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Courrier de l'environnement de l'INRA n°36, mars 1999 39 la Marmotte alpine par Raymond Ramousse, Michel Le Berre et Olivier Giboulet Université Claude-Bernard, laboratoire de Socioécologie et Conservation 43, bd du 11-Novembre-1918, 69622 Villeurbanne cedex ramousse @biomserv. univ-lyon 1. fr « Mammifère rongeur, de la famille des Sciuridés, habitant les Alpes. C'est un animal de taille moyenne, lourd, à tête aplatie, à oreilles courtes, à queue fournie et touffue. La Marmotte commune (Arctomys marmotta) est un animal hibernant qu 'on chasse pour sa chair et sa fourrure. » Ce portrait' est bien sûr trop bref, ignorant les dégâts que l'animal commet dans les cultures et les prairies, ne disant rien de sa graisse censée soigner les rhumatismes. Actuellement, pour presque tout le monde, c'est avant tout l'animal sympathique des alpages, dressé devant son terrier pour saluer le randonneur, sculpté dans le bois et photogravé sur les cartes postales. Longtemps ressource alimentaire pour des habitants à la vie difficile, il est maintenant peu convenable d'avouer qu'on en mange. Et il faut supporter ses dégâts pour ne pas fâcher les touristes... Voici, rédigées à partir des travaux les plus récents consacrés à cet « élément méconnu de notre patrimoine montagnard », les résultats les plus récents sur la répartition géographique, le statut juridique, l'histoire culturelle et l'intérêt économique de la marmotte alpine, connaissances indispensables pour mieux gérer ses populations autochtones, réintroduites et introduites. La Marmotte alpine (Marmota marmota) est le plus gros rongeur occupant les étages subalpin et alpin des Alpes, des Carpates et des Tatras. Comme les autres espèces du genre Marmota, elle est semi- fouisseuse, herbivore et hiberne. Sa maturation est lente, sa durée de vie relativement longue et son organisation sociale complexe, en groupes familiaux, avec un système d'appariement plutôt monogame (Perrin, 1993). Connue depuis Pline l'Ancien, elle est décrite en détail dans le premier bestiaire illustré et imprimé (Gesner, 1551). ' Larousse agricole, 1922. Depuis, le nom de genre a changé et le t redoublé est devenu simple...

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Courrier de l'environnement de l'INRA n°36, mars 1999 39

la Marmotte alpine

par Raymond Ramousse, Michel Le Berreet Olivier Giboulet

Université Claude-Bernard, laboratoire de Socioécologie et Conservation43, bd du 11-Novembre-1918, 69622 Villeurbanne cedex

ramousse @biomserv. univ-lyon 1. fr

« Mammifère rongeur, de la famille des Sciuridés, habitant les Alpes. C'est un animal detaille moyenne, lourd, à tête aplatie, à oreilles courtes, à queue fournie et touffue. LaMarmotte commune (Arctomys marmotta) est un animal hibernant qu 'on chasse pour sachair et sa fourrure. »Ce portrait' est bien sûr trop bref, ignorant les dégâts que l'animal commet dans les cultureset les prairies, ne disant rien de sa graisse censée soigner les rhumatismes. Actuellement,pour presque tout le monde, c'est avant tout l'animal sympathique des alpages, dressé devantson terrier pour saluer le randonneur, sculpté dans le bois et photogravé sur les cartespostales. Longtemps ressource alimentaire pour des habitants à la vie difficile, il estmaintenant peu convenable d'avouer qu'on en mange. Et il faut supporter ses dégâts pour nepas fâcher les touristes...Voici, rédigées à partir des travaux les plus récents consacrés à cet « élément méconnu denotre patrimoine montagnard », les résultats les plus récents sur la répartition géographique,le statut juridique, l'histoire culturelle et l'intérêt économique de la marmotte alpine,connaissances indispensables pour mieux gérer ses populations autochtones, réintroduites etintroduites.

La Marmotte alpine (Marmota marmota) est le plus gros rongeur occupant les étages subalpin et alpindes Alpes, des Carpates et des Tatras. Comme les autres espèces du genre Marmota, elle est semi-fouisseuse, herbivore et hiberne. Sa maturation est lente, sa durée de vie relativement longue et sonorganisation sociale complexe, en groupes familiaux, avec un système d'appariement plutôtmonogame (Perrin, 1993).Connue depuis Pline l'Ancien, elle est décrite en détail dans le premier bestiaire illustré et imprimé(Gesner, 1551).

' Larousse agricole, 1922. Depuis, le nom de genre a changé et le t redoublé est devenu simple...

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Ces dernières années, l'étude des popula-tions de Marmotte alpine a connu un renou-veau en Europe (Allemagne : Arnold, 1985.Autriche : Preleuthner, 1989. Espagne :Herrero et al., 1987. France : Mann etJaneau, 1988 ; Le Berre et al, 1992. Italie :Lenti, 1982 ; Bassano et al, 1992 ; Ferri etal,. 1987. Suisse : Ingold, 1991). Ce renou-veau s'est traduit par une forte augmenta-tion du nombre de publications concernantcette espèce au cours des cinquante derniè-res années (57% des publications surl'espèce-Ramousse, 1997).En France, des programmes interdisciplinai-res de recherche financés par le ministère del'Environnement (EGPN : Dynamique del'occupation de l'espace par la marmottedes Alpes ; Conséquences de l'anthro-pisation des milieux d'altitude sur la dyna-mique des populations de marmottes al-pines), et par le programme environnementdu CNRS {Analyse biologique et socio-économique du système marmotte-environ-nement) peuvent être considérés commepionniers dans ce domaine, car jusqu'à pré-sent seules des espèces à forte valeur ajou-tée ou sujettes à d'urgents problèmes deconservation avaient bénéficié de tels pro-grammes intégrés. Des programmes INTASde l'Union européenne {Ecological basisfor the management of marmot biodiversityin Eurasia ; European Marmot Network :Ecology and management of biodiversity inEurasia) ont favorisé la coopération entrechercheurs et gestionnaires des différents paysd'Europe et d'Asie, permettant la création d'unréseau marmotte et la définition des basesd'un cadre de gestion durable desdifférentes espèces de marmottes de notrecontinent.

Il est donc désormais possible deprésenter l'état des connaissances surla Marmotte alpine et de préciser sesvaleurs esthétique, scientifique,culturelle, récréative et écono-mique qui permettent de consi-dérer cette espèce comme l'undes éléments de notre patrimoinenational et communautaire.

En été, pendant la journée, le promeneur peut surprendre dansles alpages la marmotte au pelage brun-jaunâtre. La marmotteémet un sifflement puissant soit en se dressant sur ses pattesarrières, soit en courant vers l'entrée d'un terrier.

Ce rongeur, au corps robuste, à la queue courte et touffue et auxpetites oreilles, mesure entre 60 et 80 centimètres (queuecomprise) et pèse entre 4 et 7 kg. Il est, cependant, très agile etbon grimpeur. Il forme des familles (2 à 15 membres), constituéesdes parents et de leurs jeunes nés les 2 années précédentes.Chaque famille défend un territoire d'un hectare contre tout intrusde son espèce et y creuse de nombreux terriers. Quelquesterriers servent d'habitation. Ils ont plusieurs entrées, des galeriesprofondes et une chambre centrale où se réunissent les animauxpour le repos. La femelle y met bas et y allaite ses nouveau-nésqui ne sortiront qu'après le sevrage (juillet). Les autres terriers,peu profonds, parsèment le territoire et servent d'abris en cas dedanger.

Pendant la journée, les marmottes mangent des plantes, avecune préférence pour les fleurs. Cette nourriture est transforméeen graisse qui sera utilisée pendant la période d'hibernation. Lesadultes font le tour du propriétaire et déposent des marquesodorantes aux limites de leur territoire et à l'entrée de leursterriers. Puis, ils se prélassent autour de leur terrier. Les plusjeunes jouent (course-poursuite, << match de boxe »). Mais toussurveillent l'approche éventuelle d'un de leurs ennemis : l'aigle, lerenard et le chien.

Au printemps (avant la naissance des marmottons) et en automne(avant l'hibernation), les marmottes renouvellent la litière de leurchambre, transportant dans leur bouche des touffes d'herbes, cequi leur fait une grande moustache. Le couple adulte s'accouplepeu après le réveil hivernal. La gestation puis l'allaitement desmarmottons durent cinq semaines. Avec l'automne, les marmottestrès grasses, deviennent moins actives. Puis, elles ferment lesentrées de leur terrier d'hiver avec un épais bouchon de terre etd'herbes mélangées. Tous les membres de la famille se blot-tissent les uns contre les autres, roulés en boule, la tête entre lespattes, et s'endorment dans la litière de la chambre souterraine.

Leur température corporelle chute jusqu'à 6°C, leur rythme res-piratoire et cardiaque ainsi que leur activité deviennent trèsfaibles, jusqu'à ce que les dures conditions hivernales laissent denouveau la place au printemps (avril). La marmotte sort alors desa léthargie pour s'égailler, à nouveau, dans les alpages.

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Répartition géographiqueAux temps préhistoriques

Le genre Marmota est apparu au Miocène en Amérique. Les marmottes s'y sont différenciées et leursreprésentants ont colonisé ensuite l'Eurasie par le pont (devenu un détroit) de Behring (Mein, 1992).D'Asie (Young, 1934), suivant les plaines de l'Est européen, le long du glacier du nord, elless'installèrent en Europe occidentale et atteignirent l'Espagne (Aguirre et al., 1990). Ses fossilesprésentent un mélange de caractères de Marmota bobac (l'autre espèce de marmotte européenne) et deM. marmota (Marmotte alpine actuelle), mais avec une nette prédominance des caractères de cettedernière (justifiant sa distinction comme la sous-espèce Marmota marmota primigenia (Kaup, 1839).Les fossiles de cet animal fouisseur sont difficiles à dater. On sait cependant qu'elle vivait en France eten Espagne au cours de la phase de glaciation rissienne et qu'elle abondait au cours du Wùrm(Chaline, 1972). Son aire de répartition s'est alors étendue, au nord, de la Belgique méridionale à laHongrie et, au sud, de la chaîne cantabrique en Espagne à la Croatie-Transylvanie (Dubois et Stehlin,1932 ; Mottl, 1958 ; Kurten, 1968). En France, des fossiles ont été découverts dans de nombreuxendroits, généralement à des altitudes inférieures à celles de son habitat actuel (fig. 1).Le réchauffement de la fin du Pléistocène amena le retour de la forêt. Les marmottes gagnèrent lesAlpes, les Carpates et les Tatras, cependant que leurs effectifs subissaient une diminution sévère,révélée par la réduction drastique de leur variabilité génétique à cette époque (Preleuthner et Pinsker,1993) et la différenciation del'espèce M. marmota. Nous nedisposons pas d'éléments permet-tant de situer le moment de ladifférenciation des deux sous-es-pèces actuelles : M. m. marmotaLinné, 1758 dans les Alpes et M.m. latirostris Kratochvil 1961,dans les Tatras.

Aux époques historiquesLa Marmotte alpine a probable-ment disparu des Pyrénées dès lafin de la période glaciaire, bienque sa présence y ait été faus-sement affirmée dans des traitésde zoologie (Buffon, 1761 ;Bonnier, 1922). Elle a égalementdisparu de Slovénie (Vidic,1988), de certains cantons suisses(Fribourg : Musy, 1883 ; Jura :Schnorf, 1963) et des Apennins(Ferri et al., 1987). Sa disparitiona été plus tardive dans d'autrescantons suisses (Appenzell etToggenbourg : Tschudi, 1859),dans certains massifs préalpins deFrance (Vercors : Millier, 1941)et dans les Carpates méridionales(vers 1868 ; Almasan, 1981). En

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Allemagne, elle n'était présente que dans les environs de Berchtesgaden et dans l'Allgau occidental(Muller-Using, 1954).Son aire de répartition n'a cessé de se réduire jusqu'au début du XXe siècle, probablement du fait del'homme, et l'on a même craint qu'elle ne disparaisse de France (Dénarié, 1902).Cependant, dès le XIXe siècle, des opérations de (ré)introduction ou de repeuplement sont entreprisesen Suisse (Fribourg : Musy, 1883 ; Vaud : Neet, 1992), en Allemagne (Bavière en 1887 : Muller-Using, 1954), en Autriche (Styrie, Carinthie, Salzbourg, Tyrol et Vorarlberg), en Slovénie et dans lesBas Tatras (Jamnicky, 1977).

A l'heure actuelleL'aire de distribution de la Marmotte alpine s'est accrue, sauf dans la zone des Tatras où, malgré desmesures de protection, le nombre de colonies continue à diminuer (il en reste 160 en Slovénie d'aprèsChovancova, 1987 ; 30 en Pologne d'après Byrcyn, 1997). En Allemagne (Bade-Wûrtenberg, Bavière- Miinch, 1958), en Autriche (Krapp, 1978), dans les Carpates ukrainiennes (Kryzhanosky, 1983), enItalie (Apennins - Ferri et al., 1988 ; Frioul - Lapini, 1989 ; Vénétie - Corona, 1992), en Roumanie(Almasan, 1981) et en Suisse (Jura -Neet, 1992), les (ré)introductions de marmottes, souventcouronnées de succès, se sont multipliées. En France, dans les Alpes et les massifs préalpins, l'espèceprésente une expansion spatiale depuis 1964 (Magnani et al, 1990).Celle-ci est due à l'importance des renforcements de population et à la réussite des' réintroductions(Bauges, Chablais, Vercors - Vuillet, 1990), à la déprise agricole, à la désaffection des chasseurs et àla mise en place d'aires protégées (Ramousse et al., 1992). Ainsi, en 1990, le nombre de communesalpines où la marmotte est présente a augmenté de 68% dans les Alpes du Nord et de 41% dans lesAlpes du Sud, par rapport à 1964. Les réintroductions permettent de supprimer les difficultés qu'auraitcette espèce à reconquérir son aire antérieure du fait du morcellement des paysages et de l'apparitionde nouveaux éléments de cloisonnement de son espace.La réussite de l'introduction récente de la marmotte dans les Pyrénées a entraîné la colonisation detout le massif aussi bien des versants français (Couturier, 1955 ; Lépineux, 1965 ; Besson, 1971 ;Ramousse et al, 1992 ; 1993 ; Nebel, 1992) que des versants espagnols (Herrero et al. 1987). Dans leMassif central, les introductions, plus récentes encore, semblent avoir réussi (Lamberet, 1989 ; Métrai,1996). Elles ont en revanche échoué dans les Vosges (Boithiot, 1979), dans le Jura (Fayard et al.,1979) et en Côte-d'Or (Chaline, 1972). Les introductions de marmottes sont déconseillées depuisl'adoption en 1985 de la recommandation R/85/15 de la Communauté européenne, puis de cellesd'organisations internationales comme l 'UICN (1987).Cependant, nous ne disposons pas, pour l'instant, d'une «carte de la Marmotte» montrant leurrépartition en regard des conditions écologiques, ni a fortiori d'un système informatisé géographique(SIG) couvrant toute l'aire de l'espèce en France. Ainsi nous demeurons incapables de caractériser ladynamique de l'ensemble des populations (extension spatiale et/ou expansion démographique ?).

Statut juridique

La marmotte alpine fait partie des espèces protégées de la faune (Annexe I I I , Convention de Berne,1979, ratifiée par la France en 1990 ; Annexe I I I , Convention relative à la conservation de la viesauvage et du milieu naturel de l'Europe, 82/72/CEE). En conséquence, au plan national, la Marmottealpine est une espèce non domestique, appartenant au patrimoine biologique national. Elle fait partiede la liste des espèces de gibier dont la chasse est autorisée (arrêté ministériel du 26 juin 1987 modifiépris en application de l'article L.224.1 du Code rural), mais ne figure pas sur la liste des animauxsusceptibles d'être classés « nuisibles » (arrêté ministériel du 30 septembre 1988).

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L'espèce bénéficie de mesures de piotection inscrites dans le Code rural : le colportage, la mise envente, la vente ou l'achat de spécimens morts (R 211.1 à R211.3), le déterrage, le piégeage (R. 227.5),le transport de spécimens vivants (L. 224.8) sont interdits. Une réglementation contrôle la capture et letransport des marmottes à des fins scientifiques ou de repeuplement (article 11 de l'arrêté ministérieldu 1er août 1986, article R. 224.14 du Code rural) ainsi que les réintroductions (nouvel article L 211.3du Code rural ; Janin, 1996).Cette législation est conforme, d'une part, à la Convention relative à la conservation de la vie sauvageet du milieu naturel de l'Europe (82/72/CEE) et, d'autre part, au règlement 3254/91 interdisant le piègeà mâchoire dans la Communauté européenne, ainsi que l'accord 98/142/CE sur des normes depiégeage sans cruauté, même si les résistances et dérogations à ces dernières restent nombreuses (LeBerre et al, 1993 ; Léonard et al, 1997).

Histoire culturellePréhistoire et histoireLes marmottes sont souvent présentes dans les sites fossilifères du Quaternaire. Cependant les preuvesd'utilisation de la marmotte par l'homme sont plus rares (alimentation carnée : Bocherens H. et al. inRebeyrol, 1991 ; traces de découpes dans un site magdalénien du Vercors : Patou, 1987 ; Giacobini,1992). Ce gibier ne devait constituer qu'un appoint, bien que sa capture soit relativement aisée du faitde la territorialité des animaux. Les représentations pariétales sont rares : Cambarelles (Dordogne),Gourdan (Haute-Garonne), Istruritz (Pyrénées-Atlantiques). Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, lachasse et diverses formes de braconnage (déterrage) ont permis de satisfaire les besoins en viande desbergers, des alpagistes et de leurs chiens (Dousset, 1996). Le déterrage a laissé dans le paysage destraces encore perceptibles. La graisse constituait une source importante de lipides et était employée àdes fins médicinales. L'huile de marmotte était utilisée pour soulager les douleurs par friction, pour lepansement des plaies après macération prolongée dans l'huile des galles de feuilles de Rhododendronferrugineum (Chabert, 1986). L'utilisation de l'huile de marmotte persiste de nos jours, bien que defaçon réduite, dans toutes les communautés européennes dans le monde (Wieser, 1990). La peau et lafourrure ont été utilisées de façon artisanale (Guérin, 1837 ; Bossu, 1858 ; Bonnier, 1922). Lesrhumatisants et les arthritiques usaient volontiers de caleçons en peau de marmotte (Chabert, 1986).

L'apprivoisement de marmottons semble avoir été courant, en particulier en Savoie (Fourcade, 1996).Ces marmottes, souvent dressées à donner un spectacle, accompagnant les nombreux migrantssaisonniers savoyards dans toute la France et une partie de l'Europe (Maistre et Heitz, 1992), étaient à

la fois source de revenus et compagnes de voyage. Leur réputation a ainsi largement franchile cadre des montagnes. La boîte d'échantillons des colpor-

teurs fut ainsi dénommée marmotte, un usagequi se perpétue chez les VRP (vendeur-

représentant-placier) etqu'utilisent restaurateurs

et hôteliers pour attirerces derniers. Plus géné-

ralement, les Savoyards furentappelés « marmottes », avec une

connotation souvent péjorative,jusqu'à la disparition des colpor-

teurs et la participation des« Marmottes » à la Révolu-

tion française.

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Les descriptions traditionnelles de la marmotte présentent un fort degré d'anthropomorphisme :capacité communicative élevée, construction d'abris, caractéristiques éthologiques (posture verticale,manipulation d'objets, vie familiale, territorialité) (Dousset, 1994 ; 1996 ; Fourcade, 1994 ; 1996)!L'utilisation, voire l'exploitation du nom de la marmotte s'est développée le plus souvent en passantdes domaines géographique, local et traditionnel à ceux du tourisme et du commerce.

Époque moderne

Au cours du dernier demi-siècle, les montagnes françaises sont passées d'une économie de subsistanceà une économie centrée sur le tourisme. L'utilisation extractive de la ressource marmotte est en fortedécroissance. Elle est en partie masquée par l'instauration de nouveaux tabous : il est difficiled'avouer avoir tué ou consommé des marmottes, face à la généralisation de l'utilisation de l'image oudu nom de la marmotte. La marmotte est rendue responsable par une part de la population rurale de ladéprise agricole : « Les marmottes nous chassent des alpages ». Tant les professionnels des sports demontagne que les divers prestataires de services (commune, restaurants, hôtellerie - Ramousse, 1997)et des médias (en publicité pour le Tétrapack ou le chocolat Milka, au cinéma et à la télévision avec lefilm et les téléfilms Les marmottes) se sont appropriés son image. Ce sont désormais les touristeshabitants temporaires des alpages qui sont affublés du nom de marmottes, lesquels touristes sontdevenus une ressource renouvelable, remplaçant la ressource primaire que constituait ce rongeur pourles générations montagnardes précédentes (fig. 2, ci-dessous).

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Analyse économique

La marmotte, comme élément de la faune sauvage, est l'objet de demandes récréatives etpatrimoniales.La valeur de consommation de la marmotte (valeur qu'il aurait fallu payer, dans une économie demarché, pour utiliser des produits de chasse) a décru fortement, sauf pour quelques ruraux. Sa valeurde production (revenus que l'on peut tirer, sur le marché, de la vente de marmottes) a totalementdisparu, du fait de la législation protégeant la faune de montagne.La marmotte est, du point de vue d'exploitants agricoles et d'éleveurs, un animal ravageur. Suite à untravail préliminaire des dégâts réalisés par les marmottes sur la commune de Bonneval (Le Berre etRamousse, 1991), une enquête plus complète a été réalisée sur cette commune pour définir les coûtssupportés par les agriculteurs hébergeant ce rongeur sur leurs propriétés. Les marmottes commettentdes dégâts dans les herbages, font des amas de terre et de pierres en surface qui, en souillant lefourrage lors de la récolte, le rendent moins attractif et entraînent des bris et une usure des machinesagricoles ; elles portent atteinte également aux habitations. Les coûts entraînés par la présence desmarmottes sont réels mais néanmoins plusieurs fois inférieurs aux bénéfices que rapportent lesdemandes et les consentements à payer pour l'accès aux marmottes. Or, ce sont les mêmes personnesqui souffrent des dégâts de marmottes qui bénéficient également des rentrées via leur consommation(non avouée), la vente de produits agricoles locaux, les locations de gîtes ou les services derestauration ou de souvenirs (Dubos, 1993).

L'analyse des coûts et bénéfices des (ré)introductions ont permis de proposer un modèle estimant lavaleur de présence des marmottes réintroduites à 40 fois l'effort financier de réintroduction et deprotection de l'animal (Bosio, 1994).Une appréciation qualitative de la valeur récréative (valeur induite par l'utilisation récréative d'uneressource naturelle et des produits culturels qui en dérivent) de la marmotte, réalisée à partir de lafréquence d'utilisation de son nom dans les enseignes commerciales, montre que le nom de lamarmotte, contrairement à celui du chamois, est utilisé dans l'ensemble de la France, et plusfréquemment que ce dernier (Ramousse, 1997). Cet engouement des professionnels pour la marmottese retrouve aussi chez les touristes qui achètent, parmi un choix de carte postales animalières desprincipaux mammifères de montagne, préférentiellement celles représentant la marmotte (25% en1997) plutôt que celles du chamois (8%) ou du bouquetin (8%) (Ravanel, 1997, comm. pers.).

L'évaluation financière du rôle de la marmotte dans le maintien d'un écosystème (valeur écologique)n'a pas été entreprise. Cependant, nous disposons d'indications concernant cette valeur. Ainsi, parmi

les justifications en faveur des (ré)introductions de marmottes, on met enavant leur contribution, d'une part, au maintien et à la

conservation des pelouses caractéristiques des paysagesalpins, en particulier dans les zones de déprise

agricole et, d'autre part, au maintien de cer-taines espèces fragiles comme l'Aigle

royal ou même l'Ours, tout en limitant lapression de chasse sur d'autres espèces

menacées (Coq de bruyère, Chamoisou Lièvre variable). En effet, la

Marmotte alpine est une proiecourante de l'aigle dans les

Alpes (Haller, 1966) commedans les Pyrénées (Clouet,1981). Mais cela dépend des

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conditions locales : ainsi dans la réserve du mont Vallier (Ariège), l'aigle ne consomme aucunemarmotte, préférant les isards abondants dans ce lieu (Nebel et al, 1997).L'activité fouisseuse des marmottes modifie les paysages (certains terriers sont plus que centenaires)et crée des micro-écosystèmes offrant des abris à de nombreuses autres espèces comme le Lièvrevariable, des oiseaux et de nombreux invertébrés (Marié, 1930). L'importance de l'impact sur le sol decette activité a été mis en évidence chez d'autres espèces : aération, drainage, mélange des horizons,redistribution des sels minéraux, entraînant la formation d'associations végétales nouvelles etdynamiques. Les rejets de terre en surface constituent un milieu favorable à la germination de graines,particulièrement des plantes annuelles (Andersen, 1983 ; Kopp, 1993).L'activité de broutage des marmottes réduit la dominance d'espèces végétales communes et augmenteainsi la biodiversité végétale locale (Del Moral, 1984). Cette activité peut aussi limiter ledéveloppement des herbes longues qui créent des surfaces favorables au déclenchement desavalanches (Delpech, 1975). Enfin, les marmottes consomment des orthoptères (criquets, sauterelles)et peuvent réduire leur prolifération en altitude (Voisin, 1986).La marmotte est donc une ressource naturelle renouvelable et doit être considérée comme un biend'environnement (Thiébaut, 1993) qu'il faut gérer.

La gestion des marmottes en France

On réunit sous le terme de gestion l'ensemble des actions qui permettent de conserver un patrimoinenaturel intact, voire qui mènent à en augmenter la valeur (conservation et aménagement).

Conservation

Etat des lieuxII est nécessaire de disposer d'un état de référence concernant la distribution spatiale et l'effectif desmarmottes.On ne dispose pas encore d'une cartographie fiable de l'aire de distribution des marmottes en France,tenant compte non seulement de la présence-absence des animaux mais aussi de leur densité. Seuleexiste la carte de répartition de l'Office national de la chasse (ONC) dressée par Magnani et al. (1990)pour les départements alpins, sur la base d'un découpage administratif (communes) et des cartesrégionales - Ardèche, Haute-Loire (Métrai 1996), Drôme (Giboulet, 1996) - ou locales - réserve duMont-Vallier (Ramousse et al, 1994), Valdrôme (Bonnet-Arnaud et al, 1996) - prenant en comptedes paramètres écologiques.Malgré la mise au point d'une méthode de comptage adaptée à la situation de la marmotte, on neconnaît l'effectif de la population de marmottes que dans quelques sites particuliers. Cet effectifsemble stable dans les zones d'implantation historiques : Prapic, parc national des Écrins (Cortot et al,1996 ; La Sassière, parc national du Vercors) ; il est en augmentation dans les sites d'introduction :Mont-Vallier, Pyrénées (Nebel et al, 1997). Une meilleure connaissance des facteurs écologiques,climatiques et sociaux influant sur l'occupation de l'espace par différentes populations de marmottes(Allainé et al,. 1994 ; Frigerio et al,. 1996) devrait permettre de développer un modèle d'estimationreposant sur une combinaison de comptages, d'estimation d'indices de présence - réalisée à LaSassière, à La Lenta (Vanoise), à Prapic (Les Écrins) et au Mont-Vallier (Pyrénées) (Ramousse etGiboulet, 1997) - et sur la cartographie (informatisée ou SIG) des zones ou sites potentiels d'accueilde marmottes.

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Dynamique de la ressourceLa dynamique de la ressource permet de définir son évolution temporelle, ce qui suppose de connaîtrecertains paramètres démographiques et de les modéliser.La technique de capture-marquage-recapture (méthode de dénombrement absolue et directe qui, enprincipe, fournit l'effectif de la population) s'applique bien à la marmotte. Le seul instrument decapture qui répond aux normes de piégeage sans cruauté de la Communauté européenne est la boîte-piège (Le Berre et al, 1993). Grâce aux données de capture-recapture couvrant 7 années (de 1990 à1996), on a testé le rôle de facteurs spécifiques (âge et sexe) et environnementaux dans les variationsdes taux de survie dans la population de La Sassière. Le sexe n'intervient pas dans les variations desurvie, ni l'âge (bien que la structuration de la mortalité par l'âge soit la règle chez les mammifères).Les variations annuelles des taux de survie sont importantes et en corrélation positive avecl'enneigement hivernal, suggérant que l'isolation thermique des terriers pendant l'hibernation pourraitêtre un facteur majeur de la survie annuelle (Farand et al., 1997). Au cours de l'hibernation, unethermorégulation sociale limite les pertes énergétiques des marmottons et favorise leur surviehivernale (Arnold, 1988). En revanche, lors de la prise de contrôle d'un groupe familial par unnouveau mâle, celui-ci peut éliminer les jeunes de l'année de la femelle résidente. Ces infanticidespourraient être une façon de réduire le coût de la thermorégulation sociale pendant l'hibernation et depréserver le potentiel reproductif futur de la femelle (Perrin et al., 1994 ; Coulon et al., 1995). Mais ona aussi vu une femelle gravide se faire accepter et ses jeunes se faire adopter par un mâle dominant(Gossenseïa/,. 1996).

L'identification des liens de parenté (au moyen d'une technique basée sur le polymorphisme desmicrosatellites) et des observations comportementales sur le terrain ont permis de préciser le systèmed'appariement de la Marmotte alpine. L'analyse génétique était non destructrice, puisqu'effectuée àpartir de poils prélevés sur les animaux pendant leur capture. On sait ainsi que le mâle résident d'ungroupe familial n'est pas le père de tous les jeunes de ce groupe : 19% des juvéniles sont issus decopulations hors couple (Goossens et al., 1996).La dispersion (le fait de s'installer et se reproduire loin de son lieu de naissance) a desconséquences importantes sur la biologie des populations, tant du point de vuegénétique que du point de vue démographique. De l'étude des interactionssociales entre individus du même groupe, il ressort que les canevas dedispersion trouvés semblent dépendre non seulement ducomportement des dominants mais aussi de celui des subordonnés(Magnolon et al., 1997). La condition du dispersant peutdépendre de son patron de croissance depuis la naissance.L'analyse de la croissance entre la naissance et le sevrage (encaptivité) et entre le sevrage et la première hibernationmontre que la croissance pré-sevrage n'est affectée quepar l'état de la mère alors que la croissance post-sevrageest affectée par plusieurs facteurs tels que l'expositiondu domaine au soleil, la taille de portée, l'année et lesexe (Graziani et al, 1996 ; Allainé et al, 1998).Cependant la liaison entre ces patrons decroissance et ceux de dispersion reste à établir.La Marmotte alpine est une espècehautement sociale. Chaquegroupe familial constitue unsystème unique. Le niveaude familiarité entre sesmembres ainsi que leurs

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caractéristiques individuelles peuvent in-fluencer les interactions sociales ainsi quela dispersion ou le recrutement (Perrin,1996). La cohésion du groupe familialsemble assurée par le marquage olfactif desterriers principaux, auquel participent tousles membres matures du groupe. Enrevanche, le marquage desfrontières territoriales dugroupe est presque ex-clusivement le fait ducouple reproducteur dugroupe (Bel et al, 1996 ; 1997).

La connaissance de ces paramètres constitue la base écologique d'une gestion rationnelle de la mar-motte, associée aux données socioécologiques et à la connaissance des capacités de charge desmilieux.

Activités d'aménagement

Les activités d'aménagement relatives à la Marmotte alpine sont réalisées de manière empirique, sansconcertation, sans plan national ou régional, sans étude d'impact préalable.Pourtant, la Marmotte est le mammifère qui a donné lieu au plus grand nombre de (ré)introductions enRhône-Alpes durant les dernières décennies : 91 opérations détectées depuis 40 ans (Ramousse et al,1992). Cette abondance d'opérations s'explique par le fait que les transferts de marmottes nedemandent pas une logistique lourde et ont été directement accessibles aux particuliers (Couturier,1955). Elles ont, dans certains cas, abouti à l'introduction de l'espèce dans des régions où sa présencen'avait jamais été attestée à l'époque historique (Pyrénées et Massif central, cf. ci-dessus). Mais danstous les cas, il y a un coût pour la communauté et un risque pour l'évolution de la biodiversité dansnos écosystèmes. La communauté ne prend en charge que les coûts liés à la capture et à la logistiquedes opérations et plus rarement ceux liés au choix des sites, à l'étude d'impact ou au suivi à longterme.

Ainsi pour le choix des sites, si les principales conditions écologiques favorables à l'installation desmarmottes étaient bien connues, il n'en était pas de même de leurs besoins alimentaires. Leur régimen'a été précisé que récemment et chez un nombre restreint de groupes familiaux. Il apparaît peudiversifié pour un rongeur vivant dans un environnement floristique riche. Les Dicotylédones sontpréférées aux Poacées (anciennes Graminées) et les fleurs aux parties végétatives et graines. Or lesDicotylédones sont plus riches en nutriments que les Poacées (Carey, 1985). De plus, un nombreréduit d'espèces végétales couvre une grande partie des besoins nutritionnels. La marmotte opère par

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ailleurs une sélection sur la végétation puisque les organes consommés appartiennent le plus souvent àdes plantes à faible taux de recouvrement, réparties irrégulièrement sur le domaine vital et souventéloignées du terrier principal (Massemin et al., 1992 ; 1996 ; Bassano et al, 1996).Les études d'impact ont été absentes ou sommaires, souvent du fait de l'insuffisance desconnaissances sur l'espèce. Les liens entre des modifications du milieu par l'homme et deschangements dans la répartition de la marmotte n'ont pas été étudiés. Pourtant, dans une aire protégée(La Sassière), des groupes familiaux se sont déplacés d'une pente d'éboulis aux prairies voisines. Maisil est difficile de dire si le déplacement est le résultat de l'arrêt de l'occupation humaine ou de l'arrêtde l'irrigation qui l'accompagnait. Par contre, les changements culturaux et de gestion du milieupeuvent avoir un impact important sur la répartition de la marmotte. L'épandage d'engrais auprintemps dans les prairies semble y attirer les marmottes, comme le salage des routes les attire sur cesdernières.

On a en revanche évalué les conséquences des dérangements occasionnés par les activités récréativeshumaines. L'augmentation de la pression anthropique entraîne une modification des rythmes d'activitéet d'alimentation des marmottes, une augmentation de leur vigilance, une limitation de leurdéplacement au sein de leur domaine vital et une diminution de la sélectivité pour les dicotylédonesqui pourraient affecter leur survie (Gibault et al., 1996 ; Renard et Ramousse, 1997). Cependant, ceseffets négatifs peuvent être équilibrés, dans les aires protégées, soit par une augmentation de leurtolérance à la présence humaine - distance de fuite moindre et mémorisation de ces contraintes d'uneannée à l'autre (Louis et Le Berre, 1996) -, soit par des modifications de tactiques comportementales :s'éloigner des sentiers seulement aux heures de grande affluence (Neuhaus et al, 1993), ne s'enfuirque si les touristes quittent le chemin bordant leur territoire (Franceschina-Zimmerli et Ingold, 1994),accroître la densité des abris à proximité des sentiers (Semenov et al., 1997).Le déplacement de populations animales peut être responsable de l'apparition locale de formesparasitaires inconnues ou de nouvelles maladies. Les Marmottes sont en général d'importants vecteursd'infections bactériennes et virales. Mais la plupart des maladies décrites chez les autres espèces nesont pas observées chez la Marmotte alpine. Cette absence ne traduit peut-être que la rareté desrecherches spécifiques chez cette espèce, ce qui est particulièrement dommageable pour une espècechassée. Cependant, la flore parasitaire du genre Marmota est strictement spécifique et les agentsinfectieux ne peuvent pas passer à d'autres espèces animales (à l'exception des puces et des tiques ;Sabatier, 1989 ; Bassano et al. 1992). Par contre, la Marmotte alpine peut être affectée par desparasites de ruminants sauvages ou domestiques (Bassano, 1996). En Savoie, la recherche desparasites dans différents sites a déjà permis de confirmer la présence d'un parasite lié aux ovins et demontrer l'existence de deux nouveaux parasites chez la Marmotte alpine (Callait, 1997). Uneévaluation du rôle joué par les parasites sur l'accumulation lipidique et le taux de survie chez lamarmotte alpine est en cours (Callait et al, 1996).

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Les suivis à long terme des (ré)introductions sont insuffisants. Cependant, les processus decolonisation de la marmotte sont étudiés dans deux sites (Mont-Vallier et Valdrôme). Certainsanimaux se dispersent sur de longues distances (30 km du point de lâcher). L'aire de répartition estmorcelée, les marmottes s'installent dans un premier temps à proximité d'éboulis rocheux ou defalaises. Leur activité fouisseuse s'accroît d'année en année dans les prairies voisines où de nouveauxgroupes familiaux s'installent. Ceci semble indiquer que la réalisation de terriers sûrs est une conditionimportante pour la colonisation des milieux ouverts. L'absence de latrines externes est générale. Lesdistances de fuite de ces animaux sont nettement plus élevées que dans les sites d'origine et la fuite seréalise sans cris d'alarme. Il en va de même pour le temps passé dans le terrier après un dérangement(Bonnet-Arnaud et al., 1996 ; Giboulet et al, 1997). De plus, des dispersions lointaines sont observéesau printemps, en particulier à basse altitude, sans installations permanentes contrairement à ce qui aété observé dans les Apennins (Sala et al, 1997). Les phénomènes de la dispersion des jeunes adultesmatures et de la colonisation restent encore mal compris (Giboulet et al, 1996 ; Magnolon et al,1997).

Il faut également assurer un suivi des espèces parasites chez les marmottes déplacées. Dans lesPyrénées, les espèces parasites sont moins nombreuses que chez les marmottes des Alpes dont ellesproviennent, confirmant l'hypothèse que le déplacement de population s'accompagne d'une perted'espèces parasites dans la population-hôte déplacée. En revanche, des parasites nouveaux pour lamarmotte apparaissent, provenant d'autres vertébrés du milieu (Gortazar et al, 1996).La coopération entre les gestionnaires de la chasse et des milieux protégés et les chercheurs a abouti àdes propositions de recommandations en vue de l'établissement d'une charte de réintroduction de laMarmotte alpine (Geay et al, 1996 ; Ramousse et Le Berre, 1996) et pour préparer un document degestion pour cette espèce dans les aires protégées (Cortot et al, 1999).

En conclusion

Les marmottes constituent un sujet d'intérêt pour des gens appartenant à une grande diversitéd'horizons socioprofessionnels. Pour les montagnards des Alpes, après avoir été une ressourceextractive, elle est devenue une ressource récréative, un des supports du développement durable deleur région. Les montagnards ont su, au cours des siècles, construire une image populaire valorisante,au niveau national, de cet animal. Pour le chasseur, c'est un gibier de faible valeur cynégétique. Pourle scientifique, c'est un modèle biologique exceptionnel permettant de résoudre bien des inconnues enmatière de survie en milieu extrême. Pour le touriste estival, c'est un élément d'animation des alpagesparticulièrement apprécié des petits et des grands. Mais pour le gestionnaire d'aires protégées, c'estl'une des espèces pour lesquelles il conviendra dans un avenir très proche de définir des plans degestion appropriés, en utilisant les connaissances rassemblées par les chercheurs, lesquelles restentincomplètes sur bien des points, malgré les efforts récents de recherche dont on a rendu compte ici.

La Marmotte alpine fait partie de notre patrimoine naturel et culturel, héritage que peuventrevendiquer les générations futures et que nous avons le devoir de préserver en le gérant de façonavisée. Son avenir est indissociable de celui de l'ensemble de l'écosystème et de l'ethnosysteme alpinset la vigilance du gestionnaire doit porter sur l'ensemble du milieu et non seulement sur l'un de seséléments. Par sa fragilité, l'environnement alpin demande une surveillance attentive, en particulierdans la prévision de changements climatiques globaux qui ne manqueront pas de l'affecter (Ozenda etBorel, 1991) et nécessiterait la mise en place d'un observatoire général de l'environnement alpin.

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Les dessins de marmottes dans différentes postures sont de Jacques Coulon (Sassiere, 7 septembre 1990).

On a vu successivement la Marmotte alpine : s'alimentant en posture dressée (p 40), en posture d'étalement sur un rocher (p. 43), en posture de« surveillance » allongée (p. 45), en posture d'alerte avec émission de cri (p. 48), en deux autres postures de « surveillance » (p. 49), de nouveau enposture d'étalement sur un rocher (p. 50), en posture d'inspection avant la sortie du terrier (ci-dessus).

Bibliographie

Les références bibliographiques citées sont accessibles dans une liste bibliographique BibliographiaMarmotarum {cf. ci-dessous), publiée (sur papier) ou accessible sur la Toile. Aussi ne citerons-nousque quelques livres et quelques comptes rendus de conférences internationales et nationalesimportantes.