La légende de Lancelot du Lac en Anjou

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Les Cahiers du Baugeois, n°92, octobre-novembre-décembre 2011, ISSN n°0999 6001. La légende de Lancelot du Lac en Anjou Il existe aujourd’hui une légende angevine bien connue qui fait naître le fameux chevalier de la Table Ronde Lancelot-du-Lac à Beaufort-en-Vallée i . Et l’on considère généralement que ce qui se dit aujourd’hui à ce sujet dérive directement des « Chroniques d’Anjou et du Maine » de Jehan Bourdigné qui, au début du XVIè siècle, aurait inventé toute la partie arthurienne de ses Chroniques. La localisation de Lancelot à Beaufort est en fait bien antérieure à Jehan de Bourdigné et doit dater selon toute vraisemblance du premier tiers du XIIIè siècle. Lancelot, chevalier continental La plupart des chercheurs et des critiques reconnaissent en Lancelot un personnage continental, conformément aux romans du XIIIè siècles qui localisent ses terres aux Marches de Bretagne. D'ailleurs les Gallois du Moyen-Âge ne connaissent pas Lancelot et transcrivent son nom du mieux qu'ils peuvent, sous les formes « Lawnslot y Lac » ii ou « Lanslod Lak » iii . Dans « Y Seint Greal », texte médiéval gallois tardif, on l'appelle « Lawnslot dy lac » et l’on découvre, dans d'autres manuscrits « Lawnslod Dvlag », « Syr Lawnslod » ou encore « Lawnslod di Lag » iv . Ces formes, visiblement copiées sur les romans continentaux, montrent que, comme l'écrit Jean Markale, la légende de Lancelot « est purement d'origine armoricaine » v . Le Lancelot-Graal, écrit entre 1210 et 1240, donne d’ailleurs la curieuse précision que Lancelot ne parle pas breton ou bien qu’il le parle avec l'accent gaulois : « Il est do païs de Gaule car molt an parole droit la parleüre » vi . Malgré ses origines continentales, les Gallois vont donner une grande importance à Lancelot et en faire l'un des trois chevaliers de guerre de la cour d’Arthur : « Tri Chadvarchoc oedd yn Llys Arthur » (Ms.Pen.127). Le personnage a néanmoins fait l'objet de quelques tentatives, très osées, de récupération. Dans les années 1840, La Villemarqué vii acceptait volontiers que son nom soit français et le décomposait en « l'ancelot », c'est-à-dire « le serviteur ». Mais l’auteur du Barzaz-Breiz supposait aussi que le nom originel du héros était Mael qui avait, en brittonique, une signification identique de « serviteur ». Les romanciers continentaux ayant juste traduit le nom de ce personnage gallois et usurpé ses aventures. Jean-Pierre Foucher a encore récemment défendu cette identification viii mais c’est peu dire que cette hypothèse ne fait pas l’unanimité. De son côté, T.Gwynn Joones a tenté de montrer que la forme Lancelot était issue du gallois Eliwlat, tandis que Loomis a proposé de faire dériver son nom de celui d’un personnage nommé Lluch Llauynnauc. Mais ces hypothèses ont été récemment combattues par l'universitaire galloise Rachel Bromwich qui a proposé d'y voir plutôt une forme dérivée du nom continental Lancelin, suivant ainsi Ferdinand Lot qui notait dès 1896, dans un article de la revue Romania, que le nom de Lancelot « n'est certainement pas celtique. Il rappelle Lancelin...» ix . Lancelot : les premiers textes Lancelot du Lac est absent des textes arthuriens les plus anciens comme l’Historia Regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth ou l’Historia Brittonum, et apparaît pour la première fois dans le roman de Chrétien de Troyes « Erec et Enide », vers 1160-1170. Il n'y est que mentionné mais semble revêtir pour l’auteur champenois une certaine importance puisque « Lanceloz del Lac » (Erec, v.1694) est le troisième meilleur chevalier du monde. Il est moins à son avantage dans un autre roman, « Cligès », pourtant écrit par le même auteur. En effet, Chrétien de Troyes nous dit que son héros Cligès pourrait être habillé avec un vieux sac qu'il aurait quand même plus - page 55 -

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Légende arthurienne : La légende ancienne de Lancelot du Lac, Viviane, Merlin, Arthur, à Angers, Brion, Beaufort-en-Vallée, Trèves-Cunault...

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Les Cahiers du Baugeois, n°92, octobre-novembre-décembre 2011, ISSN n°0999 6001.

La légende de Lancelot du Lac en Anjou

Il existe aujourd’hui une légende angevine bien connue qui fait naître le fameux chevalier de la Table Ronde Lancelot-du-Lac à Beaufort-en-Valléei. Et l’on considère généralement que ce qui se dit aujourd’hui à ce sujet dérive directement des « Chroniques d’Anjou et du Maine » de Jehan Bourdigné qui, au début du XVIè siècle, aurait inventé toute la partie arthurienne de ses Chroniques. La localisation de Lancelot à Beaufort est en fait bien antérieure à Jehan de Bourdigné et doit dater selon toute vraisemblance du premier tiers du XIIIè siècle.

Lancelot, chevalier continentalLa plupart des chercheurs et des critiques reconnaissent en Lancelot un personnage continental, conformément aux romans du XIIIè siècles qui localisent ses terres aux Marches de Bretagne. D'ailleurs les Gallois du Moyen-Âge ne connaissent pas Lancelot et transcrivent son nom du mieux qu'ils peuvent, sous les formes « Lawnslot y Lac »ii ou « Lanslod Lak »iii. Dans « Y Seint Greal », texte médiéval gallois tardif, on l'appelle « Lawnslot dy lac » et l’on découvre, dans d'autres manuscrits « Lawnslod Dvlag », « Syr Lawnslod » ou encore « Lawnslod di Lag »iv. Ces formes, visiblement copiées sur les romans continentaux, montrent que, comme l'écrit Jean Markale, la légende de Lancelot « est purement d'origine armoricaine »v. Le Lancelot-Graal, écrit entre 1210 et 1240, donne d’ailleurs la curieuse précision que Lancelot ne parle pas breton ou bien qu’il le parle avec l'accent gaulois : « Il est do païs de Gaule car molt an parole droit la parleüre »vi. Malgré ses origines continentales, les Gallois vont donner une grande importance à Lancelot et en faire l'un des trois chevaliers de guerre de la cour d’Arthur : « Tri Chadvarchoc oedd yn Llys Arthur » (Ms.Pen.127). Le personnage a néanmoins fait l'objet de quelques tentatives, très osées, de récupération. Dans les années 1840, La Villemarquévii acceptait volontiers que son nom soit français et le décomposait en « l'ancelot », c'est-à-dire « le serviteur ». Mais l’auteur du Barzaz-Breiz supposait aussi que le nom originel du héros était Mael qui avait, en brittonique, une signification identique de « serviteur ». Les romanciers continentaux ayant juste traduit le nom de ce personnage gallois et usurpé ses aventures. Jean-Pierre Foucher a encore récemment défendu cette identificationviii mais c’est peu dire que cette hypothèse ne fait pas l’unanimité. De son côté, T.Gwynn Joones a tenté de montrer que la forme Lancelot était issue du gallois Eliwlat, tandis que Loomis a proposé de faire dériver son nom de celui d’un personnage nommé Lluch Llauynnauc. Mais ces hypothèses ont été récemment combattues par l'universitaire galloise Rachel Bromwich qui a proposé d'y voir plutôt une forme dérivée du nom continental Lancelin, suivant ainsi Ferdinand Lot qui notait dès 1896, dans un article de la revue Romania, que le nom de Lancelot « n'est certainement pas celtique. Il rappelle Lancelin...»ix.

Lancelot : les premiers textesLancelot du Lac est absent des textes arthuriens les plus anciens comme l’Historia Regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth ou l’Historia Brittonum, et apparaît pour la première fois dans le roman de Chrétien de Troyes « Erec et Enide », vers 1160-1170. Il n'y est que mentionné mais semble revêtir pour l’auteur champenois une certaine importance puisque « Lanceloz del Lac » (Erec, v.1694) est le troisième meilleur chevalier du monde. Il est moins à son avantage dans un autre roman, « Cligès », pourtant écrit par le même auteur. En effet, Chrétien de Troyes nous dit que son héros Cligès pourrait être habillé avec un vieux sac qu'il aurait quand même plus

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fière allure qu'un Lancelot paré d'or et d'argent. Et lorsque les deux chevaliers joutent l'un contre l'autre, Lancelot est aisément jeté à terre par Cligès. Quelques années plus tard, dans le roman du « Chevalier de la charrette », lui aussi écrit par Chrétien de Troyes, Lancelot devient le héros principal. Dans ce texte, plus communément appelé « Lancelot » du nom de son héros, la reine Guenièvre est enlevée par Méléagant qui l'emmène captive au pays de Gorre. Ce roman marque l’apparition des amours de Lancelot et de la reine Guenièvre dans la littérature. Chrétien de Troyes est par contre avare sur tout ce qui permettrait de localiser le lieu de naissance de Lancelot ou de connaître ses origines. Tout au plus l'auteur sous-entend-il une origine féerique. Dans le « Chevalier de la charrette », Lancelot possède en effet un anneau magique qui, lorsqu'on le regarde, brise les enchantements. Et le texte précise que la Dame qui lui avait donné l'anneau était une fée qui l'avait élevé durant son enfance. Dans le roman c'est aussi très tardivement que l'on apprend son nom, lorsque, après avoir surgi du néant et combattu incognito, il se présente enfin comme se nommant « Lanceloz del Lac » (Lancelot, v.3676). Chrétien de Troyes ne précise pas de quel lac il est ici question, et ne donne pas d'indice sur le pays où se trouve ce lac. S'agit-il même d'un lac ou du nom d'une seigneurie ? Il semble en tout cas que, chez Chrétien, le héros n’a rien à voir avec l’Anjou puisque, dans le roman, Lancelot se dit lui-même né au royaume de Logres, c'est-à-dire en Angleterre : « Del rëaume de Logres nez » (Chevalier à la charrette, v.1942). Autour de l'an 1200 est écrit le Lanzelet, texte allemand très différent et probablement indépendant du Lancelot de Chrétien de Troyes. Dans ce roman attribué à Ulrich Von Zatzikhoven, on apprend le nom du père de Lancelot. Il s'appelle « Pant ». Ce Pant est présenté comme roi de Genewis (« künek ze Genewîs »), et est marié à la reine Clarine. Mal aimé de ses vassaux, le roi Pant subit une révolte de barons. Lanzelet n'a qu'un an lorsque les barons se réunissent et attaquent leur souverain retranché dans son beau château bordé par la mer (« schoene burc bî dem mer »). Pant, à force de faire régner la terreur, a été abandonné par ses chevaliers et seuls quelques bourgeois défendent encore la ville. Bientôt les vivres viennent à manquer. Mais qu'importe puisque les ennemis enfoncent déjà la porte ! Pant, blessé dans la bataille, s'enfuit avec Clarine. Entre le château et le rivage, nous dit le texte, il y a une fontaine. Le roi veut s'y rafraîchir mais il est mortellement touché. Il tombe sans vie au grand désespoir de Clarine qui se réfugie avec Lanzelet sous un arbre. Mais une « merfeine » - une fée de la mer - apparaît dans un nuage de brume (« mit eime dunst »), et enlève l'enfant devant les yeux de Clarine et des barons. La fée régnait, précise le texte, sur un château magnifique dressé sur une montagne de cristal où vivaient dix milles dames dans un pays où il n'y avait pas d'homme.Chacun sait cependant aujourd'hui que ce n'est pas au fond de la mer mais dans le secret d'un lac – parfois présenté comme une simple illusion destinée à abriter un château - que Lancelot est élevé, sa jeunesse durant, par la Dame du Lac, nommée aussi Viviane. C’est le Lancelot-Graal qui, dans le premier tiers du XIIIè siècle, a imposé cette version de l’histoire. Ce texte, l’un des plus fameux du XIIIè siècle, donne d'ailleurs, pour la première fois, des détails précis qui permettent d'identifier le lieu de naissance du héros ainsi que le fameux lac qui donne son nom au célèbre chevalier de la Table Ronde, et ces lieux se situent clairement en Anjou.

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Les bords de Loire

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Les origines de Lancelot : entre Berry et AnjouExaminons de plus près la toponymie du Lancelot-Graal en nous basant sur le manuscrit 526 de la Bibliothèque Universitaire de Bonn (édition D.Poirion). Ce manuscrit est datable des années 1280 mais son contenu est reconnu comme antérieur à 1240. A l’époque du grand roi Arthur, nous dit le Lancelot-Graal, le père de Lancelot, Ban de Benoic, est en guerre contre son ennemi juré Claudas de la Terre Déserte. Ce terrible Claudas règne sur le « Berri »x et tient sa cour à « Boorges » ou « Bouhourges »xi. On appelait sa terre La Déserte car, Claudas ayant refusé l'hommage à Uter Pendragon, le pays avait été dévasté par le père d'Arthur et par Arramont, le roi de Petite-Bretagne. Cet Arramont, plus connu sous le nom d'Hoël, comme le précise le texte, est bien entendu le même Hoël que celui qui conquit l'« Anjo » dans le Brut de Wacexii. Arramont-Hoel régnait donc sur Gaunes et Benoic ainsi que sur les Marches d'« Auvergne et Gascoigne ». La mention de Bourges dans le Lancelot-Graal n'est pas la seule que l'on peut trouver dans la légende arthurienne. La ville apparaît aussi dans le Merlin de Boron (Ms.B.N. 748) où, pour éviter de périr sous la main de Vortigern, Uter et son frère xiii fuient la Grande-Bretagne et viennent en « la Deserte et or l'apelons Bohorge en Berri ». Un autre manuscrit précise qu'ils vont à « Benuyc qui ore est apelee Bourges » (Ms.B.N.770). Le Lancelot-Graal ajoute que Claudas, qui désormais tient la ville de Bourges, a un oncle nommé Patrice qui possède les châteaux de « Charroc » et de « Dun ». Ce dernier château, comme l’indique le texte, sera renommé plus tard, en l'honneur d’Essout, le fils de Patrice. On reconnaît donc sans peine ici les villes de Bourges, Chârost et Issoudun (Essout-Dun), trois villes du Berry situées dans un rayon de quinze kilomètres.Mais Claudas n'est guère satisfait des terres qu'il possède déjà, et lorgne désormais sur celles de son voisin, Ban de Benoic. Le roi Ban possède plusieurs villes dont Trèbes, une forte cité située sur la Loire. Philippe Walter et Anne Berthelot n'y voient qu'une ville imaginairexiv mais, plus curieux de géographie, Paulin Paris avait écrit dès 1868 : « Je pense que c'est aujourd'hui Trèves, sur la Loire »xv. Et le même auteur ajoutait : « Les détails assez uniformes que l'on donne plusieurs fois sur la situation de cette place, baignée par les eaux de la Loire, nous la font reconnaître aujourd'hui dans le petit bourg de Trèves, à deux lieues de Saumur, vers le nord »xvi. Paulin Paris ne se trompait pas et ce Trebes au bord de la Loire est, comme nous allons le voir, le village de Trèves-Cunault où a toujours existé un château dominant la Loire. Il est noté Castrum de Treviensis en 1069, Treveris castrum en 1206 ou encore Dominus de Trevis en 1228. « Trèves, nous dit l'abbé Houdebine, est un endroit plein d'histoire et d'art. En dehors de sa curieuse église, de son si joli prieuré de Saint-Macé, le petit bourg possède encore l'un des châteaux les plus célèbres de l'Anjou, dont les ruines imposantes retiennent l'attention des touristes, des historiens et des archéologues »xvii. Il aura donc aussi attiré l'attention des romanciers du XIIIe siècle.

Le lac de Viviane Ferdinand Lot se gaussait de son collègue G.Bräuner lorsque ce dernier croyait retrouver, dans les ruines du célèbre monastère carolingien de Cunault, la trace du « Mostier-Reial », un lieu de religion cité dans le Lancelot-Graal. « Si on le poussait, se moquait ainsi Ferdinand Lot, il identifierait le lac auquel lancelot doit son surnom »xviii. Mais Lot avait tort de rire car le Lancelot-Graal désigne assez clairement le lac où est élevé Lancelot et il se trouve non loin de Trèves. Revenons à notre manuscrit B.U.Bonn 526. Après avoir remis de l'ordre en Gaule, et assuré Ban et Boors dans la possession de leurs terres revendiquées par Claudas, Arthur est rentré au pays de Logres et la joie règne désormais à Benoic où se trouvent Ban et son frère Boors. La joie est même décuplée lorsque Ban peut enfin fêter l’arrivée du fils que lui donne sa femme

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« Helainne de Benuyc ». L'enfant est nommé Galaad, et sera bientôt surnommé Lancelot avant de garder ce surnom le reste de sa vie. Boors et sa femme attendent de même des enfants : Lionel naîtra d'abord, suivi, un an après, par Boors le jeune.Mais bientôt Claudas revient à l'attaque et revendique à nouveau les terres de Ban de Benoic. Les terres de Gaunes semblent, elles, plus loin du Berry, ce qui explique que le pays de Benoic est toujours attaqué en premier. Bientôt le bon roi Ban se retrouve assiégé dans sa ville de Trèbes, sur la Loire. Le roi et sa femme, Hélène, décident d'aller quérir l'aide d'Arthur et de faire ce voyage seulement accompagnés d'un écuyer, et du petit Galaad-Lancelot. La petite troupe parvient à quitter la cité, avant l’aube, en emportant les trésors de la ville. Ils traversent rapidement une forêt, avant d’arriver à un lac, qui se situe à l'entrée d'une lande, au pied d'une colline. Il se retrouve alors, nous dit le Lancelot-Graal, dans l’une des plus belles forêts de Gaule et de Petite Bretagne réunies. Le lieu s'appelle « Bois en Val » et le manuscrit précise que le lac s'appelle Lac de Diane, du nom d'une reine de Sicile qui vivait au temps de Virgile. Le jour se lève et il serait sage de s'éloigner avant que l'ennemi ne leur tombe dessus mais Ban veut, avant de quitter son pays, monter sur la colline qui domine le lac, pour voir une dernière fois sa ville de Trèbes. Il entreprend l'ascension tandis que la reine reste près du lac à s'occuper du petit Lancelot. Cependant, profitant du départ de Ban, le sénéchal de Trèbes a livré la ville à Claudas. Et si Banin, filleul de Ban, tente désormais d’organiser la défense, il est trop tard : la ville brûle. Et Ban, du haut de la colline, apercevant sa ville en flammes, tombe mort. Lorsqu'il voit son seigneur tomber ainsi et rester inanimé, l'écuyer se précipite, suivi bientôt par Hélène. Mais la reine et l'écuyer ne peuvent que constater le décès du roi. Hélène est en grande douleur mais pense soudainement au bébé qu'elle a laissé seul et elle a peur maintenant que les chevaux ne l'écrasent. Elle se dirige aussitôt vers le lac et, stupéfaite, elle voit une dame qui porte Lancelot dans ses bras, qui l'embrasse, le serre contre son sein. La reine lui crie de laisser l’enfant mais la mystérieuse dame ne répond pas. Elle se lève au contraire sans rien dire, s'avance vers le lac avant d'entrer dans l'eau et de disparaître sous la surface en emportant l'enfant, laissant la reine Hélène au désespoir. Hélène rencontre ensuite une abbesse qui lui apprend que Trèbes a brûlé et que c'est probablement l’extrême douleur ressentie devant ce triste spectacle qui a causé la mort de Ban. Hélène donne alors tous ses trésors et décide de se faire nonne. Le monastère où elle s'enferme s'appellera désormais le « moustier roial », le Monastère Royal. Il s'agrandira bien vite et attirera de nombreuses nobles dames du pays qui prendront le voile. La reine Hélène croira longtemps son fils mort noyé dans le lac. D'ailleurs, chaque jour, après la messe, Helaine vient au lac pour prier. Un jour qu'elle se trouve à prier au Bois en Val, un chevalier passe et, la voyant si triste, lui demande ce qu'elle pleure ainsi. En entendant la réponse, le chevalier lui annonce que son fils n'est pas mortxix. Le lac n'est en effet qu'un enchantement et Lancelot a été élevé sous la protection de la Dame du Lac, autrement appelée Viviane, dans un mystérieux château. Dans ce logis féerique à l'abri des regards, Boors et Lionel, les enfants du roi Boors de Gaunes, viendront un jour rejoindre Lancelot. Tandis qu’Yvainne de Gaunes, leur mère, finira par rejoindre Hélène dans le secret du Monastère Royal.Lancelot passe donc toute sa jeunesse dans le château féerique, à l'abri des nombreuses batailles qui ravagent l'Anjou et le Berry. C'est que, durant tout ce temps, le roi Arthur n'a guère l'occasion d'offrir son aide aux habitants de ces contrées, tant il est lui-même empêtré, en Grande-Bretagne, dans les guerres qui l'opposent aux Saxons. Ce n'est qu'à l'âge de dix-huit ans que Lancelot quittera enfin le secret du lac. Il sera alors un jeune homme de belle apparence, sans égal dans le monde. - page 58 -

Le château de Beaufort

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Le pays de Lancelot : de Trèves-Cunault à AngersIl y a dans le passage évoqué ci-dessus suffisamment d'éléments pour identifier, en s’armant d’une simple carte, le Bois en Val et son lac mais pour bien appréhender ce paysage, il est intéressant d’étudier la géographie du pays de Lancelot. D'abord, signalons que le texte précise que la Dame du Lac qui - « a non Niniane et en sournon la Dame del Lac » - vit « en la marce de Petite Bretaingne » - et cette remarque correspond bien à la situation de l'Anjou, située aux Marches de la Bretagne au XIIIè siècle. Ensuite le Trèbes du roman est, comme le village de Trèves-Cunault, une place forte sur la Loire, faisant face à Bourges et au Berry. Un épisode conté dans le Livre d'Artus (éd.Sommer, VII) nous donne d’ailleurs une idée de la situation des territoires de Gaunes et de Benoic. En effet, ce roman nous dit que Ban et Boors sont en Grande-Bretagne à la cour du roi Arthur. Lorsqu’ils prennent bientôt congé du roi, passent la mer, mettent pied à terre « a La Rochele », puis viennent dans la ville de Gaunes. De là, ajoute le texte, Ban « sen ala a Benoyc, & Antor sen ala a Trebes, & de Trebes a Tors ou en li fist molt grant ioie ». La

dernière ville visitée est bien sûr Tours puisque l'auteur précise plus loin que nous sommes en « Toraine ». Le parcours faisant accoster les arrivants à la Rochelle avant de les faire venir jusqu'en Anjou puis en Touraine pourrait sembler incohérent mais il trahit juste l'utilisation d'une chronique contemporaine. En effet, à cette époque, les Anglais doivent éviter la Bretagne où règne le jeune comte Arthur Ier, un de leurs plus farouches ennemis, et préférant éviter de passer par le Maine au risque de se faire surprendre par les Français avec qui ils sont aussi en guerre, ils contournent de préférence la péninsule armoricaine pour accoster à La Rochelle. Ainsi en est-il en 1206, lorsque Jean Sans Terre, neveu et ennemi d'Arthur Ier, vient s'amarrer dans ce port. Il rejoint ensuite Angers avant de venir mettre le siège devant Trèves. Il en est finalement chassé par Philippe Auguste et rembarque à la Rochelle pour retourner en Angleterre. L'importance de la

ville de Trèves dans ces guerres du début du XIIIè siècle, est probablement à l'origine de la mention de Trèbes dans le Lancelot-Graal comme ville de Ban de Benoic. C'est d’ailleurs encore le même trajet que suit Arthur lorsque, accompagné de ses plus valeureux chevaliers, il vient, à la demande de Merlin, au secours de Ban de Benoic. Arthur quitte Logres au printemps, le premier juin, bien décidé à aider Ban à écraser les quatre chefs ennemis, Ponce Antoine, Randol sénéchal de Gaule, Frolle et Claudas, qui mettent le siège devant Trèbes où se trouvent Hélène et sa sœur, les femmes de Ban et Boors. Les Bretons débarquent, comme il se doit, à « la Rocele ». Arthur, Keu, Boors et les autres marchent alors vers le Nord, et arrivent dans les environs d'Angers puisqu'on les voit bientôt chevaucher le long de « la riviere Loire ». Ils arrivent ensuite à Trèbes, lieu de la grande bataille qui sera brillamment remportée par les Bretons. Après cette victoire, Arthur et ses hommes résident quelques temps à Benoic, avec Merlin. Gauvain, lui, dévaste pendant ce temps la terre de Claudas, c'est-à-dire le Berry, et revient sans que le roi de la Déserte n'ait pu l'inquiéter. Au retour, les Bretons s'arrêtent à Gaunes, présentée comme une riche et abondante cité, puis rembarquent à la Rochelle.La superposition du trajet de Jean sans Terre et de celui suivi par le roi Arthur et ses chevaliers permet de reproduire un chemin partant de la Rochelle – notée « Rocele » ou « Roche Flodemer » (la Rochelle au flot de mer) dans le Lancelot-Graal -, rejoignant la Loire, dans les environs d'Angers, avant de suivre le fleuve jusqu'à Trèves-Cunault. Dans ces conditions on croit comprendre que la ville de Gaunes serait en fait Angers. D’ailleurs le texte précise aussi que la

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La tour de Trèves

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ville de Gaunes a une « Porte Bretonne - qui ensi estoit apelee pour ce que devers Bertaingne estoit »xx. Or Angers fait bien face à la Bretagne. Le royaume de Gaunes, englobant la cité du même nom, représenterait dans ces conditions l'Ouest de l'Anjou, tandis que le royaume de Benoic, englobant Trèbes, représenterait le reste de ce pays. Pour appuyer cette hypothèse, on peut faire remarquer que lorsque Claudas de la Terre Déserte finit par envahir le royaume de Gaunes, les hommes de Boors se replient vers le « chastiaus Montclair », point le plus reculé du pays et dans lequel on pourrait reconnaître la colline de Mont Clair, dominant la Loire, sur la commune du Cellier, juste à la limite de l'Anjou et de la Bretagne. A Mont Clair, existait déjà un monastère au neuvième sièclexxi. Autre indication intéressante, le Lancelot-Graal nous dit que la seigneurie du « Haut Mur » (variantes « Haus Murs », « Haute More ») qui domine la Loire et dont le seigneur porte le curieux nom de « Graier », se trouve à deux lieues de la cité de Gaunes, sur une hauteur, en direction de la Terre Déserte, c'est-à-dire du Berryxxii. On pourrait identifier ce château de Haut Mur, situé sur les hauteurs, avec la Butte de Mûrs, en Mûrs-Erigné, dominant la Loire et faisant face à Angers. La cité de Gaunes serait donc bien, dans l’imagination des auteurs du Lancelot-Graal, la ville des Andegaves, située à dix kilomètres de Mûrs.

Le Lac de Lancelot-du-Lac à Beaufort-en-ValléeLe Lancelot-Graal a certainement été écrit par plusieurs auteurs différents, chacun ayant eu une partie à sa charge, et les contradictions qui apparaissent çà et là le montrent bien. Nous venons de voir que l’auteur s’étant occupé de la première partie du « Lancelot propre » avait en tête les villes d’Angers et de Trèves lorsqu’il s’évertuait à décrire les guerres des Bretons contre les armées de Claudas. L’auteur était même peut-être originaire de la région, mais cela nous ne le pourrons sans doute jamais le prouver. Ce que l’on peut connaître par contre, en s’aidant d’une carte, c’est la localisation du lac où Viviane élève Lancelot. Il faut alors reprendre le passage du Lancelot-Graal qui raconte la fuite du roi Ban devant les troupes de Claudas de la Déserte. Ban et sa famille quittent Trèbes (Trèves-Cunault) avant le lever du jour et s'enfuient vers la Bretagne. Au bout de quelques kilomètres, Ban veut apercevoir sa ville une dernière fois avant de partir pour ce long voyage. Il avise une petite colline du sommet de laquelle il pourra jeter un dernier regard nostalgique sur sa forte cité. Le lac de Viviane et le « Bois en Val » se trouvent donc non loin de Trèves puisque l'auteur a pensé qu'on pouvait distinguer les tours de la ville.Un autre passage du Lancelot-Graal est instructif dans ce contexte. Le texte dit en effet que, des années après l'enlèvement de Lancelot par Viviane, deux proches du roi Ban - Leonce de Palerne et Lambègue - chevauchent avec une demoiselle jusqu'à l'orée de la forêt de Briosque. Avant d'arriver au Lac, la demoiselle leur dit que seul Lambègue pourra se rendre jusqu’au château de la Dame du Lac où se trouvent Lancelot, Lionel et Boors le jeune. Leonce de Palerne devra, lui, attendre au château de « Ceraisse », non loin du château de « Brion » qui, précise le texte, donne son nom à la forêt de Briosque.

Les châteaux de Ceraisse et Brion du roman, proches de Trèves et du lac de Viviane, sont certainement les villages de Sermaise et de Brion. Ce dernier est noté « Brion » vers 1030, « Podium de Brione » vers 1080 et « Brionium » au XIIè siècle. On identifie sans trop de peine le « Bois-en-Val », nommé simplement « En-Val » dans certains manuscrits, au village de Beaufort-

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en-Vallée, voisin de Brion, et situé à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Trèves-Cunault. Il est noté « Bello Forti » en 1119, « Bel fort » en 1171, « Beaufordense » en 1199, « Beauffort en Vallée » en 1454 dans un acte lié au mariage de René d'Anjou et de Jeanne de Laval. En 1726, son nom latin est toujours « Bellum Forte in Valle » et comme le précise un témoin, au dix-huitième siècle : « sa situation dans une vallée l'a fait aussi appeler Beaufort en vallée. Cette vallée a cinq lieuës d'étenduë, c'est une des plus abondans & des plus beaux pays de l'Anjou » xxiii. Pierre-Louis Augereau précise que « la vallée est le nom donné à la vaste plaine située sur la rive nord de la Loire »xxiv. On comprend bien dans ces conditions le nom de « Bois en Val » donné à Beaufort dans le Lancelot-Graal. Le château de Beaufort est un poste d'observation réputé. Aristide Matthieu Guilbert écrit à son sujet qu'il est « construit sur éminence, et si admirablement placé que son horizon embrassait Saumur, Angers et les quinze lieues du pays situées entre ces deux villes »xxv. On comprend dans ces conditions que Ban de Benoic ait voulu monter sur cette colline pour y voir sa ville de Trèbes. Le « lac de Diane » ou Lac de Viviane, dans le « Bois en Val », se retrouve lui dans le nom de Saint-Pierre-du-Lac, ancien village lacustre d’une grande antiquité, dont le territoire dépend aujourd’hui de Beaufort-en-Vallée. Saint-Pierre-du-Lac est noté « Sancti Petru de Lacu alias de Belforti » en 1468, et, si on en croit la Carte de Cassini, on y trouvait jadis une église dédiée à Notre-Dame et une forêt encore dense, probable reste du « Bois en Val » cité dans le roman du XIIIè siècle.Quant à la localisation du « moustier roial » où la reine Hélène se retire, elle est moins assurée. Le Lancelot-Graal place ce lieu de retraite « près du château » de Trèvesxxvi. S'agit-il tout simplement du monastère de Cunault, de fondation ancienne, abandonné puis relevé au neuvième siècle comme le proposait Bräuner ? On peut aussi être tenté d'y reconnaître l'abbaye de Fontevrault, fondée en 1101 par le Breton Robert d'Arbrissel et située à seulement vingt-cinq kilomètres de Trèves-Cunault. La proximité de Chinon dont les chroniques bretonnes anciennes font dériver le nom de celui du sénéchal Keu et en font sa capitale en plus d’y placer son tombeau, semble appuyer cette identification. Henri II Plantagenêt et Aliénor d'Aquitaine y furent d’ailleurs enterrés et l'abbaye pouvait donc bien paraître « royale » aux yeux des romanciers du XIIIè siècle.

René d’Anjou et la légende arthurienneCes localisations angevines n’avaient sans doute pas échappé aux seigneurs des environs et l’on peut penser que la légende de Lancelot à Beaufort est connue dans les années 1470, lorsque Jeanne de Laval, née à Auray en 1433, réside en son manoir de la Ménitré ou en son château de Beaufort-en-Vallée. Son mari, René d'Anjou, est d'ailleurs un grand amateur de littérature arthurienne. N'avait-il pas invité des seigneurs de ses amis à venir jouter lors d'un grand tournoi inspiré du Lancelot-Graal ? Évoquant le quinzième siècle, durant lequel plusieurs Lancelot en prose ont déjà été imprimés, Ferdinand Lot écrivait : « La popularité du Lancelot est à son apogée à cette époque dans les hautes classes de la société. René d'Anjou, roi nominal de Naples, donne, en 1446, près de Chinon, une Emprise et pas qui reçoit le nom de château de la Joyeuse garde. Il institue l'ordre du Croissant le 2 août 1448 : un greffier, à l'instar des sages clercs d'Arthur, tiendra compte par écrit des faits et gestes des chevaliers et écuyers de l'ordre »xxvii. René d'Anjou était aussi l'auteur du « Livre du Cœur d'Amour épris », roman dans lequel apparait le nom de Lancelot du Lac. Un interpolateur qui confond Morgane et Viviane a d’ailleurs ajouté ce passage dans un des manuscrits du Livre de René d’Anjou : « Merlin ayma par amours

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la seur du roy Artus, qui avoit nom Morgain et aprint de Merlin tout l'art d'enchanterie, que on dit art magicque, lequel art ledit Merlin luy avoit enseigné. Et fut celle la propre qui Lancelot roba a son pere et sa mere et l'emporta ou bers, petit enfant, en valee en Anjou, en ung petit lieu qui encores le Lac a non » (Manuscrit « V », chapitre CXLII). Nul doute que ce petit lieu d'Anjou nommé « Le Lac » et situé dans la « Vallée en Anjou » est Saint-Pierre-du-Lac.Au début du XVIè siècle, Jehan de Bourdigné, fera part lui-aussi, dans ses Chroniques d'Anjou, d'une tradition plaçant le pays de Lancelot à Beaufort-en-Vallée. « Par la permission et licence du roy Artus, écrit le chroniqueur, pour la solennité décorer, feist cryer et publier ung tournoy auquel se trouvèrent plusieurs chevaliers errans. Entre lesquelz le paragon des hardis chevaliers, le très preux Lancelot du Lac, angevin, filz adoptif de la dame du Lac près Beaufort en Anjou, se y trouva, lequel y fist des proesses merveilleuses »xxviii. Et nous venons de voir que, loin d’avoir inventé cette légende, Jehan de Bourdigné ne faisait que reprendre une histoire déjà connue depuis deux siècles.

Contrairement à ce qu'affirmait Ferdinand Lot, la localisation du château féerique de Viviane et Lancelot est possible, sur la base du Lancelot-Graal, et le lac du roman est identifiable à Saint-Pierre-du-Lac, sur le territoire de Beaufort-en-Vallée. Cette localisation n’a d’ailleurs pas de concurrence valable. D’abord parce que tous les textes placent le « Lac » sur le continent, et qu’aucune région anglaise n’a donc jugé bon de le réclamer. Ensuite parce qu’aucun des candidats « armoricains » qui revendiquent aujourd’hui la possession du fameux lac n’a de légitimité à le faire. L’identification qui est parfois faite avec la ville de Banvou dans l’Orne, bien que curieusement soutenue, à la fin de sa vie, par le professeur Jean-Charles Payen, ne repose en effet que sur une vague ressemblance de nom avec le « Benoic » des romans. Quant à la localisation du lac de Lancelot dans la forêt de Paimpont-Brocéliande elle n’est qu’une invention tardive. Jacques Briard, évoquant l’hypothèse du lac de Lancelot dans « les étangs du château de Comper » préfère d’ailleurs préciser que cette identification doit dater des plus belles heures du dix-neuvième sièclexxix. Elle date en fait de la deuxième moitié du XXe siècle puisque, dans les années 1980, Jean Markale a avoué être à l'origine de l'identification de l'étang de Comper avec le lac de Viviane : « Je m'aperçois avec effarement que des livres sérieux et de nombreux guides ont accepté cette identification sans sourciller. Je suis pourtant bien placé pour savoir que cette localisation, dont je suis responsable, reste purement arbitraire »xxx. Il est d’ailleurs clair, dans le Lancelot-Graal, que Brocéliande et le Bois-en-Val sont deux lieux distincts. Le premier est une forêt qui abrite les amours de Merlin et de Viviane et possède le tombeau de l’enchanteur, ainsi que la fontaine qui déclenche les orages dans le roman d’Yvain ; le second est aussi une forêt : elle contient le lac de Viviane et domine le pays de Benoic, théâtre des exploits guerriers d’Arthur, Merlin, Gauvain, Ban, Boors et autres. Et si l’ « hypothèse normande » doit aujourd’hui être définitivement abandonnée, malgré toute la sympathie qu’elle a pu susciter à travers des travaux ruineux, les localisations arthuriennes à Paimpont et à Beaufort-en-Vallée sont, elles, étrangement complémentaires, et peuvent toutes les deux s’appuyer sur des sources anciennes. Dès 1467, Guy XIV de Laval faisait en effet écrire les Usemens de la forêt de Brecilien, validant l’identification de la forêt de Paimpont à la mythique Brocéliande, forêt de Viviane et de Merlin. Tandis qu’entre 1210 et 1240 le Lancelot-Graal plaçait déjà le Lac de Lancelot à Beaufort-en-Vallée. Il est d’ailleurs curieux de voir Jeanne de Laval, fille de Guy XIV, venir demeurer à Beaufort-en-Vallée. Désirait-elle imiter son père et posséder elle aussi une terre ayant appartenu à la légendaire Viviane ? Ou bien ne faut-il voir là qu’une coïncidence ? A l’appui de cette seconde

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hypothèse on peut signaler que, dans le Lancelot-Graal, le lac de Viviane est aussi appelé « lac de Diane » et le texte nous apprend que cette Diane, qui avait vécu jadis près de ce lac, était une « reine de Sicile ». Un titre que portera aussi Jeanne de Laval…

Goulven péron

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i Un article de Marianne Deumié dans le journal Ouest-France (8 août 2010) et un livre de Pierre-Louis Augereau (Les secrets des noms de communes et lieux dits du Maine-et-Loire, 2005), entre autres, ont fait part de cette légende ces dernières années.

ii Rachel Bromwich, Trioedd Ynys Prydein, University of Wales Press, Cardiff, 1961, n°86, Ms.Pen.50.iii Pedwar Marchog ar Hugain Llys Arthur, ms.Pen.127.iv Bromwich, Trioedd, op.cit., p.414.v Jean Markale, Le roi Arthur et la société celtique, Payot, 1977, p.210.vi Les passages du Lancelot-Graal publiés dans cet article sont extraits du manuscrit 526 de la Bibliothèque Universitaire

de Bonn édité par D.Poirion dir., Le Livre du Graal, Gallimard, 3 volumes.vii Théodore Hersart de la Villemarqué, Contes populaires des anciens bretons, Coquebert, 1842, t.I, p.65.viii Romans de la Table Ronde, Folio Classique, 2007, p.152.ix Ferdinand Lot, Romania, Paris, 1896, p.12.x Poirion, Livre, op.cit., 2003, t.II, p.1.xi On notera qu'en ancien français « berrie » (ou parfois « bererie ») désigne une « grande plaine » ou une « campagne

déserte ». Il est donc curieux de voir le Berry s'appeler Terre Déserte dans le roman.xii Le nom Arramont, qui se voit aussi sous la forme « li rois Faramons » dans le Lancelot-Graal (Poirion, Livre, op.cit.,

t.III, p.732), est emprunté à l'ancêtre mythique des Mérovingiens : Faramond ou Pharamond. Ce Faramond avait un fils nommé Clodion. On ne s'étonne donc pas de voir parmi les enfants de Claudas de la Terre Déserte, un certain Claudion.

xiiiAu lieu de s'appeler Uter Pendragon et Ambroise Aurèle comme chez Geoffroy de Monmouth, les deux frères s'appellent Uter et Pandragon dans le Merlin de Robert de Boron.

xiv Poirion, Livre, op.cit., t.I, p.1829.xv Paulin Paris, Les romans de la Table Ronde mis en nouveau langage, Techener, Paris, 1868, t.2, p.207.xvi Ibidem, p.111.xvii T.L.Houdebine, Cunault, Trèves et Saint-Macé, Leur histoire – leurs monuments, Angers, 1927, p.127.xviii Ferdinand Lot, Étude sur le Lancelot en prose, Slatkine, Genève, 1984, p.148.xix Poirion, Livre, op.cit., t.II, p.87.xx Ibid., t.II, p.200.xxi Le lieu a depuis été renommé en Clermont et le château que l'on peut y voir aujourd'hui ne remonte pas au delà du dix-

septième siècle.xxii « Un chastel c'om apeloit Haut Mur ; et estoit a .II. Lieues pres d'illoc, et seoit sor la riviere de Loirre moult haut par

devers la Terre Deserte », Poirion, Livre, op.cit., t.II, p.162.xxiii Dictionnaire universel de la France ancienne et moderne, I.I, p.336, chez Saugrin, 1726.xxiv Pierre-Louis Augereau, Les secrets des noms de communes et lieux-dits du Maine et Loire, 2005, p.26.xxv Aristide Matthieu Guilbert, Histoire des villes de France - Beaufort-Baugé, Paris, 1845, t.III, p.489.xxvi Poirion, Livre, op.cit., t.III, p.141.xxvii Lot, Etude, op.cit., p.2.xxviii Jehan de Bourdigné, Chroniques d'Anjou et du Maine, éd. Quatrebarbes/Godard-Faultrier, Angers, 1842, p.60.xxix Jacques Briard, Mégalithes en Brocéliande, in Broceliande PUG, op.cit., p.77.xxx Jean Markale, Brocéliande et l'énigme du Graal, Histoire de la France Secrète, 1989, p.76.