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    La Libye sous le feuLance par Nicolas Sarkozy grand renfort de coups de trompettes, la coalitionmarque le pas en Libye. Si la mise lcart du pouvoir du colonel MouammarKadhafi nous semble souhaitable, au regard des excs et des crimes quil aparrains pendant quarante ans de rgne, beaucoup de questions se posent sur lamthode employe, le rle impos la France et la mise en place de lopration.Ayant sjourn une semaine Tripoli, au moment du dclenchement des hostilitspar les avions de lalliance, jai aussi entendu le discours tenu par le clan Kadhafi.Jen conclus cette guerre mal engage et exposant inutilement les intrts dela France.

    Retour sur les faits. Dans la nuit du 15 au 16 fvrier derniers, dans la foule despays voisins, lgypte et la Tunisie, des meutes clatent Benghazi, capitale delest de la Libye, et gagnent le reste du pays dans les jours qui suivent. Le 21fvrier, Al Jazeera, la fameuse chane de tlvision subventionne par le Qatar,parle de 60 morts Tripoli. La rbellion clate, des militaires la rejoignent et desstocks darmes sont pills. Le 2 mars, les forces loyales Kadhafi contre-attaquent et sapprochent de Benghazi. Le 17 mars, le Conseil de Scurit desNations Unies vote la rsolution 1973 cinq voix contre cinq abstentions, dontlAllemagne, la Chine et la Russie. Aucun des cinq pays dtenant le droit de vetone fait usage de celui-ci, mais on sent de la mfiance lgard dune interventionmilitaire.

    Que dit la rsolution 1973 ? Pour le volet militaire, elle instaure une interdiction arienneau-dessus de la Libye, y compris pour les aronefs civils. Elle autorise toutes les mesuresncessaires pour assurer la protection des civils, ceci jusqu un cessez-le-feu.

    Contrairement aux affirmations de journaux franais, aucun moment la rsolution ne ditque Kadhafi doit quitter le pouvoir. La France apparat en avant de celle-ci puisque, le 25fvrier, Sarkozy a dj dclar : Notre position est claire : M. Kadhafidoit partir.

    Le 3 mars, il fait un pas supplmentaire, acceptant de recevoir une dlgation du CNT (voirnotre encadr en page 15) ou Conseil de Transition National, bas Benghazi, et lereconnat comme seule autorit lgale de la Libye. Certes, dautres pays suivent, dontlItalie, mais la France se voit prendre le leadership politique des adversaires de Kadhafi.

    Dbut mars 2011, Bernard-Henri Lvy serrant la main de Moustapha Abdeljalil, le chef du CNT.Abdeljalil est aussi le juge qui a condamn les infirmires bulgares.

    Le 19 mars, dans la nuit, Tripoli, nous entendons les premires frappes sur fond de tirs

    de DCA des forces libyennes loyales au pouvoir. Le 20 mars, devant les journalistes runis lhtel Rixos, Moussa Koussa*, le ministre des Affaires trangres, annonce un cessez-le

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    En thorie, selon le texte de la rsolution 1973, le Conseil de Scurit devrait se runirderechef et prendre une dcision sur la continuation des oprations.

    La dcision nest pratiquement pas rpercute par la presse franaise. Pire, les combatscontinuent. Difficile nanmoins de dire pourquoi. On peut souponner Kadhafi davoircherch piger les Nations Unies en annonant un cessez-le-feu, mais sans dire seshommes darrter de combattre. Il apparat cependant tout aussi imaginable que les rebellesont fait la sourde oreille, poursuivant leur contre-offensive.

    En effet, au sol, les hommes du CNT sont en pleine euphorie. Aprs avoir desserr la nassequi se refermait sur Benghazi, ils avancent vers louest. Soutenus par laviation de lacoalition, ils se croient invincibles. Ni leurs mentors, au premier rang Sarkozy, ni eux-mmes ne sont prts renoncer une victoire totale quils croient porte de main.

    Ctait compter sans les ressources du colonel Kadhafi. Il semble mme quil ait tendu unpige ses adversaires. Ordonnant un repli rapide de ses troupes, il aurait ordonnlabandon dune partie des quipements, donnant lapparence dune droute. Devant Syrte,les rebelles, perdant toute prudence, se sont alors jets dans une embuscade qui,provoquant des pertes importantes, a douch leur enthousiasme.

    La stratgie de Kadhafi se devinait. Plutt que de chercher tenir toute la Libye, ce quilsent au-dessus de ses forces, il a choisi de concentrer ses moyens louest, l o il jouitdun soutien populaire difficile valuer, mais nanmoins rel, pour des raisonsdallgeances tribales et de clientlisme.

    Lentre de Syrte, comme ligne de front, a un sens : cest la ville natale du colonel et ledomaine de sa tribu, les Kadhafa. Quant aux forces de la coalition, elles rvlent leurimprparation, ayant oubli dintgrer le phnomne tribal dans leurs analyses de terrain.

    Trop vite, elles ont cru soutenir tout un peuple contre lautorit au pouvoir, quand elles neservent que de force dappui arien une faction libyenne contre une autre. En clair, elles

    sont aussi partie prenante dans une guerre civile et pas seulement dans une rvolution.Trs vite, le dcalage apparat entre la mission de protection de la population, dcrte parle Conseil de Scurit, et laction mene sur le terrain. Puisant l une ressource de poids,la Russie et la Chine voquent ouvertement le non respect de la rsolution 1973. Plusgrave, la Ligue arabe, qui avait appel lOccident intervenir en Libye, tient le mmediscours.

    Tout aussi proccupant, des discussions clatent quant au leadership de la coalition. Nosforces sont certes commandes, mais lchelle nationale. Si le choix des cibles est discutcollgialement, il nexiste pas de commandement gnral. On ne part pas la guerre decette manire ! Mais Sarkozy avait compt sur une victoire rapide, dont il aurait t le

    principal artisan aux yeux de lopinion, en raison de son implication rapide et de soninvestissement personnel.

    Trs vite, cependant, la carence dun commandement militaire central se fait sentir. Sarkozyne peut plus jouer sur lambigut pour dcrocher les lauriers. Quant la France, elle nestpas accepte comme chef de la coalition militaire. Le 31 mars, les tats impliqus dcidentfinalement de confier la direction des oprations lOTAN. Un camouflet pour le rsident dellyse. Un paradoxe aussi, car Barack Obama ne souhaite pas investir les tats-Unisdans laffaire, quand son pays supple lessentiel des besoins de lorganisation atlantique.

    Rsultat de cet aventurisme, les rebelles, pour la plupart des volontaires dsorganiss, ontt stopps. Situe louest de Syrte, la ville de Misrata rsiste, face aux forces de

    Kadhafi, aux dpens de la population civile. Elle dpend des approvisionnements arrivantpar bateaux, la voie terrestre tant pour elle coupe. Cest lenlisement redout.

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    Le 8 mars, le secrtaire gnral de lOTAN, Anders Fogh Rasmussen, dclare mme un journaliste du Der Spiegel : Il ny a pas de solution militaire ce conflit. Nous avonsbesoin dune solution politique et cest laffaire du peuple libyen... La fin du rve deSarkozy... et le dbut de son cauchemar.

    Car, bless, le tigre Kadhafi en est dautant plus dangereux et sa haine de la France,identifie Sarkozy, prend dsormais une dimension incommensurable.

    Ce nest pas tout. La Libye gagne par lanarchie, nous avons craindre certains lmentsde la rbellion elle-mme. Faite de bric et de broc, elle a en effet reu lappui dAl-Qada.

    Nous savons Ben Laden entour de plusieurs Libyens. Nos contacts au Pakistan, nous ontaussi appris que plusieurs de ses hommes avaient t envoys en Libye afin dy nouer descontacts loccasion des troubles. Ils y bnficient dun soutien sur place grce lorganisation islamiste radicale locale, Jamaa Al-Moqatila Al-Libiya, contre laquelleKadhafi a rompu quelques lances dans les annes 90.

    Laffaire est prise au srieux par les Amricains. Lamiral James Stavridis, commandantdes forces de lOTAN en Europe, la voqu publiquement. Autre paradoxe de cette guerre,au nom de la dmocratie, nous soutenons aussi des islamo-terroristes, que nous combattonssous dautres latitudes.

    En attendant la suite, nous avons toutes les raisons de craindre que les errementsde Sarkozy ne suscitent un nouvel Afghanistan... quelques centaines dekilomtres des frontires europennes cette fois.

    Alain Chevalrias

    * Moussa Koussa, ancien patron des services secret de Libye, a rejoint Londres le 30 mars dernier etannonc sa dfection.

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