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La Haine et la Sambre 57 Mise en place des paysages La mise en place des paysages de la Haine et de la Sambre Ce chapitre s’appuie sur la première partie de l’Atlas, intitulée « Les paysages de Wallonie ». Plutôt que de reconstituer l’histoire de l’ensemble de la Haine et de la Sambre, il s’agit de déterminer comment, pourquoi et dans quelle mesure le passé a imprimé sa marque sur les paysages actuels. Les processus de création et d’évolution des entités urbaines et industrielles caractéristiques d’une grande partie de l’ensemble font l’objet d’une attention particulière. Un premier maillage routier hérité de l’époque romaine L’occupation humaine est établie dès la préhistoire. Les puits d’extraction de silex de Spiennes – et les échanges com- merciaux qui en découlent – le démontrent. Ces exploitations, préservées mais invisibles, n’influencent guère le paysage si ce n’est à travers les nombreux déchets de taille qui jonchent les champs des environs. Les premières traces paysagères bien visibles d’une occupation humaine remontent à la période romaine : trois tronçons de chaussée romaine traversent l’ensemble. Ces voies partent de Bavay (situé juste au sud de l’ensemble) sous forme d’un réseau étoilé. La plus importante route, qui relie Bavay à Tongres (implantation sud-ouest – nord-est), fut vraisemblablement créée sous Auguste. Les autres tronçons plus modestes et orientés nord-sud joignent Bavay à Asse et Bavay à Blicquy. Maillon du réseau routier principal qui dessert tout l’empire, la chaussée romaine a un but à la fois militaire et administratif. Elle assure le transport des armées mais aussi celui des marchandises, du ravitaillement ou encore du courrier. L’utilisation quasi continue de ces chaussées au cours des siècles a permis de maintenir l’essentiel de leur tracé, qui se distingue par son caractère rectiligne. Elles apparaissent aujourd’hui sous différentes formes : route nationale, chemin de terre ou pavé... Divers toponymes permettent encore de les repérer, notamment celui de « Chaussée Brunehaut », du nom de cette reine mérovingienne d’Austrasie (534-613) à qui les traditions médiévales ont attribué les chaussées. La ligne droite est généralement carac- téristique des voies romaines, lorsque le permet la topographie. A Gouy-lez-Piéton, son tracé épouse la ligne de crête et permet des vues longues sur les environs.

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Mise en place des paysages

La mise en place des paysages de la Haine et de la Sambre

Ce chapitre s’appuie sur la première partie de l’Atlas, intitulée « Les paysages de Wallonie ». Plutôt que de reconstituer

l’histoire de l’ensemble de la Haine et de la Sambre, il s’agit de déterminer comment, pourquoi et dans quelle mesure le

passé a imprimé sa marque sur les paysages actuels.

Les processus de création et d’évolution des entités urbaines et industrielles caractéristiques d’une grande partie de

l’ensemble font l’objet d’une attention particulière.

Un premier maillage routier hérité de l’époque romaine

L’occupation humaine est établie dès la préhistoire. Les puits d’extraction de silex de Spiennes – et les échanges com-

merciaux qui en découlent – le démontrent. Ces exploitations, préservées mais invisibles, n’influencent guère le paysage

si ce n’est à travers les nombreux déchets de taille qui jonchent les champs des environs.

Les premières traces paysagères bien visibles d’une occupation humaine remontent à la période romaine : trois tronçons

de chaussée romaine traversent l’ensemble. Ces voies partent de Bavay (situé juste au sud de l’ensemble) sous forme d’un

réseau étoilé. La plus importante route, qui relie Bavay à Tongres (implantation sud-ouest – nord-est), fut vraisemblablement

créée sous Auguste. Les autres tronçons plus modestes et orientés nord-sud joignent Bavay à Asse et Bavay à Blicquy.

Maillon du réseau routier principal qui dessert tout l’empire, la chaussée romaine a un but à la fois militaire et administratif.

Elle assure le transport des armées mais aussi celui des marchandises, du ravitaillement ou encore du courrier.

L’utilisation quasi continue de ces chaussées au cours des siècles a permis de maintenir l’essentiel de leur tracé, qui se

distingue par son caractère rectiligne. Elles apparaissent aujourd’hui sous différentes formes : route nationale, chemin

de terre ou pavé... Divers toponymes permettent encore de les repérer, notamment celui de « Chaussée Brunehaut »,

du nom de cette reine mérovingienne d’Austrasie (534-613) à qui les traditions médiévales ont attribué les chaussées.

La ligne droite est généralement carac-téristique des voies romaines, lorsque le permet la topographie. A Gouy-lez-Piéton, son tracé épouse la ligne de crête et permet des vues longues sur les environs.

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D’autres éléments plus ponctuels persistent également à proximité : quelques rares tumulus ont été identifiés et un relais

routier, similaire à ceux de Liberchies, Taviers ou Braives répertoriés dans l’ensemble paysager des Plateaux brabançon

et hesbignon, est aussi présent à Waudrez. Ici et là ont été préservés des tronçons de diverticulum, axes secondaires

s’embranchant sur les chaussées romaines principales.

L’époque romaine est aussi l’occasion de défrichements souvent importants dans les environs des chaussées. Une partie

significative de l’ensemble paysager de la Haine et de la Sambre semble déjà déboisée à l’époque. La forêt recule au

profit de l’agriculture.

Une influence monastique continue jusqu’au 18e siècle

Phénomène capital de l’époque mérovingienne, l’évangélisation de nos régions commence dès le Bas-Empire à partir

de Cologne et de Trèves. Il faut néanmoins attendre la seconde moitié du 7e siècle pour voir se concrétiser une série de

fondations monastiques dans les vallées de la Haine et de la Sambre. Ces établissements bénéficient de donations, du

souverain ou de l’aristocratie, qui leur permettent de se développer.

L’essor démographique constaté pour la seconde moitié du 6e siècle et le 7e siècle, dans le bassin de la Haine notam-

ment, y serait lié.

Les pôles d’attraction religieuse sont, quoiqu’il en soit, des lieux de passage importants. Ils sont propices aux échanges

et à la redistribution de marchandises. Le rôle de certains d’entre eux a pu être mis en exergue dans l’apparition progres-

sive d’agglomérations nouvelles à leur proximité. C’est le cas des établissements religieux créés par Sainte-Waudru à

Mons, par Saint-Ghislain à l’endroit du même nom, par Saint-Landelin à Aulne et Lobbes.

Bien qu’il ne faille pas exagérer leur influence dans ce domaine, les fondations monastiques sont également à la base du

défrichement et de la mise en culture d’importantes étendues forestières.

Au fil du temps, les quelques établissements religieux étendent leur influence sur le territoire – ils y ont de nombreux biens

(seigneuries, terres, bois, fermes…) – tandis que de nouvelles fondations monastiques ont encore lieu.

Au 19e siècle, la voie ferrée a transformé considérablement le fond de vallée et mené à la disparition d’une partie des ruines de l’abbaye de Lobbes. Quelques éléments ont néanmoins été préservés, que l’on peut entrapercevoir dans le paysage depuis le pied de la collégiale : la brasserie, la ferme, la grange (1) et les communs (2), actuelle clinique Saint-Joseph. La muraille de l’enclos (3) et la Portelette (4), situés plus au nord (à droite sur la photo), sont masquées par la végétation.

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Mise en place des paysages

Le 18e siècle amène de profondes modifications. Après les premières atteintes au pouvoir de ces établissements reli-

gieux suite aux efforts de sécularisation de Joseph II, la Révolution française a raison de leur emprise sur le territoire. Les

institutions sont démantelées en 1796 et vendues comme biens publics – à l’exception des bois qui restent propriété

nationale – essentiellement à des membres de la bourgeoisie belge et française, pour qui il s’agit d’un bon investissement.

Certains bâtiments sont réaffectés à l’industrie. A Oignies par exemple, une manufacture de glaces s’installe, en 1837,

dans des bâtiments de l’ancien prieuré de Saint-Nicolas et une partie des dépendances conventuelles est transformée

en logements pour les ouvriers.

L’abbaye d’Aulne et dans une moindre mesure l'abbaye de Lobbes, incendiées par les troupes françaises en 1794,

sont des cas particuliers. Leurs ruines trouvent un nouveau sens dans le courant du 19e siècle à travers l’esthétique du

pittoresque. Devenues curiosités et admirées par les artistes et les touristes, ces ruines contribuent à faire de la vallée

de la Sambre et de la bande boisée située au sud de Charleroi un lieu de plaisance, rapidement intégré dans le concept

d’Ardenne touristique qui se développe à partir de 1850.

Origines et développements urbains au Moyen Âge : un réseau de petites villes

Le phénomène urbain médiéval, et tout particulièrement celui de l’espace étudié, a été et reste encore de nos jours un

sujet débattu par les historiens. Cette situation est liée à la rareté des sources disponibles mais aussi à la difficulté qu’il

y a à définir la notion de « ville » pour cette période. De manière générale, la ville médiévale se distingue de l’espace qui

l’environne par la combinaison d’éléments économique, administratif, judiciaire, démographique, mais aussi par l’exis-

tence d’une franchise, d’une enceinte... Elle est également un lieu d’échange, un centre de production.

Précisons que l’ancien Comté de Hainaut a longtemps été présenté par les historiens comme une zone où le phénomène

urbain a été non seulement tardif au regard des autres régions (Flandre, Brabant) mais aussi d’une importance limitée. Le

propos a, au cours des trente dernières années, été largement revu et nuancé, l’historiographie mettant aujourd’hui plutôt

l’accent sur les particularités du phénomène dans l’espace étudié.

Plusieurs entités politiques se partagent l’espace de la Haine et de la Sambre : le Comté de Hainaut (Mons, Binche, Saint-

Ghislain, Le Roeulx), la Principauté de Liège (Thuin) mais aussi le Duché de Brabant et le Comté de Namur. Ce contexte

Source : Carte postale, « Abbaye d’Aulne. Arri-vée du bateau-mouche », Ed. Nels, Bruxelles, série 52, n°27 (date de circulation illisible).

© Thill-Nels / Droits SOFAM - Belgique.

Au début du 20e siècle, un bateau-mouche remonte la Sambre à la bonne saison depuis Charleroi ou Marchienne vers l’abbaye d’Aulne et Thuin pour le plaisir des plaisanciers et des excur-sionnistes.

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politique justifie partiellement certaines créations urbaines et surtout l’élévation de fortifications. Celles-ci sont constituées

au départ de fossés, de talus, de palissades, puis remplacées par de la pierre à partir du 13e siècle. Outre l’aspect défen-

sif, les murailles affirment aussi un statut juridique face au pays environnant.

Mons et Binche, anciens centres domaniaux, deviennent des villes dans le courant du 12e et du 13e siècles dans le cadre

du processus de déploiement urbain observé à vaste échelle dans nos régions à partir du 11e siècle.

Leur évolution est liée à une série de facteurs qui se combinent : la richesse du sol et du sous-sol, le dégagement de

surplus dans l’agriculture permis par diverses innovations techniques, une certaine croissance démographique, l’éclosion

et le développement d’un artisanat urbain accompagné d’exportations, une situation centrale en Europe avec diverses

voies de communication mais aussi et surtout une population ayant exploité ce potentiel favorable.

Ville la plus importante de l’espace étudié au Moyen Âge, Mons connaît une croissance assez rapide. Elle est la capitale

administrative et politique du Comté de Hainaut mais aussi une place de commerce. Son espace urbain se construit en

partie autour de sa fonction de marché. Une approche comparative place Mons au milieu du 13e siècle sur le même pied

que des villes telles que Huy, Namur ou Dinant mais en deçà de Liège ou Tournai. La genèse de Binche est contemporaine

de celle de Mons mais cette ville n’atteindra pas la même ampleur. Le poids urbain véritable du Comté de Hainaut à cette

période semble plutôt se situer en dehors de l’ensemble paysager, à Maubeuge et Valenciennes.

Source : J.M. Duvosquel (1988). Albums de Croÿ, t. XXIV, Bruxelles, Crédit communal, planche 13.

La représentation de Thuin dans les albums de Croÿ (16e – début du 17e siècles) montre la ville haute enserrée dans ses murailles et la ville basse, plus industrieuse, située en dehors de celles-ci, sur la rive droite de la Sambre. On note la présence de nombreuses églises mais l’absence du beffroi qui date seulement de 1639.

Au milieu du 13e siècle, la ville de Thuin, aux confins de la Principauté de Liège, reste encore fort modeste tandis que

Saint-Ghislain et Le Roeulx sont toujours des villages vivant dans le cadre seigneurial. Le processus urbain s’y déploie

progressivement dans les deux siècles qui suivent. L’essor du centre marchand, qui s’était développé au pied de l’abbaye

de Lobbes dans la seconde moitié du 11e siècle, est quant à lui stoppé.

Les 14e et 15e siècles constituent une période de profonds changements sociétaux qui trouvent notamment leur origine dans

un important repli démographique dû aux famines et aux épidémies ainsi que dans les transformations des activités écono-

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N.B. : les données relatives à la population vers 1450 sont extraites de Stabel P. (2008), « Composition et recomposition des réseaux urbains des Pays-Bas au bas Moyen Âge », Crouzet-Pavan E. et Lecuppre-Desjardin E. (2008). Villes de Flandre et d’Italie (XIIIe-XVIe siècle). Les enseignements d’une comparaison, Coll. Studies in European Urban History (1100-1800), Turnhout, Brepols.

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Mise en place des paysages

miques et des flux commerciaux. La période se caractérise aussi par des conflits entre les villes et leur souverain mais aussi

entre les habitants. Néanmoins, les villes répertoriées au sein de l’ensemble paysager, comme la plupart des villes de taille

relativement modeste, semblent résister relativement bien à cette période de crise et à ces conflits, voire à s’en préserver.

L’architecture civile s’y développe comme ailleurs à l’époque. On construit un hôtel de ville, une rue centrale, une grand-

place, des halles, une fontaine... Les silhouettes urbaines, intérieures aux enceintes et qui sont aujourd’hui familières, se

fixent durant cette période.

Saint-Ghislain

Le Roeux

La Louvière

Binche

Thuin

CharleroiChâtelet

Mons

Troubles politiques et création de Charleroi (16e - 17e siècles)

Durant la période moderne, plusieurs crises politiques majeures secouent la région et jouent également un rôle, direct

(destructions consécutives aux combats par exemple, suivies dans certains cas de reconstructions) ou indirect (au niveau

économique notamment), dans le façonnement du paysage actuel.

L’unité, établie par le rassemblement des anciennes principautés médiévales dans l’Etat bourguignon dans le courant du

15e siècle, est considérablement mise à mal par les conflits religieux et la scission en deux entités politiques distinctes

qui en a découlé : les Provinces-Unies au caractère protestant plus poussé au nord (qui correspondent plus ou moins

aux Pays-Bas actuels) et les Pays-Bas à dominante catholique au sud (qui rassemblent l’essentiel de la Belgique et du

Grand-Duché de Luxembourg actuels ainsi qu’une portion du nord de la France à l’exception de la Principauté de Liège).

Les protestants, bien présents dans le Hainaut, s’exilent pour la plupart. Demeurent néanmoins des poches où cette

religion reste vivace, comme dans la région de Dour. Quelques éléments architecturaux isolés (des temples notamment)

témoignent directement de cette présence, qui a perduré jusqu’à nos jours.

De nombreux désaccords dressent également l’un contre l’autre les Pays-Bas et la Principauté de Liège, qui reste indé-

pendante jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. On observe, à l’est essentiellement, une profonde imbrication des territoires

de l’un et l’autre. Cette situation est à l’origine de conflits au niveau politique mais aussi et surtout sur un plan douanier,

et par conséquent économique.

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Représentation des villes en fonction de leur populationau 15e siècle

Villes de Charleroi et La Louvière respectivement apparuesaux 17e et 19e siècles 5

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Enfin, durant cette même période, les Pays-Bas et tout particulièrement la région étudiée deviennent aussi le champ

de bataille des nombreux conflits qui opposent l’Espagne à la France. Les destructions et les pillages sont nombreux.

La frontière est modifiée à plusieurs reprises suite aux différentes pertes de territoire, le plus souvent au profit de la France.

La forteresse de Charleroi est édifiée par l’Espagne à partir de 1666 pour contenir les troupes françaises et de manière

générale, les enceintes gagnent en largeur dans les villes dont les fonctions militaires sont confirmées.

Les fondements d’un paysage industriel (13e - 17e siècles)

Si c’est surtout à partir de la révolution industrielle que le paysage de l’ensemble de la Haine et de la Sambre connaîtra

ses plus importants bouleversements, certaines de ses caractéristiques dans le domaine industriel ont cependant une

origine beaucoup plus ancienne.

L’exploitation de la houille y remonte au Moyen Âge. On extrait le charbon de terre dans les trois bassins (Borinage,

Centre et Pays de Charleroi) d’abord à ciel ouvert puis assez vite par l’intermédiaire de puits. Les exploitations restent

néanmoins très longtemps contraintes par le problème de l’exhaure*. Une solution réellement efficace ne lui sera trouvée

qu’au 19e siècle même si des améliorations apparaissent au fil du temps. Les charbonnages sont donc, tout au long de

cette période, des établissements relativement modestes, le plus souvent exploités en groupe car les investissements et

les risques sont importants.

L’écheveau politique qui caractérise la période constitue aussi une contrainte supplémentaire pour les exploitants, surtout

dans le Pays de Charleroi. Des droits miniers coutumiers différents sont développés : le droit de concession ou d’exploi-

tation du sous-sol est détenu par les seigneurs justiciers dans le Hainaut, par les propriétaires fonciers à Liège.

Le charbon est au départ destiné à la consommation domestique, à l’exportation mais aussi à l’alimentation des forges

des cloutiers et des maréchaux. Ses liens fondamentaux avec les autres secteurs industriels (verrerie, sidérurgie…)

se développent dans la région – surtout à Charleroi et dans ses environs – plus tardivement : la houille n’est utilisée par la

verrerie que dans la seconde moitié du 17e siècle et reste inadaptée pour la sidérurgie jusqu’au 18e siècle.

Source : plan en relief de la forteresse de Charleroi au 1/600, Palais des Beaux-Arts de Lille, dépôt du musée des Plans-re-liefs, Paris, inv. D.2004.1.18.

Commencée par l'autorité espagnole en 1666, la for-teresse de Charleroi passe rapidement aux mains de son ennemi français. A la demande de Louis XIV qui souhaite également en faire une ville, Vauban élargit et transforme la forteresse en y intégrant la Sambre et les espaces occupés par les actuelles ville basse et entre-ville, comme le montre le plan en relief ci-contre (1696).

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Mise en place des paysages

Sources : Carte de Ferraris, Charleroi 81 (1777), Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles et IGN-Bruxelles (extrait de la carte 1/50 000).

L’enchevêtrement actuel du réseau viaire et l’éparpillement des centres dans les communes situées au nord de Charleroi (Gilly, Lodelinsart…) s’expliquent en partie par les premières formes, artisanales, d’exploitation du charbon comme le montre ci-dessus la carte de Ferraris. Une série de chaussées (Gilly – Lodelinsart en 1763, Gilly – Châtelineau en 1768, Charleroi – Gilly – Sombreffe en 1786) visant à faciliter le transport de la houille sont ouvertes dans la seconde moitié du 18e siècle. A la fin de l’Ancien Régime, les régions de Charleroi et du Borinage sont avec Liège-Verviers et Namur les seules à bénéficier d’un réseau de chemins modernes. Ceux-ci ont été créés tant par les Etats provinciaux ou les villages que par les sociétés charbonnières elles-mêmes.

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Bien que les 16e et 17e siècles soient chaotiques au niveau politique mais aussi économique, certains types d’établisse-

ments industriels (verrerie, clouterie) s’inscrivent progressivement dans le paysage de l’est de l’ensemble, aux côtés de

l’exploitation houillère, tirant parti de certaines circonstances ou opportunités.

Charleroi, qui bénéficie de l’appui des autorités, obtient une série d’avantages fiscaux et d’exonérations douanières.

La ville constitue ainsi dès la fin du 17e siècle un nouveau pôle de croissance au sein de l’espace économique wallon.

La clouterie et la verrerie, déjà préalablement présentes dans la région, connaissent de nouveaux et significatifs déve-

loppements à partir de cette période. La clouterie carolorégienne concurrence peu à peu celle de Liège et participe au

soutien de la métallurgie de l’Entre-Sambre-et-Meuse.

Châtelet occupait jusqu’alors une place économique prépondérante dans cette partie de l’ensemble. La ville, faisant

partie de la Principauté de Liège, s’était dotée de remparts dans le courant du 16e siècle pour se protéger des conflits

répétés et avait vu sa population croître. Elle va néanmoins rapidement céder son rôle comme centre de décision à la

nouvelle ville de Charleroi. Cette dernière remplace également progressivement Namur comme métropole régionale dans

la première moitié du 18e siècle.

Les mutations du 18e siècle

Le 18e siècle annonce une série de mutations fondamentales en maturation depuis le siècle qui précède. Les premières

accélérations du développement économique dans l’ensemble de la Haine et de la Sambre dans le contexte de la révo-

lution industrielle résultent de la combinaison de plusieurs facteurs. On peut relever l’adoption plus ou moins rapide de

diverses innovations techniques au sein des établissements industriels – notamment la pompe à feu – et de manière

générale le début de mécanisation des processus d’extraction ou de fabrication. Autre fait marquant, la modification

progressive des profils financiers des entreprises (concentration) et des entrepreneurs est engendrée par la nécessité

d’investissements plus importants pour financer les évolutions techniques. Enfin, une politique de développement du

réseau routier, venant compléter la présence de voies d’eau navigables, est soutenue par le régime autrichien.

Les campagnes voient aussi évoluer leur physionomie et contribuent au développement de l’industrie, parfois à leurs

dépens. Les difficultés considérables rencontrées, durant cette période, par les communautés rurales pour faire face aux

réquisitions et impôts divers les amènent à emprunter à la bourgeoisie un argent souvent remboursé par la cession des

communaux. La mobilité foncière de la campagne permet à cette même bourgeoisie d’acheter, à bas prix lors des crises,

des terres et des maisons. Ces différents investissements, gérés avec une plus grande efficacité que par les précédents

propriétaires, servent alors de garantie et de levier pour l’industrie. La bourgeoisie en reprenant des seigneuries parfois

entières s’inscrit ainsi dans le tissu rural et bénéficie du prestige qui est attaché à ces domaines. Dans le même contexte,

certains châteaux font l’objet de transformations tandis que de nouvelles constructions voient le jour.

Le 18e siècle est aussi caractérisé par un nouveau mouvement de déboisement d’envergure, lié au développement de

certaines industries. Cette exploitation des massifs, également victimes d’un excès des droits d’usage, se poursuit dans

le courant du 19e siècle, notamment pour favoriser l’exploitation de la houille.

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Mise en place des paysages

L’essor industriel, la densité du réseau de transport et les transformations urbaines du 19e siècle

Après le flottement engendré par les changements successifs de régime de la fin du 18e et du début du 19e siècles,

l’industrie connaît, avec l’indépendance de la Belgique, une expansion considérable – malgré des nuances sectorielles

et/ou conjoncturelles – qui fait de la région de la Haine et de la Sambre, avec celle de Liège, l’un des poumons écono-

miques du pays.

Trois bassins, qui se sont dessinés au fil du temps, se distinguent. La région de Charleroi et, dans une moindre mesure,

celle du Centre se caractérisent par la consolidation d’une filière complète allant du charbon aux constructions métal-

liques en passant par la sidérurgie. L’industrie verrière se développe également de manière considérable à Charleroi

et dans ses environs. Le Borinage, par contre, qui destine son charbon surtout à la consommation domestique ou à

l’exportation, compte peu d’industries en aval de l’exploitation de la houille. Le Centre – dont l’industrialisation un peu plus

tardive a été le fruit de l’impulsion donnée par les deux autres bassins – prend véritablement son essor avec l’installation

de sociétés métallurgiques nouvelles dans le troisième quart du 19e siècle.

Source : Van Herten B. et alii (1995). La Belgique industrielle en 1850, Bruxelles, Crédit communal de Belgique, p. 146.

La gravure représente les laminoirs, hauts fourneaux, forges, fonderies et usines de la Providence à Marchienne-au-Pont. L’ensemble est rassemblé en une société anonyme fondée par la famille Puissant en 1838.

Outre l’influence potentielle d’une main-d’œuvre spécialisée difficile à déplacer, ces spécificités géographiques sont ren-

forcées par le mouvement croissant de concentration horizontale et verticale des entreprises, déjà entamé au siècle

passé mais plus fondamental encore durant cette période. D’une part, la création de sociétés anonymes permet de lever

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des fonds suffisamment élevés pour mettre en œuvre des techniques plus modernes et plus performantes, ayant pour but

d’améliorer la rentabilité des exploitations face à la concurrence venant de l’étranger. D’autre part, l’intégration d’entre-

prises diverses au sein d’un même groupe facilite les échanges, entre elles, de matières premières à des prix avantageux.

Le rôle joué par une série d’acteurs dans cette évolution financière et économique (capitalistes montois au début du

siècle, banques durant l’ensemble de celui-ci mais aussi investisseurs étrangers…) est crucial.

Conditionnée également par l’emploi de la machine à vapeur, qui produit de l’énergie en assez grande quantité et est

donc particulièrement adaptée aux gros volumes de production, la taille des usines est importante. Tout un monde

s’organise autour d’elles. Le paysage en est considérablement remodelé. Les espaces où se juxtapose et se mélange

une série d’éléments se multiplient. Les fabriques, aux bâtiments nombreux et élevés, sont hérissées de cheminées et

escortées – lorsqu’il s’agit de charbonnages – de châssis* à molette et de terrils en devenir. La masse de ceux-ci devient

véritablement écrasante à la fin du siècle. La poussière et la fumée mais aussi le bruit accompagnent ces ensembles

industriels. Un habitat ouvrier dense se tasse au pied des usines et le territoire est desservi par un réseau complexe de

routes, de voies navigables et de lignes de chemin de fer. S’ajoutent encore d’autres bâtiments, notamment ceux des-

tinés à la résidence des patrons ou des ingénieurs qui dirigent les travaux. Il s’agit le plus souvent de villas bourgeoises,

voire de châteaux entourés d’un (petit) parc.

Le développement industriel considérable, auquel participe le nouveau secteur des industries chimiques vers la fin du

19e siècle, va de pair avec le déploiement d’un réseau de transport extrêmement dense dans l’ensemble de la Haine

et de la Sambre. L’un et l’autre agissent réciproquement comme facteurs de renforcement : le réseau permet de faire

transiter les matières premières et d’écouler la production ; la production de matériaux, nécessaires au développement

des moyens de transport en général (tant en Belgique qu’à l’étranger), stimule l’activité industrielle de l’ensemble et plus

largement l’économie belge. Le boom observable dans le courant du 19e siècle se caractérise par les grandes impulsions

successives données tant par l’Etat – le rôle de facilitateur et de coordinateur lui est confié par l’idéologie libérale – que

par le secteur privé (industries, banques…) aux différents types de transport, en commençant par la route, les voies d’eau

puis enfin, le train. Le système mixte voulu au départ est progressivement délaissé à partir des années 1860 pour donner

la préférence au rail, un choix tant économique que capitaliste, même si la voie d’eau subsiste.

De faibles traces du réseau de chemin de fer vicinal, qui s’est considérablement dé-veloppé dans l’ensemble paysager dans les dernières années du 19e siècle et au début du 20e siècle, sont encore perceptibles ici et là : le tram est toujours en activité dans certaines communes comme Anderlues ou Charleroi mais, bien souvent, seuls les accotements élargis, investis par le parking (à droite sur la photo) rappellent que de nombreuses lignes vicinales empruntaient les rues et chaussées. Les aubettes, la plupart des câbles électriques ou des rails ont été enlevés.

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Mise en place des paysages

La route, l’eau et le rail

Entamée sous le régime autrichien, l’extension du réseau routier stagne au début du 19e siècle puis reprend sous

Guillaume Ier. La Belgique nouvelle poursuit la densification de la grande voirie et développe également les chemins vici-

naux. Les industries, les communes ou encore certaines sociétés financières y participent par le biais de concessions.

Mais dès 1850, il faut compter avec la concurrence du chemin de fer qui entraîne une stabilisation rapide du réseau de

grande voirie dans l’ensemble paysager de la Haine et de la Sambre. Cependant, des chaussées permettant de relier les

villages au chemin de fer continuent d'être créées. L’invention et la diffusion des véhicules équipés de moteur à combus-

tion renverse la tendance à partir de l’extrême fin du 19e siècle.

Source : Willems G. (1955). « Le réseau des voies navigables belges. Son passé, son avenir », Revue de la navigation intérieure et rhénane, 25 juillet 1955, p. 467.

Les gabarits au début du 19e siècle – on navigue sur des baquets pouvant supporter 70 tonnes – sont modestes mais constituent une avancée par rapport à la route. Une pre-mière augmentation du tonnage (300 tonnes) dans la deuxième moitié du 19e siècle est imposée du fait du développement écono-mique et de la concurrence du chemin de fer. Elle nécessite la rectification de certains tra-cés et l’adaptation des écluses. Le passage au gabarit de 1 350 tonnes n’a lieu qu’après la Seconde Guerre mondiale bien qu’il soit réclamé dès les années 1930 par les indus-triels qui redoutent la concurrence du canal Albert (2 000 tonnes) et sont confrontés aux difficultés liées à la crise de 1929 (premières délocalisations, cherté du chemin de fer).

Parallèlement au réseau routier, les voies d’eau se multiplient. Les régimes français et hollandais lancent une première

vague de travaux dont certains ne sont achevés qu’après l’indépendance : construction des canaux de Mons – Condé

(inauguré en 1814), de Pommeroeul – Antoing (ouvert en 1827 et seulement très partiellement dans l’ensemble), de

Charleroi – Bruxelles (entamé en 1826) et canalisation de la Sambre (à partir de 1825). La région du Centre est reliée au

canal de Charleroi en 1839 mais la voie d’eau entre ce dernier et Mons n'est entièrement terminée qu’en 1917, suite aux

problèmes techniques constitués par le franchissement du seuil entre les bassins de la Haine et de la Sambre.

Le rail apparaît dans l’ensemble paysager de la Haine et de la Sambre avant l’ouverture de la première ligne officielle

qui relie Bruxelles à Malines en 1835 : le charbonnage du Grand-Hornu l’installe dès 1830 pour faciliter ses transports

internes. Son exemple inspire d’autres entreprises. L’innovation ne se fait pas sans heurts car les ouvriers craignent la

perte de leur emploi. Dans les années qui suivent, les lignes installées par les industries ont avant tout pour but de rac-

corder les houillères aux voies d’eau.

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68 Atlas des Paysages de Wallonie

La première ligne officielle dans l’ensemble paysager est celle qui relie Bruxelles à la frontière française, terminée en 1842. Peu

après, les créations de lignes se multiplient, encouragées par le système de concessions accordées par l’Etat, motivées par le

profit et la concurrence et sans réelle vision d’ensemble. La région devient rapidement la mieux irriguée de Wallonie. Le rachat

des lignes par l’Etat et la fusion des concessions à partir des années 1870 amènent une plus grande homogénéité du réseau.

Outre son rôle dans le transport des matières premières et des produits des usines, le chemin de fer a également exercé

une influence sur la structuration de l’habitat : à partir de 1869, l’instauration des abonnements ouvriers permet une plus

grande mobilité des travailleurs qui peuvent associer leur activité dans les fabriques ou les carrières à un domicile à la

campagne et à une activité secondaire agricole.

Source : Ministère des Travaux publics (1880). Album du développement progressif du réseau des routes, des voies navigables et des chemins de fer de 1830 à

1880, Bruxelles.

La carte du réseau de chemin de fer en 1880 montre bien la densité toute particulière des lignes et leur complexité dans l’ensemble paysager de la Haine et de la Sambre.

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Mise en place des paysages

D’importants bouleversements affectent le paysage urbain dans le courant du 19e siècle. Certaines villes connaissent

encore une nouvelle vague de fortifications durant la période hollandaise (c’est par exemple le cas à Charleroi et à Mons)

mais la seconde moitié du 19e siècle amène un démantèlement définitif des ouvrages militaires. Si certaines enceintes

sont préservées et peuvent encore être observées aujourd’hui, comme celle de Binche, d’autres sont démolies.

De nouvelles formes d’aménagement urbain sont pilotées et déployées par la bourgeoisie aux commandes de l’Etat.

Le centre ancien des villes fait l’objet de profondes transformations. On réalise de grandes percées, tandis que les canaux

et les rivières sont couverts ou remplacés par des égouts. La place libérée par les enceintes permet le tracé de boule-

vards de promenade. Les villes qui s’étendaient rarement au-delà des limites historiques jusqu’au milieu du 19e siècle

voient se développer des faubourgs aisés aux rues larges et aérées, au plan plus géométrique. Des parcs, généralement

à l’anglaise, sont aussi créés.

Au-delà de la volonté hygiéniste, les raisons des aménagements sont aussi politiques. La bourgeoisie voit là un moyen

d’exprimer sa réussite économique mais aussi le progrès et la modernité. Le cœur des villes devient l’un des lieux-relais

pour la construction d’une identité belge et l’affirmation de la puissance de la nation. Statues, fontaines fleurissent ici et

là, dans la seconde moitié du 19e siècle et jusqu'à la Première Guerre mondiale.

Source : Harlez de Deulin N. (1992). Les kiosques à musique, Coll. Héritages de Wallonie, MRW - Ed. du Perron, Alleur-Liège, p. 101.

© ASBL Qualité-Village-Wallonie.

L’ensemble paysager de la Haine et de la Sambre compte la plus grande concentration de kiosques à musique en Wallonie. Construits à partir de la seconde moitié du 19e siècle, ils sont à la fois un lieu de convergence de la communauté qui s’est prise d’un engouement pour les prestations musicales en plein air, le témoin d’une vie associative active et un support aux manifesta-tions patriotiques. Dans les régions industrialisées, le kiosque est plus souvent un outil pour développer mais aussi pour encadrer les loisirs des ouvriers (fanfares, harmonies…). Certains sont d’ailleurs construits par les patrons.

La création de la ville de La Louvière remonte à la seconde moitié du 19e siècle. L’ouverture de plusieurs voies de com-

munication (embranchement du canal Charleroi – Bruxelles, ligne de chemin de fer Mons – La Louvière – Manage) à

proximité du petit hameau de La Louvière, dépendant alors de la commune de Saint-Vaast, constitue une opportunité

pour de nombreuses entreprises. Leur implantation, leur développement économique et la croissance démographique

qui en résulte entraînent l’établissement de La Louvière en commune autonome.

0 20 40 Km

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70 Atlas des Paysages de Wallonie

Du logement ouvrier…

Le déploiement de l’industrie (charbonnages, sidérurgie, verreries, carrières…) est indissociablement lié à la multiplication

de l’habitat ouvrier dans ses plus proches environs. Cette proximité est imposée par la longueur des journées de travail et

les déplacements à pied mais aussi encouragée par le patronat qui souhaite garder à l’oeil sa main-d’œuvre.

Dans le courant du 19e siècle, le meilleur et le pire se côtoient en cette matière, qui dépend au départ essentiellement

de l'initiative privée, de personnes désireuses de rentabiliser leur propriété foncière. Un grand désordre urbanistique se

développe en dehors de tout cadre, fait de conurbations mal structurées, tandis que les quartiers populaires et les fau-

bourgs proches des ateliers se densifient de manière considérable. A certains endroits, les espaces ouverts et les jardins

en intérieur d’îlots disparaissent.

Aux côtés de cette masse indistincte de rues, de ruelles, de passages bordés de petites maisons le plus souvent insa-

lubres, des projets sont élaborés par quelques patrons pour mettre à disposition de leurs ouvriers un logement conve-

nable. Les sites du Grand-Hornu (pour le Couchant de Mons) et de Bois-du-Luc (dans le bassin du Centre) constituent

deux exemples monumentaux de cette volonté mue par un objectif philanthropique et disciplinaire. Les ensembles dédiés

à l’habitat sont complétés par des équipements collectifs (école, salle des fêtes…).

D’autres réalisations plus modestes voient aussi le jour comme la cité de l’Olive pour les charbonnages de Mariemont-

Bascoup ou les logements construits par Boch à La Louvière. Cette démarche reste néanmoins marginale et se raréfie

encore dans la seconde moitié du 19e siècle, sous l’influence du libéralisme économique puis de la crise. Durant cette

période, quelques projets similaires sont pourtant menés à bien à l’initiative de bureaux de bienfaisance communaux ou

de sociétés anonymes.

A Bois-du-Luc, aux 166 logements organisés en carrés s’ajoutent une école, des magasins et un établissement hospitalier.

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Mise en place des paysages

… au logement social

L’Etat, en retrait jusqu’alors, prend quelques années après les émeutes de 1886 les premières mesures pour améliorer

la condition ouvrière et notamment favoriser l’accès à la propriété grâce à des prêts peu élevés. Une série de sociétés

municipales de logements sociaux voient également le jour, à partir du début du 20e siècle. Le modèle privilégié par les

investisseurs est celui de la petite maison unifamiliale pavillonnaire* ou en alignement viaire, accompagnée de son pota-

ger. Selon le pouvoir en place, la location à bas prix ou la propriété sont encouragées.

En 1919, la création de la Société nationale des logements et habitations à bon marché, qui encadre et soutient finan-

cièrement les sociétés locales, constitue un tournant majeur. La construction de logements sociaux, situés cette fois

plus à l’écart des lieux de travail, est démultipliée et encouragée par un double objectif d’hygiène et de progrès social.

De nombreuses cités-jardins sont édifiées dans ce contexte dans le courant des années 1920.

Les habitations inspirées du cottage anglais ou du courant Bauhaus* s’accompagnent d’espaces verts de qualité et de

zones propices à la communication sociale, tandis que la monotonie engendrée par la similitude des constructions est

compensée par leur organisation dans l’espace et la séparation des circulations. La diffusion et l’adoption de modèles et

de plans-types entraînent cependant une certaine uniformité à l’échelle nationale au détriment de spécificités plus locales.

A partir des années 1930, ces conceptions évoluent, notamment à cause du contexte économique. Une série de loge-

ments sociaux doivent d’ailleurs être vendus par les sociétés pour financer de nouvelles constructions. On voit se déve-

lopper des cités en blocs plurifamiliaux puis plus tard en barres perpendiculaires, qui privilégient souvent le nouveau

matériau qu’est le béton.

Le mouvement coopératif qui se développe dans le dernier quart du 19e siècle et constitue l’un des piliers du mouvement ouvrier a pour objectif de court-circuiter le commerce classique en fournissant aux ouvriers des produits de bonne qualité à bas prix. Il prend son envol avec la boulangerie et réinvestit ses bénéfices en créant d’autres com-merces (pharmacies, boucheries…) mais aussi des structures visant à diffuser le message socialiste (journaux, maisons du peuple). Plusieurs témoins de ce mouvement sont encore visibles, dont certains sont particulièrement recherchés au niveau architectural. A gauche, la maison du peuple de Pâturages, inspirée par l’Art nouveau est l’œuvre de l’architecte Jules Bodson. A droite, celle de Dour, de l’architecte Van Craenenbroeck, est en style Art Déco*. Elle faisait au départ partie d’un ensemble plus vaste. Toutes deux sont classées.

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72 Atlas des Paysages de Wallonie

Le lent essoufflement de l’économie (première moitié du 20e siècle)

Des changements importants se profilent à l’aube du 20e siècle et marquent les années à venir. De manière générale, l’adop-

tion de l’électricité dès la fin du 19e siècle permet des productions d’un volume plus modeste et donc des usines et des

fabriques aux gabarits plus petits. Le moteur à combustion libère du rail et les entreprises des nouveaux secteurs industriels

peuvent donc s’implanter à distance du chemin de fer et souvent en dehors des villes où le terrain est moins cher.

Si la métallurgie et le verre maintiennent leur position, malgré quelques écueils, durant toute la première moitié du

20e siècle, le secteur charbonnier montre quant à lui une évolution négative. Un certain déclin y est observé dès le dernier

quart du 19e siècle. Les entreprises se heurtent à la concurrence des autres charbonnages européens mais compensent

la difficulté par l’expérience de leur main-d’œuvre et une modernisation continue. Après 1914, l’essor des nouveaux

gisements campinois constitue un obstacle plus sérieux : les charbonnages hennuyers sont plus dispersés, produisent

moins avec un nombre d’employés et d’ouvriers pourtant supérieur. Dans les années 1950, l’entente européenne qui

prévoit la libre circulation du charbon sonne le glas et impose une fermeture progressive des sièges d’exploitation wallons,

dont les infrastructures vieillies ne sont plus rentables.

Des paysages qui inspirent les artistes

Les paysages industriels de la Haine et de la Sambre ont été tout particulièrement mis en valeur par les artistes au cours des

deux derniers siècles. Ils comptent parmi les paysages les plus représentés de la Wallonie, que ce soit à travers la peinture,

la photographie, la littérature ou la lithographie. Les courants esthétiques tels que le pittoresque, le sublime ou, par la suite,

l’impressionnisme et le pointillisme y ont trouvé un matériau inspirant.

« Un temps gris coupé d’éclaircies, est un bon moment pour observer ce grand mouvement de terrains couronnés de construc-tions industrielles ; les percées lumineuses, brouillées dans des brumes de fumées flottantes, font alors sur les points culminants des moires brillantes qui tranchent sur les masses bistrées du reste de la contrée.Une déroute de grosses fumées emplit l’horizon, amas sombre qui au soleil a des retroussis argenté : les jours gris, au contraire, toute la plaine s’ensevelit sous un plafond bas qui rase la terre. On respire une atmosphère de suie, à travers une pluie lente, éternelle, de paillettes charbonneuses qui s’abat sur les paysages, met entre les objets et les yeux un obscurcissement ; et tantôt le brouillard rampe comme une marée, tantôt se soulève ou pantelant, croule parmi la débâcle de nuages. »

Camille Lemonnier décrit ici le Pays Noir dans La Belgique, publiée pour la première fois en 1888. Il en donne une vision qui se rattache à l’esthétique du sublime.

« Les forges de Marchienne-au-Pont et de Mont-sur-Marchienne sont aussi remarquables. Ces vastes établissements s’élèvent au milieu d’une riante vallée, où l’on rencontre à chaque pas des sites admirables. Ici des coteaux fertiles, là un hameau pittoresquement assis sur une hauteur, plus loin un fourneau à la stature colossale, des rochers arides, des bois, frappent tour à tour le regard. Quel-quefois l’horizon s’élargit et l’on suit au loin la rivière qui sillonne les prairies de ses eaux argentées. La nuit un spectacle plus imposant se présente à vos yeux : les usines s’illuminent de feux et les lueurs qu’elles projettent donnent un nouveau charme au paysage. »

Dans les Délices de la Belgique ou description historique, pittoresque et monumentale de ce royaume, publié en 1846, Alphonse Wauters propose plutôt une image des paysages industriels de la région de Charleroi imprégnée par le pittoresque.

Diverses logiques, qui peuvent se combiner, ont présidé au choix des paysages industriels comme sujets des repré-

sentations. Dans le courant du 19e siècle, nombre de celles-ci expriment la richesse et le progrès, certains artistes

étant d’ailleurs subsidiés par les industriels eux-mêmes. Les représentations témoignent aussi de l’esprit patriotique du

temps – l’Indépendance a été proclamée peu auparavant – et participent à la construction de l’identité nationale.

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Mise en place des paysages

Source : Constantin Meunier, Le Pays noir, non daté (avant 1905). Coll. Musée des Beaux-Arts de Tournai.

A la fin du 19e et au fil du 20e siècles, les préoccupations de certains artistes ont changé : ceux-ci font plutôt preuve d’une

sensibilité sociale à travers des sujets réalistes. Leurs œuvres mettent par exemple en évidence les conditions de travail des

ouvriers. Elles s’intéressent aussi, plusieurs décennies plus tard, à la déprise économique.

Parmi tous les artistes ayant travaillé sur ces paysages, citons les peintres Constantin Meunier, Eugène Boch, Pierre Paulus,

Arsène Detry, les photographes Robert Melchers, Yves Auquier ou Georges Vercheval.

Plus récemment, les cinéastes Benoît Mariage (Les convoyeurs attendent) ou Eric-Emmanuel Schmitt (Odette Toulemonde)

ont inscrit l’action de leur film au sein de ces paysages.