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La machine à voyager dans le temps qui ma été « si généreusement fournie » par mon professeur de latin, ma permis de me rendre en lan 14 apr. J.-C. Là, j’ai rencontré Flavia, une jeune fille romaine de qua- torze ans, qui a gentiment répondu à mes questions, me permettant de rendre ce DM à M. Frétard 1 . Sur le forum, je croise une jeune fille, accompagnée dun esclave ; je me dis que cest une « discipula », qui rentre de lécole avec son « paedagogus ». Je linterpelle : « Excusez moi, jeune fille, me permettez-vous de vous poser quelques questions ? Oui, bien sûr, euh... ? Vincent, je mappelle Vincent ; et vous ? Moi cest Flavia, fille du sénateur Flavius. Bien, pour commencer, expliquez-moi comment se passe la naissance d’une Romaine. Daccord. Alors, à la naissance, si cest une fille, elle reprend le prénom de son père et quand elle se marie, celui de son époux. Elle appartient à son père puis à son mari. La femme change dappellation sui- vant son « statut » : on lappelle « infans » quand elle a moins de sept ans ; ensuite, on lappelle « puella » (jeune fille non mariée). Quand elle est un peu plus grande, elle est nommée « virgo » (vierge). La femme mariée est appelée « uxor » (épouse). Quand elle a des enfants, on lappelle « matrona » (mère de famille) et quand elle vieillit, elle est appelée « anus » (elle ne peut plus avoir denfant). Très bien, et pour les hommes ? Si cest un garçon, on lui donne un nom. Lhomme change dappellation suivant son âge : « infans » jusquà sept ans (comme les filles). Ensuite, il est nommé « puer » (de sept à dix-sept ans) puis « adoles- cens » (jeune homme citoyen-soldat : de dix-sept à trente ans). Quand il finit son service militaire et quil exerce mieux son rôle de citoyen, il est appelé « juvenis » (de trente à quarante-six ans) puis « senior » (lhomme mûr, de quarante-six à soixante ans). Après, cest « senex » (le vieillard, de soixante à quatre- vingts ans) et enfin « aetate provectus » pour les plus vieux (plus de quatre-vingts ans, ce qui est rare). Et comment se déroule votre éducation ? Nous n’allons au « ludus litterarius » (l’école privée) quà partir de sept ans (avant cela, cest le « pa- ter familias » (père de famille) qui nous éduque, ou un « paedagogus ») ; là, le « ludi magister » nous ap- prend à lire, à écrire et à compter (pendant quatre ans). Nous étudions les lettres de lalphabet, puis les syllabes pour apprendre à lire. Lécole est payante et autoritaire, les fautes sont souvent punies à coups de férule (une baguette en bois) ou à coups de lanières de cuir. Tiens, voici une férule : 1 Qui, à son tour, remercie la jeune fille de s’être livrée si généreusement à cet exercice. Férule : © http://www.chasseurdemots.fr/boojumism/sous-la-ferule-ou-sous-la-houlette/

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La machine à voyager dans le temps qui m’a été « si généreusement fournie » par mon professeur de

latin, m’a permis de me rendre en l’an 14 apr. J.-C. Là, j’ai rencontré Flavia, une jeune fille romaine de qua-

torze ans, qui a gentiment répondu à mes questions, me permettant de rendre ce DM à M. Frétard1.

Sur le forum, je croise une jeune fille, accompagnée d’un esclave ; je me dis que c’est une « discipula »,

qui rentre de l’école avec son « paedagogus ». Je l’interpelle :

« Excusez moi, jeune fille, me permettez-vous de vous poser quelques questions ?

— Oui, bien sûr, euh... ?

— Vincent, je m’appelle Vincent ; et vous ? Moi c’est Flavia, fille du sénateur Flavius.

— Bien, pour commencer, expliquez-moi comment se passe la naissance d’une Romaine.

— D’accord. Alors, à la naissance, si c’est une fille, elle reprend le prénom de son père et quand elle se

marie, celui de son époux. Elle appartient à son père puis à son mari. La femme change d’appellation sui-

vant son « statut » : on l’appelle « infans » quand elle a moins de sept ans ; ensuite, on l’appelle « puella »

(jeune fille non mariée). Quand elle est un peu plus grande, elle est nommée « virgo » (vierge). La femme

mariée est appelée « uxor » (épouse). Quand elle a des enfants, on l’appelle « matrona » (mère de famille)

et quand elle vieillit, elle est appelée « anus » (elle ne peut plus avoir d’enfant).

— Très bien, et pour les hommes ?

— Si c’est un garçon, on lui donne un nom. L’homme change d’appellation suivant son âge : « infans »

jusqu’à sept ans (comme les filles). Ensuite, il est nommé « puer » (de sept à dix-sept ans) puis « adoles-

cens » (jeune homme citoyen-soldat : de dix-sept à trente ans). Quand il finit son service militaire et qu’il

exerce mieux son rôle de citoyen, il est appelé « juvenis » (de trente à quarante-six ans) puis « senior »

(l’homme mûr, de quarante-six à soixante ans). Après, c’est « senex » (le vieillard, de soixante à quatre-

vingts ans) et enfin « aetate provectus » pour les plus vieux (plus de quatre-vingts ans, ce qui est rare).

— Et comment se déroule votre éducation ?

— Nous n’allons au « ludus litterarius » (l’école privée) qu’à partir de sept ans (avant cela, c’est le « pa-

ter familias » (père de famille) qui nous éduque, ou un « paedagogus ») ; là, le « ludi magister » nous ap-

prend à lire, à écrire et à compter (pendant quatre ans). Nous étudions les lettres de l’alphabet, puis les

syllabes pour apprendre à lire. L’école est payante et autoritaire, les fautes sont souvent punies à coups de

férule (une baguette en bois) ou à coups de lanières de cuir. Tiens, voici une férule :

1 Qui, à son tour, remercie la jeune fille de s’être livrée si généreusement à cet exercice.

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Puis de onze à quinze ans, poursuivit-elle, nous découvrons les auteurs latins et grecs dans un ensei-

gnement bilingue avec le « grammaticus ». La plupart des élèves sont des garçons.

— Et vous, où en êtes-vous ? J’ai quatorze ans, donc je reviens d’un cours avec le « grammaticus » sur

Sophocle.

— Ah, magnifique. Et après 15 ans ?

— Après 15 ans, les jeunes qui continuent sont des garçons, car avec le « rhetor », ils apprennent l’art

de bien parler en public, la vie politique et juridique et se forment à l’éloquence et à la philosophie. La poli-

tique n’est pas pour les femmes.

— Et où et avec quoi apprenez-vous ? Y a-t-il des vacances ?

— La classe se fait sur le forum, dans des sortes de boutiques. L’aménagement de la salle est simple.

Nous sommes assis sur des bancs ou des escabeaux, nous écrivons donc sur nos genoux. Quant au maître, il

est assis sur un siège appelé « chaire » (cathedra). Nous possédons chacun une tablette de cire et un stylet,

qui nous permettent d’écrire. Pour compter, nous utilisons un abaque. Voici mon abaque et mes tablettes

de cire :

Nous avons cinq jours de vacances en mars et tout l’été. (Je suis bien content de vivre au XXIe siècle !

me dis-je). Durant nos vacances, nous nous distrayons en jouant aux osselets, au cerceau ainsi qu’à la pou-

pée. Nous aimons également attacher des animaux (pigeons, oies, souris...) à des petits chars et les regar-

der ensuite faire la course.

— Et est-ce que les garçons et les filles sont traités de la même manière ?

— Non : le « pater familias » a le droit de vie ou de mort sur la fille cadette de la famille, mais pas sur

le garçon (aucun des garçons, sauf sur les chétifs ou les malformés).

— D’accord. Maintenant racontez-moi la vie des femmes adultes : les mariages, les divorces...

— Une fille peut se marier à partir de douze ans – quatorze ans pour les garçons. Il y a eu plusieurs

types de mariages, mais sous l’Empire, il n’y en a plus qu’un : les « nuptiae ». Pour les plus riches, le ma-

riage est généralement arrangé pour des raisons sociales et économiques. L’époux, supposé prendre soin

de sa femme, se marie en général vers vingt ans (avec une jeune fille souvent beaucoup plus jeune). Le

mariage est monogame. Pour le divorce, le mari a juste à réclamer les clefs de la maison devant un témoin.

En cas de divorce, la femme romaine garde sa dot sauf si elle est accusée d’adultère. Sous la Rome royale,

seuls les hommes pouvaient divorcer. Mais à la fin de la République, les femmes ont obtenu le droit de

divorcer ainsi que celui de se remarier immédiatement. Le divorce est validé par un magistrat. Il y a de plus

en plus de divorces de nos jours, sous l’Empereur Auguste.

— Bien, et la « mode », les bijoux, les produits de beauté...

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— La jeune femme est vêtue d’une tunique de base en laine ou en lin tombant sur les chevilles, qu’elle

porte aussi pour rester chez elle. Seules les femmes mariées portent une ample robe appelée « stola » res-

serrée à la taille tombant jusqu’aux pieds. Pour sortir et se protéger du soleil, elle se couvre la tête avec une

« palla », une sorte de grand châle couvrant les épaules et descendant jusqu’à la taille. La coiffure est très

importante pour les femmes ; elles se font coiffer et maquiller par leur esclave personnelle (l’ornatrix) pen-

dant des heures. Il y a aussi des crèmes, du maquillage, des produits antirides... En ce qui concerne les bi-

joux, c’est surtout les femmes de citoyens, les matrones, qui aiment être élégantes et porter beaucoup de

bijoux. Elles ont des boucles d’oreilles richement ornées, et des bracelets, des pendentifs, des colliers…

Pour se protéger du soleil, elles peuvent aussi porter des ombrelles. Tu vois, je porte moi-même deuxn

bracelets en or :

— Ont-elles des loisirs avec tout cela ?

— Elles n’ont pas vraiment de loisirs, mais plutôt des droits et des devoirs : elles ont le droit d’aller

dans n’importe quels lieux publics.

— Pouvez-vous m’en dire plus sur les droits, les devoirs et le rôle de la femme ?

— Son rôle premier est de donner un héritier à son mari. Elle doit éduquer les enfants, s’occuper de la

maison et tisser la laine. Mais malgré son image de femme soumise, elle a quand même certains pouvoirs,

notamment sur ses servantes, qu’elle dirige, et sur ses enfants. Il y a deux siècles environ, les femmes ont

obtenu de plus en plus de droits, comme de participer aux banquets, d’écrire ou de lire de la littérature, de

s’intéresser à la politique et même aux sports. Elles n’ont aucun droit en politique, mais peuvent influencer

le jugement de leurs maris.

— Et avec tout cela, comment êtes-vous considérées par les hommes ?

— Les femmes sont surtout considérées comme des génitrices, pour faire perdurer le nom de leurs

maris. Elles n’existent qu’au travers de leurs pères ou de leurs époux.

— Dans environ vingt siècles, les femmes musulmanes seront traitées à peu près de la même manière

par leurs pères et leurs maris, elles n’existeront qu’à travers eux et n’auront aucun droit politique.

— Comment le savez-vous, et qu’est-ce que c’est, les musulmans ?

— Je suis devin et les musulmans sont les pratiquants d’une religion qui apparaitra dans environ six

siècles.

— D’accord. Laissons au futur ce qui est au futur.

— Oui, bonne idée. Continuons. Y a-t-il des femmes exclues de cela ?

? — Oui il y a les « virgines vestales » (les Vestales). Elles ne sont pas sous la tutelle de leur père. EIIes

sont sélectionnées très tôt, entre six et dix ans pour exécuter un sacerdoce (dévouement réligieux) de

trente années pour le culte de Vesta. Pendant leurs dix premières années, elles font leur apprentissage et

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leur éducation. Les dix suivantes, elles entretiennent le feu sacré de Vesta. Enfin, pour les dix dernières

années, elles transmettent leur savoir aux nouvelles jeunes Vestales. Pendant leur service, elles sont

vouées à la chasteté. À la fin de leur mission, elles reviennent à la vie civile, peuvent se marier (mais ce

n’est pas de bon augure)... Ou elles peuvent devenir Vestales honoraires.

— Ma dernière question : avec toutes ces règles, est-ce qu’il y a eu des femmes célèbres ?

— Il y a environ 5 siècles, il y a eu Lucrèce, dite « Lucrèce la Vertueuse ». Fille de Spurius Lucretius Tri-

cipitinus, un des premiers consuls de la République, et épouse de Tarquin Collatin. Elle est connue pour

s’être suicidée après avoir été violée par Sextus Tarquin. Après son viol, elle a réuni son père et son mari

pour leur dire : « Vestigia viri alieni, Collatine, in lecto sunt tuo ; ceterum corpus est tantum violatum, ani-

mus insons ; mors testis erit. » (« Collatin, les traces d’un étranger sont encore dans ton lit ; cependant le

corps seul a été souillé : le coeur est toujours pur, et ma mort le prouvera. »). Elle se suicida sur ces mots.

Depuis, elle est considérée comme un « exemplum » car elle n’est pas coupable, et ne veut pas donner

l’exemple d’une femme qui aurait survécu au déshonneur.

— C’est très noble. Sur ce, Flavia, je vais vous laisser, vous m’avez bien aidé. Merci.

— Tout le plaisir était pour moi.

—Vale Flavia. »

C’est sur ces mots que j’ai quitté l’an 14 ap. J-C.

N.D.A : Merci au lecteur d’avoir lu ce travail jusqu’à la fin.

Vincent, 5e9, 2013

Femme romaine en « stola » et « palla » rencontrée sur le forum.

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