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MOURIR C’EST NAÎTRE L’amour, la mort et l’au-delà Henri Boulad

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L’amour, la mort et l’au-delà

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LA MORT NOUS EST INACCEPTABLE PARCE QU’ELLE SEMBLE FAIRE ÉCHEC À CET ÉLAN VITAL INSCRIT AU PLUS INTIME DE NOUS-MÊMES. D’où notre question scandalisée : pourquoi mourons-nous ? Henri Boulad offre une réponse apaisante et lumineuse à cette interroga-tion : nous mourons parce que nous ne sommes pas encore nés à nous-mêmes, aux autres, au monde, et à Dieu. Ces quatre aspects de la mort cachent quatre visages de la naissance. Dans sa réalité la plus profonde, notre mort sera l’avènement de notre moi véritable, l’ac-complissement plénier de nos relations humaines, une expérience cosmique dont nous portons la secrète nostalgie, et la découverte éblouie de ce Dieu qui nous demeure voilé.

L’auteur traite aussi des questions qui intriguent la sensibilité mo-derne, comme la réincarnation, le jugement, la sexualité dans l’au-delà. Sa réflexion longuement mûrie nous convainc que nous n’avons pas à redouter la mort, que nous n’y perdrons rien de ce qui fait le meilleur de nous-mêmes. Au contraire, nous pourrons dire avec Thérèse de Lisieux : je ne meurs pas, j’entre dans la Vie.

Éducateur, conférencier, professeur de théologie, Henri Boulad, s.j., a été

directeur de Caritas-Égypte et vice-président de Caritas-Internationalis pour

le monde arabe. Il est officier et commandeur de l’Ordre national du mérite de

France. Il a publié de nombreux ouvrages dans une quinzaine de langues.

ISBN 978-2-89420-996-7

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Boulad, Henri, 1931-

Mourir c’est naître : L’amour, la mort et l’au-delà.

Comprend des références bibliographiques et un index.

1. Mort – Aspect religieux – Christianisme. 2. Vie future – Chris-tianisme. 3. Réincarnation – Christianisme. I. Titre.

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Introduction

La mort comme mystèreLa mort n’est pas de l’ordre du problème, mais du

mystère. Un problème a une solution d’ordre logique et rationnel. Le mystère, par contre, relève du cœur et de l’intuition. On ne le découvre qu’en y pénétrant par tout soi-même. Il est d’un tout autre ordre que celui de la logique, de la raison, de la science ou de la philosophie.

À quelqu’un qui interrogeait un jour Confucius sur la mort, celui-ci répondit : « Tu ignores ce qu’est la vie, comment comprendrais-tu ce qu’est la mort ? »

Le mystère de la vie et celui de la mort se rejoi-gnent et se confondent pour ne faire qu’un seul et même mystère, qu’il serait téméraire de vouloir per-cer. Et cependant nous n’avons pas le droit d’éluder cette question, qui est pour nous d’une importance capitale.

La mort comme naissance et métamorphosePourquoi mourons-nous ? Drôle de question !…

Nous mourons parce que nous devons mourir, parce que telle est la loi de la nature, le sort de tout vivant. Nous mourons parce que la mort est quelque chose de normal, de naturel.

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Un deuxième aspect de la métamorphose est celui de croissance, de dépassement. Sans la mort, la nature se dégraderait. La mort est nécessaire au renouvellement de la vie. Tous les ans, au mois de janvier, notre jardinier émonde les arbres du jardin. Un ficus florissant, exubérant, est réduit à l’état de squelette. Si l’on ne comprenait pas que c’est pour lui permettre de renaître et de se renouveler, on pren-drait le jardinier pour un fou. Eh bien non, il n’est pas fou ! Il sait très bien que pour renaître l’arbre doit pas-ser par une mort.

Vue dans une telle perspective, la mort ne devrait pas nous effrayer. Nous avons tout à y gagner. « La mort m’est un gain », affirmait saint Paul (Ph 1, 21). Une telle vision supprime toute peur, rend libre, engendre une paix souveraine. La mort est un gain, un plus.

La métamorphose implique aussi l’idée d’irré-versibilité. La vie regarde vers l’avant, ne recule jamais, apporte sans cesse du nouveau. À travers un « moins », elle engendre un « plus », un mieux. Une vague puissante nous emporte toujours en avant, toujours au-delà.

La foi ne fait que confirmer ce que la nature entière nous crie. Dans un monde qui semble avoir perdu le goût de vivre, la foi nous redonne optimisme, espé-rance. Une vision renouvelée de la mort nous invite à démythifier celle-ci, à la démasquer, à nous libérer de la peur et de l’angoisse.

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La mort comme naissance à soi

Après cette vie, lorsque le cœur s’arrête de battre et le cerveau de fonctionner, y a-t-il quelque

chose derrière ? La foi nous affirme qu’une autre vie nous attend au-delà de celle-ci. Mais cette affir-mation nous suffit-elle ? Malgré nos certitudes reli-gieuses, ne subsiste-t-il pas au fond de nous un doute, une inquiétude ? Maman, qui était pourtant très croyante, me disait un jour : « Existe-t-il vrai-ment quelque chose après la mort ? » Malgré sa foi profonde, il restait en elle une question, une interro-gation.

Essayons de voir si, au-delà de toute référence religieuse et à partir de la simple réflexion, nous ne pourrions pas jeter quelque lumière sur ce mys-tère. Qu’est-ce que la philosophie, la raison, l’esprit humain laissé à lui-même peuvent dire de l’au-delà ?

Vivre, c’est affirmer que la vie a un sens

Notre vie est un processus continu de croissance que la mort interrompt brusquement. La mort n’est pas ressentie par nous comme un accomplissement, un achèvement, un couronnement, mais comme l’interruption d’un mouvement non encore parvenu à son terme. D’où son caractère absurde. Même un vieillard rassasié de jours la ressent comme une

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brisure, une cassure, une rupture, un arrachement. Quel que soit l’âge auquel nous mourons, nous avons l’impression que l’essentiel de ce que nous portons en nous n’a pas été réalisé.

Bien que nous sachions parfaitement que la mort est une issue inévitable, inéluctable, quand elle se présentera à nous, nous serons tout surpris : « Tiens… déjà ? Pourquoi ?… J’ai à peine commencé de vivre ! » La mort en effet va à l’encontre de ce que nous por-tons en nous de plus profond : le désir d’immortalité. D’où, une fois encore, son caractère absurde.

Or je refuse l’absurde. De toutes les fibres de mon être, je le refuse, je le récuse. Car je sens au plus intime de moi-même que ma vie a un sens, qu’elle construit de l’immortel, du définitif.

Si je ne me suicide pas, cela ne tient pas à un quel-conque interdit religieux, mais à un instinct viscéral qui me chuchote au creux de l’oreille : « Tu dois vivre ! Ta vie a une signification ; ton suicide serait une faute, une erreur, une trahison. »

Dire qu’après la mort l’homme disparaît tout entier, qu’il ne reste rien de lui est inconcevable.

Penser et agir, c’est affirmer un sens

La pensée elle aussi est affirmation de sens. Sans cette certitude, nous cesserions de réfléchir, de cher-cher, d’inventer. Le moteur de toute réflexion, de toute recherche, c’est la certitude inconsciente que le monde a une signification. Chercher et réfléchir, c’est postuler un sens.

L’action aussi est postulation de sens. Ce qui pousse l’homme à agir, à travailler, à lutter, c’est qu’il sent confusément que ce qu’il fait réalise quelque

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chose d’important, de définitif. De même qu’il y a un pôle Nord géographique qui attire l’aiguille de la boussole dans sa direction, il existe un pôle Nord de la vie sans lequel ce monde serait statique, immobile. Même si je n’ai jamais vu ce pôle et que je ne le verrai jamais, je le postule comme une nécessité, puisqu’il conditionne mon action. Si l’humanité est en marche, c’est qu’elle tend vers un but qui la polarise.

Le seul fait de vivre, de penser, d’agir implique donc que l’existence a un sens et tend vers un but ultime. Sans ce but, l’élan de la vie serait brisé dans l’œuf. Et comme ce but n’est pas atteint dans les limites de mon existence, je dois postuler une autre vie qui couronnerait un jour tout le mouvement.

Penser, chercher, agir, travailler, c’est donc affir-mer cette vérité. Se nourrir, c’est la confirmer. Le simple fait de manger postule un au-delà. Sans cette certitude inconsciente, nous perdrions le goût de vivre, la volonté de survivre.

L’espérance n’est pas un vague souhait, un incha’allah plus ou moins désabusé. Elle n’est pas de l’ordre du possible ou du « peut-être », mais du « sûr » et du « certain ». C’est cette certitude plus forte que le roc qui communique à la vie son dynamisme et son élan. Si mon existence n’avait aucun sens, je m’arrêterais de vivre ; si ma pensée ne menait nulle part, je cesserais de penser ; si le monde devait abou-tir au néant, il cesserait de progresser. Mais comme le monde et l’homme ne cessent d’évoluer, c’est que – par nécessité structurelle – ils tendent vers du défi - par nécessité structurelle – ils tendent vers du défi -– ils tendent vers du défi - ils tendent vers du défi-nitif. Ce « définitif » ne se situant pas dans les limites de mon existence terrestre, il faut le postuler dans un au-delà.

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Mort et sépulture

Nous croyons être nés parce que notre mère nous a mis au monde. En fait, personne n’est vraiment né. Nous sommes encore au stade fœtal, à l’état embryon-naire, tout au début de notre existence. Celle-ci porte en elle une nostalgie de plénitude, une aspiration à la totalité.

C’est cette nostalgie qui nous pousse à progresser, cette aspiration qui nous propulse en avant vers un terme inscrit au fond de nous. L’humanité a toujours vu la mort comme un passage vers une autre vie. Depuis ses plus lointaines origines, l’homme a cru à un au-delà, quelle que soit la manière dont il se le représentait.

Ce qui nous fait hommes, c’est précisément cette perception d’une transcendance. Pour savoir, face à des ossements préhistoriques, s’il s’agit d’un simple anthropoïde ou d’un être humain, on tente de déter-miner si cet individu a été enterré. L’homme est le seul vivant à ensevelir ses morts. Aucun animal ne fait ce geste. Enterrer a une signification très pro-fonde, car ce qu’on enfouit dans le sol est conçu comme un germe, une promesse. L’homme sait bien que, lorsqu’il sème une graine, il en émergera un arbre. De même, lorsqu’il inhume un cadavre, il porte inconsciemment en lui la certitude que ce corps jaillira un jour dans une nouvelle dimension. Voici ce qu’en dit Jean Mouroux dans son livre Le sens chrétien de l’homme :

Vient un jour où le corps a fini son service et n’est plus qu’un cadavre. Comme le dit Victor Hugo : « L’âme est partie, on rend le corps à la nature, la vie a disparu sous cette créature… »

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Une dernière espérance pourtant, et la plus radieuse, est présente au sein de cette suprême misère. « Le corps est semé », dit saint Paul, et cela transfigure tout. Il n’est point une masse évanescente, la future fumée que hume le poète du Cimetière Marin ; mais il est un grain semé qui lèvera un jour. La terre n’est pas simplement un tombeau, elle est l’immense champ qui garde les semailles et d’où germeront les corps pour la moisson éternelle.

De même… que le grain de blé tombé en terre et décomposé lève, multiplié grâce à l’Esprit de Dieu qui soutient toute chose… de même aussi nos corps… déposés en terre et dissous en elle, ressusciteront en leur temps1…

Tel est le sens profond de la sépulture. Dans le geste d’enterrer un corps, il y a la certitude que ce corps lèvera un jour. Ce qui est encore plus signifi-catif, c’est que le défunt était souvent placé dans une grande jarre, tout recroquevillé sur lui-même, la tête collée aux genoux, dans la position du fœtus. Un tel rite signifie que dans la mort l’homme se prépare à renaître à une autre existence. Il n’y a d’ailleurs qu’à voir comment le vieillard, jour après jour, se rata-tine sur lui-même, comme s’il tentait de retrouver la position fœtale. Au terme de sa vie, l’homme semble vouloir prendre un nouveau départ pour une vie nouvelle. Souvent aussi, le mort avait le visage tourné vers l’orient, comme pour signifier l’attente d’une aurore nouvelle.

Le culte des ancêtres

Toutes les civilisations ont pratiqué le culte des morts.

1. Jean Mouroux, Le sens chrétien de l’homme, Paris, Aubier (Théologie), 1943, p. 98-99.

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Les Chinois aménageaient dans un coin de leur maison un petit autel dédié aux ancêtres, devant lequel brûlait jour et nuit une veilleuse. Ce rite était l’expression d’une certitude : c’est qu’au cœur du foyer, la présence du défunt se prolongeait au-delà de la mort. Cet autel était le signe que leurs disparus n’étaient pas ailleurs, mais continuaient mystérieu-sement de partager la vie de la famille.

Les Romains eux aussi pratiquaient le culte des « mânes » des défunts auxquels était consacré un autel, perpétuant leur présence au milieu d’eux. Là encore, une flamme brûlait jour et nuit devant ce sanctuaire comme symbole d’une présence exerçant sur les vivants de la famille son influence tutélaire.

Nous savons aussi que la religion des anciens Égyptiens était tout entière fondée sur le culte des défunts. Pour eux, la seule réalité était l’au-delà. On ne trouve dans la vallée du Nil aucun vestige de châ-teau, de palais ou d’habitation. Les seules ruines qui subsistent sont celles de tombes et de temples. La croyance en l’immortalité est le roc sur lequel toute la civilisation égyptienne était fondée. Le premier geste que faisait un pharaon dès son accession au trône était de bâtir sa tombe. Pour nous, le mot tombe évoque un lieu où tout finit ; pour les anciens Égyp-tiens, c’était le lieu où tout commençait. Leur tombe était « leur maison d’éternité ».

Ils savaient qu’après la mort une autre vie com-mençait. Ce qu’était cette vie future, ils n’en avaient qu’une vague idée. Mais peu importe. Ces tradi-tions pharaoniques subsistent jusqu’aujourd’hui en Égypte, tant chez les musulmans que chez les chré-tiens… À certaines fêtes, la famille passe la journée, et parfois la semaine, dans une pièce attenante à la

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tombe pour des retrouvailles familiales. On y mange, on y boit, on se réjouit. Plutôt que d’aller festoyer dans la nature, la famille cherche à associer ses morts à sa joie.

Pour ce qui est des peuples d’Afrique, j’illustrerai leur croyance en l’immortalité par une anecdote per-sonnelle. Au début des années quatre-vingt, je me trouvais à Wau, ville du sud du Soudan. Une nuit, j’en-tends des bruits lointains de chants et de tambours. Intrigué, je me lève et aperçois de la fenêtre des lueurs derrière les arbres. Je descends lentement le sentier menant au pied de la colline et découvre alors, au cœur d’une clairière, des gens – hommes et femmes, jeunes et vieux – en train de danser au rythme d’étranges mélopées. Se tenant par la hanche, les uns derrière les autres, ils tournaient en cercle autour d’un feu en balançant leur corps. Toutes les fois qu’ils parvenaient devant l’entrée d’une des cases, chacun, à son tour, s’arrêtait, se penchait en avant, comme pour murmurer quelque chose, puis il reprenait la danse avec les autres. Je me renseigne alors pour savoir de quoi il s’agit. On m’explique qu’un des leurs venait de mourir et qu’on l’avait enterré au seuil de la case familiale. Chose étrange : personne n’avait l’air triste. La mort ne semblait pas du tout représenter pour eux un phénomène tragique. Au contraire, ils vivaient l’événement comme une fête, car le défunt poursuivait mystérieusement son existence avec le reste de la famille.

Je ne puis totalement disparaître

L’homme a une conscience aiguë de ne pouvoir disparaître à jamais. Moi, Henri Boulad, je n’imagine pas qu’un jour je puisse cesser totalement d’exister.

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Je ne puis concevoir que cet univers de sentiments, d’amour, de pensées, de relations, de rêves et de projets que je porte en moi puisse un jour aboutir au néant. Cela, je le refuse par tout moi-même. Ma certitude n’est pas d’ordre rationnel, mais existen-tiel. C’est une preuve personnelle que chacun peut se donner à lui-même. Voici ce qu’en dit Emmanuel Mounier :

Quand pas un atome de fer ou une molécule d’eau ne retourne au néant, cela ne peut avoir de sens qu’un amour, une vie d’homme pensée, débattue, ardente, qu’un simple beau regard d’homme cesse un jour d’exister par on ne sait quelle absurde exception2.

Oui, qu’un rocher, qu’un simple caillou, puisse me survivre, je ne puis le concevoir. Ce serait vraiment trop bête. L’homme porte en lui le sentiment – bien plus, la conviction intime – qu’il ne peut disparaître à jamais.

Il y a en nous une certitude viscérale que la mort est une illusion. C’est comme si vous sortiez de cette salle pour passer dans la chambre à côté et que je me dise : « Il n’existe plus. » Ainsi de la mort. Mourir, c’est passer dans la chambre à côté. Le défunt existe der-rière la mort, comme on existe derrière la porte. C’est aussi simple que ça.

Depuis son apparition sur Terre, l’homme a tou-jours cru à une survie. Le doute sur un au-delà ne remonte qu’à deux ou trois siècles, à partir du moment où l’homme, au lieu de penser avec son cœur et son être tout entier, s’est contenté de réfléchir avec sa tête. Or la raison, « cette faculté qui permet à l’homme de se tromper », comme le dit Saint- Exupéry, ne saisit

2. Emmanuel Mounier, Mounier et sa génération. Lettres, carnets et inédits, Paris, Seuil (Esprit), 1956, p. 405.

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que l’aspect le plus extérieur, le plus superficiel de la réalité.

C’est en réfléchissant avec son cœur que l’on com-prend le fond des choses. « On ne voit bien qu’avec le cœur », disait le Renard au Petit Prince, « l’essentiel est invisible pour les yeux3 ».

Un certain type d’homme contemporain, à l’es-prit étroitement scientifico-cartésien, ne croit qu’à ce qu’il voit, qu’à ce qu’il touche, qu’à ce qu’il appré-hende par la raison, qu’à ce qui peut s’expérimenter en laboratoire, se traduire en chiffres et en formules, se prouver par raisonnements et syllogismes. Pour ce type d’homme, la mort est un trou, une impasse, un anéantissement. Un tel doute est un phénomène récent, contre nature, quasi morbide. C’est un des drames de notre époque.

Les hommes d’autrefois – appelés « primitifs »  – pensaient avec tout leur être, toute leur âme. Ils avaient en eux l’intime conviction que la vie se pro-longeait au-delà de la mort ; ils ne pouvaient conce-voir que ceux qu’ils avaient connus et aimés puissent disparaître pour de bon. Leur croyance en une sur-vie est une preuve existentielle que sans l’affirmation d’un au-delà de la vie qui justifie tout son chemine-ment, on est dans l’impasse.

Notre époque semble vivre aujourd’hui un chan-gement de paradigme : le passage de la modernité à la postmodernité. En réaction contre un positivisme étroit et un rationalisme crispé, l’homme contempo-rain tend à faire une place de plus en plus grande à la sensibilité, à l’intuition, à l’émotion.

3. Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, Paris, Gallimard (Folio Junior), 2007.

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Le propos de Jean-Paul Sartre selon lequel « l’homme est une passion inutile » se situe à l’ex-trême opposé du fameux axiome scolastique du Moyen Âge qui affirmait que : « Le désir humain ne saurait être vain. »

Qui dit désir dit attrait vers quelque chose. Si ce quelque chose n’existait pas, il n’y aurait pas désir, il n’y aurait pas attrait… Le désir n’est pas le résultat d’une pulsion par l’arrière, mais d’une aspiration par l’avant. C’est l’objet du désir qui suscite le désir. Un désir sans objet est inexplicable, incompréhensible. L’objet du désir doit impérativement exister pour que le mouvement qu’il provoque soit possible.

L’intelligibilité de notre vie postule que celle-ci ne finit pas en cul-de-sac, mais représente un couron-nement, un accomplissement. Mais cela n’est pas du tout évident. C’est là qu’il faut distinguer entre évi-dence et certitude. L’évidence est que la mort est une fin, un retour au néant ; la certitude par contre est que ce monde de rêves, de désirs et d’ambitions que je porte en moi ne saurait être anéanti par la mort. Si l’on refuse l’absurde, on est acculé à postuler un ailleurs où la vie se poursuit…

Naissance à nous-mêmes et sens véritable du baptême

Face à la mort d’un être cher, nous sommes par-tagés entre deux attitudes contradictoires : une évi-dence, c’est que cet être tant aimé est mort, bien mort… Et une certitude, c’est qu’il n’est pas vraiment mort, qu’il ne peut mourir. L’évidence se situe sur le plan des sens, de la constatation, du fait brut et bru-tal. La certitude, sur celui du cœur, de l’intuition, de la conscience profonde. L’erreur de notre époque

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c’est-à-dire de derrière le rideau de ce monde dont nous parlions plus haut, la Fiancée se prépare au grand jour des noces, à l’instar des « vierges sages » qui ont gardé leur lampe allumée. On peut se l’imagi-ner en train de se vêtir, de se regarder dans la glace, de se parer de bijoux, de se faire belle pour le grand jour des épousailles. La voilà enfin dans toute sa splen-deur au moment où l’Époux apparaît sur le seuil. C’est alors le coup de foudre, l’étreinte tant attendue. Ce jour « J » est celui de « la Parousie », c’est-à-dire de la manifestation dernière : « Oh ! que tu es belle ! » s’exclamera alors l’Époux, avant de l’étreindre de ses bras géants pour l’introduire dans son intimité.

Le Cantique des cantiques, joyau de la Bible, exprime cette union mystique en des termes indé-passables :

– Qu’il me baise des baisers de sa bouche. Tes amours sont plus délicieuses que le vin…

– Le Roi m’a introduite dans ses appartements…

– Que tu es belle, ma bien-aimée, que tu es belle ! Tes yeux sont des colombes.

– Que tu es beau, mon Bien-aimé, combien déli-cieux ! Notre lit n’est que verdure…

– Comme le lis entre les chardons, telle est ma bien-aimée entre les jeunes femmes…

– Je suis malade d’amour… Son bras gauche est sous ma tête et sa droite m’étreint…

– Ma colombe… montre-moi ton visage, fais-moi entendre ta voix, car ta voix est douce et char-mant ton visage…

– Mon Bien-aimé est à moi, et moi à lui… J’ai trouvé celui que mon cœur aime. Je l’ai saisi et ne le lâcherai point…

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– L A M O R T C O M M E N A I S S A N C E À D I E U –

– Tu es toute belle, ma bien-aimée, et sans tache aucune… Tu me fais perdre le sens…

– Si vous trouvez mon Bien-aimé, que lui déclare-rez-vous ? Que je suis malade d’amour… Je suis à mon Bien-aimé et mon Bien-aimé est à moi… Vers moi se porte son désir…

– Pose-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras. Car l’amour est fort comme la mort… Ses traits sont des traits de feu, une flamme de Yahvé. Les grandes eaux ne pourront éteindre l’amour, ni les fleuves le sub-merger. (Extraits des cantiques 1 à 8 )

Plus de nuit, plus de mal, plus de deuil, plus de mort

Vient alors la grande annonce : « Il essuiera toute larme de leurs yeux. De mort, il n’y en aura plus ; de pleur, de cri et de peine, il n’y en aura plus, car l’an-cien monde s’en est allé ! » (Ap 21, 4) Fini ce monde de douleur et de deuil ! Disparu pour toujours ! Le pas-sage a été opéré vers la Vie éternelle. Adieu la mort. Il ne reste que la Vie… il ne reste que l’Amour.

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Table des matières

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

1- La mort comme naissance à soi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

2- La mort comme naissance aux autres . . . . . . . . . . . . . 55

3- La mort comme naissance cosmique . . . . . . . . . . . . . 113

4- La question de la réincarnation : chaque homme est unique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151

5- L’option finale, la mort anticipée et le jugement . . . 187

6- La mort comme naissance à Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . 209

Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239

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