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La mine Jeffrey- Pétrologie 1 OPHIOLITE DU SUD QUEBEC La ceinture ophiolitique du sud du Québec est composée de 4 Complexes Ophiolitiques majeurs (notés CO) : Thetford mines (COTM), Asbestos (COA), lac Bromptyon (COLB) et MontChauve/mont Orford (COMO), et de nombreux affleurements d’importance moindre. Ces massifs ophiolitiques étaient antérieurement considérés comme des blocs de dimensions kilométriques, indépendants, insérés dans le mélange de St-Daniel. NOTA : Mélange de St-Daniel [24] Le mélange de St Daniel est un bassin sédimentaire d’échelle orogénique des Appalaches canadiennes qui est communément interprété comme étant les restes d’un complexe de subduction formé pendant l’orogenèse taconienne (Cousineau et St-Julien 1992,1994). Cependant, les données géochronologiques, structurelles et stratigraphiques des roches du plateau continental de Laurentia et les roches ophiolitiques adjacentes dans le sud du Québec indiquent que le Mélange de Saint Daniel est un bassin olistotromal, syncollisionnel « sur le dos » qui représente la base du bassin du Groupe Magog d’avant arc. L’encadrement stratigraphique régional du Mélange de St-Daniel et les relations avec les roches sous- adjacentes ou sur-adjacentes ont été établies sur la base de six sections stratigraphiques des complexes ophiolitiques de Thetford mines, Asbestos et du Mont Orford. Il en ressort que : 1- Le Mélange de St-Daniel est une suite sédimentaire qui recouvre anormalement les différentes structures et les niveaux pseudostratigraphiques des ophiolites du sud du Québec. 2- Il est constitué de quatre unités distinctes et latéralement discontinues qui rappelle l’obduction des ophiolites sur le continent Laurentia et l’exhumation des roches sous-bassantes, suivies par la subsidence et le dépôt supérieur de la formation de Saint Victor du groupe de Magog. 3- Les roches sédimentaires de St-Daniel décrivent une transition de sources à dominante ophiolitique vers des sources continentales, indiquant les exhumations progressives des ophiolites et du plateau continental, qui ont été obductées le long de la faille Logan [5], il y a 467 +- 2 Ma. 4- Le mélange de St-Daniel est recouvert stratigraphiquement par le groupe de Magog et représente la base syncollisionelle développée en position avant arc au cours de l’orogenèse taconienne. ( Schroetter et al, 2003,2005,2006, cf Dérosier 1971, Hébert 1983). L’obduction des ophiolites du sud Québec est intervenue au cours de l’Ordovicien ( -467 à -491 Ma selon les auteurs [24,34]). La base de la séquence ophiolitique était constituée d’une péridotite tectonisée, partiellement serpentinisée. Cette base a subi au cours de l’obduction des intrusions de filons felsiques, de diorites puis de monzonites, il y a 460 Ma [34, Whitehead et al]. 2 PETROGRAPHIE DE LA MINE JEFFREY 2.1 Contexte géologique La mine Jeffrey à Asbestos, est localisée dans des roches ultramafiques serpentinisées appartenant au complexe ophiolitique d’Asbestos, formé au cours de l’Ordovicien, puis qui a subi un mécanisme d’obduction sur le continent Laurentia au cours de l’orogenèse taconique, il y a 460 à 470 Ma [17,18].

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La mine Jeffrey- Pétrologie

1 OPHIOLITE DU SUD QUEBEC

La ceinture ophiolitique du sud du Québec est composée de 4 Complexes Ophiolitiques majeurs (notés CO) : Thetford mines (COTM), Asbestos (COA), lac Bromptyon (COLB) et MontChauve/mont Orford (COMO), et de nombreux affleurements d’importance moindre.

Ces massifs ophiolitiques étaient antérieurement considérés comme des blocs de dimensions kilométriques, indépendants, insérés dans le mélange de St-Daniel.

NOTA : Mélange de St-Daniel [24]

Le mélange de St Daniel est un bassin sédimentaire d’échelle orogénique des Appalaches canadiennes qui est communément interprété comme étant les restes d’un complexe de subduction formé pendant l’orogenèse taconienne (Cousineau et St-Julien 1992,1994). Cependant, les données géochronologiques, structurelles et stratigraphiques des roches du plateau continental de Laurentia et les roches ophiolitiques adjacentes dans le sud du Québec indiquent que le Mélange de Saint Daniel est un bassin olistotromal, syncollisionnel « sur le dos » qui représente la base du bassin du Groupe Magog d’avant arc.

L’encadrement stratigraphique régional du Mélange de St-Daniel et les relations avec les roches sous-adjacentes ou sur-adjacentes ont été établies sur la base de six sections stratigraphiques des complexes ophiolitiques de Thetford mines, Asbestos et du Mont Orford. Il en ressort que :

1- Le Mélange de St-Daniel est une suite sédimentaire qui recouvre anormalement les différentes structures et les niveaux pseudostratigraphiques des ophiolites du sud du Québec.

2- Il est constitué de quatre unités distinctes et latéralement discontinues qui rappelle l’obduction des ophiolites sur le continent Laurentia et l’exhumation des roches sous-bassantes, suivies par la subsidence et le dépôt supérieur de la formation de Saint Victor du groupe de Magog.

3- Les roches sédimentaires de St-Daniel décrivent une transition de sources à dominante ophiolitique vers des sources continentales, indiquant les exhumations progressives des ophiolites et du plateau continental, qui ont été obductées le long de la faille Logan [5], il y a 467 +- 2 Ma.

4- Le mélange de St-Daniel est recouvert stratigraphiquement par le groupe de Magog et représente la base syncollisionelle développée en position avant arc au cours de l’orogenèse taconienne. ( Schroetter et al, 2003,2005,2006, cf Dérosier 1971, Hébert 1983).

L’obduction des ophiolites du sud Québec est intervenue au cours de l’Ordovicien ( -467 à -491 Ma selon les auteurs [24,34]). La base de la séquence ophiolitique était constituée d’une péridotite tectonisée, partiellement serpentinisée. Cette base a subi au cours de l’obduction des intrusions de filons felsiques, de diorites puis de monzonites, il y a 460 Ma [34, Whitehead et al].

2 PETROGRAPHIE DE LA MINE JEFFREY

2.1 Contexte géologique

La mine Jeffrey à Asbestos, est localisée dans des roches ultramafiques serpentinisées appartenant au complexe ophiolitique d’Asbestos, formé au cours de l’Ordovicien, puis qui a subi un mécanisme d’obduction sur le continent Laurentia au cours de l’orogenèse taconique, il y a 460 à 470 Ma [17,18].

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[23]

Figure 26 : carte géologique des Appalaches du sud Québec, modifié de Schroetter et al (2004a)

avec des données compilées de Beulac (1982), Brassard et Tremblay (1999), Brodeur et Marquis (1995), Cooke (1938,1950), Hébert 1980,1983) Huot (1997), Lamarche (1973), Lavoie(1989), Mrquis (1989), Pinet (1995), Riordon (1958), Rodrigue (1979), St-Julien (1961), St-Julien et Slivitsky (1985) AMND = anticlinorium des Monts Notre Dame AMS = Anticlinorium des Monts Sutton. Complexes ophiolitiques de Thetford Mines COTM, d’Asbestos COA et du Mont Orford COMO. Le massif d’Asbestos est plus mince que celui de Thetford mines ( 2000 à 2500 m contre 5000 m) mais ils se sont formés au cours de la même période (Whitehead et al 2000) et sont constituées des mêmes roches (Hébert 1980) :

- harzburgite serpentinisée recouverte de cumulats ( dunite, chromitite litée, pyroxénite, gabbro) - Diabases - Laves tholéïtiques

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- Laves boninitiques - Volcaniclastiques fines - Phyllades du mélange de St Daniel

Ces roches sont en contact de faille avec des ardoises du faciès de schistes verts et de grès qui se sont préalablement déposés sur le bord du continent Laurentia [Cousineau 1990, Pinet et Tremblay 1995].

Des roches dioritico-monzodioritiques et plus tardivement granodioritico-granitiques, dont beaucoup contiennent de l’andalousite magmatique primaire [C. Normand 2001], se sont trouvées intruses dans la base inférieure ultramafique de l’ophiolite, préalablement en place dans l’assemblage tectonique.

Selon Laurent et Hébert, les roches dioritiques intrusives sont consanguines de l’ophiolite et se sont invitées dans les péridotites avant leur serpentinisation. En revanche, ces auteurs ont montré à partir d’études de terrain, que les roches granitiques tardives se sont placées dans une péridotite déjà partiellement serpentinisée. Contemporaine de la serpentinisation et du charriage de l’ophiolite, les roches intrusives sont soumises aux altérations sodio-calcique et hydrothermal rodingitique. Ces deux faciès d’altération également développés dans des unités continentalement dérivés (ardoise) sous l’ophiolite au cours du positionnement de la plus récente sur le bord du continent Laurentia (22,24].

2.2 Minéraux répertoriés

Le but principal de cet exposé est la reconnaissance de la qualité des grenats hessonite gemmes de la mine Jeffrey, à Asbestos. Néanmoins, il ne faut pas négliger la qualité esthétique des autres minéraux que l’on peut rencontrer dans cette mine, en particulier les mangano-vésuvianites... La mine Jeffrey a bénéficié d'un contexte géologique fort intéressant qui a favorisé la cristallisation de bon nombre de spécimens exceptionnels. Voici donc une liste de 148 minéraux différents qui furent trouvés à la mine Jeffrey et identifiés correctement. Les minéraux identifiés en caractères gras représentent ceux qui, à mon avis, ont un intérêt particulier pour le collectionneur en raison de leur couleur, taille, forme cristalline, rareté (localité-type), etc.

Actinolite Albite Allanite-(Ce) Almandin Andalousite Andradite

Annite Antigorite Antrophyllite Apatite Apophyllite Aragonite

Argent natif Artinite Atacamite Awaruite Biotite Bornite

Brucite Calcite Chalcocite Chalcopyrite Chlorite Chromite

Chrysotile Clinozoïsite Cubanite Cuivre natif Diaspore Diopside

Dolomite Epidote (groupe) Galène Graphite Grossulaire Groutite

Heazlewoodite Hydromagnésite Jeffreyite (LT) Kaolinite Lizardite Magnétite

Manganite Maucherite Malachite Molybdénite Montmorillonite Muscovite

Néphrite Nickeline Okénite Orthose (microcline) Parawollastonite Pectolite

Phlogopite Picrolite Préhnite Pumpellyite Pyroaurite Pyrochroïte

Pyrrhotite Quartz Schorl Spertiniite (LT) Sphalérite Titanite

Thomsonite Tochilinite Trémolite Vésuvianite Wollastonite Xonotlite Zoïsite

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Figure 27 : Asbestos Echantillons de minéraux typiques du site a) et b) hessonites c) hessonite d) grenat chromifère

e) hessonite et pectolite f) hessonite et diopside g) et h ) mangano-vésuvianite

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2.3 Analyses des roches

Les complexes ophiolitiques du sud est du Québec ont apporté une certaine richesse économique grace à l’exploitation de l’amiante, mais suscite également l’intérêt des autorités canadiennes dans leur potentiel à fournir principalement du chrome, mais aussi comme minerai secondaire, du platine et du palladium.

Cet intérêt a permis de financer des études approfondies sur les mécanismes de rodingitisation de ces complexes ophiolitiques, par des technologies sophistiquées nous permettant aujourd’hui de mieux appréhender les mécanismes mis en jeu dans la formation des grenats. Ainsi Robert P. Wares et Robert F Martin [30] ont analysé nombre d’échantillons pour étudier la pétrographie et les échanges d’éléments chimiques entre les roches par l’intermédiaire de fluides hydrothermaux, alors que Charles Normand et Anthony E. Williams Jones [31] ont même étudié les phases gazeuses contenues dans les inclusions pour remonter aux conditions physiques (Pression-Température) de la rodingitisation.

Figure 28 : Lieu de présence du filon rodingitisé et Schéma du filon rodingitisé et roche encaissante Robert P. Wares et Robert F Martin [30]

1 E : serpentine partiellement rodingitisée 1 H : cœur feldspathique bréché 1 C : croûte chloriteuse sporadique et brune 1 A : association diopside- K feldspath - prehnite 1 F : croûte chloriteuse verte, bien formée 1 G : serpentine totalement rodingitisée en clinopyroxénite

Figure 29 : carte géologique du sitede la mine jeffrey, Asbestos, Québec, d’après Johns-Manville Inc, Bédard et al., Hébert. Le contact entre l’ophiolite et le groupe de métasédiments de Caldwell met en evidence le charriage précoce suivi par la creation de la faille normale.

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Echantillon Protolithe

Association dans les rodingites

Gr Ves Hyd Clpy Chl Zoï Prh Alb /

K-fel Wol

Dior-1 Diorite X X X

Dior-2 Diorite X X X x

Dior-2 vein x X x X X

Dior-3 Diorite X X (coupé par

veine de vesuvianite)

Gran-41a Pegmatite-leucogranite x XX X

Gran-1b Pegmatite-leucogranite X

orange X

Gran-2a Granite à biotite

mylonitisée X X X

Gran-2b,2c Granite à biotite

mylonitisée X X X X

Slate -1a Ardoise X X X x

Cut by veins with

X

orange X X

Slate -1b Ardoise X X X

Slate -2 Ardoise X X

Ves-1 X

Pourpre à verte

X

Ves-2 X

verte X

Table 1 : Liste et composition des échantillons récoltés par Charles Normand et Anthony E. Williams Jones [31]

Gr : Grossulaire Ves : Vesuvianite Hyd : Hydrogrossulaire Clpy : Clinopyroxène Chl : chlorite Zoï : Zoïsite Prh : Prehnite Alb : Albite K-Fel : K-feldspath Wol : Wollastonite

Echantillon 288C

L’échantillon 288c récolté par Laurent est une représentation fidèle du protolithe serpentinisé. La texture primaire ignée est encore visible, la roche est gris clair, constituée de grains de dimension moyenne et homogène. Elle contient :

- 30 %vol de microcline turbide - 20 %vol de microcline limpide secondaire - 30 %vol de plagioclase zoné - 20 %vol de clinopyroxènes irréguliers, à grains fins (< 200 µm).

Ces clinopyroxènes masquent les joins de grains des feldspaths plagioclases originaux et remplacent le cœur de ces plagioclases. Le microcline limpide et des prismes de diopside viennent remplir les porosités Autour de la veine de feldspath potassique-diopside, on trouve essentiellement des associations albite + augite.

Echantillon 1H

Le filon rodingitisé 1H a un cœur de couleur rose. Il est constitué de :

- 35 %vol de clinopyroxène incolore - 15% de grossulaire rose - 50% de K feldspath à la fluorescence orange.

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La roche apparaît fortement bréchée avec des fragments angulaires généralement compris ente 2 et 10 mm. Les grossulaires se présentent en cristaux sans arêtes, faiblement biréfringent, de 2 mm de côté et contiennent des inclusions de diopside. Echantillon 1A

La rondingite gris clair 1A est constituée de grains fins (< 500µm). Elle contient :

- 70% de clinopyroxène - 25% de K feldpsath turbide - prehnite rose sans arête

Ces clinopyroxènes sont un mélange En37 Fs 17 Wo46 : (Mg3.7, Fe1.7, Ca4.6)2 Si2O6 (Turnock et al (1973)) Echantillon 1G

La composition moyenne de la rodingite blanche 1G est anormalement basse en Al et élevée en Si et Mg. La roche est clairement une péridotite très fortement rodingitisée en clinopyroxénite métasomatique (diopside essentiellement) denses, en prisme de 100 µm de long. Dans ces masses claires, on peut distinguer accessoirement des taches noires de chromite avec des cristaux fracturés de 2 mm de côté, généralement entourés d’un halo de grossulaire vert au chrome et de phlogopite chromique.Deer et al (1966) ont déterminé que le paramètre de maille de ces grenats verts est a = 11,8489 A. Il ne s’agit donc pas d’uvarovite (a =12,00 A) mais bien de grossulaires colorés par la présence de chrome, en faible substitution de l’aluminium.

Un autre type de grenat incolore, riche en Ca et Al (a = 11,8926 A) est présent dans la roche près du contact avec les tâches sombres. D’après la courbe de Yoder (1950), ces grenats incolores seraient en fait de composition intermédiaire entre le grossulaire et l’hydrogrenat hibschite Ca3Al 2(SiO4)3-x(OH)4x.

La frontière entre la rodingite blanche et le cœur plus rosé, est marqué par la disparition du microcline. Des grossulaires verts, roses et brun-cannelle sont présents près de cette limite. Certains d’entre eux ont un cœur vert dû au chrome et une surface brune.

Les fissures dans la rodingite riche en diopside comportent également des grossulaires incolores à vert dodécaèdriques jusqu’à 1 mm de côté ainsi que des aiguilles de diopside jaune-vert jusqu’à 4 mm de long.

Les cavités sont remplies de cristaux de diopside aciculaires incolores, probablement cristallisés très rapidement, à partir de solution sursaturée.

Il a été souvent répertorié qu’il y avait formation d’une croûte chloriteuse noire et fine autour des corps de matériaux étrangers introduits ou incorporés tectoniquement dans les parties serpentinisées des complexes ophiolitiques (Vuagnat (1953)). Cette croûte dans l’échantillon d’Asbestos s’est probablement formée peu de temps après la première période de serpentinisation et de rodingitisation.

La croûte chloritique verte sur la face sud est probablement la représentation d’une métasomatose de Mg précoce et localisée du filon plutôt que celle d’une serpentine métasomatisée ; cela expliquerait la formation de cristaux de zircon dans cette croûte.

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3 PETROLOGIE DE LA MINE JEFFREY

3.1 Rodingitisation

3.1.1 Système hydrothermal responsable des rodingitisations

L’histoire de la mise en place des ophiolites des Appalaches au Québec est complexe. Heureusement, les techniques poussées d’investigation et les analogies avec d’autres complexes ophiolitiques permettent aujourd’hui d’éclaircir notoirement le sujet.

Il est maintenant bien établi que les dernières ophiolites ont été obductées très peu de temps après leur formation et que les granites se sont mis en place au cours de l’obduction sur la bordure du continent Laurentia au cours de l’Ordovicien (Whitehead J , Reynolds PH and Spray JG, (1995, 2000), David A. Clague, Charles S. Frani El, and Jacqueline S. Eaby [34]).

Ainsi, Charles Normand et Anthony E. Williams Jones [31] excluent l’implication dans la rodingitisation de l’eau de mer qui aurait pu agir en tant que système hydrothermal amené par le magmatisme mafique dans ou près de la zone d’expansion océanique.

Pour la même raison, ils excluent également que le système hydrothermal qui a permis la rodingitisation aie une quelconque origine dans la déshydratation de la croute océanique profondément subductée et dans les sédiments.

Les seules candidates potentielles au rôle de fluide de rodingitisation, piégées dans les inclusions de fluides à salinité modérée à forte, de l’ophiolite d’Asbestos, sont par conséquent des eaux métamorphiques.

3.1.2 Chronologie des rodingitisations

L’étude des inclusions de fluides et les données pétrographiques indiquent qu’il y a eu probablement trois épisodes de rodingitisation, et qu’ils se sont produits au cours du charriage des ophiolites :

- Le premier épisode correspond à la rodingitisation de la diorite et probablement à celle de l’ardoise sous de hautes pressions.

- Le second épisode consista en la rodingitisation du granite et à l’aboutissement de celle de l’ardoise.

- Les veines riches en vésuvianite se sont formées en dernier.

Ces données déterminent ainsi des régimes d’altération, tout d’abord sous de fortes pressions, puis sous des pressions plus faibles. phase 1 : rodingitisation de la diorite

Au moment supposé de l’intrusion des roches felsiques à travers la base des séquences ophiolitiques, entre -475 et -465 Ma (Whitehead J , Reynolds PH and Spray JG, (1995)), la seule unité de roche qui existait au-dessus de l’ophiolite était la formation de St-Daniel, qui renfermait, entre autres lithologies, des sédiments pélagiques déposés sur le fond sous-marin (A. Tremblay et al). Au sud-est d’Asbestos, cette formation a une épaisseur < 6 km. Les épaisseurs combinées de l’unité sédimentaire (en supposant qu’elle représente toujours l’épaisseur originelle) et la sous couche de croute ignée (2 km), indiquent que la profondeur minimale de l’emplacement des roches felsiques intrusives dans les ophiolites d’Asbestos atteignait 8 km, ce qui correspond à une pression lithostatique équivalente de 2,2 à 2,4 kbar.

L’étude entreprise sur les inclusions gazeuses conduisent à des pressions du même ordre, bien que quelque peu supérieures à celles-ci. Elle indique que la rodingitisation de la diorite est intervenue au cours de l’obduction, sous haute pression (~2,5 à 4,5 kbar), sous des températures de 290-360°C, avec des fluides ayant une salinité modérée à forte (~1,4 à 5,7 m eq. NaCl).

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phase 2 : rodingitisation du granite

Les granites se sont probablement introduits dans les serpentinites avant la rodingitisation complète des ardoises.

La seconde phase de rodingitisation, celle du granite, et l’achèvement de celle des ardoises se sont déroulées sous des températures plus élevées (325 - 400°C) ; mais sous des pressions plus faibles, avec des fluides à teneur en salinité élevée (~ 5.3 à 6.3 m eq. NaCl), principalement dans des veines qui sont venues traverser les ardoises rodingitisées et dans du granite rodingitisé. phase 3 : formation de vésuvianite

Enfin, les inclusions de fluides montrent qu’il y a eu probablement une troisième phase de rodingitisation, sous des conditions physiques moins sévères, à plus basse température (< 200°C) en présence de fluide de plus faible salinité (~1.5 m eq. NaCl), qui est intervenue dans des associations à minéraux fortement poreux, riches en vésuvianites.

La présence systématique d’hydrocarbure, préférentiellement du méthane CH4, démontre que ces fluides ont interagi avec la serpentinite selon des réactions de synthèse d’hydrocarbures ou de Fischer –Tropsch.

3.1.3 Mécanismes des rodingitisations

Laurent & Hebert (1979) ont montré que trois groupes distincts de roches intrusives sont venus s’infiltrer dans la partie ultrabasique de la séquence ophiolitique :

- filon de gabbro fortement rodingitisé

- diorite à hornblende déformée, et partiellement rodingitisé

- filons de granite relativement peu déformé, mis en place après serpentinisation des péridotites mais avant la formation de la chrysotile fibreuse.

Figure 30 : Diagramme Pression – Température Conditions de piégeage des inclusions de fluides dans les rodingites de la mine Jeffrey, Asbestos

avec diagramme (P-T-t (temps)) estimé par Whitehead et al. [59] pour le mur de la base de l’ophiolite de Thetford-Mines (lignes tiretées)

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P. Wares et Robert F Martin [30] ont étudié le parcours minéralogique de deux roches initialement très différentes : un granite calco alcalin et une serpentinite, au cours de la rodingitisation intervenue entre ces deux roches. Ces roches ont été recueillies dans un filon qu’ils pensent s’être inséré en fin de cycle. La composition du granite a suivi le parcours granite-1H – 1A, en direction du domaine des rodingites défini par Coleman (1977) mais toutefois sans l’atteindre. L’évolution de la composition du granite a principalement été causée par la cristallisation des clinopyroxènes saliques comme phase calco-silicate. Les rodingites 1E et 1G se sont formées au dépens de la serpentinite. Les principaux éléments consommés sont le calcium et le silicium. Le magnésium nécessaire pour former de la diopside provient de la décomposition de la serpentine. Le filon felsique s’est indubitablement enrichi en Si.

Figure 31 : Parcours des compositions d’un granite et de la serpentinite au cours de leur rodingitisation Les fluides responsables de la rodingitisation observée sont fortement alcalins, contenant probablement Ca, Al et OH (Barnes et O’Neil (1969)). Le K-feldspath dans l’association calco-siliceuse est clairement dans son domaine de stabilité, et par conséquent dépourvu d’altération séricitique. L’incapacité du K-feldspath d’être totalement ordonné en présence d’un fluide alcalin (Martin (1973)) doit faire tort, d’une part à la nature éphémère des évènements métasomatiques, d’autre part à la présence de cations divalents dans la structure. Malgré cela, les fluides doivent avoir été particulièrement sursaturés si l’on tient compte de la présence de diopside, vraisemblablement due à une activité élevée du Si, pour donner une transformation métasomatique importante de la serpentine de la croûte au cours des épisodes de rodingitisation. La forte activité du Si dans la phase fluide peut également expliquer la prédominance de grossulaire (ou d’hydrogrosulaire ) dans ces rodingites. L’aspect brèché de la zone centrale du filon et la présence de veines venues cicatriser les fissures qui contiennent des associations de minéraux rodingitiques indiquent que la déformation est intervenue après la mise en place du filon et après le commencement de la rodingitisation. Ce qui est en accord avec la chronologie des rodingitisations : le granite s’est introduit dans les serpentines au cours de l’obduction des ophiolites et la rodingitisation du granite n’est que la deuxième phase de rodingitisation. La période de la seconde génération de rodingitisation doit ainsi correspondre au second épisode de serpentinisation dans la roche hôte fracturée et au dépôt de veines d’amiante. Le premier événement métasomatique qui est intervenu après la mise en place du filon impliqua une métasomatose de Na tempérée. P. Wares et Robert F Martin [30] en ont déduit que cet événement est intervenu sous la mer, lors du refroidissement de la roche du filon. Or, depuis Charles Normand et Anthony E. Williams

A Al2O3 + (Fe2O3) – (K2O+Na2O)

rodingite

.

. .1A

C CaO -3.3 P2O5

Granite

1H

Harzolite

.1F .1E .1G 288C . F

MgO + SiO2

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Jones [31] ont dénié cette conclusion. De plus, nous savons aujourd’hui que l’intrusion de roche ignée n’est intervenue que lors de l’obduction, donc hors zone marine. Puis, a suivi un renversement dans le processus de métasomatose, au cours duquel Ca et en quantité moindre Ba sont venus s’insinuer aux dépens de Na, et K a été redistribué pour former les feldspaths potassiques observés. Les données recueillies sur les pyroxènes suggèrent que la salite métasomatique contenant des quantités significatives de fer ont formé des diopsides quasi pures dans les étapes les plus avancées de la rodingitisation. Toutefois, la rodingitisation à Asbestos n’est pas courante car la plupart des cas de rodingitisation décrit dans la littérature présentent la métasomatose du Ca dans des roches basiques. Sans doute, est-ce dû au fait que les ophiolites du sud-est du Québec renferment une quantité importante de filons granitiques mis en place probablement au cours d’un épisode de magmatisme calco-alcalins, lors de l’obduction de la séquence ophiolitique. Les rodingites qui en sont issues sont par conséquent inhabituelles dans le fait qu’elles présentent des assemblages avec Ca, Mg et K dans des associations issues de métasomatose basse température. La source de calcium nécessaire pour la rodingitisation est habituellement attribuée à l’harzburgite serpentinisée environnante et aux cumulats de dunite, du fait de l’incapacité de la structure de la serpentine à accepter cet élément. Les roches du filon constituent un environnement à forte activité du Si ce qui est favorable à la formation d’associations calco siliceuses.

Cette formation de rodingite est inhabituelle sur d’autres aspects : il semble que ce soit le premier cas répertorié de serpentinite totalement rodingitisée. Au premier coup d’œil, il peut sembler contradictoire de proposer que la rodingitisation d’une roche soit la raison d’être de la série rodingitique. La seule manière d’expliquer l’originalité de cette formation à la limite du filon granitique est de proposer qu’il se soit produit :

- (1) rodingitisation par des fluides dont l’activité en silice est si anormalement élevée que la serpentine est instable.

- (2) nouvelle métasomatose de Ca après le premier épisode, vraisemblablement comme résultat d’une serpentinisation plus complète dans la péridotite voisine. Cette rodingitisation qui n’est pas symétriquement développée, suggère que les fluides se sont infiltrés unidirectionnellement, vers le haut au travers du filon.

3.1.4 Formation des grenats Nous pouvons maintenant appréhender les réactions de rodingitisation qui ont conduit à la formation des

grossulaires.

Les diorites et granites, principalement constitués de plagioclases (NaAlSi3O8 et CaAl2Si2O8), de biotite KMg3AlSi3O10(OH,F,Cl)2, de silice SiO2 +- amphibole (Ca,Na)2-3(Mg,Fe,Al)5(Al,Si)8O22(OH,F)2, ont tout d’abord perdues une partie de leur sodium [31] par migration. Ce sodium Na+ a par la suite été remplacé tout d’abord par du potassium K+ puis par du calcium Ca2+. Ces nouveaux éléments ont alors pu se recombiner dans un milieu dont l’activité de la silice a été définie comme très élevée [31].

- Calcium et Magnésium, se sont associés pour former de la diopside : CaMg (SiO3)2

- Potassium et aluminium se sont associés pour former du K feldspath : KAlSi3O8. - Calcium, aluminium et hydroxyles se sont associés pour former de la prehnite Ca2Al(AlSi 3O10)(OH)2

ou de l’hibschite Ca3Al 2(SiO4)3-x(OH)4x. Enfin

- Calcium et aluminium se sont associés pour former du grossulaire : Ca3Al 2 (SiO4)3