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Victor Hugo LES MISÉRABLES Tome III – MARIUS 1862 Texte annoté par Guy Rosa, professeur à l’Université Paris-Diderot Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits »

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LA MORT CHEZ LEOPOLD SEDAR SENGHOR      

I) LA MORT EST PARFOIS PERCUE CHEZ SENGHOR DE FACON NEGATIVE    A) ANGOISSE, AFFLICTION ET REVE BRISE    En effet, Senghor, notamment en faisant appel aux ancêtres, écrit son angoisse de la mort. Pour parler des ancêtres, il ramène le lecteur au sein de la famille et aux liens qui unissent les membres entre eux et à l'Ancêtre fondateur qui est lui aussi assimilé aux autres ancêtres de la famille. C'est surtout à travers des réminiscences enfantines qui deviennent résolument oniriques que nous faisons connaissance avec les ancêtres et les esprits. En effet dans le poème ouverture du recueil Chants d'Ombre, « In Memoriam » perché dans son observatoire au bord de la Seine, Senghor imagine que les ancêtres l'assaillent comme ses migraines d'étudiant. Ces ancêtres qui le torturent sont la mort, la mort de ses rêves d'adolescent.    L'angoisse de la mort conduit à un appel incessant des ancêtres. La mort dans ses écrits est exprimée par un état de spleen envoûtant . Dans le poème « Désespoir d'un volontaire libre », il voit la mort, mais tout en l'invoquant, il se trouve loin d'elle, et lui accorde une danse onirique tout en la laissant choir dans les abysses.    « Rien que cette odeur, que cet éblouissement vide qui lui monte à la tête. Vertigineuse douceur de la mort, oh ! Vide de tout espoir, de toute souffrance vide. Un lent balancement qui se berce du corps – quelle grâce du danseur dans l'air élastique!-et la chute brutale, vertigineuse douceur ! Ô faible trop faible enfant, si fidèlement traître à ton génie »    En outre, chez Senghor, la mort suscite une rébellion aux allures de négation de la Divinité. A la mort de sa progéniture, le poète éprouve une sorte d’angoisse indéfinissable qui étreint son cœur. De fait, la mort de l’enfant opère une véritable coupure dans l’existence de Senghor. Elle l’expose à la souffrance et ouvre sa conscience à d’obscures réflexions métaphysiques. Celles-ci déclenchent, pour ainsi dire, le bouleversement intérieur qui ouvre la voie à la négation de la mort. Ayant vécu la mort par de Guy, le second fils de son mariage avec Ginette Eboué, Senghor souffre dans son for intérieur. En effet, quoique tenu à l’écart de l’éducation de celui-ci, le père-poète sent une fibre se rompre en lui. Il a l’impression que le hasard complique davantage une situation qui l’est déjà. En effet, Guy était le trait d’union entre Senghor et Eboué. Avec la mort de ce fils, le poète perdait l’espoir de renouer les relations avec sa femme. Cet espoir se justifiait par les convictions profondes du poète. Chantre de la négritude, il essayait de faire en sorte que sa vie puisse être illuminée et illustrée par ses revendications raciales. D’ailleurs, interpellé sur son mariage tardif et ses choix sentimentaux, il confesse :  

« Quand j’ai été nommé professeur agrégé à Tours, en septembre 1935, j’allais avoir vingt neuf ans. J’aurais pu me marier, alors, avec une Française. Je ne l’ai pas fait parce que, pensais-je, mon devoir était d’épouser, de préférence, une Noire d’Afrique, une Arabo-Berbère ou, à défaut, une Antillaise, c’est la raison pour laquelle j’ai attendu ».  

Par-delà le rayonnement de l’enfant, qui se targue d’une certaine supériorité découlant de sa condition, apparaît, en filigrane, toute la satisfaction du père qui a réussi à inculper à sa progéniture l’idée de grandeur qu’il se faisait lui-même du métissage. C’est justement parce que Philippe Maguilen, autre fils mort du vivant de Senghor, semblait être une providence, un don du ciel, que sa mort est à l’origine d’un certain négativisme blasphématoire :  

« Et j’ai dit « non ! » au médecin : « mon fils n’est pas mort, ce n’est pas possible ». Pardonne-moi, Seigneur, et balaie mon blasphème, mais ce n’est pas possible. Non non ! Ceux qui naissent mignotés des dieux ne meurent pas si jeunes. Tu n’es pas, non ! Un dieu jaloux, comme Baal qui se nourrit d’éphèbes ».  

Ce cri se poursuit par de virulentes remarques où le poète, prolongeant son dialogue avec Dieu, retrace les étapes de son affliction.  

« De notre automne déclinant il était le printemps ; son sourire était l’aurore Ses yeux profonds, un ciel cristallin et frangé d’humour. Il était vie et raison de vivre de sa mère, lampe veillant dans la nuit et la vie. Brutalement, tu nous l’a arraché, tel un trésor le voleur du plus grand chemin ».Elégie pour Philippe-Maguilen  

Profondément attristé par cette mort, Senghor dévalorise Dieu en le comparant à Baal, le Dieu usurpateur, jaloux et cruel. Il ne pouvait croire qu’un Dieu juste puisse permettre une telle chose. La mort de Philippe, en plus de lui avoir enlevé un héritier, semble sonner le glas de la mission dont le poète est porteur. Cet enfant symbolisait le grand rêve généreux de Senghor d’un rassemblement des peuples et des cultures dans un respect mutuel, dans le but de construire la civilisation de l’universel.  

 B) DENONCIATION DE LA RAISON QUI MENE L HUMANITE AU SUICIDE  

 « Et ce fut l'an de la Raison. De leurs yeux ils crachèrent un feu rouge. Et la haine poussa au cou des hommes en ganglions noueux, et dans la boue du sang les soldats se baignèrent. On décora les bourreaux et les savants ; ils avaient inventé de tuer deux fois l'homme » « Princesse ton Épître », Ethiopiques.    Les puissances de mort sont ici devenues expressions de vie : c'est la vitalité de la haine, vigueur démentielle qui conduit à la mort. La mort n'est que sacrilège, car le sang au caractère traditionnellement sacré, puisque sève de vie, se trouve associé à la boue, terme réductible à sa seule perception nécrophile. Le déchaînement de la haine entraîne l'homme à saccager la vie par la violence de ses actions. Notons en outre l'infiltration

insidieuse du mépris dans l'alexandrin « et dans la boue du sang les soldats se baignèrent » : le mépris libère et justifie la haine.    On distingue deux grands thèmes dans l’œuvre de Senghor : les guerres et les oppressions, dont les clameurs se laissent entendre comme autant de variations d'une même préoccupation, celle de la mort de l'Homme. Car c'est le déchaînement de la haine de l'homme pour l'homme qu'exhibent dans leurs actions exterminatrices, les guerres de l'occident, telles qu'observées par Senghor, et ce plus particulièrement dans son recueil « Hosties noires » qui regroupe les poèmes inspirés par une période spécialement dramatique et troublée, celle qui couvre les années 35 45 avec l'invasion italienne de l’Éthiopie, la guerre d'Espagne, le Front Populaire et la Seconde guerre mondiale. Senghor décrit alors l'aveuglement de l'Occident à la recherche d'un Absolu de puissance.  Par exemple, dans « Elégie pour Martin Luther King » Senghor ramasse dans un long cri de révolte toutes les images de violence et de mort, de haine et de mépris qui jalonnent l'histoire des relations humaines :    « Je dis non, ce ne sont plus les kapos, le garrot le tonneau le chien et la chaux vive, Le piment pilé et le lard fondu, le sac le hamac le micmac, et les fesses au vent au feu, ce ne sont plus le nerf de bœuf la poudre au cul La castration l’amputation la crucifixion - l’on vous dépèce délicatement, vous brûle savamment à petit feu le cœur C’est la guerre postcoloniale pourrie de bubons, la pitié abolie le code d’honneur La guerre où les Sur-Grands vous napalment par parents interposés. Dans l’enfer du pétrole, ce sont deux millions et demi de cadavres humides Et pas une flamme apaisante où les consumer tous »    Dans « Épîtres à la princesse » le lecteur se trouve face à une constatation froide et sèche : « On décora les bourreaux et les savants ; ils avaient inventé de tuer deux fois l'homme » : cette association étroite entre bourreaux et savants suggère une analogie dans leur art de manipuler l'Homme devenu pour eux une matière expérimentale chacun avec les nuances de leurs fonctions mais dont l'aboutissement est comparable : tuer deux fois l'homme : corps et âme.    Dans « Chaka », le personnage éponyme est l'idéologue qui, « pour l'amour de son peuple » est prêt à justifier tous ses crimes, sans en nier la monstruosité. Lui parle-t-on de conscience morale, il parle science et efficacité. La cause est sans doute juste et l'argumentation de Chaka solide :  -massacres de populations innocentes ? Il s'agissait d'une Afrique périmée, la purge était nécessaire  -le meurtre de Novilé ? Le militant ne peut écouter son cœur « je ne l'aurais pas tuée si moins aimée »  -un continent mis à feu et à sang par une haine raciale ? La colonisation ne laissait pas d'autre possibilité.  Chaka, « beau parleur », est fort de son inhumaine certitude, lui qui a choisi de tuer le poète au profit de l'homme d'action.    

La considération de l'homme pour l'homme disparaît au profit de la raison, de l'utilité des choses.    « Ah ! Plus ne peux supporter ta lumière, la lumière des lampes, ta lumière atomique qui désintègre tout mon être. » peut-on lire dans « Elegie de Minuit. » : cette angoisse universelle obsédante de la mort de l'homme subjugué par la technique qui semble mener le monde n'abandonne pas Senghor.      C) REVOLTE HUMANISTE    Senghor est inquiet de voir son Afrique succomber au vertige de l'Occident et sombrer dans le désespoir du volontaire libre qui attiré par « l'espace vide et ce vaste pays vidé d'espoir » où « l'homme est un loup pour l'homme » n'a pas su vivre pour démentir cette pensée de Plaute qui traverse les siècles fidèlement mémorisée et illustrée par l'Histoire. Or, ne pas remettre en question les écrans dressés par l'Homme contre l'Homme, c'est admettre de vivre dans l'angoisse, la colère et les mutilations qu'ils entraînent, c'est concevoir, sinon accepter et même précipiter la mort de l'Homme. Le Sang noir doit redonner vie à la ville, saper les remparts de racisme et d'acier...Senghor nous engage à le suivre pour aller au delà de la « mort blanche », pour redonner visage humain à ce « siècle des dichotomies et des préjugés, des confusions et des simplifications, des idéologies sans esprit et des esthétiques sans imagination » comme nous pouvons le lire dans « Liberté ».  

  II) UNE MORT UTILE  

   A) LA MORT DANS UNE DEMARCHE INITIATIQUE    La trajectoire de Senghor, telle qu'elle apparaît dans son œuvre poétique, est comparable à la démarche initiatique qui traditionnellement façonne l'âme négro-africaine, enseignement qui vise à une double connaissance, existentielle et ontologique, son but étant de vaincre tout ce qui peut entraver la découverte de l'être ou nuire à son épanouissement.  La toute première initiation a lieu à l'adolescence et comporte trois étapes :  -la séparation : le néophyte doit quitter sa famille pour entrer dans un lieu culturel tabou en toute autre circonstance, le bois sacré  -la nuit initiatique : dans la forêt, sans abri, dans la crainte des esprits mauvais et des bêtes sauvages. Durant sa longue marche initiatique dans la forêt, le néophyte se trouve immergé dans un milieu hostile qui, lui faisant perdre conscience de ses faiblesses, l'amène à découvrir la peur de vivre autant que celle de MOURIR : de la même manière, Senghor commence lui aussi une longue descente dans la nuit d'Europe.  Il se perd alors dans les labyrinthes de ses angoisses existentielles. Il bute sur l'interrogation suprême : serait-il en train de vivre les signes précurseurs de la mort de l'Homme ?    

Face à cette question, plusieurs réponses s 'amorcent :  -la régression  -le désespoir  -la révolte  Mais toutes ces réponses ne font que manifester l'impuissance de l'homme à évincer l'angoisse et la souffrance, elles aboutissent à une impasse existentielle.    -Troisième étape : l'enseignement initiatique : il subit une « mort à soi » qui se concrétise par des souffrances physiques (dont la circoncision) et morales. Elles l'amènent à prendre une plus claire conscience des difficultés d'être et des obstacles à franchir pour se libérer de ses propres freins. Cela développe le courage et la volonté de l’appliquant, le libère de certaines craintes face à la vie et le met en condition pour accueillir l'enseignement qui lui est prodigué. Chez Senghor des présences et transcendances s'éprouvent par les rituels de la mort et de la renaissance et ouvrent à la connaissance des dimensions de la vie ; c'est l'immersion aux sources fortifiantes de la négritude et l'émergence des valeurs christiques de l'occident.    LA MORT EST SUIVIE D UNE RENAISSANCE A UNE VIE NOUVELLE : le jeune initié reçoit un nom nouveau et quitte la forêt pour rejoindre son village en fête.    L'initiation est une éducation qui cherche à résoudre la déchirure initiale de l'Homme entre son goût de vivre et la certitude de mourir. Or la peur, l'angoisse, la souffrance ne cessent d'entretenir, sinon d'aggraver cette déchirure tout au long de l'existence. Il convient donc de familiariser l'adolescent avec ces chemins inévitables qui relient la vie et la mort.  Cauchemars, nausées, déroutes de l'esprit sont vécus jusqu'au paroxysme de la souffrance chez Senghor dans la « nuit européenne ». Le découragement effleure même le poète lui même, lorsqu'il dit : « Ah ! Si seulement m'écrouler dans la fiente et le sang, dans le néant. » dans « Elegie de minuit ». Ce vers nous paraît être le carrefour où toutes les frayeurs de la nuit d'Europe éparses dans ses poèmes viennent se fondre en une expression ultime, celle d'une aliénation éprouvée comme une mort néantisante, un gouffre sans fond. Mais le poète ne veut pas se laisser fasciner par « l'angoisse des ténèbres, cette passion de mort et de lumière/ Comme les planètes la nuit sur les lampes tempête, dans l'horrible pourrissement des forêts vierges ». Il lui faut découvrir une voie libératrice. Alors le poète détache ses regards de la surface des choses et des êtres qui l'assaillent, et se retourne sur son passé, son Royaume d'Enfance. Il cherche des forces invisibles. Il va alors invoquer les ancêtres.  Dans Chants d'ombre, il les invoque pour retrouver la familiarité de leur présence en dépit de l'étrangeté des lieux. Il ne faut pas rompre le courant de vie que l'on a reçu des ancêtres, et que l'on a charge de transmettre dans la fidélité de son sang, à sa race. Le poète va tout au fond de lui-même recueillir le souffle de ses ancêtres, dans « In memoriam » par exemple.    « Ô morts, qui avez toujours refusé de mourir, qui avez su résister à la Mort  Jusqu'en Siné jusqu'en Seine, et dans mes veines fragiles, mon sang irréductible  Protégez mes rêves... »  

mais aussi dans « Nuits de Siné » : « Que je respire l'odeur de nos Morts, que je recueille et redis leur voix vivante ».      B) UNE MEDITATION SUR LES LIENS ENTRE LA VIE ET LA MORT    Pour Senghor, la mort n'a pas à se clore sur elle-même dans l'impuissance ou la néantisation. Elle est au contraire le degré ultime d'une inévitable et continuelle mutation de l'être.  Des symboles illustrent cela :  

⁃ L'hivernage prépare le renouveau printanier. C'est le cycle saisonnier, la métaphore végétale qui nous fait partager les angoisses, les souffrances et les morts d'un paysage qui s'engloutit dans les grisailles et les moiteurs des pluies chaudes. Mais cette mort est féconde, elle est passage obligé, annonciatrice d'une vie renouvelée qui sera d'autant plus belle que le terreau et les graines laissés par elle seront plus riches. La moisson future sera renaissance pour les morts qui ont donné sens à leur sacrifice.  

  ⁃ L'Hostie noire, symbole christique de la victime salvatrice. Les « hosties noires » consommées de par le monde sont les Tirailleurs Sénégalais. Ils ont fait don de leur corps et de leur vie vie pour sauver la France qui maintenant les oublie. Ils ont pourtant perdu visage, famille et racine, ces « Morts étendus dans l'eau au profond des plaines du Nord et de l'Est ». Les voilà cependant tous unis, ressuscités comme un seul corps par la voix du poète, offerts aux hommes comme nourriture spirituelle et fraternelle.  

   Senghor célèbre la poursuite de la vie par delà la mort. Il refuse l'absurde et le néant comme étant les insultes suprêmes jetées à la face des créatures, mais aussi du Créateur. Tout a un sens, c'est un des fondements de l'ontologie négro-africaine. La mort est donc signifiante. Aucune vie ne peut être sacrifiée pour rien. Or ces Tirailleurs Sénégalais furent sacrifiés. Senghor les présente comme hosties sacrificielles : il faut qu'elles deviennent une leçon de vie pour les survivants, que le dévouement des Tirailleurs soit reconnu comme une source de renouveau, que leur sang permette de réécrire l'Histoire, de redresser sa direction, de retrouver le chemin de la spiritualité que connotent les Hosties.  Parler penser prier sentir sont les verbes que Senghor utilise le plus fréquemment pour exprimer les liens qui réunissent les morts aux vivants et rendent leur présence efficace. Ce n'est que dans la « plaine apocalyptique » que « pourrissent les morts comme des semences infécondes » parce que enterrés dans le silence, le vide et l'oubli.  Cette foi est commune à toutes les religions négro-africaines traditionnelles, puisque la mort libère une force vitale que les survivants cherchent à capter et à laquelle ils rendent un culte.    Dans les élégies de deuil, Senghor nous donne les dimensions d'une méditation pleinement vécue. La voix du poète s'étrangle, se blesse, se brise et perd toute défense.

Elle devient, elle est, elle vit elle partage cette mort-dans-l'âme. Elle reste liée, reliée à cette mort. Pourtant elle va ressusciter en même temps qu'elle découvre dans cette mort une éternité d'être. Car l'amour nie la mort, la foi renouvelle la vie et l'absence devient présence sur-réelle, plus vraie que sa réalité précédente puisque c'est une présence accomplie, inaltérable, essentielle, qui porte en elle son immortalité.    « Je dis chantez le diamant qui naît des cendres de la Mort » « L'absente ».    Il n'y a pas de réponse humaine à la mort. Il faut franchir, tout en les vivant, les souffrances de l'arrachement charnel d'une présence qui n'a plus regard ni parole. Dépasser la temporalité, transcender la mort par la renaissance du sens de la vie. Senghor dans ces élégies de deuil notamment adressées à Martin Luther King ou encore Georges Pompidou, cherche dans la souffrance le lieu où la vie s'unit à la mort dans le dépassement de soi, dans l'approche de l'Un, de l'Immuable.    Cette méditation de Senghor sur les liens qui unissent la vie à la mort le conduit à déchiffrer ce que les métamorphoses de la mort ne sauraient occulter : notre devenir, ce « pont de douceur » qui nous relie à notre éternité d'être. Il se nomme amour est reste l'inaltérable force de vie. C'est, en d'autres termes, l'essence même de l'être. Or aimer et connaître sont des mouvements indissociables chez Senghor. Dès lors, les valeurs inaliénables de re-naissance vers le plus-être, vers l'être, mettent en évidence ces deux aspects complémentaires que sont le métissage, c'est à dire la co-naissance aux différences, et l'amour, c'est à dire la communion, l'accord conciliant.      

C) UN RYTHME CYCLIQUE VIE/ MORT/ RENAISSANCE OMNIPRESENT  

Senghor restitue, à travers l'histoire de l'Afrique et de ses hommes, le rythme cyclique Vie/Mort/Renaissance qui est l'un des fondements de toute cosmogonie africaine. Ce rythme est omniprésent dans l 'œuvre de Senghor, par exemple à travers l'image de la femme : en effet, l'image de la femme ne se limite pas à celle d'un objet esthétique ou sensuel. Sa beauté physique n'est pas une fin en soi, elle traduit sa beauté spirituelle. La femme porteuse de vie illustre le rythme cyclique du cosmos, mort/renaissance. Autre exemple, et non des moindres : Le Poème lui-même, objet créé en même temps que facteur de création, est destiné à renaître éternellement, dans un rythme cyclique qui se confond avec le rythme cosmique. Ce cheminement associe une expérience profane et un rituel sacré dans une construction chiasmatique :Dans le « Chant de l'initié », le lecteur assiste à l'évocation d'un monde ancestral en train de se faire, d'une initiation que l'initié revit, découvre et se prépare à vivre, il y a simultanément le poème d'une virilité maîtrisée, d'une fécondation du présent par le passé, d'une révélation qui ne débouche que sur la promesse d'une mort « pour renaître dans la révélation de la Beauté ».    Toutefois ce rythme cyclique, jugé par un homme d'action, pourrait-allant du même au même-se confondre avec un immobilisme sacré. Senghor assume sans doute cette possibilité.  

 « Je ne sais en quel temps c'était, je confonds toujours l'enfance et l'Eden/ Comme je mêle la Mort et la Vie-un pont de douceur les relie » (ETHIOPIQUES)    Mais peut être ce « pont de douceur » liant les vivants et les morts est il trop délicieux pour n'être pas redoutable. Nous nous trouvons bien face à un danger de la délectation d'un Passé présent ambigu qui se suffirait à lui même.    Le troisième temps que veut traduire Senghor tient compte de la Victoire de l'Homme sur la Bête, sur les « peurs primaires, surgies des entrailles d'ancêtres », il est le temps du métissage qui transforme l'éternel retour en éternel devenir. Le métissage, « tornade séminale » annonciatrice de l'Afrique future. Lorsque survient ce troisième temps, la mort renaît vie « comme un diamant d'aurore »  

En effet, « on ne peut s'enfermer dans son passé ni prolonger le présent, car la stagnation, c'est la mort assurée » peut-on lire dans « Liberté ». : Toute culture doit être simultanément fécondée par les autres et fécondante pour les autres. Senghor a choisi de vivre l'occident en africain et d'interroger l'Afrique à la lumière de l'occident. Cette complémentarité culturelle le conduit vers la formulation d'une exigence fondamentale : celle du métissage. L'image qu'il en donne dans un article paru en 1958, illustre pleinement son choix de vie « Il plonge, par ses racines, dans l'humidité de la tradition, tandis que sa tête respire, dans le soleil, l'air du monde contemporain, tel un palmier ».      

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

III) LA MORT DANS LES ELEGIES MAJEURES  

A) MORT ET RESURRECTION  

Trois moments significatifs sont repérables dans les poèmes du recueil Elégies Majeures : l’événement qui déclenche le souvenir du défunt, la signification de l’épreuve et son parachèvement dans la Paix éternelle. Et le poète se met en scène d’abord dans une situation de recueillement, pour rappeler la vie des martyrs, ensuite pour dire leurs qualités comme dans une oraison funèbre débouchant sur l’annonce de l’état de grâce. Au sein de cet univers solitaire, le poète inspiré apparaît comme un prêtre sans soutane, un être privilégié qui reçoit la Révélation sous forme de visions. Il pénètre dans les intentions du Seigneur, dégage le sens de la mort des héros et décrit leur séjour en paradis. Senghor adopte, en somme, dans ses Elégies Majeures, un modèle de narration omnisciente où l’étape de l’entrée en prière, soigneusement marquée, prépare la composition de portraits sommaires comportant des jugements moraux et l’énoncé des qualités des défunts qui justifient l’optimisme de la vision.  

Tout en reprenant les thèmes centraux de son inspiration (l’amour, la mort, le rôle du poète, la civilisation de l’Universel, etc.), Senghor chante le deuil et la souffrance. Mais, il ne perd pas son optimisme devant le désastre de la violence et de la trahison ou le spectacle de la mort. Par le biais des protagonistes de sa fiction poétique, il magnifie la tendresse, l’amitié et propose des images de la Passion du Christ et du rachat. Dans le cadre d’un dialogue privilégié avec Dieu, où le rêve apparaît comme le moyen, il met en relation la mort avec son prolongement et sa signification célestes. Le personnage de Jésus-Christ se présente comme la figure centrale de l’écriture élégiaque de Senghor qui reproduit les étapes de l’histoire chrétienne du salut. A côté de la donnée spatiale et étroitement liée à elle, il y a celle du temps biblique qui coïncide avec la vie, la mort et la résurrection prolongée par la vie éternelle. Dans Elégies Majeures, le désespoir accompagne toujours la souffrance. C’est chez l’auteur un sentiment fugace correspondant à un envahissement par une forte émotion. Le

poète s’émeut de l’annonce brutale de la mort d’un être aimé ou connu. Mais cette situation est de courte durée et appelle un prompt rétablissement de l’équilibre psychologique.  

La vie du chrétien est à l’image de celle du Christ : elle est jalonnée d’épreuves et elle répète la Passion. Métaphoriquement, Jean-Marie, Philippe-Maguilen, Martin Luther King revivent le sacrifice du Fils de l’homme, parce que leur mort est destinée à racheter une humanité pécheresse. Déjà, avant la montée auprès du Seigneur, s’organisent les sacrements de la mort, dans l’attente de l’arrivée des Anges et « la jubilation de l’Alléluia ! ». Le poète peut dire de son fils : « On l’a baigné pour les noces célestes, parfumé frais de vétiver » (« Elégie pour Philippe Maguilen Senghor ») Mais bientôt la résurrection. L’« Elégie pour Martin Luther King » offre une description de l’au-delà, dans une vision sécularisée. Dieu se manifeste au poète sous les traits d’un patriarche, au milieu de « tous les fils de la même Terre-Mère ». Le tableau spirituel fait apparaître la communauté des morts célèbres de l’Amérique, assemblés dans l’Eternité autour de Martin Luther King. L’expérience de la mort et de la résurrection est vécue, chez Senghor, dans la communion des saints et des hommes de paix. Car le monde venu porter le deuil se caractérise par l’hétérogénéité. Senghor prolonge son rêve dans la vie de l’au-delà où il voit déjà Philippe ressuscité, transfiguré :  

« T’accueilleront les Chérubins aux ailes de soie bleue, te/conduiront/A la droite du Christ ressuscité, l’Agneau Lumière de ten/dresse, dont tu avais si soif/Et parmi les noirs Séraphins chanteront les martyrs de /l’Ouganda./Et tu les accompagneras à l’orgue, comme tu faisais à Verson/Vêtu du lin blanc, lavé dans le sang de l’Agneau, ton/sang ».  

Le poète évoque avec certitude les noces célestes de Philippe-Maguilen ; mais avec Georges Pompidou, il reste fidèle au serment de se laisser raconter le paradis. Aussi attendra-t-il la révélation du mystère d’un témoin de l’au-delà. Contrairement à l’« Elégie pour Martin Luther King » où le poète a une vision précise du ciel où siège Dieu, l’« Elégie pour Georges Pompidou » est l’occasion pour Senghor d’interroger son ami :  

« Y’a-t-il des ruisseaux de lait serein, de miel radieux au milieu/Des cèdres/ [...]  

Que le bonheur soit dans les yeux, est-ce vrai et qu’on/s’abîme dans la contemplation du Dieu unique ? ».  

Dans la poésie de Senghor, il n’y a pas de situation d’individu pris dans quelque mortel engrenage, comme dans le tragique grec. Il n’existe aucune description de mécanisme monté menant à la catastrophe ; mais seulement la présentation du phénomène de la mort, surgissant dans l’articulation des événements du salut. L’idée d’échec est étrangère à cet univers fondé sur la réconciliation et la paix. Poésie chrétienne, le lyrisme senghorien est l’expression d’un homme qui a parié sur Dieu. Le poète ne peint pas des existences dominées par le péché et qui s’achèvent dans la damnation.

Senghor inscrit ses démarches poétiques dans l’idéal de salut exprimé par la culture chrétienne. Le péché est effacé par l’Amour, dans l’épreuve du crucifiement et de la mort de Jésus Christ. De ce principe de rachat des fautes de l’humanité par le Fils, dérive la signification théologique de l’inscription de la mort dans Elégies Majeures.  

B) L’ESTHÉTIQUE DE LA MORT  

Désormais, la poésie attribue gloire et immortalité aux défunts car « seuls vivent les morts dont on chante le nom ». À la rencontre d’une conception africaine et d’une tradition biblique, la parole poétique, devenue démiurgique, fonctionne comme une Rédemption, une sanctification. En face de la puissance de destruction de la mort, le poète n’a que des mots, comme il le confie à son ami : « Pour toi rien que ce poème contre la mort ». Le poète n’a que des mots. Mais, il s’agit de mots réévalués et rendus supérieurs par une pratique poétique qui transforme la mort en vie. La parole des Élégies majeures est essentiellement magique ; elle a le don de provoquer la résurrection des morts :  

« Moi que je prononce ton nom ton innocence, toi Jean-Marie Pour que tu revives, ivre et pur !... ».  

Cette métaphysique de la parole sacralisée fait du poète un élu capable de transformer le Néant en Tout et le chaos en ordre sacral des signes : « Donc je nommerai les choses futiles qui fleuriront de ma nomination ». Le poème, à ce stade de son écriture, ne comporte ni ne colporte les marques du Néant. Mais, en désignant son masque du doigt, il constitue la manifestation d’une victoire verbale, un « acte métaphysique d’une valeur absolue », un énoncé performatif. La fonction instrumentale de la parole poétique et son aspect performatif se conjuguent et donnent une ampleur extraordinaire au verbe poétique. Après avoir entouré sa parole de toutes les garanties possibles , Senghor en fait un instrument permettant de nier la vérité de la mort. L’élégie composée à la mémoire de Georges Pompidou situe les morts « dans la distance de l’au-delà » ou « sur l’autre rive » mais, la parole poétique a le pouvoir de restructurer ce que la mort a déstructuré, de recomposer ce que le néant a décomposé. Car celui qui meurt ne disparaît pas totalement ; il meurt pour donner vie à la vie et pour être réintégré dans le Grand Tout avec lequel il communie constamment : « Écoute la noire mélopée bleue qui monte dans la nuit dravidienne ». C’est le point culminant de l’élégie. Contrairement aux images apocalyptiques du début de la strophe, nées de la réflexion du ciel sur l’eau (« Au fond du ciel, les étoiles chavirent sous les madras dénoués »), la fin du poème apporte l’apaisement. Et, naturellement, Georges Pompidou redevient vivant, comme l’ensemble des morts dont parle le recueil des Élégies majeures. La verticalité ascendante (« qui monte ») succède à la profondeur (« Au fond »). Devenu « un opéra fabuleux », Senghor vit, dans ce poème, un des plus grands moments du mysticisme universel. Comme « les victimes noires paratonnerres », que berce la voix de colère et d’espoir du poète dans « la béatitude bleue méditerranéenne », Georges Pompidou est transfiguré. La transfiguration passe essentiellement à travers les images surnaturelles qui orientent brusquement une scène terrestre vers sa signification métaphysique. Le déroulement de

l’histoire terrestre est constamment perturbé par des signes qui annoncent la présence de l’au-delà et le début du Jugement Dernier sur terre. Par exemple, l’emploi particulier de l’adjectif de couleur « bleu » permet d’inscrire le discours dans un espace où il signifie déjà l’apothéose :  

« En vain tu cherchas les yeux de ciel bleu (...) Oh ! Doucement. Et dans un grand retournement vers les deux yeux d’azur Tu es parti très calme, vers ta joie bleue, vers la porte du Paradis ». (Elégie pour Georges Pompidou)  

La transfiguration permet l’intrusion du surnaturel et du merveilleux chrétien et signale surtout un travail sur un espace-temps considérablement élargi par le poète visionnaire qui force les limites du réel. Ce déplacement des barrières de l’espace et du temps est une technique dont la fonction est d’exagérer les faits dont se saisit le poète qui, comme il l’avait d’ailleurs si bien dit dans « Élégie des Circoncis », peut désormais envisager les événements de la Terre au Ciel et du début de la Création au Jugement Dernier. En contact permanent avec l’Ineffable, le poète combine l’approche humaine de l’histoire à un mode d’appréhension extrahumain de la réalité. La frontière entre le monde réel et le surnaturel devient très mince et Senghor jette les bases d’une géométrie mystique inédite dans l’histoire de la littérature africaine d’expression française. Surtout pensée en fonction d’une finalité divine et transcendante, la mort est intégrée dans une histoire du salut. Dans la phase terminale de cette histoire du salut, les lecteurs des Élégies majeures relèvent une constante : les morts (re)naissent à l’appel de leur nom et retrouvent la vie dans le chant qui leur est consacré. L’écriture abolit la mort et régénère, par la même occasion, les défunts : « Et ils furent debout par la voix du poète ». Cette démarche poétique, qui exprime la dialectique de la vie et de la mort en même temps que la négation de la mort naturelle par le verbe créateur, est autorisée par l’inscription de la figure du Christ qui est omniprésente dans le recueil. Et, l’une des conséquences idéologiques les plus immédiates du récit invariant chrétien est d’évacuer toutes les angoisses liées à la mort présentée, dans « Élégie pour Georges Pompidou », sous la forme d’un dragon, archétype fondamental du monstre et symbole de la totalisation des peurs. La signification théologique et métaphysique que la spiritualité chrétienne affecte à la souffrance est utilisée par le poète qui, par cette pratique, organise un vaste espace du martyr et attribue une valeur sacrificielle à la mort. Senghor a constamment recours au récit invariant qui dérive de la Bible et qui structure l’imaginaire collectif de l’Occident chrétien : par amour pour les pécheurs, Dieu envoie son fils mourir sur la Croix. Cette mort fonctionne comme une Rédemption, une lourde rançon payée pour racheter les fautes de l’humanité. Donc, il y a de la mort dans l’amour et de l’amour dans tout ce qui meurt. Cette loi énigmatique, qui est inscrite dans l’écartèlement de la Croix, est à la base d’un itinéraire résumé par le schéma invariant chrétien que Senghor médite dans « Élégie des Saudades » à travers un passage faisant allusion à la pratique poétique de Mallarmé qui, dans « Le Tombeau d’Edgar Poe », voulait « Donner un sens plus pur aux mots de la tribu ». Mais, chez Senghor, la poésie ne fonctionne que rarement comme l’expérience tragique d’une impuissance du langage. Au contraire, elle communique par sa signification vitale et sa fonction sociale.

Le récit invariant chrétien est à la fois laïcisé et « parasité » par les pratiques poétiques qui l’expriment. Il permettait de vaincre la mort mais, en passant de l’espace idéologique à l’espace poétique, il subit des transformations radicales. Désormais, c’est la poésie qui réalise le schéma dialectique de la mort et de la résurrection et qui permet de dominer la mort. La Rédemption ne sera pas assurée par le sacrifice du Christ mais par la parole prophétique du « Maître-de-langue » célébrant un office en l’honneur d’un Ordre que Saint John Perse, autre poète du Royaume d’enfance, a magnifiquement appelé « Sa Sainteté le Langage ». Au terme de ce parcours poétique exceptionnel, l’alchimie réalisée est à la source de plusieurs renversements dans lesquels la mort est métamorphosée car elle perd toute négativité. Transposée au plan de l’esthétique, la perte d’un être cher devient « supportable ». Le fonctionnement traditionnel de la mort est inversé. Désormais, le défunt, par la magie du verbe poétique qui l’a sanctifié, assure la Rédemption des vivants. Les morts convoqués dans l’espace d’écriture des Élégies majeures sont exceptionnels puisqu’ils ont la charge, tout aussi exceptionnelle, de sauver les vivants.  

Par la fonction attribuée à la mort, le recueil des Élégies majeures se transforme métaphoriquement en espace symbolique d’un Jugement Dernier où Senghor usurpe littéralement les fonctions divines. S’étant converti « en Dieu par la force de sa parole », il lui appartient désormais de tracer la ligne de démarcation entre les Bons et les Méchants et d’opérer la réversion des crimes et des bienfaits. En effet, le poète affirme une confiance absolue aux pouvoirs du Verbe par lequel la vérité historique est transmuée en matière poétique. Par une singulière alchimie, le verset des Élégies majeures constitue une musique orphique dont le charme participe à la résurrection des morts qui, à leur tour, garantissent la Rédemption des vivants. Il s’agit, bien sûr, d’une fiction poétique mais, l’univers imaginaire et symbolique mis en place est le résultat d’une représentation qui se justifie par elle-même et possède sa propre cohérence.  

 

 

 

 

 

 

   BIBLIOGRAPHIE        

LES VOIES DU LYRISME DANS LES POEMES DE L. S. SENGHOR de Robert JOUANNY, ED. CHAMPION, PARIS 1987    LEOPOLD SEDAR SENGHOR : DE LA TRADITION A L’UNIVERSALISME DE JOSIANE NESPOULOUS-NEUVILLE, PARIS, SEUIL, 1988     Augustin Ndoroma Masques et ancêtres dans la littérature négro-africaine de langue française    La Revue Ethiopiques, « Revue négro-africaine de littérature et de philosophie »      LA  FEMME    A la lecture de Senghor, l'importance de la femme saute aux yeux. et ce dans la totalité de ses recueils. La poésie de Senghor n'est pas une poésie de guerre, de violence. Elle est surtout amour et douceur. On peut comprendre que la femme soit ainsi très représentée chez lui.  Elle est la douceur du monde, la beauté que Senghor cherche à construire. Mais si elles représentent cette douceur, c'est aussi parce qu' elles ont strucuré sa vie et ainsi influencé son oeuvre :  Ainsi, ses origines mêmes rappellent le souvenir de deux princesses qui ont fondé Sine et qui influenceront son oeuvre, sa vie. deviennent des archétypes et des modèles pour lui et qui placent déjà la vie de Senghor sous le signe féminin.  Mais toute l'enfance de Senghor a aussi été bercée par l'amour de sa mère, et l'importance de la femme dans le peuple sérère. Ce n'est pas pour autant qu'il faut croire à une place réellement différente de la femme dans cette société : la polygamie la plaçait dans une position incomfortable. Je disais donc qu'il avait été élevée par sa mère, son père vivant avec une autre de ses femmes, jusqu'à l'âge de 7 ans. Il sera aussi entouré de sa nourrice.  A l'âge adulte, Senghor va oeuvrer pour une certaine libération de la femme, s'insurgeant contre un grand nombre de pratiques africaines.  Mais outre la dimension politique de la femme dans son age adulte, elle place aussi la vie de Senghor sous le signe de l'amour. D'abord marié à une femme par intéret politique, une Guyanaise, il divorce et épouse une française, Colette Hubert, qu'il aimera jusqu'à sa mort. Plusieurs de ses poèmes lui sont d'ailleurs dédiés.  Ainsi, il épousa deux cultures dans sa vie, en quelque sorte, et elles peuvent nous permettre de mettre en avant un point important dans l'oeuvre de Senghor, c'est à dire sa représentation de la femme, qui traduit une ambiguité de sa vision de la femme dans sa poésie.  Dans lettres d'hivernage notamment dans 'tu parles' on peut citer : 'femme ambigue, toute fureur toute douceur', ambiguité de la femme qu'on retrouve dans le tritre même de négresse blonde. On pourra, à partir de là, montrer les différents visages de la femme dans son oeuvre, femme oscillant entre le charnelle, le corporel, mais

aussi le spirituel.  Ne peut on pas établir deux visions plutôt antithétiques, avec d'un côté la femme noire, charnelle, et de l'autre la femme blanche, spirituelle, mais surtout ne peut on pas voir chez Senghor une représentation d'un idéal féminin, qui est la représentation de la vie, du monde?  Pour montrer cela, nous étudierons la conception charnelle de la femme dans l'oeuvre, sa sensualité. Ensuite nous nous pencherons sur le côté historique de la femme, sa représentation humaine dans la guerre. Enfin nous pourrons insister sur le caractère symbolique de la femme chez Senghor, rejoignant une poésie placée, justement sous le signe du symbole, et exprimant la vision senghorienne de la négritude.       La femme, chez Senghor, est très souvent une femme sensuelle. C'est plus particulièrement présent chez la femme noire, symbole de la beauté africaine bien qu'évoqué chez la femme blanche mais avec moins d'ardeur tout de même. ainsi, le corps de la femme, comme celui de l'homme d'ailleurs, revêt une grande importance et est un letmotiv de sa poésie. nous pourrons procéder à cette analyse de la représentation charnelle et corporelle de la femme en deux temps : tout d'abord en insistant sur le caractère rythmé des corps, sur la danse et la sensualité de la femme noire. Ensuite en nous itnéressant à la peinture des corps, traduisant l'écriture poétique de Senghor; Il utilise en effet une technique assez particulière, où la femme semble prendre une forme matérielle sous nos yeux. - Le sensualité et la danse : la femme noire beauté d'Afrique Senghor, dans ses poèmes, insiste beaucoup sur la démarche noble de la femme.  -dans Chant pour J thomson : longues jambes, noblesse de la femme mise sur un piédestal. On retrouve aussi la douceur et beauté du corps. p225 "tu partais en douceur dans la ruée de l'Ouragan, Et toutes tu les controlais sereinne, une chamelle qui va l'amble Te détachèrent net des autres sur leurs courtes jambes d'Albâtre" "Black is beautiful" -Sensualité surtout, qu'on retrouve à travers la danse : les djerbiennes : la femme devient rythme, musique. Comme la poésie de Senghor est elle même rythme de l'Afrique. p225 " Les voilà entrant dans la danse, vases sveltes, un vase sur la tête altière" "les Jerbiennes, soyeuses et souples Et déroulant rythmée leur fuite frissonnante, gracieuse." -On retrouve aussi une fonction rassurante du corps à travers les yeux de la mère "dans l'assurance de ton regard, redis moi les vieux contes des veillées noires".  

Ainsi, à travers les yeux de sa mère, Senghor retrouve une certaine sérénité et sécurité. caractère des yeux et du regard = miroir de l'Afrique 'Et penchhé une fois au bord de tes yeux, Ouverts comme des palais ombreux, j'ai vu surgir la fierté triomhante des vieux Gulwars'. A une antilaise On lit le peuple Africain dans les yeux de la femme. -éléments qui reviennent souvent : yeux, bouche et chevelure. 'to a dark girl' allusion aux yeux : "Princesse, dont les yeux chantent la nostalgie des splendeur du Mali sous les sables ensevelies". Mais là aussi il pointe sur sa démarche ! "et ta démarche mélodie". On a ce mélange avec la musique, qui fait que la vision de Senghor mêle tous les sens. - Le peinture : une écriture proche de la peinture, importance de la sculpture, la femme moyen d'expression d'un style -vision picturale du corps : 'Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté' dans femme noire -'femme noire' : statue, beauté éternelle. comme dans une peinture, il tente de fixer sa beauté 'je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l'éternel'. Il en va de même dans au bout de la lunette : statue avec des collines, vallons parfumés. image d'une femme aux lignes courbes qui rappelle des paysages. 'Et les femmes laudantes et les femmes vibrantes comme les courbes des collines, leurs vallons sont parfumés...' p259. Synesthésie du corps et de la nature, du paysage? Forme un tout. - dans A une antillaise : on retrouve les mains, les reins. Cf signification sur document peinture. Et donc suite de ce que j'ai trouvé  On en a parlé dans la première partie, ces parties du corps reviennent souvent. Parfois plus appuyées que d'autres, comme si Senghor, dans un ordre précis, s'arrachait à décrire une oeuvre d'art. 'Princières tes mains sous les chaines, Aérienne ta grace légère, Plus fine, Plus fiere la cambrure de tes reins'. Le femme est ainsi, chez Senghor, une image corporelle, physique, qui est peinte telle une sculpture, comme figée, adorée et admirée.  Elle est la sensualité, l'amour du peuple noir, la force rassurante de la mère dans le regard. C'est récurrent chez Senghor et cela témoigne de son amour pour la femme, mais par là aussi de son amour pour l'Afrique, car c'est en quelque sorte l'Afrique qu'il retrouve à travers la femme noire.  Je n'ai pas parlé de la femme blanche ici, car la vision charnelle est plus marginale. C'est en effet qu' elle est aussi plus morale, inscrite dans l'histoire.       On retrouve le rôle de la femme dans l'histoire avec un grand H. C'est à travers les épreuves de la guerre, mais aussi à travers les différents âges du poète que le femme acquiert son importance. On peut ainsi examiner la fonction de la femme dans l'imaginaire de l'enfance Senghorienne.  

En effet, la mère, la nourrice, a tenu un rôle important dans la construction de Senghor, en tant que femme courage et admirée par lui. Ensuite, on verra qu'à l'âge adulte, c'est surtout la femme au coeur de la guerre qui s'impose dans la poésie senghorienne, et par là, la femme blanche. Dans cette partie, on insistera donc plus particulièrement sur la représentation morale de la femme. La mère, la nourrice : la femme dans l'enfance du poète, une aide, une inspiratrice -Comme les ancêtres en général, l'idée de famille et de lignée revient régulièrement chez Senghor. Ainsi, la mère a la place rassurante de la protectrice au retour du fils bien aimé, ou est là pour le guider. Exilé en Europe, il s'aperçoit de l'importance de sa mère : la figure de la mère lui porte secours dans 'mère sois bénie' quand il craint pour sa vie. -Le retour de l'enfant : mère de nouveau, la mère courage qui attend le retour de son enfant aimé. -A l'appel de la race de Saba : mère voix rassurante, voix courroucée, bénie, nourrice voix profonde et prière de la mère . Chez Senghor, la mère a un rôle important, d'où une véritable prièce, un hymne à la mère 'sois bénie'. on a tous les visages de la mère dans ce poème : sévère 'Mère Oh! j'entends ta voix courroucée' dans la Partie I, 'Tu ne m'entends pas quand je t'entend, telle la mère anxieuse qui oublie de presser le bouton du téléphone'. Image très parlante, peur d'avoir une mauvaise nouvelle de son fils.  Mais aussi impossibilité de dialogue, tristesse de l'éloignement. - Ndessé : mère, retour de l'enfant, réconfort, nostalgie et fils meurtri, honte et recherche de ses racines. Il revient près de sa mère, 'Voici que je suis devant toi, mère, soldat aux manches nues' et sa mère le réconforte. 'Tu les sais faire doux et moelleux comme à ton fils chéri autrefois."  -Dans hostie noire, importance de la figure de la mère car c'est un recueil sombre, écrit en échos à la guerre, et le soldat a besoin de se souvenir d'elle pour ne pas être complètement perdu.  -Elle est là pour ramener le poète vers ses racines, ce dont nous parlerons plus précisément plus tard. féminisme, femmes de France, le femme dans lâ vie adulte et européenne de Senghor Si la femme noire à travers la mère rappelle l'enfance de Senghor, l'âge adulte de celui ci est marqué par sa découverte de la femme européenne, la blonde, femme courage et visage de l'europe. La femme apparait plus civilisée, attelée au travail de l'esprit. La femme blanche présente plutôt un côté intellectuel et politique; C'est elle qui aide les soldats, les soutiens. sur ce point, elle tient un peu le même rôle que la mère pour Senghor, c'est le femme courage. -Pour Emma Payelleville : a la mort, qui est cette femme? Elle est chanté car a compris l'homme noir. 'Tu rompis les rempars décrétés entre toi et nous, les faubourgs indigènes', Tes mains découvrir, tes mains extirper les noeuds de leurs misère' p23. Aide précieuse. C'est un véritable hymne à cette infirmière qui, plus

que les autres, su voir autre chose que les hommes noirs. Senghor lui écrit comme un hymne, pour l'honorer et la remercier. -femmes de France : courage. dédiée à une française, Jacqueline Cahour. Senghor chante les femmes de france qui, par leurs lettres, leurs mots doux, a bercé la nuit des soldats. ' Vos lettres ont bercé leurs nuits de prisonnier de mots diaphanes et soyeux comme des ailes' elles sont la face la plus humaine de la france pour Senghor. il exprime la gratitude du poète soldat. 'Soyez bénies' dit il. Courage car 'Pour eux vous osates braver l'affront de l'Hyène, l'affront plus mortel que les balles.'  Donc à la fois femme qui permet de garder le contact avec sa terre mais aussi meilleure facette de la france. -A la princesse : salon et esprit 'princesse très prudente et princesse très bonne à la princesse p139 'l'éclat des salons''J'ai dessein de méditer ces énigmes' 'et les femmes y sont vives, la voix des femmes de cristal et l'âme plus déliée dans l'éclat des salons' 'car j'ai pris gout aux choses de l'esprit' 'et ce pays est de l'esprit.  La femme blanche permet au poète, en France de s'initier à la réflexion.  Mais aussi, toujours le souvenir de la princesse de Belborg, son tiraillement entre elle et son peuple p144 'car ta seule rivale, la passion de mon peuple' Elle est aussi épouse et muse. Elle inspire, elle aime. -Kayan Magan : femme étrangère. Senghor montre ici son amour de la femme blanche, "mon empire est celui d'Amour et j'ai faiblesse pour toi femme L'étrangère aux yeux de clairière, aux lèvres de pomm cannelle au sexe de buisson ardent. Même façon de peindre la femme blanche que la femme noire ici.  En effet, même si on a moins une vision corporelle, on retrouve quand même la sensualité de Senghor. C'est dû à cette poésie des sens. On peut finir en évoquant l'importance de sa seconde femme. En effet, il finit sa vie avec elle, une normande. Véritable histoire d'amour, elle lui fit ressortir ses premiers poèmes, le poussa, il lui dédie ses poèmes -citer- ce qui prouve l'importance dans l'éloboration de son oeuvre, notamment les élégies.  Il dit aussi, en introduction : 'Je les avais mis de côté puis donnés à ma femme Colette... Ma femme avait conservé ces poèmes, pensant...' Tout est dit! On a pu voir ainsi une autre dimension de la femme, plus spirituelle, en tant que mère, nourrice, épouse ou femme de France, aide aux soldats. C'est encore une fois une image positive, concrete de la femme. Elle est ici un soutien et une inspiration morale pour Senghor. Mais nous allons voir que plus qu'une vision concrête, la femme est un symbole.   La femme, en tant que symbole, est une des explications de ce qu'on appelle poésie de la négritude. En effet Senghor, à travers la femme, crée une poésie des sens. Une poésie vivante, qui se lit à travers les lignes, qui se vit réellement, et qui ne se comprend qu'à travers une véritable communion de l'homme noir avec sa terre.  

On verra cela en montrant que la femme permet d'établir un lien avec les ancêtres et avec la terre d'Afrique, lien qui fait de la femme un symbole de l'Afrique justement, la femme peut se faire lien entre l'homme et la nature, se faire à la fois symbole de la vie et de la mort. Enfin on verra que la femme est symbole du déchirement du poète. -Symbole du lien avec les ancêtres : muse et mère la muse, parce que sa beauté inspire le poète, elle est reflet de sa poésie, de son Afrique. mais la parole de la mère est aussi là pour établir le contact avec l'afrique, chanter les valeurs de la race noire et la mère le pleure. -A rené Marran : la femme est inspiratrice, comme une force divine. ainsi 'les poétesses du sanctuaire mon nourries', aussi la femme fondatrice du royaume sérère,'Et parmi elles, la mèrede Sira Badral, fondatrice des royaumes', 'femme qui meut les mondes chantants' = dans ce poème, on a la femme présentée comme mère fondatrice, princesse, forte et puissante, comme si elle était l'histoire du peuple africain.  hymne à la force de la femme, qui inspire le poète comme poétesse, muse.  poétesse inspiratrice d'une nouvelle poésie. -Nature vie mort, embrasser le monde On voit cela dans Congo, où la femme fait corps avec le fleuve. p105 On a l'impression que la nature fait l'amour avec la femme, parfaite harmonie entre les deux. 'Car tu es femme par ma tête par ma langue -On voit cela dans Une main de lumière première partie de chants pour Signare p177, où la femme représente la mort. 'tu as gardé longtemps, longtemps entre les mains le visage du guerrier, Comme si l'éclairait déjà un crépuscule fatale'. Il parle de 'la main de lumière'. -Beaucoup de féminité dans les éléments qui entourent le poète, dans les images, les allégories. Véritablement une idéalisation de l'éternel féminin, à travers tous les sens, tous les objets. Un grand tout. Elle transparait à travers les sentiments, la nature. Elles sont représentées par les prétresses, etc. Symbole du déchirement du poète : -Je repasse : p238 la fille poésie Elle est muse : 'Ou est donc la fille de mon espoir défunt, Isabelle aux yeux clairs... Car elle existe la fille poésie, sa quête est ma passion...' Laquelle choisir? La banche ou la noire? -épitres à la princesse, réflexion sur le poème plus particulièrement : hésitation entre la femme et le pays, déchirement du poète. Ambivalence de son rapport à la femme et de la femme elle même : "Pincesse de Belborg, Sous quel ciel fleurit ta prestance? Aux pays du septentrion, en ton palais de Ouistreham ouver sur la mer et les vents? Ou bien à Denestal e ton manoir, au milieu de ton peuple?" p138 -l'appel de Belborg : dans ce poème on voit le déchirement du poète, qui se traduit à travers cet appel. Dans Belborg, on entend à la fois la femme européenne, la princesse de salon, dame courtoise, celle qui connait l'heure du thé (cf).  Mais c'est aussi l'angoisse de la séparation, le vertige du poète perdu entre deux monde. "Mon séjour n'est pas d'un quartier et déjà me poignent le flanc les cent

regrets du pays noir" p141. C'est vraiment le passé qui alimente le présent dans ce Belborg.  en Belborg coexistent ombre et lumière, la blonde et la noire, mais aussi la blonde et LE noir. Ainsi si on avait l'hésitation du poète face aux deux femmes, la blonde, la noire, on peut lire aussi un couple de la blonde et du noir, un couple binaire uni dans la diversité. Les épitres sont les lettres à une femme aimée et absente, au delà de la mer et, tout en étant femme de chair, elle est aussi le symbole même de son pays, de la france, de l'europe.  La Princesse devient même son pays aux vers « Mon désir est de mieux apprendre ton pays de t’apprendre ». (« Comme rosée du soir ; ibidem, p. 135) « Je pense à toi Princesse de Belborg Je songe aux pays du Septentrion ». (« Ambassadeur du peuple noir » ; ibidem, p. 134).  Ainsi, cette femme que le poète aime devient l'expression de ce que le poète aime dans la france, comme dans Femme de France où on voyait le visage positif de la femme, ce qui donne à la france son humanité. Ce qu'il aime alors, c'est l'esprit.  Ce poème, tout en étant l'histoire d'une séparation entre l'homme noir et la femme blanche, est aussi l'expression d'un déchirement, d'une attirance ambigue pour la femme.  Ainsi la femme devient le symbole même de l'ambivalence des rapports du poète avec deux civilisations. On remarque donc chez Senghor que la femme, qu'elle soit noire ou blanche, malgré, bien sur, certains poèmes où la femme est inférieure : Nuit de Sine, chant d'ombre, utilisation d'impératifs, la femme semble présente partout, dans la nature, dans l'esprit, dans la vie de Senghor. En cela elle a un rôle prépondérant dans son oeuvre. Elle est celle qui est, le côté charnel de la vie, elle est celle qui aide, le côté morale, le soutien de l'homme, elle est aussi celle qui symbolise le monde, et par cela est omniprésente, dans la nature, dans l'ésotérisme, partout. Elle est le symbole du déchirement du poète, témoin de l'éloignement avec sa terre natale et donc d'un manque inhérent au poète. Synthèse entre le pays et la femme, ou deux pays et deux femmes : la femme blanche, la femme noire..           éléments constitutifs du canon de la beauté seereer, les parties du visage les plus importantes sont précisément celles que Senghor privilégie dans ses poèmes. En somme, Senghor ne fait pas seulement œuvre de peintre, mais œuvre de peintre seereer ; c’est en s’enracinant dans sa culture et son esthétique, que le poète construit son travail pictural. La technique senghorienne possède en outre l’avantage de constituer un modèle de portrait, qui se répète à l’identique dans sa forme, tout en étant sujet à de multiples variations ;pour décliner la femme dans son infinie diversité ! Il suffit de

comparer ces cinq occurrences, qui déploient les yeux et la bouche de cinq visages féminins, dans une profonde variété traversée par un coup de pinceau commun :  « Les paupières closes, coupe double et source scellées. Ce fin croissant, cette lèvre plus noire et lourde à peine - où le sourire de la femme complice » [67] ?  « L’Etrangère aux yeux de clairière, aux lèvres de pomme cannelle au sexe de buisson ardent » [68].  « Si timide d’abord devant tes yeux de métal bleu, ton sourire de givre » [69].    Considérons par exemple cette description d’un étonnant visage, que nous rapprocherions volontiers d’un tableau cubiste de Picasso :  « Ton sourire de part en part traverse ce ciel mien, comme une voie lactée. Et les abeilles d’or sur tes joues d’ombre bourdonnent comme des étoiles Et la Croix-du-Sud étincelle à la pointe de ton menton Et le Chariot flamboie à l’angle haut de ton front dextre » [89].  Nous avons en effet affaire à des angles et à des formes géométriques un grand trait représente la bouche, l’angle de deux côtés d’un triangle constitue le menton, et un second angle dessine les contours du front.    

-­‐  Le  Sang  dans  l’Œuvre  poétique  de  Senghor  -­‐  

INTRODUCTION       Dans  l’Œuvre  poétique  de  Senghor  le  sang  est  partout  tout  en  n’étant  nulle  part.  En  effet,  s’il  n’y  a  pas  de  poème  à  proprement  parler  sur  le  «  sang  »,  on  relève  en  tout  132  occurrences  de  ce  mot  dans  l’ensemble  de  l’ouvrage.  Ainsi   chez   Senghor   le   sang   est   partout.  On  peut  même   aller   jusqu’à   dire   que   ce   poète   a   comme  un  besoin   de   faire   entendre,   de   faire   retentir   à   nos   oreilles   le  mot   «  sang  ».   Par   exemple,   dans   le   poème   Il  a  plu    «  Lettres  d’hivernage  »  p.243,  Senghor,  dans  une  figure  qui  pourrait  presque  s’apparenter  à  une  épanorthose  fait  sonner  les  homonymes  «  ceignait  »  et  «  saignait  »,  comme  si  introduire  le  verbe  «  saigner  »  était  quasiment  une  nécessité   pour   lui,   d’autant   plus   que   seul   le   lecteur   peut   le   voir.   Dès   lors   nous   pouvons   nous   interroger  :  pourquoi   une   telle   obsession   pour   le   sang  de   ce   poète?   S’agit-­‐il   seulement   d’une   obsession  ?   Et   que  signifie  donc   le   sang   chez  Senghor  ?  Nous  verrons  que  chez  ce  poète,   le  sang  est  d’abord  le   sang  qui   coule  (représentatif   de   la   souffrance   du   poète,   de   la   folie  meurtrière   de   la   guerre  mais   aussi   du   sacrifice   qu’il   soit  animal  ou  humain).  Puis,  nous  montrerons  que  le  sang  est  aussi  le   sang  qui  bout  (la  manifestation  du  vivant,  l’être  dans  l’être,  le  principe  vital)  pour  comprendre  finalement  que  ce  recueil  n’est  qu’un  chant  du  sang,  celui  du  sang  noir  et  de  la  Négritude.      PLAN    I.  LE  SANG  QUI  COULE…       Dans  ses  poèmes,  Senghor  fait  abondamment  couler  le  sang  et  même  son  propre  sang.       A)  La  souffrance  du  poète.     Effectivement,   le  sang  qui  coule  a   tout  d’abord  une  première  signification  :  celle  de   la  souffrance   du  cœur  amoureux  du  poète.  On  peut  en  voir  quelques  exemples  dans  «  Les  lettres  d’Hivernage  »  dans  un  poème  comme  C’est  cinq  heures  p.  234  «  Il  y  a  Gorée  où  saigne  mon  cœur  mes  cœurs  »,  ou  encore  comme  Ton  soir  mon  soir   p.237   (bas  de   la   page).   Le   sang  qui   coule   est   aussi   la   démonstration  de   la   difficulté,   de   la   frustration  qui  entraine  la  souffrance  du  poète  notamment  face  au  mystère  de  la  femme  comme  on  peut  le  voir  dans  le  poème  

Chant   d’ombre   p.   43   (les   mains   sanglantes   du   poète   qui   tente   de   gravir   la   montagne-­‐femme)   VOIR   EXPOSE  «  FEMMES  ».  Mais  si  Senghor  fait  couler  son  propre  sang,  il  fait  surtout  se  répandre  le  sang  des  autres  hommes,  et  principalement  de  ceux  victimes  de  la  folie  meurtrière  de  la  guerre.       B)  La  folie  meurtrière  de  la  guerre     Le  sang  qui  coule  est  une  démonstration  de  la  violence  de  la  guerre.  Dans  ce  recueil  qui  est  pourtant  celui  de  la  réconciliation  et  de  la  paix,  on  voit  quelques  fois  poindre  des  éclats  de  violence  liés  généralement  à  ce  sang   qui   coule,   à   ce   sang   qui   gicle   et   à   cette   guerre.   Dans   le   poème  Que  m’accompagne   kôras   et   balafong  de  «  Chants  d’ombre  »  p.38  (odeur  «  vineuse  »,  âpre,  sans  doute  désagréable  du  sang),  et  surtout  dans  celui  intitulé  Méditerranée  dans  «  Hosties  noires  »  p.  66  (Effet  de  suspens,   le  mot  enfant  n’arrivant  qu’à   la  fin  ;  comparaison  avec  une  grenade  :  image  très  représentative,  violence  poétique  due  à  l’éloignement  des  deux  réalités  «  grenade  qui  explosent  »  et  «  têtes  ardentes  d’enfant  »,  à  relier  peut-­‐être  avec  l’idée  de  Pierre  Reverdy  «  L’image  est  une  création  pure  de  l’esprit.  Elle  ne  peut  naître  d’une  comparaison  mais  du  rapprochement  de  deux  réalités  plus  ou  moins  éloignées.  Plus   les  rapports  des  deux  réalités  seront   lointains  et   justes,  plus   l’image  sera   forte,  plus  elle  aura  de  puissance  émotive  et  de  réalité  poétique.  »,  Etc.).  Il  y  a  donc  bel  et  bien  une  démonstration  de  la  violence  de  la  guerre  mais  aussi  de  son  horreur,  horreur  qui  s’associe  obligatoirement  à  l’idée  de  mort.       Tout  le  recueil  des  «  Hosties  noires  »,  principalement  dédié  aux  Tirailleurs  Sénégalais  morts  pendant  la  guerre  pour   la  France  en  est  un  exemple.  VOIR  EXPOSE  «  MORT  ».  Or   certains  passages  de   ce   recueil   lient   le  sang   à   la   mort   dans   une   infinie   souffrance   et   tristesse.   Le   poème  Luxembourg  1939   p.69   en   est   un   exemple  (ambiguïté   à   propos   du   sujet   grammatical   de   la   phrase  :   rêves   ou   camarades  (?)   Les   deux   sont   certainement  sujets,  ils  vont  ensemble  ;  énumération  «  vieillis  piétinés  blessés  à  mort  (…).  »  avec  absence  de  ponctuation  entre  les   termes  :   ils   forment   un   tout,   une  même   idée   insistante  ;   expression   «  sanglant   de   sang  »  :   insistance,   effet  d’assonance,   le  mot   résonne   aux   oreilles   du   lecteur  ;   le   tout   symbolise   peut-­‐être   la   souffrance  du  poète   qui   a  perdu  ses  rêves  en  perdant  ses  camarades).     Cependant,   si   le   sang   qui   coule   dévoile,   voire   dénonce   cette   folie  meurtrière   de   la   guerre,   il   n’a   pas  qu’une  signification  négative,  au  contraire.  En  effet,  ce  sang  devient  don,  devient   libation,  devient  sacrifice  presque  expiatoire  duquel  renaît  l’Espoir  et  la  Vie.         C)  Le  sacrifice.     Dans   le   poème  Tyaroye   «  Hosties   noires  »   p.95   (massacre   du   camp   de   Tyaroye,   camps   de   tirailleurs  noirs,  par  les  français)  «  Vous  n’êtes  pas  morts  gratuits  Ô  Morts  (…)  »  (renaissance)  ;  élégie  pour  Aynina  Fall  dans  «  Nocturne  »   p.   217   «  Il   a   racheté   nos   fautes  (…)  Aynina   Fall   est   mort,   Aynina   Fall   est   vivant   parmi   nous  »  (analogie  complète  avec  le  Christ,  sacrifice  expiatoire).     Or   cette  dimension  positive  du   sang  qui   coule   se   retrouve   aussi   dans   celui  provenant  des  sacrifices  animaliers  qui  font  honneur  aux  dieux  et  qui  rappellent  toute  la  culture  traditionnelle  de  l’Afrique  noire.      è  Ainsi  chez  Senghor  le  sang  coule,  mais  il  ne  coule  pas  en  vain.  Il  a  donc  une  dimension  profondément  positive,  ce   qui   est   d’autant   plus   démontré   dans   cette   œuvre   que   le   sang   est   aussi   ce   qui   intérieur,   ce   qui   est  expressément  humain  et  vivant.    II.  LE  SANG  QUI  BOUT…       A)  La  manifestation  du  vivant.     Le  sang  chez  Senghor  c’est  ce  qui   fait  que  nous  ressentons  des  émotions  se  propager  tout   le   long  de  notre   corps.   C’est   donc   ce   qui   fait   de   nous   des   êtres   vivants,   des   hommes.   Dans   cette   œuvre,   le   sang   est   la  manifestation  de   toute   sorte   d’émotion.   Il   est   celles   de   la   souffrance   et   de   la   tristesse,  mais   aussi   celles   de   la  colère,  de  la  révolte,  de  la  peur,  de  l’amour,  du  désir,  du  changement,  du  sentiment  et  de  bien  d’autres  encore.  Il  est   la   manifestation   du   vivant,   de   ce   qu’il   y   a   de   caché   au   plus   profond   de   nous-­‐mêmes,   de   ce  battement  mystérieux   de   nos   vies.   Dans   un   poème   comme   C’est   le   temps   de   partir   de   «  chant   d’ombre  »   p.   41   c’est  l’émotion  du  départ  mêlé  à  l’envie  et  à  la  peur  qui  se  fait  ressentir  (le  poète  a  le  cœur  qui  bat  si  fort  qu’il  ne  sait  plus  si  c’est  bien  lui  qu’il  entend  ou  si  c’est  simplement  la  batterie  des  roues  sur  les  rails).  Dans  un  autre  poème,  comme   celui   Chant   de   Printemps   d’  «  Hosties   noires  »   p.89,   c’est   le   désir   qui   est   manifesté   à   travers   une  personnification  du  sang  qui  «  chuchote  »  dans  les  veines  du  poète.           B)  L’être  dans  l’être.     Car  le  sang  chez  Senghor  est  un  être  à  part  entière,  est  un  être  dans  l’être.  A  de  nombreuses  reprises  il  est  personnifié  (voir  supra),  ou  encore  associé  à  un  animal  :  le  cheval  (p.41,  p.61,  etc.),  ou  au  léopard,  au  lion,  au  félin  (p.39  Que  m’accompagnent  kôras  et  balafong).  Le  sang  est  finalement  comme  le  totem  de  l’Africain.       C)  Un  principe  vital  p.177  

  De  cette  manière,  le  sang  apparaît  aussi  être  un  principe  vital  et  supérieur.  Il  est  souvent  associé  à  la  sève,  comme  c’est  le  cas  par  exemple  p.  177  (analogie  complète  entre  le  poète  et  un  arbre).  Or  la  sève  est  ce  qui  nourrit   les   végétaux,   leur   donne   la   couleur,   la   vitalité,   l’énergie   et   la   vie.   Il   est   même   associé   une   fois   dans  l’ouvrage  au  Dieu  créateur.  Ainsi  dans  l’Elégie  des  Alizés  p.  276  (Le  sang  est  manifesté  par  la  couleur  rouge,  il  est  «  Plus-­‐que-­‐vie  »,   il  est  Dieu  ;  plus  qu’un  principe  vital,  un  principe   créateur  du   sang).  Enfin,   l’idée  d’un  sang  sacrifié  duquel  découle  la  Renaissance  renforce  cette  idée.      è  Ainsi,  chez  Senghor,   le  sang  a  aussi  et  surtout  une  signification  positive.  Cependant,  Senghor  ne  chante  pas  n’importe  quel  sang  (le  sang  qui  coule,  c’est  le  sang  noir  ;  le  sang  qui  bout,  c’est  aussi  le  sang  noir),  il  chante  le  sang  noir,  celui  de  ses  ancêtres,  de  ses  frères,  de  sa  terre  africaine  et  finalement  celui  de  sa  négritude.    III.  LE  SANG  NOIR...       Le  sang  prend  souvent  la  signification  des  origines  :  le  sang  qui  «  chuchote  »  dans  les  veines  du  poète,  c’est  celui  de  ses  ancêtres,  c’est  celui  de  son  Afrique  natale.         A)  Le  sang  des  ancêtres  et  le  sang  de  l’Afrique     On  sait  à  quel  point  les  ancêtres  sont  importants  dans  la  culture  africaine.  Ils  vivent  dans  l’homme  noir,  placés  à  côté  du  totem.  Par  exemple,  si  Senghor  est  africain  à  part  entière,  s’il  est  le  résultat  d’une  union  entre  deux   sangs   d’Afrique   noire   (peul   et   sérère),   il   n’oublie   pas   la   goute   portugaise   qui   coule   soi-­‐disant   en   lui,  comme   nous   le   montre   l’Elégie   des   Saudades   «  Nocturne  »   p.207   ou   encore   Sur   la   plage   bercé   «  Lettres  d’Hivernage  »  p.  242.   (Senghor  était  persuadé  d’avoir  du  sang  portugais  :   selon   lui  son  nom  aurait  une  origine  portugaise,  et  son  père  viendrait  d’une  région  de  la  Haute-­‐Guinée  qui  était  portugaise).  Oublier  une  seule  goutte  de  son  sang  (et  même  si  celle-­‐ci  s’apparente  à  une  sorte  de  fantasme),  autrement  dit  une  seule  minime  origine  de  son  être,  ce  serait  pour  ce  poète  comme  s’oublier  lui-­‐même  et  c’est  certainement  pourquoi  il  se  bat  pour  garantir  la  noblesse  du  sang  noir,  pour  le  glorifier  dans  sa  Négritude.       En  effet,   le  sang,  originellement  rouge,  est  souvent  associé  dans  cette  œuvre  à   la   couleur  noir.  P.16  Nuit  de  Sine  «  Chant  d’ombre  »,  «  le  sang  sombre  »  p.147  Epître  à  la  princesse  «  Ethiopiques  ».  On  note  donc   ici  une  sorte  de  revalorisation  profonde  du   sang  noir  puisque  le  sang  est  plus  que  «  principe  vital  »,  est  ce  qui  permet   la  Renaissance.  En  outre,  ce  sang  noir  est  épais,   fertile,  bouillonnant,  abondant   il  coule  dans   les  veines  noires  comme  «  un  raz  de  marée  »  terrifiant  mais  aussi  magnifique  et  puissant.         B)  Le  sang  du  poète     Senghor  dans  son  recueil  revalorise  donc  ce  sang  noir,  d’autant  plus  qu’il  fait  délibérément  le  choix  de  ce  sang.  Dans  Que  m’accompagnent  kôras  et  balafong  «  Chants  d’Ombre  »  p.32  il  nous  montre  qu’il  a  choisi  son  sang  noir.  Par  ailleurs,  à  plusieurs  reprises  dans  le  reste  du  recueil,  il  nous  prouve  qu’il  refuse  de  renier  son  sang,  ou  même  de  le  laisser  se  tarir  un  temps  soit  peu.  A  l’Appel  de  la  Race  de  Saba  «  Hosties  noires  »  p.62  ;  Elégie  pour  Jean-­‐Marie  «  Elégies  majeures  »  «  protège  mon  sang  »  p.288.  Senghor  est  noir  et  refuse  de  devenir  blanc,  de  voir  sa  belle  peau  noire  se   faner,  sa  culture  noire  se  dessécher,  sa  Négritude  se  gâter.  Et  pour  empêcher  cela   il  est  prêt   à   beaucoup,   et   même   à   détruire   la   syntaxe   de   la   poésie   française   «  classique  »   qu’il   aime   tant,   pour   y  introduire  le  rythme  noir,  autrement  dit,  le  tam-­‐tam  lancinant  de  son  sang,  le  chant  africain.       C)  Le  chant  du  sang  :  la  Négritude  renouvelée       Effectivement   dans   cet   ouvrage,   le   battement   du   sang   est   partout.   P.32,   p.120   A   New   York  «  Ethiopiques  »  ;   p.125  Chaka   «  Ethiopiques  »  ;   p.156  D’autres  chants  «  Ethiopique  »,   p.   309  Elégie  pour  Martin  Luther  King  «  Elégies  majeures  »,  etc.  Parfois,   le  sang  paraît  si  possédé  par   le  génie  du  rythme  que   l’on  ne  sait  plus   lequel  du  cœur  ou  du  sang,  du  sang  ou  du  tam-­‐tam  entraine   l’autre.  Le  sang  devient   l’essence  même  du  poème,  l’élan  créateur  de   la  poésie  (le  rythme  vient  du  sang,  le  poème  vient  du  rythme  à  la  poésie  vient  du  sang,   le   sang   comme   cœur,   origine  de   la   poésie).   Le   sang  devient   chant   et   le   chant   devient   sang.  On  observe,  comme  le  dit  lui-­‐même  Senghor  dans  Le  Discours  sur  la  poésie  francophone  «  [la]  symbiose  de  l’âme  et  du  corps,  [la]   greffe   du   verbe   dans   la   chair   et   le   sang  ».   Or,   une   telle   symbiose   est   l’image  même   de   la   Négritude   qui  s’exprime,  de   la   Négritude   intègre  à   elle-­‐même  et   qui   utilise   son   propre   langage.   Le   sang  prend  donc  une  dernière  signification  positive  dans  ce  recueil  :  il  est  le  chant  passionnel  de  la  Négritude  de  Senghor.     Sang  :  communion  avec  l’Afrique,  pouls  profond  de  l’Afrique.  Du  sang  particulier  qui  coule  ou  qui  bout,  on  arrive  à  une  expression  d’une  certaine  universalité  :  le  sang  noir  africain,  le  chant  noir  africain.      CONCLUSION       Ainsi,  dans  l’œuvre  poétique  de  Senghor,  le  sang  est  une  présence  cachée,  qui  s’exprime  en  filigrane  à  travers  un  rythme  sacré.  Le  sang  est  le  chant  de  la  Négritude,  le  sang  est  le  cœur  lancinant  d’un  pays,  l’Afrique.  Il  

ne  s’agit  donc  pas  d’une  obsession,  comme  nous  l’avions  pressenti  dans  notre  introduction,  mais  de  bien  plus  :  de  l’expression  de  l’essence  même  du  poète,  de  son  cœur,  de  ses  origines,  de  sa  parole  noire,  de  sa  Négritude.      

L’amour chez Senghor  

*Introduction*  

Lorsque  l’on  pense  à  l’amour  on  pense  aux  relations  qui  unissent  un  homme  et  une  femme.  Mais  l’amour  ne  se  limite  pas  à  cela  dans  l’œuvre  de  Senghor.  C’est  un  thème  très  vaste  qui  parcourt  entièrement  le  recueil.  Senghor  est  un  poète  de  l’amour,  il  chante  l‘amour,  ce  n’est  d  ‘ailleurs  pas  pour  rien  qu’il  utilise  la  poésie,  qui  est  le  genre  le  plus  apte  à  chanter  l’amour.  Senghor  vit  dans  un  siècle  cruel,  de  guerres  qui  voit  se  développer  l’informatique,  les  machines.  Ainsi  les  sentiments  humains  se  dissipent  peu  à  peu.  L’amour  est  donc  chose  très  importante  pour  Senghor  car  il  s’en  sert  comme  une  sorte  de  refuge.  Qu’appelle  t  on  l’amour  ?  Selon  le  petit  robert,  l’amour  est  la  disposition  à  vouloir  le  bien  d’une  entité  humanisée  (dieu,  le  prochain,  l’humanité,  la  patrie)  et  à  se  dévouer  pour  elle.  Autrement  dit  l’amour  est  un  sentiment  d’attachement  envers  une  chose  ou  un  être  et  cet  attachement  conduit  à  quelque  chose,  normalement,  de  positif.  Nous  nous  demanderons  quels  sont  les  objets  de  l’amour  de  Senghor  et  comment  exprime  t  il  cet  amour.  Nous  aborderons  d’abord  l’amour  de  la  terre,  puis  l’amour  de  l’Homme,  enfin  l’amour  de  dieu.    

I. Senghor exprime l’amour qu’il éprouve pour les terres qui l’ont vu naitre, celles qui l’ont vu grandir, pour la culture qu’elles lui ont offerte.  

A. Le royaume d’enfance

Il  est  né  à  joal.  Il  passe  son  enfance  dans  une  tradition  villageoise  entre  les  champs  et  les  troupeaux  de  bétails.  Il  peint    avec  des  couleurs  gaies  une  enfance  édénique.  Le  village  est  un  paradis  «  c’était  un  royaume  d’innocence  et  de  bonheur  »  Poésie  et  action  de  Senghor.  Il  aime  cette  terre  et  les  richesses  qui  la  composent.  

C’est  une  terre  d’amour  ou  tout  cohabite  avec  symbiose.  Cette  culture  lui  a  transmis  des  valeurs  traditionnelles  sérères,  ainsi  que  le  gout  de  l’ouverture  à  d’autres  cultures.  C’est  en  effet  à  djilor  qu’il  apprend  le  christianisme  et  le  français.  

Cette  terre  est  un  refuge  pour  le  poète  qui  se  trouve  dans  un  paris  triste.  Il  lui  suffit  de  nommer  ce  lieu  pour  revivre  ces  instants  de  paix  et  de  joie  comme  il  le  dit  page  165  dans  la  postface  d’éthiopique.  

*Joal  p17*  

Nous  avons  au  1er  vers  le  nom  propre  qui  constitue  la  phrase.  Il  est  isolé.  Il  y  a  un  pt  d’exclamation  qui  appuie  l’importance  de  ce  lieu.  C’est  comme  si  tout  était  dit.  Le  2ème  vers  

insiste  sur  cette  idée.  Nommer  le  lieu  suffit  pour  tout  revivre  

 B. L’afrique

Senghor  aime  la  terre  d’afrique  et  souhaite  revaloriser  la  civilisation  africaine  et  la  culture  noire.  Il  participe  à  la  négriture,  mouvement  qui  veut  revaloriser  l’homme  noir,  la  culture  noire  grâce  à  l’art.  Elle  est  lutte  culturelle.  Cette  revalorisation  se  fait  en  ôtant  à  l’afrique  toute  civilisation  occidentale,  en  se  tournant  vers  les  valeurs  ancestrales.    

*P36-­‐37*  

La  civilisation  occidentale  est  qualifiée  de  «  contagion  »  une  chose  dangereuse  qui  nuit.  La  revalorisation  s’exerce  d’abord  en  procédant  par  un  lavage.  7  mille  :  hyperbole  ils  sont  

nombreux,  forts,  ils  sont  soldats,  ils  combattent  ils  possèdent  des  qualités  puisqu’ils  sont  fiers  et  humbles.  Ils  montrent  leur  richesse  grâce  à  l’art  musicale.  Les  richesses  ne  sont  plus  les  

matières  qui  intéressent  les  colons  mais  leur  tradition.  

 Senghor  lui-­‐même  avec  cette  œuvre  revalorise  la  culture  noire.  Elle  s’adresse  aux  noirs  mais  

également  aux  blancs.    

C. la France

La  France  est  le  pays  d’accueil  de  l’étudiant,  du  prof  et  du  retraité.  Il  est  reconnaissance  envers  elle  et  il  lui  reconnait  parfois  un  paysage  agréable  

*Le  portrait  p  223*  

La  saison  est  personnifiée  et  tente  de  séduire  le  poète  qui  lui  reconnait  des  attributs.  

 Il  n’est  pas  fermé  à  la  culture  française.  Il  refuse  la  haine  qui  ne  sert  qu’à  

détruire  et  préfère  prendre  ce  qu’il  y  a  de  positif  dans  la  culture  française  :  il  écrit  en  français  car  il  aime  cette  langue.  Il  y  mêle  sa  culture  puisqu’il  introduit  dans  la  poèsie  écrite  en  français  un  rythme  qui  rappelle  l’oralité  typiquement  africaine.  Il  faut  pardonner  pour  progresser.    

è Il  aime  sa  terre  d’origine,  ainsi  que  sa  culture,  qu’il  lie  avec  celle  qui  l’a  accueilli.  

 

II. Senghor exprime également l’amour qu’il éprouve pour les Hommes, qu’il met sur le devant de la scène et qu’il chante  

A. La femme

Il  est  issu  d’une  culture  matrilinéaire  qui  favorise  la  femme.  Il  l’aime  et  l’admire.  

Nous  retrouvons  la  figure  de  la  mère,  qui  console  et  conseille.  Cette  mère  plein  de  douceur  et  de  tendresse  est  rattachée  à  la  nourrice  

*P61*  

Nga  lui  donne  de  la  tendresse  et  fait  son  éducation  en  lui  chantant  des  contes.  Elle  lui  enseigne  la  culture  musicale.  Elle  éduque  le  futur  poète.  

 Il  chante  son  amour  pour  la  femme  noire  qui  est  très  sensuelle  

*Femme  noire  p18*  

Il  insiste  sur  la  sensualité  de  la  femme  noire.  Elle  est  nue  et  noire,  ce  sont  deux  qualités  pour  lui.  Elle  enivre  comme  le  vin.  Il  met  l’accent  sur  un  amour  physique.  

 Il  chante  sont  amour  pour  la  femme  blanche  

*Femme  de  France  p  82*  

Il  chante  ces  femmes.  Elles  sont  réconfortantes,  elles  chantent  et  bercent  les  hommes  noirs.  Elles  participent  à  la  réconciliation  entre  le  poète  et  la  France.  

 

B. l’homme

Il  voue  un  amour  à  son  frère  noir,  qu’il  côtoie  lors  de  son  combat  en  faveur  de  la  négritude.  

*Lettre  à  un  poète  p13  

Il  le  glorifie.  Le  titre  lui  donne  du  prestige  car  il  le  désigne  en  tant  qu’artiste.  Il  fait  son  éloge  dans  le  poème.  Il  le  complimente  sur  son  style  en  utilisant  la  métaphore  «  cueillir  une  étoile  au  firmament  ».  Il  possède  un  talent  précieux.  Ils  ont  une  relation  forte  :  ils  sont  liés  par  le  combat  

et  par  l’amitié.  

 Mais  il  chante  également  l’homme  blanc.  Ses  amis  de  khâgne  ont  contribué  à  

le  réconcilier  avec  la  France.  Pompidou  lui  a  fait  découvrir  une  grande  partie  de  la  culture  française.  

*élégie  à  pompidou  p  324*  

Le  fait  d’écrire  une  élégie  témoigne  de  son  amitié.  

 C. l’humanité

Senghor  aime  l’homme,  qu’il  soit  blanc  ou  noir.  Le  blanc  et  le  noir  sont  semblables  car  ce  sont  des  hommes  et  qu’ils  possèdent  les  mêmes  sentiments  humains.    

*P74*  

L’enfant  noir  et  l’enfant  blanc  éprouvent  un  sentiment  universel  :  celui  de  la  tristesse  et  du  recueillement.  Ils  se  serrent  la  main  en  guise  de  paix.  Ils  possèdent  tous  deux  cette  partie  du  corps,  la  main,    qui  permet  le  symbole  de  la  réconciliation  (le  fait  de  se  serrer  la  main)  

 Senghor  est  un  poète  humaniste  qui  place  la  personne  humaine  et  la  dignité  

de  l’individu  au  dessus  de  toute  valeur.  Il  pardonne  la  cruauté  du  blanc.  Il  ne  le  hait  pas  mais  il  l’aime.  

   

III. L’amour est une valeur chrétienne. Senghor est un croyant.  

A. Animisme

C’est  une  croyance  dans  une  âme,  une  force  vitale  qui  anime  les  êtres  vivants  mais  également  les  éléments  naturels  et  les  choses.  Cette  fois  animiste  lui  vient  de  sa  culture  sérère.    

Dans  cette  atmosphère  spirituelle  les  masques  jouent  un  rôle  important.  Ils  rappellent  le  peuple  à  l’ordre  et  veillent  au  respect  des  normes  religieuses.  Ils  sont  craints  et  respectés.  

Les  totems  sont  importants  et  protecteurs  

*Totem  p26*  

Le  poète  se  trouve  en  France  donc  il  doit  le  cacher.  Même  en  France  il  conserve  cette  foi.  Il  lui  rappelle  sa  culture  noire.  

 De  plus,  il  n’y  a  pas  de  rupture  entre  le  monde  des  morts  et  le  monde  des  vivants  

dans  a  foi  animiste    

B. La foi catholique

Il  est  catholique.  Il  s’imprègne  de  cette  religion  dans  son  recueil  puisqu’il  fait  des  cf  bibliques.  Cette  religion  lui  enseigne  le  pardon,  qui  refuse  la  haine  et  conduit  à  l’amour.    

*Prières  de  paix  p  98*  

Il  utilise  une  forme  religieuse  :  la  prière.  Il  désigne  et  s’adresse  au  seigneur.  Il  utilise  des  verbes  à  l’impératif.  Ce  texte  semble  fonctionner  à  la  manière  d’une  prétérition  car  il  dit  au  seigneur  qu’il  ne  doit  pas  être  haineux  et  pourtant  ses  propos  semblent  être  imbibés  de  haine.  Il  y  a  une  opposition  entre  les  termes  très  violents  désignant  l’attitude  des  blancs  et  le  vocabulaire  

chrétien.  Même  si  l’amour  et  la  paix  priment  chez  Senghor,  il  utilise  ce  détour  afin  de  dénoncer  la  cruauté  des  blancs.  

 

*Conclusion* Poète  de  l’amour,  il  rejette  la  haine  et  tout  ce  qui  est  différent,  tout  ce  qui  

s’oppose,  vivent  en  symbiose  chez  lui.  #  Césaire  :  début  de  Cahier  d’un  retour  au  pays  Natal.        L’Occident  chez  Senghor  

 

Senghor   a   prétendu   que   ‘notre   réel   est   complexe   puisqu’interdépendant,   nègre,   africain   et  français   en   même   temps’.   Comme   le   jésuite   Pierre   Teilhard   de   Chardin,   dont   la   pensée   a  influencé   Senghor,   le   poète   propose   la   vision   d’un   monde   culturellement   et   spirituellement  unifié.  La  négritude  et  la  francophonie  ne  sont  pas  opposées  mais  utiles  l’une  à  l’autre.  Comme  les   autres   poètes   de   la   négritude   il   cherchera   à   rehausser   l’art   nègre   dans   le   regard   des  Occidentaux  tout  en  se  révoltant  contre   leur   impérialisme.  D’où  cette   idée  d’amour-­‐haine  que  l’on   retrouve  souvent  à  propos  de   sa  poésie.   Il  prend  conscience  de   sa   responsabilité  quant  à  l’émancipation   de   l’Afrique   tout   en   atténuant   sa   révolte.   L’Occident,   plus   particulièrement  l’Europe,   dans   sa   poésie,   est   donc   perçue   de   manière   paradoxale   car   sa   poésie   de   l’amour  

l’emporte   vers   un   pardon   dans   un   but   précis. D’abord   on   peut   y   voir   une   Europe   coloniale  oppressante.   Senghor   lui   pardonne   par   amour   de   sa   culture.   Cela   pour   la   création   d’une  civilisation  de  l’universel.  

 

I]   Senghor,   moins   révolté   que   d’autres   poètes   de   la   négritude,   critique   tout   de   même  l’oppression  européenne.  

1)  L’exil Arrivée  en  France  Senghor  se  sent  exilé.  Paris  l’isole  face  aux  hommes  ‘aux  yeux  bleus’  et  ‘au  visage  de  pierre’  (In  Memoriam)  et  il  s’enferme  sur  lui-­‐même.  Mais  c’est  un  exil  producteur  qui  lui  permet  d’entretenir  la  nostalgie  de  son  pays  natal  en  se  tournant  plus  particulièrement  vers  son  terroir  et  son  enfance  :  ‘parce  que  le  royaume  d’enfance  c’est  le  royaume  même  de  la  poésie’.  Le  recueil  Chants  d’Ombre  accumule  les  souvenirs  d’un  passé  lointain  où  il  décrit  d’innombrables  moments  édéniques  pour  se  remettre  du  malaise  de  sa  condition  d’exilé  confronté  à  une  crise  identitaire.  In  Memoriam  :  préoccupation  personnelle  par  rapport  à  son  état  de  confinement,  sa  solitude  entre  lui  et  ses  semblables  étrangers,  la  Seine  le  conduit  jusqu’au  Sine  et  aux  paysages  africains.  Joal  :  perception  du  regret  par  l’anaphore  ‘je  me  rappelle’    qui  confère  l’impression  d’un  expace  rêvé,  lointain  et  imaginaire.  ‘A  l’appel  de  la  race  de  Saba’  ressemble  à  un  cri  de  détresse  à  sa  mère  pour  le  sauver  de  cette  ‘solitude’  (draps  blancs//In  Memoriam)  et  le  verbe  se  rappeler  est  de  nouveau  présent.  Senghor  se  compare  à  un  lamantin  dans  la  préface  aux  Ethiopiques  :  le  retour  aux  sources  nécessaire,  la  révélation  de  la  grandeur  d’une  Afrique  dénigrée  par  l’Europe.  

2)  L’Afrique  dénigrée  par  l’Europe   Senghor  se  bat  contre  une  Europe  déchirée  qui  dénigre  les  Africains.  Neige  sur  Paris  :  une  Europe  divisée,  vocabulaire  des  armes,  de  la  violence,  vision  particulièrement  péjorative  d’hommes  violents  qui  détruisent  tout  et  acculturés,  seul  Dieu  parait  capable  de  sauver  l’Afrique,  la  civilisation.  Que  m’accompagnent  koras  et  balafong  :  Senghor  pense  à  son  enfance  moment  de  ‘l’innocence  de  l’Europe’.  Senghor  accuse  l’Europe  d’avoir  désorganisé  la  société  négro-­‐africaine  en  tarissant  les  sources  de  sa  civilisation  (concrétisation  avec  la  destruction  des  forêts…  Neige  sur  Paris//déculturation).  Elle  a  propagé  sa  civilisation  scientifique,  rationaliste.  Il  manifeste  contre  l’oppression  politique  et  culturelle  de  l’Occident.  C’est  ce  qui  compose  la  négritude  :  révolte  contre  le  Blanc  et  affirmation  de  soi  dans  ses  traditions.  Poèmes  politiques  comme  Kaya-­‐Magan  :  fin  de  l’empire  et  impatience  du  colonisé  qui  se  redresse  (lion=l’Occidental  si  on  se  fie  à  une  interview  de  1966  à  propos  de  son  écriture  :  L’écrivain  doit  dompter  le  lion  de  son  cœur  et,  s’il  s’agit  d’un  Nègre,  le  volcan  intérieur  de  sa  négritude).  Il  dénonce  le  mécanisme  répressif  de  l’ordre  colonial  qui  a  bouleversé  l’équilibre  psychologique  du  colonisé,  les  soi-­‐disant  progrès  apportés  par  l’Europe  qui  détruisent  l’Afrique  et  le  mépris  du  Blanc  envers  le  négro-­‐africain.  Poème  Liminaire  :  il  arrachera  les  ‘rires  banania  de  tous  les  murs’  ce  qui  indique  la  vision  primitive  que  proposait  les  Occidentaux.  Aux  tirailleurs  sénégalais  :  ignorance  des  soldats  morts  pour  la  République,  l’oubli  (solitude,  obscurs,  oublieuses)  

3)  Le  combat  contre  l’assimilation Le  fait  que  les  Africains  reçoivent  la  même  instruction  et  soient  élevés  comme  les  Européens.  Ils  ont  leurs  propres  cultures  et  racines,  leur  savoir  qui  ne  doit  pas  être  effacés.  Lors  d’une  conférence  de  1973  il  explique  que  l’enseignement  qu’il  a  reçu  ne  convient  pas  aux  aspirations  du  monde  noir  puisqu’il  y  a  rejet  des  valeurs  africaines.  Parce  qu’il  est  bien  intégré  dans  la  vie  parisienne  les  partisans  de  l’assimilation  voient  en  lui  un  Français  à  peau  noire.  Senghor  répond  sans  cesse  qu’il  se  sent  nègre  et  fait  connaitre  sa  négritude,  son  refus  de  l’Autre,  de  s’y  assimiler.  Imposer  la  langue  et  la  culture  occidentale  est  présenté  comme  facteur  de  déracinement  et  d’aliénation.  Ainsi  alors  qu’il  est  collégien  il  se  rebelle  contre  les  prêtres  qui  se  réjouissent  de  franciser  un  nègre.  L’assimilation  réduisait  les  nègres  au  statut  racial  inférieur.  Les  pètes  cherchent  à  saisir  les  valeurs  possédées  avant  le  contact  avec  l’Occident.  Senghor  souligne  d’ailleurs  l’extrême  différence  entre  la  conception  et  l’exécution  par  l’Occident  qui  impose  des  structures  politiques  et  culturelles  qui  se  révèlent  être  des  adaptations  exactes  des  valeurs  occidentales  ne  correspondant  pas  à  l’environnement  africain.  

 

II]  Senghor  se  révolte  contre  l’Europe  coloniale.  Mais  sa  poésie  de  l’amour  lui  fait  pardonner  par  pacifisme  et  amour  profond  de  la  culture  européenne.  

1)  Le  pardon La  révolte  des  tirailleurs  bouleverse  Senghor  qui  ne  reconnait  plus  la  France  qu’il  admire  :  la  fille  des  Lumières.  Mais  il  ne  veut  pas  réagir  de  la  même  façon  :  de  manière  irrationnelle  et  irréfléchie.  Sa  volonté  de  pardonner  après  avoir  récriminé  contre  la  France  l’amène  à  la  réconciliation,  à  l’acceptation  de  l’Autre.  Dans  sa  thèse  Poésie  de  la  négritude  Marcien  Towa  explique  que  c’est  par  ‘amour  chrétien  des  ennemis  et  le  devoir  de  fraternité  universelle’.  In  Memoriam  :  conclusion  par  le  vœu  d’une  réconciliation  malgré  les  traits  qui  l’opposent  au  monde  blanc.  Après  s’être  enfermé  il  rejoint  la  foule  (préposition  ‘avec’  en  début  de  vers),  Blancs  et  Noirs  deviennent  ‘frères’.  Towa  ajoute  que  l’accord  conciliant  que  Senghor  veut  bâtir  entre  monde  noir  et  monde  blanc  découle  de  son  amour  égalitaire  des  deux  mondes.  Poème  liminaire  :  affirmation  de  son  amour  pour  la  France.  Prière  de  paix  :  appel  à  Dieu  pour  pardonner  à  l’Europe  blanche  qui  a  attaqué  l’Afrique  et  l’a  défigurée,  jeu  récrimination-­‐pardon.  Le  pardon  est  préférable  au  combat.  

2)  L’amour  de  la  culture  occidentale Il  aime  cette  culture  et  s’en  imprègne.  Son  éducation  est  chrétienne,  son  instruction  française.  Il  loue  particulièrement  la  langue  française  :  entretien  de  1977  ‘Le  français  est  une  langue  idéale  de  communication  internationale.  Pourquoi  ?  A  cause  de  sa  clarté,  à  cause  de  sa  cohérence,  à  cause  de  sa  logique.  A  cause  de  sa  clarté  d’abord,    cause  de  son  vocabulaire  dont  la  majeure  partie  vient  du  grec  et  du  latin.  A  cause  de  l’ordre  des  mots  dans  la  phrase  qui  est  un  ordre  logique  […]  A  cause  de  la  précision  du  vocabulaire,  mais  à  cause  aussi  de  son  rythme.  On  a  dit  que  c’est  une  langue  sans  rythme,  c’est  une  erreur.  C’est  une  langue  qui  n’est  pas  chantante,  car  le  rythme  du  français  […]  est  un  rythme  d’intensité  […]  C’est  une  langue  monotone  oui,  mais  c’est  peut-­‐être,  pour  moi,  ce  qui  fait  sa  poésie’.  Senghor  est  francophone  et  ne  s’en  cache  pas.  Il  se  sent  à  l’aise  dans  le  monde  culturel  européen.  Lors  de  ses  années  

d’études  il  est  en  contact  direct  avec  cette  culture  :  il  rencontre  Picasso  (cubisme),  Matisse  et  il  s’imprègnent  de  leur  talent,  il  lit  Giraudoux,  Gide,  Péguy,  s’intéresse  à  la  langue  de  Rimbaud,  Hugo,  Saint-­‐John  Perse,  Claudel  pour  établir  la  sienne.  Il  s’intéresse  à  la  civilisation  gréco-­‐latine.  Que  m’accompagnent  koras  et  balafong  rappelle  la  mythologie  romaine  à  allure  épique  :  ses  ancêtres  Mandingues  sont  vaincus  par  les  Peuls  et  partent  fonder  Djilor  (Enéide).  

 

III]  Senghor  cherche  à  fonder  une  civilisation  de  l’universel  

1)  La  complémentarité  des  deux  mondes Senghor  est  convaincu  de  la  complémentarité  des  deux  mondes  :  chacun  peut  apporter  à  l’autre  et  permettre  la  réalisation  de  toute  la  condition  humaine.  L’Afrique  apporte  à  l’Europe  dans  le  domaine  des  arts,  l’Europe  apporte  sa  langue  de  gentillesse  et  d’honnêteté  que  les  poètes  de  la  négritude  transforment  en  instrument  de  la  négritude.  La  raison  hellène  contre  l’émotion  nègre.  La  négritude  n’est  pas  que  l’enracinement  dans  les  valeurs  passées  mais  aussi  la  contribution  au  monde  de  l’universel,  à  forger  le  monde  futur.  Il  s’agit  de  réintégrer  l’Afrique  dans  l’humanisme  occidental  qui  l’en  exclu.  L’Occident  est  nécessaire  pour  ses  techniques  indispensables  au  développement  humain.  La  sensibilité  et  la  simplicité  des  peuples  africains  manquent  à  la  civilisation  européenne  artificielle.  A  New-­‐York  :  réciprocité  de  la  relation.  ‘Aujourd’hui  nous  allons  dans  le  sens  d’une  civilisation  panhumaine,  où  tous  les  continents,  toutes  les  races,  toutes  les  civilisations  apportent,  chacun,  sa  contribution.  A  ce  rendez-­‐vous  ‘du  donner  et  du  recevoir’  pour    employer  une  expression  d’Aimée  Césaire  […]  les  Africains  auront  beaucoup  appris  de  l’Europe,  mais  ils  apporteront,  en  contre-­‐partie,  quelque  chose  de  nécessaire  :  quelques  vertus,  irremplaçables’  (Mohamed  Aziza  La  poésie  de  l’action,  conversation  avec  Léopold  Senghor).  

2)  Un  monde  métis Le  monde  idéal  est  métis  ‘nous  sommes  tous  des  métis  culturels’  clame  le  poète,  ‘j’avais  découvert  que  c’était  le  miracle  du  métissage  biologique  mais  surtout  culturel  qui  avait  créé  la  civilisation  grecque  comme  auparavant  la  civilisation  égyptienne’.  Toutes  les  grandes  civilisations  sont  métisses,  le  métissage  est  facilité  par  les  évolutions  techniques  et  la  facilité  des  voyages.  Sa  poésie  est  celle  du  voyage  et  transgresse  les  frontières  :  elle  nous  mène  en  Afrique,  en  Amérique  et  en  Europe,  elle  permet    un  va-­‐et-­‐vient  entre  Afrique  et  Occident.  La  francophonie  exalte  la  négritude  :  être  mieux  compris,  relever  l’art  africain  au  même  statut  que  l’art  occidental.  L’Elégie  pour  la  reine  de  Saba  :  communion  entre  Salomon  et  la  reine,  entre  l’Europe  et  l’Afrique,    cette  communion  c’est  la  civilisation  idéale  :  la  civilisation  métisse,  la  reine  représente  la  figure  de  la  négritude  qui  possède  le  poète  occidentalisé  et  qui  entretien  le  regret  de  l’Afrique  tout  en  incarnant  l’amour  qui  le  pousse  vers  l’autre,  la  sympathie  naturelle  qui  s’offre  au  contact  du  Blanc,  un  mariage  pour  la  création  de  ce  nouveau  monde.  Ce  métissage  culturel  doit  même  être  dépassé  pour  atteindre  un  métissage  biologique.  P.375  Dialogue  sur  la  poésie  francophone.  

3)  Senghor  modèle  de  ce  métissage Africain  ayant  toujours  affirmé  son  enracinement  dans  les  valeurs  négro-­‐africaines  il  se  considère  franco-­‐sénégalais.  Il  est  converti  au  catholicisme  mais  est  

attaché  aux  traditions  africaines.  Il  assume  donc  sa  part  européenne  ce  qui  d’ailleurs  lui  a  valu  des  critiques  :  on  l’a  dit  hypocrite  envers  l’assimilation  qu’il  rejette.  Il  s’affirme  nègre  en  tant  qu’emblème.  Sa  poésie  investit  l’espace  européen,  la  langue  française  en  manifestant  l’Afrique  dans  son  étendue  :  ‘J’écris  en  français  parce  que  je  pense  en  français.  Si  mes  sentiments  restent  toujours  des  sentiments  négro-­‐africains,  l’expression  naturelle  chez  moi,  c’est  en  français’  (interview  de  1974),  A  New-­‐York.  Il  refuse  le  choix  et  abolit  les  frontières.  On  peut  y  voir  le  va-­‐et-­‐vient  mental  entre  ces  deux  espaces.  Son  universalité  est  marquée  par  le  métissage  des  langues  (accroches  des  poèmes,  mots  africains,  lexique).  Il  revendique  son  métissage.    

 

L’Occident  fait  partie   intégrante  de  Senghor  autant  que  l’Afrique.  Senghor  cherche  à  unifier  ce  qui   est   divisé.   Son   humanisme   est   fondé   sur   le   dialogue   des   cultures   pour   contribuer   à   la  création  de  l’universel.  Jean  Godefroy  Bidima  dans  L’Art  négro-­‐africain  s’oppose  à  cette  thèse  :  ‘la   civilisation  de   l’universel  ne  peut  être  que   fictive   car   il   n’y  a  pas  d’Afrique  avec  une   culture  mais  avec  des   singularités’.  De  plus  Senghor  est   critiqué  par   son  statut   social  :   il   fait  partie  de  l’élite  et  participe  à  une  contestation  acceptée,  réduite  (son  pardon),  livresque  (poèmes).  

 

L’INITIATION      Initiation  vient  du   latin   initiare   qui   signifie   «  initier  »,   qui   vient   lui-­‐même  de   inire  «  pénétrer  dans  ».    Le  Nouveau  Littré  :  «  Relig.  Chez   les  anciens,  action  d’initier  aux  mystères,  c’est-­‐à-­‐dire  d’introduire  à  la  connaissance  et  à  la  participation  des  mystères  ;  cérémonie  qui  accompagnait   cette   action.   En   Afrique   noire,   l’initiation   était   un   rite   traditionnel  pratiqué  à  l’adolescence  et  terminé  par  la  circoncision  ou  l’excision,  marquant  l’entrée  dans  le  monde  adulte.  »    Dans  les  sociétés  africaines  traditionnelles,  les  rites  d’initiation  sont  très  importants.      I  –  L’initiation  dans  les  sociétés  africaines  traditionnelles    Il   s’agit   plus   précisément   d’un   changement   de   statut   d’un   individu   humain   par  rapport  à  la  communauté  dans  laquelle  il  vit  et  où  il  doit  s’intégrer  (particulièrement  passage  des  mâles  de  l’enfance  à  l’état  adulte).    Les   rites   de   passage,   dans   les   sociétés   traditionnelles,   tels   que   l’ethnologie   les  décrit,  comprennent  des  éléments  invariants  :    

Ø Les   jeunes   hommes   sont   écartés   du   groupe   et   réunis   dans   un   lieu   où   ils  seront  seuls  =  mort  symbolique.  Rupture  d’avec  le  monde  profane  quotidien.  

 Ø Ils   reçoivent   un   enseignement   qui   leur   permet   de   comprendre   leur   place,  

celle  du  groupe  dans   l’univers,   et  de  connaître   ce  qui  est  nécessaire  pour  y  agir.  

   Ø Ils   subissent   ensuite   une   série   d’épreuves   qui   permettent   d’apprécier   leur  

maturité  morale   et   leurs   capacités   physiques   =   résurrection   symbolique.  Accession  à  un  statut  supérieur,  agrégation  à  la  communauté.  

 Ø Le  changement  radical  d’état  est  inscrit  dans  le  corps  (tatouages,  scarification,  

circoncision…)  et  dans  le  langage  (adoption  d’un  nouveau  nom).    L’initiation  des  filles,  beaucoup  plus  sommaire,  moins  ritualisée,  comporte  au  moins  l’apprentissage  de  la  maternité,  plus  rarement  celui  de  la  sexualité,  qui  est  entourée  d’interdits.  Elle  peut  se  clore  par  l’excision.    Dans  tous  les  cas,  le  rituel  comporte  une  séparation  avec  l’ordre  ancien,  l’enfance,  puis  une  période  plus  ou  moins  longue  d’isolement  et  enfin  une  intégration  dans  le  nouvel  ordre,  qui  correspond  pour  l’initié  à  une  nouvelle  naissance.    Initiation  =  «  épreuve  destinée  à  transformer  l’être  "naturel"  de  l’individu  en  un  être  "social",   en   manifestant   son   désir   d’intégration   et   son   endurance  »   (Durkheim,  sociologue)    II  –  L’initiation  chez  Senghor    

Sérères  =  un  des  quatre  groupes  ethniques  les  plus  importants  du  Sénégal  (avec  les  Wolofs,  les  Peuls  et  les  Toucouleurs).  

Société  matrilinéaire  :   Senghor   vit   avec   sa  mère,   le   chef   de   famille   est   son   oncle  maternel   (Waly   Bakhoum).   Il   tient   le   rôle   du   père   dans   l’enfance   de   Senghor.  Pendant   les   7   premières   années   de   sa   vie,   Senghor   =   Sédar   Gnylane.   SÉDAR   =  prénom   sérère,   surnom,   sobriquet   «  qui   n’a   pas   honte  »,   «  impudent  »,   «  sans  vergogne  ».  Surnommé  ainsi  car  enfant  chétif  :  humour.  GNYLANE  =  prénom  de  sa  mère.  

Toute  sa  première  éducation  échappe  à   l’influence  de  son  père.  C’est   le  frère  de  sa  mère  qui  fait  la  première  éducation  de  Senghor  :  éducation  morale  et  religieuse  dans  un  esprit  animiste,  éducation  aux  choses  de  la  nature.  Senghor  garde  les  troupeaux  et  explore  la  nature  avec  son  oncle,  qui  répond  à  la  curiosité  de  l’enfant  par  un  code  élaboré  pour  ne  pas  trop  lui  en  révéler  (sorte  de  pré-­‐initiation).  

«  Chant  de  l’initié  »  p.  197  

Alioune   DIOP   :   (10   janvier   1910,   Saint-­‐Louis   du   Sénégal   -­‐   2   mai   1980,   Paris)   est   un  intellectuel  sénégalais  qui  a  joué  un  rôle  de  premier  plan  dans  l'émancipation  des  cultures  africaines,  fondant  notamment  la  revue  Présence  africaine.  Entre  1947  et  1960,  on  trouvera  12  fois  la  signature  de  Léopold  Sédar  Senghor  dans  la  revue  Présence  Africaine.  

Découpage  des  parties  en  fonction  des  instruments  important  et  très  significatif.  

• Versets  1  à  14  :  Découverte  et  communion  avec  la  nature  =>  champ  lexical  de  la  nature  ;  champ  lexical  de  la  lumière  =  connaissance.    

• Versets   15   à   27  :   Epreuves   initiatiques   =>   rythme,   nature   dangereuse   et  aggressive  

• Versets  28  à  fin  :  Résurrection  =>  note  plus  joyeuse  et  vivante  du  xylophone  

Léo.  car  «  lion  »  en  latin,  et  prénom  sérère  de  son  père  (Basile  Diogoye)  signifie  Lion.  Lion  présent  sur  les  armes  de  la  République  du  Sénégal.      «  Elégie  des  Circoncis  »  p.  205    Explication  du  poème  Wolof  :  La  circoncision  est  un  moment  important  du  jeune  garçon   sénégalais.  Dans   la   religion  musulmane,   la   circoncision  des   jeunes   garçons  est   une   obligation.   Mais   cette   pratique   existait   bien   avant   l'arrivée   de   l'Islam   au  Sénégal.  C'était  également  une  pratique  animiste.  Une  fois  la  circoncision  effectuée,  les  enfants  revêtent  alors  la  tunique  et  le  bonnet  blancs  traditionnels  des  circoncis.      

• Champ   lexical  de   l’enfance   lié  à  celui  de   l’innocence  :  l’enfant  est  naïf  et  innocent,  ignorant.  Il  arrive  à  un  âge  où  les  mystères  doivent  lui  être  révélés.  

• Champ  lexical  de  la  mort  vue  comme  une  nécessité  • Initiation  :  connaissance  et  révélation  • Verset  34  :  opposition  entre  Royaume  d’Enfance  et  âge  adulte  

 A   la   lecture  de  ces  deux  poèmes,  nous  voyons  donc  que  Senghor,  dans   la   tradition  animiste  des  Sérères,  a  subi   les  épreuves  de   l’initiation  traditionnelle,  qui  s’achève  avec   la   circoncision   et   l’adoption   d’un   nouveau   prénom.   Toutefois,   nous   pouvons  considérer  que  Senghor  a  subi  un  autre  type  d’initiation  quand  il  a  été  envoyé  par  son   père   chez   l’un   de   ses   amis   en   pension   à   Joal   et   sous   la   tutelle   du   curé   de   la  Mission  catholique  de  Joal.  En  effet,  cette  année  de  pension  constitue  également  une  étape  d’isolement  destinée  à  apprendre  au   jeune  Senghor   la  discipline,   le   contrôle  de  soi  et  les  règles  de  politesse,  pour  s’intégrer  dans  le  monde  Occidental,  comme  il  va  très  bien  le  faire.    

Le  sang  chez  Senghor  

 Le   sang   est   partout   tout   en   étant   nulle   part  :   il   n’est   pas   l’objet   central   des  

poèmes,  et  pourtant  on  en  compte  132  occurrences.  Senghor  veut  faire  résonner  le  sang  à  nos  oreilles.  Pourquoi  une  telle  obsession  du  sang  ?  Que  signifie-­‐t-­‐il  ?    I. Le  sang  qui  coule,  associé  à  la  souffrance  et  la  mort.  

 �  Le  sang  coule  abondamment,  il  fait  même  couler  le  sien  propre  =  expression  de  la  souffrance  du  poète.  C’est  la  démonstration  de  la  difficulté,  de  la  frustration,  face  à  la  femme   notamment   («  Champ   d’ombres  »).   Le   sang   qui   coule   est   aussi   une  démonstration  de  la  violence  de  la  guerre.  P.  38  :  «  l’odeur  vineuse  du  sang  ».  P.  66  :  «  éclaboussant  de  sang  de  cervelle   les  murs  noirs  ».  Cf.   tirailleurs  sénégalais  morts  pour  la  France.  Le  sang  est  aussi  associé  à  la  mort.    �   Un   sang   qui   dénonce   les   horreurs   de   la   guerre,   mais   connotation   positive  également  :  il  devient  don,  voire  sacrifice  expiatoire.  «  Osti  noir  »  :  «  Non  vous  n’êtes  pas   mort   gratuits  ».   Ce   don   appelle   la   renaissance   et   l’espoir.   Référence   au  Christ  dans  la  description  d’un  syndicaliste  noir  qui  verse  son  sang  pour  racheter  les  fautes  de  ses  semblables.  Le  sang  coule,  mais  pas  en  vain.      II. Le  sang  qui  boue  :  la  manifestation  du  vivant.  

 �   Le   sang   intérieur  est  manifestation  de  vie  :   il   fait  de  nous  des  hommes  et   fait   se  manifester  nos  émotions.  C’est  le  battement  mystérieux  de  nos  vies.  P.  41  :  l’émotion  du  départ  mêlée  à  la  peur  («  le  hennissement  sifflant  de  mon  sang  qui  se  souvient  »).  Une  manifestation  du  désir  :  «  mon  sang  chuchote  malgré  moi  ».  �   Le   sang   est   un   être   à   part   entière,   qui   a   sa   liberté   propre  :   un   animal,   un  compagnon.  Le  sang  est   le   totem  de   l’Africain   (=  un  gardien).  Le  sang  est  donc  un  principe  vital  et  supérieur,  associé  à  la  sève  (p.  177).    �  Une  connotation  positive,  mais  Senghor  ne  chante  pas  n’importe  quel  sang  :  le  sien  et  celui  de  ses  frères,  donc  le  sang  noir.    III. Le  sang  noir.  

 �   Importance   des   ancêtres   dans   la   culture   africaine  :   ils   vivent   à   l’intérieur   des  vivants  et  se  manifestent  par  les  battements  du  cœur.  Senghor  se  bat  pour  garantir  la  noblesse  du  sang  noir.  Le  sang  est  en  effet  sombre  :  «  écoutons  battre  notre  sang  sombre  ».    �   Revalorisation   profonde   de   la   couleur   noire,   à   travers   le   sang  :   c’est   un   raz-­‐de-­‐marée,   un   jaillissement.   A   la   page   288,   Senghor   demande   à   ce   qu’on   protège   son  sang  :  il  revendique  son  appartenance  noire.    �  Dans  «  A  New  York  »,  on  retrouve  l’idée  du  sang  qui  bat.  Le  sang  est  possédé  par  le  génie   du   rythme,   il   devient   chant   (assimilation   aux   tam-­‐tam).   Symbiose   entre   le  corps  et   le   langage  :   la   langue  est  matérielle,   elle   est   faite  de   chair   et  de   sang.  Les  mots  sont  de  la  même  matière  que  Senghor.    

Le  sang  est  une  présence  sacrée  qu’on  trouve  en  filigrane  dans  toute  l’œuvre  de  Senghor,   à   travers   le   vocabulaire   et   le   rythme.   C’est   l’expression   même   de   sa  négritude   et   de   son   appartenance   au  monde   noir.   Le   sang   est   une  métaphore   de  l’Afrique  :  un  entrelacement,  une  intercommunication  entre  le  sang  de  Senghor  et  le  sang  de  sa  terre  natale.      

La  couleur  chez  Senghor    

Elle   est   extrêmement   présente   dans   l’œuvre   de   Senghor.   Cette   diversité   de  couleur  ne  traduit-­‐elle  pas  un  langage  universel  ?      I. Une  poésie  aux  multiples  teintes.  

 a) L’objet  et  la  couleur.    

�  «  Le  poète  n’a  pas  à  nous  traduire  une  couleur  mais  à  nous  faire  rêver  la  couleur  »  (Bachelard).   La   couleur   qualifie   l’objet   chez   Senghor,   mais   elle   va   jusqu’à   le  transcender  pour  lui  donner  vie.    �   Le  bleu   renvoie  à   la   transparence  et   au   rêve.  Pas  de  monochromie,   il   est  mêlé  à  d’autres   teintes   (vert,   gris,   violet).   La   couleur   bleue   est   également   associée   à   des  objets   intrigants   (l’ombre,   la   forêt),   à   la  mémoire  de   la  nuit.   Senghor   joue   sur   son  intensité  et  son  éclat  :  il  peut  être  vif  ou  plus  doux,  clame.  P.  235  :  «  car  je  ne  pense  pas,  mes   yeux  boivent   le   bleu   rythmique  »  :   la   couleur   est   substantivée   et   devient  liquide  (=  la  poésie  matérialise  le  bleu).    �  Le  rouge  traduit   le  sang,   le  cœur,   la  vivacité  :  «  je  viens  t’offrir   l’offrande  de  mon  amour  printanier,   il   est   rouge…  ».   Le   rouge  est   également  un  pays  entier  puisqu’il  qualifie  l’Afrique  même.  C’est  une  couleur  criarde,  sanglante,  violente,  alarmante.    �   Parfois,   omniprésence   d’une   couleur   sans   qu’elle   ne   soit   citée  :   la   couleur   jaune  dans   «  Ethiopique  »   (sable   /   paille   /   étoiles   /   or).   Les   teintes   sont   multipliées   et  nuancées  par  l’accumulation  d’images.  �   Une   couleur   également   envisagée   dans   sa   pluralité  :   un   auteur   multicolore  (mélange  du  jaune,  du  bleu,  du  vert  et  du  blanc  dans  «  Ethiopique  »).    b) Le  corps  et  les  couleurs.  

 �   Sublimation   des   visages   et   des   corps   par   l’intermédiaire   de   la   couleur.   Senghor  s’attache  à  décrire  les  yeux,   la  bouche,   le  front  et  les  yeux.  Cf.  La  beauté  seereer,  du  modèle  mythique  au  motif  poétique,   d’Amade   Faye  :   Senghor   se   base   effectivement  sur  des  critères  de  beauté  typiques  de  la  culture  seereer.    �  «  Femme  noire  »  :  un  éloge  de  la  femme  noire,  vêtue  de  sa  propre  couleur,  qui  est  vie.  La  couleur  sublime  le  personnage.    �   P.   224,   éloge   d’une   athlète  :   jambes   d’olive   (coloration   faite   par   les   objets)  comparées  aux  jambes  d’albâtre  des  femmes  blanches  (moins  élégantes).    �  Même  la  voix  est  teintée  :  «  ta  voix  de  bronze  et  de  roseau  ».  

 II. La  couleur,  miroir  de  l’intériorité  du  poète.  

 a) Un  poète  peintre  de  la  couleur.    

�   La   couleur   est   mélodie   mais   également   symbole  =   l’expression   concrète   des  sentiments  du  poète  (cf.  amour  de  Senghor  pour  la  poésie).  �   Une   rencontre   très   importante   dans   sa   vie  :   Chagall.   Véritable   fraternité   d’âme  entre  le  poète  et  le  coloriste.  «  Ce  peintre  a  su  faire  chanter  la  couleur  »  :  Senghor  fait  de  même  dans  sa  poésie,  elle  est   le  reflet  du  monde  tel  que   le  ressent   le  poète.  Cf.  «  New  York  »  :  une  évocation  du  ressenti.    La   poésie   senghorienne   possède   une   dimension   picturale  :   l’oreille   du   poèe   fait  corps  avec  l’œil  du  peintre.  Cf.  «  Femme  noire  »  =  sublimation  de  la  couleur  noire.  La  poésie  est  visuelle,  colorée  avant  tout.    b) Des   couleurs   symboliques   associées   à   différents   sentiments   ou  états  du  poète.  

 �  Cf.   la  madeleine  de  Proust  :   les  couleurs  comme  un  moyen  de  remémoration  des  souvenirs.    �   La   couleur  noire   est   le   Fil   d’Ariane  de   l’œuvre,   elle   lie   les  poèmes  entre   eux.  En  Occident,   le   noir   est   considéré   comme   une   non-­‐couleur   et   est   connoté  négativement  :   l’autorité,   la  mort,   le  mal.  Senghor  s’attache  au  contraire  à   l’exalter.  «  La  couleur  noire  est   la  couleur  de  référence  de   l’homme  noir  »  (Marie-­‐Madeleine  Marqué).   Le   noir   représente   le   souvenir   de   l’Afrique  :   il   renverse   les   codes   en  l’associant    la  vie.  «  Nocturne  »  :  «  il  était  noir…  il  était  doux…  il  était  beau  ».    �  Le  noir  est  la  couleur  de  la  nuit  et  de  l’Afrique  :  c’est  la  couleur  de  la  mélancolie  et  de   la   solitude   («  lettres   d’hivernage  »  :   «  nuits   d’angoisse  »).  Mais   les   angoisses   du  poète  sont  aussi  matérialisées  par  le  blanc  :  pas  de  chaleur.  �   La   couleur   bleue   est   souvent   associée   à   la  mort.   Cf.   «  La  mort   et   la   princesse  ».  Donc  gradation  :  évocation  du  souvenir  de  l’Afrique,  puis  angoisse  et  enfin  référence  à   la  mort.  Dans   chaque   culture,   toute   couleur   est  dotée  d’une  double   connotation,  bénéfique  et  maléfique.    �   Les   couleurs   sont   le   reflet   de   l’intériorité   de   Senghor.   Le   blanc   et   le   gris   sont  surtout   les   couleurs   de   la   France,   du   ciel   parisien,   du   brouillard,   alors   que   les  couleurs  chaudes  renvoient  à  l’Afrique.      III. Nuances  de  sens  et  double  culture.  

 a) Des  nuances  de  teinte.  

 �  Le  poète  n’imite  pas   les   teintes   réelles  de   la  nature.  De  nombreuses  nuances.  Cf.  «  Elégie  pour  une  reine  de  Sabbat  »  dans  l’évocation  de  la  peau  noire  de  la  femme  =  une  couleur  qui  reflète  la  lumière.    

�  Différentes   teintes  de  bleu  :   clairs  pour   faire   référence   au   rêve   et   à   l’imaginaire,  profonds  et  foncés  pour  renvoyer  à  la  terre  natale.      b) Des  nuances  à  l’image  d’une  multitude  de  significations.  

 �   La   couleur   existe   en   elle-­‐même  :   elle   renvoie   à   des   codes,   qui   varient   selon   les  cultures.   Mais   Senghor   appartient   à   deux   cultures   différentes.   L’Afrique   est   un  monde  coloré,  rose  et  vert.  Le  vert  est  un  symbole  de  vie,  de  renouveau  et  d’espoir.  A  l’inverse,  l’Occident  est  un  monde  terne  et  angoissant  (gris).    �  Le  noir  représente  l’homme  noir  et  la  conception  de  Senghor  s’oppose  à  la  vision  occidentale.   Il   est   source   de   lumière   et   de   vie.   A   l’inverse,   le   blanc   est   associé   à  l’Occident   et   au   souvenir   de   la   colonisation.   Cf.   «  Champ   d’ombre  »  :   «  les   mains  blanches  ».  La  neige  est  assimilée  à  une  «  mort  blanche  ».  Dans  la  culture  africaine,  le  blanc  est  la  couleur  de  la  mort,  du  sacrifice  et  du  veuvage.    �  Parfois,  des   images  assez  étonnantes  pour  un  poète  africain  :  «  Neige  sur  Paris  ».  Cette   neige   évoque   la   paix   et   le   pardon   =   valeur   positive   de   bonté   qui   témoigne  d’une  double  culture  africaine  et  occidentale.  De  même  dans  «  Lettres  d’hivernage  »  =  une  couleur  vaporeuse  et  légère.    �   La   couleur  or   se   retrouve  dans  une  association   traditionnelle  de   la   femme  à   ses  bijoux  :  les  bijoux  illuminent  la  peau  de  la  femme  noir.  L’or  est  aussi  lié  au  cycle  de  la  fécondité.  C’est  également,  comme  en  Occident,  la  couleur  de  la  richesse  :  «  le  roi  de  l’or,  qui  a  la  splendeur  du  Midi  »  =  puissance,  victoire.  Le  rouge  est  aussi  la  couleur  du  triomphe,  de  même  que  celle  du  sang.    �   Le   bleu,   à   l’image   du   blanc,   est   la   couleur   de   la   mort.   C’est   aussi   un   moyen  d’opposer  l’homme  blanc  à  l’homme  noir  (l’homme  occidental  est  représenté  blond  aux  yeux  bleus).    �   Senghor   créé   une  œuvre  métisse,   riche   et   singulière,   un  monde   où   les   couleurs  peuvent  tout  exprimer.      

La   couleur   est   un   langage   universel  :   elle   symbolise   l’objet,   renvoie   à  l’intériorité  du  poète  et  exprime  un  métissage  culturel.  Pas  de  mépris  de   l’homme  blanc  même   si   éloge   de   la   couleur   noire.   «  Poème   à  mon   frère   blanc  »  :   «  alors   de  nous  deux,  qui  est  l’homme  de  couleur  ?  ».    

La  stylistique  chez  Senghor    è  Musicalité.    

Un  musicien  des  mots,  qui  accorde  une  grande  importance  à   la  musicalité  et  à  l’oralité.  Le  rythme  demeure  un  problème  :  on  le  trouve  dans  la  construction  même  du   verset,   mais   aussi   dans   l’emploi   instinctif   de   certaines   figures   de   langage  :  allitérations,  assonances,  homéotéleute.    

Senghor  élit  un  certain  nombre  de  figures  de  style  pour  en  faire  les  principes  de  base   de   sa   poétique.   En   choisissant   le   verset,   il   élimine   la   rime   comme   scansion  

sonore.  Il  va  donc  rapatrier  la  musicalité  à  l’intérieur  du  vers.  Le  rôle  de  la  rime  va  donc   être   suscité   par   des   échos   internes   que   Paul   Valéry   appelait   des  «  intrasonnances  ».    

Une   figure   majeure   chez   Senghor,   la   paronomase   (réunir   dans   une   même  expression  deux  mots  de  sens  différent  ou  opposé  mais  dont  le  son  est  très  proche).  Ex  :  dans  «  In  memoriam  »,   la  paronomase   le  sauve  de  sa  séparation  avec   l’Afrique  («  jusqu’en  Sine  jusqu’en  Seine  »)  =  deux  lieux  éloignés  géographiquement  qui  sont  réconciliés   par   le   pont   des   sons.   D’autres   exemples  :   «  jeune   fille   jeune   fleur  »   /  «  sans  erg  sans  herbe  »  /  «  quand  la  pensée  dérive  et  que  délire  l’âme  ».  Il  s’agit  ici  pour  Senghor  de   rendre   les  mots  productifs  par   leur   son,   comme  s’il   contenait  un  savoir  autant  que  leur  sens.    

Importance  des  allitérations  :  retour  multiplié  d’un  son  identique  pour  produire  une   chambré   d’écho   et   faire   résonner   un   texte.   Consonnes   liquides  :   p.   16,   «  voici  que  décline  la  lune  lasse  vers  son  lit  mer  étale  ».  Consonnes  sifflantes  :  p.  196,  «  ma  poitrine   qui   siffle   comme   un   serpent   noir  ».   Abondance   également   de   consonnes  fricatives  et  dentales  (p.  106,  «  Tamtam  toi  toi  tamtam  des  bonds  de  la  panthère  »).  L’harmonie  consonantique  est  déterminante  chez  Senghor.  

Il  s’agit  de  créer  des  regroupements  sonores.  Chaque  poème  possède  une  note  dominante   autour   de   laquelle   se   regroupent   d’autres   éléments.   Senghor   confie   la  conduite  du  poème  à   la  mélodie,  ainsi  que  son  sens  même  (musicalité  =  maîtresse  du  sens).  Il  y  a  chez  Senghor  un  frémissement,  un  murmure  créé  par  cette  musicalité.      è  Africanisation  de  la  langue  française.    

Refus  d’un  certain  nombre  d’éléments   (ex  :  prépositions),   volonté  de  briser   la  phrase   française  :   p.   206,   «  que   meure   le   poème   se   désintègre   la   syntaxe,   que  s’abîment   tous   les  mots  qui  ne  sont  pas  essentiels  /  Le  poids  du  rythme  suffit,  pas  besoin  de  mots-­‐ciment  ».  Les  langues  romanes  sont  dites  agglutinantes,  c’est-­‐à-­‐dire  scellées  par  des  mots-­‐outils  qui  ne  font  pas  sens  par  eux-­‐mêmes.  Senghor  choisit  de  les  supprimer  et   fait  s’accoupler   les  mots  selon   la  brachylogie  (=   langage  court).   Il  appose  les  mots,  les  rassemble  de  façon  très  intensive.  P.  174,  «  la  canonnade  colère  de  Dieu  »  +  p.  180,  «  une  fille  cheveux  fous  »  +  «  le  sang  lait  ».    

Ellipse   des   coordonnants   grammaticaux   de   la   langue   française  :   les   mots  flottent   librement   sans  pronom  personnel   («  pour   tes   longues   jambes  olive   t’avais  élue  »),  sans  prépositions,  sans  déterminant,  parfois  même  sans  verbe  =  abondance  de  la  phrase  nominale  (p.  214  :  «  et  de  tendres  antilopes  aux  yeux  de  nuit  »  +  p.  216  :  «  pour   qui   l’éloge   et   l’épopée  ?   »).   Senghor   insuffle   un   esprit   africain   à   la   langue  française,  pour  la  rendre  moins  analytique  et  cartésienne.    

Le   lexique  de  Senghor   suit  pourtant   le   chemin   inverse  de   la   syntaxe.   Senghor  enlève  ce  qui   lie   les  mots  entre  eux,   il  allège   la  syntaxe,  mais   il  enrichit  et  alourdit  son   vocabulaire   (d’où   la   nécessité   d’un   petit   dictionnaire   placé   en   fin   de   recueil).  Abondance  des  mots  empruntés  aux   langues  africaines  Wolof,   Seereer,   etc.,   ce  qui  peut   rendre   les   choses   obscures   et   nuit   à   l’immédiateté   de   la   poésie   (en   cela   il  s’inscrit   dans  une   tradition  de   l’hermétisme  qu’on   trouve   aussi   chez  Mallarmé  :   le  lecteur  doit  collaborer,  apporter  sa  part  de  sens).  P.  143  :  il  s’agit  de  rendre  la  parole  

«  à   la   langue   de  ma  mère,   au   crâne   de   l’Ancêtre,   au   tamtam   de  mon   âme  ».   Dans  l’africanisation  des  mots,  Senghor  cherche  à  retrouver  un  vibrato  intérieur.    

Les   mots   africains   ont   une   valeur   musicale,   euphonique  :   même   s’il   s’inscrit  dans  la  langue  française,  Senghor  parvient  malgré  tout  à  s’en  éloigner  et  à  se  trouver  au  plus  près  de  soi.  Des  néologismes  :  p.  197,  «  élémentale  »  ≠  élémentaire.