle pas abouti à lasélection de systèmes vivants purement déterministes ? De fait, le hasardsemble jouer un rôle essentiel, mais lequel ? Alors les processus engen-drant du hasard n’auraient-ils pas été sélectionnés ? Dans le couple formépar le hasard et la nécessité, le hasard ne serait-il pas aussi nécessaire ?

Les systèmes vivants changent au cours du temps, quelle que soitl’échelle où l’on se place, de celle de l’évolution des êtres vivants, jusqu’autemps de la vie des organismes et à celui des processus cellulaires. Cessystèmes sont aussi de différentes dimensions, de celle, microscopique,des cellules à celle, planétaire, de la biosphère, en passant par les taillespetites ou moyennes (géographiques) des populations et des écosystèmes.Les échelles de temps et d’espace qui caractérisent ces systèmes sont engros corrélées : aux processus les plus rapides correspondent les tailles lesplus petites, aux plus lents les dimensions les plus grandes. Or, le hasardjoue dans l’espace et dans le temps, à toutes ces échelles, par des succes-sions d’évènements et des distributions spatiales aux allures plus oumoins aléatoires. C’est particulièrement vrai dans les niveaux d’organisa-tion supérieurs à celui des organismes, c’est-à-dire dans ceux de la popu-lation à l’écosystème, voire de la biosphère dans son ensemble.Curieusement encore, la prise en compte par les biologistes des dimen-sions spatiales et temporelles dans l’étude du vivant est relativementrécente. Cela mérite quelques précisions.

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LA NÉCESSITÉ DU HASARD

2. Cependant, la sensibilité aux conditions initiales, qui caractérise les systèmes chao-tiques, permet quand même des prévisions à court terme et même de modifier à moindrecoût la dynamique d’un tel système. En effet, comme nous pouvons le voir plus loin(cf. figure 2.7), deux trajectoires voisines au départ ne divergent pas immédiatement.Ainsi, si l’on dispose d’un bon modèle, il est possible de prévoir l’état du système chao-tique au bout d’un intervalle pas trop long. C’est ce que tentent de faire les météorologues.Dans le cas de systèmes technologiques à comportements chaotiques, on peut aussicalculer l’impulsion à donner pour arriver au bout d’un moment au voisinage d’unevaleur choisie à l’avance et donc contrôler un tel système sur des intervalles de tempscourts. On imagine sans peine l’algorithme de contrôle.

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Le temps est la première dimension considérée. Les modèles démo-graphiques de Malthus et de Verhulst datent l’un de la fin du XVIIIe siècleet l’autre du milieu du XIXe. Les processus de ramification ont vu le jour àla fin de ce même XIXe siècle. Cependant, la dynamique des populationsn’émerge véritablement que dans les années 1920-1930 avec la redécou-verte du modèle logistique par Pearl, les modèles de Lotka-Volterra, puisgrâce à l’apport de l’école soviétique sur les systèmes dynamiques (Gause,1935, Kostitzin, 1937). En outre, les premiers modèles démographiques entemps discrets sont publiés dans la revue Biometrika (Leslie, 1945)3. Onretiendra enfin deux contributions majeures, celle de Georges Teissier etde Jacques Monod. Teissier est d’abord connu pour ses travaux sur lacroissance des organismes et sur la théorie synthétique de l’évolution.Dans les années 1930, il fait aussi éditer beaucoup des travaux contempo-rains d’écologie théorique, notamment ceux de l’école soviétique. Quantà Monod, il propose dans sa thèse, soutenue en 1942, un modèle de ladynamique de populations bactériennes qui s’est révélé d’une grandeutilité théorique et pratique. L’élaboration et la vérification expérimentalede ce modèle constituent le premier véritable exposé méthodologique surla modélisation en biologie. Enfin, il intègre le temps long, celui de l’évo-lution, dans son ouvrage ultérieur Le Hasard et la Nécessité, en 1970, surlequel nous reviendrons.

La prise en compte de l’espace est plus récente, sans doute parce quel’on est resté longtemps démuni pour analyser et modéliser les distribu-tions spatiales aussi bien que les processus à l’origine de ces distributions4.

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Le hasard en question

3. Plus tard, il a été démontré que ces modèles étaient en fait les modèles moyens deprocessus stochastiques, les processus de ramification, ou de Galton-Watson (Lebreton,1981). Nous avons aussi mis en évidence les relations avec la théorie des langages deLindenmayer utilisée pour représenter les formes et surtout les processus morphogénéti-ques (Pavé, 1979). On en trouvera l’exposé didactique dans Pavé (1994).

4. On ignore encore trop souvent que les distributions spatiales, et plus généralementles formes que nous observons, que ce soient celles d’organismes ou celles de paysages, ouencore de répartition de la végétation sur les continents, et même celle des continents eux-mêmes, résultent de processus temporels. Ces formes changent dans le temps à des vitessesvariables. Comme le disait Bergson : « Toute forme a son origine dans le mouvement qui latrace. La forme n’est que le mouvement enregistré » (cité fort justement par Y. Souchon etal., en 2002, à propos de la forme des cours d’eau). Mais selon l’échelle d’observation, leniveau d’organisation considéré et la nature des processus, on pourra négliger ou non ceschangements. Par exemple, si on regarde la couverture végétale des continents qui varie del’échelle décennale à l’échelle millénaire, on pourra négliger la dérive des continents. Celan’est plus vrai si l’on fait de la paléoécologie à l’échelle du million d’années.

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Certes, la répartition des êtres vivants dans l’espace géographique estl’objet de la biogéographie, née au début des années 1950. La géostatistiqueest alors en partie développée pour ce type d’analyse. Dans cet arsenal, ontrouve des méthodes de représentations (analyse des données) et des tests,par exemple pour vérifier le type de répartition spatiale. Le modèle duhasard est le plus souvent la distribution uniforme dans l’espace. On signa-lera aussi des approches d’océanographie biologique, par exemple l’adap-tation du modèle théorique de Fisher à la dynamique de populationshalieutiques. Mais dans tous les cas et jusqu’à récemment, on peine àprendre en compte l’espace physique et surtout à associer espace et temps,à spatialiser les processus et les dynamiques biologiques et écologiques, àcoupler les processus géo-physico-chimiques, qu’ils soient déterministesou stochastiques.

Mais revenons au hasard. Avant de discuter de l’utilisation de ce motdans les sciences du vivant et de la réalité qu’il recouvre, il est souhaitablede rappeler son statut dans d’autres disciplines. Ce n’est pas par soucid’érudition, mais parce que la façon de le voir dans les autres champsdisciplinaires peut susciter des idées nouvelles pour les sciences de la vie.

II Différentes utilisations du mot« hasard » en sciences

Le « hasard » qualifie des phénomènes qu’on ne peut prévoir a priori. Parexemple, lorsqu’on lance un dé, le numéro qui sortira n’est pas connu àl’avance si le lancé est correct et le dé bien équilibré. De même certainsphénomènes naturels apparaissent imprévisibles : foudre, chute demétéorites, pluies anormalement abondantes… Au fond, le hasard faitpartie de notre vie quotidienne et nous avons pris l’habitude de vivreavec. Dans un ouvrage intitulé Les Probabilités et la vie paru en 1943,Émile Borel en a parlé très concrètement (entendre par « vie », notre viede tous les jours et non pas la vie au sens biologique).

Mais examinons son utilisation dans les sciences. On distingue cinqgrandes acceptions :

– le « hasard » du physicien des particules qui intervient, parexemple, dans l’interprétation de la relation d’incertitude d’Heisenberg ;

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– le « hasard » du statisticien qui est rangé dans un terme d’erreur,une espèce de « corbeille à papier », dans laquelle on met ce qui échappeau contrôle de l’expérimentateur ou de l’observateur ;

– le « hasard » du probabiliste qui intervient pour discuter des expé-riences à issues incertaines, par exemple des « jeux de hasard » ou d’au-tres situations pouvant se ramener à un tel schéma ;

– le « hasard » du numéricien et de l’informaticien, simulé par desalgorithmes engendrant des nombres pseudo-aléatoires (des « roulettes »numériques) qui permet notamment de résoudre des problèmes déter-ministes ;

– le « hasard » du spécialiste des risques qui s’intéresse aux phéno-mènes aléatoires ou aléas de l’environnement, principalement d’originesnaturelles, comme les inondations, les séismes ou les avalanches. Certainsrésultent de régimes plutôt chaotiques, par exemple en météorologie. Onparle de « risque » lorsque l’occurrence d’un tel événement peut mettreen danger les biens ou les personnes. Le terme est aussi utilisé dans d’au-tres aspects de la vie courante, par exemple lorsqu’on parle de « risqueéconomique ». On peut encore élargir ces notions à d’autres perceptionsqu’humaines. Ainsi les systèmes vivants sur la Terre subissent des aléasenvironnementaux, qui peuvent les altérer et même qui risquent de lesfaire disparaître.

Contrairement à ce que pourrait laisser croire une première intui-tion, toutes ces façons d’approcher l’imprévisibilité d’un résultat d’uneexpérience ou d’un phénomène diffèrent profondément. Cependant, lemerveilleux point commun est de pouvoir en traiter mathématiquementet avec pratiquement les mêmes outils théoriques.

Enfin, la situation se complique quelque peu depuis la découverte du« chaos déterministe », c’est-à-dire de successions d’événements quisemblent se produire au hasard, mais qui résultent de l’application d’al-gorithmes qui sont, par définition, parfaitement déterministes. Et les faitssont encore plus curieux lorsqu’on constate que d’autres algorithmespeuvent simuler du hasard.

1. La relation d’incertitude d’Heisenberg

Dans les années 1920, s’intéressant notamment aux mesures sur l’élec-tron « tournant » autour du noyau d’un atome, Heisenberg postulequ’on ne peut pas déterminer simultanément sa position et sa quantité

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Le hasard en question

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de mouvement avec la précision que l’on désire. Si l’on augmente laprécision d’une des mesures, on en perd autant sur l’autre. Ainsi, si l’ondétermine a priori une quantité de mouvement, on ne peut définir qu’undomaine de l’espace dans lequel la particule a « de grandes chances de setrouver », ce qui se traduit mathématiquement par « une densité deprobabilité » de présence.

Plus généralement, d’après E. Balibar et P. Macherey (E.U. 2003) :« Les incertitudes sur les deux variables “conjuguées” p et q [correspon-dant respectivement à la vitesse et la quantité de mouvement] ne sont pasindépendantes. On ne peut pas poursuivre la détermination de l’uned’elles avec une précision croissante sans rendre par là même de plus enplus grande l’erreur portant sur l’autre. À la limite, une précision absoluedans la localisation de la particule correspondrait donc à une quantité demouvement complètement indéterminée, et réciproquement. Il est doncimpossible de définir ici, d’une façon qui ait un sens théorique, “l’étatinitial” du mouvement d’une particule d’une façon qui permette laprévision selon le schéma déterministe de la mécanique classique. »

Cette incertitude « fondamentale » a fait couler beaucoup d’encre etde salive. Il n’est pas de notre propos d’en discuter plus avant, sauf pourpréciser qu’elle est spécifique au monde de l’infiniment petit, celui desparticules. Or notre propos est de discuter de « hasard » aux échelles duvivant, c’est-à-dire de celles de la biologie moléculaire à celles de l’éco-logie. Néanmoins, cette idée jette un trouble dans les certitudes du déter-minisme.

2. Le hasard du statisticien

Le statisticien s’intéresse aux mesures ou événements selon l’idée qu’ilsrésultent d’un phénomène fondamental et d’une combinaison defacteurs « incontrôlés » perturbateurs. Si bien qu’en répétant les obser-vations, toutes choses égales par ailleurs, les résultats successifs diffère-ront « plus ou moins ». Le schéma le plus simple est le « modèlelinéaire » (ou additif). Il peut se compliquer (multiplicatif ou autre),mais rien ne change au fond. Il est donc suffisant pour comprendre leproblème du hasard du statisticien. Ainsi, une mesure m est vue commele résultat d’un phénomène « principal », donnant une valeur µ àlaquelle s’ajoute une « erreur » e, produite par des facteurs « noncontrôlés » : m = µ + e (la quantité e peut être positive ou négative). La

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question fondamentale de la statistique est « d’estimer » µ et de pouvoirdire quand une mesure ou une estimation diffère d’autres obtenuesdans des conditions voisines. Le hasard intervient donc dans le terme e.Ce terme est analogue au terme d’erreur des physiciens et l’on retrouveici la vision laplacienne du hasard résultant d’un ensemble de facteursnon connus.

Prenons un exemple classique issu de l’agronomie, en soulignantqu’en majeure partie la statistique s’est développée à partir de problèmestrès concrets dont beaucoup ont été fournis par ce domaine scientifiqueet technique5. Supposons que l’on veuille savoir si un produit chimiqueest un engrais, s’il agit sur la productivité végétale en augmentant lerendement d’une culture. Pour cela on peut réaliser une expériencesimple : une parcelle témoin, sans engrais, et une parcelle traitée, avecengrais, sont cultivées en même temps. On obtiendra deux rendementsm0 et m1. Mais peut-on assurer que m1 est « significativement différent »,de m0 ? Et que l’engrais a un effet, même si m1 est supérieur à m0 ? Eneffet, on s’aperçoit vite que si plusieurs témoins sont réalisés, des valeursdifférentes seront obtenues. Il en est de même pour les parcelles traitées.Sauf dans les cas extrêmes, par exemple si les rendements mesurés sur lesparcelles expérimentales sont tous supérieurs à ceux des témoins, il seradifficile de conclure. Les différences entre parcelles témoins ou entreparcelles traitées sont interprétées comme résultant de « facteurs noncontrôlés » – seules les quantités respectives de semences et d’engraissont connues – par exemple des sols naturellement plus ou moinsfertiles ou une hétérogénéité génétique des semences ou encore desconditions microclimatiques légèrement différentes.

Pour dire si les différences observées peuvent ou non être attribuéesau traitement, les statisticiens élaborent des tests statistiques. Le principede base consiste à construire un modèle mathématique de la dispersiondes résultats, sous ce que l’on nomme « l’hypothèse nulle », c’est-à-direque les différences sont supposées « non significatives », seulement dues

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Le hasard en question

5. Sir Ronald Fisher, sans doute l’un des plus célèbres statisticiens du XXe siècle, aeffectué une grande part de ses travaux à partir de tels exemples. Il fut aussi un généticiendes populations et l’un des premiers auteurs de la théorie synthétique de l’évolution (cf.chapitre 2, section V). Il a longtemps travaillé à la station agronomique de Rothamsteden Grande-Bretagne.

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au hasard, à un « bruit de fond » induit par la multiplicité des effets desfacteurs non contrôlés. Ces différences sont interprétées comme deserreurs de mesure. Le modèle permet d’évaluer la probabilité du résultatobservé. Si cette probabilité est faible, par exemple inférieure à 0,05, seuilfixé a priori, l’hypothèse nulle est rejetée et l’on conclut à la différencesignificative entre les valeurs testées et donc à l’effet du traitement. Onnotera au passage que, même en dehors de la statistique, beaucoup denos raisonnements et de nos modèles de « décision » se fondent surl’équivalent des modèles de la statistique construits sous cette hypothèsenulle. Ils sont puissants face au rejet de cette hypothèse. C’est parexemple le cas dans les enquêtes judiciaires où la personne interrogée estsupposée a priori innocente (hypothèse nulle). Le juge d’instructionrejettera cette hypothèse si au moins un fait la met en défaut.

En fait, le hasard du statisticien est bien une espèce de « corbeille àpapier » dans laquelle on range tout ce qu’on ne connaît pas ou ce qu’ona décidé d’ignorer et supposé du « deuxième ordre » par rapport auphénomène principal qu’on étudie. Ce « deuxième ordre » agit demanière apparemment erratique, aléatoire, une sorte de bruit de fond.

Cela étant, même si ce point de vue sur le hasard est encore large-ment majoritaire, les statisticiens s’intéressent aussi aux processus dits« stochastiques », c’est-à-dire des événements se produisant dans letemps et dans l’espace. C’est par exemple le cas des variations des coursde la Bourse ou de la distribution d’individus dans un espace géogra-phique. Les méthodes qu’ils mettent au point permettent de tester parexemple les hypothèses d’indépendance des tendances journalières descours ou l’uniformité de la distribution spatiale des individus (hypo-thèses nulles). Ils rejoignent ainsi d’une autre façon le point de vue desprobabilistes. De plus, ils peuvent aussi apporter une contributiondéterminante pour l’estimation des paramètres de ce type de processusou même de modèles déterministes (on trouvera un exemple dans lechapitre 4).

3. Le hasard du probabiliste

Le hasard du probabiliste est construit à partir d’expériences supposéesparfaites donnant des résultats non prédictibles. Le « plus grand deshasards » est obtenu lorsque les expériences ont plusieurs résultats possi-bles avec la même probabilité. C’est le cas par exemple des jeux de hasard,

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LA NÉCESSITÉ DU HASARD

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le plus simple étant celui de pile ou face. Si on lance « parfaitement » unepièce de monnaie « parfaitement » équilibrée (et pour les tatillons, avecune tranche infiniment mince), on a une chance sur deux d’obtenir l’undes deux résultats possibles. Et de fait, cela concorde assez bien avec cequ’il advient avec une pièce réelle. Cela veut dire que si l’on répète ungrand nombre de fois l’expérience, « en moyenne » une fois sur deux onobtiendra pile, et une fois sur deux on obtiendra face à l’exclusion de toutautre résultat. On est donc sûr d’avoir de façon certaine l’un quelconquedes deux résultats. Par convention, on considère que la probabilité de pileou face, c’est-à-dire d’obtenir l’un ou l’autre des deux résultats possibles,est égale à 1, si bien que la probabilité de chacune des issues, pile ou face,est égale à 1/2. On en déduit aisément les règles élémentaires du calculdes probabilités.

Celui-ci est fondé sur le schéma de jeux de hasard « virtuels », mêmesi la plupart ont leurs pendants réels. Mais la grande difficulté avec lesjeux réels est de fabriquer du bon hasard, par exemple de bien battre descartes, de bien tailler des dés et de les jeter aussi parfaitement quepossible, de bien équilibrer une roulette et de lancer tout aussi parfaite-ment la boule. Comme nous l’avons déjà dit le hasard de référence estcelui pour lequel tous les résultats possibles ont la même probabilité. Parexemple, pour le dé qui a 6 faces et 6 numéros différents sur ces faces, laprobabilité de sortir l’un des numéros est de 1/6. On dit que les résultatssont équirépartis ou que leur distribution est uniforme. Ici le hasardconçu intellectuellement ou fabriqué matériellement à l’aide d’un dispo-sitif ou d’une manipulation permet la réalisation d’une expérience quiapproche ce hasard idéal.

Enfin, comme le signale Émile Borel, dans la plupart des applica-tions concrètes, notamment en biologie, nous n’avons des probabilitésqu’une estimation statistique : « Toute probabilité concrète est en défi-nitive une probabilité statistique définie seulement avec une certaineapproximation. Bien entendu, il est loisible aux mathématiciens, pour lacommodité de leurs raisonnements et de leurs calculs, d’introduire desprobabilités rigoureusement égales à des nombres simples, bien définis :c’est la condition même de l’application des mathématiques à toutequestion concrète ; on remplace les données réelles, toujours inexacte-ment connues, par des valeurs approchées sur lesquelles on calculecomme si elles étaient exactes : le résultat est approché, de même que lesdonnées » (E. Borel, Le Hasard, cité par D. Dugué, 2003).

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Le hasard en question

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LA NÉCESSITÉ DU HASARD

4. Le hasard du numéricien et de l’informaticien

Ici on est face à un autre exemple de hasard construit. Il est d’abordutilisé pour simuler des expériences où interviennent des probabilités.L’avantage est que la simulation est bien plus rapide que l’expérienceréelle. Elle peut donc être répétée un très grand nombre de fois. Cehasard est aussi utilisé pour résoudre des problèmes parfaitement déter-ministes qu’on ne sait pas traiter analytiquement, que ce soit par la voieformelle ou par la voie du calcul numérique. La base du simulateur estun « générateur » de nombres au hasard, c’est-à-dire un algorithmedonnant une répartition uniforme des résultats. Par exemple, les déci-males du nombre L, prises par paquets arbitraires de n chiffres, sontdistribuées de façon uniforme. En d’autres termes, si l’on prend 4 chif-fres, la fréquence d’occurrence des nombres compris entre 0 (0000) et9 999 est, pour chacun d’eux, de 1/10 000. Il existe une grande variété degénérateur de nombres aléatoires. Beaucoup d’entre eux utilisent lesrestes de divisions entières, mais présentent une certaine périodicité :avant toute simulation, il faut s’assurer que la quantité de nombres tirésest inférieure à la période (cf. encadré 1).

Encadré 1

Génération de nombres pseudo-aléatoires

Des algorithmes engendrant des nombres pseudo-aléatoires ont étéconçus par les numériciens, d’abord pour simuler des phénomènes etprocessus aléatoires, ensuite pour résoudre des problèmes déterministespar des méthodes stochastiques. Parmi les générateurs connus, celui déjàsignalé engendrant les décimales du nombre L est efficace. Cependant, letemps d’exécution de l’algorithme lui fait souvent préférer d’autres géné-rateurs plus rapides, notamment ceux fondés sur les restes de divisionsentières. Nous en donnons un bref aperçu ci-après, une présentationrécente plus détaillée peut être trouvée dans l’article récent de BenoîtRittaud (2004).Considérons deux nombres a et b entiers et premiers entre eux avec a < bet a > 1 ; la suite xi = reste [(a xi-1/b)], ou xi = a xi-1 mod b , avec 0 < x0

< b est une suite aléatoire uniformément distribuée, mais cette suite est

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Lorsqu’il s’agit de la résolution, par le hasard, de problèmes détermi-nistes, par exemple le calcul d’une surface ou d’un volume limité par unefonction ou un ensemble de fonctions connues, mais compliquées, onparle de méthodes de Monte-Carlo. Enfin, des approches accordent unelarge part à des analogies avec l’évolution des êtres vivants considérantdes mutations, dues au hasard, suivies de la sélection des individus lesmieux adaptés à leur milieu. Ces algorithmes sont particulièrement effi-caces pour résoudre des problèmes d’optimisation, les valeurs les« mieux adaptées » s’approchant d’un optimum. On parle d’algorithmes

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Le hasard en question

6. http://www.u-psud.fr/orsay/recherche/ibaic/idc.nsf/IDC130.htm!OpenPage

périodique. Par exemple, si l’on prend a = 7, b = 11 et x0 = 5, on a la suitesuivante : 2, 3, 10, 4, 6, 9, 8, 1, 7, 5, la période est au plus égale à b – 1,comme ici, et en général inférieure. Il faut donc avoir au départ desnombres assez grands si on veut éviter la périodicité. Par ailleurs, il peutexister des autocorrélations entre nombres successifs avec un décalage plusou moins grand (rang 1 entre xi et xi-1, rang 2 entre xi et xi-2, etc.) Plusieurssolutions ont été proposées pour éviter ce type de problème et l’on arrivesouvent à engendrer un « bon hasard ». Néanmoins, il est conseillé de véri-fier le caractère aléatoire des suites ainsi obtenues par des tests statistiquesappropriés (cf., par exemple, Chassé et Debouzie, 1974). On trouve ainsidans la littérature des informations sur le choix de a et b. Par exemple, onpeut prendre b = 231 – 1 (dans la plupart des machines actuelles, le« mot », unité élémentaire de stockage numérique, est de 32 bits) et a = 75

ou a = 513, cité par J.D. Rouault dans : « La casualisation des modèles » (V.01/2004) sur son site internet6.Une fois un générateur sélectionné donnant des séquences suffisammentlongues de nombres pseudo-aléatoires uniformément distribués sur [0, 1],on sait tirer des échantillons d’autres lois de probabilités, par exemple de laloi de Gauss, par inversion de la fonction de répartition. À ce propos, onnotera une curiosité : l’expression analytique de la fonction de répartitionde cette loi pour une seule variable n’est pas connue, mais la connaissantpour deux variables, les générateurs classiques d’échantillons de cettedistribution fournissent des couples de nombres indépendants distribuésselon cette loi.

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génétiques7. Très généralement, les méthodes informatiques, dont laconception est fondée sur des analogies avec des processus ou dessystèmes biologiques, sont dites « bio-inspirées ». Ce terme a été large-ment repris, plus généralement on parle de « technologies bio-inspirées »pour celles qui proviennent de l’observation et de l’analyse de systèmesbiologiques (cf. chapitre 3, section XI).

De fait, dans ce texte, nous retournons l’analogie en supposant quel’évolution a sélectionné des mécanismes produisant du hasard, pourrésoudre le problème du maintien de la vie sur la Planète. Le hasard estune forme d’assurance pour la vie.

5. Hasard, aléas et risques

Nous sommes sensibles à la notion de risque. Les événements qui condui-sent à des risques sont d’origine naturelle ou anthropique. On connaîtleur existence, mais ils sont imprévisibles. Ils semblent se produire auhasard dans le temps. Cette notion est aussi anthropocentrée, on parle derisque lorsque l’intégrité de biens et de personnes est en question. Pourdistinguer l’événement imprévisible de ses conséquences éventuelles, lerisque, on parle d’aléa. Les aléas naturels sont engendrés par les dynami-ques planétaires et circumplanétaires physico-chimiques (pluies, séche-resses, cyclones, météorites, éruptions solaires, séismes, éruptionsvolcaniques, etc.) ou biologiques (invasions, émergence et proliférationd’agents pathogènes conduisant à des épidémies ou pandémies).

On sait cependant que la part de l’imprévisibilité peut être réduite,d’abord par une meilleure connaissance des processus qui engendrent cesrisques et ensuite par une étude de la partie aléatoire qui subsiste à unmoment donné. Cette étude permet, par exemple, de calculer une proba-bilité d’occurrence d’un aléa et de son amplitude, dans un intervalle detemps donné. C’est ainsi qu’on peut prévoir presque sûrement un séismedans une région donnée, ou encore qu’on parle de la probabilité d’occur-rence d’une inondation décennale ou centenaire, c’est-à-dire dont l’am-plitude ne s’enregistre, en moyenne, que tous les 10 ans ou 100 ans. C’est

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LA NÉCESSITÉ DU HASARD

7. Pour une présentation des algorithmes génétiques, on pourra de référer parexemple aux sites : http://w3.toulouse.inra.fr/centre/esr/CV/bontemps/WP/AlgoGene.htmlou http://www.rennard.org/alife/french/gavintr.html. Ce deuxième site présente aussi lesautomates cellulaires, la vie artificielle, etc. Tous sont de bons exemples d’informatique« bio-inspirée ».

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l’occurrence accélérée de tels phénomènes qui fait suspecter des évolu-tions climatiques.

On peut étendre la notion de risque à d’autres aspects qu’anthropi-ques. Ainsi, comme nous allons le voir, la vie elle-même a couru desrisques dans le passé et en court toujours…

6. La vie à l’épreuve des aléas de l’histoire

En examinant le passé de la Terre depuis le Cambrien, on trouve les tracesd’événements catastrophiques et de leurs conséquences, principalementdes variations brutales de la biodiversité (cf. figure 1.1 et tableau 1.1).Ainsi plusieurs grandes extinctions se sont produites. Elles ont été suiviespar de nouvelles diversifications « explosives ». Cela montre l’extraordi-naire « vitalité » de la vie. Elle résiste et elle rebondit malgré des catastro-phes gigantesques. La vie court des « risques », mais a manifestement lesmoyens d’y faire face.

La figure 1.1 montre que les variations enregistrées de la biodiversitésont importantes. On les attribue à des perturbations et à des évolutionsenvironnementales. La courbe « moyenne » est la représentationgraphique d’un modèle logistique par morceaux enchaînés8. Le grapheest très réducteur, aussi est-il utile de signaler qu’avant la grande explo-sion cambrienne, une première émergence d’organismes multicellulairea eu lieu : la radiation d’Ediacara, du nom des collines au nordd’Adélaïde en Australie où l’on a trouvé les premiers fossiles de ces orga-nismes. Ces organismes ont tous disparu, ou du moins n’en a-t-on pastrouvé de formes plus récentes qui puissent leur être apparentées. C’est lapremière grande extinction que l’on ait détectée.

Bien sûr, il ne faut pas confondre ce qui est observé avec ce qui s’esteffectivement passé. Certains événements ont pu se produire sans laisserde traces. Il peut également exister des archives naturelles que l’on ne saitpas encore lire ou qui peuvent mener à diverses interprétations. Pour neprendre qu’un exemple récent, on pourra se référer au débat sur lamétéorite de Chicxulub au Mexique, censée avoir été à l’origine de ladernière grande extinction, celle des dinosaures (cf. entre autres, ledossier de La Recherche, dans son numéro d’octobre 2004).

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Le hasard en question

8. Dans le chapitre 4, on trouvera un bref exposé sur cette modélisation et les hypo-thèses que nous suggère l’utilisation du modèle.

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La figure 1.1 et le tableau 1.1 méritent quelques précisions à proposdes termes utilisés. Les espèces forment l’unité taxonomique fondamen-tale. L’ensemble des individus des populations constituant une espèceprésente une homogénéité génétique, qui, pour les populations sexuées,autorise les croisements reproductifs. C’est la seule unité taxonomiquequi ait une définition biologique fonctionnelle. Les genres sont un regrou-pement d’espèces voisines et les familles un assemblage de genres, doncaussi d’espèces. Pour le lecteur familier de la théorie des ensembles, onpeut dire que les genres constituent une partition de l’ensemble desespèces et que les familles sont une partition de l’ensemble des genres.

Cette classification hiérarchique a été établie principalement sur descritères morphologiques, c’est-à-dire des ressemblances et dissemblances

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LA NÉCESSITÉ DU HASARD

Figure 1.1. Évolution de la biodiversité au cours des âges géologiquesdepuis le pré-Cambrien telle qu’on peut l’évaluer à partir des informationsprovenant de la base de données paléontologiques développée parSepkoski concernant les fossiles d’origine marine (cf. Courtillot etGaudemer, 1996 et Pavé et al, 2002).

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entre les individus de ces groupes. À présent des données génomiques etdes méthodes de classifications statistiques sont utilisées. Des unitésd’ordre supérieur ont été aussi définies, par exemple les ordres et lesclasses, jusqu’aux « règnes » végétaux et animaux desquels, suivant lesécoles, on distingue ou non les protistes9. On comprend alors les donnéesdu tableau. Il suffit qu’une seule espèce d’un genre et d’une famillesurvive pour que ces unités taxonomiques soient présentes. Cela expliqueque le taux d’extinction de l’unité de plus bas niveau, en l’occurrencel’espèce, soit le plus important. En quelques sortes, les espèces courentplus de risques que les genres et les familles.

Enfin, on peut d’ores et déjà noter que la classification taxonomiquerecoupe en grande partie la classification historique, preuve première del’évolution. Ainsi, les poissons précèdent les batraciens et les reptiles, qui,eux-mêmes, précèdent les mammifères à la fois dans les taxinomies, clas-sements établis sur des critères de ressemblances morphologiques, et dansles archives paléontologiques, qui permettent d’établir les successionstemporelles d’apparition des grands groupes taxinomiques. Il est aussiremarquable de noter que les grandes tendances morphologiques dessi-nées dès le Cambrien soient toujours présentes.

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Le hasard en question

9. Aujourd’hui, sur des arguments provenant principalement de l’analyse molécu-laire des génomes, on propose trois règnes : les archéens, les procaryotes et les eucaryotes.

Extinctions

Familles Genres

Observé (%)

Estimation dupourcentaged’espècesdisparues

Observé (%)

Estimation dupourcentaged’espècesdisparues

Fin Ordovicien 26 84 60 85

Dévonien tardif 22 79 57 83

Fin Permien 51 95 82 95

Fin Trias 22 79 53 80

Fin Crétacé 16 70 47 76

Tableau 1.1. Estimations des taux d’extinctions (d’après Hallam A. et Wignall P.B.,1997). Que ce soit à partir du nombre de familles ou du nombre de genres, lesestimations de la proportion d’espèces disparues sont voisines.

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Le hasard dans les systèmes vivants

Quelque invraisemblable que cela paraisse, personne n’avait tenté jusque-là une théorie générale des jeux.

Les Babyloniens sont peu spéculatifs. Ils acceptent les décisions du hasard, ils lui livrent la vie.

J.L. Borges, La Loterie de Babylone, in Fictions.

Le hasard fait partie intégrante de certains processus biologiques etécologiques, et cela depuis près de 4 milliards d’années d’évolution dessystèmes vivants. En effet, comme nous allons le voir, les processusengendrant du hasard, du niveau du gène à celui de l’écosystème,produisent de la diversité biologique. C’est le « hasard créateur »(Lestienne, 1993) et c’est peut-être aussi grâce à cette diversification quela vie a pu se maintenir sur la Terre, malgré les risques encourus, avéréspar les catastrophes qui ont parsemé l’histoire de notre planète. Il est icinécessaire de reprendre la magistrale discussion menée par JacquesMonod sur le Hasard et la Nécessité dans le monde du vivant.L’interrogation fondamentale est de savoir si le hasard est nécessaire. Etsi oui, alors se pose le problème de la sélection de processus l’engendrantpour produire de la diversité afin, tout simplement, de permettre lemaintien de la vie dans un environnement lui-même aléatoire.

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C H A P I T R E

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I Le hasard et la nécessité

La question des parts respectives du hasard et de la nécessité estancienne ; une citation en première page du célèbre livre de JacquesMonod la fait remonter à Démocrite. Les mathématiciens et les physi-ciens en ont discuté, entre autres les plus grands : Pascal, Leibniz, Laplace,Boltzmann, Einstein, Poincaré. Beaucoup étaient aussi des philosophes.Les biologistes, notamment les généticiens et les dynamiciens des popu-lations, ont eu besoin du hasard pour leurs modèles. Ce fut le cas, parexemple, de Mendel, qui d’ailleurs enseignait la statistique. De son côté,Monod synthétise l’approche du couple (hasard, nécessité) par le biolo-giste et en tire une magistrale vision d’une philosophie du vivant(Monod, 1970). Les êtres vivants sont soumis au hasard des mutations etdes transformations génétiques. Ils répondent également à une doublenécessité : d’une part, interne, l’organisme est et reste fonctionnel (sesparamètres physiologiques ont un domaine limité de variations ; ils sontrégulés, comme la glycémie ou la température chez l’Homme), et, d’autrepart, externe, il doit résister à la pression de sélection imposée par sonenvironnement biophysique (prédateurs, compétiteurs, paramètreschimiques et physiques du milieu). Cela vaut aussi pour ses descendants.L’occurrence d’un événement de probabilité quasiment nulle, l’appari-tion de la vie sur une planète, la Terre, engendre ensuite un enchaînementde phénomènes déterministes physico-chimiques, ponctué d’interven-tions du hasard à travers les « mutations »10. Les conséquences en sont la

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LA NÉCESSITÉ DU HASARD

10. Bien que n’ayant pas de preuve directe, on est de plus en plus tenté de penser quel’apparition de la vie n’est pas aussi rare que le postulait Monod. C’est pourquoi unediscipline, l’exobiologie, qui étaient encore du domaine de la science-fiction dans lesannées 1970, s’est développée ces dernières années. Par exemple, il est de moins en moinsexotique de penser que la vie a existé (et existe peut-être encore) sur la planète Mars. Eneffet, on sait maintenant qu’il y eut de l’eau en surface en grande quantité (conditionnécessaire pour l’apparition de systèmes vivants de « type terrestre », notamment pour ledéveloppement d’une chimie exubérante, comme celle du carbone ; sans doute la seule,celle du silicium quelquefois évoquée est bien plus pauvre). D’autre part, la couleur rougede la planète est due à des oxydes, notamment de fer. On sait maintenant qu’une partimportante de la formation de ces oxydes, sur la Terre, résulte du dégagement d’oxygènedans l’atmosphère par des organismes photosynthétiques. Bien que d’autres mécanismespuissent être évoqués, la présence massive de ces oxydes est un argument supplémentaire.Envisager d’explorer Mars avec l’objectif de découvrir les traces de vie passée ou actuellen’est donc pas farfelu.

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rareté de la vie dans l’Univers, une évolution soumise à un jeu permanentde « roulette » engendrant beaucoup de pertes (non-viabilité de beau-coup des mutations et élimination par un processus de sélection), maisaussi des succès. Tous les systèmes vivants de la Planète – dont nous-mêmes – seraient la résultante de ces réussites et de ces échecs.

1. La théorie neutraliste de l’évolution : une nécessité douce

Introduisant le couple mutation-sélection, Monod adopte une explica-tion néodarwinienne de l’évolution. La théorie neutraliste, proposée parM. Kimura et T. Ohta (1971), postule que les organismes actuels provien-nent bien d’une suite de mutations au hasard. Mais prises individuelle-ment elles sont supposées neutres, c’est-à-dire qu’elles n’affectent pas defaçon notable le fonctionnement et la structure des organismes descen-dants de celui qui a muté. Cette théorie donne donc peu de prises à lasélection. La contrainte est alors de maintenir un état fonctionnel. C’estce que nous pourrions appeler une « nécessité douce » comparée auschéma darwinien.

L’accumulation de ces mutations au cours de générations succes-sives, conséquences du hasard, mais toujours « externalisé », expliquealors l’apparition progressive de génotypes suffisamment originaux pourêtre « détectables » dans l’histoire de la vie, c’est-à-dire présentant desphénotypes (des formes et des fonctionnements) nouveaux et suffisam-ment pérennes.

L’un des arguments qui relativise cette théorie, c’est que l’Homme autilisé avec succès le schéma néodarwinien dans les processus agronomi-ques d’amélioration des espèces cultivées ou élevées, dont nous reparle-rons dans le chapitre 3. On peut aussi souligner les résultatsexpérimentaux probants obtenus en laboratoire par les tenants de lathéorie synthétique de l’évolution. Nous en reparlerons également.

Enfin, on peut souligner que cette théorie a été bâtie principalementsur des données moléculaires (chaînes protéiques et nucléiques) et ne ditrien des cibles effectives des processus de sélection : les organismes et lespopulations.

2. Le couple hasard-nécessité

En accord avec Monod, nous avons vu qu’il y a nécessité d’un bon fonc-tionnement de la machine vivante et cela dans un environnement qui

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Le hasard dans les systèmes vivants

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varie dans le temps. Tous les résultats du hasard, les mutations et surtoutleurs expressions phénotypiques dans des organismes, ne sont pas« viables » immédiatement ou à long terme. C’est-à-dire que ces expres-sions doivent être fonctionnelles, qu’elles doivent permettre de résisteraux contraintes environnementales, et qu’elles et les descendances desorganismes en question doivent s’intégrer positivement dans le processusde sélection. Si bien que l’ensemble des possibles est souvent immensé-ment plus grand que les réalisations observées. Nécessité oblige. C’estdonc le couple « hasard-nécessité » qui joue la tragi-comédie de l’évolu-tion sur la scène du « théâtre de la vie ». Comment ce couple a-t-ilengendré des systèmes vivants, de la cellule à l’écosystème, complexes,fonctionnels, adaptables et diversifiés ? On comprend, au moins dans lesgrandes lignes, comment peut jouer la nécessité. Rappelons-le, elle inter-vient au niveau des contraintes internes, l’organisme doit être fonc-tionnel, et des pressions externes : l’individu est contraint d’entrer dansle jeu de la sélection et de s’y maintenir. On commence aussi à saisircomment les êtres vivants ont tendance à se complexifier, si du moins onsuppose que c’est un facteur de stabilité. En revanche, le rôle, la nature etl’origine de ce qu’on appelle hasard est moins évident.

Ici, nous défendons la thèse suivante : le hasard n’est pas unique-ment un fait imposé de l’extérieur ou résultant de notre ignorance, iln’est pas totalement contingent, mais résulte pour une large part d’unesélection. Le hasard est nécessaire. La sélection des mécanismes qui l’en-gendrent est une obligation pour le maintien de la vie sur notre planète.Enfin, effet indirect, ce hasard a produit de la complexité, elle-mêmefacteur d’adaptation et de résilience11 des systèmes vivants.

3. Hasard et évolution : la nécessité du hasard

Les éléments présentés ici n’ont rien d’original pris séparément, maisc’est leur articulation qui semble apporter du nouveau. Ainsi, pouravancer dans notre démonstration, il faut analyser les degrés d’interven-tion du hasard, les processus concernés, leurs effets et leurs conséquences.

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11. Ce terme vient de la mécanique, il désigne la capacité d’un objet de ne pas sebriser en amortissant les chocs et en revenant ensuite à son état initial ou dans un étatproche de cet état initial. Il a été étendu à des systèmes naturels, et même aux êtreshumains, en physiologie mais aussi en psychologie. Il traduit la possibilité de résister à desperturbations.

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Cette présentation est faite dans l’ordre des niveaux d’organisation duvivant : gène et génome, organisme, population, communauté, écosys-tème. C’est ce qui nous est apparu le plus pertinent. Ensuite, la distribu-tion des êtres vivants dans l’espace superficiel et hétérogène de notreplanète apporte la nécessaire dimension écologique. On introduit égale-ment le temps, le temps long, celui de l’évolution. Il nous permet demieux comprendre la nécessité du hasard et aussi pourquoi des méca-nismes qui l’engendrent auraient été sélectionnés. On essaie aussi desaisir comment ce temps et cette distribution ont pu jouer pour accroîtrela complexité, et de là aboutir à cette organisation hiérarchique dessystèmes vivants, sur laquelle précisément notre exposé repose12. Etenfin, on se demande comment cela peut se traduire pour mieux gérernotre avenir commun sur la Planète, celui de l’Homme et celui des autresêtres vivants constituant la biosphère.

4. Du gène à l’écosystème, le hasard dans les niveaux d’organisation du vivant

Là où le hasard joue, la diversité est engendrée. Fondamentalement, labiodiversité est liée à la diversité des génomes. De multiples mécanismesla produisent. Ils existent du niveau du gène et du génome à celui d’en-sembles de génomes portés par les organismes constituant une popula-tion. On peut même généraliser à l’ensemble des populations constituantune espèce. Mais cette diversité ne s’exprime durablement que si les orga-nismes, engendrés et regroupés dans une ou plusieurs populations, révè-lent quatre aptitudes principales.

D’abord, ils peuvent survivre dans un environnement donné, c’est-à-dire dans un écosystème avec ses composantes biologiques (les autres êtresvivants qui le peuplent), chimiques (les corps et espèces chimiques), physi-ques (les états de la matière et les paramètres comme la température),géologiques (les minéraux et leur organisation) et édaphiques (les sols).

Ensuite, ils savent aussi s’adapter à la distribution de ces compo-santes dans l’espace et à leurs fluctuations dans le temps, comme lesvariations saisonnières ou l’arrivée d’organismes exotiques. C’est ce quecertains appellent la « plasticité phénotypique ».

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12. En espérant ne pas faire une tautologie. Encore qu’en utilisant le compas tauto-logique, on puisse trouver quelques nouveaux caps.

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Ils ont aussi la capacité de résister à des conditions « exceptionnelles »,telles des saisons « chaudes et sèches », ou des phénomènes accidentels,comme des inondations, ou encore l’apparition de pathogènes (robustesse).

Enfin, ils peuvent se reproduire pour laisser une marque durable.Parfois, ils sont à l’origine d’autres populations, plus ou moins diffé-rentes de celle d’origine (reproductibilité).

La sexualité est une cause importante de diversité. Une part essen-tielle est laissée au hasard et « La sexualité fournit ainsi une marge desécurité contre les incertitudes du milieu. C’est une assurance sur l’im-prévu » (Jacob, 1981). C’est sans doute la meilleure interprétation évolu-tive de la sexualité. Mais ce n’est pas le seul processus impliqué établissantles termes de ce « contrat d’assurance ».

Au niveau régional ou local, ces populations doivent avoir la possi-bilité de se répartir au mieux dans un espace écologique convenable (unhabitat), qui permet à une espèce de se maintenir en évitant qu’un acci-dent ponctuel (un feu, une inondation, un impact météoritique) nemette en cause son existence.

Mais il reste à expliquer le maintien de la diversité. En effet, l’un desrésultats de l’écologie théorique montre qu’à terme, l’espèce la mieuxadaptée à un milieu donné devrait avoir tendance à exclure les autres ;c’est l’exclusion compétitive. Comment donc expliquer que des systèmesdiversifiés se soient installés et maintiennent leur diversité sur le longterme à l’instar de la plupart des récifs coralliens et des forêts intertropi-cales humides ? Et même qu’un système écologique laissé à lui-même atendance à se diversifier ?

Nous allons donc examiner les mécanismes de diversification, lesmécanismes d’installation et les mécanismes de maintien de la biodiver-sité aux principales échelles et niveaux d’organisation du vivant.

II Mécanismes connus de diversificationgénétique

1. La diversification au niveau du gène : au hasard des mutations ponctuelles

Les mutations ponctuelles peuvent modifier un gène en changeant lesens d’un codon par modification d’un nucléotide (cf. figure 2.1). La

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protéine qui en résulte est peu changée, quelquefois pas du tout si lecodon muté est un synonyme du codon originel. En revanche, lasuppression (délétion) ou l’addition (insertion) d’un codon peuventperturber profondément la traduction de ce gène en introduisant undécalage dans la transcription. On attribue ces mutations ponctuelles àdes facteurs physiques, telles les radiations naturelles, ou chimiques,comme les produits mutagènes. Ces facteurs sont aléatoires et externes.Par exemple, l’occurrence des radiations naturelles est, au moins en unlieu et pendant un assez long intervalle de temps, un processus station-naire et homogène dans le temps. Ce processus porte le nom de soninventeur, le mathématicien Poisson13.

Cependant, pour « limiter les dégâts », des mécanismes de répara-tion existent au niveau cellulaire, en prenant comme référence laséquence complémentaire portée par l’autre brin de l’ADN. Lesfréquences de persistance des mutations au niveau de l’ADN, après répa-ration, sont de l’ordre de 10-10 entre deux réplications14. Les erreurs auniveau de la transcription et de la traduction ont des fréquences plusélevées, mais les protéines produites sont rapidement dégradées.

Heureusement, les modifications sont souvent mineures. Elles nechangent que faiblement l’activité de la protéine codée. Dans d’autrescas, plus rares, l’activité de la protéine peut être très diminuée, voirecomplètement différente. Il arrive même qu’elle ne soit plus synthétisée.Les diverses formes d’un gène, résultant de cette différentiation, sontappelées allèles de ce gène. Ces allèles vont donc conduire à des protéinesdifférentes plus ou moins efficaces et donc avoir une incidence sur lefonctionnement ou la structure d’un organisme.

Les organismes supérieurs sont pour la plupart diploïdes, c’est-à-dire portant un nombre donné de paires de chromosomes (23 paireschez l’Homme, donc 46 chromosome ; 22 paires sont constitués de chro-mosomes deux par deux morphologiquement identiques, les autosomes,

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13. Parmi les lois de probabilité connues, celle donnant la probabilité du nombred’occurrences de tels événements dans un intervalle de temps ou d’espace est appelée loide Poisson.

14. Dans l’ouvrage collectif Qu’est-ce que la diversité de la vie ? édité par l’Universitéde tous les savoirs, sous la responsabilité d’Yves Michaud (2003), on pourra trouver denombreuses données et réflexions sur la biodiversité et les mécanismes d’émergence decette biodiversité. Pour ce qui concerne le rôle évolutif du hasard, il est évidemment misen avant mais sans mention d’une possible sélection des mécanismes le produisant.

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et une paire de chromosomes caractéristiques du sexe, identiques, notésXX, pour le sexe féminin ou différents, notés XY, pour le sexe masculin ;ces notations viennent de la forme des chromosomes en question quiressemblent à ces lettres).

Conséquences de la reproduction sexuée, les chromosomes appariéscorrespondent à deux copies du génome provenant des parents. Cescopies ne sont pas tout à fait identiques. En particulier, un même gènepeut se présenter sous des formes alléliques différentes qui seront ulté-rieurement transmises à la descendance. C’est l’étude de l’expression deces formes alléliques, de leur traduction au niveau de l’organisme, carac-térisant ce qu’on appelle son phénotype, qui a conduit aux premièresétudes génétiques.

Enfin, de nombreuses mutations sont extérieures aux partiescodantes de l’ADN. En principe, elles sont sans effet.

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Figure 2.1. Exemples de mutations ponctuelles. Les mutations ponctuellesne portent que sur un nucléotide, mais peuvent engendrer de grandsbouleversements dans les cas des délétions ou des insertions. Pour ungène exprimé, le décalage dans la transcription engendre des modificationsdans la traduction et change profondément la structure de la protéineproduite. Les mutations sur les codons d’initiation ou d’arrêt de la traduc-tion (non représentés ici) peuvent aussi avoir des conséquences impor-tantes. Dans la partie droite de la figure, les étapes du passage de l’ADNà la protéine ont été figurées (transcription de l’ADN en ARN messager puistraduction en protéine, c’est-à-dire une chaîne d’acides aminés).

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Rappel

L’information génétique est portée par une chaîne d’ADN, AcideDésoxyriboNucléique, contenue dans le noyau et dont les éléments sont desnucléotides. Les parties signifiantes de ces monomères sont des moléculesorganiques azotées, notées : A, C, G et T (A = adénine, C = cytosine,G = guanine et T = thymine). Une telle chaîne peut s’écrire comme une suite de lettres, dont un morceau peut être noté, par exemple :…GCTACTAATA… (les « … » signifient que la chaîne se poursuit à gaucheet à droite).Sans entrer dans les détails, retenons que des morceaux d’ADN sonttranscrits sous forme de chaînes d’ARN, Acide RiboNucléique, où, dupoint de vue de la séquence, la thymine (T) est remplacée par une autremolécule, l’uracile (U). Ces molécules lorsqu’elles sont utilisées pourproduire des protéines sont notées ARNm (ARN messager, l’Hermès de lacellule). Lors de la synthèse des protéines, ces morceaux seront traduits ensuites d’acides aminés constituant ces protéines. Ainsi, le morceau priscomme exemple sera transcrit en : …GCUACUAAUA… Si l’on prend desgroupes de 3 lettres depuis le début de la séquence, à chaque groupe oucodon correspond au plus un acide aminé, ainsi le groupe GCT (del’ADN) transcrit en GCU, dans l’ARN, correspond à l’alanine. En outre,trois groupes dits « non sens » ponctuent la séquence, notamment poursignaler le début et la fin. Pour les 20 acides aminés courants, il y a donc61 codons possibles. L’application de l’ensemble des codons, moins les3 de ponctuation, dans l’ensemble des acides aminés n’est donc pas bijec-tive. Il y a donc des codons « synonymes » qui codent pour le même acideaminé.Une mutation ponctuelle se traduit par une modification au niveau d’unnucléotide (modification de la molécule azotée, délétion ou insertion).Une telle modification peut avoir des conséquences différentes illustréespar la figure 2.1 (les parties modifiées sont en gras, les espaces entrecodons ne sont ajoutés que pour faciliter la lecture). On notera que laséquence choisie en exemple comporte 10 nucléotides : 3 codons plus unnucléotide à droite, premier d’un quatrième codon. Ce nucléotide (A) aété inclus dans l’exemple pour illustrer l’influence d’une délétion.

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2. Organisation et plasticité du génome : les aléas des mutations par morceaux

Les mécanismes identifiés au niveau du codon concernent aussi de plusgrandes parties d’ADN : morceaux de gènes, gènes entiers ou ensemblesde gènes. On distingue la délétion (suppression d’un morceau d’ADN),l’insertion (addition d’un morceau d’ADN à un endroit du génome), latransposition (changement de position), la duplication (un morceaud’ADN est copié et inséré), quelquefois des invasions (de multiples copiessont faites et insérées). Dans le cas de l’insertion, les morceaux ajoutéspeuvent venir du génome lui-même, d’un autre génome de la mêmeespèce, voire d’une espèce différente. C’est ce qu’on appelle le « transferthorizontal » de gènes. Ce mécanisme a été « domestiqué ». C’est celui qui,couplé à l’excision (une délétion contrôlée), permet d’obtenir ce qu’onappelle des organismes génétiquement modifiés, les fameux OGM.

Ces modifications se produisent spontanément et « naturellement ».Elles ont toutes une faible probabilité d’intervenir et, pour des raisonsfonctionnelles, encore une plus faible de se maintenir, comme certainesmutations ponctuelles. En effet, beaucoup d’entre elles ne permettent pasune activité cellulaire correcte et donc oblitèrent celle de l’organisme. Siles mécanismes moléculaires ont été largement identifiés et sont utilisésen génie génétique, en revanche le déterminisme de leur activation natu-relle est peu connu et souvent cette activation apparaît comme se faisantau hasard dans le temps.

a. Les procaryotesLes procaryotes, essentiellement des bactéries, sont des organismesunicellulaires où l’on ne distingue pas de structures nucléaires au micros-cope, contrairement aux eucaryotes. Mais ils portent, comme tout orga-nisme vivant, un génome sous la forme d’un double brin d’ADN, cettechaîne étant fermée sur elle-même et formant une boucle. On le désignesous le terme générique de « chromosome » bactérien. Les mécanismesde brassage de ce génome sont ceux qui viennent d’être décrits.

Chez certains micro-organismes, des gènes, appelés gènes SOS, sontdévolus à la réparation des mutations ponctuelles. Mais ils peuvent voirleur activité changer et au contraire accélérer les modifications. Ce chan-gement d’activité, qui peut être de plusieurs ordres de grandeur (multipliépar 10, 100, 1 000 voire même 1 million) s’observe lorsque ces organismessont plongés dans des milieux hostiles. Cette accélération conduit à élever

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la fréquence des mutations et ainsi à accroître rapidement la diversitégénétique de la population. Il en résulte une augmentation de la probabi-lité d’apparition d’un variant résistant ou même adapté au milieu.

Il existe aussi des mécanismes d’échange d’ADN entre cellulesbactériennes, en particulier de morceaux d’ADN : les facteurs F (dits defertilité), appelés plus généralement des épisomes, dont l’intégralité ouseulement une partie peuvent s’intégrer au chromosome bactérien etinversement s’en extraire. Ils sont dupliqués avec le génome. Les plas-mides sont des unités circulaires d’ADN, qui se répliquent de façonautonome et qui ne s’intègrent pas dans le chromosome bactérien. Deséchanges avec le chromosome bactérien sont cependant possibles, parexemple par des mécanismes de type « crossing-over »15. Ces méca-nismes sont une source importante de variabilité génétique et c’est parl’intermédiaire des plasmides que passent des gènes de résistance auxantibiotiques.

b. Les eucaryotesChez les eucaryotes, le noyau est identifiable. Lors de la division cellulaireapparaît une structuration du génome en chromosomes. Un chromo-some est une structure interne au noyau cellulaire. Il est composé d’unemolécule d’ADN double brin et de protéines. Un organisme diploïdeporte n paires de chromosomes (par exemple, 23 paires chez l’Homme),soit 2n chromosomes (46, chez l’Homme). À l’exception des chromo-somes sexuels, les deux d’une paire portent des gènes identiques, mais,comme nous l’avons vu précédemment, le plus souvent sous formes dedeux allèles différents. Pour cette raison, l’on parle de chromosomeshomologues, et non identiques, pour les désigner. Ils se déduisent l’un del’autre, à la composition allélique près. C’est une forme de redondancesupplémentaire qui améliore la fiabilité de l’expression du génome et desa transmission. Cependant, des « accidents » chromosomiques, concer-nant donc de larges morceaux du génome, peuvent se produire, parexemple, des translocations, des inversions, des duplications, descrossing-overs. Ceux qui conduisent à des individus viables et fertiles sonttransmissibles à la descendance. Ces accidents participent donc à l’ac-croissement de la diversité.

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15. Ce mécanisme est présenté plus loin pour les organismes supérieurs.

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c. Cas particulier de la duplication des gènes

La duplication est un mécanisme important si l’on en juge par lafréquence des séquences répétées. Par exemple dans le génome humainelles représentent environ 50 % de ce génome. Parmi celles-ci lesséquences répétées d’un même gène jouent un rôle fonctionnel particulier.

La duplication de gènes semble se produire de façon aléatoire aucours du temps dans un phylum. Une duplication peut être simple oumultiple. Les gènes dupliqués peuvent être adjacents ou non. Lesséquences dupliquées correspondantes portent des traces de mutations

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Encadré 2Brassage du génome : représentation schématique des principaux mécanismes connus

DélétionUn morceau peut êtreperdu, réinséré ailleursdans le génome ou mêmetransféré à un autregénome de la mêmeespèce ou d’une autre.

InsertionUn morceau peut provenird’un autre endroit du même génome, d’un autregénome de la mêmeespèce ou d’une autre.

TranspositionUn morceau est coupé et inséré ailleurs dans le génome. C’est donc la composition d’une délétion et d’une insertion.

DuplicationUn morceau est dupliquésur place (délétion etdouble insertion).

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ponctuelles. En analysant ces séquences et en détectant les différencesrésultant de ces mutations, on peut reconstituer les événements succes-sifs et l’histoire de la séquence finale.

Ainsi, la figure 2.2 montre l’histoire des 9 gènes variables du locus durécepteur Gamma des cellules T humaines. Dans cette histoire, l’événe-ment le plus récent implique une double duplication où 2 gènes contigusont été dupliqués simultanément pour produire 4 copies adjacentes. Cetévénement n’a pas été fixé dans certaines populations humaines, qui doncne portent que 7 copies sur ce locus. Cela correspond au polymorphismemajeur de ces populations ; elle a une forte prévalence au Moyen-Orient.Ces résultats ont été obtenu grâce à des approches bioinformatiques parl’équipe d’Olivier Gascuel à Montpellier (Bertrand et Gascuel, 2005).

La multiplication des copies d’un gène conduit le plus souvent à uneamplification de l’expression de ce gène et à des possibilités de modula-tion de cette expression par des répressions partielles, d’où leur impor-tance fonctionnelle.

Dans cet exemple des échelles de temps et des niveaux d’organisationdifférents sont impliqués : de l’échelle de l’évolution, de la duplication et

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Figure 2.2. Arbre de duplication décrivant l’histoire évolutive des 9 gènesvariables du locus du récepteur Gamma des cellules T humaines. L’ordre estdéterminé grâce aux petites différences qui sont apparues au cours dutemps entre les diverses séquences V1, V2, …, V8. On notera la duplicationdouble intervenue la dernière. La construction de ce type d’arbres fait appelà des algorithmes sophistiqués (figure tirée de Bertrand et Gascuel, 2005).

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de sa fixation correspondant à de multiples générations et populations(voire espèces), à celle, physiologique, des conséquences de l’expressiondes gènes dans un organisme particulier.

On notera enfin que d’autres types de séquences répétées se trouventdans le génome : celles qui correspondent à des transposons et celles quiforment l’ADN dit « micro ou minisatellite » de répétition de courtesséquences de nucléotides. Ces deux derniers types de séquences répétéespeuvent avoir un effet délétère.

d. ÉpigénétiqueCe domaine de recherche maintenant très actif concerne ce qui est héri-table et qui ne suit pas les schémas classiques, en impliquant d’autresfacteurs de diversification dont l’émergence semble encore une fois aléa-toire. Citons : la méthylation réversible de l’ADN, les prions, les petitsARN interférants. Ainsi, l’ARN produit du gène HAR1 (HumanAccelerated Region 1, Pollard et al., 2006) de la région non codante del’ADN humain, marque la différence Homme/Chimpanzé.

e. Conclusion : diversité des mécanismes de modification du génomeOn remarque donc une pluralité de mécanismes pouvant participer auxmodifications du génome et à différentes échelles, du nucléotide à desensembles de gènes ou de séquences nucléotidiques non traduites. Cesmécanismes semblent se déclencher de façon aléatoire et les recherchesde déterminismes sous-jacents n’ont pas apporté de résultats convain-cants, sauf évidemment quand ils sont activés volontairement au labora-toire, par exemple par l’utilisation de radiations ionisantes ou deproduits mutagènes. On peut se demander pourquoi une telle variété demécanismes existe. Cela étant, ces mécanismes constituent la premièresource de la diversité biologique. Elle s’exprime dans la descendance.Son étude demande donc d’examiner les processus mis en œuvre dans lareproduction, puis son expression au niveau des populations.

3. La reproduction et la transmission de l’information génétique : le brassage des cartes

La sexualité est donc considérée comme une machine à faire du différent.

F. Jacob, Le Jeu des possibles.

La reproduction est le mécanisme fondamental qui caractérise lessystèmes vivants. Elle se fait quasiment à l’identique, à de subtiles varia-tions près. Pour les cellules et les organismes, l’information génétique est

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transmise aux descendants. Elle peut également être modifiée lors duprocessus, en particulier chez les organismes supérieurs sexués.

La reproduction des procaryotes et des eucaryotes monocellulairesse fait par division cellulaire ou « scissiparité ». Lors de la duplication dumatériel génétique, des modifications peuvent se faire, notamment lechangement de position de morceaux du génome. Cependant, les cellulesfilles portent un génome très voisin de celui de la cellule mère aumoment où elle se divise. Les modifications les plus importantes dugénome sont faites avant.

a. La reproduction sexuée : production des gamètesLa reproduction des eucaryotes multicellulaires, ou « métazoaires », sefait de différentes façons, mais la plus répandue est la reproductionsexuée. C’est celle qui peut engendrer la plus grande diversité puisque lareproduction asexuée engendre des clones, très proches génétiquementdu parent. Ces organismes sont diploïdes, c’est-à-dire, comme nousvenons de le voir, portent un nombre pair de chromosomes 2 à 2 homo-logues, sauf pour une paire chez le mâle : les chromosomes sexuels (cf.figure 2.3). La moitié des chromosomes vient de chacun des parents del’individu en question. Chez les végétaux, il y a possibilité de formuleschromosomiques polyploïdes, c’est-à-dire qu’ils portent plus de 2n chro-mosomes (par exemple, les tétraploïdes, avec 4n chromosomes). C’est unmécanisme supplémentaire de diversification.

La plupart des cellules d’un organisme sont dites somatiques, ellesassurent la structure et le fonctionnement de cet organisme. Leur divi-sion est appelée mitose. Elle produit deux cellules filles génétiquementtrès proches de la cellule mère. Cependant des modifications infimespeuvent produire de grands désordres, voire des pathologies comme lescancers. Lors du développement d’un organisme, suivant les lignéescellulaires, le génome est partiellement exprimé, ce qui mène à une diffé-rentiation en types cellulaires ayant des fonctions précises. Elles formentdes organes. Des mutations somatiques sur des points sensibles dugénome peuvent désorganiser ce processus de développement. Mais cesmutations ne sont pas transmises dans la descendance.

D’autres cellules sont dites germinales, elles sont spécialisées dans lareproduction. Lors d’une division, la « méiose », le noyau parental peutengendrer 4 noyaux différents. Chacun de ces noyaux porte n chromo-somes (cellules haploïdes). Au cours de la division, il peut se produire un« crossing-over », c’est-à-dire un échange entre morceaux de chromosomes

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homologues, si bien que les 4 cellules filles possibles ont alors des chro-

mosomes dont le contenu génétique diffère de celui de la cellule mère. En

effet et dans ce cas, il y a eu des échanges entre chromosomes homolo-

gues qui peuvent porter des allèles différents d’un même gène. Ces

cellules issues de la méiose sont des gamètes, ce sont des cellules repro-

ductrices haploïdes (ovocytes et spermatozoïdes). Concrètement, un

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Figure 2.3. Exemple d’une transmission génétique sur trois générations.Conventionnellement les chromosomes de chaque individu de la générationG-1 (les ascendants dans le texte) ont été représentés de façon homogènepour chaque individu, avec distinction du sexe (XX = femelle, XY = mâle).Les différences entre individus sont traduites par le type de caractères et leniveau de gris. Le processus de production des gamètes haploïdes estdétaillé entre la génération G0 et la génération G1. On a supposé l’occur-rence d’un crossing-over entre les chromosomes X pour le parent de droite(sexe féminin). Pour simplifier on a encore supposé qu’un seul descendanta été engendré ; a priori il n’y avait qu’une chance sur 16 d’avoir cette confi-guration génétique particulière. Quand on ajoute les autres sources dediversité (allèles, mutations diverses), on comprend la diversité des descen-dants provenant des mêmes parents, mais en restant dans une gammelimitée de configurations possibles et viables. Cette figure illustre aussi ladouble tendance à la diversification et à la dilution des gènes des ascen-dants. Le rôle « diversificateur » de la reproduction sexuée apparaît ainsiclairement. Enfin, les chromosomes X et Y sont, dans cet exemple, les chro-mosomes sexuels (XX pour le sexe féminin, XY pour le sexe masculin) et leschromosomes I représentent les autosomes qui ne présentent pas de diffé-rences morphologiques deux à deux entre les deux sexes.

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nombre important de gamètes est produit conduisant par le biais deremaniements chromosomiques, comme le crossing-over, à un grandnombre de génotypes différents dans le détail.

Par le jeu des multiples crossing-overs et d’autres modifications, laconstitution génétique des gamètes diffère plus de la structure génétiquede l’individu qui les produit que les cellules somatiques. Les gènes sontles mêmes, aux mutations près, mais leur distribution chromosomiquespeut être modifiée. En effet, les chromosomes homologues se distri-buent de façon aléatoire dans les gamètes, indépendamment de l’origineascendante. Ainsi, une partie des chromosomes provient de l’un desancêtres de cet individu, l’autre partie de l’autre ascendant. Le génomehaploïde produit est transmis dans la descendance. C’est la deuxièmesource de production de la diversité biologique chez les organismessupérieurs16.

b. La reproduction sexuée : fécondation et fusion des gamètesLe développement d’un nouvel individu commence après la fécondationet la fusion des gamètes. Lors de cette fusion, deux génomes sont asso-ciés, l’un provenant de la mère, l’autre du père. En remontant d’unegénération, les chromosomes proviennent pour une partie aléatoire dugrand-père et l’autre, évidemment aussi aléatoire, de la grand-mère.Certains d’entre eux peuvent aussi avoir une origine mixte. La mise encommun de deux patrimoines génétiques différents est la troisièmesource de diversité biologique.

c. Autres modes de reproductionComme nous l’avons déjà souligné, il existe d’autres modes de reproduc-tion, des « essais » qui semblent fonctionner et durer bien que certains neproduisent pas le brassage du génome auquel conduit la reproductionsexuée. On en trouve chez les animaux (exemple de la parthénogenèse)et chez les végétaux (exemples de la reproduction végétative ou de l’apo-mixie). Mais dans la plupart des cas connus, il y a des phases sexuées quijustement permettent de redistribuer le jeu ou des mécanismes de régu-lation pour ménager un brassage génétique.

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16. On estime à 1 nucléotide sur 500 la différence entre deux brins d’ADN d’unmême organisme, l’un apporté par le père et l’autre par la mère, et à 1/185 la différenceentre deux brins provenant d’individus de la même espèce, c’est ce qu’on appelle la varia-bilité intraspécifique (d’après Stephens et al., 2001).

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d. Les transferts horizontaux et verticauxNous venons de voir comment se fait la reproduction au sein d’uneespèce. Le passage de l’information génétique se fait « verticalement » deparents à enfants. Les chromosomes et l’ADN qu’ils contiennent portentcette information. On peut aussi signaler un mécanisme particulier chezles métazoaires sexués, à savoir le passage d’une information génétiquepar les « mitochondries ». Ces petits organites cellulaires contiennent eneffet de courts segments d’ADN. Or, au moment de la reproduction seull’ovocyte contient ces organites. Il s’agit d’un transfert vertical de gènesprovenant uniquement de la mère. Nos mitochondries portent donc uneinformation génétique provenant uniquement de nos ancêtres mater-nels. Les modifications génétiques de ces organites ne procèdent à notreconnaissance que de mécanismes analogues à ceux de micro-organismessymbiotiques dont on suppose qu’ils descendent.

Une espèce n’est pas homogène génétiquement, il existe des groupesformant des variétés génétiques identifiables, ou « variants ». Cesderniers peuvent se croiser ou être croisés et ainsi créer d’autres variétés.Quelquefois aussi des croisements sont possibles entre espèces voisines.On appelle hybridation ceux qui sont réalisés entre variétés ou espècesvoisines (exemple du mulet, résultat du croisement entre un âne et unejument). Cette hybridation peu fréquente chez les animaux, et pour euxle plus souvent non fertile, est en revanche largement répandue chez lesplantes, notamment grâce à la possibilité de polyploïdie.

Par ailleurs, on a pu mettre en évidence des transferts de gènes entreindividus d’une même espèce qui ne passent pas par les mécanismes dereproduction. On peut également observer des transferts spontanés degènes entre individus d’espèces différentes. Nous y avons déjà fait allu-sion. In natura, ce transfert est souvent assuré par un « vecteur », parexemple un virus, suivi d’une insertion dans le génome. On rappelle quece transfert de gène est dit « horizontal ». Par opposition on appelle untransfert « vertical » les gènes qui passent par la reproduction. Soulignonsque le transfert horizontal peut se produire à n’importe quel moment dela vie d’un individu. S’il s’agit d’un individu monocellulaire la modifica-tion correspondante est transmise à la descendance. Pour un métazoaire,elle ne touche la lignée que si les cellules germinales sont concernées.

En fait, les transferts verticaux et horizontaux apparaissent lorsqueles conséquences de manipulation génétiques opérées par l’Homme sontobservées. Il s’agit de la sélection variétale et de la création d’hybrides,

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opérées depuis les origines de l’agriculture et de l’élevage, et plus récem-ment de la création de nouveaux variants par transfert de gènes, pourobtenir ce qu’on appelle les « organismes génétiquement modifiés ».

Il faut cependant souligner que ces mécanismes existent spontané-ment dans la « nature ». L’Homme n’a fait que les comprendre, les utiliser,les amplifier et tenter de les contrôler. Il n’est pas de notre propos dediscuter ici de cette question qui fait l’objet d’âpres débats. Il est seule-ment nécessaire de souligner que, dans l’activation et l’occurrence spon-tanées de ces mécanismes, le hasard joue aussi. Concernant les hybrides,le mode de création est celui de la reproduction. On ne peut pas àproprement parler d’autres sources de diversité génétique, sauf de souli-gner que l’Homme en forçant cette hybridation est lui-même créateur dediversité. Mais là, le hasard ne joue plus sauf au niveau de la méiose avecdes modifications possibles de l’ordre des gènes sur les chromosomes. Enrevanche, le transfert horizontal de gènes constitue une quatrièmesource de diversité génétique. Dans ses tentatives actuelles pour effectuerce type de transfert, l’Homme participe encore activement à la diversifi-cation, mais là aussi le hasard ne joue quasiment plus, sauf dans les aléasde la manipulation. Les inquiétudes actuelles portent sur les risquespotentiels que font courir ce type d’expériences et surtout sur les appli-cations qui pourraient en résulter17…

III La cellule et l’organisme : un hasard limité

L’expression du génome conduit à une cellule. Les cellules peuvents’assembler en organes et organismes. Ces assemblages dépendent ausside l’expression du génome. Un organisme est une entité vivante identi-fiable avec une frontière bien définie entre le monde extérieur, sonenvironnement, et son intérieur. Un organisme est monocellulaire ou

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17. C’est du moins une question prégnante au moment où ces lignes sont écrites.Cependant le débat social, et même celui mené par la communauté scientifique, a du malà ne pas mélanger risque économique et politique, d’une part, et risque biologique etécologique, d’autre part, sans ignorer non plus le risque « idéologique ».

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multicellulaire. L’expression du génome définit les traits fondamentaux desa morphologie et les éléments essentiels à son fonctionnement, à saphysiologie. On distingue d’une part la structure, c’est-à-dire la « carros-serie » et le « moteur » de la « machine vivante », et, d’autre part, les prin-cipaux mécanismes de contrôle du fonctionnement de cet organisme.

1. Une machine vivante

Un organisme est une machine dynamique qui s’auto-construit et s’auto-entretient. Elle se développe à partir d’une seule cellule. Ensuite et, poursa plus grande partie, elle est en constant renouvellement. Des cellulesmeurent, d’autres leur succèdent. Des macromolécules sont dégradées,d’autres sont synthétisées. Ces processus résultent de l’expression dugénome, modulée par l’état et la dynamique de l’individu, ainsi que pardes facteurs environnementaux. Ces changements constituent une véri-table évolution de l’organisme au cours de sa vie, qui lui permettent des’adapter à des variations internes ou environnementales.

L’expression du génome peut aussi conduire à des phénotypes unpeu différents à partir d’un même génotype, comme on le constate pourles clones végétaux ou pour des vrais jumeaux animaux, humains enparticulier, qui exhibent des différences phénotypiques. L’organisme etson fonctionnement dépendent de son génome, mais de façon plussubtile que l’application d’un simple algorithme numérique et du schémaclassique de la biologie moléculaire comme le montre l’épigénétique.C’est pourquoi la seule donnée de la séquence d’ADN ne suffit pas àdéterminer et à comprendre la structure et le fonctionnement d’un orga-nisme. C’est pour cela aussi que la biologie actuelle s’intéresse à l’expres-sion de ce génome, à ses changements au cours du temps, suivant unedynamique propre ou conditionnée par des facteurs environnementaux.

2. Homogénéité individuelle, diversité des organismes

Ainsi la multiplicité des facteurs internes et externes introduit une sorte de« bruit », de « hasard », dans l’expression du génome et contribue ainsi àune diversification des formes et des physiologies, même pour des indi-vidus ayant un même génome. Mais cette diversité est très faible. Elle estun peu plus importante pour les individus d’une même lignée, c’est-à-direayant les mêmes parents, mais provenant de fécondations différentes. Elleest encore plus importante entre les individus d’une même population,

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puis entre ceux d’une même espèce. Progressivement la diversitéaugmente avec la distance familiale, puis populationnelle et spécifique.

Si l’on regarde maintenant l’ensemble des organismes vivants, onobserve une grande diversité phénotypique, en particulier de formes etde fonctions, notamment de métabolismes. Les grandes classifications duvivant ont été établies à partir des ressemblances et dissemblances entreles morphologies, si bien que l’on confond souvent la diversité biolo-gique avec celle des formes des différents organismes. Depuis peu onutilise les génomes ou certains fragments pour analyser à nouveau cesclassifications et en établir éventuellement de nouvelles (cf. note 9).L’évolution moléculaire replace ces analyses dans un schéma historique.Les études récentes de la biologie du développement montrent que desmécanismes morphogénétiques sont communs à de nombreuses espècespouvant être très éloignées sur le plan phylogénétique. C’est le cas, parexemple, pour l’axe de symétrie bilatéral, et pour les axes de développe-ment dorsoventral et antéropostérieur. On les retrouve aussi bien chezdes insectes comme la drosophile, chez les oiseaux ou encore chez lesmammifères, telles des « variations sur un même thème ».

On observe également une diversité fonctionnelle, c’est-à-dire desmétabolismes et des physiologies très différentes. Cette diversité s’orga-nise cependant autour de grandes fonctions métaboliques (productiond’énergie, assimilation, dégradation et synthèse des structures biologi-ques, activités électriques et mécaniques, reproduction) et sur unnombre limité de grands schémas. Ainsi le monde végétal est largementphotosynthétique, et le monde animal uniquement chimiosynthétique.

Rappelons que les organismes photosynthétiques tirent leur énergiede la lumière et le carbone du gaz carbonique atmosphérique. Les photo-autotrophes, contraction de photosynthétiques et autotrophes, sontphotosynthétiques tout en tirant du monde minéral les éléments supplé-mentaires dont ils ont besoin. Pour les photo-hétérotrophes, de la matièreorganique leur est en plus nécessaire. Les chimiotrophes tirent leurénergie de substances puisées dans le milieu, inorganique ou organique.On distingue aussi les chimio-autotrophes, qui extraient leur carbone dugaz carbonique et leur énergie par oxydation de substances inorganiquesdu milieu (par exemple d’hydrogène sulfuré pour les bactéries des grandsfonds océaniques), et les chimio-hétérotrophes, qui tirent leur énergie etleur carbone de substances organiques du milieu (par exemple de sucreset d’acides aminés pour les animaux). Cette classification est simple, mais

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lors de l’évolution, une grande diversité de mécanismes a été mise enplace pour assurer ces fonctions de base, y compris des mécanismesécologiques (par exemple, les relations « mangeurs-mangés » dans leschaînes trophiques). Elle se fonde essentiellement sur des relationscoopératives. Par exemple, des bactéries capables de fixer de l’azoteatmosphérique s’associent à des végétaux auxquels elles fournissent desproduits azotés assimilables. En retour, elles obtiennent des métabolitesqui leur permettent des « économies d’énergie ». Ainsi l’association entreles bactéries du genre Rhizobium, fixatrices d’azote, et le soja a été trèsétudiée pour des raisons économiques mais aussi scientifiques, car ils’agit d’un bon « modèle biologique ». Enfin, comme nous l’avons signaléprécédemment, il semble que les mitochondries proviennent de micro-organismes symbiotiques qui se sont intégrés dans les cellules des orga-nismes supérieurs. C’est une relation coopérative poussée à l’extrême.

3. Une structure coopérative

Au niveau de l’organisme, à part dans le processus de reproduction, lehasard apparaît plutôt dans les mécanismes de réponse aux aléas dumilieu. C’est le cas du système olfactif et du système immunitaire quenous présentons à la section suivante. En effet, une perturbation aléatoire(un antigène ou une odeur) va enclencher une réponse physiologiquequi va intégrer et traduire cet aléa externe. Cependant, des résultatsrécents montrent que d’autres processus, notamment moléculaires, fontaussi appel au hasard, par exemple dans l’expression aléatoire de certainsgènes bactériens (Kupiec, 2006).

Dans sa diversité, on connaît l’extraordinaire précision du dévelop-pement embryonnaire et la finesse des processus de régulation physiolo-gique ultérieurs. Quelle que soit la solution sélectionnée, la machine doitêtre bien construite. Elle ne peut se permettre un fonctionnement tropaléatoire. Elle est aussi adaptable.

Depuis l’article fondateur de Norbert Wiener (1947), on sait quel’observation des systèmes vivants est une source d’inspiration pour lesingénieurs, par exemple avec le développement de la cybernétique dans lesannées 1950. En sens inverse, les progrès sur la théorie du contrôle auto-matique ont permis de mieux étudier les régulations physiologiques. C’estau niveau des organismes que le paradigme technologique convient lemieux. Il serait bon que les ingénieurs aient une culture biologique…

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L’organisme, machine vivante, n’a pu s’édifier que sur la base de lacoopération entre des structures biologiques assurant des fonctionscomplémentaires : entre macromolécules pour les cellules, entre cellulespour les organes et entre organes pour les organismes multicellulaires.L’importance de ce type de mécanismes dans les processus évolutifs doitêtre fortement soulignée (Michod, 2000, Ferrière, 2003). Il est parfaite-ment compatible avec une vision darwinienne. On retrouve ce type derelation au niveau écologique et nous avons déjà insisté dans un autreouvrage sur son importance (cf. encadré 3).

Néanmoins, certains aléas peuvent jouer lors des processus de déve-loppement et de renouvellement d’un organisme. L’ADN des cellulessomatiques est susceptible de mutations et de brassages. D’autres sontpresque invisibles. Une génétique des cellules somatiques reste encorelargement à faire et pas seulement sur les pathologies apparentes, mêmesi on peut y voir à juste titre une priorité. Dans cette optique, les travauxactuels sur la biologie du développement sont aussi essentiels. Au boutdu compte, pourquoi trouve-t-on, chez les organismes supérieurs, unedifférence marquée entre les lignées cellulaires germinales et les lignéessomatiques ? Quelles sont les différences entre dynamiques du génome ?Les processus de brassage sont-ils comparables ? Jouent-ils ou non lemême rôle ?

Ces questions doivent être posées et des réponses données, alors quenous atteignons un stade du développement technique autorisant leclonage, c’est-à-dire la reproduction d’un individu à partir de noyaux decellules somatiques.

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Encadré 3Compétition et coopération (adapté de Pavé, 2006a)

Pendant longtemps, particulièrement depuis l’ouvrage de Charles Darwin,la compétition a été considérée comme l’un des principaux mécanismesd’interaction entre des entités vivantes (c’est-à-dire, la compétition intras-pécifique entre individus de la même espèce, la compétition interspécifiqueentre individus d’espèces différentes ; comme exemple de compétition onpeut prendre l’accès à des ressources nutritives identiques). Les méca-nismes de coopération ont été curieusement négligés. On peut prendre

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comme exemple le plus achevé la symbiose où deux organismes différentsproduisent des composés utiles à l’autre (par exemple, un composé azotéproduit par des bactéries, utile à des plantes comme le soja, et la fournitureaux bactéries, par exemple des rhizobiums, de composés biochimiques quileurs sont nécessaires). On a pu montrer à partir d’études théoriques que siles relations se limitent à des compétitions, un écosystème tend vers lasimplification : les espèces, voire l’espèce, les plus compétitives « gagnent lejeu de la vie » en excluant les autres. On observe donc une diminution dela diversité biologique. Parmi les mécanismes de conservation de la diver-sité, la coopération joue sans doute un rôle important.En se plaçant au niveau cellulaire, R. Michod a réaffirmé récemment quecette organisation ne peut pas être expliquée seulement par la compétitionentre entités subcellulaires, mais surtout par des mécanismes de coopéra-tion (par exemple, la coopération entre macromolécules pour dessiner lesvoies métaboliques). Il a aussi montré que cette hypothèse coopérative n’estpas en contradiction avec la théorie darwinienne. Il parle de « dynamiquedarwinienne ». Elle peut expliquer les phénomènes d’organisation duvivant, au moins jusqu’au niveau des organismes. Nous avons proposé quede tels mécanismes aient aussi contribué à l’augmentation de la biodiver-sité à l’échelle géologique (Pavé et al, 2002). Ce type de mécanismes est deplus en plus trouvé dans la nature.Mais comment peut-on expliquer le temps mis par la communauté scien-tifique pour apprécier l’importance de la coopération ? On peut penser àdeux raisons principales :– les idéologies des sociétés humaines, qui mettent la compétition sur ledevant de la scène de la « comédie de la vie » comme facteur de progrès, ensuivant les idéaux du libéralisme économique ;– la diversité et la complexité des mécanismes coopératifs qui les renddifficiles à identifier.En pratique, il ne faut pas par un phénomène de retour de balanciernégliger la compétition, mais considérer que les deux ensembles de méca-nismes, coopératifs et compétitifs, jouent simultanément. Leurs impor-tances relatives peuvent varier dans le temps et l’espace. On noteracependant que les mécanismes de coopération, poussés à l’extrême commeles symbioses obligatoires, introduisent une nécessité.Pour avoir un panorama des mécanismes de coopération, on pourraconsulter l’ouvrage collectif édité par Harmmerstein (2003).

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Pour les aspects fonctionnels, ce sont les potentialités d’adaptationphysiologique au milieu et à ses variations, les possibilités de survie et demaintien des capacités reproductrices, qui conditionnent la transmissionhéréditaire. C’est cette capacité de réponse et de résistance d’une part auxaléas environnementaux et, d’autre part, aux variations autour d’un« point de fonctionnement » des organismes18, qui va assurer le maintiensur le long terme d’un ensemble d’individus semblables constituant uneespèce. Les grandes extinctions historiques sont interprétées comme unetraduction – catastrophique – de la sensibilité des organismes aux aléasenvironnementaux. Ceux qui ont survécu le doivent d’une part à leurcapacité d’adaptation physiologique protégeant contre ces aléas, etd’autre part à leur capacité d’évolution vers des formes et fonctionsadaptées aux nouveaux environnements, c’est-à-dire à la possibilité debrasser leurs génomes pour engendrer suffisamment de génotypes possi-bles parmi lesquels se trouveront des traductions phénotypiques adap-tées à ces environnements. Cette évolution se fait au sein de l’ensembledes individus des populations représentant une espèce.

4. Un hasard limité, mais efficace : le système immunitaire et le système olfactif

Pour les organismes, nous venons d’insister sur les aspects fonctionnels ensoulignant que la part de l’aléatoire semble très limitée. Il existe cependantdes mécanismes qui mettent en cause des phénomènes combinatoires, etpour cela produisent du hasard, ou sont conçus pour répondre aux aléas.C’est le cas des réactions immunologiques et du système olfactif.

Pour le système immunitaire, devant la multiplicité des antigènespossibles, une véritable combinatoire permet de synthétiser des anticorpsspécifiques. Des gènes ou des portions de gène sont transcrits, lesmorceaux sont rassemblés puis traduits, produisant des protéines diffé-rentes et cela dans des millions de cellules. Il est ainsi fabriqué et de façonpermanente des millions de molécules au hasard. Lorsqu’un corps

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18. Le maintien autour d’un point de fonctionnement, par exemple assurer unetempérature à peu près constante chez les homéothermes, est appelé « homéostasie ». C’estvrai aussi pour de nombreux paramètres biochimiques. Un écart trop grand par rapportau repère homéostatique traduit généralement un état pathologique. Les états normauxsont maintenus grâce à de nombreux mécanismes de régulation, qui évitent notammentdes fonctionnements erratiques, chaotiques là où ils seraient néfastes pour l’organisme.

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étranger est reconnu, la voie de synthèse sélectionnée est amplifiée. Lecouple « hasard-sélection »19, hasard de la production des protéinespotentiellement antigéniques en très grand nombre et sélection d’uned’entre elles en cas de signal positif, est une bonne « assurance-vie » pourl’organisme.

Autre exemple, les mécanismes de reconnaissance olfactive, chezl’Homme, mettent en œuvre un nombre limité de récepteurs (de l’ordrede 300) alors que nous sommes potentiellement capables de reconnaîtreun nombre beaucoup plus grand d’odeurs, dont des odeurs nouvelles. Enfait, le système de reconnaissance est fondé sur un « codage combinatoireflou », selon l’expression utilisée par les spécialistes20. D’une part, lesrécepteurs sont peu spécifiques et peuvent détecter plusieurs types molé-culaires et, d’autre part, une substance peut activer plusieurs récepteurs(au hasard des récepteurs possibles). Finalement, c’est l’association dessignaux nerveux correspondants qui assure la spécificité de la reconnais-sance puis de la mémorisation de cette odeur.

Nous avons mis en avant le paradigme technologique de la« machine-organisme ». D’aucuns pourraient dire que le cas des réac-tions immunitaires est un contre-exemple. En fait, une roulette21, produi-sant du hasard, est un dispositif physique, battre des cartes est unetechnique pour la même fin. Par analogie, les mécanismes qui produisentdu hasard, donc de la diversité, permettant à l’organisme de survivre et defonctionner, sont aussi des éléments de la machine vivante : là aussi,nécessité du hasard et de ce qui le produit. Comme nous l’avons vu dansle cas de la résolution de problèmes numériques complexes, de telsprocessus sont très efficaces. Mais d’autres ont des stratégies analogues etexpriment ainsi des propriétés pathogènes. Ainsi des micro-organismes,des protozoaires comme le plasmodium du paludisme, des bactéries etsurtout des virus sont à même d’engager une course contre le système

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19. On pourra se référer à l’ouvrage de Kupiec et Sonigo (2000). On trouvera dansce livre les références à la théorie « darwinienne » du système immunitaire, en particulierles travaux de Jerne puis de Burnett et Talmage.

20. On pourra consulter le compte rendu de la séance du 14 mars 2004, de l’Académied’agriculture de France, sur le site internet de cette académie : http://www.academie-agri-culture.fr/.

21. Précisons que ce mot a été utilisé par d’autres auteurs, mais dans un contexteplus limité, ainsi Carlton et Geller (1993) parlent de roulette écologique à propos dutransport d’espèces marines, potentiellement invasives.

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immunitaire et parfois de la gagner. Dans le cas des virus, on peut prendrel’exemple du VIH qui a des mécanismes de diversification efficaces, une« roulette » bien rodée et qui tourne vite. L’une des voies de lutte contrece type de virus serait d’inhiber cette roulette biologique pour ralentir,voire même bloquer, le processus de diversification. À condition, bien sûr,de ne pas agir de la même façon sur la production des anticorps.

5. Utiliser les aléas de l’environnement

Nous venons de voir comment les organismes mettent en œuvre des« roulettes biologiques » pour répondre à certains aléas de l’environne-ment. Ces mécanismes et les structures vivantes correspondantes ont étésélectionné au cours de l’évolution. D’autres caractères ont aussi étésélectionnés afin d’utiliser les aléas de l’environnement, c’est le cas de laforme de graines végétales.

Nous verrons plus loin que la distribution aléatoire des végétaux etun large étalement dans l’espace des individus sont des facteurs de résis-tances à des aléas du milieu pouvant mettre en danger les populations etespèces correspondantes (cf. section VI.3). Cette distribution et cet étale-ment dépendent des processus de distribution des graines et à cette finl’utilisation des aléas de l’environnement de ces plantes est une bonnesolution : turbulences atmosphériques et hydrologiques, déplacementsdes animaux, parmi eux l’Homme lui-même. C’est ainsi qu’on peutexpliquer la sélection de caractères comme la forme des graines (parexemple, des graines ailées, des crochets sur la surface pour s’accrochersur les animaux, lire à ce sujet l’article très bien illustré de Thivent, 2006),ou l’appétence du fruit pour ces animaux qui consommeront la pulpe etrejetteront les graines au hasard de leurs déplacements.

6. Organismes et changements de l’environnement

Enfin, l’aspect fonctionnel n’est pas limité aux organismes. En effet, lesorganismes sont des systèmes ouverts qui tirent ressources et énergie dumilieu dans lequel ils vivent, qui y rejettent des sous-produits de leur méta-bolisme et, ce faisant, en modifient la composition chimique. Ils le chan-gent aussi par leur activité mécanique. Ainsi, ils le transforment et commeils peuvent se reproduire en grand nombre, un impact à large échelle peuten résulter, comme des modifications des cycles biogéochimiques. Ce fut,par exemple, le cas quand les premiers organismes photosynthétiques sont

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apparus sur la Terre, et ont changé progressivement et profondément lacomposition chimique de l’atmosphère. Enfin, leur présence et leur déve-loppement, et encore plus s’ils sont envahissants, modifient les compo-santes biologiques et écologiques de cet environnement avec lesquelles lesautres populations doivent compter. Les aléas environnementaux ne sontdonc pas tous d’origine météoritique, météorologique ou tellurique. Lessystèmes vivants y contribuent largement.

IV Lignées, populations et espèces : au hasard des rencontres, des accouplements et des perturbations

Les individus ayant une même ascendance constituent une lignée. Lebrassage génétique est obtenu suivant les mécanismes déjà présentés.Dans le cas de la reproduction sexuée, les possibilités de choix du parte-naire, dans un ensemble d’individus possibles, donc d’un génotype,constitue une cinquième source de diversité biologique. Les lignées,prises ensembles, forment des populations (cf. encadré 4). Elles s’entre-mêlent. Ces lignées ne sont pas « linéaires », mais elles peuvent êtrereprésentées par des arborescences ascendantes ou descendantes, enpartant d’un individu pris à un moment donné en établissant l’arbre deses ancêtres ou de celui de ses descendants, ou bien un treillis si l’onreprésente l’ensemble des apparentés.

Dans de nombreuses populations, le choix du partenaire au momentde la reproduction n’est pas déterminé a priori, même s’il peut y avoir despréférences, en particulier chez les animaux supérieurs où existe une struc-ture sociale et plus encore chez l’être humain. Cette non-détermination neva pas de soi. On pourrait imaginer des espèces où le choix serait réglé àl’avance. De tels schémas existent, mais ils sont l’exception et non la règlegénérale (exemple des mâles dominants dans certains groupes animaux).

Cependant, un facteur important joue : la répartition spatiale desindividus. Dans les populations sexuées, la probabilité de rencontre dedeux partenaires et de croisement entre eux, ou dans les populationsasexuées un transfert de gènes, dépend de la distance entre les individuset des possibilités de déplacement. Ces dernières sont limitées par la

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mobilité des individus et par ce qu’on pourrait appeler la « viscosité dumilieu » et sa topographie. Chez les animaux, la rencontre directe estnécessaire. Les végétaux doivent utiliser des vecteurs, soit passifs (vent,eau), soit actifs (par exemple les animaux pollinisateurs). Mais dans lesdeux cas, une large part est laissée au hasard, le « hasard des rencon-tres », même dans les fortes spécialisations, par exemple, si certainsinsectes pollinisateurs sont spécialistes d’espèces végétales. En revanche,le choix d’un individu particulier dans un ensemble de possibles de lamême espèce reste en bonne partie aléatoire.

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Encadré 4Populations, métapopulations, espèces

Les populations sont des ensembles d’individus se reproduisant entre eux,c’est-à-dire assurant un flux et un brassage génétique endogènes. En fait, unepopulation est rarement isolée, il peut y avoir des échanges avec d’autres.C’est pour cette raison, et pour « fermer le système », que le concept demétapopulation a été introduit. Il s’agit d’un ensemble de populations, où leflux endogène est prédominant à l’intérieur de chacune, mais avec deséchanges possibles entre elles. Les oiseaux donnent de bons exemples detelles structures.Partir de cette notion de population permet d’introduire la notion d’espèce,c’est-à-dire un ensemble constitué des populations actuelles, passées etfutures d’individus ayant de grandes similarités phénotypiques et généti-ques, pouvant, potentiellement, se reproduire entre eux. Une espècenouvelle peut apparaître lorsque les flux de gènes avec les populationsparentes s’annulent. En fait et pour des raisons pratiques, l’appartenance despécimens à une espèce donnée ne peut se faire sur ce critère biologique,aussi utilise-t-on des critères morphologiques (approche classique) ou descritères moléculaires en analysant des séquences spécifiques discriminantes(on citera par exemple, l’ADN dit « microsatellite », séquences trouvées dansle génome, dont la fonction n’est pas connue, mais très utile pour la carto-graphie du génome, l’ARN ribosomal, une des molécules constituant desribosomes, des organites cellulaires impliqués dans la synthèse protéique oules séquences codant pour certaines protéines, comme le gène du cyto-chrome C). Ces techniques peuvent également permettre de caractériser despopulations et ainsi d’estimer les flux géniques entre populations.

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Schéma de principe : populations, métapopulations et espèces. Un desprincipes de la spéciation est montré entre les temps t0 et t2 quand unepopulation est isolée, et où, progressivement, une dérive génétique s’ins-talle pouvant mener à l’apparition d’une nouvelle espèce. Parmi lesprocessus génétiques chez les plantes, la possibilité d’hybridation inter-spécifique et de polyploïdie est un facteur de diversification et d’appari-tion de nouvelles espèces, même sans isolement géographique. Enfin, lesprocessus intrapopulationnels pertinents à ce niveau concernent la dyna-mique de ces populations et ses aspects démographiques et génétiques(reproduction, survie, mutations) ayant une forte composante aléatoire.

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Enfin, suite aux mutations, à leur transmission et au brassage géné-tique au moment de la reproduction, la composition génique d’unepopulation change dans le temps et s’éloigne de la composition observéeà un moment donné. Cet éloignement est progressif, mais il peut s’accé-lérer soit suite à des perturbations environnementales, soit par desprocessus endogènes, comme l’activation des transposons, ces morceauxd’ADN qui sont susceptibles de changer de place dans le génome, ou unfort degré de parenté entre individus (taux de consanguinité très impor-tant). Parmi les résultats de cette « dérive génétique », on peut enregistrerl’apparition d’une nouvelle espèce.

En résumé, les brassages génétiques sont les mécanismes fondamen-taux de diversification des êtres vivants. Beaucoup produisent des résul-tats aléatoires analogues à la donne d’un jeu de cartes après les avoirbattues. Le nombre de résultats possibles du brassage génétique esténorme en comparaison à l’infime partie qui se réalise22. De plus, nesurvivent que ceux qui sont viables par nécessité fonctionnelle ouphysiologique ; il faut pouvoir « jouer le jeu de la vie ». Ces organismes,un peu différents des parents, doivent pouvoir subsister assez longtempsdans le milieu dans lequel ils sont plongés (nécessité écologique), enparticulier pouvoir se reproduire pour laisser une trace dans l’histoire dela vie. Alors, de générations en générations, l’accumulation des modifica-tions génétiques conduit à des lignées qui vont se différentier progressi-vement de celles de départ, jusqu’à produire de nouvelles variétés etespèces. Elles vont ainsi conduire à une diversité d’organismes puis d’en-sembles d’organismes (populations), qui interagiront dans des systèmesécologiques (communautés et écosystèmes). Ces changements sont leplus souvent progressifs, mais on sait maintenant, notamment chez lesmicro-organismes, qu’ils peuvent s’accélérer, tantôt sous l’influence deprocessus endogènes (dont l’activation est peu connue), tantôt enréponse à des modifications de l’environnement (exemple du rôle desgènes SOS, qui modifient le processus de réparation de l’ADN).

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22. On peut illustrer sur un exemple simple le nombre astronomique de résultatspossibles auquel on peut arriver : prenons une espèce diploïde portant 23 paires de chro-mosomes et exactement 100 gènes par chromosomes, chacun d’entre eux ayant exacte-ment 2 allèles. Un calcul simple montre que le nombre de génotypes possibles est de24 600, soit de l’ordre de 101 385 (4 600 log10 2 = 1 384,738). Par ailleurs, on estime lenombre de particules de l’univers connu à 10100, on voit donc l’énormité du nombre degénotypes possibles, que l’on pourrait qualifier « d’hyperastronomique ».

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V L’évolution et ses théories : au hasarddes modifications génétiques

Rappelons le : l’évolution n’est pas une hypothèse ; elle est un fait. Lesthéories essayent de l’expliquer, mais elles ne la remettent pas en cause.Sinon on sort du champ scientifique. Il n’est pas de notre propos dedétailler les différentes théories, sauf de signaler que la théorie darwi-nienne, à travers ses différentes adaptations au cours du XXe siècle, notam-ment par la prise en compte de la dimension génétique23, est toujours laréférence. Darwin fait une part au hasard dans les changements auxquelssuccède une sélection des mieux adaptés. Il est donc bien question du duo« hasard-sélection », auquel succèdera le non moins célèbre couple« hasard-nécessité » de Monod. Mais le hasard de Darwin reste contin-gent ; il n’est pas lui-même fruit de l’évolution. À ce propos, on souli-gnera que l’expression simple des bases de cette théorie permet d’établirdes liens entre les niveaux génétiques, organismiques et écologiques. Onremarquera aussi que le terme « sélection » inclut une large gamme demécanismes possibles et que la réduction à la compétition n’est pas idéo-logiquement neutre (cf. encadré 3). C’est là encore tout l’intérêt destravaux de R. Michod qui montre que les mécanismes de coopérationsont aussi sélectifs. Bien qu’il s’arrête au niveau cellulaire, on peut sanspeine imaginer l’extension aux niveaux populationnels et écologiques.

Dans les années 1940 la théorie synthétique de l’évolution unifie lechamp en supposant : (1) que les grands traits de la théorie de Darwinsont valables, (2) qu’il est possible de faire des approches expérimentalesen un temps infiniment court par rapport à la durée réelle et que lesrésultats de ces micro-évolutions restent valables à l’échelle de la macro-évolution, (3) que les dimensions génétiques et plus tard moléculairessont des bases essentielles pour comprendre la dynamique du phéno-mène évolutif24. Les principaux auteurs sont Dobzhansky, Teissier etL’Héritier, Mayr et Simpson et plus tard les courants représentés par

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23. On peut rappeler que C. Darwin avait reçu l’ouvrage de G. Mendel, mais nel’avait pas lu.

24. R. Lewontin affirma, avec juste raison, que les traces de les plus marquantes etobjectives de l’évolution se trouvent au niveau moléculaire (le génome, ses transcriptionssous forme de divers ARN et ses traductions protéiques).

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Ayala et par Lewontin. Par ailleurs, les progrès de la génétique des popu-lations, dont les pionniers sont Fisher et Haldane, conduisent à unevision populationnelle de l’évolution. Les mécanismes invoqués fontlargement appel au « hasard » des modifications du génome. Mais cehasard est toujours contingent, on ne recherche pas à proprement parlerde mécanismes biologiques qui le produisent, ni la signification évolutivede ces mécanismes.

À la fin des années 1960, Kimura et Ohta font les premières analysesévolutives au niveau moléculaire, sur des protéines, et proposent la« théorie neutraliste » de l’évolution, que nous avons déjà évoquée. Leschangements génétiques se feraient progressivement sur la base de muta-tions « neutres » c’est-à-dire ne conférant pas d’avantage sélectif. Lespopulations nouvelles s’écartent progressivement et lentement des popu-lations originelles. Cette théorie est parfois vue comme une alternative audarwinisme. Son gros intérêt est de conduire à des modèles mathémati-ques, probabilistes, et donc de se prêter à des comparaisons formelles etquantitatives. D’une certaine façon la théorie neutraliste joue le rôle del’hypothèse nulle du statisticien (cf. chapitre 1, section II sur le hasard desstatisticiens) : à l’issue d’une expérience, on suppose que l’écart observépar rapport à une valeur attendue est simplement dû au hasard ; dans lecas de la théorie neutraliste, le fait que les modifications enregistrées nedonnent pas prise à un mécanisme de sélection est l’hypothèse de base,correspondant à cette hypothèse nulle. Cette théorie, fondée sur desanalyses au niveau moléculaire (acides nucléiques et protéines), n’intègreévidemment pas d’aspects phénotypiques, expression du génome auniveau de l’organisme, qui sont eux sensibles aux mécanismes sélectifs.C’est pour cette raison que cette théorie est très discutée, mais elle peutservir de référence.

L’une des difficultés réside dans l’approche expérimentale de l’évo-lution. Certes elle n’est pas impossible. En effet, on peut vérifier certaineshypothèses en laboratoire sur des populations à générations rapides,comme des bactéries, ou parmi des organismes supérieurs tels la droso-phile ou la souris. Cette approche reste néanmoins très locale dans letemps et dans l’espace eu égard à la dimension du phénomène(cf. figure 2.4). L’autre difficulté est de faire converger les argumentsmoléculaires, populationnels, écologiques et paléontologiques. Celaétant dit, on peut penser que dans le « grand bricolage » de l’évolutionune série de phénomènes ont joué, chaque théorie apportant une pierre

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à l’édifice. Mais la pierre angulaire reste encore la mécanique néo-darwi-nienne et la théorie synthétique de l’évolution25. Dans les progrès futurs,on peut attendre une meilleure prise en compte du couple « hasard-sélection » (la sélection, ou plutôt la « sélectivité », étant l’expressionévolutive de la nécessité), des mécanismes d’expression du génome et desrelations avec l’environnement pour opérer une synthèse encore pluslarge. En particulier, il faut se garder de tout ramener au gène, même aupluriel (Kupiec et Sonigo, 2000). En effet, si l’évolution imprime sa

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Figure 2.4. Échelle de temps de l’évolution. On notera que les premiers pasont été très lents et que tout s’est accéléré à partir du Cambrien (vers– 550 millions d’années). La place de la figure 1.1 est repérée à droite duschéma. On met aussi en évidence un phénomène important, à savoir l’ex-tension des organismes photosynthétiques qui ont modifié complètementles conditions de vie sur la Planète. Cette transformation s’est traduitelentement au niveau atmosphérique, très probablement parce que, dans unpremier temps, des matériaux de surface ont été oxydés (par exemple,l’oxydation du fer, donnant les banded iron formations, entre 2,5 et2 milliards d’années, Crowley et North, 1991). Ensuite, il a fallu que lacouche d’ozone soit bien installée pour que la colonisation des continentssoit possible (fin du Silurien et début du Dévonien).

25. Signalons cependant, la théorie des équilibres ponctués, proposée par Gould etEldredge en 1972 (Gould, 1977) qui postule que la spéciation n’est pas progressive, maisque des espèces apparaissent lors de « crises » brutales. Mais ce mécanisme supposé esttrès contesté. De toute façon il ne change pas sur le fond notre discours sur le rôle duhasard bien au contraire.

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marque au niveau génétique, et si les mécanismes de brassage du génomejouent un rôle essentiel dans les processus de diversification, on sait quel’expression du génome qui façonne un organisme, qui lui permet defonctionner, et qui conditionne les relations écologiques qu’il pourraétablir, n’est pas réductible à la structure d’un ensemble de gènes isolés.Cette expression met en cause de très nombreux gènes en interaction.Elle est modulée par l’état interne des cellules et de l’organisme. Elledépend des variations de l’environnement.

L’extrême lenteur du phénomène évolutif à ses débuts est éton-nante. Alors que la vie apparaît assez tôt dans l’histoire de la Terre, il fautprès de 2 milliards d’années avant de voir émerger les eucaryotes, encoreque cette « date » ancienne fasse toujours objet de débats, puis encoreun peu plus de 1 milliard d’années pour que les premiers métazoaires semanifestent dans l’océan (radiation d’Ediacara, à la fin du Vendien, âgequi précède le Cambrien). Il s’agit là des premières grandes expressionsmajeures des modifications du génome. Ensuite, les événements s’accé-lèrent, évidemment rapportés à l’échelle de temps, avec les diversifica-tions cambriennes et post-cambriennes26. Il nous semble alorsraisonnable d’exprimer l’hypothèse que les mécanismes de modificationdu génome sont apparus progressivement. Ils n’étaient pas acquis dansles cellules primordiales, à l’image de beaucoup d’autres mécanismescellulaires. En l’absence d’un schéma prévisionniste (et finaliste !) – lavie ne sait pas ce qui l’attend – ces mécanismes produisent du hasard,donc de la biodiversité et conduisent alors à un ensemble de réponsespossibles à des variations environnementales non connues a priori, nidans leurs natures, ni dans leurs amplitudes, ni dans leurs occurrencestemporelles, ni dans leur durée. Ils auraient été sélectionnés pour

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26. On estime à 3 millions d’années le moyen temps nécessaire pour qu’une espècedonne naissance à deux espèces (Kirchner et Weill, 2000, Bonhomme, 2003). Or si lenombre d’espèce dépasse 3 millions, ce qui est probablement le cas aujourd’hui (onparle même de 10 fois plus) et si on suppose que ce processus est stationnaire, il appa-raît, en moyenne, au moins une espèce nouvelle sur la Planète chaque année. Le stockexistant et le flux de création de nouvelles espèces est à mettre en balance avec le nombrede celles qui disparaissent, qu’on a du mal à chiffrer globalement, mais qui est au moinsd’un ordre de grandeur supérieur. Cela étant, toutes ces estimations sont très grossièreset l’un des objectifs urgents est d’en obtenir de plus précises et de rendre plus cohérent,et donc plus convainquant, le discours sur la biodiversité en s’appuyant sur des acquisincontestables.

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assurer la survie des êtres vivants justement par cette grande diversifica-tion. Les algorithmes génétiques nous fournissent un excellent para-digme de l’efficacité d’un tel schéma pour trouver une (ou des)solution(s) dans une topographie spatio-temporelle complexe, et cellede l’environnement, continuellement changeant, de notre planète, l’esttout particulièrement. La croissance de la biodiversité présentéefigure 1.1 pour les organismes marins est une observation qui seretrouve chez d’autres organismes, terrestres en l’occurrence, à partir duDévonien, période de grande colonisation des continents (Carroll,2001). On peut penser que les risques environnementaux sont plusgrands et plus brutaux sur les continents y compris sur les marges litto-rales, où une grande partie de la vie maritime s’est développée, que dansle milieu marin très « tamponné » et amortissant les aléas. La colonisa-tion des continents aurait conduit à accélérer la sélection des méca-nismes de diversification et pourrait expliquer, a contrario, la lenteur del’évolution pendant toute la longue période précambrienne où la vieétait essentiellement marine.

Nous venons de présenter un schéma évolutif, dont nous cernons lesmécanismes moléculaires, dont nous pouvons imaginer l’expressionphénotypique et l’occurrence temporelle, et dont nous connaissons lestraductions populationnelles. Mais il manque à ce schéma une meilleureappréhension écologique et une réelle vision spatiale. Car somme toute,tout cela se passe sur la couche superficielle de la Planète, avec ses hété-rogénéités écologiques (climatiques, géo-physico-chimiques et biologi-ques) et leur positionnement dans cet espace. Or ce dernier a changé àl’échelle géologique au gré des déplacements des surfaces continentales etles conditions de vie, même en l’absence d’accident majeur, ont été large-ment modifiées au cours du temps.

Il faut donc continuer à bâtir la théorie synthétique de l’évolutionen prenant en compte ces nouvelles dimensions. C’est ce qui est esquisséici. Cependant, il ne faut pas oublier de hiérarchiser les choses : touteévolution a une base génétique et les mécanismes de cette évolution fontlargement appel à des processus aléatoires qui auraient été sélectionnéspour trouver des solutions aux variations locales ou globales de l’envi-ronnement.

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VI Le hasard écologique : vivre etsubsister ensemble, faire face aux risques environnementaux

Les systèmes vivants occupent l’espace géographique, mais pas d’unefaçon homogène. Ils changent dans le temps, de l’échelle de la vie desorganismes à celle de l’évolution de la vie sur la Terre. L’écologie est ladiscipline qui traite de la façon dont les individus, les populations, lescommunautés se distribuent, en fonction du temps, dans cet espace hété-rogène avec ses propriétés topologiques, géo-physico-chimiques et biolo-giques, comment ils entretiennent des relations entre eux et avec leurmilieu, et modifient ce milieu par leur activité mécanique et biochimique.Par exemple, les animaux et plus encore les plantes sont répartis selon deszones biogéographiques, latitudinales et altitudinales, très liées auxconditions climatiques, caractérisées principalement par la températureet la pluviosité. Plus localement, les propriétés du milieu jouent aussi, parexemple les propriétés édaphiques (liées aux sols) et topographiques(liées au relief), voire la dynamique du fluide, eau ou air dans lequelvivent les organismes, et ses propriétés physicochimiques. C’est en remar-quant cette dépendance que la notion de niche écologique a été énoncée.

Précisons cette notion clé. Une niche écologique est caractérisée parun ensemble de paramètres géo-physico-chimiques et biologiques dumilieu, favorables au développement des populations d’une espèce. Cetteniche n’est pas forcément constituée de zones spatialement uniques ouconnectées. En effet, on peut retrouver ces conditions favorables dans desendroits distincts (Vandemeer, 1972). On appelle habitat une réalisationspatio-temporelle d’un niche écologique : un endroit et un intervalle detemps où et pendant lequel des organismes d’une espèce peuvent vivre etse reproduire. L’expression concrète de la niche est alors la réunion de ceshabitats. L’émergence de l’écologie et de la biogéographie, l’évidence desdépendances d’une espèce par rapport au milieu, et du fait évolutif, a étérendue possible lorsque les « savants » ont pu se déplacer au cours de leurvie sur des distances qui leur permettaient de voir, d’observer et decomparer des situations très différentes. L’exemple de Darwin et de sonvoyage sur le Beagle en est la meilleure illustration.

Par ailleurs, on peut montrer théoriquement, sur des modèles simplesde Lotka-Volterra (cf. encadré 5), que lorsque plusieurs populations,

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Encadré 5Exclusion compétitive

Pour présenter cette théorie, dite de l’exclusion compétitive, on peut s’ap-puyer sur le modèle mathématique dit de Lotka-Volterra. Prenons deuxespèces caractérisées par les variables x et y, représentant les effectifs ou lesdensités de deux espèces vivant dans un même milieu. On peut penserqu’elles soient en compétition pour l’occupation de l’espace et pour l’accèsaux ressources. Ce modèle s’écrit :

Les paramètres r1, r2, K1, K2 caractérisent la démographie des populationsdes deux espèces. Si elles sont isolées (c = 0), la dynamique de ces popula-tions suit un modèle logistique, l’un des plus élémentaires du domainepour représenter la croissance ou la décroissance de populations, ou plusgénéralement de situations où l’on rencontre ces deux phénomènes ; il estprésenté dans la section III du chapitre 4. Les variables x et y représententdonc des effectifs ou des densités de populations et le paramètre c caracté-rise la compétition. L’étude de ce système dynamique conduit aux conclu-sions suivantes : le résultat le « plus vraisemblable » est que l’espèce la pluscompétitive va « gagner la compétition » et éliminer l’autre (par exemple, ypeut éliminer x). La coexistence est « moins fréquente ». En entrant plusdans le détail, quand on étudie ce système, suivant les valeurs des paramè-tres, pour les valeurs positives des variables x et y, on observe les issuessuivantes : (1) x disparaît au bénéfice de y ou (2) y disparaît au bénéfice dex, quelles que soient les effectifs initiaux, (3) suivant les conditions initiales,x ou y disparaît, (4) x et y cohabitent. Mais la cohabitation nécessite desrelations quantitatives très précises entre les paramètres du modèle qu’on apeu de chance de trouver réalisées « dans la nature » sans hypothèsessupplémentaires (Pavé, 1994). C’est ce qui fait dire à de nombreux auteursque cette situation est « peu probable », bien qu’en l’occurrence, il ne soitpas question de probabilité.

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partageant les mêmes ressources, occupent un même espace, c’est-à-direqu’elles sont mises en compétition, à terme c’est la mieux adaptée quioccupe tout cet espace. Ce résultat peut s’étendre à la notion de niche. Sitoutes les populations d’une même espèce occupent la même nicheécologique que des populations d’autres espèces plus compétitives, lespremières vont disparaître et, réciproquement, si une espèce, dans l’en-semble de la niche est plus compétitive que toutes les autres alors, àterme, elle va l’occuper toute entière.

Cette notion est efficace pour analyser certaines situations. Mais ils’avère que celles-ci sont extrêmes et ne correspondent pas à la majoritédes zones habitées par les êtres vivants. Ainsi, on trouve des populationsnaturelles homogènes de sapins ou de bouleaux dans les zones froides.En dehors de ces zones, la tendance est plutôt à la diversité et les peuple-ments homogènes sont principalement l’œuvre de l’Homme (parexemple, les plantations monospécifiques). De plus, lorsqu’on laisse lesystème fonctionner plus spontanément (exemple des friches) latendance est à la diversification et non pas au maintien d’une situationmonospécifique ou à son émergence avec une nouvelle espèce. Enfin,c’est dans la zone intertropicale qu’on trouve la plus grande diversitébiologique, en particulier dans les forêts denses humides. Même s’ils ontconnu des fluctuations dans le passé, par exemple, pendant l’holocène,ces écosystèmes sont installés depuis au moins 10 000 ans et aucunprocessus d’appauvrissement spontané de la diversité spécifique n’estenregistré. Il y a des variations locales dans les espèces présentes, mais larichesse spécifique est très voisine d’un endroit à l’autre. Ou bien lacompétition n’a pas l’importance qu’on lui accorde, ou bien il existe desmécanismes qui empêchent ou évitent l’exclusion compétitive. C’est ceque nous allons examiner maintenant.

1. La théorie neutraliste de la biodiversité

La théorie neutraliste de la biodiversité est émise par Hubbell (2001).Alors que les conceptions précédentes n’évoquent que superficiellementles aspects populationnels et écologiques, Hubbell se pose la question del’apparition et surtout du maintien de la biodiversité dans un écosystèmedonné. En effet et comme on l’a déjà vu, d’après Darwin et dans les théo-ries écologiques postérieures ne se maintiennent et ne se développentque les espèces les mieux adaptées. La célèbre expression « Struggle forlife » (lutte pour la vie) et l’exclusion compétitive marquent la biologie

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des populations, l’écologie et l’évolution (cf. encadré 3). Le modèle deLotka-Volterra de la compétition est l’une des pierres angulaires de l’édi-fice (cf. encadré 5).

Pour rester cohérent avec ces théories, très schématiquementHubbell propose que les paramètres démographiques des populations enquestion ne diffèrent pas « significativement ». Cette théorie est audépart fondée sur la théorie de la biogéographie insulaire. Elle affirmeque pour une communauté écologique insulaire, ou locale, la richessespécifique est à l’état quasi stationnaire quand il y a un équilibre entrel’immigration des espèces à partir d’une métacommunauté provenant

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Figure 2.5. Vue aérienne d’une forêt tropicale humide (Guyane française). Àcette échelle, la biodiversité apparaît déjà importante et la distribution desarbres est très hétérogène. C’est une mosaïque d’individus voisins maisd’espèces différentes. Cela contribue à considérer ces forêts commecomplexes si on les compare aux forêts tempérées. Dans sa théorie neutra-liste de la biodiversité, Hubbell explique principalement le maintien d’unetelle biodiversité par les démographies voisines des espèces en question(taux de croissance, de fécondité, de mortalité très voisins, ou pouvant secompenser). Cependant, cette théorie ne prend pas en compte la natureapparemment aléatoire de la distribution des arbres dans l’espace alorsque c’est peut-être là l’une des clés du problème. Photo : A. Pavé.

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d’une aire géographique plus grande, et l’extinction locale des espèces. Ladynamique d’une population locale est gouvernée par les processus denaissance, de mort et de migration aussi bien pour les modèles neutre etnon neutre. Mais sous l’hypothèse de neutralité, à des larges échelles detemps et d’espace, et à l’état stationnaire, les abondances relatives desespèces sont réparties suivant une distribution en série logarithmique deFisher, si dans la métacommunauté l’équilibre entre la spéciation et l’ex-tinction est atteint. C’est-à-dire si les taux de naissance et de mort parespèce sont indépendants de la densité et identiques pour toutes lesespèces, tout en introduisant la spéciation27. La figure 2.6 illustre etrésume cet ensemble théorique.

D’autres contributions montrent aussi que des variations de l’envi-ronnement, qui influent sur ces paramètres, peuvent aller à l’encontre del’effet attendu, comme des mécanismes de consommation des ressources(Lobry et Harmand, 2006). En fait, Chave dans une brillante démonstra-tion et à partir d’estimations fiables de paramètres démographiques d’ar-bres d’écosystèmes diversifiés, trace les limites de l’hypothèse de Hubbell(Chave, 2004, Chave et al. 2006). Clark et MacLachlan (2003) montrent,à partir de données paléo-écologiques, que la variance de la distributionspatiale des espèces forestières sur une longue échelle de temps, en l’oc-currence depuis la fin de la dernière période glaciaire, ce qu’on appellel’Holocène, traduit une forte et rapide stabilisation des écosystèmesincompatible avec la théorie neutraliste. Ce résultat a été contesté par legroupe Hubbell.

Par ailleurs, la théorie neutraliste a été présentée comme contredi-sant la théorie de la niche écologique (par exemple, Whithfield, 2002). Enfait, comme nous l’avons déjà signalé, cette notion explique quand mêmeles grandes distributions spatiales : on ne trouve pas de cocotiers sur lescôtes norvégiennes, sinon dans des serres, et plus localement aussi, onconnaît le rôle des sols et de leur hydrologie sur la composition de lavégétation. Mais, là où Hubbell a raison, une vision trop schématique dela théorie de la niche est contradictoire avec le maintien d’une grandebiodiversité dans beaucoup d’endroits. Les hétérogénéités locales, créantdes micro-habitats, ne permettent pas de l’expliquer.

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27. Cette brève présentation nous a semblé bien résumer les principales hypothèsesde cette théorie. Elle est tirée de : Volkov et al. (2004). C’est une réponse à l’article deClark et MacLachlan (2003).

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Figure 2.6. Les principales hypothèses et les résultats majeurs de la théorieneutraliste de la biodiversité (d’après Volkov et al., 2003). On remarqueraque les hypothèses sont très restrictives, notamment l’égalité des taux denaissance et de mortalité de toutes les espèces. La question de la distri-bution de l’abondance des espèces est un point clé dans la vérification decette théorie (cf. la discussion dans Nature lancée par J. Chave, D. Alonsoet R.S. Etienne et la réponse de Volkov et al. (Chave et al., 2006)).

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2. La distribution spatiale : hasard et nécessité de l’environnement

Revenons aux observations. La forêt tropicale humide est un bon objet deréflexion sur la question de la biodiversité et de son maintien. Déjà en s’ypromenant, on remarque un apparent désordre, illustré par la photo de lafigure 2.5. On remarque aussi, avec un peu de courage et même sans êtrebotaniste, que, suivant les conditions de terrain, la végétation change plusou moins. Ainsi les arbres d’un talweg humide ne sont pas tout à fait lesmêmes que ceux de la crête d’une colline. Nécessité liée à l’environne-ment, le concept de niche n’est pas absurde. Mais à première vue, cettevégétation présente toujours, sauf exception, un joyeux désordre. Certes,nous ne sommes pas devant un hasard parfait. Une distribution uniformedans l’espace, mais on comprend que les composantes aléatoires de cesdistributions sont importantes et à trop se focaliser sur les détermi-nismes, on risque de se perdre dans un labyrinthe de détails28. Il vautpeut-être mieux chercher le « déterminisme » de ce hasard. Pour cela, ilfaut se plonger encore une fois dans l’histoire de la vie.

3. Interprétation évolutive face aux risques : la nécessairediversification et la non moins nécessaire distribution aléatoire

La figure 1.1 nous raconte les grands traits de cette histoire de la vie.Certains détails sont objets de débat, mais il est acquis que depuis leCambrien la biodiversité a singulièrement augmenté, qu’elle a connu descrises majeures, mais que la récupération a été, à l’échelle géologique, àchaque fois rapide et importante.

Nous avons déjà vu que la diversification spontanée par des méca-nismes génétiques permet d’explorer un grand nombre de solutions àl’adaptation d’organismes à des conditions environnementales diverses.Mais cela ne suffit pas. Pour illustrer cette affirmation et toujours sur unexemple forestier, nous avons imaginé deux répartitions spatiales possi-bles, avec une même biodiversité (figure 2.7). La première (A), répartiepar bloc, pourrait correspondre à une stricte expression de la théorie de la

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28. Concrètement, pas plus qu’on ne représente le fonctionnement d’une rouletteavec un modèle mécanique, on ne modélise de façon mécanistique le fonctionnementd’un processus biologique produisant du hasard. On s’intéresse plutôt à la distributionengendrée par ce processus, sachant que cette distribution renseigne sur le processus lui-même. Néanmoins, il pourra être intéressant dans certains cas d’analyser et de modélisercertaines roulettes biologiques (cf. chapitre 4, section IV).

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LA NÉCESSITÉ DU HASARD

Figure 2.7. Modèles de distribution des arbres en forêts tropicales et sensi-bilités à des perturbations environnementales. Les arbres sont repérés pardes symboles (•, x, +, o, ◊, *) ; chacun d’entre eux correspond à uneespèce. En pratique, on rencontre dans l’immense majorité des cas unedistribution de type B (ou bien les individus se répartissent au hasard, oubien ce sont des petits groupes, mais alors ces groupes, à plus grandeéchelle, sont aussi répartis de façon aléatoire). C’est du hasard, mais ce n’estpas par hasard. Cette distribution assure le maintien du maximum d’espèces,et donc de la biodiversité, malgré un impact majeur (D). En effet, sur unedistribution très agrégée (A), ce même impact se traduit par la disparition,dans l’espace considéré, de deux espèces et donc à une diminution de ladiversité spécifique (C), même après régénération de la forêt (E).

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niche : les individus de chaque espèce (repérées par les divers symboles)ont trouvé leur milieu optimum et restent confinés dans ce milieu (exclu-sion compétitive oblige). La seconde (B) est désordonnée, fortement aléa-toire (volontairement, nous n’avons pas vérifié le degré d’uniformité desdistributions des arbres). Imaginons maintenant qu’un accident majeurse produise (zone blanche en C et D). Un tel accident est toujours limitéspatialement, même s’il couvre une large superficie. Dans la zone impli-quée, si les individus de chaque espèce sont groupés (C), localement desespèces vont disparaître complètement (E). En revanche, s’ils ne sont pasgroupés (D), il y aurait des survivants qui pourront permettre à l’espècede subsister et de développer de nouvelles populations (F).

a. Les végétaux supérieurs et leur distribution spatialeParmi les processus écologiques produisant du hasard spatial, on prendral’exemple des végétaux supérieurs dont les pollens et les graines sontdisséminés. En gros, cette dissémination se fait par transport passif lié àla dynamique et à la topographie du milieu (gravité, vent, courant d’eau,relief) ou par déplacement actif grâce à des animaux. Le rôle des pollenset des graines est successif mais très différent. Le pollen est le gamètemobile qui, si tout se passe bien, va engendrer une graine. Ensuite, si toutse déroule sans anicroche, une graine germe et donne un nouvel individu,d’abord une plantule qui, en se développant va donner, par exemple, unarbre. Nous allons examiner d’un peu plus près ces deux étapes.

La fécondation : au hasard des trajets des pollinisateursLa partie mâle, le pollen, doit être transportée jusqu’au stigmate de lapartie femelle, le pistil, de la même fleur (autopollinisation) ou d’uneautre fleur (pollinisation croisée) pour assurer la reproduction par laproduction de graines. Ce déplacement est fait grâce au vent ou à desanimaux (insectes, oiseaux, chauves-souris). Dans le premier cas, letransport du pollen est soumis aux aléas des courants et turbulences,dans le second à ceux du déplacement des animaux. Ce dernier a unecomposante aléatoire plus faible que celle du vent : on connaît la spécia-lisation de nombreux pollinisateurs et le pouvoir attractif des fleurs.Cependant, certains choix sont liés, par exemple, à l’attractivité de lafleur pour des insectes et certaines limites correspondent à la distanceentre pollinisateur et pollinisé, et aux barrières existant entre les deux,pour le transport aérien passif ou par les animaux qui ont un rayon etdes possibilités d’actions limitées.

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Figure 2.8. À gauche : distribution aléatoire d’arbres de trois espèces dansune placette expérimentale carrée de 250 m de côté, faisant partie dudispositif expérimental de Paracou en Guyane française (tiré de Dessard etal, 2004). Les espèces concernées sont : Carapa procera (Carapa, +),Dicorynia guianensis (Angélique, •) et Pradosia cochearia (Kimboto, �). Lesnombres respectifs d’individus repérés sont : 29, 75 et 71 soit au total 175.Par convention ne sont comptés que les arbres de diamètres supérieurs à10 cm. En moyenne sur un hectare de forêt guyanaise on trouve 600 arbresrépondant à ce critère (627 pour la parcelle en question et de l’ordre de100 à 200 espèces différentes, mais la plupart sont représentées par trèspeu d’individus). Sur cette même parcelle, il y a donc beaucoup d’arbresd’autres espèces, non représentés dans cette figure (pour des raisonsévidentes de lisibilité). On remarque que les arbres « occupent l’espace »et se mélangent. L’échelle d’hétérogénéité est très petite : des arbresvoisins sont en général d’espèces différentes. Ce schéma montre la perti-nence de la figure 2.7. La plupart des distributions de 15 espèces les plusfréquentes observées sur ce dispositif sont aléatoires. Enfin et à titred’exemple de diversité du vivant dans la zone intertropicale, on trouveraen annexe des détails sur la diversité biologique en Guyane et principale-ment dans sa forêt.

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Là nous touchons du doigt le mécanisme de coopération entreplantes et animaux. Ils sont soumis ensemble à la sélection et jouent lejeu conjointement. Pour rendre compte de ce type d’observation, leconcept de coévolution a été énoncé, mais il a une portée plus générale(cf. encadré 6). L’évolution d’une espèce dépend non seulement desvariations de l’environnement physico-chimique, mais aussi de l’envi-ronnement biologique constitué d’autres espèces qui évoluent aussi.Dans le cas du « système plante-pollinisateur », l’effet de la pollinisationse traduit directement au niveau génétique, ce mécanisme conduisant aubrassage du génome. Après fécondation, fruits et graines sont produits.Leurs localisations initiales correspondent à la position de la plantesemencière trouvée en partie au hasard par l’animal pollinisateur ou defaçon encore plus aléatoire si le transport a été fait par le vent.

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Encadré 6La coévolution

Pour illustrer la nécessité d’évoluer, on parle souvent de « modèle de lareine rouge », selon l’image de Van Valen (1973), inventeur du concept decoévolution. Il se réfère par là au célèbre roman de Lewis Caroll De l’autrecôté du miroir, où la reine rouge explique à Alice que les gens autour d’ellecourent, que tous se déplacent, il faut donc aussi courir pour maintenir saposition par rapport à eux c’est-à-dire, en quelque sorte pour rester surplace. Dans la niche écologique d’une espèce, les principales composantessont les autres espèces qui interagissent avec elle. Celles-ci changent,s’adaptent, évoluent ; donc l’espèce en question doit suivre en évoluantaussi, en changeant, en s’adaptant, sous peine de disparaître.Ce concept de coévolution concerne donc deux ou plusieurs espèces enrelations. À titre d’illustration, prenons en deux. Si l’une des deux change,l’autre doit également se modifier. C’est le cas, par exemple, des rapportsentre hôtes et parasites. À une évolution de l’hôte doit répondre un change-ment adapté du parasite, sinon il risque d’être exclu. De même à une évolu-tion du parasite, l’hôte doit répondre sinon il risque aussi d’être éliminé,d’ailleurs contre l’intérêt même du parasite. On soupçonne que ce type decoévolution a pu conduire à ajuster les relations de façon à ce que l’hôte et leparasite se « supportent » et vivent ensemble, jusqu’à des symbioses, c’est-à-dire des mécanismes coopératifs. C’est donc l’une des voies, peut-être la

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Enfin, beaucoup de végétaux supérieurs sont allogames (pollinisa-tion croisée), alors que d’autres portent sur tous les individus les gamètesmâles et les gamètes femelles. Ils pourraient donc être autogames (auto-pollinisation) et donc empêcher ou du moins limiter le brassage géné-tique de la reproduction hétérogame. En pratique, on observe sur lamajorité d’entre eux des mécanismes de type immunologique qui évitentcette autofécondation et donc permettent ce brassage génétique, sourcede diversité. Cela signifie donc, et c’est là un point crucial, qu’au coursde l’évolution, ces processus autorisant (ou restaurant ?) le brassagegénétique, là où il pouvait ne plus se produire, ont été sélectionnés. Demême, ceux qui empêchaient ce brassage ont été contre-sélectionnés.Comme illustration supplémentaire, on trouvera dans le chapitre 4 uneétude de la dynamique de la composition génétique de populations auto-games et les conséquences à long terme.

La dispersion des graines : au hasard des éléments et des animauxLes graines sont dispersées selon deux mécanismes identiques à ceux dela pollinisation : par le vent et par les animaux. La gravité et les courantsd’eau y jouent également un rôle important. Ou bien les graines tombentau pied de l’arbre, elles peuvent rouler, être entraînées par l’eau ou trans-portées par des animaux. Tantôt, en tombant, elles sont entraînées par levent, si elles sont assez légères, et déposées plus loin. Elles peuvent germersur place ou être ensuite transportées par l’eau ou des animaux. Tantôt,une partie est consommée sur l’arbre par des animaux qui peuventensuite transporter le reste. C’est par exemple le cas de Cecropia, un arbrepionnier de la forêt amazonienne, dont les graines sont en partie dévo-rées par des chauves-souris qui en sèment d’autres au hasard de leur vol

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principale, qui peut amener à la coopération entre espèces. De nombreuxbiologistes pensent en particulier que des organites cellulaires, les mito-chondries, auraient pour origine des bactéries endocellulaires qui auraientévolué avec leur hôte et se seraient progressivement intégrées dans les méca-nismes cellulaires. C’est aussi peut-être le cas des transposons qui ont defortes analogies avec certains rétrovirus. Au cours de cette coévolution,différentes solutions, où le hasard joue, sont possibles.Dans les ouvrages de R. Barbault (1992) et de C. Combes (1995), on peuttrouver des exposés plus détaillés de ce concept de coévolution.

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(cf. encadré 7). Les animaux qui participent à cette dispersion sont prin-cipalement des mammifères et des oiseaux. Une fois déposée, après undéplacement plus ou moins long, une graine peut germer immédiate-ment ou après un délai plus ou moins long (quelquefois plusieursdizaines d’années).

Ces processus peuvent se combiner. Il en résulte une distributiondans l’espace à forte composante aléatoire (cf. figure 2.8). Cette réparti-tion est une solution pour la survie des espèces végétales vu que les indi-vidus, une fois installés, ne peuvent plus du tout bouger. Les mécanismesde dispersion assurent le déplacement avant le développement de l’orga-nisme. Ensuite, il reste fixé sur son support : le sol. C’est alors qu’on peutobserver le résultat d’apparence aléatoire de cet ensemble de processus.

Pour terminer, retenons qu’aléatoire n’est pas synonyme de réparti-tion uniforme, il peut y avoir anisotropie (des directions peuvent êtresprivilégiées, par exemple suivant les directions des vents dominants et lescaractéristiques des éléments transportés, comme des ailes sur les grainesqui facilitent le transport). Par ailleurs, la combinaison d’aléas peutconduire à des distributions qui rendent bien compte de ces combinai-sons, comme la distribution gaussienne. Cette distribution peut égale-ment représenter un mécanisme intuitif : la présence de graines se raréfierapidement quand on s’éloigne du semencier (le producteur de graine).Tout cela pour dire qu’il est avant tout important d’étudier les réparti-tions spatiales et de les confronter à des distributions aléatoires théori-ques, avant d’imaginer des mécanismes plus compliqués.

b. Et pour les animaux : quelles distributions ?À propos des plantes, nous venons déjà d’évoquer les animaux. Ilspeuvent se déplacer ce qui leur permet de se distribuer dans l’espace, del’occuper aussi largement que possible et de pouvoir rapidement modi-fier cette distribution, par exemple aller dans un autre lieu suite à uneperturbation environnementale. Ces mouvements peuvent aussi êtreréguliers et suivre des rythmes saisonniers (migrations).

Pour une part, les déplacements sont aléatoires et correspondent àdes comportements exploratoires. Ils sont principalement motivés pas larecherche de nourriture ou de conditions environnementales supporta-bles, ou encore de partenaires pour se reproduire. Le fait que les indi-vidus se déplacent et qu’ils aient donc tendance, collectivement, à couvrirleur aire de répartition, les préserve d’aléas environnementaux. Plus cetteaire est vaste, plus grande est l’assurance de survie. Mais elle n’est pas

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Encadré 7Frugivorie et dissémination des graines : l’exploitation de Cecropia obtusa par la chauve-souris Artibeus jamaicensis

Les animaux frugivores, ici une chauve-souris, consomment des fruits.Après prélèvement, la partie consommable du fruit est avalée. La pulpe estdigérée rapidement et les graines intactes après un court séjour dans le tubedigestif (5 à 10 min) sont expulsées en vol dans des fientes liquides qui« explosent » sous l’effet des turbulences de l’air augmentant ainsi ladispersion des graines. Ces graines tombent au sol au hasard de la trajec-toire suivie par l’animal. Ces retombées sont suffisamment importantespour qu’on parle de pluie de graines. Celles-ci peuvent séjourner dans lessols de nombreuses années, attendant des conditions favorables avant degermer : on parle alors de « banque de graines ». Ce qui est observé ici surun animal et un arbre particuliers est valable pour toutes les chauves-sourisde la même espèce et tous les C. obtusa. On peut même généraliser à laplupart des frugivores et des arbres dont les fruits sont aussi consommés enpartie. On comprend que le processus résultant de ce mode de dissémina-tion ait un caractère fortement aléatoire. Photos et commentaires : PierreCharles-Dominique (CNRS-Guyane).

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pour autant garantie, les dinosaures en ont fait l’expérience. Enfin,lorsque ces déplacements sont relatifs à la reproduction, le but est detrouver un partenaire ; ils constituent alors une composante duprocessus de brassage génétique.

c. Les micro-organismes : au gré du milieu et des autres…On en sait beaucoup moins sur les micro-organismes que sur les planteset animaux. On en trouve dans tous les milieux, même les plus extrêmes.Or les connaissances restent très lacunaires, sauf s’ils sont inféodés à desconditions très spécifiques. Sous réserve d’inventaire, ils se distribuentdans l’espace aussi largement que les autres organismes, avec des densitésvariables suivant les espèces et les endroits. Ils sont même présents danset sur les autres êtres vivants, allant jusqu’à établir des relations symbio-tiques, ou, au contraire, exprimer des propriétés pathogènes.

La plupart d’entre eux ne sont pas spontanément mobiles. Leurdistribution spatiale est donc étroitement liée à la dynamique de leurmilieu ou au déplacement de leur hôte, dont on a vu que la composantealéatoire pouvait être très importante.

d. Déplacements déterministes et aléatoires

Les processus déterministes de déplacements sont en général plus rapidesque les processus stochastiques. Pour s’en convaincre, il suffit d’imaginerque deux entités se déplacent dans une seule dimension et que cet espacelinéaire est découpé en cases (figure 2.9). À chaque pas de temps, elleschangent de case. Un déplacement complètement déterministe dépendrait

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Figure 2.9. Déplacement de deux entités dans un espace linéaire fini : A déter-ministe et B aléatoire avec une seule entité mobile. Un processus (par exempleune reproduction) a lieu si les deux entités occupent la même case à un momentdonné. On peut imaginer des situations plus compliquées : probabilités diffé-rentes de 1/2, espace de plus grande dimension, processus continu, etc.

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par exemple d’une attirance entre les deux entités (visuelle, sonore ouchimique). Un déplacement complètement aléatoire serait gouverné parun jeu de pile ou face (une chance sur deux d’aller à gauche, une chancesur deux d’aller à droite, ou plus généralement une probabilité p d’allerdans un sens et q = 1 – p d’aller dans l’autre). Pour simplifier, on peut envi-sager qu’une seule des deux est mobile. Sans qu’il soit nécessaire de fairedes calculs compliqués, on comprendra que le déplacement purementdéterministe est beaucoup plus rapide que le déplacement aléatoire (casA). En effet, le temps de parcours de l’entité mobile est alors égal aunombre de case qui sépare les deux entités au départ, soit dans le cas de lafigure : 18 – 2 = 16 u.t. (unités de temps). Si les deux sont mobiles alors letemps de parcours est encore plus court et égal à 5. Dans le cas du dépla-cement aléatoire B, il suffit qu’une seule fois, l’entité mobile aille sur la gauche pour rallonger le temps de parcours. La probabilité d’avoir un temps de parcours égal à celui du parcours déterministe est de (1/2)16 = 1/65 536. Elle est très faible : le processus stochastique est pluslent que son pendant déterministe.

Concrètement, les déplacements animaux mélangent les deux, avecune phase exploratoire dominée par l’aléatoire et une phase déterministeeffective lorsque les deux entités sont assez proches. Par exemple, dans leprocessus de pollinisation un insecte explore en gros au hasard l’espaceaccessible. Dès qu’il aura détecté son objectif, en l’occurrence une fleur,visuellement ou grâce à des signaux chimiques, il se déplace directementvers lui. Le déplacement au hasard a un coût. Pour atteindre un objectifdonné, il demande plus de temps qu’un déplacement déterministe. Il estdonc plus coûteux en énergie, mais il assure une plus grande diversité. Eneffet, le but n’est pas assigné au départ ; c’est en général un ensembled’objectifs possibles, par exemple de fleurs pour un pollinisateur. Lesrésultats seront des associations possibles d’autant de gamètes de compo-sitions génétiques différentes.

Lorsqu’on examine ces déplacements et leurs résultats, il apparaîtclairement un lien saisissant entre hasard et nécessité. La nécessité pourles organismes animaux de se nourrir, de se reproduire, les conduit à uneexploration globalement aléatoire de l’espace physique et à cette occasionde transporter des éléments végétaux, dont des gamètes ou des graines etde là, à les déposer de façon tout aussi aléatoire dans cet espace. La consé-quence en est un hasard qui s’avère utile sinon nécessaire à la survie desespèces en question.

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Pour conclure, on peut dire que le hasard lié aux déplacements, quelsque soient le mode et le moment de ce déplacement, engendre une distri-bution spatiale des êtres vivants à forte composante aléatoire, qui leurpermet de se protéger, collectivement, contre des aléas environnemen-taux, voire d’en profiter en pouvant choisir des conditions favorables(celle de leur « niche » écologique). Ces déplacements, actifs ou non, etles distributions spatiales qui en résultent sont également des compo-santes du processus global de brassage génétique, élément fondamentalde la diversification des êtres vivants.

Cette diversification est évidemment liée à la reproduction sexuée.Quand on fait le bilan, on peut affirmer qu’avec ses déterminants, sesconséquences génétiques et avec les comportements qu’il induit, le sexeest sans doute l’invention majeure de la vie.

4. La dynamique de la biodiversité

La biodiversité, dans un espace et une période donnés et quels que soientsa mesure et le niveau d’organisation considéré, dépend des « conditionsinitiales », à savoir de ce qu’elle est au début de la période étudiée, puisdu bilan entre, d’une part, les résultats des processus internes de diversi-fication et d’extinction biologiques et écologiques, d’autre part ceux quisont la conséquence de perturbations environnementales et, enfin, lesflux de populations qui entrent dans l’écosystème concerné (immigra-tions) et qui en sortent (émigration).

Aussi est-il plus judicieux d’avoir une vision dynamique que statiquede la biodiversité. Cette dynamique résulte de la combinaison de tous cesprocessus et non pas d’un seul. Ils ont une composante stochastique dansla mesure où ils résultent de déplacements et de distributions souventaléatoires des individus dans l’espace physique. Elle dépend aussi del’échelle. Ainsi, l’expression des relations interindividuelles est principa-lement locale. En revanche, les paramètres populationnels et les hétéro-généités du milieu jouent à des échelles plus larges, parfois continentales(zones bioclimatiques et altitudinales).

On a aussi vu le rôle du hasard dans le processus d’émergence denouvelles espèces et donc de diversification. L’histoire de la vie nousapprend que les grandes perturbations environnementales jouent defaçon importante dans leur disparition. Mais celle-ci se produit égale-ment de façon permanente et « naturelle » (Belovsky et al, 1999).

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Aujourd’hui, elle est aussi le fait de l’Homme, au point qu’on parle de lasixième grande extinction. Cela étant il faut se garder de confondredisparition localisée d’une population et disparition d’une espèce.

Enfin, disparitions d’espèces et apparitions de nouvelles s’enchaî-nent. C’est encore ce que nous apprend l’histoire de la vie. En effet, lesniches écologiques, des espaces dans ces niches laissées libres ou encorede nouvelles niches créées par des perturbations sont autant de lieux quipeuvent être occupés par des espèces émergentes. En fait pour qu’uneespèce soit visible et qu’elle puisse laisser des traces, il faut d’abord qu’elleapparaisse et ensuite qu’elle puisse survivre et s’étendre un minimum,c’est-à-dire trouver des conditions de milieu acceptables et de pouvoir se« caser » parmi les autres. Ce processus peut être modélisé explicitement.Ainsi, le modèle logistique en temps continu, dans une version adaptée,convient pour prendre en compte ces hypothèses simples et décrire lesgrandes tendances historiques (cf. chapitre 4, section III).

Cependant, si l’on intègre les relations trophiques dans cettedynamique, on est amené à se poser quelques questions. D’abord, nous

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Figure 2.10. Dynamique de la biodiversité et principaux processus interve-nant dans cette dynamique. B(t) et B(t+∆t) représentent des évaluationsde la biodiversité respectivement aux temps t et t+∆t dans l’espace consi-déré. Les notions de court et de long terme peuvent être concrétisées parla valeur de l’intervalle de temps ∆t.

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adoptons souvent un point de vue implicite de système « clos » pour labiosphère, ce qui se traduit par une hypothèse de biomasse globaleconstante : toute évolution ne serait qu’un recyclage de la matière « orga-nique », consommant de l’énergie, mais à masse constante. Le phénixrenaît de ses cendres, mais sans plus. De fait, nous savons que cela n’estpas vrai : une partie de la matière organique se minéralise, une autre esttransformée en matière organique, en particulier par les organismesautotrophes. L’histoire de la vie nous montre aussi que de nouveauxespaces ont été colonisés, d’abord par la végétation, par exemple lesmasses continentales, probablement dès la fin de l’Ordovicien ou dudébut du Silurien (il y a environ 470 millions d’années). Cette colonisa-tion s’est faite sur un substrat minéral.

Le bilan reste à faire, mais on peut raisonnablement supposer que labiomasse augmente régulièrement par le jeu des relations trophiques29 etla colonisation de nouveaux espaces : la vie a tendance à se répandre et àattaquer la matière minérale. Pour ne prendre qu’un exemple, la dégrada-tion superficielle des roches nues des inselbergs de Guyane par les cyano-phycées est d’une redoutable efficacité (cf. figure 2.11). Progressivementdes îlots de sols « primaires » se forment, où des plantes vivaces s’instal-lent, comme les broméliacées, qui à leur tour participent à la consolida-tion du sol où d’autres plantes peuvent alors se développer… jusqu’àl’émergence d’un véritable couvert forestier. Par ailleurs, avec les exem-ples des micro-écosystèmes abyssaux, on voit que la vie pouvait se passerde l’énergie solaire et s’installer dans des zones supposées non viables.Ainsi, on peut avancer que globalement sur la Planète, et en moyenne aucours du temps, la biomasse augmente, évidemment depuis l’apparitionde la vie, mais encore aujourd’hui. En poussant le raisonnement à l’ex-trême, le stade ultime de l’évolution de la Planète pourrait être une trans-formation quasi totale en matière organique. Mais des « catastrophes »régulières ralentissent le phénomène30.

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29. C’est-à-dire, et pour reprendre une expression de Robert Barbault, de relations« mangeurs-mangés ».

30. Notons, qu’à petite échelle, c’est ce qui se passe sur les inselbergs : ils sont colo-nisés par la végétation, une modification climatique suffisamment longue (sécheresse,refroidissement) peut éradiquer cette végétation de leur surface. Ensuite, un changementde ces conditions peut les rendre plus propices à une nouvelle colonisation. Ces processusparticipent à leur érosion.

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Figure 2.11. Inselberg des Nouragues en Guyane française (vue d’ensembleet vue de la partie supérieure). C’est au pied de cet inselberg qu’on trouvela station des Nouragues mise en place par des chercheurs du CNRS, princi-palement Pierre Charles-Dominique. Comme on le voit, il s’agit d’un massifrocheux couvert en partie par de la végétation. La roche granitique a unecouleur rouge foncé, virant quelquefois au noir (zones grises ou noires surla roche granitique). Cette couleur est due à des cyanobactéries. Ces micro-organismes autotrophes dégradent lentement la roche la rendant friable.Lorsqu’elles meurent, elles se décomposent sur place et donnent de lamatière organique qui, mélangée aux produits minéraux résultant de l’éro-sion, forme un sol sur lequel peuvent pousser des végétaux comme desbroméliacées. Ces dernières produisent de la matière organique en plusgrande quantité et participent aussi à l’érosion de la roche. Ainsi, progressi-vement, par un jeu de succession se constitue un couvert forestier. Au boutdu compte, cette colonisation conduit à une production de biomassenouvelle à partir du minéral.

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Néanmoins, qui dit biomasse ne dit pas biodiversité : une tonned’éléphant ne représente qu’un organisme d’une espèce, une tonne debactéries correspond à des milliards de milliards d’organismes et peutreprésenter une multitude d’espèces. Cela dit, des estimations déjàanciennes, au niveau de la biosphère, montrent que les groupes les plusdiversifiés sont aussi les plus importants en biomasse. Le cas des insectesest très illustratif : on le considère comme le compartiment le plusimportant des organismes évolués, tant pour la biomasse que pour lenombre d’espèces. Par ailleurs, la mise en place d’une hiérarchietrophique31, va aussi dans le sens d’une plus grande biomasse globale et,simultanément, d’une plus grande diversité. En effet, un niveautrophique n’émerge que lorsque des organismes nouveaux apparaissent.Enfin, globalement, les systèmes vivants modifient et même créent, parleur simple présence et par leur action, des niches écologiques quipeuvent être occupées ou partagées par de nouvelles espèces progressi-vement « néoformées » (ou « néoémergées ») par les mécanismes aléa-toires dont nous avons parlé. L’intensité de l’impact est aussi dépendantde la biomasse. C’est encore là ce que nous suggère la bonne adéquation,à l’échelle géologique, de l’évolution de la biodiversité avec le modèlelogistique dans son expression « XS » (cf. chapitre 4 section III) où lavariable X représente la biomasse ou la biodiversité et S le nombre de cequ’on pourrait appeler des loci écologiques, représentant soit des niches,si elles sont spécifiques d’une espèce, soit des parties de niches si celles-ci sont partagées par plusieurs espèces. Enfin, des travaux récents insis-tent sur le lien entre biodiversité et biomasse et le présentent commeune hypothèse plus que raisonnable, au moins au niveau global et àl’échelle géologique. Ces mêmes travaux montrent la corrélation entreCO2 atmosphérique et biodiversité aux mêmes échelles (cf. principale-ment l’article de Rothman, 2001).

En résumé, on peut raisonnablement supposer, en moyenne, sur unelongue échelle de temps, aux fluctuations près et en l’absence d’unecatastrophe majeure éradiquant la vie :

– que la transformation, par les systèmes vivants, de la matière miné-rale en matière organique est plus importante que la minéralisation ;

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31. La plus simple de ce type de hiérarchie comprend trois niveaux : plantes-herbi-vores-carnivores.

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– que cette transformation se traduit par une augmentation de labiomasse (c’est-à-dire de la masse de matière vivante) sur la Planète ;

– et, enfin, que la biodiversité augmente elle aussi corrélativementavec celle de la biomasse.

Il s’agit là d’une évolution spontanée, d’ailleurs constatée à l’échelleévolutive pour la diversité. Dans ces conditions, biomasse et biodiversitéaugmentent constamment. Alors se posent deux questions :

1. sur notre planète, dans quelle mesure l’activité humaine interagit-elle avec ce mécanisme global ?

2. dans l’univers qui nous est accessible, existe-t-il des planètes quisont à un niveau de transformation en matière vivante supérieur à celuide la Terre ? Sur de telles planètes la matière organique serait-elle aussiplus abondante que sur la Terre ?

Par ailleurs, la diversité biologique à l’échelle géologique sembleexhiber des oscillations régulières (cf. figures 4.9 et 4.10). Nous l’avionsremarqué (Pavé et al, 2002), mais nous n’avions pas pu le démontrer surles données sur lesquelles nous avions travaillé (le nombre de familles enfonction du temps). Sur des données plus nombreuses (nombre degenres en fonction du temps), une période de 62.106 ±3.10 6 annéessemble être significative (Rhode et Muller, 2005 et commentaire deKirchner et Weil, 2005), même si un résultat précédent n’avait pas misen évidence ce phénomène (Cornette et Lieberman, 2004). Si cette oscil-lation est confirmée, ce qui est probable, son interprétation reste à faire.Si elle n’est pas due à des événements physiques (météorites, volca-nisme, etc.) plus ou moins périodiques, une explication macrobiolo-gique ou macroécologique conduisant à une dynamique oscillante àcette échelle d’espace et de temps n’est pas évidente, mais mérite d’êtreconsidérée.

Enfin, le schéma de la figure 2.12 peut constituer la base d’unemodélisation globale et à long terme de la biodiversité, par exemple entermes d’équations différentielles ordinaires. Ayant au moins 3 variablesd’état et des non linéarités (ne serait-ce que des termes de croissance detype logistique), un tel modèle peut engendrer des oscillations, voire desrégimes chaotiques. En effet, on sait aussi que des oscillations peuventêtre le prélude d’un système chaotique… serait-ce l’avenir de la dyna-mique de la biodiversité ? Si oui et si nous ne le souhaitons pas, commentl’éviter ?

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5. Mesurer la biodiversité

Bien évidemment, si on veut appréhender l’état de la biodiversité, à unmoment donné, et sa dynamique, encore nous faut-il la mesurer.

Une première difficulté réside dans la réponse à la double question :quelle diversité (taxonomique ou phylogénétique, structurelle ou fonc-tionnelle) ? À quel niveau d’organisation et à quelle échelle spatiale ?

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Le hasard dans les systèmes vivants

Figure 2.12. Cycle de la matière, dynamique globale de la biodiversité et dela biomasse. Une partie, encore très faible aujourd’hui en regard de la massede la Planète, et même seulement de sa « couche superficielle » est assimiléepar la matière vivante ce qui se traduit probablement encore par uneaugmentation de la biomasse au niveau planétaire, même si une partie decette biomasse retourne à la matière minérale. Cependant, si des argumentspeuvent être avancés, il reste à prouver qu’en moyenne une augmentation debiomasse correspond à un accroissement de la biodiversité. Par ailleurs, del’énergie est nécessaire pour que ce cycle s’accomplisse (par exemple lalumière pour la photosynthèse ou d’autres mécanismes physicochimiquesd’oxydo-réduction, comme celui mis en place dans les systèmes abyssaux).Mais cette énergie, éventuellement sous d’autres formes, peut aussi perturberou modifier ce cycle, ralentir la croissance ou diminuer la quantité de matièrevivante (cas des crises de la biodiversité engendrés par des impacts, des acti-vités tectoniques ou des variations de l’apport énergétique du Soleil).

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Une deuxième difficulté tient à la mesure elle-même, nous n’avonspas (encore) fabriqué d’appareil, d’instrument de mesure. Si l’on a faitdes progrès dans l’analyse, notamment statistique, des données, le recueilde ces données est artisanal, se fait « à la main ». D’un côté des méthodestrès sophistiquées32, d’un autre côté des techniques souvent archaïques.Mais pour ces dernières, on ne sait pas encore faire autrement. On remar-quera au passage que l’approche quantitative du problème, notammentl’idée d’inventaire au moins partiel est une préoccupation récente.Historiquement, les taxonomistes, zoologues et botaniste, ne s’en inquié-taient pas. Leur objectif était avant tout de découvrir et de décrire denouvelles espèces et non pas de répondre, par exemple, à la question :combien d’espèce dans un écosystème ? dans une région, et… dans labiosphère ? Cela explique beaucoup de discours approximatifs actuelssur la question (on trouvera en annexe une brève présentation à proposde la biodiversité en Guyane française, notamment de celle des arbresforestiers).

Une troisième difficulté tient dans la définition d’un indice généralde la biodiversité, si tant est que cela ait un sens. Un tel indice doit êtresimple de compréhension et facile à calculer. Il doit être aussi un indica-teur, résumé d’une information complexe dont les variations ont un senspour le scientifique, le technicien, le gestionnaire. En résumé, commetoute mesure, il doit être robuste, fiable et sa précision doit pouvoir êtreévaluée. De grands efforts sont faits à cette fin.

Les mesures les plus communes concernent la diversité des orga-nismes du point de vue taxonomique : les espèces auxquelles ils appar-tiennent. C’est ce qu’on sait le mieux faire, notamment pour lesorganismes supérieurs. On détermine donc le nombre d’espèces repré-sentées à l’unité de surface, dans une zone ou région donnée, ou encoresuivant un transect. On obtient des relevés en présence/absence. Lenombre total d’espèces observées constitue la richesse spécifique. Cettedonnée peut être complétée par une mesure de l’abondance en associantle nombre de spécimens observé de chaque espèce, ou la fréquence rela-tive de chaque espèce. Dans un lieu précis sur une superficie donnée (parexemple une parcelle de 1 ha) on obtient des relevés faunistiques oufloristiques, plus rarement de micro-organismes. Quand, localement, on

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32. Outre des méthodes statistiques d’échantillonnage et d’analyse, on peut aussiutiliser des modèles, comme on le voit en annexe.

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agrandit la taille de la zone d’observation, on observe généralement unensemble de points qui apparaît distribué au voisinage d’une courbe àconcavité négative (cf. figure 2.13). Estimer la biodiversité à grandeéchelle à partir d’un nombre d’observation limité ne relève donc pasd’une simple règle de trois. Mais il existe une taille du domaine d’obser-vation qui donne une estimation proche. Quelquefois cette taille n’estpas atteignable matériellement et économiquement. Il faut donc trouverd’autres solutions : des règles de trois améliorées. Nous en verrons uneillustration dans l’annexe à propos de l’évaluation du nombre d’espècesd’arbres dans la grande forêt équatoriale de la Guyane française.

Un écosystème est aussi limité dans l’espace et change dans le temps,même s’il est immense et à un état apparemment stationnaire, comme lasavane africaine ou la forêt amazonienne. Même si le paysage peutsembler uniforme, il peut néanmoins présenter un certain niveau d’hété-rogénéité spatiale, comme nous le verrons aussi dans l’annexe. Dans d’au-tres cas, le morcellement peut être important, c’est le cas de nombreusesrégions de l’Europe ou de l’Asie du sud. Comment bâtir des indicespermettant d’apprécier la diversité biologique à grande échelle ou dans uncontexte de morcellement important ? Comment comparer ces indices ?

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Le hasard dans les systèmes vivants

Figure 2.13. Forme générale de la relation entre nombre d’espèces recen-sées et superficie de la zone observée. Une méthode d’évaluation se fondeaussi sur des transects (le long d’une ligne, d’un trajet). L’effort d’échantil-lonnage est proportionnel à la superficie observée ou à la longueur dutransect. Cette courbe n’a évidemment de sens que dans un espace homo-gène, un écosystème donné.

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Le cas des grands écosystèmes a déjà été évoqué. Pour les compa-raisons entre zones différentes, on réalise des échantillonnages dans lesdifférents espaces concernés. Les données (présence/absence ou abon-dances) peuvent être rangées dans un tableau rectangulaire :taxons × stations. Des méthodes d’analyse des données peuvent être utili-sées pour comprendre la structure de ces ensembles de données et entirer des conclusions écologiques33.

Comme la mesure de la biodiversité dépend de l’espace considéré,on a pris l’habitude de distinguer trois échelles caractéristiques : locale,celle d’un site homogène (biodiversité alpha), celle d’un ensemble desites (biodiversité beta, groupe de sites) et « régionale » (biodiversitégamma, ensemble de groupes de sites). La question est le lien avec uneéchelle métrique, elle est évidemment croissante, mais dépend del’échelle du site élémentaire. Par exemple, une région géographique estcomposée d’unités plus petites, des paysages, et dans un paysage un sitepeut représenter un bois ou un pâturage. Bien évidemment, restel’échelle globale, non qualifiée dans la littérature (serait-elle qualifiabled’oméga ?) Néanmoins, au delà du discours, on peut s’interroger sur lesqualités opérationnelles de ces concepts.

Pour terminer sur ce point, retenons qu’un travail important reste àaccomplir, sur le plan conceptuel et méthodologique, mais aussi sur leplan instrumental.

VII Hasard, chaos et complexité

Cette question de la relation entre hasard, complexité et chaos a déjà été discutée par de nombreux auteurs, notamment des collègues mathé-maticiens et physiciens. Nous avons adopté une démarche plutôt

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LA NÉCESSITÉ DU HASARD

33. Très généralement pour les méthodes d’analyse des données écologiques, onpourra citer les travaux de l’école lyonnaise, autour de Daniel Chessel et de JeanThioulouse et les travaux récent d’une jeune chercheuse : Sandrine Pavoine, qui, pourcela, a reçu le prix du jeune chercheur 2004 de l’Institut français de la biodiversité. Pourles techniques d’acquisition des données, certes la réponse n’est pas évidente, mais encorefaut-il remarquer que l’instrumentation n’est pas dans la culture des écologues, expres-sion moderne des naturalistes.

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expérimentale. Les aspects techniques sont développés dans le chapitre 4dévolu à la modélisation. Nous pouvons cependant conseiller au lecteurles ouvrages comme celui de David Ruelle (1991) ou celui de Jean-PaulDelahaye (1999) ou encore celui de Christophe Letellier (2006). Ce qu’ilfaut retenir, c’est que la frontière est quelquefois ténue entre chaos ethasard, et pas seulement dans le vocabulaire courant, et que quelquepart, ils traduisent une certaine complexité.

Pressentie au début du XXe siècle par Poincaré, la découverte du« chaos déterministe » attribuée au météorologue Lorentz, en 1962, jetteune pierre de plus dans le jardin de nos certitudes. En 1976, dans unepublication restée elle aussi célèbre, R. M. May montre que le plus simpledes modèles non linéaires de la dynamique des populations, le modèlelogistique en temps discret, peut présenter un comportement chaotique,c’est-à-dire une dynamique où n’apparaissent pas à l’évidence de struc-tures simples connues (plateaux ou oscillations entretenues), mais unesuite d’allure erratique (oscillations irrégulières). Cela n’est observé quesur des modèles, et par extension sur des systèmes concrets, non-linéaires34.

Or les figures présentant une allure erratique sont engendrées par unalgorithme simple, parfaitement « déterministe ». Elles ressemblent, àpremière vue, à une suite aléatoire. Mais cette première impression estfausse, comme on le constate, en représentant la suite dans un espaceadéquat (cf. figure 2.14). En effet, on observe alors des structures spécifi-ques. En l’occurrence dans l’exemple précis, les points successifs s’accu-mulent sur une parabole. Cette parabole est un « attracteur ». Souvent lesfigures sont plus compliquées, mais restent localisées dans l’espace. Onles appelle des attracteurs « étranges », quand leurs formes ne sont pasréductibles aux figures simples de la géométrie euclidienne.

1. Du chaos au hasard

Dans des situations un peu plus compliquées, on peut utiliser des testsstatistiques pour vérifier les propriétés aléatoires de ce type de suite.Cependant, la question n’est pas résolue pour autant, on n’est jamais sûr

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Le hasard dans les systèmes vivants

34. Très schématiquement un système est dit linéaire si les effets sont proportionnelsaux causes, et non-linéaire autrement. On peut graduer les non-linéarités. Si l’on s’écartepeu d’une réponse linéaire, on est devant une non-linéarité faible, si l’on s’en écarte beau-coup, on est devant une non-linéarité forte. Les comportements « exotiques » de certainsobjets mathématiques, comme le chaos déterministe, résultent de fortes non-linéarités.

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d’avoir trouvé le « bon sous-espace » où apparaît la structure qui peutêtre de dimension supérieure à 2. En outre, pour la génération denombres pseudo-aléatoires, on utilise aussi des algorithmes et ce n’est pasparce qu’on ne leur trouve pas d’explication physique qu’on peut rejeterle fait que ce sont aussi des procédures engendrant une forme particu-lière de chaos qu’on appelle « hasard ». Ainsi s’estompe la frontière, entrele concret du chaos et celui de l’aléatoire, entre chaotique et stochastique.Ce n’est pas par effet de style que le mot « concret » est utilisé, nous yrevenons plus loin.

En adoptant une approche pragmatique, on peut essayer d’imaginercomment l’évolution a pu sélectionner des processus aléatoires. Parexemple, on peut prendre une situation déterministe simple commepoint de départ, sans chaos et de voir s’il est possible et à quel prix onpasse à un système chaotique puis à un système qui engendre des suitesqui sont proches de suites de nombres aléatoires. En prenant le langagedes systèmes dynamiques, on parle de comportement asymptotique entermes de point fixe ou de cycle limite. Ensuite on peut passer à unesituation devenant de plus en plus chaotique avec des attracteurs pluscompliqués, pour aller vers une structure apparemment aléatoire. Enprolongeant l’exemple de la figure 2.14, c’est ce qui est présenté dans lasection II du chapitre 4 et dont la conclusion est simple, on peut engen-drer facilement des séries chaotiques qui exhibent des propriétés analo-gues à celles de séries aléatoires.

Dans ce cas, nous voyons le calcul des probabilités et le formalismedes processus stochastiques comme un ensemble théorique permettantde décrire efficacement cette réalité, de bâtir des raisonnements, mais nedisant rien sur les mécanismes qui l’engendrent.

2. Intermittences

Par ailleurs, dans le registre des comportements d’apparence erratique,on soulignera le cas de l’intermittence qui se distingue du régime chao-tique par la présence de grandes zones de blancs et de séries de pointesarrivant plus ou moins par bouffées. Ce genre de situation est connu enneurobiologie, par exemple lors de l’analyse des signaux électriques lelong d’un axone. Elle existe aussi dans d’autres domaines, par exemple endynamique des populations (cf. figure 2.15). Le type de résultat observéconduit à s’interroger sur les conclusions souvent tirées, comme enhalieutique, lorsque la diminution drastique et même la disparition

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Figure 2.14. À gauche des schémas (1) et (2), les séries temporelles seressemblent beaucoup. Mais avec une représentation adéquate : xn+1 = f(xn),elles se distinguent nettement. (1) correspond au modèle logistique en tempsdiscret (May, 1976) qui peut exprimer un régime chaotique, comme c’est lecas ici. Les valeurs de la variable se distribuent sur une parabole. (2) corres-pond à un processus stochastique uniforme sur l’intervalle [0,1[ simulé avecun générateur de nombres pseudo-aléatoires. Les valeurs se répartissentdans le carré unitaire. Le schéma (3a) est engendré par le modèle zn = xn – yn,où xn+1 = r xn (1–xn) et yn+1 = r yn(1–yn), avec la même valeur de r(r = 3,98), mais avec des conditions initiales très légèrement différentes :x0 = 0,5000 et y0 = 0,5001. Le schéma (3b) correspond aussi à l’expressionζn = ξn – ψn, où ξn et ψn sont des valeurs de deux variables aléatoires unifor-mément distribuées sur [0,1[. Au début, le système chaotique est prévisible(connaissant x on connaît assez précisément y), mais, sensibilité aux condi-tions initiales oblige, les deux séries divergent rapidement. En revanche, il n’ya aucun intervalle visible où les deux séries aléatoires soient proches. On nepeut prévoir le résultat qu’en probabilité.

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apparente d’une population marine conduit à en attribuer l’origine à lasurexploitation de la ressource. C’est probablement vrai dans certains caset faux dans d’autres.

3. Deux hasards, deux complexités

Nous venons d’adopter une position pragmatique, l’origine chaotique dece qu’on appelle le hasard, sur lequel on a élaboré un cadre théoriquesolide : le calcul des probabilités. Ces deux mots, chaos et hasard sont aussiutilisés par ceux qui parlent de complexité ; ils les confondent parfois.

Or, un principe fondamental théorique les oppose et en cela noussuivons les travaux de Gregory Chaitin (par exemple, Chaitin, 2006) danssa définition de la complexité algorithmique : une série de nombres aléa-toires ne peut être décrite que par l’énoncé de tous ses nombres (grandecomplexité), une série chaotique est réductible à l’algorithme, auprogramme informatique, qui l’engendre, qui peut être très court (faiblecomplexité algorithmique)35. Cela nous renvoie aux relations entre

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35. Sur ce point, on pourra se référer à l’article de cet auteur publié dans Pour laScience (Chaitin, 2006) et à diverses contributions de J.-P. Delahaye, toujours dans cettemême revue (en particulier son premier article sur le sujet publié en 1991).

Figure 2.15. Intermittence en dynamique des populations : l’exemple de ladynamique des populations de sardines du Pacifique estimée à partir desdépôts sédimentaires marins au large de la Californie (Ferrière et Cazelles,1999).

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mathématiques, logique et réalités du monde physique, biologique,sociologique et à la réflexion d’Émile Borel à propos des probabilités. Undiscours, parfaitement légitime et essentiel, sur la complexité du mondeformel des mathématiques et de la logique, est-il transposable au monderéel ? La notion de complexité, au sens de Chaitin, permet de comparerdes algorithmes, mais est-elle transposable dans ce monde réel ? Et si oui,quelles sont les limites de ce type de transposition ? Il est important derépondre à ce genre de question à une époque où les discours sur lacomplexité fleurissent, notamment dans les sciences de la vie.

Cela étant, on se trouve devant une difficulté méthodologique :distinguer le chaos de l’aléatoire. Simple dans le cas théorique : présenced’un algorithme court pour engendrer du chaos, absence dans le cas del’aléatoire. Mais pour l’aléatoire, la théorisation qui en est faite et lestechniques qu’on en déduit, ne seraient-ils au fond qu’un concept,qu’une théorie et que des outils, au demeurant très utiles, pour gérernotre ignorance ?

Mais revenons à la complexité en adoptant une approche pragmatique.Dans l’étude de ce concept, il faut signaler les travaux de l’Institut de

Santa-Fé et tout particulièrement d’un de ses principaux initiateurs :Stuart Kauffmann (1993, 1995). Il s’est illustré dans ce qu’on appelle lavie artificielle.

Une définition du concept de complexité, selon l’équipe de cetinstitut, peut être trouvée sur internet36. Brièvement et selon eux, unsystème complexe est un réseau d’entités élémentaires ayant les caracté-ristiques suivantes :

– de nouvelles propriétés émergent, ne pouvant être simplementdéduites de celles de ses composantes. On entend souvent par « simple-ment », ce qui peut être obtenu par une combinaison linéaire, notam-ment un simple changement d’échelle, une simple somme des propriétésindividuelles ;

– les relations entre les entités sont diverses : de proximité ou loin-taines, non-linéaires, présence de boucles de rétroactions ;

– les entités et les relations peuvent évoluer dans le temps, denouvelles peuvent apparaître, certaines peuvent disparaître ;

– il est ouvert, c’est-à-dire qu’il existe des échanges avec le mondeextérieur ;

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36. http://www.fact-index.com/c/co/complex_system.html

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– il a une histoire ; quand on l’observe à un moment donné, il fautau moins en avoir conscience et même, si possible, prendre en comptecette histoire ;

– il comporte des emboîtements, c’est-à-dire qu’il est composé desous-systèmes ;

– ses frontières sont difficiles à cerner et résultent souvent du choixde l’observateur ; c’est ce qu’on appelle la fermeture du système.

À la lecture de ces caractéristiques, on voit que l’inspiration estfortement d’origine biologique et écologique. Mais cela s’applique aussiaux systèmes environnementaux et aux systèmes sociaux et économi-ques. Parmi les résultats importants de cette approche, on retiendral’émergence de lois globales simples, comme la « loi puissance » (desrelations du type y = x a), entre deux variables mesurées, par exemplesur un organisme. C’est la relation bien connue d’allométrie entre deuxcritères morphologiques, comme la masse corporelle et la taille d’indi-vidus dans une population. Cette relation peut trouver des justificationsthéoriques et être étendue à de nombreuses grandeurs mesurables sur unsystème, comme la relation entre surface corporelle et métabolisme(West et al., 1999).

Avec Claudine Schmidt-Lainé, tout en adoptant aussi une approchepragmatique, nous distinguons complexité structurelle de la complexitéfonctionnelle ou comportementale (Pavé et al., 2003) : un système estqualifié de complexe structurellement s’il est constitué de nombreusesentités reliées entres elles. Un système, même structurellement complexe,peut exhiber un comportement simple, régulier (exemple des « systèmesà nombreux compartiments » mais où les relations sont linéaires). Unsystème, même structurellement simple, peut exhiber un comportementcomplexe, le plus complexe étant un comportement erratique, chaotique(exemple d’une population isolée à dynamique logistique en tempsdiscret dans le domaine chaotique, cf. figure 2.14 et section II duchapitre 4). Les items énoncés par l’école de Santa-Fé sont pour laplupart des conséquences du développement de ces deux conceptscomplémentaires. Enfin, et suivant ce point de vue, le hasard observé (aumoins dans une partie des phénomènes du monde réel à comportementqualifié de stochastique) résulterait d’un comportement complexe erra-tique, celui-ci pouvant être engendré par des processus ou des combinai-sons de processus déterministes engendrant du chaos.

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VIII Hasard et niveaux d’organisation du vivant

L’une des caractéristiques fondamentales des systèmes vivants est leurcapacité à l’auto-organisation en structures emboîtées de plus en pluscomplexes sur le plan structurel : génomes, cellules, organes, orga-nismes, populations, communautés et écosystèmes. On peut imaginerque ces associations résultent de transformations progressives impli-quant des phénomènes aléatoires (cf. encadré 8). Mais en se replaçantdans la logique de l’histoire de la vie, celle de l’évolution, la longue duréepour arriver à une complexification en métazoaires, puis l’extraordi-naire accélération de la diversification et de l’auto-organisation depuisle Cambrien sont des observations étonnantes. On est loin du lentementprogressif. Cette accélération nous fait penser que l’apparition et lasélection des processus produisant la diversité et des systèmes organiséss’est faite principalement durant cette dernière période. Or cesprocessus font appel à du hasard. On peut donc penser que « lesroulettes » de la vie sont apparues et ont été sélectionnées surtoutpendant cette époque.

On comprend, grâce à ce schéma, que les niveaux d’organisationsuccessifs vont conduire à des entités de plus en plus grosses et même queles temps caractéristiques des processus qui émergent à ces différentsniveaux auront tendance à être plus grands que ceux des niveaux infé-rieurs. On peut ainsi construire un schéma de la hiérarchie des systèmesvivants (figure 2.16). Il faut néanmoins toujours rappeler que cettehiérarchie, apparue spontanément jusqu’au niveau des écosystèmes etmême de la biosphère primaire, est le résultat d’un nombre considérabled’années d’évolution biologique, alors que les structurations, dontl’Homme est le principal responsable, comme les paysages, se sontproduites sur un intervalle de temps extrêmement petit, comparé à cetemps de l’évolution.

Dans la figure 2.16, on distingue les « systèmes biologiques » des« systèmes écologiques ». En effet, il y a un saut qualitatif entre ces deuxcatégories. Les systèmes biologiques, du génome aux populations, ontune cohérence génétique, ce qui n’est plus le cas dans les systèmes écolo-giques, au moins à notre connaissance, encore qu’il reste à évaluer lestraces génétiques de la coévolution. Les valeurs moyennes des processus

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aléatoires spatio-temporels sont situées dans les mêmes domaines queles grandeurs caractéristiques des systèmes. La diversité biologique s’ex-prime à tous ces niveaux, comme nous l’avons déjà signalé. Il reste àbien la mesurer.

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Encadré 8Comment les systèmes vivants s’organisent-ils ?

Apparition progressive de structures hiérarchiques : au départ des entitésindifférenciées, par exemple des cellules (1). Au cours du temps, certainesde ces cellules (ou plutôt de lignées cellulaires) mutent au hasard et présen-tent des caractéristiques différentes (2 et 3). Par exemple sur la surface decellules des protéines peuvent acquérir des propriétés permettant à cescellules de s’agréger (5) et (6). On peut imaginer l’émergence progressive destructures emboîtées (7). Cela n’empêche pas la coexistence avec des struc-tures plus simples, notamment celles qui ne sont pas porteuses du gèned’agrégation. On pourra trouver un schéma voisin et des explicationscomplémentaires dans la contribution de Ferrière (in Michaud, 2003).Enfin, on pourra noter l’analogie avec le système immunitaire qui produitdes anticorps susceptibles de s’agréger à des antigènes.

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Enfin, on peut représenter approximativement la corrélation entre lataille des systèmes et les temps caractéristiques des processus qui prési-dent à leurs dynamiques. Ces processus s’expriment dans l’espacephysique et sont souvent liés à des rencontres entre individus. Plus lestailles de ces individus seront importantes, plus grand sera l’espacephysique concerné et plus grands aussi seront les temps de déplacementnécessaires à ces rencontres. On suppose évidemment que les individusse répartissent à des distances dépendant aussi de leurs tailles respectives.Par ailleurs, la « viscosité » du milieu est aussi un facteur limitant lesdéplacements. Cela est vrai « en moyenne » évidemment. La figure 2.17donne un aperçu de cette corrélation.

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Figure 2.16. Organisation hiérarchique des systèmes vivants (suivant Andréet al., 2003).(1) Systèmes biologiquesDes structures intermédiaires peuvent être identifiées, par exemple les popu-lations de macromolécules ayant un rôle fonctionnel : transcriptome,protéome, métabolome ou, au niveau des métazoaires, les tissus et lesorganes.

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Figure 2.16. (suite) Organisation hiérarchique des systèmes vivants (suivantAndré et al., 2003).(2) Systèmes écologiquesSi la structure et les limites d’un écosystème et de ses interfaces avec d’au-tres écosystèmes peuvent aisément être identifiées (les écotones), ou leslimites d’un bassin versant, ou encore les frontières bioclimatiques d’unécorégion, en revanche les bornes d’autres types de systèmes écologiques,comme les paysages, ne sont pas faciles à définir. On notera que le motcommunauté est pris ici au sens anglo-saxon (« the species that occurtogether in space and time », Benton, 1995).

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IX Conclusion

Nous avons montré les différents niveaux d’intervention et évalué l’im-portance fondamentale des processus aléatoires dans le fonctionnementet l’évolution des systèmes vivants :

– Au niveau du génome interviennent des mécanismes modifiant laséquence génomique, du codon aux morceaux d’ADN, tantôt par desdynamiques endogènes, tantôt par des transferts « horizontaux ». La

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Le hasard dans les systèmes vivants

Figure 2.17. Relation approximative entre les échelles d’espace et de tempsdes grandeurs caractéristiques des divers niveaux d’organisation (Barbaultet Pavé, 2003, Pavé 2006a). L’importance des processus aléatoires estégalement figurée. Elle est mimimale pour les organismes. E. coli K12 estune souche de référence de la « célèbre » entérobactérie Escherichia coli,l’un des principaux modèles de la biologie. La diagonale principale définitle demi-plan dans lequel se situent les temps et les tailles caractéristiques.La courbe inclinée donne une idée de l’importance des processus aléatoiressuivant les niveaux d’organisation.

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modulation du système de réparation permet parfois d’accroître l’am-pleur de ces processus, donc la diversité des individus d’une population.

– Lors de la reproduction sexuée, des processus de brassage géné-tique sont à l’œuvre, de la genèse d es cellules reproductrices à la fusiondes gamètes en passant par le choix, en grande partie aléatoire, du parte-naire. On observe même la mise en place de mécanismes préservant ourestaurant le brassage lorsque certaines conséquences évolutives peuventle limiter, voire l’annuler. Comme chez les plantes autogames où appa-raissent des processus immunologiques limitant l’autofécondation.Enfin, toujours chez les plantes, les possibilités de polyploïdie et d’hybri-dation interspécifique sont un facteur important de diversification dumonde végétal.

– La distribution désordonnée des individus dans l’espace et la plusgrande couverture spatiale possible assurent un vaste mélange, aussi bienpour les végétaux que pour les animaux. Cette distribution n’est pas encontradiction avec la théorie de la niche. En effet, selon les propriétés del’espace considéré, les espèces présentes sont différentes, mais ellesrestent mélangées. La distribution aléatoire dans un espace, en perpétuelchangement, empêche l’exclusion compétitive et protège contre les aléasenvironnementaux.

Ces processus ont, semble-il, été sélectionnés. Ils assurent la diversi-fication des systèmes vivants et leur répartition spatiale dans un environ-nement incertain, leur donnant ainsi les meilleurs atouts de « survie »aussi bien pour les espèces, prises en particulier, que pour l’ensemble desexistants sur la Planète.

Évidemment, fruits d’une expérience naturelle, d’un vaste et longbricolage de l’évolution, il ne faut pas s’attendre à trouver des processusstochastiques idéaux comme ceux qu’on peut imaginer théoriquement.Mais ces réflexions permettent de construire des modèles de référence etde les confronter à la réalité des données et donc de pouvoir décrire plusprécisément les processus. Ils peuvent aussi montrer comment lesutiliser. En cela nous suivons l’enseignement d’Émile Borel.

Le hasard n’est pas toujours efficace. Les organismes doivent êtrefonctionnels, autorégulés et adaptatifs. Une trop grande stochasticitégênerait ce « bon fonctionnement ». C’est du moins ce que nous apprendle paradigme technologique. Cela est vrai pour la physiologie générale del’individu. Mais on a aussi vu que le hasard intervenait dans le systèmeimmunologique, pour assurer une résistance aux agents infectieux. En

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gros, il se joue une sorte de drame interne, celui d’une microévolution,où les héros sont les anticorps et les antigènes, avec une forte interven-tion du hasard pour les diversifier. On pourrait presque dire que celui quia la « meilleure roulette », de l’agent infectieux ou de l’hôte, a toutes leschances d’être le survivant à la fin du conflit. Enfin, seuls les génomesdont l’expression génétique permet ce bon fonctionnement, c’est-à-direqui conduisent à un organisme viable, et qui permettront d’assurer unerésistance aux agressions, notamment biologiques, pourront « exister »et se transmettre dans la descendance.

Dans le jeu des relations interindividuelles, dont beaucoup se créentau hasard des rencontres, les mécanismes coopératifs tissent des réseauxqui stabilisent les ensembles d’individus, à tous les niveaux d’organisa-tion : moléculaire, cellulaire, organismique, populationnel, commu-nautés37, alors que la compétition interindividuelle, qui existeévidemment aussi, est considérée depuis longtemps comme prédomi-nante. La stabilité globale d’un système vivant résulte en fait des effetssubtils des mécanismes reproductifs, coopératifs, compétitifs et aussidestructifs. Le hasard de l’établissement des liens permet de diversifier lesréseaux qui pourront donner lieu à sélection. Les plus stables, les plusrésistants se perpétueront le plus longtemps. Ils seront « durables ».

Donc, il y a nécessité du hasard pour les systèmes vivants. Mais cehasard n’intervient pas n’importe où ni n’importe comment. Ce point devue change un peu les façons de voir. Plutôt que de chercher à toute forcedes déterminismes, cherchons et identifions les mécanismes engendrantdu hasard, leurs distributions, et regardons les déterminismes a poste-riori, alors que, pour l’instant, on a plutôt tendance à faire le contraire :on cherche à toute force des déterminismes et le stochastique n’intervientqu’en second plan, souvent d’ailleurs comme une contrainte, comme unecomposante qui gêne et non comme un fait essentiel. En effet, nousavons une perception négative du hasard. Nous pensons qu’il perturbenos sens, qu’il est un obstacle à la compréhension du monde, qu’il est uneimperfection, alors qu’il en est une partie intégrante, essentielle et effi-cace. Nous avons du mal à nous le représenter, ce hasard, ainsi que lemontrent des études psychologiques récentes (par exemple, Delahaye,2004) ; c’est peut-être aussi pourquoi nous peinons à en prendre toutes

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37. On pourra consulter la contribution déjà citée de R. Ferrière, dans l’ouvragecollectif édité par Y. Michaud (2003).

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Figure 2.18. Récapitulatif des niveaux d’organisation du vivant ; en gras :les niveaux eux-mêmes ; en italiques : les processus ; en italiques gras : lesprocessus à composantes aléatoires majeures ; les relations avec l’environ-nement de ces systèmes sont également représentées. Les processus encause sont pour la plupart endogènes aux systèmes vivants (ceux qui sontinclus dans les zones grise claire ou foncée). On comprend alors qu’ils aientpu donner prise à une sélection au cours de l’évolution. Ces processus sedéroulent dans l’espace et dans le temps et ceux qui produisent du hasardchangent, évoluent, apparaissent et disparaissent. C’est d’autant plus vrai,si on fait l’hypothèse qu’ils sont soumis eux-mêmes à une sélection. Onnotera qu’entre la première version du manuscrit et celle qui est publiée icile nombre et l’importance des processus à caractéristiques aléatoires n’afait qu’augmenter dans la littérature. Or il ne s’est passé qu’un peu moinsde deux ans…

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les dimensions. Or, sans lui, ce monde, notre monde, n’existerait pas.C’est du moins la leçon qu’on peut tirer de l’évolution et du fonctionne-ment des systèmes vivants.

En définitive, nous avons à la fois le hasard des divers brassages, lanécessité du bon fonctionnement et la nécessité du hasard pour que lessystèmes vivants soient évolutifs, qu’ils puissent se diversifier pourassurer la pérennité de la vie sur la Planète. Le hasard est nécessaire. Ilproduit de la diversité. Il est aussi utile. Une grande variété de méca-nismes l’engendre et des processus semblent en assurer la pérennité. Ladiversité des produits du hasard et la diversité des processus le produisantconstituent une double assurance pour la vie. En prendre la mesure et lesutiliser dans les applications pratiques ouvre aussi de nouvelles possibi-lités pour la gestion des systèmes vivants. C’est ce que nous allons voirdans le chapitre suivant.

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Le hasard dans les systèmes vivants

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Des enseignements pour la gestion

des systèmes vivants

Les valeurs et la connaissance sont toujours et nécessairement

associées dans l’action comme dans le discours.

J. Monod, Le Hasard et la Nécessité. Essai sur

la philosophie naturelle de la biologie moderne.

Émettre des hypothèses et des conjectures est partie intégrante de ladémarche scientifique et peut-être la principale. En donner des preuvesest essentiel, mais il est au moins aussi important d’en examiner lesconséquences pratiques. Si nous mettons en évidence l’importance desprocessus aléatoires spontanés dans les systèmes vivants, résultant demécanismes endogènes, c’est qu’il faut en tenir compte. Alors et dans cescas, leur gestion peut être rendue plus simple et plus efficace. Il se peutmême que, dans certains cas, nous ayons intérêt à améliorer l’efficacitédes processus engendrant du hasard, par exemple pour augmenter lavitesse de diversification ou pour améliorer les conditions de maintien dela biodiversité.

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C H A P I T R E

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I Les organismes

Pour la médication, il y a sans doute lieu de rester d’abord déterministeet, à cette image, de construire des modèles de référence et de traitementpour mieux intervenir en cas de dysfonctionnement. Il s’agit, parexemple, de modèles construits à des fins thérapeutiques pour soignerdes maladies où, si besoin, une composante aléatoire peut être introduitepour tenir compte des incertitudes des mesures ou des « facteurs noncontrôlés ». Le hasard pris en compte est, suivant notre terminologie,contingent, c’est-à-dire qu’il représente un « bruit de fond » et non pasun processus fondamental du « système organisme ».

Ce point de vue est largement répandu et avec juste raison car ilconduit à des actions très souvent efficaces. Cependant, nous avonsremarqué que les organismes utilisaient des combinatoires, issues devéritables « roulettes moléculaires », notamment dans le système immu-nitaire. Nous avons également vu que certains micro-organismesemployaient aussi des combinatoires pour déjouer ce système, parexemple le virus du SIDA mais aussi le plasmodium du paludisme, par laproduction rapide de variants présentant des antigènes de surface trèsdiversifiés. En tenir compte peut mener à des améliorations dans nosfaçons d’intervenir, par exemple, en limitant les processus combinatoiresdes agents pathogènes ou en amplifiant ceux du système immunitaire.On remarque au passage que ce point de vue introduit des concepts debiologie et d’écologie évolutive qui sont en passe de faire changercertaines thérapies. Il s’agit, par exemple, de prendre en compte le couple« hasard-sélection », ou des modèles de l’écologie formalisant les rela-tions entre cellules ou particules pathogènes et les cellules du systèmeimmunitaire. C’est l’introduction d’un tel point de vue, non standard envirologie, qui a conduit à une véritable révolution dans la vision du SIDAau milieu des années 199038.

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38. On retiendra notamment, l’utilisation de concepts et de modèles mathématiquesissus de l’écologie pour mieux comprendre le processus d’infestation d’un organisme parle VIH. Les articles de Wei et al., d’une part, et de Ho et al., d’autre part (Nature, 373, 1995,117-122 et 123-126) ont ainsi remis complètement en cause les hypothèses en cours sur la« furtivité » du virus. À ce sujet, on pourra également consulter les travaux

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II Les populations et les écosystèmes

Pour la gestion à long terme des populations et des écosystèmes, on peututiliser la part du hasard dans les processus spontanés. Par exemple, pourla restauration des écosystèmes dégradés, il n’est pas forcément besoind’être très interventionniste, pas uniquement dans un souci d’économie,mais aussi parce que les processus spontanés risquent de faire mieux quenotre imagination. La pratique nous montre quand même que la taille dela perturbation par rapport au milieu joue. La « cicatrisation » se feraplus spontanément sur une petite superficie que sur une grande. C’estaussi une question de temps, laisser « faire la nature » est souvent pluslent qu’une « bonne intervention » (par exemple pour la régénérationdes sols dégradés par une activité minière de surface). De la même façon,on peut laisser une large part à ces processus spontanés dans des écosys-tèmes naturels ou créés pour le long terme, par exemple les forêts spon-tanées ou plantées, dont l’existence s’établit sur des décennies et dans desespaces géographiques plutôt vastes. Cependant, cela ne nous dispensepas d’assurer un suivi et, si besoin, d’intervenir ponctuellement.

Le rôle des modèles est aussi important que pour la gestion dessystèmes déterministes : introduction du hasard et simulations pouranalyser les devenirs probables, recalages réguliers si on observe unedivergence par rapport à ce qu’on attend, définition des modes d’inter-vention, s’ils s’avèrent nécessaires, et évaluation de leurs impacts.

Pour les populations et les écosystèmes artificiels (par exemple,élevages et monocultures), la part du hasard est plus contingente étantempaquetée dans les « facteurs non contrôlés » au sens de la statistiquedes agronomes. On essaie, tant que faire se peut, d’en avoir une approchedéterministe. Aux modèles est ajouté un « bruit » de fond pour tenircompte des aléas introduits par ces facteurs non contrôlés. Cela étant, onpeut s’interroger sur de nouvelles pratiques, par exemple de culturesmultispécifiques avec répartition aléatoire des diverses espèces cultivées

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de Nowack et al. (Nature, 375, 1995, 606-611). Il est significatif de noter que dans la listedes auteurs apparaissent des « modélisateurs » connus pour leurs travaux en écologie eten dynamique des populations. Cette catégorie de scientifiques est rompue aux travauxaux interfaces entre disciplines, riches de concepts et de méthodes. De ce fait, ils sont ausside bon « passeurs de frontières ».

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pour diminuer les risques d’infestation et ainsi limiter les intrants chimi-ques, en particulier les pesticides. On mime là des systèmes naturelsdiversifiés dont l’expérience nous apprend qu’ils sont très résilients etdont on a vu que la distribution aléatoire des individus dans l’espace estaussi un facteur de résistances aux aléas environnementaux. De fait, lesmodes de gestion agronomique seront de plus en plus inspirés par lesapproches écologiques.

III La biodiversité

La gestion de la biodiversité est directement concernée par ce que nousvenons d’exposer. Nous avons vu qu’il existe des mécanismes de diversi-fication spontanés essentiellement fondés sur les processus aléatoires. Ilexiste aussi des mécanismes de réduction, eux aussi aléatoires. Il y a lieude mieux les caractériser et de les modéliser. Nous avons vu également lanécessité d’une approche traitant ces processus dans le temps et dans l’es-pace, à différentes échelles et à différents niveaux d’organisation. Nousavons encore vu qu’au niveau écologique le maintien de la biodiversitépourrait probablement être assuré en laissant largement fonctionner lesprocessus spontanés et notamment ceux à fortes composantes aléatoires.Dans un souci de gestion de cette biodiversité, il y a lieu de tenir comptesystématiquement de ces dimensions. Par exemple, il conviendra derépondre à des questions comme celle-ci : comment aménager un espacerégional permettant à la fois d’assurer des productions agricoles ouforestières tout en préservant la biodiversité ? Une question très actuellequand on sait les mutations que l’agriculture mondiale doit effectuer,dans les cinquante prochaines années pour nourrir la Planète tout enlimitant les effets négatifs, notamment les pollutions et l’érosion de labiodiversité.

Ces modes de gestion sont sans doute l’une des clés de l’ingénieriedes systèmes écologiques et de la gestion des territoires (Barbault et Pavé,2003, Caseau, 2003). Ils devraient inspirer les nouveaux modes de gestiondes agrosystèmes.

Il y a un effort certain à faire pour modéliser l’évolution des écosys-tèmes diversifiés, qu’ils soient naturels, spontanés, ou artificiels, et pourintroduire dans ces modèles des modes de gestion, étant donné que les

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objectifs ne sont pas les mêmes. En effet, les écosystèmes laissés à leurfonctionnement spontané ont plutôt un rôle de préservation de la biodi-versité alors que les écosystèmes diversifiés artificiels, de type « agricul-ture écologique39 », ont surtout un rôle de production.

Enfin, la gestion de la biodiversité, envisagée ici en termes écologi-ques, a évidemment une dimension génétique dont il faut tenir compte.

IV L’information et le patrimoine génétiques

La préservation ainsi que la gestion de l’information et du patrimoinegénétiques constituent des questions essentielles. En idéalisant, on pour-rait estimer que la réponse serait réductible à la création de banques degènes et de génomes in vitro ou même in silico40. Gènes et génomes ontune origine naturelle, produit de l’évolution biologique, et dans l’avenirpeut-être artificielle, résultant d’une synthèse complète ou d’unesynthèse partielle. Mais on sait déjà que la connaissance de la séquencegénétique n’est pas suffisante pour déterminer la structure et le fonction-nement d’une cellule, d’un organisme. Le gène et le génome n’ont pas lesmoyens d’être égoïstes sinon ils disparaissent. La vision déterministe quipréside à ce genre de prospective, éliminant l’aléatoire, est sans doute unfacteur de régression. C’est du moins une hypothèse raisonnable à lalumière de ce que nous avons exposé sur son rôle fondamental dansl’analyse de l’évolution et donc pour la préservation du vivant.

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Des enseignements pour la gestion des systèmes vivants

39. Le terme écologique n’est pas pris, ici comme dans tout le reste de cet ouvrage,au sens idéologique ou affectif, mais dans une acception strictement scientifique. On peutaussi parler d’ingénierie des systèmes écologiques ou d’agronomie « nouvelle », intégrantlargement les connaissances et concepts de l’écologie : l’agroécologie.

40. Néologisme latinisant utilisé dans la littérature pour ce qui relève de l’informa-tique. En l’occurrence, il s’agit de bases de données de séquences génétiques.

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V La conservation des ressources génétiques

Pendant une période assez longue, la conservation in vivo devrait resterprédominante parfois in natura, sinon dans des collections de matérielsbiologiques, dites de « ressources génétiques », pour les végétaux, sousforme de graines, pour les micro-organismes, sous forme cryogénisée,pour les animaux, soit vivants ou sous forme de sperme et d’ovuleconservés au froid. Il existe aussi des collections sous forme cultivée oude cultivars. Des bases de données sont associées à ces collectionspermettant de documenter les échantillons. Il y a lieu de préserver unrôle au hasard dans le maintien des collections en milieu naturel ou sousforme d’organismes vivants, notamment pour éviter les dégénérescences.

VI Les modifications génétiques : hybridation et sélection

On conserve donc, mais pour quoi faire ? En fait, l’utilisation principaleest de faire des hybrides et de sélectionner des animaux ou des végétaux.Sélection et hybridation sont les premières manipulations génétiquesinventées par l’Homme, bien avant que la génétique soit découverte.Ainsi, le ver à soie est sélectionné et hybridé depuis 4 000 ans. On penseque c’est le premier animal qui a donné lieu à ce type de « manipulationsgénétiques », au moins d’une façon systématique. On sait que le hasard,lié aux processus aléatoires intervenants dans la reproduction, joue unrôle important, si bien que les caractères des descendants, hérités desparents, sont variables. Cette variabilité, qui peut paraître gênante dansun premier temps, est en fait une richesse. Cela étant, en sélectionnant lesindividus présentant un avantage par rapport au caractère choisi, onespère observer, au bout d’un certain nombre de générations, une« amélioration » moyenne de ce caractère dans la descendance41. Les

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41. La sélection peut porter sur plusieurs caractères. Il se peut aussi que la pratiqued’une sélection jugée positive pour un caractère ou un groupe de caractères, peut en

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critères de sélection sont divers, mais ils ont une finalité, par exemple lasélection de variétés résistantes à des conditions climatiques, à des para-sites, ou encore de variétés produisant plus et avec une meilleure qualité.Ces techniques ne font qu’accélérer et diriger des processus évolutifsnaturels. Ce sont aussi des bonnes preuves de la pertinence du schémadarwinien.

On notera qu’un phénomène intéressant, l’hétérosis, est souventobservé suite à une hybridation : les descendants de la première généra-tion ont des performances supérieures à la moyenne des parents pour lecaractère choisi. Cependant, les générations ultérieures, obtenues à partirde ces hybrides, perdent progressivement cet avantage. Si bien que l’onest obligé de refaire régulièrement la manipulation. C’est une source derevenu importante pour les fabricants de semences. Les mécanismes à labase de ce phénomène d’hétérosis sont mal connus et se situent proba-blement dans l’expression du génome. Il faut également souligner quel’hybridation et la sélection jouent sur des caractères phénotypiques,généralement multigéniques et que la manifestation de ces caractèresdépend aussi de l’expression du génome.

Néanmoins pour essayer d’appréhender ce phénomène, on peututiliser l’analogie de la partie de cartes. On sait qu’il faut brasser le jeu detemps en temps, voire à chaque tour, par exemple pour le bridge, sinonles distributions successives se dégradent, la qualité et l’intérêt des partiesdiminuent. Nous pouvons émettre l’hypothèse que le phénomène d’hé-térosis résulte de l’expression du génome produit du brassage de deuxgénomes parents, compatibles mais différents. Ensuite, la relative unifor-misation des génomes des descendants ultérieurs fait perdre le résultatdu brassage, les « cartes » ne sont plus suffisamment mélangées et le« jeu » perd de son intérêt.

On notera aussi que la diminution de la qualité de la descendance estobservée dans les lignées consanguines animales. Les deux mécanismesnous semblent proches et l’on pourrait les comprendre en étudiant deslignées pour analyser le processus de diminution des performances,notamment en utilisant l’expression du génome que constituent le trans-criptome et le protéome. On notera néanmoins que, dans certains cas, on

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Des enseignements pour la gestion des systèmes vivants

« contre sélectionner » d’autres. Ainsi, pense-t-on que la sélection des bovins sur laproduction de lait et de viande a eu une influence négative sur leur aptitude à vivre indé-pendamment de l’Homme.

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tente d’obtenir des animaux très « semblables génétiquement » par detels croisements, notamment pour des tests pharmacologiques. Ce sontles « lignées isogénétiques » (d’autres approches sont possibles comme leclonage, comme on peut le voir un peu plus loin).

Le recours aux modèles, essentiellement probabilistes, est courant etrelativement ancien ; ce sont ceux de la génétique quantitative et de lagénétique des populations. Il y a cependant lieu de les améliorer à lalumière des nouvelles connaissances.

En conclusion, il y a nécessité du hasard, celui introduit par lescroisements lors de l’hybridation, pour le maintien de lignées nonrégressives, voire pour leur amélioration. Ces processus ont, sans nuldoute, aussi joué spontanément dans l’évolution biologique sur unesélection, non plus choisie par l’Homme, mais imposée par le milieu.On suppose généralement qu’ils sont le produit de croisements aléa-toires assurant une bonne adaptation des descendances à leur environ-nement.

VII Les manipulations génétiques : insertion de gènes

Nous attaquons ici le délicat problème des « manipulations génétiques »et des « organismes génétiquement modifiés » (OGM) qui en résultent.Il faut se méfier des mots. En effet, ce que nous venons d’exposer surl’hybridation et la sélection en relève aussi, puisque ces procédés aboutis-sent à des organismes répondant à des critères donnés, définis à l’avance,en modifiant leur génome par croisements successifs. La différence avecl’insertion de gènes, utilisant le processus domestiqué de « transfert hori-zontal », c’est d’une part qu’on peut introduire des gènes exospécifiques,c’est-à-dire appartenant à d’autres espèces, ou dans l’avenir plus oumoins synthétiques, ce qui n’est pas possible par les techniques d’hybri-dation classiques, et, d’autre part que l’on ne manipule, pour l’instant,qu’un seul gène.

On voit bien que le hasard n’intervient apparemment plus commeprocessus fondamental au moment de la manipulation, mais d’unefaçon contingente, comme dans toute expérience où l’on n’est assuré

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que d’un pourcentage de succès. Encore que l’on pourrait s’interrogersur la résistance à ce type de transformation. Peut-être n’est-ce pas parhasard ?

Ensuite se posent les questions de la reproduction de cet organisme,de sa diffusion, de son hybridation avec des variétés proches et d’unéventuel avantage sélectif que procure cette greffe génétique, à lui et à sesdescendants. Ce sont les grandes questions biologiques et écologiquesactuelles. Nous retrouvons là les processus, dont nous avons déjà discuté.Trois points cependant ont été peu abordés jusqu’à présent. Le premierconcerne l’estimation du transfert horizontal spontané et l’étude précisedes processus impliqués dans ce transfert. Outre l’importance de cetteestimation pour l’utilisation d’OGM, il est aussi intéressant de pouvoirintroduire ce processus dans les approches évolutives. Le second estrelatif aux éventuelles modifications de la dynamique du génome et desdivers mécanismes sous-jacents, conséquences d’une telle introduction.Par exemple, y a-t-il changement des fréquences d’occurrences decertains processus comme l’activation de transposons ou comme lesremaniements chromosomiques ? Plus généralement et c’est le troisièmepoint, dans quelle mesure ces manipulations altèrent les « roulettesbiologiques », moteurs de la diversification spontanée et, en cas de géné-ralisation de la technique, quelles peuvent être les conséquences évolu-tives, c’est-à-dire sur le très long terme ?

Bien sûr, des précautions sont prises et à prendre pour éviterd’éventuels effets négatifs de cette nouvelle technologie et cela d’autantplus que les OGM sont une réalité d’aujourd’hui et concernent desproduits de grand intérêt (par exemple, pour les produits alimentaires,le coton, le soja, le manioc ou le riz, et pour les composés à visées théra-peutiques, les bactéries qui synthétisent des antibiotiques42). C’est à larecherche de faire ces évaluations en prenant toutes les dimensions duproblème, biologiques et écologiques évidemment, mais aussi sanitaireset sociales, politiques et économiques, et… pourquoi pas psychologi-ques ? Si, pour certains, les OGM sont l’objet d’enjeux économiques,souvent louables mais quelquefois peu avouables, pour d’autres, lediscours anti-OGM ne constitue-t-il pas aussi un fonds de commerce ?

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42. Ces bactéries portent des handicaps génétiques pour empêcher une éventuelleprolifération hors des milieux confinés.

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Là encore l’analyse scientifique interdisciplinaire du problème pourraitnous éclairer43.

Enfin, on notera, et c’est dommage, que le recours aux modèlesformels et aux simulations numériques est encore peu courant dans cetype d’études, même limitées aux aspects biologiques et écologiques.

VIII Le clonage

Cette technique, obligatoire pour les micro-organismes, courante etancienne dans le domaine végétal, est maintenant envisagée chez lesanimaux supérieurs, y compris l’Homme. Il n’est pas de notre propos d’endiscuter les aspects éthiques, mais seulement d’en signaler les limitesbiologiques. En effet, d’une part un descendant obtenu à partir d’ungénome d’une cellule somatique n’est pas, contrairement à ce qui est tropsouvent dit, la copie conforme du parent. En effet, il est fort probable quele génome de la cellule choisie ait subi diverses modifications liées à ladynamique propre de ce génome et aux mutations spontanées, consé-quences des processus que nous avons vus. De plus, cette technique obli-tère complètement les remaniements et le brassage du génome aumoment de la reproduction dont on a vu les effets positifs et la richesseévolutive. Dans le clonage, les conséquences liées à l’érosion génétiquerisquent, pour la lignée envisagée, d’être pires que pour les lignées consan-guines. C’est particulièrement vrai chez l’animal où le clonage n’a pas étésoumis à la sélection évolutive, contrairement au végétal où la multiplica-tion (ou reproduction) végétative est un phénomène spontané, mais quin’exclut pas la reproduction sexuée. En tout cas pour l’Homme, on peutdire que si l’on fait une lignée de clones, les tares ne cesseront de s’accu-

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43. Dans cet ouvrage, comme annoncé dans l’avant-propos, nous n’avons fait quedes allusions aux problèmes autres que biologiques et écologiques concernant la bio-diversité. Il y a déjà beaucoup de travaux sur ces sujets, mais un ouvrage synthétique et…objectif présenterait un grand intérêt. Le jeu des acteurs sociaux, l’analyse des intérêtsavoués et non avoués, mériteraient qu’on s’y arrête au même titre que ce qu’a faitCatherine Aubertin en coordonnant l’ouvrage suivant : Représenter la nature ? ONG etbiodiversité, éditions IRD, Paris, 2005. Sur un autre plan, on pourra lire avec profit et…avec plaisir le livre d’Erik Orsenna : Voyage aux pays du coton. Petit précis de mondialisa-tion, Fayard, 2006.

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muler. Ainsi on a noté que même dès le premier clone des problèmessurgissent, à l’image de ce qui a été observé chez Dolly. En effet, ce premierclone réussi de mammifère, une brebis (née en 1996, et « conçu » par uneéquipe de chercheurs du Roslin Institute d’Edinburgh) a vieilli prématuré-ment, vérifiant ainsi les craintes des chercheurs ; elle est morte à 6 ans,alors qu’une brebis peut vivre largement le double d’années. Une autrebrebis clonée en Australie n’a vécu qu’un peu plus de 2 ans…

IX Les molécules actives d’origine biologique

Les substances actives d’origine biologique proviennent du calageprogressif des êtres vivants entre eux, à l’échelle des centaines de millionsd’années de l’évolution. Pour survivre et se maintenir, une espèce doit« apprendre » à utiliser son milieu, sans l’épuiser, ni le rendre impropre àla survie, à se protéger contre les agressions, sans en être la proprevictime, à coexister, voire à coopérer avec d’autres espèces. C’est un subtilréglage entre exploitation, défense, compétition, coexistence et coopéra-tion. Dans ce jeu, les substances chimiques, produits du métabolisme,lui-même expression du génome, jouent un rôle important pour laprotection par l’émission de substances répulsives, pesticides ou antibio-tiques, pour la coopération, par la synthèse de « signaux » chimiquesattractifs, ou de composés utiles pour d’autres organismes (exemple dessymbioses mycorhiziennes).

La recherche de substances actives, dont l’existence est un fruit du« hasard évolutif » ayant produit la biodiversité d’aujourd’hui, a desfondements théoriques. Cependant, dans l’état actuel de nos connais-sances, si on peut expliquer de façon générale cette existence, il nousmanque encore des outils opérationnels permettant de guider précisé-ment la recherche de telles substances. C’est ce qui explique que dans laphase actuelle nous sommes le plus souvent conduits à appliquer desméthodes d’échantillonnage systématique et à faire des tris successifs (les« screenings »).

Des voies, non spécifiquement biologiques, peuvent être suiviescomme celles des études des savoirs traditionnels, mais elles ont aussi

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Des enseignements pour la gestion des systèmes vivants

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leurs limites. Efficaces pour les produits et substances à intérêt agroali-mentaire et les matériaux, elles ont montré leurs limites dans le domainethérapeutique. En tout état de cause, nous ne pouvons plus faire l’éco-nomie d’une réelle biologie déductive encore largement à développer.

Sur ce dernier point, on peut cependant avancer quelques idées.Nous avons vu que l’un des moyens de garantir la permanence d’uneespèce est de s’étaler dans l’espace et de se mélanger avec d’autres. Cedernier point est important, notamment pour limiter le risque biolo-gique lié aux agents infectieux. On sait, par exemple, pour les animauxdomestiques, que les élevages en « batterie » sont très sensibles. Cela estcompréhensible, l’agent infectieux peut se développer facilement grâce àla promiscuité. Or dans le milieu naturel, il existe des groupes animaux,végétaux et microbiens qui vivent très nombreux dans un espace réduit.C’est le cas, par exemple, des bactéries, mais aussi des insectes sociaux,singulièrement les sociétés de fourmis. Pour résister à l’apparitiond’agents infectieux, des systèmes de résistance ou immunologiques spéci-fiques ont dû être sélectionnés, fondés, en particulier chez les insectes oules bactéries, sur la synthèse d’antibiotiques. Il est donc judicieux derechercher de telles substances dans ces groupes. On le fait déjà chez lesbactéries, mais encore peu chez les insectes. Par ailleurs, sachant que lescancers, ou des maladies voisines liées à un dérèglement de la proliféra-tion cellulaire apparaissent « avec l’âge », il semblerait intéressant dechercher des substances anticancéreuses dans des organismes d’espèces àlongue durée de vie, comme certains végétaux, par exemple les arbres,mais pas exclusivement. En revanche, comme nous l’avons déjà évoqué,les végétaux ont tendance à se distribuer largement, plutôt au hasard, etdonc à créer des peuplements plurispécifiques et très mélangés. Ilsdonnent donc peu de prise à des phénomènes épidémiques, donc peu àla sélection des systèmes et de substances antibiotiques44.

En résumé, il est judicieux d’orienter les recherches de substancesantibiotiques chez les bactéries et les insectes sociaux. En revanche,pour les produits anticancéreux on peut s’intéresser plus spécifique-ment aux plantes. On sait aussi que ces dernières sont immobiles et nepeuvent trouver leur salut dans la fuite. Des mécanismes de production

120

LA NÉCESSITÉ DU HASARD

44. Ce paragraphe a été rédigé suite à des discussions avec Alain Dejean, spécialistede renommée internationale des insectes sociaux, et avec Pierre Charles-Dominique,écologue lui aussi bien connu.

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de substances toxiques ou répulsives ont été sélectionnés pour sedéfendre contre les prédateurs. Inversement, elles produisent aussi dessubstances attractives pour la dissémination des pollens et des graines.On observe donc un subtil équilibre entre production d’une part detoxiques et de répulsifs et, d’autres part, d’attractifs qui peuvent d’ail-leurs ne pas être produits par les mêmes organes. Par exemple, pour lesinsectes les fleurs d’un arbre peuvent synthétiser des attractifs, inverse-ment les cellules ligneuses des toxiques ou des répulsifs.

X Les limites et les conséquences de l’intervention de l’Homme sur les systèmes vivants

Les interventions de l’Homme se font dans un univers de possibles, celuiqui est autorisé par les « lois45 de la nature », connues ou non. Ellespeuvent adapter, modifier les processus ou en inventer d’autres, mais pasaller contre ces lois. Ce à quoi nous avons affaire résulte de près de4 milliards d’années d’évolution, il y a donc lieu d’être attentif et précau-tionneux. Ainsi, dans les aspects pratiques, nous ne faisons qu’utiliser etadapter des processus spontanés et les associer de façons différentes.L’une des conséquences majeures est l’accélération des transformationset des modifications. C’est par exemple le cas de l’emploi des techniquesd’hybridation et de sélection ou de transfert horizontal qui accélèrent desphénomènes évolutifs. Au cours de cette longue évolution, des multi-tudes d’expériences spontanées se sont réalisées. Les systèmes vivants sesont frottés entre eux et ont produit des entités et des composés utilesque nous ne connaissons encore que très peu. Il ne faut pas attendre demiracle, telle la molécule qui guérirait tout et tous. Son existence mêmepourrait d’ailleurs oblitérer toutes autres formes de vie autres que cellequi les a produites. En revanche, on peut espérer identifier une multitudede produits utiles et valorisables. C’est là la « plus-value » de la biodiver-sité, productrice de richesses pour l’Homme.

121

Des enseignements pour la gestion des systèmes vivants

45. Le terme de « loi » (de la nature), qui me gênait, me semble maintenant bienadapté avec l’idée de limites des possibilités d’action qu’il sous-entend.

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On remarquera enfin que les processus stochastiques ont été peu« domestiqués », l’aléatoire étant plutôt vu comme une gêne que commeun fait utilisable et encore moins comme créateur potentiel d’unerichesse ; et pourtant, nous avons vu son rôle essentiel dans ce que nousconsidérons maintenant comme telle : la biodiversité. La nécessité duhasard ne s’impose pas à l’évidence et… encore moins son utilité.

Et pourtant le hasard est nécessaire et utile.Comme nous l’avons annoncé dans la courte introduction à cette

section, nous avons donc intérêt à identifier et à bien analyser lesprocessus, notamment endogènes, produisant du hasard, à évaluer leurutilité en fonction d’objectifs définis, et éventuellement à les utiliser,voire à les améliorer, comme on perfectionne une roulette pour obtenirdes tirages approchant de mieux en mieux une distribution uniforme.

XI Les technologies bio-inspirées et biomimétiques

Ces deux termes nous viennent de la biomécanique et de l’informatique.On parle de biomimétisme lorsqu’on construit un dispositif techno-logique ressemblant à une entité vivante ou à un élément de cette entité(exemples d’un robot androïde ou d’un bras mécanique). Les techno-logies bio-inspirées sont très voisines, mais ne se limitent pas à imiter uneentité, mais aussi des processus biologiques, écologiques et évolutifs. Parexemple, les algorithmes génétiques miment des processus de mutation-sélection pour résoudre des problèmes d’optimisation (cf. chapitre 1,section II.4 et note 7). Ces relations entre biologie et technologie ne sontpas nouvelles ; elles remontent au moins aux années 1940, avec l’inven-tion de la cybernétique par Norbert Wiener. Elle a été principalementdéveloppée pour mettre en correspondance les processus de régulationsphysiologiques et technologiques (la célèbre notion de rétroaction vientde la cybernétique). Plus tard on a parlé de bionique, mais ce mot esttombé en désuétude. Résultats d’une longue évolution, les systèmesbiologiques exhibent des originalités, inspirent des solutions qui peuventêtre utiles dans nombre de domaines de l’activité humaine. Cette« ressource intellectuelle » est loin d’avoir été exploitée.

122

LA NÉCESSITÉ DU HASARD

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L’apport des modèles et de la modélisation :

quelques exemples

Lui les incita à rendre clair l’obscur et simple le complexe.

Al-Kwârizmi, IXe siècle46.

Dans ce chapitre, on trouvera quelques illustrations ou résultats utilisésdans le texte et obtenus grâce à des modèles. La première partie de cechapitre, dévolue à la génétique, montre des modèles probabilistes clas-siques, efficaces, on le sait et on le montre, mais qui ne disent rien sur lesmécanismes engendrant ces phénomènes aléatoires observés. Dans cetteoptique et comme base de réflexion, on pourra réfléchir sur la transitionchaos-aléatoire, comme nous l’esquissons dans la seconde partie de cechapitre. Enfin, de grandes tendances d’évolution de la biodiversitépeuvent être modélisées par de simples expressions mathématiques, parexemple le modèle logistique ; on remarquera que malgré sa simplicité,on peut tirer quelques enseignements sur de possibles mécanismesglobaux expliquant cette dynamique. Enfin dans la dernière section,

123

C H A P I T R E

4

46. Cité par Denis Guedj dans Le Théorème du perroquet (Seuil, 1998).

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nous proposons un schéma général de modélisation des systèmes vivantsincluant les tendances moyennes « déterministes » et les composantesaléatoires et chaotiques.

En quelque sorte on voit dans ce chapitre le rôle clarificateur etsimplificateur du modèle, outil de plus en plus incontournable notam-ment pour l’analyse de données et comme support de réflexion47.

I Génétique et calcul des probabilités : lois élémentaires, évolution dans le temps de la constitution génétiqued’une population

Il est merveilleux de constater, dans les découvertes de la génétique, quele calcul des probabilités fournit des modèles mathématiques efficaces etla statistique un cadre rigoureux d’analyse des résultats expérimentaux.On pourra noter que G. Mendel, l’inventeur de la génétique, était profes-seur de sciences naturelles et qu’il enseignait aussi la statistique dans uncollège. Ce n’est donc pas tout à fait « un hasard » s’il a remarqué desproportions singulières et à peu près reproductibles dans les résultats decroisements de petits pois et d’autres végétaux.

Ses découvertes, qu’on peut considérer comme parmi les plusimportantes dans l’histoire de l’humanité, n’ont pas été estimées à leurjuste valeur par ses contemporains.

124

LA NÉCESSITÉ DU HASARD

47. La modélisation est devenue une méthodologie incontournable dans denombreux domaines scientifiques. Associée à la simulation numérique, elle montre uneredoutable efficacité. Le CNRS au milieu des années 1990 avait lancé un programmeinterdisciplinaire sur le sujet, dirigé par Cl. Schmidt-Lainé. Pour ce qui est de la biologieet de l’écologie, on retiendra les travaux du Club Edora de l’INRIA dans les années 1980-1990 et plus généralement pour l’environnement, ainsi que les travaux du groupe« méthodes, modèles et théories » du Programme Environnement, Vie et Sociétés duCNRS et le numéro spécial « Sciences pour l’ingénierie de l’environnement » de la revueNatures, Sciences, Société (2002). On notera enfin le dossier sur le sujet de Pour La Sciencedaté de juillet/septembre 2006 (cf. en particulier l’introduction de J.-P. Delahaye et F.Rechenmann).

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Nous allons illustrer ces bases de la génétique et l’intérêt des modèlesprobabilistes sur deux exemples simples.

1. Le schéma mendélien

Considérons une population sexuée, diploïde. Dans cette population, lesindividus portent un gène, non lié au sexe, pouvant se présenter sousforme de deux allèles A et a. Supposons qu’on observe la descendance ducroisement de deux individus différents hétérozygotes Aa. Le résultat dece croisement peut être prévu en construisant le tableau à double entréeci-dessous.

La traduction de la théorie mendélienne de transmission des gènesest que :

1. cet ensemble de résultats possibles forme un système completd’événements (les résultats sont mutuellement exclusifs et la somme deleur probabilité est 1) ;

2. les différents résultats sont équiprobables :P(AA) = P(Aa) = P(aA) = P(aa) = 1/4.

En pratique, on observe l’expression phénotypique du génome.D’abord les phénotypes Aa et aA sont indiscernables, si bien que laprobabilité d’observer, dans la descendance, un individu hétérozygote estde P(Aa)+P(aA) = 1/2.

Ensuite, si l’allèle A est dominant, alors la probabilité d’observer undescendant de phénotype A est alors : P(AA)+P(Aa)+P(aA) = 3/4 et dephénotype a est de 1/4.

En pratique, quand on fait une telle expérience d’étude de la descen-dance d’individus hétérozygotes, on n’observe pas exactement cesproportions, pas plus qu’on observerait exactement les proportions 1/2et 1/2 dans un jeu de pile ou face. Mais comment établir que l’observa-tion peut raisonnablement être interprétée comme une réalisation expé-rimentale de ce schéma théorique ? La statistique nous apporte desréponses avec des tests appropriés permettant d’en décider (dans ce casprécis le célèbre test du χ2).

Individu 1 (mâle)

Individu 2

(femelle)

A a

A AA Aa

a aA aa

125

L’apport des modèles et de la modélisation : quelques exemples

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2. Évolution génétique d’une population autogame

Considérons toujours le même schéma, mais avec une population auto-game, c’est-à-dire d’individus pratiquant l’autofécondation. Cette situa-tion se trouve dans de nombreuses espèces végétales où le même individuporte à la fois les gamètes mâles et les gamètes femelles. Supposons quel’on parte d’une population d’hétérozygotes Aa. Nous allons essayer deprévoir l’évolution génétique de ce type de population.

Enfin nous étudierons l’évolution de la structure génétique pour ungène biallélique que nous noterons A (et) a. Les différentes structuresgénétiques possibles sont alors :

– AA et aa pour les homozygotes ;

– Aa pour les hétérozygotes.

Si en outre on fait l’hypothèse que les générations sont distinctes(temps discret), ces différentes structures peuvent constituer les états de cequ’on appelle un processus de Markov, les épreuves étant le passage d’unegénération à une autre. En effet, la composition de la population à unecertaine génération dépend seulement de la composition de cette mêmepopulation à la génération précédente (selon les hypothèses faites) :

– tout individu homozygote donnera des descendants homozygotesde la même catégorie ;

– tout individu hétérozygote donnera des descendants :

• AA avec la probabilité 1/4,• Aa avec la probabilité 1/2,• aa avec la probabilité 1/4.

On peut alors construire le tableau 4.1 des probabilités de transitionde la génération Gk à la génération Gk+1.

Gk+1

Gk

AA Aa aa

AA 1 0 0

Aa 1/4 1/2 1/4

aa 0 0 1

126

LA NÉCESSITÉ DU HASARD

Tableau 4.1. Probabilités des génotypes des descendants, relativement auxallèles du gène A, selon la théorie mendélienne de disjonction et de recombi-naison indépendante des allèles.

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Alors la matrice de passage de la génération k à le génération k+1est :

Par exemple, supposons que l’on parte d’une population constituéeuniquement d’hétérozygotes à la génération 0. Cette hypothèse se traduitsous la forme de la matrice unicolonne suivante :

La composition en probabilité de la première génération sera alors :

On peut aisément voir comment l’évolution se réalise au cours dutemps. Pour cela il suffit de calculer Pn. Nous passons sur les aspects tech-niques passant par une matrice diagonale ; on obtient :

On voit que : lorsque n r ∞ alors r et que r 0donc

On peut étudier alors les proportions d’individus homozygotes AAet aa après un grand nombre de générations, en fonction de la constitu-tion initiale :

12n

12

2n – 12n + 1

127

L’apport des modèles et de la modélisation : quelques exemples

� �1 1/4 00 1/2 00 1/4 1

P = .

� �010

V0 = .

� � �1 1/4 00 1/2 00 1/4 1

� 1/41/21/4

V1 = P V0 = = .� �010

� �1 1/2 00 0 00 1/2 1

Pn = .lim

n r ∞

Pn = .� �1 2n – 1 0

2n+1

0 2n – 1 12n+1

0 1 0 2n

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– p0 pour AA ;– q0 pour Aa ;– r0 pour aa avec p0+q0+r0 = 1.

Après un grand nombre de générations, les fréquences des diffé-rentes constitutions génétiques tendrons vers :

Notons que si p0 = r0, on obtient une population comprenanttoujours une égale proportion d’individus AA et aa.

On peut aussi représenter graphiquement l’évolution d’une tellepopulation (cf. figure 4.1)

Ce modèle permet donc de prévoir l’évolution de la constitutiongénétique d’une population autogame. Il pourra être testé à partir d’uneexpérience et des données qui en seront issues. Il permet aussi de prévoirles conséquences d’un tel type de reproduction. En particulier, latendance vers l’homozygotie va diminuer la résistance de ces populationset leurs « performances ».

128

LA NÉCESSITÉ DU HASARD

== .� �pn

qn

rn

� �� �p0

q0

r0

limn r ∞ � �1 1/2 0

0 0 00 1/2 1

0

p0 + q012

12

r0 + q0

Figure 4.1. Exemple d’évolution d’une population autogame diploïde. Onpart d’une population d’hétérozygotes ; asymptotiquement ceux-ci dispa-raissent et il ne reste plus que des homozygotes.

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C’est ce qui permet d’expliquer, que si des espèces autogamesdiploïdes existent, des mécanismes immunologiques limitent et empê-chent même l’autofécondation48. C’est un moyen d’éviter la consangui-nité dont on sait qu’elle conduit assez vite à des individus faibles, avecune accumulation progressive des allèles régressifs. L’évolution a« inventé » l’autogamie, qui peut s’avérer aussi une solution de conserva-tion de l’espèce : en cas de catastrophe, un seul individu suffit théorique-ment à la reconstituer. Elle a aussi inventé les moyens de la limiter afin depréserver le brassage génétique. En gros, là où l’expression du hasardétait restreinte, les moyens de la restaurer ont été sélectionnés.

II Du chaos au hasard : les roulettes biologiques – exemple à partir du modèle logistique en temps discret

1. Le modèle logistique en temps discret

Le modèle logistique en temps discret intervient en dynamique despopulations. Rappelons qu’il a été proposé par R. May en 1976, sa voca-tion principale était d’interpeller les écologues et dynamiciens despopulations sur l’interprétation des dynamiques erratiques. Cet article aeu un grand succès, au demeurant mérité, car l’introduction du chaosdéterministe, en dynamique de populations, correspondait à une véri-table rupture épistémologique. Nous allons détailler quelques peu cemodèle et l’utiliser pour explorer la transition chaos-hasard.

129

L’apport des modèles et de la modélisation : quelques exemples

48. Dans certaines espèces, par exemple chez les saules ou les palmiers, appelées« dioïques » (étymologiquement, « deux habitats », mais dans le contexte botanique ceterme signifie monogame, les individus ne portant qu’un seul type de gamètes, mâle oufemelle), les plantes sont unisexuées. D’autres, dites « monoïques » (individus bisexués,c’est le cas du noisetier ou du maïs), ont des fleurs unisexuées, mais les deux types degamètes sont portés par un même individu. Cependant, la plupart des Angiospermes ontdes fleurs hermaphrodites (ou bisexuées). Lorsque les sexes ne sont pas séparés, des méca-nismes physiques ou chimiques empêchent, dans de nombreux cas, l’autofécondation : onvoit là des progrès évolutifs, puisque l’hétéropollinisation ainsi imposée assure un brassagedes hérédités parentales (d’après M. Favre-Duchartre, EU, 2003, 2005, Angiospermes).

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Notons x(t) la taille d’une population au temps t, et considérons unintervalle de temps (t, t+1). Si l’accroissement de cette populationx(t+1) – x(t) est proportionnel à sa taille x(t), le modèle est linéaire (i.e.x(t+1) – x(t) = a x(t), où a est une constante). Au cas où la proportion-nalité n’est pas vérifiée, le modèle est non linéaire. C’est le cas du modèlelogistique en temps discret : x(t+1) – x(t) = a x(t)(K – x(t)). On peutstandardiser le modèle et en écrivant x(t+1) en fonction de x(t) et enfaisant un changement d’échelle sur x revenant à poser K = 1, le modèles’écrit alors : x(t+1) = r x(t)(1 – x(t)) où r est une constante positive dontla valeur règle le comportement du modèle. Suivant les valeurs de ceparamètre r, on peut observer différents comportements du modèle.Ceux-ci sont résumés dans la figure 4.2.

130

LA NÉCESSITÉ DU HASARD

Figure 4.2. Modèle logistique en temps discret xt+1 = r xt (1 – xt). Lesallures du graphe x(t) pour t = 0, …, n, …, 20, suivant diverses valeurs dela constante r, changent notablement.

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Lorsqu’un objet mathématique, en l’occurrence des équations diffé-rentielles ou comme ici des équations récurrentes, change de comporte-ment, notamment asymptotique, suivant des variations d’un ou deplusieurs paramètres de cette équation, on parle de bifurcation. Parexemple, la solution de cette équation change, comme on le montre lafigure 4.2 : d’un plateau, ou asymptote horizontale pour r ≤ 3, à des oscil-lations entretenues pour r > 3, avec d’abord une période simple, puis unepériode un peu plus compliquée : des signaux oscillants qui se répètentmais avec une période plus longue et dans chaque période 2, puis 4 oscil-lations d’amplitudes différentes. Enfin et rapidement, on observe unemultiplication des états intermédiaires correspondant à ce qu’on appelleun chaos. Pour r > 4, on enregistre une « implosion » exponentielle. Pourétudier la nature des solutions, on peut tracer ce que l’on appelle lediagramme de bifurcation (cf. figure 4.3). Analytiquement, il n’est pas

131

L’apport des modèles et de la modélisation : quelques exemples

Figure 4.3. Diagramme de bifurcation du modèle logistique en tempsdiscret. Ce diagramme peut aisément être obtenu de façon numérique parla récurrence : rt+1 = rt + h ; xt+1 = rt xt (1 – xt), avec 0 < x0 < 1 et r0 = 2,h étant « petit » (de l’ordre de 10-6). Il donne une idée précise des pointsoù se produisent les changements de régime du système dynamique.

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toujours facile de calculer les valeurs précises des paramètres pourlesquelles on observe une bifurcation, c’est pour cette raison que l’on faitsouvent appel à du calcul numérique pour en avoir des approximations.

Ce modèle simple est devenu une référence dans l’étude dessystèmes chaotiques. Issu de la biologie des populations, il a amené lesbiologistes à s’interroger sur certaines dynamiques observées dans lanature, présentant de fortes oscillations et qui étaient interprétéescomme résultant d’une fonction monotone simple, soumise à desfacteurs aléatoires du milieu. En fait, des oscillations irrégulières peuventaussi provenir de régimes chaotiques issus de la dynamique propre de cespopulations. Ce modèle a été publié par R. May en 1976. Il a falluattendre une vingtaine d’années pour avoir une vérification expérimen-tale sur un modèle voisin (Costantino et al., 1997).

2. Analyse de la dynamique simultanée de deux populations

On peut utiliser ce modèle de base comme support de réflexion pouraborder des situations plus complexes, par exemple en analysant lesdynamiques simultanées de deux populations. Prenons d’abord lesystème suivant (cf. figure 4.4) :

xn+1 = r xn (1 – xn)yn+1 = r yn (1 – yn).

On reconnaît le modèle logistique en temps discret, pour deuxpopulations simultanées et indépendantes, en utilisant uniquement lapropriété de sensibilité aux conditions initiales de ce type d’équations, onengendre des couples de valeurs (xn, yn) répartis largement dans le carréunitaire.

Dans le cas d’une seule variable, l’espace où apparaît une structureest le plan (xn+1, xn), nous appelons cet espace l’espace des phases. Dansle cas de deux variables, l’espace des phases correspondant est à 4 dimen-sions : (xn+1, xn, yn+1, yn). Ainsi lorsque l’on regarde les points successifsdans l’espace (xn, yn), il s’agit en fait d’une projection de l’espace desphases49 dans ce plan.

132

LA NÉCESSITÉ DU HASARD

49. L’espace des phases est l’espace de projection des dynamiques orthogonalementà l’axe des temps. Ici le temps est représenté par la succession des valeurs de n : 0, 1, 2, …L’espace des phases est alors l’espace (xn, xn+1, yn, yn+1).

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La dynamique simultanée des deux populations indépendantesapparaît désordonnée, comme on pouvait s’y attendre. Et maintenant sil’on introduit une interaction, un couplage entre les deux populations,que se passe-t-il ?

133

L’apport des modèles et de la modélisation : quelques exemples

Figure 4.4. Comparaison entre deux processus, le premier chaotique (àgauche) et le second aléatoire (à droite). Le chaotique provient du modèlelogistique en temps discret (avec r = 3,98, x0 = 0,2 et y0 = 0,1). L’aléatoireest engendré par la procédure ALEA() du logiciel Excel, qui fournit unerépartition sensiblement uniforme, comme le montre la figure en bas àdroite (1 000 nombres engendrés pour x et y) ; x et y sont non corréléeset l’autocorrélation interne des séries de valeurs de x et de y sont quasinulles. Le processus chaotique fournit une distribution en U, avec une accu-mulation sur les bords, x et y sont non corrélées. En revanche il y aévidemment une forte autocorrélation interne aux séries x et y. Unprocessus chaotique aussi simple ne fournit pas du hasard, mais unrésultat qui commence à y ressembler. On peut penser qu’un système dyna-mique plus complexe peut mieux le simuler.

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3. De l’erratique au régulier : effet du couplage

Dans le cas du modèle logistique en temps discret, on remarque quesuivant la valeur du paramètre r on peut passer d’une trajectoire uniformeà une trajectoire oscillante puis à une trajectoire chaotique. Mais que sepasse-il dans le cas de couplage entre deux régimes chaotique ?

Considérons maintenant le système :

xn+1 = r xn ( 1 – xn) – α xn yn

yn+1 = r yn ( 1 – yn) – α xn yn.

C’est une extension du modèle précédent avec deux populations encompétition. Cette interaction est représentée par le terme – α xn yn. Enjouant sur les valeurs de r et de α, on peut engendrer différentes figuresdans le plan (xn, yn) et différentes chroniques, c’est-à-dire les graphes dex et de y en fonction de n. Mais si on augmente progressivement la valeurde α, des formes plus structurées apparaissent, jusqu’à former une droite.Le couplage introduit par α « détruit » la structure « presque aléatoire ».

Nous nous trouvons là devant une situation un peu différente decelle évoquée ci-dessus. En effet, la structure proche de l’aléatoire quenous observons dépend d’abord du choix du plan de projection. Dansd’autres plans, en particulier (xn, xn+1) et (yn, yn+1), nous aurions observédes organisations paraboliques caractéristiques du modèle logistique entemps discret. En fait, c’est la combinaison de ces deux structures simplesqui donne cette répartition et non pas le fait qu’il existe une structuredans un espace de plus grande dimension (même si elle existe). Enfin, onnote qu’en introduisant un couplage entre ces deux dynamiques chaoti-ques, on observe des formes étranges pour arriver à une relation linéaireentre x et y. Le couplage semble introduire de l’ordre dans le comporte-ment du système et sa non linéarité engendre de la diversité.

Cependant cette observation ne peut pas être faite pour des valeursde r qui engendrent un régime très erratique (par exemple pour desvaleurs proches de 4, comme celle utilisée pour dessiner la figure 4.4 oùr = 3,98). Il y a une limite dans l’apparition d’un ordre par couplage. Enpratique, il ne faut pas un chaos trop déstructuré.

À partir de ce type de formulation, il est possible d’étudier des situa-tions représentant d’autres types d’interactions, par exemple d’un préda-teur avec sa proie. Cependant, il faut se méfier d’empiler de joliessimulations qui peuvent n’apporter que peu de choses à une réalité bio-logique ou écologique.

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L’apport des modèles et de la modélisation : quelques exemples

Figure 4.5. Modèle de compétition en temps discret : les deux dessins duhaut, sans couplage, exhibent une distribution « presque au hasard ».Ensuite, le couplage des deux systèmes chaotiques engendre un ordreapparent (Pavé et al., 2003). On ne présente ici que quelques figures. Enfait, ce système est beaucoup plus riche dans la variété de ses dynami-ques. Le non-linéaire peut aussi engendrer de la diversité, comme lehasard. Cependant, l’augmentation du couplage, mesurée par la valeur duparamètre α, synchronise rapidement les deux variables et la relation dansl’espace (xn, yn) devient linéaire.

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4. Du chaos à l’aléatoire

Pour analyser les propriétés de générateurs de distributions chaotiques etles comparer avec les générateurs de variables aléatoires, on peut étudiercomment des théorèmes établis pour des variables aléatoires peuvent êtrevérifiés pour des variables chaotiques. On peut prendre l’exemple decombinaisons linéaires et examiner comment ces combinaisons tendentou non vers des distributions normales (théorème central limite). Lafigure 4.6 illustre une expérience numérique sur des sommes de variableschaotiques ou aléatoires. On observe une telle tendance dans les deux cas,mais un peu moins rapide dans le cas chaotique que pour des variablesaléatoires.

Biologiquement, on pourrait interpréter cette approche de la façonsuivante : on analyse la dynamique de populations indépendantes àrégime chaotiques et l’on regarde les sommes des densités en fonction dutemps. Nous avons ainsi fait la somme de 2, puis 4 et enfin 8 variables.Ces sommes ont été pondérées de façon à garder des valeurs comprisesentre 0 et 1.

On voit à partir de cette expérience numérique que la différenceentre hasard et chaos est ténue. En définitive, la caractéristiquecommune est l’imprédictibilité a priori d’un résultat. Cependant commenous l’avons vu, le mot hasard couvre bien d’autres acceptions, en parti-culier celle d’un effet issu de multiples causes peu ou pas connues. Enrevanche, le chaos a l’avantage d’être engendré par un modèle mécanistepouvant être interprété en termes physique, chimique, biologique, voiresocial. C’est le cas aussi de la roulette de casino qui, de fait, obéit à deslois mécaniques.

Dans les deux cas, la statistique nous permet d’étudier les résultatsde ces processus. Les approches probabilistes classiques ne modélisentpas les mécanismes engendrant le hasard. Elles font seulement des hypo-thèses et construisent des modèles sur les résultats et en traitent élégam-ment. Par exemple, dans le modèle mendélien de la transmissionhéréditaire, présenté dans la section I, on ne fait pas d’hypothèse sur lesmécanismes biologiques et biochimiques sous-jacents, on les modéliseencore moins. En revanche, on peut construire un modèle de résultats àpartir d’hypothèses probabilistes simples : tout se passe comme si nousavions des tirages de gamètes et de recombinaisons indépendants de lanature des gènes portés par ces gamètes.

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LA NÉCESSITÉ DU HASARD

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L’analyse statistique peut nous renseigner sur la transition entrechaos et hasard. C’est ainsi que les figures 4.6 et 4.7 nous montrecomment un système chaotique évolue pour exhiber des propriétésvoisines de celles d’un système stochastique.

Ainsi, sur cet exemple, on montre que des systèmes dynamiquespurement déterministes non linéaires, fonctionnant en régimes chaoti-ques et associés par une simple combinaison linéaire peuvent exhiber despropriétés quasi-stochastiques. On peut penser que les « roulettes biolo-giques » ont des modes de fonctionnement analogues.

La figure 4.7 montre un autre aspect de l’apparition de propriétés detype stochastique dans des sommes de séries chaotiques : structurationde séries engendrées de façon indépendantes en nuage de points du typegaussien à 2 dimensions et disparition de l’autocorrélation entre valeurssuccessives des sommes de variables chaotiques.

III Le modèle logistique en temps continuet l’évolution de la biodiversité

À partir des données paléontologiques issues de la base de donnéesconçue par Sepkoski50, plusieurs tentatives de modélisation ont étépubliées. La première par Benton (1995) proposait un ajustement dumodèle exponentiel, dont la forme différentielle s’écrit : dN/dt = α N (oùN représente le nombre de familles et α une constante réelle positive).L’hypothèse implicite, formulée en langage ordinaire, est que la vitessed’accroissement du nombre de famille est proportionnelle à ce nombre.En 1996, V. Courtillot et Y. Gaudemer ont utilisé le modèle logistiquepour représenter les données sur les 500 derniers millions d’années(début de l’Ordovicien). Ils se sont focalisés sur les phases de croissance,sachant que les phases de décroissance sont largement étudiées parailleurs. Le modèle s’écrit : dN/dt = α N (K – N) où K représente l’asym-ptote, c’est-à-dire le nombre de familles après un temps assez long. SiN0 < K, ce qui est le cas ici, on observe la célèbre courbe sigmoïde, où Kreprésente le nombre maximum de famille. Ensuite, ces auteurs ont

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L’apport des modèles et de la modélisation : quelques exemples

50. Cf. par exemple : Sepkoski (1982).

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LA NÉCESSITÉ DU HASARD

Figure 4.6. Comparaison entre des distributions de combinaisons linéairesde variables chaotiques et de variables aléatoires. Les dynamiques chaoti-ques sont engendrées par la formule : xn+1 = r xn (1 – xn), avec r = 3,98 etdifférentes conditions initiales. Les valeurs choisies correspondent à undomaine chaotique sur ]0,1[. Comme précédemment, les dynamiques aléa-toires sont obtenues grâce au générateur ALEA d’Excel.La première ligne montre les distributions obtenues pour des variablesuniques : asymétrique et en forme de U pour une variable chaotique etquasi uniforme dans le cas aléatoire. Les autres résultats correspondent àdes sommes pondérées (pour rester dans le domaine ]0,1[), de variableschaotiques (colonne de gauche) et aléatoires (colonne de droite). Laconvergence vers la loi de Gauss était prévue dans le cas aléatoire, maispas, au moins aussi rapidement, dans le cas chaotique.

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L’apport des modèles et de la modélisation : quelques exemples

Figure 4.7. Analyse des corrélations et autocorrélations entre séries chao-tiques et sommes de séries chaotiques engendrées par le modèle logis-tique en temps discret.La colonne de gauche montre les nuages de points obtenus entre dynami-ques chaotiques et sommes de dynamiques chaotiques ayant des condi-tions initiales différentes. Les nuages de points sont peu inclinés. On voitapparaître une structure proche de ce que donnerait une distribution gaus-sienne à 2 dimensions. Les coefficients de corrélations sont tous inférieurs,en valeur absolue, à 0,15.La colonne de droite montre les autocorrélations entre valeurs successivesde dynamiques chaotiques. La structure du nuage de points s’estompequand le nombre de termes de la somme augmente. Bien que la corréla-tion ne soit pas linéaire, du moins dans les trois premiers cas, elle semblese linéariser (tendance vers l’allure elliptique du nuage de points).

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ajusté le modèle pour différentes périodes : (1) du début de l’Ordovicienau début du Permien, (2) la phase croissante du Trias, (3) le Jurassique-Crétacé et (4) le Tertiaire-Quaternaire (cf. figure 4.8). On peut égalementreprésenter les premières données avec un modèle logistique (0).

Nous avons adopté le même point de vue en poursuivant leuranalyse, notamment en proposant plusieurs interprétations du modèlelogistique dans ce contexte. Ainsi, la paramétrisation, dite « r, K » classi-quement adoptée en écologie peut être utilisée : dN/dt = r N (1–N/K). Leparamètre r représente le taux intrinsèque de variation de la biodiversité,le paramètre K les potentialités du milieu en termes de niches écologiques.

De plus, pour minimiser le nombre de paramètre à estimer, nousavons construit deux modèles enchaînés prenant en compte les phases dedécroissance, soit par un modèle exponentiel, soit par un modèle logis-tique51.

Il apparaît que les valeurs du paramètre r peuvent être considéréescomme identiques pour les périodes (1), (2) et (4), mais l’une d’entre ellesapparaît significativement plus petite pour la période (3). Le paramètre K,représentant le plateau, est significativement plus élevé pour les périodes(3) et (4) que pour les précédentes. Durant la troisième période, le plateaun’est pas atteint, la crise Crétacé-Tertaire (K-T) interrompant le processus.Mais ce dernier reprend rapidement pendant la période Tertiaire-Quaternaire avec la même valeur de r que pour les périodes (1) et (2).

Une autre formulation de ce modèle permet de faire entrer explici-tement le nombre de niches écologiques comme variable d’état. Onmontre alors comment il est possible de retrouver simplement les formu-lations précédentes. L’avantage de cette formulation proposée dans Pavé(1993), somme toute assez banale, est qu’elle permet d’autres développe-ments, en particulier de modèles nouveaux, et une meilleure interpréta-tion des mécanismes sous-jacents :

= α N S

= – α N SdSdt

dNdt

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LA NÉCESSITÉ DU HASARD

51. On appelle modèle enchaîné, un modèle où la condition initiale n’est estiméequ’une fois, au début du processus modélisé, c’est-à-dire dans notre cas N-500, alors quepour le modèle par morceaux cette quantité est estimée pour chaque morceau.

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où S représente le nombre de niches écologique libres au temps t52. C’estbien une autre formulation du modèle logistique. En effet, on a :

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L’apport des modèles et de la modélisation : quelques exemples

52. Dans son interprétation originelle, le modèle logistique en temps continu a étéconçu pour représenter la dynamique d’une population (modèle démographique deVerhulst, 1838, 1844, réinventé plus tard par Pearl dans les années 1920). À notre connais-sance, l’écriture proposée ici est originale. Dans le cas d’une population, N représente lataille de la population et S les ressources utilisée pour assurer la croissance de cette popu-lation. On remarque que la loi de conservation de la matière est alors respectée puisquedN/dt + dS/dt = 0 (i.e. la somme N+S est constante). L’introduction de bilans est habi-tuelle en dynamique des populations microbiennes, du moins depuis le travail fondateurde J. Monod (1942), elle l’est moins pour les modèles classiques de la dynamique desautres populations.

Figure 4.8. Données de la figure 4.1 et premiers modèles de représentationde ces données : le modèle exponentiel (Benton, 1995) et le modèle logis-tique par morceaux ; l’expression mathématique du modèle est toujours lamême, les valeurs de α, de K et de la condition initiale N0 sont différentesentre (L0), (L1), (L2), (L3) et (L4). C’est pour cette raison qu’on parle demodèle par morceaux (Courtillot et Gaudemer, 1996).

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= –

alors S – S0 = – (N – N0) et S = S0 + N0 – N, si bien qu’on peutécrire :

= α N (K – N)

avec K = S0 + N0 et α = r/K ; la dimension de r est en t-1.S0 représente le nombre de niches libres au temps initial, N0 repré-

sente le nombre initial de familles qui occupent le nombre S0 de niches.On peut même introduire un terme décrivant la disparition « spon-

tanée » de familles ; on retrouve toujours le modèle logistique, si l’onadmet que lorsqu’un certain nombre de familles disparaissent, unnombre égal de niches écologiques sont libérées. Le modèle s’écrit alors :

= α N S – β N

= – α N S + β N.

On a toujours dS/dt = – dN/dt et S = S0 + N0 – N puisdN/dt = α N (S0 + N0 – N) – β N ou encore dN/dt = α N (K – N) avecmaintenant K = [α(S0 + N0) - β]/α ; ce modèle est plus général et permetnotamment de représenter, suivant les valeurs des paramètres, les phasescroissantes et décroissantes, mais l’expression simplifiée est toujours lamême.

Ainsi, l’augmentation de la biodiversité peut être interprétée commeconséquence de :

– la création de niches écologique suite à des perturbations environ-nementales ;

– l’apparition de mécanismes nouveaux au niveau génétique ;– l’émergence de nouvelles relations écologiques.D’une part, on peut raisonnablement supposer que les perturbations

environnementales détruisent autant, sinon plus, de niches écologiquesqu’elles n’en créent, et que, même en imaginant un processus de restau-ration, ces perturbations se sont produites de façon « régulières » dans letemps et ne suffisent pas à expliquer les explosions de la biodiversité.D’autre part, les mécanismes génétiques (au niveau moléculaire) peuvent

dNdt

dNdt

dNdt

dNdt

dSdt

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LA NÉCESSITÉ DU HASARD

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agir sur la vitesse de diversification, en pratique sur le taux de diversifica-tion r. Au niveau écologique, l’on peut proposer que les relations évoluent,au moins pour une part, de la compétition à la coopération en passantpar la coexistence. De nouvelles relations se mettent en place progressive-ment et successivement pour tous les niveaux d’organisation du vivantjusqu’à l’écosystème. On peut penser que cela conduirait plusieursespèces, genres et familles, à occuper la même niche écologique et donc àune multiplication apparente de ces niches. Nous proposons ainsi que desmécanismes de coexistence et de coopération, au niveau écologique, sesont mis en place dans la période « récente » Tertiaire-Quaternaire (r« normal » et K élevé), peut-être et dans une moindre mesure dès lapériode Jurassique-Crétacé (r faible et K élevé), mais n’était que peuprésents dans les périodes précédentes (r « normal » et K faible).

Ainsi, le schéma évolutif serait le suivant : l’émergence de nouvellesrelations écologiques permettrait une stabilisation de nouveaux taxonssur une période suffisamment longue pour qu’ils puissent être observa-bles dans les archives paléontologiques. La mise en place de ces nouvellesrelations (coexistence et coopération) expliquerait l’augmentation appa-rente du nombre de niches écologiques durant les deux dernièrespériodes (K élevé). La faible valeur de α durant le Jurassique-Crétacéserait alors interprétée comme l’effet d’une succession de perturbationsenvironnementales conduisant à des extinctions « mineures » aplatissantla croissance. Il semblerait alors que les mécanismes de diversification auniveau génétique étaient tous en place dès le Cambrien, si l’on admet queα représente la constante de vitesse de la diversification. En fait, il existeune corrélation entre les deux paramètres α et K, bien connue de ceuxqui font des estimations de modèles non linéaires, dont on doit tenircompte pour pondérer cette dernière conclusion.

Enfin, comme nous l’avons signalé dans le texte, des oscillationssemblent être significatives en analysant des données plus récentes, plusnombreuses et surtout plus précises (nombre de genre au lieu dunombre de familles, Rohde et Muller, 2005). Cette analyse se fonde surune technique classique : la tendance générale est modélisée par un poly-nôme du 3e degré, puis les résidus (écarts par rapport au modèle) sontcalculés, ensuite une analyse de Fourier permet de trouver les compo-santes oscillantes. On trouve d’abord une composante avec une périodede l’ordre de 62 millions d’années, puis une autre de 140 millions d’an-nées. Comme d’autres avant nous, nous avions soupçonné la présence de

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L’apport des modèles et de la modélisation : quelques exemples

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telles oscillations, mais les données utilisées ne nous ont pas permis deles mettre en évidence. L’origine de notre travail avait même été dans larecherche et la modélisation de telles oscillations. Il reste à en donner uneexplication : Rohde et Muller penchent pour une explication astrono-mique (par exemple, chute périodique de météorites) ; dans leurcommentaire des résultats, Kirchner et Weill incitent à rechercher aussiune explication biologique et écologique. C’est aussi notre propositioncomme nous l’avons indiqué dans la section IV.4 du chapitre 2 consacréeà la dynamique de la biodiversité… Cette enquête historique est « àsuivre » dans de prochains épisodes.

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LA NÉCESSITÉ DU HASARD

Figure 4.9. Modèle logistique enchaîné, écarts entre les données et le modèleavec la paramétrisation (r, K), variations des paramètres r et K du modèle.

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L’apport des modèles et de la modélisation : quelques exemples

Figure 4.10. Résultats de l’analyse des composantes oscillatoires de ladynamique de la biodiversité à l’échelle géologique. Les ajustements à cescomposantes de période 62 Ma et 140 Ma sont figurées dans la partie infé-rieure du graphe (selon Rohde et Muller, 2005).

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IV Vers un schéma général de la modélisation des systèmesvivants et de leurs diversités

Il semble important, en fonction de ce que nous venons d’exposer, d’exa-miner comment le modélisateur peut intervenir pour aller plus loin dansla compréhension des processus. On peut utiliser une représentation trèsschématique pour nous aider (figure 4.11).

Les approches I et II sont classiques et efficaces. En I, il s’agit dereprésentations classiques y = f(x) + e, où f est une fonction analytiquemono ou multidimensionnelle, connue explicitement ou implicitement(par exemple, sous la forme d’une équation différentielle ordinaire ouaux dérivées partielles), x est une variable indépendante elle aussi monoou multidimensionnelle (souvent le temps et/ou une ou plusieursdimensions de l’espace géométrique) et e « un terme d’erreur » aléa-toire. En II, il s’agit de représenter la probabilité d’occurrence d’unévénement ou d’un ensemble d’événements en fonction d’une ouplusieurs variables indépendantes. Par exemple, la loi exponentielle,P(T<t) = 1–e-at, donne la probabilité d’occurrence d’un événement dansl’intervalle de temps [0, t], si la distribution est uniforme et station-naire ; toujours sur ce même processus, la loi du nombre d’événementspour un intervalle de temps donné est la loi de Poisson. Mais on nereprésente pas le mécanisme qui engendre l’événement. C’est donc uneapproche purement phénoménologique, comme dans les exemplesgénétiques de la section I.

En revanche, l’approche III est moins fréquente. Il s’agit de repré-senter, et évidemment d’analyser, les processus qui engendrent du chaosou du hasard. En dynamique des populations, on trouve de tels exem-ples, dont le plus simple est le modèle logistique en temps discret quenous avons utilisé comme illustration. L’intérêt d’une telle approche estévidemment de comprendre cette catégorie de processus, mais aussi, àtravers le modèle, d’analyser les conséquences de modifications, d’opti-misations, etc., en vue d’applications pratiques, par exemple pouraugmenter la vitesse de diversification ou au contraire pour la dimi-nuer. Enfin, une dernière remarque, on peut imaginer représenter unsystème vivant par un système d’équations différentielles de grandes

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dimensions. On sait que, pour les équations différentielles ordinaires,on peut enregistrer des comportements chaotiques pour des dimen-sions supérieures à 2. Théoriquement, de tels comportements pour-raient être très fréquents dans un organisme, mais comme nous l’avonsvu, ce n’est pas le cas. Ils seraient probablement sources de difficultés defonctionnement. On peut alors imaginer que les processus de régula-tions, dont les rétroactions, ont été sélectionnés pour éviter des régimeserratiques nuisibles à un bon fonctionnement de la « machine orga-nisme ». Comme nous l’avons vu, ce n’est pas le cas pour certainsprocessus (remaniements chromosomiques, systèmes immunitaires desvertébrés) ou à d’autres niveaux d’organisation où le hasard joue unrôle important.

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L’apport des modèles et de la modélisation : quelques exemples

Figure 4.11. Schéma de principe de la modélisation des systèmes vivants,ou de processus considérés comme importants de ces systèmes. Unsystème vivant est une cellule, un organisme, une population, un écosys-tème. Il peut s’agir de la modélisation globale (très rare), ou de certainesfonctions.

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À propos de l’évaluation de la biodiversité : exemple

de la Guyane française

La Guyane, « l’Amazonie française » est située près de l’équateur (entre3° et 5,5° de latitude nord). Cette région jouit d’un climat chaud ethumide, avec un régime météorologique assez calme (pas de cyclone, pasde tempête tropicale). Assise sur un socle de gneiss et de granite trèsancien (protérozoïque de 2 milliards d’années avec des soupçonsd’Archéen à plus de 3 milliards d’années), elle n’est pas sujette à desbouleversements telluriques importants. Donc les systèmes écologiquesqui la constituent sont peu perturbés par des événements naturelsextrêmes violents et de grande ampleur. Cependant, on retiendra que dessécheresses ont pu marquer son histoire et que sporadiquement, lesconséquences ont été enregistrées. On trouve notamment des traces depaléoincendies en forêt et la savane brûle régulièrement. La Guyane estcouverte d’un système forestier de 8 millions d’hectares (95 % de lasurface du territoire). Ce système se poursuit vers le sud, sans disconti-nuité, vers l’Amazonie brésilienne et constitue une partie de celui duplateau des Guyanes (vers le nord-ouest). Même si cette forêt a quelquesparticularités, elle appartient néanmoins à la grande forêt amazonienne.On y trouve notamment des espèces animales et végétales communes.

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Annexe

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I Une grande diversité

Les botanistes et les zoologistes ont exploré la forêt, mais la diversité esttelle que régulièrement on trouve de nouvelles espèces. Comme nousl’avons déjà signalé, l’échantillonnage n’a pas été pratiqué pour avoir uneréelle estimation de la diversité biologique. Des zones entières, certesdifficiles d’accès, ont été peu explorées. En effet, la logique des natura-listes systématiciens était de trouver et de décrire des nouvelles espèces etnon pas d’avoir de réelles estimations quantitatives. Aussi tant que leszones d’accès relativement faciles permettaient d’obtenir ce type derésultat, point besoin n’était d’aller plus avant. Par ailleurs, comme cetteactivité est devenue peu valorisante sur le plan scientifique, l’effort adiminué d’autant. Si bien qu’on éprouve quelques difficultés à obtenirdes évaluations quantitatives fiables. Il est par exemple difficile d’avoirune réponse à la question : combien d’espèces d’arbres peut-il exister enGuyane ? Les arbres sont pourtant bien visibles.

Par ailleurs, on pourra prendre comme repère les donnéessuivantes :

– 5 210 espèces végétales identifiées53 (vs en France 4 217/4 350espèces référencées54) ;

– 186 espèces de mammifères (vs 97 en France métropolitaine) ;– 718 espèces d’oiseaux (vs 276) ;– 153 espèces de reptiles (vs 33) ;– 108 espèces de batraciens (vs 34) ;– 480 espèces de poissons d’eau douce (vs 60) ;– plusieurs centaines de milliers d’espèces d’invertébrés, notamment

des insectes.Ces données sont extraites de l’avant-projet pour la création du parc

national de la Guyane. On peut sans doute accorder une certaine

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LA NÉCESSITÉ DU HASARD

53. Selon : J.J. de Granville. Milieux et formations végétales de Guyane. Acta Bot.Gallica, 149 (3), 2002, 319-337.

54. Flore de Pierre FOURNIER et flore de l’abbé COSTE. L’estimation concernantla végétation est sûrement sous-évaluée, c’est pour cette raison qu’on parle d’espècesidentifiées et non pas d’estimation du nombre d’espèces présentes. De véritables inven-taires sont à faire, mais ce n’est pas du ressort de la recherche scientifique, mais d’uneapproche technique encore largement à développer.

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confiance à ces évaluations, car elles sont référencées dans un documentpréparé pour une structure centrée sur la gestion de cette biodiversité55.

II La diversité spécifique et son évaluation :données, certitudes et incertitudes

Nous pensions avoir là un exemple simple illustrant le discours sur l’éva-luation de la diversité biologique : un arbre est une entité communémentconnue, reconnaissable par des non spécialistes ; donc la présentation del’estimation du nombre d’espèces de cette catégorie d’organismes nousparaissait simple, d’autant plus que, par voix orale, on apprend que celle-ci est d’environ 1 200. Or il s’avère que la vérification de cette donnéen’est pas commode, comme nous allons le voir et plutôt qu’une simpleprésentation des faits, nous allons principalement souligner les diffi-cultés rencontrées pour les établir.

1. Une première difficulté : la classification et les pratiques botaniques

Les arbres ne constituent pas une unité botanique. Ils relèvent même dedeux grandes catégories supérieures : les gymnospermes et angiospermeset dans cette dernière catégorie des mono et dicotylédones. Bien qu’enGuyane, dans la forêt naturelle, il n’y ait pas d’arbres gymnospermes, lenombre de familles recensées est important. Néanmoins un grouped’entre eux, des monocotylédones, forme une famille homogène au sensbotanique : les Arécacées (ou palmiers en langage courant) ; bien quecertains puristes nient leur statut d’arbres, la plupart des praticiens lesclassent comme tel sur des critères morphologiques (trois unitésmorphologiques fondamentales : racines, un « stipe » analogue à untronc et feuillage sommital, des palmes, formant un type de houppier) ;on exclut cependant les organismes primitifs, les plantes sans graines,comme les fougères arborescentes. Malgré tout une base commune peutêtre admise sur ce simple critère morphologique.

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À propos de l’évaluation de la biodiversité : exemple de la Guyane française

55. Avant-projet pour la création du parc national de Guyane. Mission pour la créa-tion du parc de la Guyane, Cayenne, 2005.

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Les botanistes ont une pratique déjà soulignée de recherche denouvelles espèces et non pas de réalisation d’inventaires et c’est normal.L’évaluation d’un nombre d’espèces est une retombée et non pas unrésultat principal. Ainsi, à l’Herbier de Cayenne, une carte montre lessites des échantillonnages réalisés par les chercheurs de l’ORSTOMfaisant œuvre de botanique (cf. figure A.5). Même pour quelqu’unn’ayant qu’une culture sommaire en statistique, on comprend que cen’est pas sur cette base que l’on peut obtenir une évaluation quantitativefiable (prélèvements dans les zones facilement accessibles, en particulierle long des fleuves). La même remarque vaut pour l’Herbier de Manaus,à l’échelle de l’Amazonie.

Mais d’autres acteurs techniques, scientifiques, économiques etsociaux s’intéressent directement à la forêt : les écologues, les forestiers,les exploitants, et les écologistes. Nous nous sommes limités aux deuxpremiers. En effet, les exploitants en Guyane sont peu nombreux et lesécologistes du monde associatif ou des ONG reprennent (au mieux)leurs données des résultats scientifiques, avec quelquefois des nuancesdans les présentations adaptées à leur discours et à leurs aspirations idéo-logiques.

2. Une deuxième difficulté : l’accès au terrain et le terrain lui-même

La forêt amazonienne n’est pas « l’enfer vert », mais ce n’est pas non plus« la forêt d’émeraude ». L’accès au terrain est difficile. Ainsi pour aller àla station des Nouragues, il faut soit utiliser un hélicoptère, soit aller enpirogue, puis, après 4 à 6 heures de navigation, suivant la saison, il fautmarcher en forêt pendant 2 h 30 à 3 h 30…, suivant votre entraînement.La zone de Paracou est accessible en voiture, mais est très proche de lacôte. Jadis, c’était encore plus difficile. Cela explique aussi l’échantillon-nage botanique qui a privilégié le bord des fleuves. Enfin, le terrain lui-même est fatigant (relief accidenté, température et humidité dusous-bois). Ces sites sont repéré sur la figure A.3, un peu plus loin.

3. Une troisième difficulté : les données forestières et écologiques

Nous avons eu recours à un ouvrage « grand public » de l’Officenational des forêts (ONF, 2004) et aux données issues des stations expé-rimentales des Nouragues et de Paracou qui on également fait l’objet de

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deux ouvrages synthétiques (Bongers et al., 2001, Gourlé-Fleury et al.,2004). Un autre site, la piste de St-Élie, a été aussi bien exploré, mais n’apas encore fait l’objet d’une synthèse. Or nous souhaitions nous-mêmeset aussi pour les lecteurs, disposer de telles synthèses plus facilementcompréhensibles par les non-spécialistes. C’est pour cette raison que lestravaux sur ce site n’ont pas été repris. Au passage, on voit l’intérêt detelles monographies qu’il a été à la mode de décrier56. Enfin, même sinous avons considéré des unités taxonomiques supérieures, c’est leniveau spécifique sur lequel nous nous sommes centrés. En effet, c’est àce niveau que les différences génétiques et fonctionnelles sont le mieuxidentifiées et permettent de mieux interpréter les différences de compo-sitions spécifiques entre divers sites géographiques en fonction de leurscaractéristiques écologiques.

Un premier résultat obtenu à partir de l’ouvrage de l’ONF mène à34 familles et à 1 824 espèces, sachant que les familles en questionregroupent essentiellement des arbres, on arrive à une estimation biensupérieure à celle transmise par la tradition orale. Mais attention, cetouvrage est un guide pratique d’identification des 120 espèces les plusfréquentes et « intéressantes » de Guyane. Il n’a aucune prétention à l’in-ventaire. Le nombre d’espèces en question a été calculé à partir dedonnées récupérées dans le texte ; après « enquête », on a appris qu’ellesreprésentent en fait non pas le nombre d’espèces d’arbres, mais lenombre d’espèces végétales pour chaque famille sélectionnée (famillesauxquelles appartiennent les espèces d’arbres les plus fréquemmentrencontrées).

Dans un deuxième temps, les données d’identifications systémati-ques sur des placettes et des transects des deux stations de recherche : lastation des Nouragues (CNRS) et celle de Paracou (CIRAD57) ont étéreprises. On obtient au total 73 familles et 956 espèces. Relevons qu’il y a56 familles communes entre Paracou et les Nouragues, 10 familles sontreprésentées à Paracou et absentes au Nouragues et 7 familles sontprésentes au Nouragues et absentes à Paracou. La distribution spécifiquecomparée entre les deux stations est résumée dans le tableau A.1.

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À propos de l’évaluation de la biodiversité : exemple de la Guyane française

56. L’auteur fait, à ce sujet, amende honorable…57. Centre de coopération Internationale de Recherche Agronomique pour le

Développement.

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On notera que les espèces communes aux Nouragues et à Paracou nereprésentent que 38,5 % du total. Les compositions spécifiques des deuxstations diffèrent notablement. Le seul écart de superficie ne peut pasexpliquer ce résultat. On peut penser que l’éloignement et la situationgéographique locale les placent dans des zones bioclimatiques et édaphi-ques un peu différentes qui peuvent expliquer ce faible recouvrementspécifique (cf. figure A.3 : Paracou est près de la côte, alors que la stationdes Nouragues est à l’intérieur ; 100 km à vol d’oiseau de la mer et inclutun inselberg).

On voit aussi et surtout que, sur des superficies très limitées(environ 1 500 ha), on arrive déjà à 956 espèces, même si on peutadmettre quelques erreurs d’identification, on peut penser que lenombre d’espèces sur un territoire 5 300 fois plus important a de forteschances de dépasser les 1 200 espèces annoncées. Un inventaire exhaustifà l’échelle de la Guyane n’est sans doute pas nécessaire, ni même possible,mais une estimation plus précise est quand même souhaitable.

Si on entre plus dans le détail, on voit que la diversité s’exprime àpetite échelle, comme le suggère la photo de la figure 2.4. En effet, lenombre d’espèces à l’hectare est en moyenne de 180 ± 40 dans les deuxstations (pour des arbres de diamètres supérieurs à 10 cm). Le nombred’arbres de plus de 2 cm de diamètre à l’hectare est de l’ordre de2 000 ± 400 et de 600 ± 100, pour ceux de diamètres supérieurs à 10 cm.

StationsNouragues Total

Esp. présentes Esp. absentes

ParacouEspèces présentes 368 178 546

Espèces absentes 410 ? 410

Total 778 178 956

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LA NÉCESSITÉ DU HASARD

Tableau A.1. Distribution des espèces d’arbres entre les deux stations desNouragues et de Paracou, de diamètres supérieurs à 2 cm à la hauteur de1,30 m (« hauteur de poitrine »). Les espèces ont été identifiées sur des tran-sects parcourant les deux territoires. Les superficies correspondantes sontpour Paracou : 456 ha et pour les Nouragues : 1 000 ha, au total 956 espècesidentifiées sur 1 456 ha (attention cette valeur est exagérée, car cette super-ficie n’a pas été totalement explorée ; mais il faut faire avec ce que l’on a).Références, pour Paracou : Gourlet-Fleury et al., 2004b (annexe, table 2), etpour les Nouragues : Bongers et al., 2001 (appendix 1, Floristic Checklist of theNouragues Area).

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Si bien qu’au total sur 8.106 ha (la superficie estimée de la forêt guya-naise) on a environ 4,8.109 d’arbres de taille supérieure à 10 cm dediamètre et 16.109 arbres de plus de 2 cm de diamètre.

La distribution des abondances est très dissymétrique « en L »(cf. figure A.1) : beaucoup d’espèces présentes sont représentées par peud’individus et peu d’espèces et constituent l’essentiel du peuplement, ennombre d’individus. Cette forme est très communément observée dansles forêts intertropicales humides, autant pour les espèces animales quevégétales.

Le nombre d’espèces identifiées dépend du seuil choisi pour lediamètre et les différences en nombre d’espèces sont importantes suivantce seuil. Par exemple, sur le territoire de Paracou les 546 espèces identi-fiées correspondent à des arbres de diamètres supérieurs à 2 cm, si on selimite aux diamètres supérieurs à 10 cm, sur ce même inventaire, on netrouve plus que 318 espèces. Les différences d’appréciation de ce qu’ondoit considérer comme un arbre sont sources d’erreur, d’autant plusqu’elle peuvent être locales. Ainsi, sur le site de Paracou la majorité desespèces de diamètre compris entre 2 cm et 10 cm sont connues ailleurscomme pouvant dépasser un diamètre de 10 cm. L’arbitraire de la classi-fication ne simplifie pas l’approche quantitative. Après réflexion, on

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À propos de l’évaluation de la biodiversité : exemple de la Guyane française

Figure A.1. Station des Nouragues (Guyane française), distribution dunombre d’espèces en fonction de l’abondance (nombre d’arbres parespèce), sur 3 ha, pour 1 503 arbres de diamètres supérieur à 10 cm(données aimablement transmises par Bernard Riéra).

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pourrait recommander de s’en tenir au critère « > 2cm » (en rappelantque les diamètres de référence sont mesurés à « hauteur de poitrine »,c’est-à-dire 1,30 m).

Si l’on prend maintenant la relation superficie-nombre d’espèces, onobtient la distribution de la figure A.2 ressemblant à celle de la figure 2.12.

Mais comment procéder pour faire une estimation, au moins avoirun ordre de grandeur, à l’échelle de la Guyane ? Sans entrer dans desdétails méthodologiques compliqués, une première approche peutconsister à construire un modèle simple de la relation entre le nombred’espèces observées et la superficie échantillonnée. C’est ce que nousallons voir.

4. L’évaluation : une ébauche de solution en utilisant un modèle simple

Un modèle simple, même simpliste, peut rendre compte de cette relationentre nombre total d’espèces détectées et superficie échantillonnée. Eneffet, plus on augmente l’effort d’échantillonnage, moins on découvred’espèces nouvelles. En première approximation, on peut supposer quel’accroissement dN du nombre d’espèces est proportionnel à l’accroisse-ment de la superficie échantillonnée dS et inversement proportionnel àla superficie déjà échantillonnée S. Cette phrase se traduit en une équa-tion différentielle :

dN = dS, dont la solution est N = b +a ln(S)

Dans le système de coordonnées (N en ordonnées et S en abscisses)cette fonction a l’allure de la courbe observée. En choisissant, le système decoordonnées (N, ln(S)) on doit observer une relation linéaire et pouvoirestimer les paramètres a et b par régression linéaire. Ce modèle n’a pasd’asymptote représentant un « nombre maximum d’espèces » dans unespace limité. Cependant la croissance se ralentit très vite et l’on peut faci-lement avoir une estimation numérique pour de grandes superficies. Parailleurs, raisonner théoriquement en « espace infini », n’est pas hors depropos, vu la taille du système forestier guyanais et encore plus amazonien.

Avec ce modèle, on peut évaluer approximativement le nombre d’es-pèces d’arbres sur les 8 000 000 d’hectares et l’on trouve précisément 1 858espèces. Bien entendu, cette estimation est plus un ordre de grandeurqu’une valeur de référence : le modèle est très réducteur et les données

aS

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hétérogènes, trop peu nombreuses et non recueillies avec des protocolesidentiques (mélange d’estimation à grande échelle sur des parcours ou destransects et à petite échelle sur des petites surfaces). Cela étant, l’évaluationest de 50 % supérieure à celle qui est communément admise sur la base descompilations de données botaniques encore plus hétérogènes.

Attention, il ne faut surtout pas considérer cette estimation commeune donnée à reprendre et à citer pour les raisons évoquées ci-dessus.

On signalera cependant que le modèle a une qualité importante, ilest peu sensible « aux conditions » initiales, mais sensible à la superficiede l’échantillonnage (ln S)58, cela faiblement ce qui évite une trop grandeinstabilité de l’estimation lointaine.

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À propos de l’évaluation de la biodiversité : exemple de la Guyane française

Figure A.2. Un exemple de méthode d’estimation du nombre d’espècesdans un espace donné : données de recensements tirés des ouvrages surles Nouragues (Bongers et al., 2001), sur Paracou (Gourlé-Fleury et al.,2004a) et transmises par B. Riéra. Ajustement au modèle N = b + a ln (S).Les calculs ont été effectués avec Statview (SAS Institue inc.). Le graphe,à droite, a été obtenu avec Grapher (Apple Computer inc.).

58. On rappelle que la sensibilité d’un modèle aux paramètres correspond aux déri-vées partielles du modèle par rapport à ces paramètres. Ici, l’on a :

N = b + a ln(S) donc = 1 et = ln(S).

Pour S =1 , c’est-à-dire pour ln(S) =0 , on a N =b (nombre moyen d’espèces à l’hec-tare). La sensibilité est indépendante de S. En revanche, le paramètre a va conditionnerl’estimation « lointaine » on comprend donc que la sensibilité à ce paramètre soit unefonction croissante de S. Cependant, il n’y a pas d’hyper-sensibilité qui rendrait cette esti-mation lointaine trop instable.

INIa

INIb

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Enfin, un défaut pourrait être signalé, celui de ne pas passer par 0(pour S =0, N =0 , ce qui aurait une certaine logique, mais qui n’est pasle cas ici). On pourrait être alors être tenté de prendre le modèle N = a ln (S+1) et d’estimer a par une méthode de régression passant par0. Or, d’une part, le modèle obtenu apparaît comme trop contraint et,d’autre part, il n’est pas inintéressant de réfléchir à la signification de l’in-tersection avec l’axe des abscisses, permettant d’avoir la valeur de S pourN =0 , c’est-à-dire la surface moyenne portant un nombre nul d’espècesd’arbres (dans notre exemple S = 0,19 ha).

Quel que soit l’avenir de ce modèle, sans doute très imparfait parailleurs, on ne peut oublier notre passé d’enseignant : il pourrait être unebonne illustration pédagogique pour des étudiants biologistes, car il nepose pas de difficulté mathématique majeure. Il pourrait même être unbon sujet d’examen…

5. Conclusion

Cet exemple a été traité comme illustration de ce qu’il est possible defaire, et de montrer que malgré les difficultés, on peut obtenir des évalua-tions plus précises, du moins si l’on veut réellement avoir une approcheconvaincante de la dynamique de la biodiversité qui ne se fonde pas surun discours émotionnel, même si on peut le comprendre, mais sur desfaits prouvés et des évaluations fiables. Par ailleurs, les préoccupationsliées aux usages connus et potentiels justifient aussi un tel effort (bois,mais aussi autres produits : fibres, produits et substances alimentaires,cosmétiques et médicamenteuses). Mais tout cela ne sera possible qu’auprix d’un réel effort technique et de promotion de nouvelles méthodesd’identification (on peut penser à l’analyse d’images, par exempleaériennes, ou aux techniques moléculaires de « terrain »).

Enfin, l’hypothèse majeure défendue dans cet ouvrage sur le rôle duhasard a été plusieurs fois pondérée et trouve ici une illustration : lesarbres se répartissent ou sont répartis au hasard dans un espace, celuiqu’on pourrait qualifier « des possibles » ; la condition est que les espècesen question, celles participant au « tirage », soient adaptées aux milieuxcorrespondants (conditions locales édaphiques, microclimatiques etbiologiques favorables). C’est ce qui explique que, suivant la zonegéographique et même dans une région apparemment homogène, onobserve des différences de composition spécifique assez notables entredes stations éloignées ayant des caractéristiques écologiques différentes.

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III La biodiversité à grande échellephysique

Nous venons de voir comment approcher la biodiversité à petite etmoyenne échelle, celle de la parcelle et de la station, et les difficultésrencontrées. L’imagerie satellitaire peut nous renseigner sur les grandeszones de végétation, en l’occurrence forestière, c’est ce que nous montrela figure A.3.

La forêt couvre 95 % du territoire guyanais (tout sauf la bandecôtière), qui, vu de loin dans la gamme de radiations reçues par l’œil, estuniformément vert. Mais avec un instrument multispectral et un traite-ment approprié du signal, on peut mettre en évidence des différences.C’est la diversité à l’échelle de l’écosystème.

IV Observations multiéchelles et multiniveaux : du gène à l’écosystème

Les tendances actuelles d’étude des systèmes forestiers correspondentbien à ce qui a été souligné dans ce texte. Les travaux sont effectués :

– de l’échelle locale, au sol : étude au niveau des arbres et des groupesd’arbres de faible dimension (échelle du m2 à l’hectare), au sol et avec desdispositifs particuliers, par exemple de mesure, d’identification, de prised’échantillon, par exemple pour des analyses génétiques59, d’accès à lacanopée et à la couche interface « atmosphère-système forestier » ;

– à l’échelle régionale, par télédétection spatiale, permettant demettre en évidence les grandes tendances écologiques au niveau écosys-témique (du km2 à 100 000 km2).

Entre ces deux niveaux, l’échelle moyenne peut être atteinte parcouverture aérienne permettant, par recouvrement (de quelques

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À propos de l’évaluation de la biodiversité : exemple de la Guyane française

59. Cette question n’a pas été développée ici, mais des études de génétique despopulations ont été et sont réalisées en Guyane (cf. par exemple le chapitre de Kremer etal., dans l’ouvrage consacré à Paracou, déjà cité).

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Figure A.3. Diversité des écosystèmes forestiers de Guyane montrée par l’ins-trument « végétation 2000 » du satellite SPOT 4 (image aimablement fourniepar Valéry Gond, CIRAD). Les divers niveaux de gris donnent une idée de ladiversité des formations forestières fondée sur des gradients d’humidités(bien contrastées entre la zone maritime et l’intérieur). Les résultats obtenuslors d’une expédition récente dans le sud de la Guyane, menée par D. Sabatier(IRD), montre que des différences de compositions floristiques accompagnentce gradient et confirme des observations plus anciennes (Sabatier et Prévost,1989). Au milieu, vers le haut, la tache gris foncé correspond au lac formé parle barrage EDF de Petit-Saut et où des recherches sont aussi menées.

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centaines de m2 à quelques km2), de relier les échelles locales et régio-nales et d’atteindre le niveau des communauté d’arbres. Ce niveau inter-médiaire d’observation est aujourd’hui très négligé, alors qu’il est trèsporteur d’informations (observation de la canopée et même accès à lazone entre le sol et la canopée par des techniques d’investigation laser) etqu’il n’est pas très coûteux. C’est notamment une bonne approche pourétudier la distribution spatiale des arbres, pour faire des identificationsspécifiques des individus constituant la canopée (à condition, bienévidemment, de mettre au point des méthodes de reconnaissance à partird’images de télédétection aérienne), pour réaliser des inventaires, pourdétecter les constituants chimiques émis par la forêt, leurs cinétiques,leur répartition et leur transformation dans la couche interface, et aussipour suivre la dynamique forestière à petite et moyenne échelle.

V Un terrain très favorable pour les recherches sur la biodiversité et sa dynamique

Ce qui vient d’être présenté comme exemple ne couvre évidemmentqu’une toute petite partie de ce qui a été fait et de ce qui est possible defaire sur un terrain comme celui de la Guyane concernant la biodiversitéet d’autres sujets connexes60. On aura compris que déjà la simple obser-vation peut conduire à des réflexions théoriques sur la structure et ladynamique, même à long terme, de la diversité biologique et écologique.Cet ouvrage n’aurait sans doute pas été écrit sans « l’expérience guya-naise » de l’auteur.

Par ailleurs et pour revenir aux aspects d’histoire de la biodiversitéet donc de sa dynamique à long terme, des travaux importants ont étéfaits dans le cadre d’un programme de recherche IRD-CNRS « Ecofit »(« Écosystèmes forestiers intertropicaux », Servant et Servan-Vildary,

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À propos de l’évaluation de la biodiversité : exemple de la Guyane française

60. C’est pour cette raison, entre autres, que le CNRS a lancé un programme inter-disciplinaire de recherche sur l’Amazonie en 2004, et qu’il s’est implanté en Guyane.Nombreux sont les chercheurs du CNRS et associés, notamment des universitaires, quitravaillaient sur la Guyane, le plus souvent en partenariat avec les organismes déjàimplantés. La présence institutionnelle du CNRS devrait renforcer ces partenariats.

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2000), à l’échelle de l’Holocène (en gros les 10 000 dernières années,période qui suit la dernière glaciation). Beaucoup reste à faire déjà danscette période, en particulier être plus précis dans la partie récente, les1 000 dernières années. Ces travaux relèvent d’un champ scientifique enessor : l’écologie historique, ou paléoécologie. Si l’on veut aller plus loinen arrière dans le temps, le problème des archives naturelles se pose defaçon cruciale : peu de zones sédimentaires, peu ou pas de fossiles. Enrevanche, on peut penser que si l’Amazonie et singulièrement la Guyaneont connu des perturbations, notamment climatiques, rien de communavec ce qu’ont connu les pays de l’hémisphère nord avec les glaciations,où une calotte glaciaire a recouvert une partie des continents. Ainsipeut-on espérer qu’il existe des « fossiles vivants » ; pour les détecter, lesméthodes de phylogénie moléculaire à grande échelle pourraient êtreutilisées.

Dans un autre ordre d’idée, nous avons signalé l’intérêt de l’étude dela canopée par voie aérienne. On peut l’observer en avion ou en hélicop-tère, mais aussi y accéder par cette voie en utilisant des dirigeables(comme celui qui transporte le « radeau des cimes »), ou des ballonscaptifs, comme la « bulle des cimes », utilisée à la station des Nouragues.D’autres dispositifs, permanents, existent pour réaliser des observationset des mesures. En particulier, sur la même zone des Nouragues, lesystème COPAS « Canopy Observatory Permanent Access System »,permet un accès et un suivi permanent sur 1,5 ha de canopée (cf. figureA.4). Cette partie de la forêt a encore été peu explorée, or elle est habitéepar une grande diversité d’organismes qui contribuent de façon détermi-nante au fonctionnement du système forestier : pour la majorité desarbres, les fleurs s’épanouissent dans la canopée ; la fécondation se faitpar le truchement de pollinisateurs ou du vent transporteur ; les fruits etles graines y mûrissent et sont consommées et dispersées, notammentpas des animaux. C’est donc un des lieux où se font et s’expriment les« roulettes biologiques et écologiques ». C’est aussi à ce niveau que se faitla photosynthèse et que se produisent les échanges entre la forêt etl’atmosphère. Monde encore mal connu, il doit être maintenant exploréet étudié pour mieux comprendre l’ensemble du fonctionnement de cesgrands systèmes forestiers et évaluer leurs contributions aux grandesdynamiques régionales et globales.

L’Amazonie est aussi appelée à évoluer sous la pression del’Homme. La Guyane peut aussi être un terrain de référence et d’expéri-

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mentation pour le développement de systèmes de gestion et d’aménage-ment des territoires amazoniens, valorisant et préservant sa diversité, oudu moins celle non nuisible à l’Homme. La Revue forestière française a

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À propos de l’évaluation de la biodiversité : exemple de la Guyane française

Figure A.4. Dispositifs d’étude de la canopée. Les photographies 1 et 2présentent un des trois pylônes du système COPAS installé dans la zonedes Nouragues (le principe de ce système est résumé dans le schémacentral : une nacelle peut se déplacer horizontalement dans un triangleéquilatéral d’un côté de 180 m et verticalement sur une hauteur de 40 m ;le déplacement est assuré par un ensemble de câbles entraînés par desmoteurs ; un ballon captif permet d’alléger la nacelle ; il n’est pas néces-saire avec une nacelle allégée). Sur la photographie 3 on voit la « bulle descimes », ballon captif, gonflé à l’hélium, muni d’une nacelle pouvantemporter un passager (sur le site des Nouragues). Enfin, la photographie 4montre la tour du système Guyaflux d’étude des échanges gazeux entre laforêt et l’atmosphère, installée à la station de Paracou. Photos : PierreCharles-Dominique et Alain Pavé.

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édité un numéro spécial sur la forêt guyanaise couplant études fonda-mentales et perspectives de gestion qui nous semble préfigurer l’établis-sement de liens nécessaires et forts entre les deux démarches (Fournieret Weigel, 2003). Beaucoup doit encore être fait pour cela, notammentcompléter les données (cf. figure A.5).

Dans ces modèles de gestion, il est important d’évaluer le rôle et l’ef-ficacité des processus spontanés de régénération et de diversificationécologiques. Ainsi, pour la réhabilitation des sites dégradés, notamment

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LA NÉCESSITÉ DU HASARD

Figure A.5. Lieux de prélèvement des échantillons botaniques effectués parl’ORSTOM-IRD (carte disponible à l’Herbier de Cayenne, les « couleurs »correspondent à des campagnes de prélèvement). Le travail réalisé estremarquable, mais n’a aucune prétention à être un inventaire de la diver-sité végétale (le plan d’échantillonnage aurait été très différent). Ce n’étaitpas l’objectif des chercheurs botanistes, car il ne correspondait pas à leurobjectif scientifique du moment. De plus, réaliser un tel inventaire relèveplus d’une démarche et d’un corps technique encore à inventer et demandedes moyens non négligeables. Photo : Pierre Charles-Dominique.

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par une activité minière, il y a lieu d’apprécier la pertinence d’une inter-vention comme la revégétalisation, ou au contraire de laisser la zone serepeupler spontanément pour aboutir à une structure écologique quiressemble à celle de l’écosystème environnant. L’ingénierie des systèmesécologique doit aussi intégrer le principe de « non action », du « laisserfaire la nature », bien évidemment tout en surveillant la dynamique dusystème concerné. Très généralement ne s’agit-il pas souvent d’accompa-gner un mouvement spontané, plutôt que de le forcer ?

Enfin, nous avons vu que le terrain guyanais est très propice au déve-loppement d’activités de recherche en écologie, d’autant plus qu’ondispose sur place de moyens de terrain parmi les plus importants aumonde. On le doit aux chercheurs qui ont su le faire et à leurs institu-tions, notamment les organismes de recherche, qui les ont soutenus.

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À propos de l’évaluation de la biodiversité : exemple de la Guyane française

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Ne sont repris ici que quelques termes essentiels non définis dans le texte ou qui

demandent quelques précisions supplémentaires.

Adaptation : ensemble de processus biologiques permettant à une entitébiologique de vivre et de se reproduire dans un milieu donné, de résisterà ses fluctuations ou de coloniser d’autres milieux.

Allèle : les allèles sont des séquences légèrement différentes d’un mêmegène, codant pour la même protéine. Dans certain cas, cette séquencepeut être suffisamment altérée pour produire une protéine peu ou pasactive ; mais pour les organismes diploïdes dont les gènes sont doublés(deux séquences homologues, chacune apportée par l’un des deuxparents), il suffit que l’un des deux soit intact pour que la fonctioncorrespondante puisse s’exprimer. Quand l’un des allèles ne s’exprimepas ou peu, on parle de forme récessive ; elle peut être cachée par l’acti-vité d’un autre allèle actif sur la séquence homologue.

Aploïde : se dit d’une cellule (ou d’un organisme) dont les cellules neportent qu’un seul exemplaire de chaque chromosome. C’est le cas descellules reproductrices, les gamètes (ovule et spermatozoïde).

Biodiversité : ce mot s’est progressivement substitué à l’expression« diversité biologique », soulignant le nombre et l’amplitude des diffé-rences entre entités biologiques, principalement les organismes. Lancépar Wilson et Peter en 1988, dans un ouvrage de référence sur le sujet, il

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a acquis une signification beaucoup plus large. Ainsi il englobe toutes lesdiversités, du gène à l’écosystème, structurelle et fonctionnelle, et lesrapports que l’Homme entretient avec le vivant (usages, conservation,symbolismes). Il a une connotation très positive, dans la mesure où lediscours dominant s’inquiète sur son « érosion ». C’est ignorer que labiodiversité recouvre aussi des agents pathogènes, dangereux pourl’Homme. Cela étant, on pourra souligner le rôle positif qu’à eu l’inven-tion du mot dans la pensée biologique, réactivant des réflexions etrecherches sur la diversité du vivant, tombée en partie en désuétudesimultanément aux approches systématiques dont l’intérêt ne paraissaitplus évident…

Biosphère : ensemble constitué par l’ensemble des systèmes vivants sur laPlanète.

Chaos : ensemble d’éléments sans structure apparente. Cette notion estapparue dans les mythologies, notamment grecque : état de l’Universavant l’apparition du Monde. Le chaos déterministe est engendré par unalgorithme donnant une suite de nombres apparemment désordonnée.

Chromosome : organite cellulaire incorporant un fragment d’ADN dugénome des eucaryotes. L’ensemble des chromosomes porte l’intégralitédu génome nucléaire. Chaque gène est localisé dans un endroit précisd’un chromosome. Les organismes diploïdes portent 2n chromosomes,homologues 2 à 2 sauf les chromosomes sexuels. Les chromosomessexuels sont le plus souvent notés X et Y avec, chez l’Homme, la formuleXX, pour le sexe féminin et XY, pour le sexe masculin (d’ailleurs ces nota-tions viennent des formes des chromosomes chez l’Homme qui ressem-blent à ces lettres).

Codon : unité d’information élémentaire des séquences génétiquesconstituée de 3 nucléotides, désignés communément par une lettresymbolisant le composé aminé (purique ou pyrimidique) qui le carac-térise (AGCT pour les ADN ou AGCU pour les ARN). Cet assemblagede 3 « lettres » prises parmi 4 permet de représenter 43, soit 64, informa-tions élémentaires, dont celles correspondant au codage pour les 20acides aminés, composés élémentaires des protéines. 3 des 64 codonspossibles sont dits « non sens » dans la mesure où il ne correspondentpas à un acide aminé particulier, en reste 61, pour 20 acides aminés,c’est-à-dire que des codons différents (dits synonymes) codent pour un

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même acide aminé (par exemple, UAU et UAC représentent les codonssynonymes de la tyrosine).

Communauté : ensembles d’organismes d’espèces différentes en interac-tion et localisés dans un endroit donné.

Diploïde : qualifie la composition chromosomique ayant un nombrepair de chromosomes deux à deux homologues, sauf les chromosomessexuels dans l’un des deux sexes. Chaque chromosome d’une paire vientd’un des deux parents.

Échelle : primitivement, l’échelle représente une unité de mesure carac-téristique des entités ou phénomènes observés (l’échelle d’une bactérieest micrométrique, d’une molécule, nanométrique, d’un arbre,métrique ; en démographie, l’échelle caractéristique d’une population estla génération, par exemple de 25 ans chez l’Homme et de 20 min pour labactérie E. Coli, souche K12) ; on parle alo rs de grande échelle pour lesobjets de grandes tailles (l’échelle de l’arbre est plus grande que celle dela bactérie, cf. André et al., 2003). En géographie, l’échelle d’une cartereprésente le rapport entre la mesure sur la carte et la mesure sur leterrain (une échelle au 50 000e signifie qu’à 1 cm sur la carte, correspond50 000 cm sur le terrain, soit 500 m, au 100 000e à 1 cm correspond1 km…) ; une grande échelle géographique correspond à un petitrapport, ainsi une échelle au 50 000e est plus grande qu’une échelle au100 000e. Les deux interprétations « physiques » et « géographiques »sont opposées et donc souvent source de malentendus… De plus laconfusion fréquente avec la notion de niveau d’organisation necontribue pas à rendre les dialogues plus faciles.

Écosystème : ensemble de communautés et des milieux dans et surlesquels vivent ces communautés, formant un ensemble identifiable (parexemple, un écosystème forestier). On peut définir une typologie desécosystèmes (cf. Barbault et Pavé, 2003).

Édaphique : qui est relatif au sol.

Épisome : élément d’ADN « linéaire » pouvant passer d’une cellule àl’autre, d’un organisme à l’autre. Le mécanisme de transmission est dithorizontal et peut être interspécifique. La création d’OGM utilise ce typede mécanisme.

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Équilibre : cette notion vient de la mécanique (l’image de la balance) et dela thermodynamique. Dans un système à l’équilibre tout est statique, rienne bouge. En écologie, pour exprimer le cas où des processus dynamiquesse compensent pour donner une résultante de vitesse nulle, on parled’équilibre dynamique (par exemple quand un taux de mortalitécompense un taux de reproduction dans une population, l’effectif estconstant bien qu’il y ait renouvellement des individus). La notion d’équi-libre est la même que celle de point fixe d’un système et celle d’équilibredynamique est analogue à celle d’état stationnaire. On peut considérer quel’équilibre est un cas particulier de stationnarité où les vitesses sont nulles.Peut-être serait-il nécessaire d’uniformiser le langage, en l’occurrence dese référer à celui de la dynamique des systèmes, précisément défini.

Espèce : unité taxonomique correspondant à des organismes similaires.Les organismes d’une même espèce sont interféconds (ils peuvent secroiser). Dans les classifications issues d’une taxinomie numérique, ilscorrespondent à un ensemble homogène (les distances entre les indi-vidus du groupe est plus petite qu’entre ces individus et ceux d’un autregroupe). La terminologie classique, fondée sur celle proposée par Linné,désigne une espèce par deux mots, le premier correspond au genre et lesecond à l’espèce (par exemple, le nom de l’angélique, arbre commun deGuyane est Dicorynia guyanensis).

Eucaryote : organisme monocellulaire ou multicellulaire, où le noyaucellulaire est identifiable. Il contient l’ADN génomique stocké dans unensemble de chromosomes.

Famille : ensemble de genres (la succession taxonomique la plus couram-ment utilisée est famille-genre-espèce).

Gène : suite de quelques dizaine à plusieur s milliers de codons qui peutêtre traduit en une protéine.

Génome : ensemble du patrimoine génétique d’un individu codé dansson ADN. La structure du génome est assez complexe et comporte, enparticulier des zones codantes et d’autres non codantes. Le génomehumain (3 milliards de nucléotides) comporte environ 30 000 gènes.

Génotype : ensemble des gènes d’un génome ou d’une partie du génome.Un individu a un génotype propre, deux clones ont des génotypesthéoriquement identiques. À ce génotype correspond un phénotype,

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expression du génome dans les conditions biologiques, physiologiques etenvironnementales du développement de l’organisme en question.

Genre : ensemble d’espèces formant un groupe homogène.

Modèle : mot ayant de multiples sens. Dans le contexte présent, il désigneun objet mathématique (une formule) dont le comportement simulecertaines propriétés, certains comportement, certaines structures d’ob-jets du monde réel. Par exemple, le modèle logistique permet de rendrecompte de la croissance de populations, notamment humaine, mais ilpeut représenter de nombreux autres phénomènes de croissance maisaussi de décroissance.

Niveau d’organisation : les systèmes vivants sont organisés suivant desniveaux bien identifiables et emboîtés (principalement : cellules, orga-nismes, populations, communautés, écosystèmes). À chacun de cesniveaux, des propriétés émergentes ne sont pas simplement déductiblesdes éléments qui le composent (par exemple, un organisme est plusqu’une somme de cellules ; ainsi, il peut exhiber des comportementscomme le déplacement vers une cible attractive : ressource alimentaire,partenaire pour la reproduction, etc.) À un degré bien moindre, lessystèmes physiques montrent des processus d’auto-organisation, mais lespropriétés résultantes paraissent moins sophistiquées et beaucoup sontréductibles à des comportements moyens (cas des gaz dans le modèle deBoltzman) ou peuvent être déduites par des changements d’échelles. Lacorrélation entre échelle et niveau d’organisation conduit souvent à uneconfusion entre les deux concepts, qui sont cependant très différents : lechangement d’échelle ne suppose pas l’émergence de propriétésnouvelles, contrairement à celui de niveau d’organisation.

Paléoécologie : étude de l’histoire des systèmes écologiques.

Phénotype : traits de l’organisme résultants de l’expression du génomede cet organisme.

Phylogénie : classification d’un ensemble d’être vivant dans un contexteévolutif (les liaisons entre groupes traduisent de degré de parenté et desradiations résultant de l’évolution des êtres vivants ; elles peuvent êtreordonnées dans le temps et quelquefois repérées par des dates).Actuellement, la phylogénie moléculaire, classification à partir de

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séquences génétiques, tend à devenir la référence. C’est sur cette basequ’on a revu l’organisation du monde vivant et proposé une structura-tion en trois grands groupes, trois règnes : Archæ, Bactéria et Eucarya.

Plasmide : élément d’ADN « circulaire » pouvant se transmettre d’unebactérie à l’autre et susceptible de se dupliquer de façon autonome. Lesplasmides véhiculent les gènes de résistance aux antibiotiques. Des frag-ments de plasmides peuvent s’intégrer au chromosome bactérien et doncy inclure ces gènes de résistance.

Polyploïde : certaines cellules et organismes, notamment végétauxpeuvent porter plus de 2n chromosomes (exemple la tétraploïdie avec 4nchromosomes).

Population : ensemble d’organismes d’une même espèce en interaction,notamment reproductrice, et donc susceptibles d’échanger des gènes. Enstatistique, cette notion représente un ensemble d’individus ou d’entitésvariables, dont on observe ou mesure un ou plusieurs caractères.L’ensemble des données obtenues est résumé en calculant les valeurs deparamètres synthétiques (moyenne, variance, pourcentages).

Protéome : mot introduit récemment en biologie cellulaire et molécu-laire, il désigne l’ensemble des protéines synthétisées à un momentdonné dans un système cellulaire. Le protéome est en aval du transcrip-tome (cf. définition plus loin).

Procaryote : organisme monocellulaire, dont le noyau primitif n’est pasidentifiable au microscope (bactéries et cyanobactéries).

Résilience : ce terme vient de la mécanique et traduit la capacité d’unsystème à amortir et à récupérer une perturbation en revenant dans unétat stationnaire proche de celui dans lequel il était avant cette perturba-tion. Cette notion est proche de celle de stabilité, sauf qu’on peut consi-dérer des états non-stationnaires et des perturbations importantes. Ceterme a été introduit en écologie par Holling.

Sélection (naturelle) : ensemble de mécanismes favorisant un organismeou un ensemble d’organismes dans un environnement donné. Parexemple : la compétition, l’adaptation, la coopération.

Stabilité : comme les concepts d’équilibre, de point fixe et d’état station-naire, cette notion est issue de la théorie des systèmes dynamiques. Un

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système est dit stable si, étant dans un état stationnaire, en particulier dansun état d’équilibre, après une petite perturbation, il revient spontanémentdans cet état. Par exemple, si une balance est à l’équilibre un mouvementd’air peut rompre cet équilibre, mais elle y revient spontanément.

Systématique : discipline consacrée à la description et à la classificationdes êtres vivants.

Taxonomie ou taxinomie : discipline s’intéressant à la classification, prin-cipalement des êtres vivants. Elle se fonde sur l’analyse de ressemblancesentre caractères : les éléments d’un groupe taxonomique sont plusproches entre eux qu’avec des entités d’un autre groupe. Ainsi est définieune hiérarchie taxonomique dont les éléments de base sont les espèces,puis les genres (groupe homogène d’espèces), les familles (groupe homo-gène de genres), etc. Certaines écoles systématiques distinguent34 niveaux, de l’espèce au règne. Les caractères courants utilisés pour lesclassifications sont morphologiques, génétiques ou biochimiques.

Transcriptome : désigne l’ensemble des gènes transcrits en ARN à unmoment donné dans un système cellulaire. Le transcriptome est en avaldu génome et en amont du protéome. L’approche multigénique du fonc-tionnement cellulaire est récente et marque un progrès important dansla compréhension de ce fonctionnement. Enfin, l’étude des parties noncodantes du génome (pour les protéines) prend de plus en plus d’impor-tance (épigénétique).

Transposon : élément d’un génome susceptible de changer de placed’une génération à l’autre. Cet élément peut être assez long et corres-pondre à plusieurs gènes.

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Les articles et ouvrages référencés sont ceux qui ont été consultés. Tous ne sont pas

repérés dans le texte pour ne pas nuire à la lecture. Seuls ceux dont le contenu nous

semblait ponctuellement important, pour renforcer un argument, ont été cités. Ce

n’est évidemment pas un jugement de valeur, la citation n’étant que conjoncturelle.

Enfin, les dernières publications qui ont été consultées, jusqu’à septembre 2006, et

que nous avons jugées intéressantes pour cet exposé, ont été intégrées.

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LA NÉCESSITÉ DU HASARD

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Références bibliographiques

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Le point de départ fut un contact désagréable avec la biodiversité, celledes bactéries qui vous rendent malade. Quelques jours d’hôpital et uneconvalescence m’ont laissé du temps pour commencer à rédiger ce quiallait être un projet de livre sur ce sujet d’actualité et auquel je pensaisbien avant ce désagrément. Mes premiers remerciements sont donc pourl’équipe médicale qui m’a efficacement soigné. Avant de progresser dansla réalisation de cet ouvrage, plusieurs lecteurs m’ont fait l’amitié etl’honneur de lire la première version et m’ont donné des conseils utilespour la suite. Ce sont de vieux complices, enfin le mot de vieux est peut-être exagéré… L’avenir du projet fut décidé lors d’un déjeuner avec eux,en l’occurrence Robert Barbault, Jean-Claude Mounolou et Tala Younèset cela dans un charmant restaurant près du siège du CNRS à Paris : leRosymar. On peut y déguster une excellente cuisine espagnole et des vins,non moins espagnols, d’une excellente facture. Un accueil plusqu’agréable et d’un rare professionnalisme. Nous étions ennovembre 2004. Michel Thellier, qui n’avait pu être des nôtres, merenvoya aussi un avis très positif assorti d’excellentes suggestions.Quelques semaines plus tard, p récisément début 2005, Jean-ClaudeMounolou, nouveau président de l’Académie d’agriculture, mentionnaitpour la première fois ce travail lors de son discours de début d’année etdepuis nous continuons à avoir de fructueuses discussions sur le sujet.Quelques jours plus tard, Yvon Le Maho me renvoyait également un avistrès positif. C’était à l’issue de la « Conférence internationale biodiver-sité, science et gouvernance », dont Jacques Weber fut l’efficace organisa-teur et avec qui j’ai eu de multiples échanges.

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Remerciements

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Pierre Charles-Dominique m’a fait l’amitié de relire le manuscrit aumoins deux fois, de me fournir d’utiles illustrations et de précieuxcommentaires. S’il est un écologue, j’oserais dire un naturaliste au sensnoble, connaissant la nature guyanaise, c’est bien lui. « Inventeur desNouragues », le développement de la recherche en Guyane lui doit beau-coup. Bernard Riéra, lui aussi plongé dans la recherche sur l’écosystèmeforestier guyanais, m’a éclairé sur plusieurs points, fourni de précieusesdonnées et lu le texte avec attention. Claudine Laurent a été une lectriceavisée et pointilleuse et cela d’autant plus que son domaine de compé-tences est loin de l’écologie. L’équipe guyanaise du CNRS m’a supportépendant la réalisation de cet ouvrage ; Mireille Charles-Dominique etGaëlle Fornet ont suivi de près la réalisation ; elles m’ont donné deprécieux conseils. La lecture du manuscrit semble avoir plu à PhilippeGaucher ; il a participé au choix du titre. J’ai eu enfin la satisfaction d’avoirun retour très constructif de l’éditeur et des deux lecteurs du manuscrit,qui l’ont vraiment lu, commenté et annoté. Ils ont ainsi conduit à uneamélioration significative du texte. Ce n’est pas si fréquent à un momentoù l’édition scientifique française n’est pas au meilleur de sa forme.

D’autres amies, amis et collègues, bien sûr aussi des membres de mafamille n’ont pas directement contribué à ce travail, mais au gré de nosdiscussions, ils ont permis la mise en place des idées, souvent à leur insuet sans que j’en ai conscience sur le moment. Parmi eux, au fil des annéeset de leurs visites en Guyane, des enfants, des adolescents et des jeunesadultes qui regardent le monde avec des yeux neufs, précis et critiques.

Enfin, il reste à me souvenir que sans le soutien de Marie-José,pendant toutes les années que nous vécûmes ensemble, je n’aurais jamaisété en mesure de faire tout ce que j’ai fait, notamment d’avoir leséléments qui m’ont permis de rédiger cet ouvrage. Et… puis, comme jel’ai déjà écrit, le meilleur résultat de notre collaboration, Marc, a suivi detrès près sa réalisation, le lisant, le commentant quelquefois sévèrement,non seulement sur le style, mais aussi sur le fond. Historien, muni d’uneétonnante culture scientifique, lecteur pointilleux et critique, il a beau-coup contribué à la mise au point du manuscrit.

Hé bien, comme c’est annoncé… je les remercie tous. Suivant les caset ils se reconnaîtront, je les assure de ma reconnaissance, de ma considé-ration, de mon amitié, de ma profonde affection. Précision utile : cesdifférents items ne sont pas exclusifs !

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LA NÉCESSITÉ DU HASARD

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Dans la même série :

Le vivant décodé Quelle nouvelle définition donner à la vie ? Jean-Nicolas Tournier

En ce début de XXIe siècle, quel regard l’homme porte-t-il sur la vie ? Alors que le siècle qui sedessine semble être celui des biotechnologies, que le conflit ouvert entre la puissance envahis-sante de la biologie et les limites de l’éthique devient irrémédiable, la notion même de viesemble s’être extirpée du champ de la biologie. Or, les frontières de la science touchent pourtantbien celles de la définition du vivant. Mais alors quel sens donner au mot vie ? L’embryon est-ilen vie dès sa conception ? Le clone, l’autre soi peut-il être réifié pour répondre au simple besoinde cellules souches d’une personne, dont la vie est elle-même mise en péril ? Ces questionsnouvelles, ne sont qu’une formulation moderne de questions pérennes. Elles permettent aussi decomprendre que la biologie ne peut se départir d’une réflexion éthique. Le présent ouvragepropose une définition nouvelle, simple et opérante de la vie qui exclut l’appel au vitalisme, etqui permet ensuite de revisiter certaines énigmes de la biologie moderne comme les origines dela vie et son évolution, et de s’interroger sur les problèmes éthiques de la biologie contempo-

raine : Quid des OGM, du clonage reproductif et thérapeutique, des cellules souches au regard de la vie ? Il ne s’agit ici ni de vouerles techno-sciences aux géhennes, ni de déplorer les progrès de la science. L’objectif est plutôt d’anticiper l’émergence des problèmeséthiques futurs par une réflexion plus profonde et plus large sur le sens du mot vie, afin de mieux accompagner les surprises que livrepudiquement la nature aux êtres curieux de savoir. Jean-Nicolas Tournier est docteur en médecine et docteur ès sciences, chercheur au Centre de Recherches du Service de Santé desArmées (CRSSA) à Grenoble. Il travaille dans le domaine de l’immunologie et s’intéresse notamment aux interactions hôte-pathogè-nes.

• Octobre 2005 • 2-86883-814-6 • 212 pages • 19 €

Réflexions sur la science contemporainePierre Darriulat - Préface d’Étienne Klein

Cet essai s’adresse à tous ceux qu’intéressent les relations entre la science et la philosophie.L’auteur y brosse à grands traits un tableau de la science contemporaine : réductionnisme, déter-minisme, abstraction, méthodes, mécanismes de validation et interactions entre observation etthéorie... ainsi qu’un portrait de ses artisans et une critique des stéréotypes les plus courants(philistin, iconoclaste, apprenti sorcier...) L’accent est mis sur le fait que la science, dont unedes missions consiste à dénoncer les illusions du sens commun, ne poursuit pas une quête devérité absolue mais se contente aujourd’hui d’une vérité simplement meilleure que celle d’hier.La circularité de la science lui interdit de répondre à des questions essentielles comme « Pourquoice monde plutôt que rien ? » Pour tenter d’y répondre, le physicien Pierre Darriulat entreprend,avec candeur et bienveillance, un voyage chez les philosophes. Comment la métaphysiques’évade-t-elle du cercle ? Quelle connaissance autre que scientifique nous propose-t-elle ?La circularité condamnant la science au silence, elle semble du même coup condamner lamétaphysique au verbiage ; devant son incapacité à nous répondre, nous restons seuls devant

l’absurdité de notre destin…Pierre Darriulat a consacré l’essentiel de sa carrière de chercheur à l’étude des interactions des particules élémentaires à laquelle il aapporté des contributions importantes, en particulier avec la découverte des jets hadroniques et des bosons faibles. Après avoir diri-gé les recherches du CERN pendant sept ans, il s’est tourné vers l’étude de la supraconductivité des couches minces puis, quelquesannées plus tard, vers l’astrophysique qu’il enseigne aujourd’hui à l’Université nationale de Hanoi, où il dirige un laboratoire de phy-sique des rayons cosmiques. Ses recherches lui ont valu de nombreuses distinctions honorifiques.

• Février/Mars 2007 • 978-2-86883-964-0 • 168 pages • 14 €

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À PARAÎTRE

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