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La lecture interactive : un contexte propice au développement du discours narratif et de la théorie de l’esprit chez l’enfant autiste Thèse Marie-Pierre Baron Doctorat en psychopédagogie Philosophiae doctor (Ph. D.) Québec, Canada © Marie-Pierre Baron, 2017

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La lecture interactive : un contexte propice au développement du discours narratif et de la théorie

de l’esprit chez l’enfant autiste

Thèse

Marie-Pierre Baron

Doctorat en psychopédagogie

Philosophiae doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

© Marie-Pierre Baron, 2017

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La lecture interactive : un contexte propice au développement du discours narratif et de la théorie

de l’esprit chez l’enfant autiste

Thèse

Marie-Pierre Baron

Sous la direction de :

Hélène Makdissi, directrice de recherche

Pierre Pagé, codirecteur de recherche

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Résumé

Cette étude de cas qualitative porte sur le développement du discours narratif et de la théorie de

l’esprit chez une enfant autiste de onze ans. Pour ce faire, une intervention intensive en lecture

interactive a été déployée quotidiennement par la praticienne chercheuse au domicile familial de

l’enfant pendant dix mois. Cela visait à répondre aux objectifs de la thèse, soit de décrire la

progression de l’enfant au regard de la structuration du discours narratif et de la théorie de

l’esprit, de décrire le type d’interventions élaborées par l’adulte permettant de soutenir l’enfant

dans cette progression, mais aussi de décrire l’interrelation entre la structure narrative et la

théorie de l’esprit en contexte de lecture interactive. Sur un total de 105 lectures interactives

vidéofilmées, trois lectures (novembre, avril et juin) ont été sélectionnées et mises en verbatim

aux fins d’analyse. La méthodologie de la recherche s’inscrit dans une démarche inductive

d’attribution de sens par création de catégories. Pour ce faire, sept étapes distinctes ont été

réalisées et, par souci de transparence ainsi que dans le but d’éviter les biais méthodologiques,

une seconde juge a participé au processus d’analyse. Les catégories créées ont permis de

répondre aux objectifs de la thèse. Outre la présentation du type de questions posées par l’adulte

et des interactions spontanées de l’enfant, les catégories d’analyse permettent de rendre compte

du nombre et du type de composantes récurrentes du récit nommées, du nombre et du type de

relations causales faites ainsi que du nombre et du type d’états internes nommés, et ce, tant par

l’adulte que par l’enfant.

Les résultats de la recherche permettent de rendre compte de l’évolution de l’enfant en ce qui a

trait au développement de la structuration du discours narratif et de la théorie de l’esprit. Il est

possible de remarquer que la proportion des questions répondues par l’enfant augmente dans le

temps, de même que le nombre de ses interactions spontanées en cours de lecture interactive, de

sorte qu’il est possible d’affirmer que l’enfant sollicite elle-même des moments d’attention

conjointe avec l’adulte autour du livre d’histoire. De plus, l’enfant énonce davantage de

composantes récurrentes du récit et d’états internes des personnages relatifs à la théorie de

l’esprit. De ce fait, dans le temps, on remarque non seulement une augmentation, mais une

complexification des états internes nommés. Finalement, à la lumière des résultats, il est possible

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de remarquer une augmentation et une complexification de relations causales faites par l’enfant

dans les questions auxquelles elle répond de même que dans les interactions spontanées dans

lesquelles, au fil des interventions, elle s’est approprié les questions de l’adulte. En ce qui a trait à

l’adulte, il est possible de remarquer dans le temps une complexification du type de questions par

une hausse des questions ouvertes posées. De plus, les résultats montrent une baisse des

interventions de l’adulte en ce qui a trait à l’énonciation des composantes récurrentes du récit, des

relations causales et des états internes qui correspond à la hausse de la participation de l’enfant.

En ce sens, il est possible d’affirmer que l’adulte, par la médiation, intervient dans la zone

proximale de développement de l’enfant en agissant comme un guide et lui laissant de plus en

plus de place lors des discussions. À la lumière des analyses, il est possible de remarquer une

progression entre les trois temps d’analyse en croisant la description de ce que l’enfant fait à la

description des interventions de l’adulte. Ainsi, il est possible d’affirmer que les questions

ouvertes posées par l’adulte en cours de lecture interactive, qu’elles soient rétrospectives ou

prospectives, propulsent l’expression par l’enfant des composantes récurrentes du récit et des

composantes de la théorie de l’esprit (états internes) et que l’expression de celles-ci favorise la

création de relations causales par l’enfant. De plus, en observant le type de questions posées par

l’adulte et la nature des interactions spontanées de l’enfant, il est possible de montrer que l’enfant

s’approprie progressivement la démarche de construction de sens autour du récit, démarche

partagée en discussion avec l’adulte qui prend un rôle de guide, de médiatrice, de modèle de

lectrice mature qui se questionne ouvertement devant un texte tout au long de sa lecture. Il est

donc proposé, dans le but de favoriser la structuration du discours narratif et le développement de

la théorie de l’esprit chez l’enfant autiste, d’opter pour des interventions en lecture interactive

intensives, complexes et contextualisées permettant la construction de sens et de liens de

causalité par l’enfant, et ce, grâce à la médiation de l’adulte, notamment par des questions

ouvertes portant sur les divers états internes des personnages en différents moments de la trame

narrative.

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Table des matières Introduction .................................................................................................................................... 1

Chapitre 1- Problématique ............................................................................................................ 3

Chapitre 2 - Cadre théorique ...................................................................................................... 10

2.1. LE DÉVELOPPEMENT DE L’ENFANT TOUT-VENANT ..................................................... 12

2.1.1. Présentation des concepts ............................................................................... 14

2.1.2. Le développement au stade sensorimoteur ..................................................... 20

2.1.3. Le développement au stade préopératoire ...................................................... 28

2.1.4. Le développement au stade opératoire ........................................................... 39

2.1.5. Synthèse théorique sur le développement de l’enfant tout-venant du stade sensorimoteur au stade opératoire .................................................... 41

2.2. LE DÉVELOPPEMENT DE L’ENFANT AUTISTE ................................................................ 42

2.2.1.Le développement de l’enfant autiste au stade sensorimoteur ........................ 42

2.2.2.Le développement de l’enfant autiste au stade préopératoire ........................ 45

2.2.3.Synthèse théorique sur le développement de l’enfant autiste .......................... 51

2.3. LA LECTURE INTERACTIVE : MOTEUR DE DÉVELOPPEMENT POUR L’ENFANT .............. 55

2.3.1. Les styles d’interactions et les différents types de questions posées en cours de lecture ........................................................................................... 57

2.3.2.La lecture interactive : un contexte trilogique d’intersubjectivité littéraire ............................................................................. 60

2.3.3.L’intervention en lecture interactive avec l’enfant autiste ............................. 63

2.4. LES OBJECTIFS DE LA THÈSE ....................................................................................... 64

2.4.1. Les objectifs spécifiques .................................................................................. 65

Chapitre 3 – Méthodologie .......................................................................................................... 67

3.1. UNE ÉTUDE DE CAS UNIQUE : PRÉSENTATION DU SUJET .............................................. 68

3.2. LA COLLECTE DES DONNÉES ........................................................................................ 70

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3.2.1. Rôle de la praticienne chercheuse .................................................................. 71

3.2.2. Les données d’intervention, contexte et collecte ............................................. 72

3.2.3. Sélection des données d’analyse ..................................................................... 74

3.3. LE TRAITEMENT DES DONNÉES D’ANALYSE ................................................................. 76

3.3.1. Première étape d’analyse : la mise en verbatim ............................................. 78

3.3.2. Deuxième étape d’analyse : le repérage thématique ...................................... 79

3.3.3. Troisième étape d’analyse : la délimitation des unités de sens ...................... 80

3.3.4. Quatrième étape d’analyse : délimitation de ce qui est accordé à l’enfant .......................................................................................................... 82

3.3.5. Cinquième étape d’analyse : la description des interactions et création de catégories .................................................................................. 83

3.3.6. Sixième étape d’analyse : mise en relief des catégories par distanciation du discours ................................................................................. 90

3.3.7. Septième étape d’analyse : mise en relief des points culminants de complexification .......................................................................................... 91

3.4. SYNTHÈSE DE LA MÉTHODOLOGIE ............................................................................... 95

Chapitre 4 - Analyse de la lecture interactive Les oreilles du roi ............................................. 97

4.1. ANALYSE DE L’OBJET .................................................................................................. 97

4.2. ANALYSE DE LA COMPRÉHENSION DE L’ENFANT ....................................................... 100

4.3. DISCUSSION ENTRE L’ENFANT ET L’ADULTE AUTOUR DU RÉCIT ................................ 104

4.3.1. Questions auxquelles l’enfant répond ........................................................... 105

4.3.2. Questions auxquelles l’enfant ne répond pas ............................................... 126

4.3.3. Interactions spontanées de l’enfant .............................................................. 136

4.4. SYNTHÈSE ................................................................................................................. 147

4.4.1. Catégories d’unités de sens ........................................................................... 147

4.4.2. Types de questions cœur ............................................................................... 148

4.4.3. Composantes récurrentes du récit visées ...................................................... 150

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4.4.4. Types de relations causales établies ............................................................. 152

4.4.5. Composantes de la théorie de l’esprit ........................................................... 154

Chapitre 5 - Analyse de la lecture interactive Raoul Taffin pirate ......................................... 157

5.1. ANALYSE DE L’OBJET ................................................................................................ 157

5.2. ANALYSE DE LA COMPRÉHENSION DE L’ENFANT ....................................................... 160

5.3. DISCUSSIONS ENTRE L’ADULTE ET L’ENFANT AUTOUR DU RÉCIT .............................. 165

5.3.1. Questions auxquelles l’enfant répond ........................................................... 166

5.3.2. Questions auxquelles l’enfant ne répond pas ............................................... 195

5.3.3. Interactions spontanées de l’enfant .............................................................. 201

5.4. SYNTHÈSE ................................................................................................................. 215

5.4.1. Catégories d’unités de sens ........................................................................... 216

5.4.2. Types de questions cœur ............................................................................... 217

5.4.3. Composantes récurrentes du récit visées ...................................................... 219

5.4.4. Types de relations causales établies ............................................................. 221

5.4.5. Composantes de la théorie de l’esprit ........................................................... 223

Chapitre 6 - Analyse de la lecture interactive Nez Rouge sur la piste de Léonard ................ 226

6.1. ANALYSE DE L’OBJET ................................................................................................ 226

6.2. ANALYSE DE LA COMPRÉHENSION DE L’ENFANT ....................................................... 230

6.3. DISCUSSIONS ENTRE L’ADULTE ET L’ENFANT AUTOUR DU RÉCIT .............................. 234

6.3.1. Questions auxquelles l’enfant répond ........................................................... 235

6.3.2. Questions auxquelles l’enfant ne répond pas ............................................... 256

6.3.3. Interactions spontanées de l’enfant .............................................................. 261

6.4. SYNTHÈSE ................................................................................................................. 270

6.4.1. Catégories d’unités de sens ........................................................................... 270

6.4.2. Types de questions cœur ............................................................................... 271

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6.4.3. Composantes récurrentes du récit visées ...................................................... 272

6.4.4. Types de relations causales établies ............................................................. 275

6.4.5. Composantes de la théorie de l’esprit ........................................................... 277

Chapitre 7 – Discussion .............................................................................................................. 280

7.1. DÉCRIRE ET ANALYSER L’INTERVENTION EN LECTURE INTERACTIVE ET LA PROGRESSION DE L’ENFANT EN CE QUI A TRAIT AU DÉVELOPPEMENT DE LA STRUCTURE NARRATIVE ................................................................................. 280

7.1.1. L’activité de l’enfant en cours d’interventions en lecture interactive .......... 281

7.1.2. Les types de questions posées en cours d’interventions en lecture interactive ..................................................................................... 282

7.1.3. Les composantes récurrentes du récit énoncées par l’enfant en cours d’interventions en lecture interactive ............................................................ 286

7.1.4. Les composantes récurrentes du récit énoncées par l’adulte en cours d’interventions en lecture interactive ............................................................ 289

7.1.5. Les relations causales établies par l’adulte et l’enfant en cours d’interventions en lecture interactive ............................................................ 292

7.2. DECRIRE ET ANALYSER L’INTERVENTION EN LECTURE INTERACTIVE ET LA PROGRESSION DE L’ENFANT EN CE QUI A TRAIT AU DEVELOPPEMENT DE LA THEORIE DE L’ESPRIT ..................................................................................... 296

7.2.1. Les composantes de la théorie de l’esprit énoncées par l’enfant en cours d’interventions en lecture interactive ............................................. 296

7.2.2. Les composantes de la théorie de l’esprit énoncées par l’adulte en cours d’interventions en lecture interactive ............................................. 299

7.3. DECRIRE L’INTERRELATION ENTRE LA STRUCTURE NARRATIVE ET LA THEORIE DE L’ESPRIT EN CONTEXTE DE LECTURE INTERACTIVE .......................... 302

7.4. LES IMPLICATIONS PEDAGOGIQUES ........................................................................... 306

7.5. CONTRIBUTIONS SCIENTIFIQUES ET LIMITES DU PROJET ............................................ 308

7.6. AVENUES PROSPECTIVES DE RECHERCHE .................................................................. 311

Conclusion ................................................................................................................................... 314

Bibliographie ............................................................................................................................... 318

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Bibliographie : Littérature jeunesse ......................................................................................... 331

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Liste des tableaux

Tableau 1 : Données d’intervention vidéofilmées .......................................................................... 74

Tableau 2: Types de questions cœur auxquelles l'enfant répond dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011) ................................................... 119

Tableau 3 : Questions cœur auxquelles l’enfant répond et composantes récurrentes visées dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011) .................... 121

Tableau 4 : Questions cœur auxquelles l’enfant répond et types de relations causales établies dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011) ................. 123

Tableau 5 : Questions cœur auxquelles l’enfant répond et composantes de la théorie de l’esprit dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011) ............. 125

Tableau 6 : Types de questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011) ................................................... 132

Tableau 7: Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas et composantes récurrentes visées dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011) .................... 134

Tableau 8: Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas et composantes de la théorie de l’esprit dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011) ............. 135

Tableau 9: Interactions spontanées de l’enfant et composantes récurrentes visées dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011) ....................................... 143

Tableau 10: Interactions spontanées de l’enfant et types de relations causales établies dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011) .............................. 144

Tableau 11: Interactions spontanées de l’enfant et composantes de la théorie de l’esprit dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011) .............................. 146

Tableau 12: Catégories d’unités de sens dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011) ....................................................................................... 147

Tableau 13: Synthèse des types de questions cœur dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011) ....................................................................................... 149

Tableau 14: Synthèse des composantes récurrentes du récit soulevées dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011) ....................................... 150

Tableau 15: Synthèse des types de relations causales établies dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011) ................................................... 152

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Tableau 16: Synthèse des composantes de la théorie de l’esprit soulevées dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011) ....................................... 154

Tableau 17 : Types de questions cœur auxquelles l’enfant répond dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) ............................................. 186

Tableau 18 : Questions cœur auxquelles l’enfant répond et composantes récurrentes visées dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) .............. 189

Tableau 19 : Questions cœur auxquelles l’enfant répond et types de relations causales établies dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) ............ 191

Tableau 20 : Questions cœur auxquelles l’enfant répond et composantes de la théorie de l’esprit dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) ........ 193

Tableau 21 : Types de questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) ................................. 198

Tableau 22 : Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas et composantes récurrentes visées dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) .............. 199

Tableau 23 : Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas et composantes de la théorie de l’esprit dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) ................................................................................... 200

Tableau 24 : Interactions spontanées de l’enfant et composantes récurrentes visées dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) ......................... 211

Tableau 25 : Interactions spontanées de l’enfant et types de relations causales établies dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) ......................... 213

Tableau 26 : Interactions spontanées de l’enfant et composantes de la théorie de l’esprit dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) ......................... 214

Tableau 27 : Catégories d’unités de sens dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) ................................................................................... 216

Tableau 28 : Synthèse des types de questions cœur dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) ................................................................................... 217

Tableau 29 : Synthèse des composantes récurrentes du récit soulevées dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) ............................................. 219

Tableau 30 : Synthèse des types de relations causales établies dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) ............................................. 222

Tableau 31 : Synthèse des composantes de la théorie de l’esprit soulevées dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) ................................. 224

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Tableau 32 : Types de questions cœur auxquelles l’enfant répond dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999) ......................... 249

Tableau 33 : Questions cœur auxquelles l’enfant répond et composantes récurrentes visées dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999) ........................................................................................ 251

Tableau 34 : Questions cœur auxquelles l’enfant répond et types de relations causales établies dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999) ........................................................................................ 253

Tableau 35 : Questions cœur auxquelles l’enfant répond et composantes de la théorie de l’esprit dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999) ........................................................................................ 255

Tableau 36 : Types de questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999) ......................... 258

Tableau 37 : Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas et composantes récurrentes visées dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999) ........................................................................................ 259

Tableau 38 : Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas et composantes de la théorie de l’esprit dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999) ........................................................................................ 260

Tableau 39 : Interactions spontanées de l’enfant et composantes récurrentes visées dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999) ..... 266

Tableau 40 : Interactions spontanées de l’enfant et types de relations causales établies dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999) ..... 268

Tableau 41 : Interactions spontanées de l’enfant et composantes de la théorie de l’esprit dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999) ..... 269

Tableau 42 : Catégories d’unités de sens dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999) ........................................................................................ 270

Tableau 43 : Synthèse des types de questions cœur « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999) ........................................................................................ 271

Tableau 44 : Synthèse des composantes récurrentes du récit soulevées dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999) ......................... 273

Tableau 45 : Synthèse des types de relations causales établies dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999) ......................... 275

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Tableau 46 : Synthèse des composantes de la théorie de l’esprit soulevées dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999) ......................... 277

Tableau 47 : Description de l’activité de l’enfant en cours d’interventions en lecture interactive ............................................................................................... 281

Tableau 48 : Évolution des types de questions posées en cours d’interventions en lecture interactive ................................................................................................................ 283

Tableau 49 : Composantes récurrentes du récit énoncées par l’enfant en cours d’interventions en lecture interactive ...................................................................... 287

Tableau 50 : Composantes récurrentes du récit énoncées par l’adulte en cours d’interventions en lecture interactive ...................................................................... 289

Tableau 51 : Types de relations causales établies par l’enfant et par l’adulte en cours d’interventions en lecture interactive ...................................................................... 292

Tableau 52 : Composantes de la théorie de l’esprit énoncées par l’enfant en cours d’interventions en lecture interactive ...................................................................... 297

Tableau 53 : Composantes de la théorie de l’esprit énoncées par l’adulte en cours d’interventions en lecture interactive ...................................................................... 300

Tableau 54 : Interrelation entre la structure narrative et la théorie de l’esprit en contexte de lecture interactive ............................................................................................... 302

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Liste des figures

Figure 1 : Le développement de l'enfant tout-venant ..................................................................... 14

Figure 2 : Système d'opérations menant à la construction des composantes récurrentes du récit minimal (Makdissi et Boisclair, 2008, p.55) ............................................................. 19

Figure 3 : Schéma hiérarchique de la complexification du récit (Baron, 2010, p.10) ................... 31

Figure 4 : Le développement de l’enfant autiste ............................................................................ 53

Figure 5 : Contexte trilogique d’intersubjectivité littéraire (Baron, 2010, p.29) ........................... 62

Figure 6 : Processus inductif de production de catégories ............................................................. 77

Figure 7: Schéma narratif et de la théorie de l’esprit : « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011) .................................................................................................... 100

Figure 8: Schéma narratif et de la théorie de l’esprit présentant la compréhension que l’enfant a coconstruite autour du récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011) .................................................................................................... 103

Figure 9 : Schéma narratif et de la théorie de l’esprit : « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) ................................................................................................ 159

Figure 10 : Schéma narratif et de la théorie de l’esprit présentant la compréhension que l’enfant a coconstruite du récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) ................................................................................................ 164

Figure 11 : Schéma narratif et de la théorie de l’esprit : « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999) ...................................... 228

Figure 12 : Schéma narratif et de la théorie de l’esprit présentant la compréhension que l’enfant a du récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999) ..................................................................................................... 233

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Liste des illustrations

Illustration 1 : Tableau présentant les types de questions .............................................................. 92

Illustration 2 : Tableau présentant les composantes récurrentes visées ......................................... 93

Illustration 3 : Tableau présentant les relations causales établies .................................................. 94

Illustration 4 : Tableau présentant les états internes énoncés ......................................................... 95

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“ Not everything that steps out of the line, and is thus ‘abnormal’,

must necessarily be ‘inferior’. ”

- Hans Asperger

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Remerciements

Des remerciements d’usage doivent tout d’abord être adressés au Fonds de recherche du Québec

- société et culture (FRQSC) pour le financement accordé pendant la première année de la thèse

ainsi qu’au Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) pour le soutien

financier pendant les trois années de recherche doctorale suivantes. L’aboutissement de ce grand

projet a également été possible grâce au support financier du Groupe de recherche et

d’intervention auprès de l’enfant sourd (GRIES).

Le premier et le plus grand des mercis à toi, la belle chouette, et à tes parents. Merci à vous trois

de m’avoir permis de faire partie de votre famille. Outre une année de recherche, cette année a été

avant tout une grande histoire de cœur. Merci d’avoir ouvert votre porte sans attente et sans

retenue dans le partage et l’entraide. Merci à toi la belle pour ta participation à cette recherche

doctorale, ta patience et ton amitié. À ton contact, j’ai beaucoup changé et tu as, à ta manière,

influencé la façon dont la professeure, la chercheuse et la femme que je suis voit aujourd’hui le

monde.

Si le cheminement rendant au dépôt de la thèse est une longue danse, j’ai la certitude de pouvoir

affirmer que je n’ai jamais dansé seule. De sincères remerciements sont également adressés aux

grandes femmes faisant partie du GRIES qui m’ont permis, non seulement de réussir, mais qui

m’ont également soutenue. La professeure Andrée Boisclair qui, de près ou de loin, veille à la

réussite de chacune des membres de son équipe; la professeure Pauline Sirois qui m’a accordé sa

confiance pour différents projets; Claudia Sanchez et Marie-Hélène Blais Bergeron qui, en plus

d’avoir été mes collègues de bureau, sont devenues mes grandes amies, des confidentes, un

support moral et auprès de qui j’ai pu explorer toute la gamme des émotions; Alice Vanlint (et E.

Farrarons), voisine de bureau, colocataire et grande voyageuse avec qui j’ai vécu de grandes

aventures et dont l’amitié survit non seulement au temps, mais à la distance; Mélanie Darveau, la

plus securow d’entre toutes (securow, ce petit mot qui veut tout dire); Isabelle Malouin pour

l’amitié, mais aussi pour les encouragements; Maude Nadeau pour l’amitié et les douces pensées.

Page 18: La lecture interactive : un contexte propice au ...

xviii

Je désire également remercier mes collègues de l’ACCESE, Matthias Pepin, Rosalie Poulin,

Alice Vanlint, Claudia Sanchez, Simon Viviers et David Litalien pour les instants de travail,

d’accomplissement, de rêveries et de rigolades. De cette expérience est née non seulement des

amitiés, mais aussi la certitude que j’aurai toujours des collègues avec qui bâtir les projets les

plus fous. Le plus grand et le plus beau des mercis à Janie Lavoie mon amie, et ce, même avant le

début des mes aventures aux cycles supérieurs, celle qui me pousse, m’écoute, m’encourage,

celle dont l’amitié survit aux multiples déménagements, et ce, que nous habitions ensemble ou

non, près ou loin.

Je ne peux passer sous silence le soutien et la collaboration de plusieurs professeures et

professeures qui m’ont questionnée, appuyée et permis d’avancer tout au long de cette démarche.

Merci aux professeurs Pierre Pagé et Alexandre Buysse d’avoir accepté de contribuer à

l’encadrement de la thèse et dont l’engagement au sein du comité est fort apprécié et auprès de

qui je suis fière d’avoir cheminé. Merci au professeur Jacques Désautels et à la professeure Marie

Larochelle pour les discussions et les débats méthodologiques et épistémologiques, pour le

soutien constant, pour les suggestions et pour la place que vous m’avez faite dans vos vies. Un

tout grand merci à mes collègues du module d’enseignement en adaptation scolaire et sociale de

l’UQAC, tout spécialement à Manon Doucet, Carole Côté et Sylvie Turcotte, merci mesdames

pour votre soutien, vos encouragements et votre appui. Merci également à mes collègues et amies

les professeures Stéphanie et Joëlle Duval pour la motivation, les fous rires, les encouragements

constants et cette belle complicité.

Merci à toi Hélène Makdissi, femme de tête, mais avant tout femme de cœur. Merci de m’avoir

accompagnée pendant toutes ces années et, surtout, merci de l’avoir fait ainsi en me poussant, en

me questionnant, en me guidant et, surtout, en me laissant réfléchir et évoluer. La professeure que

je suis maintenant est teintée de toi, de tes gestes, de tes réflexions et de ta vision du monde

scientifique, mais aussi, surtout, de la vision que tu as de l’enfant et de son développement. Merci

Page 19: La lecture interactive : un contexte propice au ...

xix

de m’avoir appris à rester centrée sur l’enfant et merci de m’avoir offert ce cadeau inestimable,

c’est-à-dire tout ce temps que tu m’as accordé.

Merci aux amis, à ceux et celles qui contribuent à mon équilibre : Mes amies depuis toujours,

Annipier, Marie-Michelle, Sabrina, Sophie, leurs amoureux et leurs petites familles; Le Crew,

Janie, David, Katherine, Pierre-Louis, Dave, Maxime, Raphaëlle, Annie-Claude, Frédéric, Gladys

& les autres. Merci à mes familles Baron, Claveau et Lavoie pour le support et les

encouragements. Un clin d’œil tout spécial à mes filleuls Elliot et Violène auprès de qui je

m’émerveille.

Finalement, cette grande aventure n’aurait pas eu lieu sans mes parents, Rénald et Guylaine,

toujours à mes côtés, membres de chaque aventure, grâce à qui je devins la femme que je suis

aujourd’hui. Vous m’avez appris à persévérer, à être fière, à rêver, à avoir confiance en moi et

aux autres, mais, avant toute chose, vous m’avez appris à aimer la vie et les gens qui en font

partie. Finalement, le plus doux des mercis à toi Yves-Christian, mon meilleur amour et mon

coéquipier auprès de qui tout est possible. Merci d’être là, merci d’être toi, merci de me laisser

être moi et de veiller sur nous.

À la douce mémoire

de mon papy Valérien Claveau qui a toujours cru en moi et au pouvoir de la famille

& de mon grand ami Jean-Charles Lantin qui m’a appris que l’amitié n’a pas d’âge.

Page 20: La lecture interactive : un contexte propice au ...

1

Introduction

En 2015, Steve Silberman a ébranlé le monde de la littérature en publiant NeuroTribes, The

Legacy of Autism and the Future of Neurodiversity. Dans cet ouvrage salué par la critique, il

avance que la hausse de la prévalence actuelle, voire même de la pandémie, si on rapporte les

propos de l’auteur, est une illusion d’optique principalement due au fait qu’il y a eu des ratés en

ce qui a trait au diagnostic de l’autisme. Il marque l’importance de porter un regard nouveau sur

les personnes autistes, sur leur façon de penser, et de s’ouvrir à une neurodiversité. L’auteur met

également en exergue le fait que différents débats ayant marqué l’histoire de l’autisme,

notamment celui en ce qui a trait aux vaccins1, ont éloignés les gens du vrai débat, c’est-à-dire de

mettre sur pied des services et des adaptations en éducation qui permettront la réussite et la

scolarisation des enfants autistes.

C’est dans cette optique de mise sur pied d’interventions adaptées et de respect de l’individu dans

sa singularité que la thèse a été pensée. La thèse s’inscrit dans une perspective développementale

et a pour postulat que le développement de l’enfant autiste se fait en suivant les mêmes étapes

que celui de l’enfant tout-venant, mais avec certains nœuds développementaux2 qui peuvent

entraver le développement de certains concepts. Ainsi, le but du projet de recherche doctoral est

de décrire les développements du discours narratif et de la théorie de l’esprit chez une enfant

autiste, développements situés dans le contexte d’interventions intensives en lecture interactive.

1 En 1998, le docteur britannique Andrew Wakefield a publié un article afffirmant que le vaccin contre la rougeole, la rubéole et les oreillons était la cause de l’autisme. En 2004, il a été prouvé qu’il s’agissait d’une fraude scientifique et que le Dr. Wakefield avait été subventionné par un groupe anti-vaccin pour la publication de ces faux résultats. 2 L’expression « nœud développemental » est utilisée ici pour désigner les difficultés notées dans le développement de l’enfant autiste, une zone de conflits cognitifs qui se perpétue et qui ne semble pas ouvrir sur une réorganisation majorante de la structuration de la pensée. L’expression a été choisie puisque le nœud au sens propre désigne le croisement serré de deux choses et, au sens figuré dans le développement de l’enfant, cela représente les différentes variables représentées dans l’approche systémique du développement de l’enfant qui peuvent se nouer et entraver son développement dans ce système ouvert spiralaire. En effet, le « nœud développemental » entravera une partie du développement de l’enfant et cela aura des répercussions sur d’autres sphères de développement. De plus, le nœud au sens propre se sert, se desserre et se dénoue, tout comme le « nœud développemental ».

Page 21: La lecture interactive : un contexte propice au ...

2

Le premier chapitre de la thèse présente la problématique. Le second chapitre fait état du cadre

théorique traitant du développement de l’enfant tout-venant selon l’approche systémique, et ce,

au regard des concepts clés nécessaires au développement du discours narratif et de la théorie de

l’esprit, soit l’attention conjointe, l’intersubjectivité et l’intentionnalité. Par la suite, le

développement de l’enfant autiste et les nœuds développementaux en ce qui a trait au

développement de ces concepts clés seront présentés et mis en lien, et ce, dans le but d’expliquer

certains comportements observables chez l’enfant autiste. Finalement, l’intervention en lecture

interactive sera décrite et les incidences possibles sur le développement de l’enfant autiste seront

étayées.

Le troisième chapitre présente la méthodologie originale de la thèse. La méthodologie associée à

ce projet de recherche exploratoire s’inscrit dans la tradition qualitative et inductive en présentant

une étude de cas réalisée de façon longitudinale sur une période de dix mois. Pour analyser les

lectures interactives sélectionnées, il a été convenu de procéder par création de catégories dans le

but d’analyser tant ce que l’adulte fait que ce que l’enfant réalise lors de l’intervention en

contexte de lecture interactive. L’analyse de la lecture interactive des trois récits sélectionnés sera

présentée dans les chapitres quatre, cinq et six de la thèse. Finalement, le septième chapitre

présente la discussion où les analyses précédentes seront mises en lien dans le but, d’une part, de

tracer la progression de l’enfant au regard du développement du discours narratif et de la théorie

de l’esprit et, d’autre part, de décrire les interventions de l’adulte.

Page 22: La lecture interactive : un contexte propice au ...

3

Chapitre 1- Problématique

Depuis les premières observations de Bleuler, de Kanner et d’Asperger, l’autisme s’est mis à

susciter l’intérêt des médecins, des chercheurs, des psychologues et des psychanalystes, variant

ainsi les définitions et les interventions de sorte qu’aujourd’hui, l’autisme est défini comme

suscitant une variété de comportements hétéroclites qui peuvent être remarqués ou non chez les

sujets, et ce, à des niveaux d’intensité différents.

La cinquième édition du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM V)

publiée par l’American Psychiatric Association (APA) (2013) définit l’enfant ayant un trouble du

spectre autistique3 comme ayant un trouble affectant la communication sociale, par

l’intermédiaire de la réciprocité émotionnelle, du déficit dans la communication non verbale et de

la difficulté à la développer. Ceci a des conséquences sur le maintien et sur la compréhension des

relations sociales amenant des comportements stéréotypés (mouvements répétitifs) et une

insistance sur la routine. Les enfants autistes semblent avoir des intérêts restreints, limités ou

atypiques. Dans ce cadre, le Collège des médecins du Québec et l’Ordre des psychologues du

Québec évaluent les enfants autistes selon quatre domaines précis de compétences pouvant être

touchés : la socialisation, la communication, le jeu et l’imagination ainsi que la variété des

intérêts et des comportements (Arès, Lalancette, Larose, Mottron, Poulin, Steiman, Desjardins, et

Gref, 2012).

Le document sur l’organisation des services éducatifs aux élèves à risque et aux élèves

handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) (ministère de l’Éducation

du Loisir et du Sport (MELS, 2007) met de l’avant les difficultés de l’élève autiste en ce qui a

trait aux apprentissages scolaires. On y note des difficultés dans l’acquisition de concepts, dans la

3 Bien que le DSM V (APA, 2013) utilise le terme générique trouble du spectre autistique, le terme autiste sera utilisé dans la thèse.

Page 23: La lecture interactive : un contexte propice au ...

4

planification et dans l’organisation dans le temps, l’espace ou la tâche ainsi qu’un répertoire

limité de stratégies de résolution de problèmes. En ce qui a trait à la communication orale et

écrite, on note des difficultés en ce qui a trait au type de discours, aux intentions de

communication, des difficultés à saisir le contexte et à comprendre les indices extralinguistiques

présents dans la communication. Finalement, on met de l’avant les difficultés à réfléchir sur la

langue. Ces répercussions associées aux critères diagnostiques précédemment présentés font en

sorte que l’enfant, au sein de la vie scolaire, a de la difficulté à établir des relations avec les

autres, à s’intégrer aux groupes et, entre autres choses, à s’adapter aux changements.

Les critères diagnostiques du DSM V (APA, 2013) mis en lien avec les comportements

observables dans le milieu scolaire (MELS, 2007) permettent d’établir un lien mettant de l’avant

l’importance d’intervenir sur le développement du discours et sur la prise de conscience de

l’autre, et ce, dans le but de permettre aux élèves autistes de communiquer de façon harmonieuse

et de développer un langage complexe et réflexif qui leur permettra de mieux s’intégrer dans la

vie de l’école eu égard tant aux construits scolaires qu’à la vie sociale. D’ailleurs, un lien entre

les symptômes autistiques de la petite enfance et l’adaptation sociale à l’adolescence a été fait

dans les recherches de Thommen et Guidoux (2011). Cela démontre l’importance de mettre en

place un programme d’intervention précoce, intensif, spécifique et se réalisant dans un contexte

naturel pour que les gains développés chez l’enfant autiste persistent à long terme (Rogé, 2002).

De plus, l’autisme est le handicap dont la prévalence est la plus en hausse dans les milieux

scolaires (Noiseux, 2015), ce qui marque la nécessité de se pencher sur la question des

apprentissages scolaires de ces élèves et d’aborder, avec les milieux, la neurodiversité.

Plusieurs chercheurs se penchent sur l’autisme dans le but de le « guérir » ou d’en amoindrir les

conséquences, mais la diversité des résultats prouve que le mystère entourant son étiologie est

Page 24: La lecture interactive : un contexte propice au ...

5

encore très grand. En effet, les causes les plus populaires se regroupent sous deux grandes

catégories, les causes biologiques4 et les causes environnementales5.

Pour le psychopédagogue, les divergences et les polémiques sur l’étiologie de l’autisme, quoique

socialement et médicalement pertinentes, ne donnent pas d’indications permettant de mettre en

relief des interventions pédagogiques adaptées. Les différentes méthodes sont variées de sorte

qu’elles peuvent être regroupées sous deux grands paradigmes. Dans un premier temps, on

retrouve les modèles d’intervention sous un paradigme béhavioriste axé sur la modification du

comportement, selon les principes du conditionnement opérant de Pavlov, et par lequel

l’intervenant, par la répétition, modèle les comportements en fonction de différentes situations

prédéterminées. Dans cette perspective, on retrouve les programmes d’interventions tels que

Picture exchange communication system6 (PECS), Treatment and education of autistic and

related communication handicapped children7 (TEACCH) et Applied Behaviour Analysis8

4 Déjà, en 1943, Léo Kanner postulait une origine biologique à l’autisme, postulat qui a été soutenu plus tard par Margaret Bauman et Thomas Kemper qui ont fait l’autopsie du cerveau d’un jeune autiste et qui y ont découvert des anomalies qui devaient être présentes avant la naissance de l’enfant (Révil, 2012). Plus récemment, certains auteurs soulignent un dysfonctionnement dans le système neuronal (Arès, et coll., 2012; Charman, 2003; Lenoir, Malvy et Bodier-Rethore, 2007), d’autres dans le système nerveux central (Chamak, 2010) et d’autres dans le développement chromosomique (Jamain, et coll., 2003). Il a également été documenté que le fait de prendre de l’acide folique pendant la grossesse réduit les risques d’avoir un enfant autiste (Surén, Roth, Bresnahan, Haugen, Hornig, Hirtz, Lie, et coll., 2013). Une équipe de chercheurs de l’Université McGill à Montréal soutient qu’il existe un lien entre la protéinogenèse et la prévalence de l’autisme (Gkogkas, Khoutorsky, Ran, Rampakakis, Nevarko, Weatherill, Vasuta, et coll., 2013). 5 Bruno Bettelheim identifiait l’autisme comme le résultat d’une tare dans la relation mère-enfant (Chamak, 2010; Frith, 1996). D’autres psychanalystes, rapportés par Frith (1996), accusaient les familles issues de milieux socioéconomiques plus aisés financièrement comme étant une cause de l’autisme. Des études plus récentes créent un lien intergénérationnel entre le fait que la mère ait été victime de violence dans sa jeunesse et le taux de prévalence de l’autisme (Roberts, Lyall, Rich-Edwards, Ascherio, et Weisskopf, 2013). Un lien entre l’âge élevé du grand-père de l’enfant et la prévalence de l’autisme (Frans, Sandin, Reichenberg, Långström, Lichtenstein, McGrath, et Hultman, 2013) a également été trouvé. 6 Initiée par Frost et Bondy en 1985, PECS est une méthode de communication alternative utilisant des pictogrammes de communication (Charlop-Christy, Carpenter, Le, LeBlanc, & Kellet, 2002). Cela amène les enfants à développer la communication non verbale et même, dans certains cas, la communication verbale. L’objectif de ce type d’intervention est d’initier une interaction communicative qui deviendra spontanée, et ce, selon un enseignement reposant sur les principes béhavioristes comme, par exemple, l’utilisation du renforcement positif (Charlop-Christy, et coll., 2002; Ganz et Simpson, 2004; Howlin, Gordon, Pasco, Wade et Charman, 2007). 7 Initiée par Eric Chopler dans les années ’60 aux États-Unis, la méthode Treatment and Education of Autistic and related Communication handicapped CHildren (TEACCH) a pour objectif l’acquisition d’un maximum d’autonomie (Chamak, 2010) et peut être utilisé tout au long de la vie de la personne autiste (Rogers, 1998). C’est une forme

Page 25: La lecture interactive : un contexte propice au ...

6

(ABA). Dans un second temps, on retrouve les modèles axés sur le développement cognitif et

affectif de l’enfant, réalisés de façon intensive et précoce et qui suivent la séquence

développementale de l’enfant comme Early Start Denver9 ou Floortime Therapy10. Ces modèles

d’interventions, où la relation entre l’adulte et l’enfant est considérée comme un moteur aux

apprentissages, sont toutefois axés sur le développement sensorimoteur de l’enfant, laissant ainsi

de côté les fondements aux apprentissages scolaires, notamment en ce qui a trait au discours

narratif.

On remarque que les méthodes béhavioristes comportementales, plus précisément TEACCH et

ABA, sont les plus présentes dans le système éducationnel québécois. Elles sont souvent les plus

appréciées des parents (Chamak, 2010) et sont celles recommandées en France par l’Institut

National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) (Ancel, Bonnier, Burguet, Combier,

Estournet-Mathiaud, Gautheron, Mahieu-Caputo, et coll., 2004). Cependant, peu d’études ont été

d’intervention qui organise, structure et modifie l’environnement de même que les activités de l’enfant autiste que se soit à la maison ou à l’école. Ce programme structure, dans le temps, différentes tâches et activités à l’aide d’un horaire fixe, illustré par des pictogrammes. En plus de valoriser le principe de routine, il propose une méthode de travail dans laquelle chaque tâche est isolée afin de faire reproduire une réponse prédéterminée et jugée adéquate. La réponse est enseignée en l’associant à une récompense dès qu’elle est manifestée. Cette méthode, si elle peut être efficace dans l’immédiat, demeure insuffisante pour le développement des représentations par l’enfant (Lemay, 2004) puisqu’une représentation ne se construit pas sur une mosaïque de réponses prédéterminées et apprises par cœur par association aux récompenses qu’elles procurent. 8 Initiée par Ivar Lovaas dans les années ’60 aux Etats-Unis, la méthode Applied Behaviour Analysis (ABA) est une méthode de modification du comportement dont le but, indépendamment de l’âge de l’enfant, est que ce dernier puisse être autonome dans une variété de situations en augmentant ses aptitudes sociales avec des bases béhavioristes (Rogers, 1998). En enseignant de petites unités de façon systématique et explicite (Norris, Paré et Starky, 2006), par la répétition, jusqu’à la reproduction, l’enfant apprend les comportements pour lesquels un déficit a été observé. La méthode utilise l’apprentissage de stratégies pour développer les capacités adaptatives, les interventions autour du comportement dans la classe ou à la maison, la stimulation de l’attention et le développement de méthodes de travail jugées efficaces par l’intervenant. 9 Le programme Early Start Denver est axé sur les interactions sociales et la communication. Le programme d’intervention précoce basé sur l’affect positif peut être débuté à partir de 12 mois. Le programme est créé à partir du développement de l’enfant tout-venant et a pour but de créer une relation avec l’enfant autiste dans une routine basée sur les intérêts de l’enfant et sur le jeu, ce dernier étant considéré comme un prétexte à l’apprentissage (Dawson, Rogers, Munson, Smith, Winter, Greenson, Donaldson et Varley, 2009). 10 Le programme d’intervention Floortime mise sur le développement émotionnel. Les interventions de type Floortime sont utilisées pour entrer en interaction avec les enfants autistes dans le but de changer les actions pour des interactions. La planification des interventions est basée sur des observations pour situer le bon niveau de l’enfant. Le traitement ne considère pas les sphères de développement comme des blocs séparés et préfère les travailler de manière interactive dans des séquences alternant 20 minutes d’intervention et 20 minutes de pause.

Page 26: La lecture interactive : un contexte propice au ...

7

menées en ce qui a trait aux méthodes d’intervention et les résultats restent discutés11 (Ancel,

Bonnier, et coll., 2004). Quoique dispensées dans les écoles, ces méthodes ne tiennent que très

peu compte des apprentissages disciplinaires liés aux matières scolaires. Par ailleurs, la

singularité de l’autisme et de chaque cas (Ancel, Bonnier, et coll., 2004; Chamak et Cohen, 2003;

Veneziano et Plumet, 2009), les différentes manifestations et les degrés d’intensité font en sorte

qu’une « solution unique » pour repousser les limites de l’autisme ne peut être trouvée que dans

l’adaptation à chacun (Chamak et Cohen, 2003).

Il convient donc de se questionner à savoir comment faire autrement que ce qui est présentement

proposé dans les écoles. Comme la majorité des méthodes prônées pour l’éducation des enfants

autistes repose sur le béhaviorisme, comme les quelques approches développementales se situent

dans des interventions sensorimotrices, comme les acquisitions scolaires reposant sur le

raisonnement sont peu servies, à la fois par les approches béhavioristes et à la fois par les

approches centrées sur la période sensorimotrice du développement, il devient essentiel de tenter

de rechercher des interventions alternatives misant sur la construction des savoirs et du

raisonnement. Or, si selon Piaget et Garcia (1987), la connaissance est engendrée par l’interaction

entre le sujet et l’objet, il convient, dans un contexte d’intervention en lecture interactive, de

prendre en compte la médiation que l’adulte peut offrir comme un moteur permettant la

construction des apprentissages de l’enfant autiste à partir des objets culturels que représentent

les livres tirés de la littérature d’enfance. Chaque individu construit ses représentations du monde

(Fourez, 2004) et celles-ci teintent les construits scolaires (Astolfi, 1992; Astolfi et Peterfalvi,

1993), d’où l’importance de tenir compte du contexte propre à chaque individu et de mettre en

11 Par exemple, une étude menée par le Dr. Lovaas (1987) auprès de dix-neuf jeunes enfants autistes qui ont reçu un traitement individualisé et intensif ABA pendant deux ans, démontre que 42% des participants ont réalisé des progrès langagiers, des progrès comportementaux et ont fait des gains en quotient intellectuel s’ils sont comparés au groupe témoin, composé d’enfants tout-venant. Cette étude est une des rares de cette envergure réalisée sur ce type d’intervention et ses résultats sont controversés (Lemay, 2004). La plupart des études menées sur ce traitement présentent des enfants étant caractérisés comme autistes légers. Lors du procès pour l’Affaire Auton (Tiedemann, 2008), une controverse a même été soulevée en ce qui a trait à la réussite réelle du traitement et au caractère essentiel de ce type de traitement. La question soulevée réside dans le fait qu’il existe très peu de traitements offerts aux personnes autistes et que les parents doivent souvent choisir « par défaut » la méthode ABA, et ce, sans avoir le loisir de se questionner sur ses fondements et son efficacité.

Page 27: La lecture interactive : un contexte propice au ...

8

œuvre, en tant que médiateur, les conditions nécessaires à la construction des apprentissages

scolaires dans le but non seulement d’être, tel que documenté par Vygotski, dans la zone

proximale de développement de l’enfant12, mais aussi de le mettre face à des obstacles qui

favoriseront la construction des savoirs (Astolfi et Peterfalvi, 1993). Ainsi, alors que Piaget

(1977) parle de socialisation de l’intelligence dans le sens où les échanges entre l’enfant et le

milieu social modifient sa structure mentale et permettront des avancées intellectuelles

importantes, Tomasello (2011, 2015) abonde en ce sens dans ses recherches sur la coopération et

parle d’intelligence sociale et culturelle qui stimule le développement cognitif des enfants en

augmentant leur compréhension de la causalité du monde. Il convient donc d’envisager une

nouvelle approche pédagogique auprès des élèves autistes axée sur les construits scolaires et se

situant au juste niveau de développement de l’enfant quant à cesdits construits. Si, pour l’enfant

tout-venant, il y a un parcours de complexification des savoirs qui tient compte de l’interraction

entre le sujet et l’objet, pourquoi il en serait autrement pour l’enfant autiste? Ainsi, il convient de

soulever l’hypothèse que l’enfant autiste devra complexifier les concepts et ses raisonnements en

suivant le même parcours développemental que tout enfant et de la même façon, c’est-à-dire en

étant au contact d’un pair plus avancé ou d’un adulte.

Cette perspective remet le pédagogue face à un questionnement central au cœur de son action

professionnelle qui est de trouver comment aménager un contexte pédagogique en fonction d’un

objet d’apprentissage à analyser et en fonction du niveau de développement de l’enfant au regard

de cet objet. Cette posture a des conséquences importantes : contrairement aux approches

béhavioristes, il n’est plus question de transformer l’objet d’apprentissage ou de le réduire. Il

s’agit, bien au contraire, d’adapter le contexte pédagogique pour qu’un enfant donné soit exposé

et soutenu face à un objet d’apprentissage d’emblée préservé dans sa complexité. Ainsi, il est

12 La zone proximale de développement est un concept élaboré par Vygotski (1997/1934) sur le développement de l’enfant. Elle fait référence au niveau de développement potentiel de l’enfant, soit l’écart entre ce qu’il est capable de faire lorsqu’il est en présence d’un adulte ou d’un tiers plus avancé et ce qu’il est capable de faire seul. Selon la théorie vygotskienne, ce que l’enfant parvient à faire, avec le soutien de l’adulte, annonce ce qu’il parviendra à faire seul dans un avenir proche.

Page 28: La lecture interactive : un contexte propice au ...

9

pertinent de regarder le développement de l’enfant tout-venant et celui de l’enfant autiste pour

mettre sur pied une intervention en lecture interactive complexe et contextualisée, et ce, dans le

but de décrire le développement de la structuration du récit et de la théorie de l’esprit et d’avoir

une portée pragmatique dans le sens où il faut trouver des solutions aux problèmes observés dans

la pratique enseignante (Van der Maren, 2003).

Page 29: La lecture interactive : un contexte propice au ...

10

Chapitre 2 - Cadre théorique

Dans le développement de l’enfant, l’apprentissage, au sens piagétien, se fait dans une approche

systémique puisque plusieurs variables différentes entrent en interaction pour créer un système.

Fourez (2004) compare la situation d’apprentissage systémique à un système de poutres

indissociables où chacune soutient l’autre pour créer un ensemble solide. Dans la suite du cadre

théorique, cette conception sera étayée afin de bien saisir le développement de certains concepts

clés de la structuration du discours narratif et de la théorie de l’esprit chez l’enfant tout-venant

soit l’attention conjointe, l’intersubjectivité et l’intentionnalité. Les liens entre leurs

développements respectifs seront explicités pour démontrer que les développements de l’enfant

se font sous la forme d’un engrenage13, le développement de chaque concept étant relié à un

autre, et ce, du stade de développement sensorimoteur au stade de développement opératoire.

Dans cette perspective de continuum développemental, le développement desdits concepts clés

chez l’enfant autiste sera présenté et les nœuds développementaux relatifs au diagnostic ainsi que

leurs répercussions seront mis en lien avec le développement de la structuration du discours

narratif et de la théorie de l’esprit. La mise en relief des structurations du discours narratif et de la

théorie de l’esprit d’une part et d’autre part, celle des fondements leur étant inhérents permet

d’identifier correctement la source des nœuds. Finalement, un propos sur l’intervention en lecture

interactive prendra forme et la pertinence de son utilisation avec l’enfant autiste sera étayée.

Pour expliquer l’approche systémique, Prince (2011) s’appuie, entre autres, sur les travaux de

Piaget pour discuter du fait que l’enfant construit, à partir de son système sensorimoteur et en

interaction avec le monde, sa représentation du monde et de soi. Au stade sensorimoteur, dans les

relations circulaires primaires, secondaires ou tertiaires, l’enfant exerce ses schèmes et construit

ses structures cognitives. Piaget parle de circularité où l’enfant, en décalage horizontal,

perfectionne jusqu’à saturation les schèmes développés dans l’exercice de ses conduites pour

13 Bien que le mot engrenage puisse être associé à une vision mécaniste, il est ici utilisé dans le but d’illustrer le fait que le développement d’un concept propulse le développement de l’autre, et ce, en poussant plus loin l’enfant.

Page 30: La lecture interactive : un contexte propice au ...

11

ultérieurement les complexifier, les organiser dans une autre structure14 et pour réorganiser ces

schèmes en nouvelle structure plus puissante par le décalage vertical (Piaget, 1936). Ainsi, le

développement de l’enfant n’est pas préétabli puisque chaque construction devient inhérente à

une précédente, ce que Piaget et Inhelder (1967) appellent l’intégration progressive et successive

des structures. Cependant, les décalages horizontaux et verticaux, comme les stades, n’expliquent

pas une réalité en soi. Ils offrent une construction théorique qui permet une interprétation du

développement de l’enfant. Chaque stade de développement est conceptualisé en une structure

d’ensemble intégrative, c’est-à-dire que le développement de chaque concept est résultant du

développement des précédents, qui explique les principales réactions et constructions faites par

un enfant (Piaget et Inhelder, 1967). En outre, Piaget met bien en garde ses lecteurs à ne pas

interpréter les stades de développement comme une réalité prédéterminée (Piaget, 1968). Ce sont

les interactions du sujet enfant actif avec le monde qui permet à l’enfant de s’organiser et de se

développer.

Dans cette perspective, les opérations mentales qui marquent le développement de l’enfant ont

ainsi une genèse. Plusieurs interprètent les stades piagétiens de façon linéaire, puisqu’il les décrit

en fonction de stades successifs. Au contraire, quoiqu’en effet présenté en stades et sous-stades,

Piaget concevait le développement de la pensée chez l’enfant davantage comme un système

dynamique dans lequel la modification des schèmes se fait dans l’interaction entre le sujet et

l’environnement, environnement dont l’objet d’apprentissage et les personnes sociales font partie.

Ainsi, le développement de l’enfant peut être qualifié d’ontogénique, puisqu’il est relatif à chaque

individu, et de social, puisqu’on apprend en étant en contact avec le milieu (Piaget et Inhelder,

1967). Cet aspect social de l’apprentissage a d’ailleurs été souligné par von Glasersfeld (1994)

14 Piaget (1968) définit la structure comme « un système de transformations, qui comporte des lois en tant que système et qui se conserve ou s’enrichit par le jeu même de ses transformations, sans que celles-ci aboutissent en dehors de ses frontières ou fasse appel à des éléments extérieurs » (p.6). Il lui confère trois importantes caractéristiques dont, premièrement, la totalité, dans le sens où les lois confèrent des propriétés d’ensemble aux éléments de la structure en les subordonnant. Deuxièmement, la structure a une capacité de transformation demeurant ainsi ouverte par le bas et par le haut. Troisièmement, l’autoréglage, dans le sens où les structures se règlent elles-mêmes, ce qui entraine la conservation avec stabilité des frontières et, de ce fait, une certaine fermeture.

Page 31: La lecture interactive : un contexte propice au ...

12

qui met de l’avant l’importance de l’interaction avec le milieu, de même que celle de la médiation

de l’adulte, pour propulser le développement de l’enfant.

Ainsi, le système de construction des apprentissages est également considéré ouvert parce qu’il

est toujours en évolution puisque l’humain ne cesse d’apprendre et de se développer. Toute

nouvelle structure provient d’une réorganisation de la précédente et que cette nouvelle structure

demeure potentiellement le prélude à une complexification ultérieure. Le système est ouvert par

le bas et par le haut de sorte que l’aspect intégratif doit toujours suivre l’aspect successif. Il s’agit

donc d’un système auto-organisé en une structure interne constamment en réorganisation et en

recherche d’équilibre (Piaget et Garcia, 1987). C’est un système complexe puisque les

apprentissages sont interdépendants et en relation directe avec l’environnement modifié par le

sujet et les objets d’apprentissage. Bien qu’il y ait une hiérarchie dans le développement et la

complexification des structures, elles ne se représentent pas de façon statique, mais bien comme

une spirale s’élargissant et grandissant sans fin (Piaget, 1970/2008). Ainsi, le développement des

apprentissages, dans une perspective développementale, peut être représenté par un système

dynamique spiralaire ouvert.

2.1. Le développement de l’enfant tout-venant

Plusieurs nœuds développementaux observables chez l’enfant autiste d’âge scolaire, tels que

décrits dans le DSM V (APA, 2013), trouvent leur origine dans les premiers développements du

stade sensorimoteur. Si l’on postule que le développement de l’enfant autiste se fait en suivant les

mêmes étapes développementales que l’enfant tout-venant15 et que le développement de ce

dernier se fait à la manière d’un système dynamique spiralaire ouvert, c’est-à-dire que les

nouveaux apprentissages sont construits sur ceux construits précédemment, il est intéressant, dans

15 Le terme « enfant tout-venant » utilisé dans ce document fait référence au sujet épistémique de Piaget. Le sujet épistémique représente la structure intellectuelle commune entre tous les sujets du même niveau de développement pour qui l’évolution se fait par le développement progressif des structures opératoires (Legendre-Bergeron et Laveault, 1980).

Page 32: La lecture interactive : un contexte propice au ...

13

un premier temps, de remonter jusqu’à la naissance de l’enfant tout-venant pour tracer son

évolution développementale jusqu’au développement opératoire.

Inspirée des travaux de Jean Piaget, la figure 1 présente une représentation organisée comme un

système ouvert dans lequel sont présents les concepts clés de la thèse détaillés subséquemment

dans cette section : l’attention conjointe, l’intersubjectivité, l’intentionnalité, la théorie de l’esprit

et le discours narratif. À la manière d’un « Big Bang » développemental, les capacités de l’enfant

qui sont associées à ces concepts partent indifférenciés, d’un noyau central à la naissance de

l’enfant, et remontent de façon évasée pour symboliser l’expansion que prendra chacun de ces

concepts au cours de la vie de l’enfant en passant par les différents stades de développement. Les

stades sensorimoteur, préopératoire et opératoire seront présentés dans l’argumentaire théorique.

Au centre du schéma, une spirale développementale représente les apprentissages qui se font tant

par décalage horizontal, en se perfectionnant dans le même stade de développement, que par

décalage vertical, en construisant de nouveaux apprentissages qualitativement plus complexes sur

ceux construits auparavant. La spirale englobe tous les concepts puisque le développement de

chacun est directement relié à celui des autres et la flèche, au bout de la spirale, signifie que la

construction et la complexification des apprentissages sont sans fin.

Page 33: La lecture interactive : un contexte propice au ...

14

Figure 1 : Le développement de l'enfant tout-venant

2.1.1. Présentation des concepts

Dans un premier temps, les concepts centraux du cadre théorique seront définis, soit l’attention

conjointe, l’intersubjectivité, l’intentionnalité, la théorie de l’esprit et le discours narratif. Dans

un deuxième temps, le développement de l’enfant tout-venant au regard de ces concepts, partant

du stade sensorimoteur au stade opératoire, sera abordé.

Discoursnarratif

Attentionconjointe

Intersubjectivité

Théoriedel’esprit

Inten

tionnalité

Opératoire

Préopératoire

Sensorimoteur

Concepts

1

5

6

4

2

3

Symbolique

Intuitif

Page 34: La lecture interactive : un contexte propice au ...

15

Le concept d’attention conjointe est associé à l’habileté de partager son attention avec des

partenaires sociaux en utilisant entre autres moyens l’attention visuelle, c’est-à-dire la capacité à

centrer son attention sur le même objet qu’une autre personne, et la compréhension sociale de

l’autre (Shin, 2012). Cette habileté crée un triangle d’attention entre l’attention de l’enfant, celle

d’autrui et l’objet vers lequel est dirigée l’attention des personnes en interaction (Rogers, 1998).

Ceci permet aux partenaires de communiquer en dyade et de partager ce qu’ils ont en tête (Shin,

2012). Cela nécessite donc, tant pour l’adulte que pour l’enfant, de prendre en considération

l’autre et son état attentionnel (Veneziano, 2015b). Il s’agit, pour Tomasello (2015), d’une des

premières activités collaboratives qui est rendue possible par le fait que les deux partenaires ont

un but conjoint. La situation d’attention conjointe sera, au départ, descendante (« top-down joint

attention ») où le point d’attention commun déterminera le but des partenaires, puis on

remarquera chez l’enfant des situations d’attention conjointe ascendante (« bottom-up joint

attention ») où les partenaires n’auront pas nécessairement au préalable de but conjoint, mais où

leur attention sera attirée par un évènement16 (Tomasello, 2015).

Le concept d’intersubjectivité est, selon Aitken et Trevarthen (2003), associé à un

comportement inné qui prédispose l’enfant a une confiance réceptive aux états internes subjectifs

partagés par une autre personne. Cela lui permet de créer un lien d’engagement direct de

personne à personne (Aitken et Trevarthen, 2003; Rogers, 1998; Trevarthen, 1989).

L’intersubjectivité passera par trois différentes phases. L’intersubjectivité primaire se manifeste

par l’attention conjointe de la mère17 et l’enfant. L’enfant est en relation d’étroite proximité avec

sa mère et, avec elle, il établit un contact avec le milieu tout en coconstruisant un sens dans la

situation partagée. L’attention de l’enfant se distanciera graduellement de la mère et, en

intersubjectivité secondaire, il inclura dans leur cercle quelque chose d’extérieur à la dyade

comme, par exemple, un objet.

16 Il est à noter que l’orthographe moderne recommandée par le Conseil supérieur de la langue française est utilisée dans la thèse (www.orthographe-recommandee.info). 17 Il est important de noter que dans ce document, quoique l’intersubjectivité puisse se développer au contact de toute personne aimante disponible émotionnellement pour l’enfant, et ce, peu importe son genre, le terme « mère » sera utilisé puisque, encore aujourd’hui, ce sont beaucoup les mères qui s’occupent du petit bébé.

Page 35: La lecture interactive : un contexte propice au ...

16

L’intersubjectivité tertiaire se développe conjointement avec le langage. Elle permet de mettre en

mots le sens construit autour d’une « réalité », même absente, en s’exprimant et en développant

des relations avec les autres (Favez et Frascarolo, 2005).

Le concept d’intentionnalité se développe très tôt au stade sensorimoteur, mais apparait

formellement au quatrième sous-stade sensorimoteur alors que l’enfant, grâce à la permanence de

l’objet18 et à l’utilisation des indices19 permettant la prédiction, commence à différencier le

moyen et le but. En effet, cela est nécessaire au développement de la causalité objective qui

permet l’application de moyens connus aux situations nouvelles et, de ce fait, de faire des

prédictions et de porter des gestes pour répondre à ses intentions. En intersubjectivité, l’enfant

manifestera l’intentionnalité dans la communication en utilisant le pointage et les gestes

extralinguistiques (Shin, 2012) pour la partager (Tomasello, 2008) et pour collaborer (Tomasello,

2015). L’intentionnalité marquera le passage de la communication prélinguistique

préintentionnelle, comme le pointage qui est protoimpératif20 et utilisé pour faire des demandes, à

la communication prélinguistique intentionnelle, soit la communication protodéclarative21,

comme le pointage lorsqu’il est utilisé intentionnellement pour diriger l’attention de l’autre

(Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001; Shin, 2012; Tomasello, Carpenter et Liszkowski, 2007;

Yoder, Warren et McCathren, 1998) et, ainsi, créer une situation d’attention conjointe.

18 La permanence de l’objet est, selon les propos de Legendre-Bergeron et Laveault (1980), « la capacité de conférer aux choses une existence propre et autonome, c’est-à-dire indépendante de l’activité exercée sur elle », et ce, même en leur absence dans l’immédiat. 19 L’indice est une partie d’un objet qui agit comme signifiant et qui permet, sans avoir recours à la représentation, d’anticiper l’objet dans son ensemble (Piaget, 1976). 20 La communication protoimpérative est utilisée par l’enfant pour faire des demandes. C’est le premier type de communication que l’enfant utilise et, de surcroit, le plus pragmatique. L’enfant a besoin de l’adulte pour arriver à ses fins (Yoder, Warren et McCathren, 1998). 21 La communication protodéclarative amène l’enfant et la mère à joindre leur attention sur un même objet, une même personne ou à faire un partage d’expérience. Ce type de « phrase » permet de prédire le langage fonctionnel de l’enfant (Yoder, Warren et McCathren, 1998).

Page 36: La lecture interactive : un contexte propice au ...

17

Le concept de théorie de l’esprit22 est la capacité à comprendre et à se représenter les états

mentaux ainsi que la capacité de les attribuer à autrui, et ce indépendamment de ses propres états

mentaux, et savoir en tirer des conséquences (Baron-Cohen, 1989; Bursztejn et Gras-Vincendon,

2001; Mason, Williams, Kana, Minshew et Just, 2008; Tager-Flusberg, 2000; Veneziano, 2002,

2015a, 2015b). Pour ce faire, il faut savoir faire la distinction entre la « réalité » et les

représentations mentales de cette même « réalité » et pouvoir les comparer (Veneziano, 2002).

C’est, en quelque sorte, parvenir à saisir qu’il y a des « réalités » plurielles interprétées autour

d’une même situation par différentes personnes. Le concept de théorie de l’esprit est également

associé avec la capacité d’inférer ce que l’autre croit en fonction de ce qui lui arrive et de prédire

ce qu’il va faire (Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985; Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001;

Veneziano, 2015b). Cette capacité cognitive d’interpréter des états mentaux apparait comme un

aspect fondamental de la communication humaine puisqu’une grande part de la communication

est faite de décodages qui nécessitent de faire des inférences23 et des hypothèses sur la pensée de

l’autre (Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985; Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001; Veneziano,

2015a, 2015b).

Le concept de discours narratif recouvre un ensemble d’habiletés nécessaires pour rapporter des

évènements. Il sert à raconter quelque chose qui est arrivé, un fait ou une anecdote ou encore à

raconter une histoire inventée. Que l’histoire soit réelle ou fictive, il s’agit de récits et les raconter

exige de l’enfant qu’il soit capable, entre autres, de dégager les composantes récurrentes du récit

qu’il a construites au fil de ses expériences (Hickmann, 2004) et de les structurer. En général, les

histoires ont une structure similaire et mettent en scène six composantes distinctes et récurrentes

qui ont été rapportées par Stein (1988) et qui constituent la toile de fond de la macrostructure

(Kaderavek et Sulzby, 2000; Le Bouedec et Murzeau, 1987; Makdissi et Boisclair, 2008). Les

22 L’utilisation du terme théorie, dans le concept de théorie de l’esprit, est justifiée par le fait que les états mentaux ne sont pas directement observables et que leurs connaissances découlent d’observations et de déductions permettant de faire des hypothèses (Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001). 23 Les inférences permettent d’aller au-delà de ce qui est dit ou écrit, voire même ce qui est « donné » dans l’immédiat partagé, en tissant des liens, notamment causaux (opérations logiques), entre les éléments connus et nommés explicitement dans le but d’en dégager et de nommer les éléments implicites.

Page 37: La lecture interactive : un contexte propice au ...

18

récits débutent souvent par une scène d’introduction qui présente l’environnement spatiotemporel

dans lequel évoluent l’histoire et le protagoniste. Dans un récit canonique, cette étape de mise en

scène précède généralement l’évènement perturbateur, appelé également problème, qui viendra

briser l’équilibre émotionnel initial du protagoniste en générant une émotion négative, telle que la

tristesse, la peur ou l’insatisfaction (Makdissi et Boisclair, 2008). Afin de rétablir cet équilibre de

départ, le protagoniste se fixe un but et fera des tentatives d’action afin de l’atteindre. Ces actions

planifiées auront des conséquences qui apporteront finalement une solution au problème présenté

lors de l’évènement perturbateur. Finalement, une fois le problème résolu, le protagoniste aura

une réaction émotionnelle positive qui ramènera l’équilibre de départ (Makdissi et Boisclair,

2008). Pour se représenter la macrostructure du récit, l’enfant doit construire progressivement un

système d’opérations sémantiques et causales entre les différents éléments structuraux, implicites

ou explicites, lui permettant ainsi de construire sa propre compréhension cohérente de l’histoire

(Ilgaz et Aksu-Koç, 2005; Makdissi, Boisclair, Blais-Bergeron et Sanchez, 2008). La figure 2

présente le schéma de la structuration causale d’un simple récit canonique (Makdissi et Boisclair,

2008).

Page 38: La lecture interactive : un contexte propice au ...

19

Figure 2 : Système d'opérations menant à la construction des composantes récurrentes du récit minimal (Makdissi et Boisclair, 2008, p.55)

Selon Makdissi et Boisclair (2008), la compréhension des récits est directement liée à la

compétence qu’ont les enfants à établir des liens causaux entre les composantes récurrentes. Ces

liens causaux sont créés, entre autres, par l’identification des émotions des personnages, ce qui,

selon ces auteures, constitue la « colle » des relations causales. Comme démontré dans la

figure 1, l’identification des émotions est un construit primitif. Ainsi, l’enfant est précocement à

la recherche de la cause de l’émotion. Les liens causaux peuvent être directs et adjacents, c’est-à-

dire que les deux éléments liés dans un rapport cause conséquence se suivent dans la suite

énonciative. Il y a les relations causales intracomposantes qui sont organisées à l’intérieur

3eniveauderelationscausales:Combinaisonderelations

Thème:Laconstructionduthèmeprovientdel’abstractiond’unerégularitécommuneàtouteslescomposantesdurécitetcombinéepourexprimerlethème,l’essencedutexte.Encesens,lesrelationscausalesinhérentesauthèmetranscendentl’ensembledescomposantesetdes

premièrescoordinationsderelations–relationstranscomposantes

2eniveauderelationscausales:But:

Dirigeleplandel’actionintentionnel.L’élaborationdubutprovientdelacoordinationdescomposantesdepremierniveauetengendre

desrelationscausalesintercomposantesd’unepartentreleproblèmeetlesactionset,d’autrepartentreleproblèmeetlarecherchedesolutionoulesactionsetlarecherchedesolution.

StructureépisodiqueTentativesd’actions

ConstruitprimitifÉmotionnégative

Tristesse,peur,insatisfaction,etc.L’attentiondel’enfantest

précocementcentréesurl’émotion

1erniveauderelationscausales:Problème:

Leproblème,commecause,estenrelationcausaleavecl’émotion,commeconséquence.L’enfant

amorcedesexplicationscausalesàl’intérieurmêmedelasituation

problématique–relationintracomposante

1erniveauderelationscausales:Solution:

Lasolution,commecause,estenrelationcausaleavecl’émotion,commeconséquence.L’enfant

amorcedesexplicationscausalesàl’intérieurmêmedelasolution–relationintracomposante

ConstruitprimitifÉmotionpositive

Content,rassuré,satisfaction,etc.L’attentiondel’enfantest

précocementcentréesurl’émotion

Opposition/tension

Coordination

Coordination

Coordination

Coordination

Com

binaison

Com

binaison

Com

binaison

Com

binaison

Page 39: La lecture interactive : un contexte propice au ...

20

d’une même composante récurrente, par exemple les liens causaux entre un événement qui

génère un problème et une émotion négative contribuant à la construction du problème de

l’histoire. Il y a également les relations causales intercomposantes qui tracent un lien entre

deux composantes récurrentes du récit, par exemple le lien causal entre la problématique et les

tentatives d’actions. Les liens causaux entre des éléments du récit peuvent également être directs

et non adjacents de sorte qu’il est nécessaire d’effectuer une relation transitive pour lier les

composantes ensemble24. Cette capacité à établir des relations causales transitives est importante

puisqu’elle permettra l’élaboration de relations causales transcomposantes qui transcendent

l’ensemble des composantes récurrentes du récit et qui permettent, notamment, de faire ressortir

le thème de l’histoire ou la morale.

2.1.2. Le développement au stade sensorimoteur

En fonction de la théorie du développement cognitif de Piaget, le stade sensorimoteur regroupe

les développements faits par l’enfant de la naissance à environ vingt-quatre mois. Cette période,

qui est caractérisée par l’évolution de l’intelligence pratique, se divise en six sous-stades. Pour

chaque sous-stade, le développement des concepts présents dans la figure 1 sera explicité.

2.1.2.1. Le premier sous-stade de développement du sensorimoteur (de 0 à 1 mois)

Au premier sous-stade de développement sensorimoteur, on remarque que l’enfant nait en

intersubjectivité avec sa mère. L’intersubjectivité primaire est innée et permet la communication

entre l’enfant et la mère (Aitken et Trevarthen, 2003; Claudon, Dall’Asta, Lighezzolo-Alnot et

24 Observons l’exemple suivant : « Léna est prise dans un trou (problème - A). Elle veut sortir (sous-but - B). Elle s’accroche à une racine et grimpe (tentative d’action - C). » Le problème est adjacent à l’énoncé présentant le but (A–»B), de sorte qu’une simple relation causale directe est à faire pour établir le rapport causal entre la cause et la conséquence. L’énoncé présentant le but est adjacent à celui présentant la tentative d’action (B–»C). Cette relation causale est également directe. Cependant, pour établir le lien causal entre le problème et la tentative d’action, il faut établir une relation causale transitive qui permet d’énoncer que, si Léna n’était pas tombée dans le trou, elle n’essaierait pas de grimper en s’accrochant à une racine (A–»C).

Page 40: La lecture interactive : un contexte propice au ...

21

Scarpa, 2008; Favez et Frascarolo, 2005). Stern, rapporté par Claudon et ses collaborateurs

(2008), parle, en lien avec les liens intersubjectifs précoces entre l’enfant et la mère, d’accordage

affectif, dans le sens où l’enfant partage ses états affectifs avec l’adulte, entre autres par des

gestes reflétant son état émotionnel, et perçoit ceux de l’autre. D’ailleurs, Mounoud (2000)

rapporte que le nouveau-né est capable, par la théorie implicite de l’esprit25, d’attribuer

instinctivement des états internes26 à l’autre avec qui il se trouve en relation d’intersubjectivité et

cela notamment en lien avec le développement des prémisses de l’attention conjointe. Il s’agit

d’une compréhension implicite et intuitive des états internes de l’autre observable, entre autres,

tel que l’a souligné Meltzoff (1995, 1999), dans l’imitation précoce où l’enfant exerce les

conduites imitatives essentielles au développement de l’intersubjectivité, comme un jeu où il

découvre l’adulte et établit un lien direct avec ce dernier. L’attribution d’états internes à l’autre se

remarque par le fait que les jeunes enfants font très tôt la distinction entre l’animé et l’inanimé

(Meltzoff, 1995, 1999) et, ainsi, accordent une vie mentale à l’humain. Ceci s’observe entre

autres par le mécanisme de détection du regard par lequel l’enfant suit le regard de l’adulte et

découvre ainsi le monde (Baron-Cohen, 1989; Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001).

Tel que rapporté par Piaget (1936, 1976), au premier sous-stade sensorimoteur, l’enfant ne se

dissocie pas de l’autre ni de l’environnement. D’ailleurs, l’assimilation et l’accommodation ne

font qu’un. La mère constitue donc le premier contact que l’enfant a avec la réalité puisque

l’exploration manipulatrice des objets n’est pas encore contrôlée par sa volonté. Plus qu’une

extension de soi, la mère est, au début de la vie, considérée par le bébé comme étant partie

25 Pour certains auteurs, comme Tager-Flusberg (2000), l’émergence de la compréhension de l’autre et l’attribution d’états internes est remarquée par le développement de la communication intentionnelle au quatrième sous-stade du développement sensorimoteur alors que pour Meltzoff (1995, 1999), l’imitation précoce dans l’action qui est faite par le bébé dans ses premiers jours de vie représente une prémisse de l’intentionnalité et de la théorie de l’esprit. 26 L’expression « états internes » fait référence entre autres aux travaux de Veneziano. On distingue quatre différents types, présentés ici selon leur séquence développementale d’apparition: les sensations physiques et les perceptions, les états internes de type émotionnel, les états internes de type intentionnel qui portent sur la présence ou l’absence d’intention ainsi que les états internes de type épistémiques, c’est-à-dire la connaissance ou non-connaissance des croyances des personnages (Veneziano et Hudelot, 2006; Veneziano, 2010, 2016). Ainsi, l’enfant peut attribuer à un personnage une croyance, une connaissance ou une non-connaissance, par exemple lorsque l’enfant mentionne que le personnage 1 ne pensait pas mal faire. L’enfant peut aussi attribuer à un personnage une croyance, une connaissance ou une non-connaissance liée à un autre personnage, par exemple lorsqu’il mentionne que le personnage 1 ne savait pas que le personnage 2 n’aimait pas ça.

Page 41: La lecture interactive : un contexte propice au ...

22

prenante de sa personne. Dans cette relation dyadique, l’enfant interprète la réalité en partageant

les actes de sa mère, ce qui est nécessaire au développement de l’intersubjectivité et qui se

développe dans ladite relation d’intersubjectivité (Favez et Frascarolo, 2005; Meltzoff, 1995,

1999; Rogers, 1998).

2.1.2.2. Le deuxième sous-stade de développement du sensorimoteur (de 1 mois à 4 mois ½)

Le deuxième sous-stade de développement du sensorimoteur est celui du développement des

réactions circulaires primaires, en ce qui a trait à la phonation, à la vision et à la préhension

(Piaget, 1976). Dans les relations circulaires primaires, l’enfant fait des actions sur lui-même, il

découvre son corps en prolongeant et en raffinant l’exercice de ses réflexes. En effet, à ce sous-

stade, l’enfant commencera à se dissocier de son environnement, ce qui permettra le

développement de l’assimilation reproductrice et de l’accommodation aux données extérieures

aux schèmes. Pour ce faire, il est également important de noter que l’assimilation et

l’accommodation, jusque-là indissociables, commencent à se différencier. L’enfant commence à

différencier l’objet de son activité, à faire des apprentissages relatifs aux données du milieu

extérieur et commence à incorporer des objets lors de l’exercice de ses schèmes (Piaget, 1976),

par exemple lorsqu’il met de façon non intentionnelle son hochet dans sa bouche. L’exercice des

schèmes ne provient pas encore d’une intention, mais elle est davantage issue des réflexes

exercés au premier sous-stade (Piaget, 1936).

Vers le troisième mois de vie, la phonation et l’ouïe se coordonnent. Il y a une perpétuelle

accommodation des organes vocaux à la réalité phonique perçue par l’ouïe. Les apprentissages se

font en intersubjectivité primaire avec la mère, et cette proximité lui permettra d’interpréter la

réalité (Favez et Frascarolo, 2005). Meltzoff (1999) affirme que dès 3 ou 4 semaines, le bébé, par

la coordination entre l’audition et la vision, peut reproduire, à la suite d’un entrainement, des sons

Page 42: La lecture interactive : un contexte propice au ...

23

produits par l’adulte, ce qui crée les premières protoconversations27 (Piaget 1936). Rapidement,

l’enfant comprendra que les pleurs amèneront attention, nourriture ou changement de couche. Ce

sont les fondements précurseurs de l’intentionnalité qui marquent la communication

prélinguistique. Le bébé n’a pas développé, à cet âge, la permanence de l’objet. Par contre, il

existe une permanence affective ou subjective, voire intersubjective, qui fait en sorte que le bébé

pleure lorsque sa mère disparait de son champ visuel (Legendre-Bergeron et Laveault, 1980). Les

interactions avec la mère, qui nourrissent la protoconversation et qui sont une des premières

manifestations de l’attention conjointe, permettent à l’enfant d’interpréter son milieu visuel et

d’en faire des tableaux dans lesquels il développera la récognition.

Toujours en intersubjectivité primaire avec sa mère et dans l’exercice des réactions circulaires

primaires, il y a objectivation de la vision qui passe de fonctionnelle à généralisatrice et

récognitive (Piaget, 1936). L’enfant s’intéresse à son environnement et suit des yeux le doigt de

sa mère lors du pointage (Veneziano et Sinclair, 2000), créant ainsi des situations d’attention

conjointe. Au même moment, le détecteur de direction du regard du bébé est stimulé et, dès l’âge

de trois mois, il commence à analyser la direction du regard (Bursztejn et Gras-Vincendon,

2001), c’est-à-dire en détectant les yeux de l’interlocuteur et en vérifiant s’ils sont dirigés sur soi

(Baron-Cohen, 1989). La détection du regard est un fondement précurseur à la théorie de l’esprit,

dans le sens où l’enfant attribue une action à quelqu’un.

2.1.2.3. Le troisième sous-stade de développement du sensorimoteur (de 4 mois ½ à 8-9 mois)

Au troisième sous-stade de développement du sensorimoteur, en lien avec le développement des

relations circulaires secondaires, qui regroupe les premières adaptations motrices intentionnelles,

c’est-à-dire les actions sur les objets, le développement de l’intersubjectivité secondaire débute.

L’enfant, en intersubjectivité avec sa mère, ajoute l’objet et les évènements du monde extérieur à

27 Dans la protoconversation, l’enfant, avec l’adulte, en produisant des sons dans le respect du tour de parole imite la prosodie de l’adulte lors de conversations.

Page 43: La lecture interactive : un contexte propice au ...

24

leur dyade, ce qui signifie qu’il doit partager son attention (Aitken et Trevarthen, 2003;

Matthews, 2014; Tamis-LeMonda, Cristofaro, Rodriguez & Bornstein, 2006). La relation

dyadique devient maintenant triadique28. La mère utilise plus fréquemment le pointage

(Veneziano et Sinclair, 2000), ce qui favorise la construction du monde que l’enfant se fait grâce

à l’attention conjointe et partagée (Tomasello et Farrar, 1986; Tomasello, Carpenter et

Liszkowski, 2007). La mère enseigne ce à quoi sert l’objet et accompagne l’enfant dans son

exploration motrice (Aitken et Trevarthen, 2003). La relation entre l’objet et son image, en tant

que début de l’évocation, commence à se bâtir par et pour l’action. Le signifié est donc lié à un

affect, qu’il soit positif ou négatif, et à la perception actuelle que l’enfant a de lui puisque ce

dernier est dans les débuts de la construction de la permanence de l’objet, permanence qui est

accordée aux tableaux perceptifs et qui demeure dans le prolongement de l’action. Cette relation

permet de faire des liens et de construire un sens (Piaget, 1936, 1976).

Pendant le troisième sous-stade du sensorimoteur, le développement des relations circulaires

secondaires est marqué, entre autres, par la préhension et la coordination visuomotrice. L’enfant

se met à répéter des actions qui produisent un effet sur son environnement physique (Legendre-

Bergeron et Laveault, 1980). Il fait des relations presque intentionnelles entre les choses et ses

activités ce qui signifie qu’il est capable de faire la différenciation entre le moyen et le but. La

relation dyadique entre la mère et l’enfant implique d’interpréter, par la perception sensorielle, les

stimuli en termes d’états mentaux primitifs, c’est-à-dire les buts et les désirs, et tend à interpréter

tout ce qui a un mouvement ou un son propre comme un agent avec des objectifs et des désirs

(Meltzoff, 1999). Ce développement est précurseur à la théorie de l’esprit et est aussi considéré

comme un début d’intentionnalité (Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001).

28 L’utilisation du terme « triadique » réfère ici au fait que l’enfant ouvre la dyade créée avec le parent vers les éléments externes, par exemple des objets (Matthews, 2014). Ces éléments externes deviennent ce qui motive la « conversation ». Ainsi, l’enfant, par le pointage, attire l’attention de son interlocuteur vers des objets à l’extérieur de la dyade, d’où l’utilisation du terme triadique. Cette habileté est précurseur au développement de la communication langagière conventionnelle (Tomasello, 2008).

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25

En ce qui a trait à l’accordage affectif entre la mère et l’enfant, les actes et les émotions sont

partagés (Favez et Frascarolo, 2005). Ce partage d’émotion est également précurseur du

développement de la théorie de l’esprit et du langage (Bloom, 1998). D’ailleurs, à la fin de ce

sous-stade, l’enfant commence à utiliser le pointage protoimpératif. Ceci nécessite un minimum

d’attention conjointe et une forme pragmatique de communication, permettant à l’enfant de faire

des demandes et d’utiliser l’adulte comme un outil pour obtenir ce qu’il veut (Shin, 2012;

Tomasello, Carpenter et Liszkowski, 2007).

2.1.2.4. Le quatrième sous-stade de développement du sensorimoteur (de 8-9 mois à 11-12 mois)

Pour Tomasello (2008), le quatrième sous-stade du développement sensorimoteur est le stade de

la révolution cognitive puisqu’il est marqué par le début de l’intentionnalité, de la permanence de

l’objet et de la compréhension de l’autre. Ainsi, l’enfant commencera à prendre en compte l’autre

(Nadel, 2005). À ce sous-stade, en contexte d’intersubjectivité secondaire avec sa mère, l’enfant

expérimente l’attention conjointe triadique et commence à utiliser le pointage, qui est le plus

conventionné des gestes symboliques, comme mode de communication pour attirer

intentionnellement l’attention de sa mère vers ce qui le captive (Bursztejn et Gras-Vincendon,

2001; Charman, 2003; Shin, 2012; Tomasello et Farrar, 1986; Tomasello, Carpenter et

Liszkowski, 2007; Toth, et coll., 2006; Veneziano et Sinclair, 2000; Yoder, McCathren, Warren

et Watson, 2001). Ce sous-stade est le passage entre la communication prélinguistique

préintentionnelle et la communication prélinguistique intentionnelle. Ainsi, l’enfant développe les

fonctions protodéclaratives du pointage et comprend qu’il peut, par un geste, diriger l’attention de

l’autre (Tomasello, Carpenter et Liszkowski, 2007). L’enfant qui aura antérieurement développé

le pointage protoimpératif permertant d’utiliser le pointage dans sa forme instrumentale, soit pour

obtenir un objet dont il a lui-même besoin, développera maintenant le pointage protodéclaratif.

Cette forme de pointage permet à l’enfant de partager avec l’autre, de l’informer de ses désirs et

de ses plaisir, ce qui exige une inférence à construire à partir de l’objet ou de la situation pointée.

Le pointage protodéclaratif est directement lié à l’attention conjointe, il peut renvoyer à

différentes perspectives, il peut référer à une entité absente, il sert à aider, ainsi qu’à partager et

est en lien avec l’intentionnalité, puisque pour comprendre le message de l’autre, il faut

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26

comprendre ses intentions (Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001; Shin, 2012; Tomasello,

Carpenter et Liszkowski, 2007; Yoder, Warren et McCathren, 1998) pour partager un but

(Tomasello, 2015). C’est en ce sens que cela représente une révolution cognitive dans

l’ontogénèse et une rupture spectaculaire dans la phylogénèse entre les primates et l’homme.

Cette transition développementale demande à l’enfant d’apprendre à coordonner son attention sur

les actions faites sur les objets de même que sur son partenaire social, et c’est à partir de ces

expériences que se complexifie l’attention conjointe (Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001; Shin,

2012). Pour ce faire, l’enfant utilise le mécanisme de détection du regard, en développement

depuis le deuxième sous-stade, qui permet de contrôler l’attention d’autrui par le regard et

d’engager des relations triadiques (Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001). En lien avec le

développement des fondements de la théorie de l’esprit, l’enfant développe, à partir de son

expérience personnelle, l’aptitude à faire l’inférence que si les yeux d’un tiers sont rivés sur un

objet, alors c’est que le tiers voit l’objet (Baron-Cohen, 1989), mais encore que ce dernier mérite

son attention tout en tenant pour acquis que son interlocuteur désire partager une information sur

cet objet pointé. De plus, toujours en ce qui a trait à la théorie implicite de l’esprit, on remarque

que l’enfant, avant 12 mois, est capable d’interpréter l’expression faciale de l’adulte dans le but

de savoir si elle est positive ou négative et que cela peut faire en sorte qu’un enfant fasse ou non

une action (Veneziano, 2015b).

L’enfant développe également, à ce sous-stade, le fondement de la permanence de l’objet (Piaget,

1936, 1976), ce qui fait en sorte qu’il peut référer, par le pointage, à une entité absente

(Tomasello, Carpenter et Liszkowski, 2007). Pour que l’intention de communication soit

comprise dans cette situation, cela doit se passer dans un contexte intersubjectif. Le

développement de la permanence de l’objet, dont les prémisses se sont installées précédemment

et qui s’objectivera dans les sous-stades subséquents, permettra graduellement à l’enfant d’être

capable de se situer dans un univers totalement indépendant de lui.

Page 46: La lecture interactive : un contexte propice au ...

27

2.1.2.5. Le cinquième sous-stade de développement du sensorimoteur (de 11-12 mois à 18 mois)

Le cinquième sous-stade du développement sensorimoteur est celui de la consolidation et de la

complexification des développements faits auparavant. Pendant ce sous-stade, la mère et l’enfant,

en contexte d’intersubjectivité secondaire, partagent leur ressenti et continuent de coconstruire la

représentation que l’enfant se fait du monde et des évènements partagés en contexte

d’intersubjectivité (Aitken et Trevarthen, 2003).

Dans ce sous-stade, l’enfant développe les relations circulaires tertiaires, c’est-à-dire qu’il

construit des schèmes nouveaux par l’expérimentation active (Piaget, 1936), et, au même

moment, on remarque une augmentation du vocabulaire chez l’enfant (Veneziano, 2002, 2005).

Les avancées du quatrième et du cinquième sous-stade du sensorimoteur rappellent celles que

l’enfant fait dans le continuum développemental du discours narratif. On peut concevoir les

activités ludiques comme une émergence de narration, car l’enfant débute par reproduire, dans le

prolongement de ses propres actions symboliques, des actions isolées simples dans le cadre de

saynètes de jeu, par exemple lorsque l’enfant fait semblant de faire manger une poupée. Par

décalage vertical, il devra ultérieurement transposer cela en pensée et en langage autour des récits

dans les premiers niveaux de développement (Ilgaz et Aksu-Koç, 2005; Le Bouedec et Murzeau,

1987; Makdissi et Boisclair, 2006a; Sirois, Boisclair, Darveau et Hébert, 2010; Stein, 1988). De

plus, le fait d’accorder à un personnage un désir ou un besoin est un élément important dans le

développement de la théorie de l’esprit puisqu’il permet de prendre en compte les états internes

des personnages fictifs, ce qui n’est pas sans lien avec l’attribution d’états internes aux personnes

réelles.

2.1.2.6. Le sixième sous-stade de développement du sensorimoteur (18 mois à 24 mois)

Le développement de la fonction symbolique qui permettra l’évocation par l’utilisation de mots,

d’objets ou d’événements même en leur absence dans l’immédiat (Piaget, 1954). Cet acte de

représentation est un précurseur du développement du langage et de l’intersubjectivité tertiaire

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28

qui fait intervenir le langage dans la compréhension et l’interprétation du monde. L’enfant, vers

18 mois, alors qu’il est dans la période d’intersubjectivité tertiaire (Aitken et Trevarthen, 2003;

Favez et Frascarolo, 2005), tentera d’attirer l’attention pour entrer en contact avec l’autre.

C’est au sixième sous-stade de développement que l’objet des activités de l’enfant et sa vie

affective sont pensées et évoquées grâce aux symboles qui sont les produits de l’assimilation et

de l’accommodation du réel aux désirs et aux intérêts de l’enfant. Le fait de conférer à des objets,

par le jeu, des désirs et des intentions fait partie de la construction de la théorie de l’esprit. En ce

sens, une étude a démontré que l’enfant de dix-huit mois pouvait lire les intentions de l’adulte

(Meltzoff, 1995, 1999). En effet, lors de la passation de l’épreuve, l’adulte faisait devant l’enfant

un acte intentionnel manqué, par exemple l’adulte tente de prendre un biberon dans l’intention de

le donner à un bébé, mais il l’échappe et l’enfant a démontré qu’il était capable de lire l’intention

de l’adulte en imitant son geste et en l’achevant. Ce procédé imitatif a permis de savoir que

l’enfant est capable de lire l’intention de l’autre et de lui conférer le statut de cause de l’action, et

ce, sans nécessairement utiliser le langage. Dans un même ordre d’idée, Tomasello (2011), dans

une expérimentation sur le développement de la théorie de l’esprit, met en action des enfants de

dix-huit mois. L’enfant est dans la pièce avec un adulte et l’adulte dépose un objet dans une boite.

L’adulte quitte la pièce et, pendant ce temps, quelqu’un change l’objet de place. À son retour,

l’adulte cherche l’objet à l’endroit où il l’avait initialement placé et l’enfant, sachant que l’adulte

n’était pas présent lorsque l’objet a été changé de place, lui donne ou lui indique où se trouve

l’objet convoité. Ainsi, l’enfant, en faisant la lecture de l’intention de l’adulte, voire de son but,

développe les prémisses de la théorie de l’esprit. De plus, Veneziano (2015b) mentionne que

l’enfant, à ce sous-stade de développement, développe un lexique dit psychologique lui

permettant d’utiliser le langage de façon informationnelle et de discuter des états internes.

2.1.3. Le développement au stade préopératoire

Le stade de développement préopératoire regroupe les stades symbolique et intuitif. Il fait état des

avancées développementales de l’enfant de deux à sept ans passant des schèmes d’action à l’acte

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29

de représentation ouvrant les voies de la fonction symbolique. La suite du développement de

chaque concept clé présenté dans la figure 2 sera ici discutée.

2.1.3.1. Stade symbolique (de deux à quatre ans)

Le stade symbolique est marqué par le développement du langage et de l’intersubjectivité tertiaire

de sorte que l’enfant, à ce stade, développe ses habiletés à discuter avec les autres, à raconter des

évènements passés (Favez et Frascarollo, 2005) et à partager ses émotions (Bloom, 1998). La

compréhension et l’utilisation de la langue dépend donc, comme le suggèrent Tomasello,

Carpenter et Liszkowski (2007), de la compréhension de l’autre en tant qu’agent de

communication intentionnel avec qui il est possible d’échanger et de partager ses expériences. Au

fil des expériences de communication, l’enfant s’ouvrira sur le monde et, de ce fait, raffinera le

pointage qu’il a déjà utilisé, dans divers contextes, et ce, en combinant le langage et les gestes

pour varier les sujets de la conversation et le centre d’attention (Veneziano, 2002; Tomasello,

Carpenter et Liszkowski, 2007) et, ainsi, pour établir et pour préciser l’attention conjointe avec

d’autres personnes. De plus, l’utilisation du langage par l’enfant donnera un indice plus clair en

ce qui a trait à sa compréhension de la théorie de l’esprit et à la prise en compte des états internes

de l’autre (Veneziano, 2015b).

En outre, la volonté de raconter est alimentée par le développement du langage, de la

représentation, de l’intersubjectivité tertiaire et aussi par les expériences répétées de l’enfant avec

le discours narratif. Plus l’enfant a de l’expérience avec le discours narratif, plus la structure de

ce dernier se complexifie (Kaderavek et Sulzby, 2000) et il en va de même avec la

complexification de ses structures langagières (Bernicot, Lacroix et Reilly, 2003). Ceci lui permet

d’évoluer dans le contexte d’intersubjectivité tertiaire où l’enfant raconte des évènements passés

aux autres ou des évènements absents au moment du discours, voire complètement fictifs. En ce

sens, le récit est particulièrement propice à promouvoir le développement concomitant de

l’intersubjectivité tertiaire, du langage et du discours narratif en offrant un modèle langagier

complexe. Les situations de récit, comme le mentionne Veneziano (2015a, 2015b), favorisent

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30

également le développement du langage et de la théorie de l’esprit puisque l’enfant, au stade

symbolique, utilise un discours plus informatif où il tient compte de l’autre lors du partage

d’information. C’est d’ailleurs le développement du langage informatif qui permettra à l’enfant

de référer aux états internes de type émotionnel et intentionnel puis, ultérieurement, à l’état

interne de type épistémique (Veneziano, 2015b).

Pour faire le rappel d’un récit lu ou entendu, il est nécessaire que l’enfant soit capable de se le

représenter et il a besoin de ses outils langagiers pour structurer son discours. L’évolution

développementale de la complexification de la structure du discours narratif montre que, en

vieillissant, le niveau de maturation psychologique de l’enfant augmentera et il sera capable

d’intégrer, de façon temporelle puis causale, plus de propositions. Au-delà de cela, l’enfant sera

capable de construite les macrocomposantes discursives du récit comme le problème, le but, les

émotions et la solution, et ce, même si, à cet âge, le but n’est pas nécessairement explicité par

l’enfant. Les habiletés narratives se reflètent dans deux dimensions, soit la construction causale

de la macrocomposante « épisode » qui établit un lien entre le problème, le but et les tentatives

d’actions (Stein, 1988), et la complexification de la syntaxe (Berman, 1995).

À partir des travaux initiaux de Stein (1988) et de ceux plus récents d’Ilgaz et Aksu-Koç (2005)

élaborés à partir d’observations lors de séances de jeu symbolique, il est possible de montrer la

progression de l’enfant par dix différentes étapes au regard de la narration d’histoire (Baron,

2010)29. La figure de la représentation de la complexification de la structure narrative est

présentée dans la figure 3.

29 Ilgaz et Aksu-Koç (2005) séparent les dix catégories en deux, soit les catégories de narration préépisodiques et les catégories de narration épisodiques qui sont différenciées par la présence ou l’absence de l’énonciation du but, d’une tentative d’action et de la conséquence rattachée à cette action. L’épisode doit donc être complet pour que la narration soit épisodique. Si l’on combine les travaux de Makdissi et Boisclair (2008) à ceux de Ilgaz et Aksu-Koç (2005), il devient dès lors possible de comprendre que les structures épisodiques demandent au minimum deux relations causales explicites entre les composantes constituantes du récit (but, tentative d’action et conséquence) et créeront ainsi nécessairement une relation causale transitive reliant trois composantes du récit.

Page 50: La lecture interactive : un contexte propice au ...

31

Figure 3 : Schéma hiérarchique de la complexification du récit (Baron, 2010, p.10)

L’enfant, au début du stade symbolique produit des récits de niveau 1, soit le premier niveau de la

catégorie préépisodique. Il nomme des actions simples en séquence descriptive sans les lier

causalement ensemble (Le Bouedec et Murzeau, 1987; Stein, 1988; Ilgaz et Aksu-Koç, 2005;

Catégories épisodiques

Catégories pré-épisodiques

Description des personnages, de l’environnement et des actions

Présence de relations temporelles

Non : 1- Séquence descriptive Oui : 2- Séquence scripte Relations temporelles et / ou mise en relief des relations entre les actions qui font partie des évènements routiniers.

Présence de relations causales e

Non : 3- Séquence d’actions Liste d’actions respectant l’ordre temporel.

Histoire basée sur un but

Oui : 4- Séquence réactive Changements dans l’histoire qui en apportent d’autres n’impliquant aucun plan organisé.

Oui : 6- Épisode incomplet L’enfant donne toutes les composantes d’un épisode complet, complexe ou interactif excepté le résultat des actions. Cela peut être représenté par le problème, le but et la tentative d’action.

Non : 5- Séquence interactive et réactive Description des interactions explicites entre les personnages sans mettre en évidence l’intentionnalité, le but ou la ligne directrice.

Présence d’un épisode complet

Oui : 8- Épisode complet Au minimum trois composantes sont présentées dont le but, une tentative d’action et la conséquence de cette action ou le problème, une tentative d’action et sa conséquence ou le problème, le but et une action menant à la solution.

Non : 7- Épisode abrégé Description des buts du protagoniste, mais les actions faites dans le but de l’obtention doivent être inférées.

Présence d’interaction entre les points-de-vue de deux personnages

Non : 9- Épisode complexe Production d’un épisode complet soit en enchâssant les épisodes en séquences réactionnelle, soit en enchâssant des séquences complètes, soit en expliquant les différentes actions faites pour arriver au but fixé ou encore, soit en expliquant les différentes actions faites pour parvenir au but fixé, mais en les présentant comme différents épisodes complets.

Oui : 10- Épisode interactif Description de la séquence d’évènements selon les deux perspectives possibles en prenant soin de nommer les buts de chaque personnage et l’influence qu’ils peuvent avoir sur l’autre.

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32

Makdissi et Boisclair, 2006a). Ensuite, au niveau 2, l’enfant forme des séquences scriptes, soit

des dyades d’actions en les liant entre elles de façon temporelle (Ilgaz et Aksu-Koç, 2005; Le

Bouedec et Murzeau, 1987; Stein, 1988). Ces séquences descriptives notées dans les rappels de

récit des jeunes enfants ne sont pas sans lien avec les travaux de Nelson (1999) conceptualisant la

notion de « script ». En effet, le concept de script de Nelson réfère à la mise en scène dans le jeu

symbolique d’une séquence d’actions qui se juxtaposent dans des scénarios routiniers et connus

de l’enfant par son expérience de vie (routine du bain, routine du restaurant, etc.). Ainsi, l’enfant

ne fait pas de relation causale entre les composantes récurrentes du récit, mais relie les

évènements de manière à faire des liens avec son quotidien et son cadre d’analyse personnel, soit

la représentation et la compréhension qu’il se fait du monde qu’il bâtit au fil de ses interactions

sociales (Nelson, 1999). Le niveau 2 se distingue du niveau 3 dans le sens où, au niveau 3,

l’enfant se détache de la routine pour intégrer les actions du récit. Ainsi, au niveau 3, l’enfant

peut également produire des séquences d’actions qui sont reliées de façon strictement temporelle

(Le Bouedec et Murzeau, 1987; Ilgaz et Aksu-Koç, 2005; Stein, 1988) en donnant à son discours

narratif une structure chronologique qui fait en sorte qu’il superpose les évènements sous forme

de séquence (Ely, 2005), mais non comme un enchainement causal donnant une explication

(Veneziano, 2015b, 2016). Cette liste d’actions n’inclut pas nécessairement les composantes

récurrentes du récit. Le niveau 3 se distingue du niveau 4 par l’absence de relations causales. Les

habiletés narratives de niveau 4 se développeraient dans les débuts du stade de développement

intuitif.

Au point de vue langagier, les enfants, âgés entre deux et trois ans commencent à justifier leur

comportement en montrant la prise en compte des états internes des partenaires (Meltzoff, 1995;

Veneziano 2010, 2015a, 2015b), prise en compte qui est précurseur au développement de la

théorie de l’esprit. C’est d’ailleurs par des tests de fausse croyance30 que la théorie de l’esprit est

30 Le test de fausse croyance classique est joué devant l’enfant avec des personnages et raconte l’histoire de Sally qui place sa bille dans un panier (Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985). Sally sort de la pièce et Anne, sa compagne, place la bille dans la boîte. Sally revient dans la pièce. L’expérimentateur demande à l’enfant: où Sally cherchera sa bille ? Pour y répondre l’enfant doit être capable de se représenter la pensée de l’autre et tenir compte du fait que Sally, qui a quitté la pièce, n’a pas vu Anne changer la bille de place.

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mesurée (Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001). Dès l’âge de trois ans, les enfants, quoiqu’ils ne

prennent pas nécessairement en compte les états internes des personnages dans leurs récits

monogérés, sont capables de répondre correctement aux épreuves de fausse croyance (Bursztejn

et Gras-Vincendon, 2001). Ils peuvent également référer à leurs propres intentions pour répondre

à des questions, ils font la différence entre des actes intentionnels et non intentionnels, mais ils ne

comprennent pas encore que les représentations de chacun sont différentes (Bradmetz et

Schneider, 1999; Selman, 1981), ce qui peut s’expliquer par le caractère égocentrique de la

pensée de l’enfant au stade intuitif. Cette prise en compte de l’autre est certainement en

construction puisque Vendeville, Brechet et Blanc (2015) affirment que l’enfant, dès deux ans,

sait reconnaitre et nommer spontanément certaines émotions. De plus, les recherches de Melztoff

(1995) démontrent que les enfants âgés entre trois et cinq ans commencent à utiliser les états

internes pour décrire des images dans lesquelles se trouvent des personnages.

Ce trait de pensée égocentrique amenant l’enfant à interpréter que sa représentation est également

celle des autres, le pousse à construire de fausses croyances de premier ordre (Veneziano, 2010).

Ainsi, le premier niveau de l’expression de la fausse croyance nécessite que l’enfant puisse se

prononcer sur l’état épistémique d’un personnage (Veneziano, 2002, 2005, 2010). Lors de

l’expression de la fausse croyance de premier ordre, l’enfant doit être capable de s’exprimer au

sujet de la pensée d’un personnage et être capable de concevoir ainsi que d’affirmer qu’un

personnage puisse avoir une conception erronée de la réalité31. L’enfant doit donc être capable de

considérer deux points de vue, soit celui du personnage et le sien. Par contre, on remarque qu’il

se raccroche à son propre point de vue lorsqu’il s’agit de s’expliquer (Mounoud, 2000) pour

31 Par exemple, dans le test de fausse croyance présentant l’histoire de Sally (Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985), pour avoir une représentation de la fausse croyance de premier ordre, l’enfant doit être capable de dire que Sally ne sait pas que la bille a changé de place puisqu’elle était sortie. Ainsi, l’enfant fait la différence entre son propre point de vue et celui du personnage. L’enfant est capable de se mettre à la place de Sally et de dire son point de vue, et ce, même si l’enfant sait que le point de vue de Sally est erroné.

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34

finalement, plus tard, être capable de considérer les deux de façon égale et d’adopter chaque point

de vue en fonction de la situation32.

2.1.3.2. Stade intuitif

Au stade intuitif, tout comme au stade symbolique, l’égocentrisme fait en sorte qu’il y a

confusion entre le point de vue propre de l’enfant et celui des autres, confusion qui s’estompe

dans ce sous-stade avec les différentes expériences que l’enfant a avec autrui ainsi qu’au contact

du discours narratif.

Pour Bradmetz et Schneider (1999), entre la représentation, à l’âge de deux ans, et la raison, à

l’âge de sept ans, il y a l’âge marquant les débuts de la réflexion. De quatre à sept ans l’enfant est

capable de tenir compte de la deuxième personne, c’est-à-dire qu’il est capable de contraster son

point de vue à celui de l’autre, mais seulement dans certains contextes. Il s’agira d’une forme de

représentation duale d’une situation, ce qui est plus complexe, puisqu’elle met en cause une

seconde personne et ses états internes contrairement aux représentations duales du stade

symbolique qui mettaient en cause un objet. Pour ce faire, l’enfant passera par différentes étapes,

soit la décentration, la différenciation des points de vue, le changement de centration puis la

coordination des points de vue (Mounoud, 2000; Piaget 1977).

32 Leslie (1987) et Veneziano (2005) affirment que le jeu symbolique est une des premières manifestations implicites et intuitives de la théorie de l’esprit puisque, pour faire semblant, l’enfant doit accorder des actions et des émotions à son partenaire et à un personnage. C’est dans le jeu que les représentations de premier ordre, c’est-à-dire se représenter quelque chose par l’intermédiaire du symbole, se développent (Veneziano, 2007).

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Toujours selon Bradmetz et Schneider (1999), au point de vue personnel, l’enfant développe

également des métareprésentations, ce qui signifie qu’il sait qu’il sait et il sait qu’il fait. Cela

nécessite une analyse par le sujet lui-même de son comportement en termes d’intentionnalité dans

le sens où cela est nécessaire pour établir la relation entre une représentation ou un état du monde

et pour être conscient de cette relation. L’enfant développe le concept de fausse croyance de

second ordre qui est un concept clé dans l’attribution différenciée d’états mentaux à soi et à

autrui. Le deuxième niveau de l’expression de la fausse croyance nécessite que l’enfant puisse se

prononcer sur ce que pense le personnage 1 au sujet de la pensée du personnage 2 (Veneziano,

2002, 2005, 2010). Il y a donc un intermédiaire entre l’enfant et le personnage 2, c’est-à-dire la

pensée du personnage 1 sur celle du personnage 233. Cela arrive vers quatre ans chez les enfants

tout-venant et nécessite un système de représentation plus complexe (Bradmetz et Schneider,

1999; Tager-Flusberg, 2000; Veneziano, 2010, 2015a, 2015b).

C’est en ce sens qu’il est possible d’affirmer que le développement de la représentation permet le

développement de la théorie de l’esprit (Tager-Flusberg, 2000). De plus, l’attribution de fausses

croyances de second ordre se remarque également en situation où l’enfant est confronté au récit

puisqu’il est capable d’attribuer aux personnages des états mentaux, dont les émotions et les buts

du protagoniste, différents des siens (Veneziano et Hudelot, 2006). C’est ce qu’on appelle la

théorie de l’esprit proprement dite alors que l’enfant se rend compte que pour lui, comme pour les

autres, entre le désir et l’action s’interpose la représentation de l’état du monde, c’est-à-dire qu’il

est capable de différenciation entre les points de vue (Bradmetz et Schneider, 1999; Houdé, 2011;

Veneziano, 2005; Wimmer et Perner, 1983). Ainsi, pour arriver à la théorie de l’esprit, il faut

pouvoir se représenter l’ensemble des états épistémiques et être capable de relier tous les

concepts d’états mentaux avec les actions et de fournir une explication cohérente (Baron-Cohen,

1989). C’est ce que Piaget (1977) appelle la coordination des points de vue. Le jugement verbal

33 Par exemple, dans le test de fausse croyance présentant l’histoire de Sally (Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985), pour avoir une représentation de fausse croyance de second ordre, l’enfant doit être capable de dire que Sally ne sait pas que la bille a changée de place puisqu’elle était sortie (représentation de premier ordre), mais aussi que Anne sait que Sally ne sait pas qu’elle a changé la bille de place. Ainsi, l’enfant est capable de dire ce que pense Anne à propos de la pensée de Sally.

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est également un des mécanismes de la prise de conscience des états intentionnels de l’autre

(Bradmetz et Schneider, 1999). Lorsqu’il raconte, l’enfant, par le langage et en explicitant les

aspects symboliques les plus subjectifs, révèle qu’il comprend les états du personnage ou de son

interlocuteur (Veneziano, 2005) et il prend en considération que l’autre ne sait pas la même chose

que lui de sorte qu’il l’explicite à voix haute. Le recours à ce type de représentation et de prise de

conscience des états épistémiques de l’autre, c’est-à-dire la prédiction de son incompréhension

même s’il est en contexte partagé, ne sera opérationnel que vers cinq ans (Veneziano, 2015a,

2015b) dans un premier temps en contexte de jeu (Bradmetz et Schneider, 1999) et stimulera la

compréhension ultérieure de structures narratives beaucoup plus complexes en contexte de

lecture34.

Dans le cadre d’un projet de recherche, Veneziano (2016) a travaillé avec des enfants tout-venant

âgés de 5 à 10 ans. Une intervention misant sur la conversation orientée causalement sur les

intentions et les croyances des personnages (états internes) a été déployée avec l’aide du matériel

« La pierre sur le chemin35 » (Furnari, 1980). Les enfants ont eu à raconter une première fois le

récit puis ceux du groupe contrôle ont fait un jeu de mémoire avec les cinq illustrations tandis que

ceux du groupe expérimental ont participé aux conversations axées sur la causalité avec l’adulte.

Par la suite, tous les enfants ont eu à raconter une seconde fois l’histoire. Les résultats démontrent

que les conversations orientées causalement sur les états internes de personnages (théorie de

l’esprit) ont permis aux enfants du groupe expérimental d’aller plus loin que la simple description

des images lorsqu’ils ont eu à raconter une seconde fois l’histoire, alors que les enfants du groupe

contrôle n’ont pas démontré de progression en ce qui a trait à la complexification de leur

34 La prise de conscience des états épistémiques de l’autre apparaitra en contexte de jeu avant d’apparaitre en contexte de lecture. Le jeu est une activité contextualisée où l’enfant joue un personnage et est confronté in vivo à ses états internes. Le contexte de lecture est décontextualisé dans le sens où l’enfant n’est pas impliqué de la même façon. Il est spectateur de la construction de la trame du récit plutôt qu’acteur. 35 Le récit « La pierre sur le chemin » (Furnari, 1980) présente cinq planches illustrées présentant l’histoire d’un malentendu entre deux personnages (personnage A et personnage B). En premier lieu, les deux personnages se saluent. En deuxième lieu, le personnage B trébuche sur une pierre et bouscule accidentellement le personnage A. En troisième lieu, le personnage A, convaincu que le personnage B l’a bousculé intentionnellement, le bouscule à son tour. En quatrième lieu, le personnage B, en larmes et par terre, pointe la roche à son comparse. On infère ici qu’il explique la source du malentendu. Finalement, le personnage A tend la main au personnage B et les deux se regardent souriants.

Page 56: La lecture interactive : un contexte propice au ...

37

narration. Selon Veneziano, ce type d’intervention amène l’enfant à centrer son attention sur les

éléments du récit et évite la surcharge cognitive de sorte que l’enfant est capable d’identifier et de

lier causalement les parties du récit. D’ailleurs, le projet de recherche a permis de constater que le

discours des enfants de 7-8 ans avait davantage changé et était plus organisé après l’intervention

que celui des enfants de 5-6 ans puisque les enfants plus âgés disposent de ressources cognitives

plus avancées. De plus, les enfants plus âgés comprennent le côté pragmatique du fait de raconter

et tiennent davantage compte de leur interlocuteur. Veneziano avait d’ailleurs déjà exploré ce

type d’intervention et ce matériel dans de précédentes recherches. En 2009, Veneziano et Hudelot

ont expérimenté ce type d’intervention dans le but de savoir si la conversation causalement

orientée permettrait aux enfants d’identifier davantage les états internes et d’y référer lors de

l’établissement de relations explicatives lors de narrations. Le groupe d’enfant auprès de qui

l’intervention a été déployée était âgé entre 4 et 12 ans. Les résultats démontrent que les enfants

de 4-5 ans répondent moins à l’intervention et utilisent davantage l’état physique et l’état interne

de type émotionnel. Cependant, chez les enfants de 6-7 ans, ils ont remarqué que ces derniers

utilisent davantage l’état interne de type intentionnel et même l’état interne de type épistémique

et, qu’en faisant des références directes ou indirectes aux états internes, ces enfants attribuaient

davantage le statut de cause ou de conséquence aux états internes lors de la seconde narration du

récit « La pierre sur le chemin ».

Ainsi, tel que précédemment présenté, le stade intuitif est marqué par la complexification des

relations causales. Cela a des incidences sur le développement de l’enfant en ce qui a trait au

discours narratif préépisodique. Au niveau 4, l’enfant aura un niveau de compréhension de la

macrostructure qui propulsera la production de relations causales (Ilgaz et Aksu-Koç, 2005; Le

Bouedec et Murzeau, 1987; Stein, 1988) sans nécessairement qu’il y ait un plan d’actions

chapeautées par un but. Il y a présence, à ce stade, d’attribution d’émotions aux personnages. Les

émotions sont la première expression de la causalité dans la compréhension du récit chez l’enfant

(Makdissi et coll., 2008) et les premières constructions faites par l’enfant qui l’obligent à se

questionner par rapport au récit et qui l’amènent à faire des relations implicites entre les

Page 57: La lecture interactive : un contexte propice au ...

38

composantes de ce dernier (Makdissi et Boisclair, 2006 b). C’est d’ailleurs entre quatre et cinq

ans, tranche d’âge à laquelle l’enfant développe la théorie de l’esprit36 (Tager-Flusberg, 2000;

Veneziano 2010, 2015a, 2015b), que les enfants attribuent des états mentaux à des personnages

dans une histoire lors de la production de récits monogérés (Veneziano 2010). Cette identification

des émotions amènera ensuite l’enfant, au niveau 5, à produire des séquences d’actions

interactives et réactives (Ilgaz et Aksu-Koç, 2005). Sans se préoccuper du but ou même du

problème, l’enfant établit des liens entre les actions en décrivant les interactions entre les

personnages. Il y fait des relations temporelles et des relations causales intracomposantes qui

peuvent être organisées à l’intérieur d’une même composante récurrente. Pour Makdissi et

Boisclair (2008), cette étape de coordination des évènements marque le début de la structuration

du récit. Le niveau 5 de la structuration du récit se distingue du niveau 4 par l’interaction entre les

personnages et se distingue du niveau 6 par l’absence de relations causales intercomposantes.

Ainsi, au niveau 6, l’enfant produira un épisode incomplet basé sur un but (Ilgaz et Aksu-Koç,

2005) et, par le fait même, des relations causales intercomposantes. Lorsque l’épisode est basé

sur un but, l’enfant doit construire toute la séquence d’évènements et d’obstacles en fonction de

ce but (Stein, 1988). Le but et les émotions sont souvent implicites au texte et peuvent ainsi être

présentés par l’intermédiaire de l’évènement perturbateur (Makdissi et Boisclair, 2006a). Dans

cette catégorie, deux des trois composantes nécessaires à la formation d’un épisode complet sont

présentes, c’est-à-dire le but et les actions en lien avec le but ou le problème, le but et l’action.

C’est donc dire que l’enfant n’énoncera pas le résultat ou l’aboutissement de ces actions.

Toujours au stade intuitif, l’enfant produit des récits épisodiques de niveau 7. L’épisode abrégé

contient toutes les composantes d’un épisode complet sauf que les actions faites avant l’obtention

du but doivent être inférées (Ilgaz et Aksu-Koç, 2005). La recherche d’équilibre émotionnel du

protagoniste doit donc être déduite. L’épisode, au niveau 8, est complet et contient

36 Bien qu’il soit mentionné que l’enfant développe a proprement dit la théorie de l’esprit vers 4-5 ans, Veneziano (2015b) met l’emphase sur le fait que le développement de la théorie de l’esprit débute bien avant cet âge, notamment par la théorie implicite de l’esprit, et se poursuivra en se complexifiant bien au-delà.

Page 58: La lecture interactive : un contexte propice au ...

39

obligatoirement le but, une tentative d’action et la conséquence requise de cette action et du but

(Ilgaz et Aksu-Koç, 2005). Les trois composantes sont ainsi liées par une relation causale entre le

but et la tentative d’action, une seconde relation causale entre la tentative d’action et sa

conséquence et d’une relation causale transitive, plus implicite, entre le but et la conséquence de

l’action. Le niveau 8 se distingue du niveau 9, présent au stade opératoire, par l’absence de liens

entre deux épisodes.

2.1.4. Le développement au stade opératoire

Le stade opératoire, qui débute lorsque l’enfant est environ âgé de sept ans, est marqué par le

début des opérations et par la réversibilité des actions. Le développement de la théorie de l’esprit

se poursuivra et se raffinera au fil des expériences de l’enfant. C’est vers l’âge de sept ans, à son

entrée dans le stade opératoire, que l’enfant sera capable de tenir compte pleinement de la

troisième personne. Il coordonne les points de vue, ce qui lui permet de se détacher de ses propres

états mentaux pour se considérer lui-même comme une autre personne et se questionner sur sa

façon de penser (Bradmetz et Schneider, 1999; Mounoud, 2000; Selman, 1981). C’est ce qu’on

appelle tenir compte d’une troisième personne, ce qui se remarque dans le concept de fausse

croyance de troisième ordre (Veneziano, 2010). L’enfant énonce une fausse croyance de niveau 3

lorsqu’il est capable de coordonner les points de vue. C’est-à-dire lorsqu’il peut affirmer que le

personnage 1 entretient une croyance à propos du personnage 2 qui est divergente de celle du

personnage 2 (Veneziano, 2002, 2005, 2010)37. Ainsi, il énonce les croyances des deux

personnages, quoiqu’elles soient différentes, les coordonnent entre elles ainsi qu’aux siennes.

37 L’expression de la fausse croyance de troisième ordre se distingue de celle de deuxième ordre par le fait que, en plus de se prononcer sur ce que le personnage 1 pense de ce que pense le personnage 2 (niveau 2), l’enfant coordonne maintenant sa propre pensée par rapport à la situation vécue par les personnages à celle du personnage 1 puis à celle du personnage 2. Par exemple, dans le test de fausse croyance présentant l’histoire de Sally (Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985), pour avoir une représentation de fausse croyance de troisième ordre, l’enfant doit être capable de dire que Sally ne sait pas que la bille est changée de place et qu’elle ne sait pas non plus que Anne est au courant de cette information. L’enfant doit aussi être capable de dire que Anne sait que la bille n’est plus au même endroit, mais qu’elle sait aussi que Sally n’est pas au courant puisqu’elle a quitté la pièce. À ces informations, l’enfant doit coordonner son propre point de vue extérieur de même que ses croyances, c’est-à-dire qu’il sait que Sally ne sait pas puisqu’elle était sortie et qu’elle ne sait pas que Anne sait. L’enfant sait aussi que Anne sait que la

Page 59: La lecture interactive : un contexte propice au ...

40

Vers huit et neuf ans, les enfants, dans leurs récits monogérés, feront référence aux états internes

des personnages pour expliquer leur comportement (Veneziano 2010, 2015a, 2015b, 2016).

Ultérieurement, l’enfant laissera comprendre qu’un personnage entretient une fausse croyance,

c’est-à-dire qu’il comprendra que toute personne peut interpréter différemment le monde

(Veneziano, 2010). Il tiendra également compte de la pluralité des points de vue, en tirera des

conclusions et fera la différence entre le « vrai » et le « faux » (Veneziano 2010). Par exemple,

dans l’épreuve de fausse croyance, l’enfant sera capable de dire que le personnage A pense que le

personnage B est dans l’erreur, et ce, même si l’enfant ne partage pas le même point de vue que

le personnage A. Il sera capable de discuter de l’état interne de type épistémique des personnages

(Veneziano, 2010, 2015b; Veneziano et Hudelot, 2006).

En ce qui a trait au développement de la structuration du récit, l’enfant, qui a développé une

structure syntaxique complexe, est capable de produire les épisodes complexes de niveau 9. En

effet, la production de phrases complexes favorise l’explication des liens causaux, notamment par

l’emploi de marqueurs causaux à l’intérieur du discours. L’enfant peut produire des épisodes

complexes dans lesquels des épisodes complets sont liés ensemble dans les différentes façons

rapportées par Ilgaz et Aksu-Koç (2005). Il peut enchâsser les épisodes en séquences

réactionnelles. Cela permet d’établir des liens et de relier les épisodes de façon à ce qu’un

épisode soit la situation de départ d’un second. L’enfant peut également enchâsser des séquences

épisodiques complètes de façon causale. Il peut également expliquer les différentes actions faites

pour arriver au but fixé ou encore expliquer ces différentes actions comme différents épisodes

complets qui permettent d’arriver au but fixé. La forme complète de la structure narrative est

celle où le narrateur construit la séquence d’évènements en utilisant les liens causaux et

chronologiques et en guidant l’interlocuteur vers l’apogée du récit pour ensuite le conclure (Ely,

2005). Pour ce faire, des relations causales intercomposantes et transcomposantes doivent être

comprises et produites par l’enfant. Au niveau 10, non sans lien avec les développements de la

bille est changée de place, qu’elle sait que Sally n’est pas au courant de cette information et, par le fait même, que Sally ne sait pas qu’Anne sait. Ainsi, en prenant en considération et en coordonnant ses croyances et celles des personnages, l’enfant est capable de se mettre à leur place et de comprendre et d’anticiper leurs actions et leurs réactions.

Page 60: La lecture interactive : un contexte propice au ...

41

théorie de l’esprit, l’enfant fait une description de la séquence d’évènements selon deux

perspectives possibles, c’est-à-dire en fonction de différents protagonistes ayant chacun leur but

respectif à mener à terme (Ilgaz et Aksu-Koç, 2005). Ce niveau se nomme séquence interactive.

L’enfant prend soin de nommer les buts de chaque personnage et l’influence que chacun peut

avoir sur l’autre. Il met donc les différentes perspectives en interaction. Pour ce faire, l’enfant

doit tenir compte des points de vue distincts des deux personnages, les différencier et les

coordonner. Ainsi, il doit avoir développé, a proprement dit, la théorie de l’esprit dans sa forme

complexe.

2.1.5. Synthèse théorique sur le développement de l’enfant tout-venant du stade sensorimoteur au

stade opératoire

L’enfant nait en intersubjectivité primaire avec la mère, ce qui lui permet de développer une

théorie implicite de l’esprit et un accordage affectif. Cette prise en compte de l’autre se

développe parallèlement à l’attention conjointe. Cette relation de proximité s’étendra, grâce à

l’attention conjointe, vers les objets et l’intersubjectivité deviendra secondaire. L’enfant, dont

l’attention conjointe avec la mère deviendra triadique, s’ouvrira au monde extérieur et aux autres.

Au contact des autres, il apprendra également à percevoir leurs émotions et leurs désirs. Le

développement de la permanence de l’objet et le développement de l’intentionnalité feront en

sorte que l’enfant, grâce à l’intentionnalité et à la prise en compte de l’autre, désirera

communiquer avec lui et attirer son attention vers des objets présents ou absents, notamment par

le pointage. Parallèlement à ces développements, le langage se développera et l’enfant

commencera la production des premiers récits monogérés qu’il partagera en intersubjectivité

tertiaire. De plus en plus ouvert aux autres, il apprendra à tenir compte de leurs émotions et de

leurs intentions, mais sa pensée égocentrique fera en sorte qu’il reviendra toujours à sa propre

perception. L’enfant s’en détachera notamment grâce à la maturation, aux expériences

personnelles et au contact avec autrui. Le contact avec le récit permettra le développement de la

théorie de l’esprit à proprement dit et ce contexte d’apprentissage permettra aussi le

développement du discours narratif. Ainsi, c’est par la relation d’intersubjectivité que l’enfant

Page 61: La lecture interactive : un contexte propice au ...

42

développe l’attention conjointe et qu’il développe l’intentionnalité. Ce sont ces concepts clés qui

permettent le développement de la théorie de l’esprit et du discours narratif.

2.2. Le développement de l’enfant autiste

Le développement des concepts clés nécessaires au développement de la théorie de l’esprit et de

la structuration du récit chez l’enfant tout-venant sera ici comparé à celui de l’enfant autiste. Il a

été maintes fois démontré que le développement de ces concepts clés chez l’enfant autiste

présente des nœuds développementaux qui ont des répercussions importantes, comme démontré

par les critères diagnostiques du DSM V (APA, 2013), dans le développement de la théorie de

l’esprit et de la communication. Il convient ici de présenter les plus importantes manifestations

observées.

Les retards dans différents développements de l’enfant autiste ont été largement documentés et

étayés de façon isolée dans la littérature. Il demeure nécessaire de les mettre en lien dans le but de

voir quelles sont les répercussions de chacune de ces altérations dans le développement des autres

concepts et dans celui global de l’enfant autiste, répercussions qui sont d’ailleurs à mettre en lien

avec les critères diagnostiques du DSM V (APA, 2013). En gardant en tête que le développement

de l’enfant se fait à la manière d’un système dynamique spiralaire ouvert où les développements

de chaque concept ont une incidence sur les constructions futures, les nœuds et leurs incidences

seront détaillés en fonction de chaque stade de développement.

2.2.1. Le développement de l’enfant autiste au stade sensorimoteur

Plusieurs auteurs soulignent que les enfants autistes ont des difficultés en ce qui a trait au

développement de l’attention conjointe (Baron-Cohen, 1989; Charman, 2003; Lemay, 2004;

Plumet et Veneziano, 2014b; Rogers, Hepburn, Stackhouse et Wehner, 2003). Il a été expliqué

Page 62: La lecture interactive : un contexte propice au ...

43

qu’au stade sensorimoteur le mécanisme de détection du regard est une fonction de base précoce

chez l’enfant qui permet l’établissement du contact visuel nécessaire à l’attention conjointe

(Baron-Cohen, 1989; Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001). Baron-Cohen (1989) a affirmé que

cette fonction de détection du regard est intacte chez l’enfant autiste. Ce mécanisme précurseur

étant en fonction, il ne permet pas d’expliquer les nœuds dans le développement de l’attention

conjointe chez l’enfant autiste. D’autres auteurs, comme Charman (2003), se sont attardés aux

comportements développés et associés au développement de l’attention conjointe, comme le

contact visuel, le « suivi du regard » (gaze fallowing) ainsi que la réponse à son nom, et ont

remarqué que ces comportements font partie des nœuds développementaux remarqués chez

l’enfant autiste (Thommen et Guidoux, 2011). Par contre, il ressort de la littérature que l’intensité

des difficultés dans le développement de l’attention conjointe ne sera pas nécessairement la

même tout au long de la vie puisqu’une grande partie des personnes autistes développent le

langage verbal, développement qui nécessite celui de l’attention conjointe (Rogers, 1998).

Cependant, le délai développemental de l’attention conjointe ainsi que ses nœuds spécifiques

resteront marqués et créeront possiblement des difficultés collatérales dans le développement des

autres sphères chez l’enfant.

Le nœud dans le développement de l’attention conjointe peut être mis en relation avec celui

remarqué dans le développement de l’intersubjectivité où la mère et l’enfant entretiennent des

rapports dyadiques qui misent sur le partage des émotions (Claudon, et coll., 2008; Favez et

Frascarolo, 2005). Cette mise en relation dyadique, qui est problématique chez l’enfant autiste

(Rogers, et coll., 2003), doit se faire en lien avec l’attention conjointe. Il ressort de la littérature

que les enfants autistes ont également des difficultés en ce qui a trait à la reconnaissance des

émotions chez l’autre (Baron-Cohen, 1989; Lemay, 2004). L’intersubjectivité pouvant être

considérée, entre autres choses, comme la manifestation d’un accordage affectif (Favez et

Frascarolo, 2005), il va sans dire que le problème à reconnaitre l’émotion de l’autre crée une

entrave au partage émotionnel. Il a également été démontré que le développement de la théorie de

l’esprit est fortement associé au développement de l’intersubjectivité (Bursztejn et Gras-

Vincendon, 2001; Claudon, et coll., 2008), ce qui signifie que le nœud développemental de l’un

peut troubler le développement de l’autre.

Page 63: La lecture interactive : un contexte propice au ...

44

Le nœud dans le développement de la relation intersubjective avec l’autre fait en sorte que les

opportunités naturelles d’apprentissage sont moins fréquentes (Charman, 2003; Nadel, 2005;

Rogers, et coll., 2003). À la manière d’un cercle vicieux, ce manque d’opportunités

d’apprentissage et, de ce fait, d’opportunités à interagir avec les autres a des répercussions

négatives sur le développement des enfants. De plus, le manque de réponse affective positive des

enfants autistes ne stimule pas l’engagement d’un pair, adulte ou enfant, à entrer en relation avec

lui (Lemay, 2004; Rogers, et coll., 2003), ce qui réduit le nombre d’interactions sociales, donc

d’opportunité de créer une relation dyadique ou triadique intersubjective dans laquelle l’enfant

pourrait utiliser l’attention conjointe.

Ce problème à entrer en contact avec l’autre par l’attention conjointe touchera, ultérieurement, le

développement du langage (Rogers, et coll., 2003; Toth, et coll., 2006). L’enfant autiste éprouve

davantage de difficulté dans les activités nécessitant l’utilisation de l’attention conjointe

protodéclarative que dans celles reposant sur l’attention protoimpérative, type d’attention qui se

manifeste dès le troisième sous-stade du sensorimoteur chez l’enfant tout-venant (Toth, et coll.,

2006) et qui est le prélude à la construction de l’attention conjointe protodéclarative. En effet, il

utilise les gestes protoimpératifs comme celui de pointer un objet désiré ou de conduire l’adulte

vers l’objet désiré, d’une façon instrumentale et utilitaire (Baron-Cohen, 1989; Lemay, 2004),

gestes ne nécessitant qu’un faible niveau d’attention conjointe. Les manifestations de

l’intentionnalité demeurent ainsi dans leur plus simple expression, c’est-à-dire égocentriques et

non tournées vers les autres. Les auteurs s’entendent tout de même pour dire que ce retard dans le

développement de l’intentionnalité a un impact direct sur le développement de la communication

et du langage puisque l’habileté à utiliser l’attention conjointe protodéclarative prédit, à court et à

long terme, le développement du langage expressif et de la qualité de l’interaction entre les pairs

chez l’enfant autiste (Tomasello, 2008; Toth, et coll., 2006). D’ailleurs, Baron-Cohen (1989)

postule, en lien avec le nœud développemental remarqué dans l’établissement des relations

dyadiques (Rogers, et coll., 2003), que les relations triadiques ne peuvent être construites par

l’enfant autiste.

Page 64: La lecture interactive : un contexte propice au ...

45

2.2.2. Le développement de l’enfant autiste au stade préopératoire

Le stade préopératoire regroupe les stades symbolique et intuitif. Dans cette section, les

répercussions des nœuds développementaux documentés dans le stade de développement

sensorimoteur seront détaillées.

2.2.2.1. Stade symbolique

L’enfant tout-venant, au stade symbolique, tel que discuté précédemment, fait de grandes

avancées en ce qui a trait au développement du langage, de la théorie de l’esprit et de la

structuration du discours narratif. Ces nouvelles constructions s’appuient sur celles qui ont été

faites au stade sensorimoteur. Il a été mentionné que l’enfant autiste éprouve des difficultés en ce

qui a trait aux grands axes de développement spécifiques lors du stade sensorimoteur, soit

l’attention conjointe et l’intersubjectivité. Ces nœuds en engendreront d’autres au stade

symbolique.

Les retards du développement socioémotionnel précoces chez les enfants autistes en entrainent

dans d’autres sphères de leur développement (Nadel, 2005; Rogers, et coll., 2003). Ainsi, les

enfants autistes se démarquent, dès l’âge de deux ans, des enfants tout-venant en ce qui a trait au

développement de l’attention conjointe et de l’intersubjectivité et l’écart déjà creusé à cet âge ne

fera qu’être plus grand à l’âge adulte (Rogers, et coll., 2003). Ce nœud développemental a des

répercussions dans les relations interpersonnelles et dans l’apprentissage de nouvelles habiletés

(Rogers, 1998). Le partage avec l’autre est bien souvent entravé puisque l’établissement de la

communication peut être difficile, vu les nœuds dans le développement de l’attention conjointe

(Baron-Cohen, 1989; Rogers, et coll., 2003). Ces difficultés ont un effet sur le développement de

la communication et du langage (Rogers, et coll., 2003; Toth, et coll., 2006) ce qui peut entraver

le développement des représentations et, de ce fait, celui de la théorie de l’esprit (Bursztejn et

Gras-Vincendon, 2001; Veneziano, 2002, 2005, 2007) et du discours narratif.

Page 65: La lecture interactive : un contexte propice au ...

46

La difficulté de l’enfant dans les relations dyadiques (Rogers, et coll., 2003) joue sur le

développement de l’acceptation et de la prise en compte du point de vue de l’autre. À ce propos,

Lemay (2004) propose de partir des intérêts de l’enfant autiste pour entrer en relation d’attention

conjointe avec lui et pour établir des interactions, et ce, dans le but de l’amener à se tourner vers

l’autre. Les difficultés éprouvées dans l’interaction sociale réduisent le nombre d’opportunités

sociales et naturelles d’apprentissage (Charman, 2003; Nadel, 2005; Rogers, et coll., 2003), ce

qui a des répercussions dans le développement et dans la complexification du langage.

Baron-Cohen (1989) explique les troubles majeurs de la communication par cette capacité réduite

à se représenter ce qu’il y a « dans la tête d’autrui », ce que l’auteur appelle la « cécité mentale »

de l’enfant autiste. En effet, la théorie de l’esprit est un aspect fondamental du développement de

la communication (Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985; Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001;

Plumet et Veneziano, 2014a). Les problèmes dans le développement de la théorie de l’esprit

peuvent être attribués au fait que certains auteurs ont démontré que les personnes autistes ne sont

pas capables d’accorder des croyances aux autres et, de fait, de prédire leurs comportements

(Baron-Cohen, 1989; Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985). Plumet et Veneziano (2014a)

affirment que les enfants autistes ont, dès le stade sensorimoteur, un manque en ce qui a trait aux

capacités anticipatrices et que cela a des répercussions dans les stades de développement

subséquents lorsque l’enfant se trouve en situation dynamique complexe, par exemple, lors d’une

conversation. En situation communicationnelle, la théorie de l’esprit permet à l’enfant de

s’adapter à son interlocuteur (Veneziano et Plumet, 2009). Il est ainsi possible d’affirmer que les

enfants autistes ont des difficultés à développer la capacité métareprésentationnelle qui sert à

attribuer des croyances (Baron-Cohen, 1989), ce qui a également des conséquences dans

l’élaboration des relations causales dans la structuration du discours narratif, relations aussi

difficiles à effectuer par l’enfant autiste (Diehl, Benneto et Carter Young, 2006; Losh et Capps,

2003; Tager-Flusberg, 2000).

Page 66: La lecture interactive : un contexte propice au ...

47

En effet, les enfants autistes produisent moins de descriptions causales38 autour des personnages

et de leurs émotions (Diehl, Benneto et Carter Young, 2006; Losh et Capps, 2003; Tager-

Flusberg, 2000). Il a été démontré, dans les productions narratives des enfants autistes, qu’ils

n’utilisent pas le langage dans sa forme causale, forme de langage qui permet, au niveau de la

cohérence, d’intégrer les épisodes de façon thématique (Losh et Capps, 2003). Cette difficulté

narrative concernant la description des émotions des personnages et, de ce fait, à l’attribution

d’états internes, entrave le développement des relations causales dans le récit puisque, tel que

Makdissi et Boisclair (2008) l’ont démontré, la structuration du discours narratif émerge à partir

de la mise en mots, par un construit primitif, de l’émotion du personnage par le narrateur en

relation causale avec les évènements, ce qui contribue à construire les premières composantes

récurrentes comme, par exemple, la problématique (Vendeville, Brechet et Blanc, 2015). Selon

Veneziano et Hudelot (2009), les états internes dans les narrations permettront de créer des

relations explicatives, soit des liens de causalité entre les conséquences et leur relation avec la

cause. Ceci permettra des complexifications ultérieures dans la narration, notamment dans la

construction des buts et des motivations des personnages d’une part comprise comme

conséquence du problème et de l’émotion négative et, d’autre part, cause qui sous-tendra les

tentatives d’actions. Ainsi, il est possible de comprendre pourquoi, à la suite des travaux de

Diehl, Benneto et Carter Young (2006), en situation de rappel, les enfants autistes font des

productions de type descriptives, c’est-à-dire des productions s’apparentant à celles des trois

premiers niveaux du schéma hiérarchique de la complexification du discours narratif observées

chez l’enfant tout-venant qui ont été décrits précédemment (voir sous-section 2.2.3.1. de la thèse)

et qui présentent la spécificité d’absence de l’expression de causalité.

38 Lemay (2004) affirme que le développement de la causalité est entravé chez l’enfant autiste puisque ce dernier, dès le stade de développement sensorimoteur, souvent pris dans un mode de répétitions excessives d’actions, se centre sur l’action et sur l’intégration sensorielle plutôt que sur la prise de conscience du phénomène, soit le lien entre l’action et le résultat.

Page 67: La lecture interactive : un contexte propice au ...

48

2.2.2.2. Stade intuitif

Le stade intuitif est, pour l’enfant tout-venant, le stade de la réflexion (Bradmetz et Schneider,

1999) où il perfectionnera les développements de la théorie de l’esprit et de la structuration du

discours narratif. Les nœuds dans le développement présents dès le début de la vie des enfants

autistes créeront un écart de plus en plus grand avec l’enfant tout-venant. C’est d’ailleurs à ce

stade que l’enfant, autiste ou non, fait son entrée dans le monde scolaire39.

Il ressort de la littérature que la théorie de l’esprit se développe, à proprement dit, pendant le

stade intuitif, mais que plusieurs enfants autistes n’atteignent pas l’âge développemental de trois

ans et vivent avec de graves nœuds développementaux en ce qui a trait à la communication

empêchant le développement du raisonnement nécessaire à la compréhension de la théorie de

l’esprit (Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001). Les difficultés observées dans le développement de

la théorie de l’esprit créent un retard qui n’est ni général ni permanent puisque les recherches

montrent que les enfants autistes plus âgés développent, quoiqu’avec certaines difficultés, la

capacité à comprendre les états mentaux de l’autre (Baron-Cohen, 1989; Baron-Cohen, Jolliffe,

Mortimore et Robertson, 1997; Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001; Plumet et Veneziano, 2014a,

2014b). Les réussites aux tests de fausses croyances peuvent aussi prouver l’hétérogénéité de

l’autisme sur le plan cognitif (Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001). D’ailleurs, Plumet et

Veneziano (2014a) rapportent que la réussite aux épreuves de type fausse croyance nécessitent

chez l’enfant autiste un développement langagier plus grand que chez les enfants tout-venant. À

ce propos, si les enfants autistes ont de la difficulté à accéder aux représentations de second

ordre, cela peut en partie expliquer les difficultés éprouvées à développer la théorie de l’esprit

(Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985).

39 Le stade de développement opératoire ne sera pas discuté en ce qui a trait à l’enfant autiste, puisque l’enfant auprès de qui l’étude de cas a été réalisée n’a pas atteint ce stade de développement intellectuel.

Page 68: La lecture interactive : un contexte propice au ...

49

Baron-Cohen, Leslie et Frith (1985) se sont intéressés au développement de la théorie de l’esprit

chez l’enfant autiste. Ces auteurs ont amorcé des travaux pionniers sur le sujet. Ils ont rencontré

vingt enfants autistes ayant un quotient intellectuel (Q.I.) se situant entre 70 et 108, quatorze

enfants ayant une trisomie 21 ayant un Q.I. se situant entre 42 et 89 ainsi que vingt-sept enfants

tout-venant d’âge préscolaire. Les enfants ont passé une épreuve de fausse croyance40. Les

résultats montrent que 85 % des enfants tout-venant et 86 % des enfants ayant une trisomie 21 ont

réussi la question de fausse croyance de premier niveau41 alors que 80 % des enfants autistes

n’ont pas réussi à y répondre correctement, et ce, malgré le fait que leur Q.I. soit plus élevé que

celui des enfants ayant une trisomie 21.

À la suite de ces résultats où 20 % des enfants autistes réussissent le test de fausses croyances de

premier ordre, Baron-Cohen (1989) mène une seconde étude avec dix enfants autistes dont la

moyenne d’âge était de 15;3 ans, dix enfants ayant une trisomie 21 dont la moyenne d’âge était

de 14;3 ans et dix enfants tout-venant tous âgés de sept ans, âge auquel les enfants tout-venant

ont développé les habiletés du deuxième niveau42. Ces enfants ont été soumis à un test plus

complexe nécessitant des habiletés de deuxième ordre où plusieurs intermédiaires interviennent43.

Tous les enfants autistes ont échoué à cette épreuve, ce qui entérine ce que Baron-Cohen a

avancé, les enfants autistes peuvent développer la théorie de l’esprit, mais avec un grand retard.

Certains auteurs réfutent les résultats de Baron-Cohen en affirmant que ces échecs aux tests de

fausses croyances pourraient être en lien, non pas avec des difficultés dans le développement de

la théorie de l’esprit, mais plutôt avec les difficultés linguistiques éprouvées par les enfants

40 Le test de fausse croyance classique utilisé est celui de Sally (Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985) qui a été précisé en note de bas de page du document dans la section 2.1.3.1. 41 Le premier niveau du test de fausse croyance nécessite que l’enfant se prononce sur l’état épistémique d’un personnage (Veneziano, 2002, 2005). 42 Dans le deuxième niveau de représentation de la fausse croyance, l’enfant doit se prononcer sur ce que pense le personnage A au sujet de la pensée du personnage B (Veneziano, 2002, 2005). Il y a donc un intermédiaire entre l’enfant et le personnage B. 43 Dans cette épreuve, une saynète est jouée devant l’enfant (Baron-Cohen; 1989). John veut une glace mais il n’a pas de sous. Le marchand de glaces lui dit qu’il restera dans le parc toute la journée et qu’il peut aller se chercher des sous à la maison. John va chez lui. Pendant ce temps, le marchand de glace dit à Mary qu’il va vendre des glaces à l’église. Chemin faisant, il rencontre John et lui dit où il va, de sorte que John va à l’église pour acheter sa glace. Mary va à la maison de John et demande à sa mère s’il est présent. Elle répond à Mary qu’il est parti s’acheter une glace. L’expérimentateur demande à l’enfant : où Mary pense que John est allé pour acheter sa glace ?

Page 69: La lecture interactive : un contexte propice au ...

50

autistes (Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001; Tager-Flusberg, 2000). Ils pointent ainsi le type

d’épreuve utilisé. À ce propos, les difficultés éprouvées dans la réussite de ces tests peuvent

également être dues, en partie, à la complexité de la structure narrative. En effet, la connaissance

que l’enfant a de la structure du discours narratif a un impact non seulement sur sa production,

mais aussi sur sa compréhension et les difficultés qu’éprouvent les enfants autistes à faire des

relations causales entre les éléments et les composantes récurrentes du récit (Diehl, Benneto et

Carter Young, 2006; Losh et Capps, 2003; Tager-Flusberg, 2000) peuvent être mises en lien avec

le taux de réussite à cette épreuve.

La théorie de l’esprit permet d’interpréter les intentions et les buts en relation avec les actions des

personnages dans les récits (Mason, et coll., 2008). Les difficultés éprouvées par l’enfant autiste

dans le développement de la théorie de l’esprit (Baron-Cohen, 1989; Baron-Cohen, et coll., 1997;

Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985; Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001) ont des répercussions

sur la façon dont les enfants autistes comprennent les récits et interprètent les désirs, les états

internes et les croyances des personnages (Losh et Capps, 2003; Mason, et coll., 2008), ce qui a

un effet sur les productions syntaxiques (Mason, et coll., 2008), notamment par la production de

relations causales qui peuvent nécessiter une syntaxe plus complexe, et sur la complexification de

la structure du discours narratif. En ce sens, Tager-Flusberg (2000) associe même les retards

qu’ont les enfants autistes dans les productions narratives directement à ceux observés dans le

développement de la théorie de l’esprit. Les enfants autistes n’attribuant que très rarement des

états internes aux personnages dans une perspective explicative, cela fait en sorte qu’ils

produisent difficilement des relations causales dans leurs narrations (Veneziano et Hudelot,

2009), ce qui entrave la production d’épisodes.

En lien avec les développements ultérieurs observables dans la structuration du discours narratif

de l’enfant tout-venant, il ressort de la littérature que les enfants autistes ont des difficultés à faire

des inférences et à construire des relations causales entre les composantes (Diehl, Benneto et

Carter Young, 2006; Losh et Capps, 2003). Ainsi, l’enfant nomme des événements sans les lier

Page 70: La lecture interactive : un contexte propice au ...

51

directement au but, de sorte qu’il produit davantage des séquences d’actions qui peuvent sembler

isolées. De plus, en lien avec les nœuds développementaux dans la théorie de l’esprit et dans les

représentations de second ordre (Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985), l’enfant autiste éprouve des

difficultés à comprendre ce que l’interlocuteur doit savoir (Tager-Flusberg, 2000, 2001) et a des

difficultés à construire, dans la narration, des représentations partagées d’un même évènement

(Losh et Capps, 2003). Ainsi, le fait que l’enfant autiste raconte ne veut pas nécessairement dire

qu’il a développé les représentations de second ordre nécessaires pour éclairer son interlocuteur;

il peut raconter pour le plaisir de raconter.

2.2.3. Synthèse théorique sur le développement de l’enfant autiste

Les différents concepts théoriques proposés ont montré que le développement de l’enfant autiste

se fait avec plusieurs retards, mais, en grande partie, dans le respect de la séquence

développementale observable chez l’enfant tout-venant. Baron-Cohen (1989) affirme que l’on

peut comparer l’enfant autiste à un enfant tout-venant du même âge développemental. La

démonstration théorique faite précédemment va dans ce sens où l’enfant autiste passe par les

mêmes étapes de développement que l’enfant tout-venant, mais les nœuds développementaux

spécifiques associés à l’autisme, qui affectent les concepts fondamentaux, empêchent le

développement typique des autres sphères. Ainsi, quoique l’enfant cheminera dans le

développement, par exemple, de l’attention conjointe, les nœuds antérieurs feront en sorte qu’il

n’atteindra pas en même temps que l’enfant tout-venant et de la même manière ces petits

moments d’équilibre, en décalage horizontal, qui permettront ultérieurement de grandes avancées

en décalage vertical dans le discours narratif et dans la théorie de l’esprit.

Baron-Cohen (1989) ainsi que Mason, Williams, Kana, Minshew et Just (2008) postulent que les

nœuds dans le développement de la théorie de l’esprit sont le trouble primaire et central de

l’autisme. Bursztejn et Gras-Vincendon (2001), pour leur part, n’accordent pas à Baron-Cohen

que le nœud dans le développement de la théorie de l’esprit est le mécanisme central de

l’autisme. Ils vont davantage dans le sens de Rogers (1998) et de Charman (2003) qui postulent

Page 71: La lecture interactive : un contexte propice au ...

52

que le développement de l’attention conjointe est l’une des plus importantes difficultés

développementales des enfants autistes et les difficultés qui en résultent jouent un rôle pivot dans

la psychopathologie de l’autisme44. Ceci est à mettre en lien avec le fait que les difficultés dans le

développement de l’attention conjointe font partie des premiers signes permettant de dépister

l’autisme et d’intervenir précocement (Charman, 2003). D’ailleurs, ces difficultés affectent le

développement de l’intersubjectivité et les enfants autistes sont considérés comme ayant un

trouble sévère d’intersubjectivité (Claudon, Dall’Asta, Lighezzolo-Alnot et Scarpa, 2008; Rogers,

1998). Il est même possible d’ajouter à leurs propos que les nœuds développementaux dans

l’attention conjointe et l’intersubjectivité jouent tous deux un rôle pivot, vu l’importance du nœud

et le moment de son apparition, dans le développement atypique de l’enfant autiste.

En ce qui a trait au développement du discours narratif chez l’enfant autiste, les auteurs

rapportent que ces derniers nomment des évènements de l’histoire, mais qu’ils les rapportent le

plus souvent de façon descriptive (Diehl, Benneto et Carter Young, 2006), de sorte qu’ils

produisent difficilement des liens causaux entre les composantes (Diehl, Benneto et Carter

Young, 2006; Losh et Capps, 2003; Tager-Flusberg, 2000). En lien avec le développement

communicationnel et émotionnel ainsi que la complexification de la structure narrative, il ressort

de la littérature que le développement de la théorie de l’esprit est également problématique chez

l’enfant autiste (Baron-Cohen, 1989; Baron-Cohen, et coll., 1997; Baron-Cohen, Leslie et Frith,

1985; Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001).

44 Bien que plusieurs recherches (Baron-Cohen, 1989; Rogers, et coll., 2003) font état d’une absence d’attention conjointe chez les enfants autistes, il est possible de penser, tout comme Charman (2003) ou Lemay (2004), qu’il s’agit plutôt d’un retard de développement de ce concept, ou d’un nœud développemental.

Page 72: La lecture interactive : un contexte propice au ...

53

Le schéma présenté dans la figure 4 montre, par un trait foncé dans la ligne développementale des

concepts, où se situent les principaux nœuds dans le « Big Bang » développemental de l’enfant

autiste.

Figure 4 : Le développement de l’enfant autiste

Discoursnarratif

Attentionconjointe

Intersubjectivité

Théoriedel’esprit

Inten

tionnalité

Opératoire

Préopératoire

Sensorimoteur

Concepts

1

5

6

4

2

3

Symbolique

Intuitif

Page 73: La lecture interactive : un contexte propice au ...

54

Les premières difficultés dans le développement de l’attention conjointe et de

l’intersubjectivité sont rapportées dès le début du stade sensorimoteur et elles ont des

répercussions dans les autres sphères du développement. Ces difficultés ont pour conséquence

que l’établissement de la relation dyadique ainsi que du lien émotionnel entre le parent et l’enfant

est entravé de sorte que les opportunités d’apprentissages sont moins fréquentes, puisque l’enfant

apprend au contact de l’autre. Cela a des conséquences sur le développement de la

communication. En ce sens, les difficultés dans l’engagement dyadique ont également des

répercussions dans le développement de l’intentionnalité au quatrième sous-stade du

sensorimoteur ce qui a un effet dans le développement de la communication prélinguistique

intentionnelle, la communication protodéclarative et dans les fondements de la théorie de l’esprit.

Les problèmes dans l’établissement de la relation émotionnelle causent un retard, dès le sous-

stade 1 du sensorimoteur, dans les fondements de la théorie de l’esprit, puisque l’enfant ne

démontre pas de théorie implicite de l’esprit. Encore au stade symbolique, il a été remarqué que

l’enfant autiste n’attribue pas ou peu de croyances aux autres. Ce bris dans le lien à construire

avec l’autre affecte le développement de la structuration du récit. Il ressort d’ailleurs de la

littérature que l’enfant autiste, au stade intuitif, ne développe pas de forme complexe de la théorie

de l’esprit contrairement à l’enfant tout-venant. Les difficultés dans le développement de la

communication qui ont des répercussions sur le développement du langage ainsi que celles

observées dans le développement de la théorie de l’esprit créent, dès le stade symbolique, une

entrave dans la complexification du discours narratif. En effet, ces derniers sont le plus souvent

produits de façon descriptive sans que des liens de causalité soient produits.

Malgré les nœuds développementaux primaires, ainsi que leurs répercussions observables dans le

développement ultérieur de l’enfant autiste, il est important de tenir compte dans l’intervention

que l’enfant autiste poursuit son développement tout au long de sa vie (Chamak et Cohen, 2003).

En effet, l’intensité du retard dans le développement de l’attention conjointe n’est pas la même

tout au long de la vie (Rogers, 1998), puisque 75 % des personnes autistes développent le langage

verbal (Diehl, Benneto et Carter Young, 2006; Hochmann, 2002; Rogers, 1998; Tager-Fusberg,

2001). De plus, Thommen et Guidoux (2011) affirment que l’enfant autiste d’environ 12 ans est

capable de manifester de l’empathie en tenant compte des émotions vécues par les autres comme

Page 74: La lecture interactive : un contexte propice au ...

55

le ferait un enfant de quatre ou cinq ans. En ce qui a trait au développement de la théorie de

l’esprit et de la complexification de la structuration du récit, on remarque que les enfants autistes

plus âgés développent les habiletés de la théorie de l’esprit de premier ordre, c’est-à-dire que

l’enfant est capable de prendre en considération le point de vue d’une autre personne dans une

situation donnée (Baron-Cohen, 2009; Plumet et Veneziano, 2014a). Il est également possible

d’affirmer que l’amélioration avec le temps des compétences en théorie de l’esprit chez les

enfants autistes est en lien avec leur développement langagier (Plumet et Veneziano, 2014a;

Thommen et Guidoux, 2011).

2.3. La lecture interactive : moteur de développement pour l’enfant

Si l’on conçoit que l’enfant autiste puisse progresser tout au long de sa vie, si l’on considère que

les apprentissages se font dans les opportunités d’échanges intersubjectifs, notamment dans la

discussion, si enfin on peut penser que les avancées dans la structuration du discours narratif et de

la théorie de l’esprit sont intimement liées aux concepts d’attention conjointe, d’intersubjectivité

et d’intentionnalité, il convient d’envisager le contexte de lecture interactive dans le but de

soutenir l’enfant autiste dans son évolution.

Dans une conception systémique du développement, l’émergence de la littératie et du discours

narratif se construit de façon semblable au développement du langage oral, et ce, dès le stade de

développement symbolique, notamment grâce à l’attention conjointe. Cela est dû au fait que

l’enfant est un participant actif (Dougherty Stahl, 2014; Giasson, 2003; Kaderavek et Sulzby,

2000; Mercer, 2002; Sipe 2002; Whitmore, Martens, Goodman et Owocki, 2005), influencé par

les contributions narratives de l’adulte et celles des autres enfants (Stavans et Goldzweig, 2008;

Withmore, Martens, Goodman et Owocki, 2005), ce qui lui permet de faire des avancées, au

contact de l’autre et de son environnement, dans le développement de son discours oral. Dans

cette section seront présentés l’intervention en lecture interactive, incluant les différents types

d’interactions, son apport au développement de l’enfant tout-venant et l’apport qu’elle pourrait

Page 75: La lecture interactive : un contexte propice au ...

56

avoir dans le développement de l’enfant autiste, et ce, en fonction de ses caractéristiques

spécifiques.

La lecture interactive se déroule dans le contexte naturel de la littérature (Barrentine, 1996) et est

une opportunité sociale dans laquelle la communication et le dialogue sont mis en valeur

(Foorman, Anthony, Seals et Mouzaki, 2002; Makdissi, Boisclair, Blais-Bergeron, Sanchez et

Darveau, 2010; Mercer, 2002; Pontecorvo et Sterponi, 2002; Sanchez et Makdissi, 2015; Stavans

et Goldzweig, 2008; Whitmore, Martens, Goodman et Owocki, 2005). Le principe de

socialisation à la littératie, literacy socialization (Van Kleeck, 2008, 2010), énonce d’ailleurs que

c’est dans un environnement social où il y a interaction entre les lecteurs et les livres que les

compétences en lecture se développent. En interaction avec l’enfant et en situation de lecture

interactive, l’adulte, connaissant l’importance de l’expression des relations causales dans le

développement de la structuration du récit, pose des questions d’inférences causales centrées sur

la macrostructure du récit, soit la structuration des composantes récurrentes, qui permettent à

l’enfant d’expliquer son interprétation de l’histoire en cours de lecture, majorant ainsi son

discours (Makdissi et Boisclair, 2006a; Makdissi et coll., 2010). Par ailleurs, des études montrent

que l’interaction visant à centrer, par le questionnement, l’attention des enfants sur les causes de

certains évènements, soutenue par le dialogue en cours de lecture, permet de susciter la réflexion

et la construction causale de la macrostructure45, et ce, sans que l’adulte n’explicite la

construction de cette causalité pour l’enfant (Blanc, 2009, 2010; Kaderavek et Sulzby, 2000;

Makdissi et coll., 2010; Van Kleeck, 2008; Vendeville, Brechet et Blanc, 2015; Veneziano et

Hudelot, 2008, 2009). Cette activité nécessitant l’attention conjointe et l’établissement d’une

relation d’intersubjectivité permet à l’adulte de rester centré sur l’enfant et sur sa compréhension

du récit. Ainsi, en alliant l’expérience en intervention socioconstructiviste et constructiviste de

Vygotski et de Piaget, l’adulte dirige ses interventions vers le juste niveau de développement de

l’enfant (Makdissi, Boisclair, Blais-Bergeron et Sanchez, 2008) et, par la médiation, le guide vers

45 Les recherches de Makdissi et Boisclair (2006a) démontrent que l’intervention en cours de lecture permet à l’enfant de produire des liens causaux entre les évènements plus avancés que lorsqu’il est questionné en fin de lecture, contribuant ainsi à soutenir la compréhension du discours littéraire en cours de lecture.

Page 76: La lecture interactive : un contexte propice au ...

57

la complexification de sa compréhension des composantes récurrentes du récit et de ses relations

causales lui permettant aussi de relier les éléments de la théorie de l’esprit, soit les états internes

des personnages, aux éléments de la macrostructure. Il ressort d’ailleurs de la littérature que le

développement des productions narratives adultes se modifie en fonction du développement des

productions langagières des enfants, tant en ce qui concerne le choix des livres que les questions

posées ou le vocabulaire employé (Stavans et Goldzweig, 2008).

Les livres lus pendant les séances de lecture interactive sont relus à quelques reprises afin de

maximiser les interventions et cette répétition permet de faire des avancées sur le plan langagier,

puisque l’exposition plus fréquente au vocabulaire (Sénéchal, 1997) et à la structure d’un récit

offre plus de possibilités à l’enfant de s’approprier, d’analyser et de réexploiter, sur les plans

discursifs, le contenu structural et langagier des livres (Beck et McKeown, 2001; Foorman et

coll., 2002; Kaderavek et Pakulski, 2007; Klesius et Griffith, 1996; Mercer, 2002; Morin, 2010)

et des interactions de l’adulte46.

2.3.1. Les styles d’interactions et les différents types de questions posées en cours de lecture

Plusieurs travaux se sont penchés sur l’étude des questions posées par les parents en cours de

lecture interactive (Bingham, 2007; Griffin, Hemphill, Camp & Palmer, 2004; McNeill &

Fowler, 1999; Sim & Berthelson, 2014), d’autres se sont intéressés à ce que font les enseignants

au préscolaire (Milburn, Girolametto, Weitzman & Greenberg, 2014; Neslihan Bay & Hartman,

2015), tandis que d’autres comparent ce qui se fait à la maison avec le jeune enfant et ce qui se

passe en classe du préscolaire (Schick & Melzi, 2010; Snow & Dickinson, 1990). La littérature

démontre également que peu d’études s’intéressent au potentiel d’intervention de la lecture

46 Les recherches de Morin (2010) ont démontré que la lecture répétée minimalement quatre fois par semaine accompagnée d’une discussion causale sur les évènements du récit a permis à un groupe expérimental d’enfants de trois ans de majorer la structuration de leur rappel de récit en six mois. En comparaison à un groupe témoin n’ayant pas reçu ce type d’intervention, mais ayant eu des lectures quotidiennes, il a été démontré que la compréhension macrostructurelle des enfants du groupe expérimental était d’un niveau de complexité plus élevé.

Page 77: La lecture interactive : un contexte propice au ...

58

interactive au-delà du premier cycle du primaire. Dans tous les cas, il importe de recenser les

types de questions posées ainsi que les types d’interactions faites par l’adulte, que se soit un

parent ou un enseignant.

Dans un premier temps, on répertorie les questions fermées où la réponse est littérale, comme la

dénomination d’un objet, et qui se répond avec peu de mots, souvent par oui ou par non, la

réponse à un choix de réponse ou la répétition de quelque chose qui vient tout juste d’être lu, soit

nommer ce qu’il sait déjà (Milburn, Girolametto, Weitzman et Greenberg, 2014; Neslihan Bay et

Hartman, 2015). Selon Milburn, Girolametto, Weitzman et Greenberg, (2014), la question fermée

permet d’engager l’enfant dans la lecture, de lui fournir une occasion de répondre facilement et

de recevoir une rétroaction positive de l’adulte.

Dans un deuxième temps, on répertorie les questions ouvertes où l’adulte attend une réponse non

préméditée (Milburn, Girolametto, Weitzman et Greenberg, 2014). Elle est moins contraignante

pour l’enfant et lui offre la possibilité de répondre en utilisant plusieurs mots (Milburn,

Girolametto, Weitzman et Greenberg, 2014; Neslihan Bay et Hartman, 2015). Ainsi, cela permet

l’expansion du vocabulaire et de la structure du langage oral, puisqu’il s’agit de questions qui

exigent à l’enfant d’aller plus loin que ce qu’il aurait fait seul (Milburn, Girolametto, Weitzman

et Greenberg, 2014; Neslihan Bay et Hartman, 2015) et qui propulsent le développement des

compétences en littératie (Schick et Melzi, 2010). Selon Neslihan Bay et Hartman (2015), les

questions ouvertes demandent à l’enfant de penser, de se questionner, de faire des relations

causales ainsi que de partager des informations ou des sentiments. Si l’on s’attarde à chercher un

concensus dans la littérature scientifique, on retiendra, de ce que les anglophones nomment les

« wh questions », le « what / so what » (il arrive quoi? / et alors?), le « why » (pourquoi?) et on

pensera également au « how » (comment ça se fait? / comment c’est arrivé?), puisque ces

questions sont particulièrement susceptibles de solliciter des réponses exigeant des relations

causales (Dougherty Stahl, 2014; Magliano, 1999; Makdissi et Boisclair, 2006a, 2006b; Makdissi

Page 78: La lecture interactive : un contexte propice au ...

59

et coll., 2010; Milburn, Girolametto, Weitzman et Greenberg, 2014; Nicholas et Trabasso, 1980;

Sim et Berthelson, 2014; Van Kleeck, 2008; Warren, Nicholas et Trabasso, 1979).

Finalement, il a été répertorié que l’adulte peut aussi, outre poser des questions ouvertes et

fermées, interagir avec l’enfant en faisant un commentaire en lien avec l’histoire (Milburn,

Girolametto, Weitzman et Greenberg, 2014). L’adulte peut faire une expansion syntaxique ou

sémantique à ce que l’enfant vient de répondre (McNeill et Fowler, 1999; Milburn, Girolametto,

Weitzman et Greenberg, 2014; Sim et Berthelson, 2014), en l’amenant entre autres à faire un lien

entre le récit et sa vie (Brigham, 2007). Il peut faire une imitation de ce que l’enfant vient de dire

(Milburn, Girolametto, Weitzman et Greenberg, 2014), l’encourager (McNeill et Fowler, 1999;

Milburn, Girolametto, Weitzman et Greenberg, 2014; Schick et Melzi, 2010; Sim et Berthelson,

2014) ou lui faire une commande en donnant une consigne directive (Milburn, Girolametto,

Weitzman et Greenberg, 2014), ou encore en demandant à l’enfant de compléter sa phrase

(Brigham, 2007; Milburn, Girolametto, Weitzman et Greenberg, 2014). En plus de ces réactions

de l’adulte, il a été répertorié que le fait de faire des pauses pour laisser à l’enfant l’opportunité

d’engager la conversation agit comme facilitateur en contexte partagé de lecture (McNeill et

Fowler, 1999). Il ressort de la littérature que les propos de l’adulte puissent être centrés sur le

livre ou encore, comme le mentionnent McNeill et Fowler (1999), être centrés le plus souvent sur

les illustrations.

En ce qui a trait aux activités à la maison qui propulsent le développement du discours narratif,

Snow et Dickinson (1990) soulignent l’importance des activités dans lesquelles le langage est

central, l’engagement dans la lecture de récits ainsi que l’importance des discussions portant sur

autre chose que ce qui se passe dans l’immédiat, dans le but d’axer sur la narration. Quant à la

lecture, l’étude de Schick et Melzi (2010) rapporte que les parents, en cours de lecture,

augmentent le niveau de difficulté des questions en posant, vers 2 ans, davantage de questions

fermées se répondant par oui ou par non et que, vers 5 ans, ils se concentrent davantage vers des

questions ouvertes (« wh » questions). Il a également été répertorié que les parents utilisent le

Page 79: La lecture interactive : un contexte propice au ...

60

pointage pour faire nommer à l’enfant des objets sur l’illustration (Brigham, 2007). Schick et

Melzi (2010) rapportent également que les parents, en cours de lecture, peuvent avoir un style axé

sur la description ainsi que sur le vocabulaire et où la discussion n’est pas encouragée. Ils peuvent

également avoir un style plus collaboratif, où la participation de l’enfant est sollicitée et où ce

dernier est encouragé. Finalement, le parent peut opter pour un style compréhensif où on qualifie

la discussion comme étant de plus haut niveau puisque l’enfant est amené à utiliser les indices

textuels et extratextuels pour faire des inférences et des prédictions.

Pour leur part, en ce qui a trait aux enseignants, Neslihan Bay et Hartman (2015) rapportent

différentes recherches qui affirment que les types de questions le plus souvent posées en classe

sont les questions fermées. De plus, Schick et Melzi (2014) rapportent différents styles

d’interventions des enseignants. Premièrement, ils relatent des interventions de style didactique

où, sans engager la discussion avec l’enfant, ils se centrent sur le texte écrit et sur ses parties.

Deuxièmement, ils énoncent des interactions centrées sur la performance, où la lecture se fait de

façon théâtrale, mais où la discussion est peu encouragée. Finalement, ils répertorient un style de

lecture axé sur la co-construction de sens où l’enfant est encouragé à entrer en discussion avec

l’adulte. En ce sens, Snow et Dickinson (1990), en ce qui a trait aux activités en classe permettant

de supporter le développement cognitif, langagier et celui de la littératie chez l’enfant, affirment

qu’il est primordial d’amener les élèves à s’engager cognitivement et à interagir autour des objets

d’apprentissages.

2.3.2. La lecture interactive : un contexte trilogique d’intersubjectivité littéraire

La lecture interactive se fait dans un contexte dialogique où l’adulte fait la lecture à l’enfant dans

ce qu’on peut appeler une zone de partage. Une zone de partage entre deux personnes est

intersubjective et permet de soutenir l’enfant dans ses apprentissages (Aitken et Trevarthen,

2003). Cette dimension affective est un vecteur essentiel au développement langagier de l’enfant

(Bloom, 1998), voire même au développement de son discours narratif. C’est donc dire que

Page 80: La lecture interactive : un contexte propice au ...

61

l’interaction entre l’adulte et l’enfant, lors des séances dialogiques de lecture interactive, permet

la complexification du langage littéraire (Klesius et Griffith, 1996).

Cette relation d’intersubjectivité littéraire, mise en place dans le cadre de la lecture interactive,

permet à l’adulte de déployer des interventions adaptées à la zone proximale de développement

de l’enfant, ce qui lui permet de développer sa compréhension des récits, par la construction de

relations temporelles et causales entre les composantes récurrentes du récit, et ce, par la

construction d’inférences (Makdissi et coll., 2010). L’établissement de ces relations causales

touchera également les états internes des personnages (Veneziano et Hudelot, 2006), notamment

l’état interne de type émotionnel, qui favorisera la création de liens de causalité puisque les

émotions sont la première expression de la causalité dans la compréhension du récit chez l’enfant

(Makdissi et coll., 2008), et les premières constructions de relations causales implicites

(inférences) entre les composantes du récit (Makdissi et Boisclair, 2006 b). Il a d’ailleurs été

documenté par Veneziano (2015a, 2015b) que l’identification des états internes aide l’enfant en

ce qui a trait à la production d’inférences. Par ailleurs, Veneziano (2016), à la suite d’une

expérimentation avec des enfants tout-venant auprès desquels des interventions d’interactions

conversationnelles (conversational interaction) ont été déployées autour du récit, mentionne que

les enfants ayant reçu l’intervention, où les discussions étaient orientées causalement, attribuent

davantage d’états internes aux personnages, utilisent causalement les états internes pour expliquer

et utilisent davantage les marqueurs de causalité.

Ainsi, il est possible de dire que si la connaissance est engendrée par l’interaction entre le sujet et

l’objet (Piaget et Garcia, 1987), alors, dans l’intervention en lecture interactive et en contexte

d’intersubjectivité littéraire, l’apport de l’adulte par la médiation joue un rôle d’intermédiaire

dans la façon d’aborder le livre et de se questionner. D’ailleurs, ce contexte dialogique devrait

davantage être perçu comme trilogique vu le fait que l’adulte et l’enfant, pendant la lecture

interactive et en situation d’attention conjointe avec le livre, utilisent les propos de l’auteur

comme un outil présentant un discours causal et narratif qui nourrira tant les interventions de

Page 81: La lecture interactive : un contexte propice au ...

62

l’adulte que celles de l’enfant et qui agira comme un modèle structurellement et syntaxiquement

complexe à imiter (Makdissi et Boisclair, 2006b). L’adulte sert d’intermédiaire entre l’enfant et

l’auteur du livre et, par la lecture et ses questionnements à voix haute, traduit le langage écrit et

les illustrations (Sipe, 2002). Il devient une sorte de médiateur. La relation intersubjective bâtie

entre l’adulte et l’enfant permet donc de favoriser la compréhension que l’enfant a des propos de

l’auteur (Makdissi, 2004). Ainsi, il est possible de qualifier la lecture interactive de contexte

trilogique d’intersubjectivité littéraire (Baron, 2010).

Figure 5 : Contexte trilogique d’intersubjectivité littéraire (Baron, 2010, p.29)

La figure 5, élaborée par Baron (2010), présente trois cercles représentant l’adulte-lecteur,

l’auteur du livre et l’enfant qui s’entrelacent évoquant ainsi la relation d’intersubjectivité entre

l’adulte-lecteur et l’enfant, la relation interprétative que l’enfant fait de l’objet de compréhension,

soit des propos de l’auteur du livre, et, finalement, la compréhension et l’interprétation que

l’adulte-lecteur fait des propos de l’auteur. Cette réunion d’intersubjectivité littéraire, représentée

par l’étoile au centre des trois cercles, permet la rencontre du monde de l’auteur, suggestif et

interprétatif, et celui de l’enfant et de l’adulte, qui correspond à leur interprétation de « sa

37

Figure 1.3 : Contexte trilogique d’intersubjectivité littéraire

1.3.3. Langage littéraire et celui de l’enfant

Pour que des interventions en lecture interactive soient optimales, la sélection du livre à lire

doit passer, notamment, par l’analyse des différents registres langagiers, mais aussi par

l’analyse de l’écart existant entre le registre du livre et celui de l’enfant. La syntaxe est un

système opérationnel langagier (Nelson, 2003) qui permet à l’enfant de créer du sens autour

des mots nouveaux et qui est utilisé comme un outil de relations (Bloom, 1998) permettant

ainsi de se représenter les idées du discours, puis d’expliquer les événements qui y sont

décrits d’une façon décontextualisée.

Le niveau de langue utilisé dans les livres se doit d’être supérieur, sans toutefois être

inaccessible, à celui utilisé par l’élève lors d’interactions spontanées. Ainsi, l’adulte peut

intervenir de façon trilogique entre le contenu du livre et la zone proximale de

développement de l’enfant, permettant à ce dernier de faire des avancées langagières en ce

qui concerne les éléments de la microstructure du récit, soit la syntaxe et le lexique. Les

Monde suggestif et interprétatif du récit

Monde réel auquel

appartiennent l’enfant et

l’adulte

Adulte-lecteur

Enfant

Auteur du livre

Relation d’intersubjectivité entre l’adulte et

l’enfant

Compréhension de l’histoire par

l’enfant

Compréhension de l’histoire par

l’adulte

Page 82: La lecture interactive : un contexte propice au ...

63

réalité »47 (Sipe, 2008). C’est à l’emplacement de l’étoile, là où l’attention de l’adulte et de

l’enfant rejoignent les propos de l’auteur, que l’intervention mise en place par l’adulte est

déployée tenant ainsi compte du niveau de complexité du livre et du niveau développemental de

l’enfant.

2.3.3. L’intervention en lecture interactive avec l’enfant autiste

Le trouble du spectre autistique affecte le développement de la communication et des interactions

sociales, notamment la réciprocité émotionnelle ainsi que la compréhension et l’utilisation de la

communication non verbale, et il touche également cette sphère du développement en raison de la

manifestation de comportements stéréotypés et d’intérêts restreints (APA, 2013). La recension

théorique des nœuds développementaux dans le développement de l’enfant autiste a mis en

lumière des difficultés dans le développement de l’attention conjointe, de l’intersubjectivité, de

l’intentionnalité, du développement de la causalité dans la structuration du discours narratif et de

la théorie de l’esprit; ce qui n’est pas sans lien avec les difficultés communicationnelles et

interactionnelles nommées parmi les critères diagnostiques de l’autisme.

Ainsi, il est possible de penser que la lecture interactive puisse être, grâce au contexte trilogique

d’intersubjectivité littéraire où l’adulte adapte ses interventions à la singularité de chaque enfant,

une intervention qui permettrait, tel que l’énoncent Chamak et Cohen (2003), de repousser les

limites de l’autisme. De plus, il s’agit d’une intervention où l’adulte, en intersubjectivité avec

l’enfant, lui permettrait d’être en interaction avec son environnement de sorte que l’enfant puisse

coconstruire avec l’adulte une compréhension plus élargie du monde. Lemay (2004) souligne

l’importance d’accompagner les enfants autistes dans un bain verbal, gestuel, émotif et sensoriel,

et ce, en respectant le niveau de développement de chacun, dans le but de permettre aux enfants

47 Le concept de «réalité» est ici basé sur l’interaction de l’enfant, spécifique à sa situation culturelle et historique, qu’il a avec le monde (Nelson, 1999), soit la façon dont, comme être singulier, il fait sens de ce monde (Charlot, 1997).

Page 83: La lecture interactive : un contexte propice au ...

64

de faire de leur environnement un lieu d’appartenance où il est possible de s’appuyer sur des

personnes signifiantes. En utilisant la lecture interactive comme contexte et prétexte à

l’apprentissage, on favorise le développement de la relation d’intersubjectivité et on peut penser

que cela pourrait permettre à l’enfant autiste, tout comme cela a été prouvé avec le jeune enfant

tout-venant, de découvrir le monde et de développer différents concepts clés propres au

développement de la communication, du discours narratif et de la théorie de l’esprit. La lecture

interactive deviendrait alors un prétexte d’interactions. Les interactions, en se multipliant,

créeraient un engrenage, où le plaisir d’échanger et de coconstruire pourrait se développer

(Lemay, 2004).

Ainsi, on sait que la lecture interactive est réalisée dans le cadre d’une relation intersubjective, où

l’adulte et l’enfant, en attention conjointe, se centrent sur le livre. De plus, les interventions

autour du récit permettent le développement de la construction du discours narratif, notamment

par l’identification et l’établissement de liens de causalité entre les composantes récurrentes du

récit et les états internes des personnages. On sait également que l’adulte, tout comme le récit,

offre un modèle langagier et discursif qui permettrait à l’enfant de complexifier son discours

narratif. Dès lors, il est possible de penser que l’enfant autiste pourrait bénéficier de ce type

d’intervention qui toucherait les difficultés vécues sur les plans communicationnel, social, causal

et émotionnel et qui interviendrait sur les nœuds développementaux précédemment documentés

en ce qui a trait à l’attention conjointe, à l’intersubjectivité, au développement de la causalité et à

la théorie de l’esprit.

2.4. Les objectifs de la thèse

À la lumière du cadre théorique présenté précédemment, il est possible de se demander comment

un contexte de lecture interactive doit-il être conçu ou élaboré pour que le pédagogue puisse

ajuster ses interventions afin de propulser le développement de l’enfant autiste quant à sa

structuration du discours narratif et de la théorie de l’esprit? Ainsi, le but de la thèse est de décrire

les développements du discours narratif et de la théorie de l’esprit chez une enfant autiste,

Page 84: La lecture interactive : un contexte propice au ...

65

développements situés dans le contexte d’interventions intensives en lecture interactive.

L’objectif de la thèse est donc de décrire la portée potentielle d’interventions intensives faites en

interaction et en intersubjectivité avec une enfant autiste autour d’un objet complexe qu’est

l’album de la littérature jeunesse, et ce, en décrivant les interventions de l’adulte et la progression

développementale de l’enfant en cours d’intervention au regard de deux sphères de

développement soit la structuration du discours narratif et le développement de la théorie de

l’esprit.

2.4.1. Les objectifs spécifiques

L’objectif principal de la thèse se décline en trois objectifs spécifiques qui, à leur tour, se

déclinent en deux sous-objectifs.

1. Décrire et analyser la progression de l’enfant et l’intervention en lecture interactive en ce qui a

trait au développement de la structure narrative :

1.a. Décrire la progression de l’enfant au regard de la structuration du discours narratif en

contexte de lecture interactive;

1.b. Décrire le contexte et le type d’interventions élaborés par l’adulte autour du

développement de la structuration du discours narratif par l’intermédiaire de la lecture

interactive.

2. Décrire et analyser la progression de l’enfant et l’intervention en lecture interactive en ce qui a

trait au développement de la théorie de l’esprit :

2.a. Décrire la progression de l’enfant au regard de la théorie de l’esprit en contexte de

lecture interactive;

Page 85: La lecture interactive : un contexte propice au ...

66

2.b. Décrire le contexte et le type d’interventions élaborés par l’adulte dans le discours

narratif autour de la théorie de l’esprit par l’intermédiaire de la lecture interactive.

3. Décrire l’interrelation entre la structure narrative et la théorie de l’esprit en contexte de lecture

interactive :

3.a. Mettre en lien la progression de l’enfant dans la compréhension de la structure

narrative, ainsi que dans le développement de la théorie de l’esprit;

3.b. Décrire comment le contexte de lecture interactive et le type d’interventions élaborés

autour du discours narratif sont interreliés à ceux élaborés autour de la théorie de l’esprit.

Page 86: La lecture interactive : un contexte propice au ...

67

Chapitre 3 – Méthodologie

Le but de la recherche est de décrire le développement du discours narratif et de la théorie de

l’esprit chez une enfant autiste dans un contexte d’interventions intensives en lecture interactive.

Ceci commande de pouvoir décrire la construction de sens et l’évolution de cette dernière, tout en

la situant dans le contexte des interventions que l’on cherche également à décrire. Ainsi, une

étude de cas a été réalisée auprès d’une enfant autiste, et ce, dans une perspective

socioconstructiviste où l’enfant et l’adulte sont des participantes actives qui construisent, en

interactions avec l’objet, des connaissances. Cependant, on ne connait pas encore les types

d’interventions pédagogiques qui propulsent le développement de l’enfant autiste à la fois quant à

la structuration du discours narratif et à celle de la théorie de l’esprit. En ce sens, cette recherche

demeure exploratoire. Ainsi, ce type d’étude privilégiera la sélection d’un seul sujet afin de

permettre les descriptions approfondies, le tracé de l’évolution et la catégorisation des

interventions.

Cette recherche de sens est une activité herméneutique48 (Blais et Martineau, 2006; Paillé et

Mucchielli, 2012) qui, dans le projet d’intervention, par l’établissement du cadre théorique

développemental, permettra d’interpréter les données d’interventions recueillies et d’en faire

ressortir le sens par la création de catégories. Cela permettra la description de l’interaction

intersubjective entre l’adulte et l’enfant (objectifs spécifiques 1.b., 2.b. et 3.b.) et de l’évolution

développementale que l’intervention permet à l’enfant de faire (objectifs spécifiques 1.a., 2.a. et

3.a.), et ce, au regard de la structuration du discours narratif et de la théorie de l’esprit. Ce type

d’analyse fera en sorte que ce projet devienne lui aussi une expérience antérieure sur laquelle

s’appuyer (Blais et Martineau, 2006; Paillé et Mucchielli, 2012) dans l’établissement de projets

futurs d’intervention.

48 Paillé et Muchielli (2012) définissent l’herméneutique comme la transaction entre l’interprète du monde et le monde interprété, transaction qui se fait dans un « cercle herméneutique » sans cesse en mouvement.

Page 87: La lecture interactive : un contexte propice au ...

68

Le chapitre méthodologique présentera, dans un premier temps, ce qu’implique le contexte

d’étude de cas et présentera le sujet avec qui l’expérimentation s’est déroulée. Dans un deuxième

temps, la collecte de données sera détaillée en explicitant ce en quoi consiste le rôle de

praticienne chercheuse. Puis, le choix des données d’interventions et des processus qui ont été

utilisés pour les sélectionner aux fins de l’analyse seront explicités. Finalement, le traitement des

données pour l’analyse sera étayé, plus précisément le processus employé pour la création de

catégories.

3.1. Une étude de cas unique : présentation du sujet

La thèse présente une étude de cas faisant l’analyse d’un seul sujet49 auprès de qui, au cours du

projet d’intervention, des données seront récoltées de façon répétée. En lien avec la notion de

développement, cela permettra de situer les interventions avec la participante pour découvrir les

processus particuliers mis en place lors de la lecture interactive, et ce, tant dans leurs

manifestations que dans leur évolution (Mucchielli, 2009; Van der Maren, 2003), ainsi que pour

avoir une compréhension en profondeur du phénomène étudié (Poisson, 1991). Cela permet de

s’intéresser au comment et au pourquoi des choses (Yin, 1984) dans un discours davantage

descriptif qui permet de rendre compte de l’objet, soit le livre, des constructions du sujet enfant

participant à l’étude et du contexte d’intervention déployé, et ce, dans toutes leurs dimensions

liées aux objectifs de la recherche (Gagnon, 2012; Mucchielli, 2009; Poisson, 1991; Van der

Maren, 2003)50. Ainsi, il conviendra, dans l’analyse des données, de décrire et de modéliser un

contexte d’intervention en lecture interactive et de tracer l’évolution des apprentissages de

l’enfant au regard du discours narratif et du développement de la théorie de l’esprit.

49 Dans l’analyse des données et dans les transcriptions sous forme de verbatim, dans le but de préserver l’anonymat de l’enfant, cette dernière est identifiée par le pseudonyme Mélissa. 50 Dans le cadre de la thèse, il s’agit de décrire la construction de sens faite par l’enfant, et ce, eu égard au récit de la littérature jeunesse sélectionné, aux caractéristiques personnelles et cognitives de l’enfant ainsi qu’en fonction de l’intervention déployée, pendant tout le projet, par le même adulte médiateur. Cela est étroitement lié à l’objectif principal et aux objectifs spécifiques de la thèse.

Page 88: La lecture interactive : un contexte propice au ...

69

Les interventions ont été déployées auprès d’une enfant autiste de onze ans. L’enfant a été,

pendant les premières années de sa scolarisation, intégrée en classe ordinaire au Nouveau-

Brunswick où elle était accompagnée à temps plein d’une ou de deux techniciennes en éducation

spécialisée qui avaient une formation sommaire en Applied Behavior Analysis (ABA). L’enfant

était, la majorité du temps, retirée de la classe. Elle travaillait dans un local aménagé pour elle où

du matériel adapté et des programmes préparés par une superviseure ABA, payée par les parents,

étaient disponibles. Après l’école, l’enfant était accompagnée par la superviseure ABA. Elle

recevait entre 35 et 40 heures par semaine de thérapie ABA, incluant le temps d’intervention à

l’école. Pendant l’année scolaire 2010-2011, année précédant l’intervention ici étayée, l’enfant a

été scolarisée à Montréal dans une classe d’adaptation scolaire pour enfants autistes qui utilisait

le programme Treatment and Education of Autistic and related Communication handicapped

CHildren (TEACCH). La classe comptait six élèves, une enseignante et une éducatrice

spécialisée. Deux après-midis par semaine, des éducatrices ABA se rendaient dans cette classe

pour utiliser l’espace et le matériel sur place. L’enfant a alors reçu, en dehors de l’école, entre 10

et 15 heures de thérapie béhavioriste de type ABA par semaine. Pendant l’année où les

interventions de la thèse ont été déployées, soit l’année scolaire 2011-2012, l’élève fréquentait

une classe pour enfants ayant une déficience intellectuelle de son école de quartier tous les après-

midis, puisque la praticienne chercheuse déployait des interventions à la maison pendant l’avant-

midi, à l’exception des mercredis où l’horaire était inversé.

L’enfant a été sélectionnée, en premier lieu, en fonction de son accessibilité51 pour le projet

d’intervention. D’une part, le projet d’intervention impliquait quinze heures d’interventions par

semaine à la maison, ce qui nécessitait un grand engagement de la part de l’enfant et de sa famille

en accordant du temps et en faisant entrer dans leur milieu une personne externe à leur

dynamique familiale (Gagnon, 2012). D’autre part, le sujet rencontrait une pertinence théorique

au regard des objectifs de départ de la recherche doctorale (Pires, 1997). En effet, toujours en

51 Les parents ont contacté le Groupe de Recherche et d’Intervention auprès de l’Enfant Sourd (GRIES) auquel la praticienne chercheuse est affiliée pour que leur enfant bénéficie d’un service d’intervention individuel à la maison. Avec l’accord des parents et du Comité d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’Université Laval (numéro d’approbation 2013-232), les données d’intervention récoltées ont été utilisées pour la thèse.

Page 89: La lecture interactive : un contexte propice au ...

70

fonction des critères influençant le choix du sujet (Pires, 1997), l’enfant auprès de qui l’étude de

cas s’est déroulée offre la possibilité d’apprendre beaucoup tant sur l’autisme que sur le

développement de l’enfant. Cependant, vu le fait que les caractéristiques des enfants autistes sont

variées et que les manifestations sont d’intensités différentes, le cas présenté ne peut être qualifié

d’exemplaire dans le sens où il ne s’agit pas d’un cas typique. Cela n’entravera pas le processus

de généralisation théorique de l’étude (Pires, 1997; Yin, 1984), et ce, bien que des limites

importantes seront explicitées notamment afin de situer les conclusions de l’étude. Effectivement,

dans un contexte d’étude de cas unique, il est difficile de qualifier d’exemplaire un seul cas, vu la

singularité de l’humain. Il est possible d’affirmer que l’étude de cas ainsi réalisée permet

l’analyse en profondeur d’un phénomène dans son contexte (Gagnon, 2012) et, qu’en fonction de

la dimension ontogénique de la recherche, cette réflexion sur les pratiques éducatives peut être le

point de départ de la construction d’une modélisation ultérieure qui répondrait aux besoins des

intervenants et des enseignants en adaptation scolaire des milieux (De Lavergne, 2007; Van der

Maren, 2003).

3.2. La collecte des données

Les données d’intervention en lecture interactive ont été récoltées de façon quotidienne de

septembre 2011 à juin 2012 par la praticienne chercheuse, et ce, au domicile de l’enfant. Cette

proximité avec le sujet a permis d’élaborer une théorie en action52 qui tient compte du contexte

(Van der Maren, 2003) et a permis d’ajuster constamment les interventions au niveau

développemental de l’enfant. Ce processus de contextualisation s’est fait de façon circulaire

puisque, lorsque la praticienne chercheuse observait un phénomène dans les interactions de

l’enfant, elle lui a accordé une signification et, pour que cette signification ait du sens, elle l’a

contextualisée dans l’environnement, mais aussi en fonction des objectifs du projet de recherche

52 Ce projet de recherche en éducation présente une recherche contextualisée, c’est-à-dire liée à un contexte singulier et mettant en œuvre deux individus. La théorie est élaborée en action puisqu’elle est créée à partir d’interventions de l’adulte réalisées dans le cadre d’interactions avec l’enfant et l’objet.

Page 90: La lecture interactive : un contexte propice au ...

71

et de la théorie qui y est associée (Paillé et Mucchielli, 2012). Cette recontextualisation en

fonction du projet de recherche, qui s’est déroulé en cours de mise en œuvre du projet, a

également permis la transformation et la précision des interventions de l’adulte. Ce processus de

théorisation ancrée permet, par création de catégories, l’analyse logique et l’interprétation de

données enracinées dans leur terrain (Mucchielli, 2009; Paillé et Mucchielli, 2012)53. En effet,

bien que l’analyse formelle des données ait été réalisée une fois les interventions terminées, il

n’en demeure pas moins qu’une analyse informelle et constante, en cours de collecte de données

et en discussion avec la directrice de thèse, permettait une objectivation54 (Hamel, 2008, 2015),

ainsi que la formulation d’ébauches provisoires et implicites de catégories qui ont orienté et guidé

les interventions pédagogiques suivantes.

3.2.1. Rôle de la praticienne chercheuse

Dans cette étude de cas, la candidate au doctorat a opté pour un rôle de praticienne chercheuse55

puisqu’elle a dispensé les interventions et a fait l’analyse de ces dernières. Cette posture, qui

nécessite d’établir un contact personnel avec le sujet de la recherche (Paillé et Mucchielli, 2012),

a permis de contextualiser avec efficacité la recherche puisque l’environnement et le sujet sont

bien connus de la praticienne chercheuse. La proximité et l’instauration d’un climat de confiance

entre la praticienne chercheuse et l’enfant, créées notamment grâce au temps passé ensemble,

permettent d’aller chercher l’intégrité du sujet (Poisson, 1991) par la construction progressive

d’une sensibilité à son égard (Corbin et Strauss, 2008). De plus, le cadre conceptuel et d’analyse

est connu de la praticienne chercheuse qui peut ajuster ses interventions in vivo. Bien que cette

53 La théorisation ancrée, ainsi définie, c’est-à-dire en tenant compte à la fois du contexte pratique et du contexte théorique, s’éloigne de la conception originale de Glaser et Strauss qui recommandaient de ne pas faire de préparation ciblée sur le plan théorique avant de se rendre sur le terrain (Paillé et Mucchielli, 2012). L’interprétation que la praticienne chercheuse fait ici de la théorisation ancrée rejoint toutefois Corbin et Strauss (2008) en ce qu’elle tient compte du fait qu’aucun praticien ou chercheur ne se présente sur le terrain sans a priori théorique. Nous appréhendons le monde en fonction de nos expériences personnelles et des savoirs construits. 54 Cette objectivation permettrait en fait des prises de conscience de la subjectivité de la praticienne chercheuse impliquée dans l’étude favorisant ainsi ce que Corbin et Strauss (2008) nomment la nécessaire sensibilité au participant pour accéder au sens qu’il tente d’exprimer. 55 Il est à noter que, dans le cadre de la thèse, la candidate au doctorat sera identifiée par les termes « praticienne chercheuse » et « adulte ».

Page 91: La lecture interactive : un contexte propice au ...

72

double posture de praticienne et de chercheuse (De Lavergne, 2007) puisse faire en sorte qu’il

soit difficile de jeter un regard de chercheuse sur un terrain où l’on a évolué comme actrice

(Albarello, 2003), il est à noter que des précautions méthodologiques, notamment l’intervention

d’un second juge56 pendant les analyses, ont été prises pour éviter les biais méthodologiques57 et

pour « contrôler » l’effet d’interprétations motivées par les a priori et les convictions de la

praticienne chercheuse dans toutes les étapes de la thèse (Poisson, 1991).

3.2.2. Les données d’intervention, contexte et collecte

Le projet d’intervention s’est déroulé à la maison, dans la situation de vie de l’enfant, de sorte

que non seulement les actions sont analysées, mais le contexte l’est aussi (Miles et Huberman,

2003). Ainsi, cette étude vise à produire un savoir situé ayant une haute validité écologique, qui

se développe et prend en compte les circonstances locales qui le touchent (Fourez, 2004).

Le projet d’intervention avec l’enfant a été d’une durée de dix mois, soit de septembre 2011 à

juin 2012. La praticienne chercheuse s’est présentée au domicile de l’enfant cinq demi-journées

56 Dans le projet de recherche, le second juge est la directrice de recherche. Cette dernière n’a pas été impliquée directement avec le sujet, ce qui a permis une distance pour l’analyse en cours d’intervention. On comprend cependant que la juge partage les fondements et le cadre théorique de la praticienne chercheuse. Cela vient colorer les analyses et les interprétations, mais cette lunette d’analyse, sur ce terrain partagé, ajoute à la cohérence interne d’analyse du discours. Si le juge avait été distant de la perspective théorique, elle n’aurait pas pu saisir les analyses dans le sens visé par les objectifs et les catégories construites ne correspondraient pas. Il s’agit donc d’une logique essentielle dans un processus de construction. De plus, la présence d’un second juge permet un regard analytique distancé de l’action de la praticienne chercheuse. Cela permet d’éviter les pièges et concourt à une interprétation compréhensive qui se situe dans le même terrain contextuel. 57 La double posture de praticienne chercheuse peut générer un conflit des rôles (Miles et Huberman, 2003; Mucchielli, 2009) dans le sens où il peut être difficile d’avoir la distance nécessaire à l’analyse. L’ajout d’une personne à l’analyse interjuge est une aide à la distanciation, qui permet de ne pas tomber dans les pièges méthodologiques (Albarello, 2003) et de rétablir les limites généralement instituées entre la recherche et la pratique (De Lavergne, 2007). La présence d’un deuxième juge peut également aider à éviter l’effet miroir, c’est-à-dire la confrontation de la praticienne chercheuse à sa propre pratique (Van der Maren, 2003) et même à éviter l’effet Rosenthal, également nommé l’effet de l’expérimentateur (Miles et Huberman, 2003; Van der Maren, 2003), qui met l’accent sur le fait que la praticienne chercheuse influence en grande partie les résultats par ses choix et ses convictions. Pour l’éviter, le deuxième juge peut être utilisé de sorte que la praticienne chercheuse soit confrontée à son analyse et prenne une distance par rapport à l’expérimentation (Miles et Huberman, 2003; Van der Maren, 2003), expérimentation qui, vu sa longueur et son intensité, a été très engageante émotivement.

Page 92: La lecture interactive : un contexte propice au ...

73

par semaine pour des interventions quotidiennes. Les récits lus en lectures interactives ont été

sélectionnés par la praticienne chercheuse en fonction de leur niveau de complexité, tant causal

que lexical, dans le but qu’ils soient adaptés au niveau de développement de l’enfant. Les récits

ont été choisis et regroupés en fonction des quatre thématiques d’interventions exploitées avec

l’enfant, soit l’univers des châteaux, le pôle Nord, les pirates et le cirque. Chaque lecture a été

préparée de sorte que des questions d’inférences lexicales et causales autour des composantes

récurrentes du récit ont été prévues pendant la lecture pour soutenir l’enfant dans son analyse et

dans sa compréhension de la structure narrative du récit lu58 (Dougherty Stahl, 2014; Makdissi et

Boisclair, 2006a, 2006b; Van Kleeck, 2008). À même ce questionnement causal, les questions

qui touchent la théorie de l’esprit ont également été posées dans le but de faire ressortir les états

internes des personnages et, ainsi, de mettre en relief leurs croyances et leurs motivations

(Veneziano, 2010), et ce, en lien avec la macrostructure du récit. Le même récit était utilisé pour

une semaine59 de sorte que quarante-six récits60 ont été lus de façon interactive pendant les dix

mois d’intervention pour un total de cent cinq vidéoscopies d’intervention61. Les vidéoscopies

des lectures interactives ont été utilisées aux fins d’analyse et sont ainsi devenues des données

d’intervention prises dans le milieu naturel de l’enfant. Le tableau 1 présente le nombre de

données d’intervention en lectures interactives qui ont été vidéofilmées. Les données d’analyse

seront sélectionnées parmi celles-ci.

58 La recension complète des œuvres de la littérature jeunesse qui ont été utilisées est disponible dans la bibliographie. 59 La lecture répétée d’un même livre permet à l’enfant de prendre le temps d’apprivoiser l’objet et de centrer son attention sur le récit pour pouvoir l’aborder dans toute sa complexité. Chez les enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme, il est important de répéter les mêmes activités pour éviter leur retrait (Lemay, 2004) et, ainsi, favoriser leur engagement dans la tâche. 60 Les lectures interactives de ces récits ouvraient sur des thématiques permettant également d’exploiter le même univers à travers le jeu symbolique, la consultation d’ouvrages de référence et alimentaient les discussions entre la praticienne chercheuse et l’enfant. 61 L’utilisation de la vidéoscopie, constitue, par le recours systématique aux enregistrements, une mémoire matérielle qui permet de partager l’expérience vécue avec les autres, notamment avec la personne qui a participé à titre de deuxième juge lors des analyses (Lefebvre et Poncet-Montange, 1996). C’est ainsi un instrument privilégié pour étudier et développer la pensée en action et la pensée sur l’action (Tochon, 1996). La mémoire matérielle, stockée et organisée sur des disques durs externes, permet de conjurer l’oubli, stimule la mémoire lors des analyses (Lefebvre et Poncet-Montange, 1996 ; Tochon, 1996) et est un critère de fiabilité interne (Gagnon, 2012). Le stockage des données sur des disques durs permet de les organiser en fonction de chaque journée et en identifiant les séquences vidéos avec le nom de l’activité réalisée. Les lectures successives des bandes vidéo permettent de voir les indices extralinguistiques contribuant au sens du discours coélaboré entre l’enfant et l’adulte ne pouvant être consignés par écrit (Poisson, 1991), et ce, en contexte situé.

Page 93: La lecture interactive : un contexte propice au ...

74

3.2.3. Sélection des données d’analyse

Aux fins d’analyse, trois vidéoscopies de lectures interactives d’une durée approximative d’une

heure ont été sélectionnées. Les données ont été choisies par un processus d’élimination. Le

processus de systématisation des données en cours de collecte (Poisson, 1992) a fait en sorte que

la praticienne-chercheuse, à la suite de chaque intervention, avait organisé les données avec soin

et avait identifié, par les symboles « + » et « - », les vidéoscopies présentant des interventions

s’étant bien ou mal déroulées en fonction de l’engagement et du comportement de l’enfant. Cela

constitue un premier tri des données qui a pour but d’éviter d’induire dans l’analyse des variables

autres que la compréhension de l’élève (Poisson, 1992). Les facteurs minant la compréhension de

l’enfant ont été identifiés dès les premiers mois d’intervention et les données prises pendant ces

journées ont d’emblée été éliminées. Parmi ces journées se trouvent celles où l’enfant est malade

Tableau 1 : Données d’intervention vidéofilmées

Mois et année Nombre de lectures

interactives vidéofilmées

Septembre 2011 12

Octobre 2011 14

Novembre 2011 8

Décembre 2011 8

Janvier 2012 8

Février 2012 13

Mars 2012 11

Avril 2012 11

Mai 2012 11

Juin 2012 9

Total : 105

Page 94: La lecture interactive : un contexte propice au ...

75

puisqu’elle est vulnérable, irritable et moins concentrée. Les journées où l’un de ses parents

arrivait ou devait quitter la maison62 pour une longue période de temps ont également été

éliminées. Les périodes d’ajustement de médication ont été retirées puisque cela pouvait jouer

notamment sur l’humeur et sur la concentration de l’enfant. Les journées où une activité spéciale

se déroulait à l’école ont été retirées puisque l’enfant, quoique ces activités avaient lieu dans un

autre lieu que celui où l’intervention se déroulait, appréhendait les activités créant une angoisse

tangible possiblement due à une entrave à son horaire routinier. Tous les jours où l’enfant

présentait de hauts signes d’angoisse, de tensions ou de crises observables, soit par de l’écholalie

ou par des mouvements répétitifs et stéréotypés des mains, ont été retirés. Ainsi, dans le but de

répondre aux objectifs de la recherche, parmi les données restantes, ont été choisies celles où la

participation de l’enfant est grande et où son expression verbale est représentative de ses

capacités. Parmi ce bassin de données restantes composé de six lectures interactives, le critère

pour la sélection de celles qui contribueraient à la présente thèse demeurait la possibilité de tracer

la progression de l’enfant et de créer des catégories d’analyse à partir de la littérature scientifique

et de la-dite progression. Les lectures interactives sélectionnées ont été prises à trois temps

différents pendant l’année d’intervention. Elles ont été sélectionnées pour montrer les

avancements de l’enfant et pour ainsi répondre aux objectifs de la recherche qui sont de montrer

la progression de l’enfant au regard du développement de la structure narrative et de la théorie de

l’esprit. C’est par ces exemples modèles qu’il sera également possible de décrire l’évolution de

l’intervention de l’adulte en présentant celles qui ont été les plus porteuses au regard du

développement de ces deux concepts.

Ainsi, les lectures interactives suivantes ont été sélectionnées aux fins d’analyse : la lecture

interactive du 10 novembre 2011 du récit « Les oreilles du roi 63» (Jovanovic et Béha, 2011), la

62 Pendant l’année où les interventions ont été réalisées, la mère de l’enfant résidait, la majorité du temps, dans une autre ville pour son travail. Cette situation familiale était inhabituelle pour l’enfant et les périodes de départ et d’arrivée créaient des angoisses. 63 « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011) présente l’histoire du roi Boyan qui, ayant honte de ses oreilles de chèvre, vit enfermé dans son château. Les coiffeurs viennent lui couper les cheveux à la maison pour que le secret entourant son apparence physique demeure, mais un jour son secret sera révélé.

Page 95: La lecture interactive : un contexte propice au ...

76

lecture interactive du 4 avril 2012 du récit « Raoul Taffin pirate 64» (Moncomble et Pillot, 2001)

et la lecture interactive du 6 juin 2012 du récit « Nez Rouge sur la piste de Léonard 65»

(Devernois et Pied, 1999). L’analyse logique approfondie de ces trois récits sera présentée

explicitement dans les chapitres d’analyse. L’analyse systématique des trois objets, soit les trois

récits, sera faite en fonction de leur structure causale ainsi qu’en fonction des composantes de la

théorie de l’esprit qui y sont traitées, et ce, dans le but de permettre, par la recontextualisation, la

compréhension de l’analyse par catégorisation des interventions de l’adulte et des interactions de

l’enfant.

Ces trois lectures interactives, dans le but de répondre aux objectifs de la thèse, seront observées

sous deux angles différents, soit celui de la praticienne chercheuse et celui de l’enfant participant

à l’étude de cas. Les questions de l’adulte seront analysées en fonction de la façon dont elles sont

posées ainsi qu’en fonction des composantes récurrentes du récit et celles de la théorie de l’esprit

visées. Les réponses et les interactions spontanées de l’enfant seront analysées dans le but de

documenter sa progression en ce qui a trait aux composantes récurrentes du récit ainsi qu’en ce

qui a trait aux composantes de la théorie de l’esprit. Pour ce faire, les données seront analysées de

façon inductive et par création de catégories.

3.3. Le traitement des données d’analyse

L’analyse inductive des trois séances d’intervention servira à nourrir les objectifs spécifiques

visant à détailler l’évolution de l’intervention en lecture interactive de l’adulte et la progression

de l’enfant, et ce, au regard de la compréhension de la structure narrative et de la théorie de

l’esprit en utilisant l’observation et l’analyse des résultats pour en faire ressortir des catégories

64 « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) est l’histoire d’un jeune homme et de son équipage vivant des aventures en mer alors qu’ils sont à la recherche de trésors et de vivres à rapporter chez eux à Port Boucan. 65 « Nez Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999) présente un jour de confusion où les membres de la troupe du cirque Abadaba sont en émoi puisque Léonard le rhinocéros a disparu. Taille-de-Mouche et Nez Rouge partent à sa recherche dans la ville.

Page 96: La lecture interactive : un contexte propice au ...

77

qui permettront d’en déduire un principe (Fourez, 2004), c’est-à-dire de faire ressortir les

interventions de l’adulte qui propulsent le développement chez l’enfant de ces deux concepts. La

production de catégories se fera en fonction de sept étapes distinctes qui forment un processus

inductif d’analyse de données. Les étapes sont schématisées dans la figure 6 et seont présentées

subséquemment. Il est possible de remarquer qu’elles sont représentées de façon circulaire et

reliées par des flèches à double sens. Cela a pour but d’illustrer que cette démarche d’analyse, en

constante évolution, a demandé à la praticienne chercheuse de recontextualiser les données, qui

ont été décontextualisées pendant l’analyse, dans leur contexte global de départ. Ainsi, ce

processus d’attribution de sens par création de catégories n’est pas considéré comme linéaire

puisque chaque catégorie, sujette à changements, a un caractère provisoire de sorte qu’elle a pu

être modifiée ou fusionnée en cours de processus itératif sur l’ensemble des étapes faites

progressivement sur chacun des verbatims menant à une catégorisation stabilisée (Paillé et

Mucchielli, 2012).

Figure 6 : Processus inductif de production de catégories

1

2

3

5

6

4

Repéragethématique

Délimitationdecequiestaccordéà

l’enfant

Descriptiondesinteractionsetcréationdecatégories

Miseenreliefdescatégoriespardistanciationdu

discours

Miseenverbatim

7Miseenreliefdespoints

culminantsdecomplexification

Grilled’unitésdesens

Page 97: La lecture interactive : un contexte propice au ...

78

La création de ce processus de catégorisation est personnelle et a été produite grâce à la créativité

de la patricienne chercheuse qui s’appuie sur ses expériences personnelles et sur le cadre

théorique qu’elle a construit pour créer les catégories (Paillé et Mucchielli, 2012).

L’opérationnalisation de ces étapes, créées dans une logique inductive et par débats sur les

désaccords entre les deux juges, la délimitation et l’explication des critères qui ont mené aux

accords, peut être difficile à reproduire pour un autre chercheur pour qui les objectifs de

recherche n’amèneraient pas un même traitement du discours. Cependant, elle est jugée valide

théoriquement puisqu’elle est située dans un contexte théorique et est intelligible

scientifiquement dans la mesure où son sens et les opérations inhérentes sont explicitement

partagés (Paillé et Mucchielli, 2012). Dans le but de réduire l’impact du caractère personnel de ce

processus et de valider les catégories, la praticienne chercheuse a eu recours à un second juge dès

la production de schémas de la structure narrative du récit qui précède l’étape 3 marquant la

délimitation des unités de sens. La présence du second juge, en plus du temps écoulé entre la

prise de données et l’analyse de celles-ci, ont permis la prise de distance par rapport aux données.

3.3.1. Première étape d’analyse : la mise en verbatim

La première étape d’analyse est celle de la mise en verbatim des séances de lectures interactives

qui vise la transcription et la préparation des données (Blais et Martineau, 2006; Miles et

Huberman, 2003; Paillé et Mucchielli, 2012; Savoie-Zajc, 2000), et ce, dans le but d’assurer leur

stabilité (Gagnon, 2012). Ainsi, par la transcription des interactions et des phénomènes perçus

(Paillé et Mucchielli, 2012), la praticienne chercheuse facilite le partage et la consultation des

données et s’assure que le second juge et elle travailleront sur les mêmes données d’intervention

en réduisant les possibilités d’interprétations.

Cette étape de transcription fait partie prenante de l’analyse puisque la praticienne chercheuse,

lors de la transcription, fait des choix, notamment en ne transcrivant pas les moments où le

comportement de l’enfant est inacceptable, et, par la mise en verbatim, transforme les données

brutes que sont les vidéoscopies d’intervention en données de recherche. Cette mise à distance

Page 98: La lecture interactive : un contexte propice au ...

79

progressive des données brutes permet le début de l’analyse formelle par théorisation ancrée. En

effet, la praticienne chercheuse va au-delà de la simple transcription puisqu’une interprétation

intuitive des données y est déjà réalisée (Van der Maren, 2003) dans le sens où est transcrit

strictement ce qui est jugé pertinent en fonction des objectifs de recherche. Ainsi, seules les

interactions à propos du livre ou d’un sujet connexe sont transcrites. Cela fait référence à ce que

Lejeune (2014) appelle, dans un processus de création de catégories par théorisation ancrée, le

codage ouvert où des premiers liens avec la théorie sont faits en cours de transcription. De plus,

la transcription sous forme de verbatim ajoute à la scientificité de l’analyse en mettant une

distance entre l’objet de recherche et les sentiments vécus par la praticienne chercheuse, et ce,

dans le but qu’elle ne soit pas influencée émotivement lors de l’analyse de sa pratique66 (Poisson,

1991). Cette distance est créée, d’une part, par le temps passé entre l’intervention, la transcription

et l’analyse puis, d’autre part, la distance est créée par le fait qu’il n’est plus nécessaire, grâce aux

transcriptions, que la praticienne chercheuse se regarde intervenir sur vidéo.

3.3.2. Deuxième étape d’analyse : le repérage thématique

La deuxième étape d’analyse est celle du repérage thématique. Directement sur le verbatim, des

séquences ont été retirées, et ce, par souci d’éthique professionnelle et dans le but de ne pas

porter préjudice à l’enfant (Poisson, 1991). Les parties retirées sont celles où l’enfant a un

comportement ou tient des propos inacceptables ou encore si elle discute de choses qui ne sont

pas en lien avec la lecture67. Ces séquences sont identifiées et la raison justifiant ces retraits est

explicitement identifiée à même les transcriptions. Cette deuxième transformation permet de

conserver seulement les interactions, tant celles de la praticienne chercheuse que celles de

l’enfant, qui traitent du livre sélectionné et qui serviront les objectifs de la recherche.

66 Cet effet se nomme « L’effet miroir » puisque la praticienne est confrontée à sa propre pratique, ce qui peut influencer son jugement (Van der Maren, 2003). La présence d’un second juge lors de l’analyse sert aussi à amoindrir l’impact que pourrait avoir cet effet. 67 Il est à noter que l’enfant ayant un trouble du spectre autistique a tendance à se retirer lorsque les stimulations exogènes sont inassimilables (Lemay, 2004). Ainsi, l’enfant peut avoir des comportements jugés inacceptables socialement lorsqu’une situation est trop complexe ou déstabilisante pour elle et c’est pourquoi, en plus du fait qu’elles ne servent pas l’analyse, ces séquences ont été coupées de la transcription sous forme de verbatim.

Page 99: La lecture interactive : un contexte propice au ...

80

Parallèlement à cette étape, la praticienne chercheuse a produit le schéma de structuration des

trois récits sélectionnés. Ces schémas, produits à partir du modèle de Makdissi et Boisclair

(2008), servent à identifier les composantes récurrentes de chaque récit ainsi que les liens

causaux les unissant. De plus, les récits ont été intégralement transcrits et les marques de la

théorie de l’esprit, c’est-à-dire les états internes attribués aux personnages (Veneziano, 2010;

Veneziano et Hudelot, 2006), ont été identifiées à même les transcriptions68. Par la suite, ces états

internes ont été intégrés au schéma de la structuration de chaque récit69. Cela servira

ultérieurement de guide à la fois pour la délimitation des unités de sens et pour l’analyse des

questions posées et des interactions. Les schémas ont été révisés avec un deuxième juge, avec qui

les moments de désaccord ont été discutés et argumentés jusqu’à l’accord entre les deux parties,

et ce, dans le but d’assurer la fiabilité interne des données (Gagnon, 2012) ainsi que de fournir un

cadre solide, appuyé sur la théorie, pour opérationnaliser les étapes d’analyse ultérieures.

3.3.3. Troisième étape d’analyse : la délimitation des unités de sens

La troisième étape d’analyse est la délimitation des unités de sens par une lecture attentive et

approfondie des données transcrites sous forme de verbatim (Blais et Martineau, 2006) dans le

but, grâce aux premières codifications et au repérage thématique, d’en dégager le sens (Blais et

Martineau, 2006; Paillé et Mucchielli, 2012; Savoie-Zajc, 2000). Une unité de sens est un

segment de verbatim où la praticienne chercheuse et l’enfant discutent autour d’une même

composante récurrente du récit, voire même de plusieurs composantes récurrentes liées

causalement ensemble. En ce sens, les schémas de structuration des trois récits ont permis

68 Pour ce faire, on peut faire référence à quatre différents types, présentés ici selon leur séquence développementale d’apparition: les sensations physiques et les perceptions, les états internes de type émotionnel, les états internes de type intentionnel qui portent sur la présence ou l’absence d’intention ainsi que les états internes de type épistémiques, c’est-à-dire la connaissance ou non-connaissance d’un personnage ou celle d’un personnage à propos d’un autre (Veneziano, 2010; Veneziano et Hudelot, 2006). 69 Par souci de cohérence, les schémas de la structuration des récits présentant les composantes récurrentes et les états internes liés à la théorie de l’esprit sont présentés dans les chapitres d’analyse. En effet, cela permet de recontextualiser plus facilement les interactions entre la praticienne chercheuse et l’enfant dans chaque récit. Ces schémas de structuration du discours narratif des récits auxquels ont été ajoutées les composantes de la théorie de l’esprit constituent une démarche d’analyse de l’objet livre tout à fait originale pouvant servir tant à l’enseignant qui intervient qu’à d’autres chercheurs s’intéressant au même domaine de recherche.

Page 100: La lecture interactive : un contexte propice au ...

81

d’orienter les deux juges dans la délimitation des unités de sens. En effet, dans une unité, les

questions posées portent sur le même objet d’interprétation dans le récit, sur la même composante

ou sur le même nœud causal en unissant plusieurs. Ainsi, il est possible de cibler la question

cœur, la question posée par l’adulte la plus hiérarchiquement supérieure face à la composante

récurrente visée dans l’unité de sens. Par exemple, à la ligne 125 du verbatim de la lecture

interactive de « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999), on remarque que

les questions suivantes, qui traitent du même sujet, ont été regroupées formant ainsi une unité de

sens :

1. A. Qu’est-ce qu’i’ font pour le retrouver? Qu’est-ce qu’i’ vont faire pour le retrouver Léonard?

2. E. (Silence.) 3. A. Qu’est-ce que Taille-de-Mouche et Nez-Rouge ils vont faire pour

retrouver Léonard? 4. E. I’ va l’accompagner. 5. A. I’ va l’accompagner. I’ va accompagner qui? 6. E. Léonard. 7. A. I’ va l’accompagner. Où ça? 8. E. Dans… dans le chemin.

On remarque, à la ligne 1, que l’adulte demande à l’enfant « Qu’est-ce qu’i’ vont faire pour le

retrouver Léonard? » ce qui constitue la question cœur de l’unité de sens visant l’anticipation de

la prochaine tentative d’action du récit, une composante essentielle de la structure schématique.

C’est en cela que les analyses causales des récits permettent d’opérationnaliser les unités de sens.

Ici, cependant, l’enfant ne répond pas à la question, l’adulte décline ainsi une série de sous-

questions au service de la question cœur.

Dans cette étape, la praticienne chercheuse et la deuxième juge noteront les moments d’accord,

les moments de désaccord ainsi que les critères les menant à l’accord de l’établissement des

unités de sens et des questions cœur. Lors des moments de désaccord, il y a eu discussion jusqu’à

entente. Ces discussions et les critères retenus établissant l’entente ont permis de clarifier des

éléments du schéma du récit à l’étape précédente et la délimitation des unités de sens. On voit ici

comment le processus méthodologique est effectivement itératif tel que mentionné

Page 101: La lecture interactive : un contexte propice au ...

82

précédemment. Ce processus itératif entre les étapes 2 et 3 a été effectué jusqu’à saturation, c’est-

à-dire jusqu’à l’obtention d’un accord parfait lors du découpage des verbatims. Le terme

saturation est utilisé ici dans une perspective constructiviste dans le sens où les critères d’accord

et de désaccord produits sont intimement liés au contexte à l’intérieur duquel l’intervention a été

produite et aux participants (Mucchielli, 2011).

Parallèlement à la délimitation des unités de sens et à l’identification des questions cœur, les

données subissent ainsi une première codification, c’est-à-dire que la praticienne chercheuse

inscrit en marge les phénomènes observés et les points charnières sur lesquels s’attarder, ce qui

équivaut à une première recherche de sens (Mucchielli, 2009) ou à une micro-analyse par laquelle

des annotations descriptives sont apposées en marge du verbatim (Lejeune, 2014). Par exemple,

la chercheuse a identifié certaines composantes du récit ou composantes de la théorie de l’esprit

qui étaient visées dans les unités de sens par les questionnements ou les interactions entre l’adulte

et l’enfant. On remarque que ces premières codifications sont liées, dans un principe de

théorisation ancrée, aux concepts clés du cadre théorique sélectionné par la praticienne

chercheuse (Paillé et Mucchielli, 2012) ainsi qu’en fonction de l’analyse logique du livre faite

lors de la création des schémas de la structuration des récits.

3.3.4. Quatrième étape d’analyse : délimitation de ce qui est accordé à l’enfant

Dans la quatrième étape, la praticienne chercheuse a identifié quelles composantes récurrentes du

récit étaient visées par la question cœur. Ensuite, si cela s’appliquait, les états internes visés par

les questions cœur ont été identifiés. Puisque le processus est itératif, tout au long de cette partie

d’analyse la praticienne chercheuse est revenue à plusieurs reprises sur les unités de sens de

chaque lecture pour y ajouter des précisions. À la suite de maintes lectures des verbatims, les

énoncés coconstruits par l’adulte et l’enfant sont extraits des unités de sens dans le but de faire

ressortir l’interprétation que l’enfant fait du récit. À partir de ces dialogues, les constructions

accordées à l’enfant sont extraites dans le but de produire un encadré permettant la constitution

du schéma du récit de l’enfant. Dans le but de circonscrire les énoncés accordés à l’enfant, une

Page 102: La lecture interactive : un contexte propice au ...

83

procédure a été mise sur pied. Lorsque l’enfant répond à la question de l’adulte, on accorde la

phrase énoncée (question et réponse) à l’enfant. Par contre, si l’enfant répond simplement par oui

ou par non à la question de l’adulte, la phrase énoncée est accordée à l’adulte. Les questions

posées par l’enfant sont préservées comme des interactions spontanées puisque celles-ci nous

indiquent les préoccupations structurales de l’enfant. Dans le cas d’une question de l’enfant

qu’elle prolonge en réponse, la question et la réponse sont conservées. Cela permet de faire une

analyse logique de ce qui est accordé à l’enfant et de produire les schémas de la compréhension

des récits de l’enfant. Pour ce faire, la praticienne chercheuse a pris les schémas des récits en

format papier et, en lisant à maintes reprises les énonciations accordées à l’enfant, y a inscrit ce

que l’enfant nommait avec ou sans l’aide de la praticienne chercheuse. La praticienne chercheuse

a produit les schémas de récit de l’enfant, tel que rapporté en cours de lecture interactive par

celle-ci, et ce, en incluant les marques de la théorie de l’esprit qu’elle a fait ressortir. Les schémas

ont ensuite été produits en format numérique70. Encore une fois, ces étapes ont été refaites avec le

deuxième juge. Les moments d’accord et de désaccord ont été discutés jusqu’à l’obtention d’un

consensus.

3.3.5. Cinquième étape d’analyse : la description des interactions et création de catégories

La cinquième étape d’analyse vise la description de l’activité de l’enfant et de l’activité de

l’adulte en fonction des interactions et des dialogues. Cette dichotomie dans l’analyse permet de

nourrir les objectifs spécifiques de la thèse en décrivant ce que l’enfant fait au regard de la

structuration du récit (objectif spécifique 1.a.) ainsi que de la théorie de l’esprit (objectif

spécifique 2.a.) et ce que l’adulte fait au regard de la structuration du récit (objectif

spécifique 1.b.) ainsi que de la théorie de l’esprit (objectif spécifique 2.b.). Il est à noter qu’une

fois toutes les interactions analysées pour chaque récit, la praticienne chercheuse est revenue sur

chacun d’eux pour définir de façon plus claire les catégories et les baliser. Dans ce processus

itératif, les analyses d’interventions ont été uniformisées et la praticienne chercheuse, secondée

70 Dans le but de contextualiser les analyses descriptives présentées dans les prochains chapitres et d’assurer la cohérence entre les éléments d’analyse, les schémas de récits présentant la compréhension de l’enfant seront présentés dans les chapitres suivants.

Page 103: La lecture interactive : un contexte propice au ...

84

par le deuxième juge, a produit des critères permettant d’expliquer chaque catégorie. Cette étape,

dans un processus de création de catégories par théorisation ancrée, correspond au codage axial,

soit l’articulation des propriétés théoriques et la vérification des articulations (Lejeune, 2014).

Les données, ainsi segmentées en unités de sens, déplacées et regroupées, non pas en fonction de

leur contexte initial et de leur chronologie dans le déroulement de la discussion, mais en fonction

de l’action de l’enfant et celle de l’adulte, sont considérées comme décontextualisées (Savoie-

Zajc, 2000). C’est ainsi regroupées, que les données seront analysées.

3.3.5.1. Description de l’activité de l’enfant et création de catégories

Dans un premier temps, les unités de sens précédemment identifiées ont été catégorisées en

fonction de ce que l’enfant fait. Ainsi, la praticienne chercheuse a identifié les unités de sens où

l’enfant ne répond pas aux questions et celles où elle répond puis a défini les critères pour chaque

catégorie. Il est à noter que, dès la transcription sous forme de verbatim, pendant le codage

ouvert, la praticienne chercheuse avait commencé à faire ressortir les types d’activités de l’enfant.

Puis, chacune de ces unités de sens est analysée sous l’angle du discours partagé entre l’adulte et

l’enfant.

Comme documenté par Paillé et Mucchielli (2012), les descriptions sont davantage reliées au

cadre théorique de la chercheuse, puisque la chercheuse l’utilise pour en faire une « lecture

théorisante ». Ainsi, à partir du cadre théorique construit, elle identifiera, pour chaque unité de

sens, quelles composantes récurrentes du récit (Makdissi et Boisclair, 2008 ; Stein, 1988) et quels

états internes des personnages, soit les composantes de la théorie de l’esprit, elle cible

(Veneziano, 2010 ; Veneziano et Hudelot, 2006). Ainsi, les regroupements de sens se feront en

fonction des objectifs spécifiques de la thèse (Blais et Martineau, 2006). Par la suite, la

praticienne chercheuse s’est questionnée en ce qui a trait aux relations causales établies dans

Page 104: La lecture interactive : un contexte propice au ...

85

chaque unité de sens à savoir si ces dernières visaient une seule composante récurrente ou si des

liens entre des composantes récurrentes étaient construits dans l’interaction. Pour documenter

cette partie d’analyse, elle a utilisé les critères établis par Makdissi et Boisclair (2008) dans le but

de les organiser. Ainsi, les unités de sens ne présentant pas de relations causales, celles présentant

des relations causales intracomposantes, celles présentant des relations causales intercomposantes

et celles présentant des relations causales transcomposantes ont été identifiées71.

L’analyse a permis de délimiter des catégories en fonction des critères d’accord et de désaccord

qui ont mené à l’entente entre la praticienne chercheuse et le deuxième juge (Savoie-Zajc, 2000).

Une mise en relief d’éléments prototypiques de chaque catégorie est présentée plus bas, et ce, en

fonction de chaque objet de développement (Blais et Martineau, 2006). Une fois que la catégorie

est solide, ou stabilisée par le processus itératif d’analyse, et qu’il y a plusieurs exemples

l’appuyant, la praticienne chercheuse a dû la définir, spécifier ses propriétés et identifier les

conditions de son existence (Mucchielli, 2009; Paillé et Mucchielli, 2012). Cette étape de

définition ou de cristallisation (Lejeune, 2014) des catégories permet la recontextualisation du

matériel en fonction du sens (Savoie-Zajc, 2000) et, dans un processus de création de catégories

par théorisation ancrée, cela correspond au codage sélectif, soit l’intégration des relations entre

les éléments et l’élimination de certains autres (Lejeune, 2014). Ainsi, une grande part du travail

d’analyse par catégorisation est de faire ressortir le sens des données en mettant en relation des

évènements et des contextes (Paillé et Mucchielli, 2012).

71 Selon Makdissi et Boisclair (2008), les relations causales intracomposantes signifient qu’elles sont faites à l’intérieur même d’une composante récurrente du récit dans le but de la construire, ce qui inclut le lien causal unissant la problématique et l’émotion négative ainsi que le lien causal unissant la solution et l’émotion positive. Les relations causales intercomposantes sont faites entre deux composantes récurrentes du récit dans le but de les lier causalement entre elles. Cela sert à tisser la trame narrative du récit. Les relations causales transcomposantes nécessitent la combinaison de plusieurs relations causales intracomposantes et intercomposantes.

Page 105: La lecture interactive : un contexte propice au ...

86

Les questions où l’enfant répond

Toutes les unités de sens où l’enfant répond à la question ont été regroupées, et ce, que la réponse

soit juste ou non. La réponse de l’enfant doit être en lien avec le récit lu. Si l’enfant fait un bruit

ou une mimique, par exemple un visage fâché, cela doit être en lien avec le récit lu. Par exemple,

dans la lecture interactive du récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001), on

remarque qu’à la ligne 4 l’enfant répond en utilisant des bruits de bateau. L’adulte considère cela

comme une réponse :

1. A. Ils s’en vont où? 2. E. Dans le bateau. 3. A. Oui! Pour faire quoi? Qu’est-ce qu’i’ veulent. 4. E. (Bruit de moteur.) 5. A. Conduire leur bateau! Pour aller chercher quoi? 6. E. Les pièces en or. 7. A. Les pièces en or! Oui! 8. E. Oui. 9. A Un trésor avec des pièces en or.

Les questions auxquelles l’enfant ne répond pas

Dans la même logique, toutes les unités de sens où l’enfant n’a pas répondu à la question cœur

ont été regroupées. Au sein de ce regroupement, on retrouve les unités de sens où l’enfant est

demeurée silencieuse, celles où elle répond en faisant des bruits qui sont sans lien avec le récit

ainsi que celles où elle répond en parlant d’éléments extérieurs à la lecture en cours qui occupent

son esprit. Par exemple, pendant la lecture de « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011) on

remarque, à la ligne 4 de l’extrait du verbatim, que l’enfant parle, mais l’élément discuté est sans

lien avec le récit :

1. A. Pourquoi il les garde prisonniers dans son château? 2. E. (Silence.) 3. A. Tous les petits coiffeurs ils sont venus dans son château. I’ ont coupé

ses cheveux p’is i’ ont vu ses… 4. E. … DVD. 5. A. Oui. I’ ont vu ses? 6. E. (Silence.)

Page 106: La lecture interactive : un contexte propice au ...

87

Les interactions spontanées

Finalement, un dernier regroupement permettant de décrire ce que fait l’enfant réunit les unités de

sens où l’enfant initie la discussion. En effet, il a été remarqué que l’enfant, en plus de répondre

ou non aux questions, initie des interactions spontanées en cours de lecture. Les interactions

spontanées de l’enfant ne sont pas considérées comme le fruit du hasard, mais bien comme la

manifestation de la compréhension du récit par l’enfant, la construction mentale qu’il se fait de

l’organisation des composantes récurrentes (Makdissi, 2004) et de la théorie de l’esprit. Ainsi,

cette catégorie regroupe les interactions en lien avec le récit que l’enfant fait lorsqu’elle coupe la

lecture de la praticienne chercheuse ou la discussion pour attirer l’attention sur l’illustration ou en

lui posant une question. Les questions posées peuvent être des reprises, mais elles sont faites par

imitation différée, c’est-à-dire que l’enfant, contrairement à une « reprise immédiate de l’adulte »

ne l’imite pas immédiatement après qu’elle ait posé la question. Selon Dudley et Delage (1980),

on considère qu’il s’agit d’une énonciation de l’enfant si l’imitation a eu lieu après cinq tours de

parole. Cela prouve que l’enfant a intériorisé les interventions et qu’elle est capable de les

évoquer de façon appropriée lorsqu’il est dans un contexte semblable (Legendre-Bergeron et

Laveault, 1980). Par exemple, à la ligne 2 de l’extrait du verbatim de la lecture interactive du

récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999), on remarque que l’enfant

interpelle l’adulte pour lui poser une question :

1. A. Balourd, Finesse, Mandibule. Ça c’est Lili l’écuyère. 2. E. Qu’est-ce qu’a’ fait Lili l’écuyère? 3. A. Lili l’écuyère : « Venez au grand cirque Abadaba! »

La question « qu’est-ce qu’elle fait? » en est une récurrente dans les interventions proposées par

l’adulte, et ce, non seulement dans le récit en cours, mais à travers l’ensemble des récits lus

depuis le début de l’année d’intervention.

Page 107: La lecture interactive : un contexte propice au ...

88

3.3.4.2. Description de l’activité de l’adulte

La chercheuse a ensuite entrepris de décrire ce que l’adulte fait. Pour ce faire, elle a regardé

chaque unité de sens préalablement déterminée à l’étape 3 dans le but d’identifier quel type de

questions cœurs ont été posées.

3.3.4.2.1. Les types de questions

La praticienne chercheuse a refait une lecture approfondie de chaque unité de sens dans le but de

dégager quels sont les types de questions cœurs posées par l’adulte. Deux grandes catégories de

questions sont ressorties, c’est-à-dire les questions fermées et les questions ouvertes. Les

questions fermées induisent le contenu tandis que les questions ouvertes font appel à l’évocation

et n’induisent pas les réponses, mais plutôt un travail de raisonnement causal et d’explicitation

(Vermersch, 2004). Au fil des lectures, des sous-catégories sont apparues. La praticienne

chercheuse s’est questionnée à savoir de quels types de questions il s’agissait. Pour arriver à

quatre sous-catégories, elle a identifié au départ six sous-catégories72. Ce processus d’attribution

de sens crée des catégories provisoires qui, grâce au processus d’analyse itératif et aux

nombreuses lectures des données, a fait en sorte que certaines catégories ont été modifiées et

fusionnées (Paillé et Mucchielli, 2012). De plus, l’apport du deuxième juge a permis de préciser

et d’opérationnaliser chaque sous-catégorie notamment lors des moments de discussion.

Ainsi, les questions fermées regroupent deux types de questions, soit les questions fermées de

type oui/non et les questions fermées de type rétrospectives et les questions ouvertes regroupent

deux types de questions, soit les questions ouvertes rétrospectives et les questions ouvertes

prospectives.

72 Les six sous-catégories de départ étaient les questions fernées de type oui/non, les questions fermées rétrospectives, les reprises immédiates de l’adulte, les reprises immédiates du livre, les questions ouvertes rétrospectives et les questions ouvertes prospectives.

Page 108: La lecture interactive : un contexte propice au ...

89

Les questions fermées de type oui/non

Les questions fermées de type oui/non sont des questions dont la formulation invite à répondre

par oui ou par non. Ainsi, l’enfant n’a qu’à signifier son accord ou son désaccord avec l’énoncé.

Cela ne nécessite pas que l’enfant explique sa réponse ni qu’il la justifie. Par exemple, dans le

récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011), l’adulte demande à l’enfant « Est-ce que le

roi sort de sa maison pour aller chez le coiffeur? ». Cette question cœur, ainsi formulée, exige une

réponse par oui ou par non ainsi qu’aucune justification.

Les questions fermées rétrospectives

Les questions fermées rétrospectives, pour leur part, sont les questions cœur où l’adulte pose une

question à l’enfant dont la réponse a été entendue précédemment dans le livre. Par exemple,

pendant la lecture de « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001), l’adulte demande à

l’enfant : « Qui est-ce qui est grognon? ». Cette question est rétrospective dans le sens où la

réponse attendue provient du livre et que cela a été nommé explicitement précédemment. Cette

question est aussi fermée, car elle n’exige pas l’élaboration d’une idée ou d’une explication.

Ainsi, souvent, les réponses engendrées génèrent une réponse brève n’obligeant pas la

construction d’une phrase.

Les questions ouvertes rétrospectives

En ce qui a trait aux questions ouvertes rétrospectives, il a été remarqué que certaines questions

demandent à l’enfant de s’expliquer en utilisant ce qui a été lu précédemment et en reliant

causalement les composantes du récit ou certains éléments à l’intérieur d’une même composante.

Par exemple, lorsque l’adulte demande à l’enfant, dans le but de faire énoncer le but des

personnages, « Qu’est-ce qu’ils cherchent? » ou « Qu’est-ce qu’ils veulent? ». Ces questions

demandent à l’enfant de s’exprimer sur le but du récit qui n’est pas toujours nommé

explicitement et, pour ce faire, exigent d’interpréter ce qui a été lu précédemment. Dans la lecture

Page 109: La lecture interactive : un contexte propice au ...

90

interactive de « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999), l’adulte demande

à l’enfant : « Pourquoi la dame est affolée? ». Cette question ouverte demande à l’enfant de faire

des liens entre les énoncés lus précédemment pour, dans ce cas, expliquer la cause de l’émotion

de la dame.

Les questions ouvertes prospectives

En ce qui a trait aux questions ouvertes prospectives, l’adulte pose à l’enfant des questions sur la

suite du récit. Ces questions stimulent la capacité d’évocation de l’enfant et la mise en lien des

éléments lus et discutés précédemment pour pouvoir prédire, en fonction de ses propres

connaissances sur le récit et sur le monde, la suite de l’histoire. Il est à noter que même si l’enfant

a fait plus d’une lecture du même récit, ces questions sont considérées comme ouvertes puisque

la compréhension que l’enfant a du récit n’est pas la même à chaque lecture. Par exemple, dans le

récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001), l’adulte pose à l’enfant la question

cœur suivante : « Qu’est-ce qu’on peut faire un coup qu’on a réussi notre mission? ». C’est une

ouverte prospective puisqu’elle demande à l’enfant de faire une prédiction sur la suite du récit et

elle sollicite sa capacité d’évocation ainsi que ses connaissances sur le monde.

3.3.6. Sixième étape d’analyse : mise en relief des catégories par distanciation du discours

La sixième étape d’analyse vise le regroupement des descriptions qui vont ensemble (Blais et

Martineau, 2006; Savoie-Zajc, 2000) et la mise en relief des catégories par une prise de distance

du discours. Ainsi, par des choix analytiques (Miles et Huberman, 2003), certains aspects

singuliers des données ayant été soulevés dans l’analyse qualitative du discours à l’étape

précédente, comme par exemple la lecture par l’enfant d’une phrase du livre, seront mis de côté

au profit de l’aspect commun et récurrent qui permet de mettre en valeur un regroupement. Ce

processus mène à la mise en relief des catégories sans l’appui de la description exhaustive du

discours.

Page 110: La lecture interactive : un contexte propice au ...

91

Dans cette optique, cette opération amène une réduction importante des données toutefois au

service des objectifs de la recherche. Pour chacune des lectures, la praticienne chercheuse a fait

un tableau permettant l’analyse où les unités de sens étaient séparées en fonction de l’action de

l’enfant73, en préservant strictement la question cœur de la discussion encourue dans chaque unité

de sens. Ainsi, dans chacun des trois chapitres d’analyse et pour chacun des regroupements, un

tableau suit les analyses exhaustives des extraits en catégorisant les actions de l’enfant et de

l’adulte, et ce, strictement par un rappel de chacune des questions cœur représentant chacune des

unités de sens.

3.3.7. Septième étape d’analyse : mise en relief des points culminants de complexification

La septième étape poursuit la distanciation progressive des données brutes qui s’est amorcée

depuis la mise en verbatim et permet une dernière réduction des données au service de l’objectif

visant à tracer la progression développementale de l’enfant (objectifs spécifiques 1.1., 2.1. et 3.1.)

et l’évolution des interventions par l’adulte (objectifs spécifiques 1.2., 2.2. et 3.2.). La

distanciation progressive des données a permis de les rassembler en fonction de ce que l’enfant

fait et en fonction de ce que l’adulte fait, et ce, à travers trois catégories, c’est-à-dire les questions

cœur auxquelles l’enfant répond, celles auxquelles l’enfant ne répond pas et les interactions

spontanées de l’enfant. Pour l’analyse des unités de sens regroupées sous ces catégories, l’adulte

les a organisées à l’intérieur de tableaux en fonction de l’objet d’analyse (type de questions

posées, composantes récurrentes visées, relations causales établies et états internes énoncés).

Ainsi, les données perdent encore de leur singularité, car non seulement la discussion n’y est

plus, mais encore la question cœur est également retirée au profit de la mise en relief d’un profil

ponctuel représentatif de ce que l’enfant parvient à faire conjointement avec l’adulte à un

moment précis de l’année d’intervention. En présentant ainsi ce que l’enfant fait et ce que

l’adulte fait, les données perdent de leur singularité et cela permet de typer génériquement ce qui

se passe dans chacune des lectures. Pour chaque chapitre d’analyse, ces tableaux seront présentés

73 En premier lieu, les questions cœur auxquelles l’enfant répondait, en deuxième lieu, les questions cœur auxquelles l’enfant ne répondait pas incluant les questions évitées ainsi que les reprises immédiates de l’adulte et, finalement, les interactions spontanées de l’enfant.

Page 111: La lecture interactive : un contexte propice au ...

92

comme une synthèse de l’analyse exhaustive qui précède. Ceci permet de préparer la

combinaison de ces tableaux récapitulatifs au moment de la discussion qui mettra ainsi en relief

les points culminant de complexification. Les illustrations présentées ici-bas exposent les

tableaux insérés dans chaque synthèse.

Types de questions

Pour la catégorie des questions auxquelles l’enfant répond et celles auxquelles l’enfant ne répond

pas, les unités de sens ont été présentées dans un tableau résumant le type de questions posées par

l’adulte. Il s’agit ici d’une réduction par dichotomie où on présente, en plus du type de questions

posées, si l’enfant parvient (oui) ou ne parvient pas (non) à répondre adéquatement aux questions,

c’est-à-dire si sa réponse est juste en fonction du récit lu. L’illustration 1 présente le tableau dans

lequel, pour chacune des trois lectures interactives, les unités de sens seront compilées.

Illustration 1 : Tableau présentant les types de questions

Composantes récurrentes visées

Pour les catégories de questions auxquelles l’enfant répond, celles auxquelles l’enfant ne répond

pas ainsi que les interactions spontanées, les unités de sens ont été regroupées dans un tableau

présentant les composantes récurrentes visées pour chacune. Il y a donc une réduction en fonction

Questions cœur Types de questions Q. fermées oui/non Q. fermées

rétrospectives Q. ouvertes

rétrospectives Q. ouvertes prospectives

Questions auxquelles l’enfant répond adéquatement

Questions posées par l’adulte

Questions cœur Types de questions Q. fermées oui/non Q. fermées

rétrospectives Q. ouvertes

rétrospectives Q. ouvertes prospectives

Unités de sens S. I. Prob. É.- But T. A. S. – Prob

S.- É-

S. – But

S.- Sol.

Sol. É. +

S. F.

Questions cœur auxquelles l’enfant

répond

Questions auxquelles l’enfant ne répond

pas

Interactions spontanées

Total X : Total (X) :

Total :

Unités de sens S. I. Prob. É.- But T. A. S. – Prob

S.- É-

S. – But

S.- Sol.

Sol. É. +

S. F.

Total X : Total (X) :

Total :

Page 112: La lecture interactive : un contexte propice au ...

93

du nombre d’éléments constituant logiquement l’objet, c’est-à-dire les composantes récurrentes

du récit que l’enfant et que l’adulte visent en cours de discussion. L’illustration 2 présente le

tableau dans lequel la fréquence des unités de sens sera présentée. À l’intérieur du tableau, on

retrouve la situation initiale (S. I.), la problématique (Prob.), l’émotion négative (É.-), le but

(But), les tentatives d’actions (T. A.), le sous-problème (S.-Prob.), l’émotion négative liée au

sous-problème (S.-É-), le sous-but (S.-But), la solution au sous-problème (S.-Sol.), la solution au

problème principal (Sol.), l’émotion positive (É. +) et la situation finale (S. F.). Ces composantes

récurrentes du récit ont été exposés antérieurement dans le cadre théorique de la thèse. Au sein du

même tableau, ce que l’enfant fait sera représenté par un X et ce que l’adulte fait est représenté

par un (X), et ce, pour chacune des trois catégories. Il sera ainsi possible de documenter, à un

temps précis de l’intervention, ce que fait l’enfant, ce que fait l’adulte et, par le fait même,

discuter proportionnellement de l’apport de chacun en cours de discussion.

Illustration 2 : Tableau présentant les composantes récurrentes visées

Relations causales établies

Pour les questions auxquelles l’enfant répond ainsi que les interactions spontanées de l’enfant, les

unités de sens seront présentées en fonction de la présence ou non de relations causales ainsi que

le type de relations causales établies. L’illustration 3 dévoile le tableau dans lequel la fréquence

Questions cœur Types de questions Q. fermées oui/non Q. fermées

rétrospectives Q. ouvertes

rétrospectives Q. ouvertes prospectives

Questions auxquelles l’enfant répond adéquatement

Questions posées par l’adulte

Questions cœur Types de questions Q. fermées oui/non Q. fermées

rétrospectives Q. ouvertes

rétrospectives Q. ouvertes prospectives

Unités de sens S. I. Prob. É.- But T. A. S. – Prob

S.- É-

S. – But

S.- Sol.

Sol. É. +

S. F.

Questions cœur auxquelles l’enfant

répond

Questions auxquelles l’enfant ne répond

pas

Interactions spontanées

Total X : Total (X) :

Total :

Unités de sens S. I. Prob. É.- But T. A. S. – Prob

S.- É-

S. – But

S.- Sol.

Sol. É. +

S. F.

Total X : Total (X) :

Total :

Page 113: La lecture interactive : un contexte propice au ...

94

des unités de sens sera présentée. Il s’agit également d’une réduction en fonction du nombre

d’éléments constituant logiquement l’objet, c’est-à-dire les relations causales établies. Cela

permettra, par l’utilisation du X et du (X), de regrouper les constructions faites respectivement

par l’enfant et par l’adulte et de discuter de l’apport de chacune en cours de discussion, et ce,

pour les trois temps d’analyse.

Illustration 3 : Tableau présentant les relations causales établies

États internes énoncés (théorie de l’esprit)

Pour les questions cœur auxquelles l’enfant répond, pour celles auxquelles l’enfant ne répond pas

ainsi que pour les interactions spontanées de l’enfant, la fréquence des unités de sens a été

analysée en fonction des états internes énoncés par l’enfant. Les données d’analyse sont

regroupées dans un tableau s’apparentant à celui présenté dans l’illustration 4. Cette distanciation

sous forme de tableau permet la réduction des données en fonction du nombre d’éléments

constituant logiquement l’objet et permet de décrire ce que fait l’enfant en utilisant le X et ce que

fait l’adulte en utilisant le (X). Cette dichotomie permet également de discuter de l’apport de

chacune lors de la discussion autour du récit en ce qui concerne la théorie de l’esprit.

Unités de sens Absence de relation causale

Présence de relations causales Intracomposantes Intercomposantes Transcomposantes

Questions cœur auxquelles l’enfant répond

Interactions spontanées

Total : Total X : Total (X) :

Unités de sens Absence de relation causale Présence de relations causales Intracomposantes Intercomposantes Transcomposantes

Total : Total X : Total (X) :

Unités de sens État physique État interne de type émotionnel

État interne de type intentionnel

État interne de type épistémique

Questions cœur auxquelles l’enfant répond

Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas

Interactions spontanées

Total X : Total (X) :

Total :

Unités de sens État physique État interne de type émotionnel

État interne de type intentionnel

État interne de type épistémique

Total X : Total (X) :

Total :

Page 114: La lecture interactive : un contexte propice au ...

95

Illustration 4 : Tableau présentant les états internes énoncés

Cette septième étape vise à dégager les points culminants de complexification, d’une part, du

discours narratif de l’enfant et, d’autre part, de l’intervention de l’adulte. Cette étape permet de

tracer la progression de ce que font l’enfant et l’adulte en cours de discussion autour de chacun

des récits. Elle est préparée de proche en proche pour chaque lecture dans la synthèse de chacun

des trois chapitres d’analyse et exposée en combinant ces trois chapitres dans la discussion de la

thèse. Les résultats ainsi présentés permettent de décrire l’évolution de l’enfant et de l’adulte au

regard des objectifs spécifiques de la thèse. De plus, de par l’analyse croisée des unités de sens

aux trois temps d’intervention, il est possible de dégager les interventions de l’adulte les plus

porteuses permettant la complexification de la pensée chez l’enfant au regard du discours narratif

et de la théorie de l’esprit.

3.4. Synthèse de la méthodologie

La thèse présente une étude de cas unique. Des interventions intensives en lecture interactive ont

été déployées quotidiennement auprès d’une enfant autiste de onze ans, et ce, sur une période de

dix mois. Les interventions ont eu lieu au domicile de l’enfant. Parmi toutes les lectures

interactives vidéofilmées, trois ont été retenues aux fins d’analyse. La méthodologie de la thèse

s’inscrit dans une démarche qualitative et inductive, dans le but de permettre la création de

catégories d’analyse. Les catégories créées ont permis de répondre aux objectifs spécifiques de la

thèse qui visent à décrire la progression de l’enfant et l’évolution des interventions de l’adulte, en

Unités de sens Absence de relation causale

Présence de relations causales Intracomposantes Intercomposantes Transcomposantes

Questions cœur auxquelles l’enfant répond

Interactions spontanées

Total : Total X : Total (X) :

Unités de sens Absence de relation causale Présence de relations causales Intracomposantes Intercomposantes Transcomposantes

Total : Total X : Total (X) :

Unités de sens État physique État interne de type émotionnel

État interne de type intentionnel

État interne de type épistémique

Questions cœur auxquelles l’enfant répond

Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas

Interactions spontanées

Total X : Total (X) :

Total :

Unités de sens État physique État interne de type émotionnel

État interne de type intentionnel

État interne de type épistémique

Total X : Total (X) :

Total :

Page 115: La lecture interactive : un contexte propice au ...

96

contexte de lecture interactive, et ce, en regard du développement du discours narratif et de la

théorie de l’esprit. Dans le but d’éviter les biais méthodologiques, une seconde juge a participé au

processus d’analyse des données. Ainsi, sept étapes distinctes d’analyse ont été créées, c’est-à-

dire la mise en verbatim, le repérage thématique, la création de grilles d’unités de sens, la

délimitation de ce qui est accordé à l’enfant, la description des interactions et la création de

catégories, la mise en relief des catégories par distanciation du discours et, finalement, la mise en

relief des points culminants de complexification. Une fois réalisées, ces étapes ont permis la

présentation du type de questions posées par l’adulte et des interactions spontanées de l’enfant.

De plus, les catégories d’analyse ont permis de rendre compte du nombre et du type de

composantes récurrentes du récit nommées, du nombre et du type de relations causales faites

ainsi que du nombre et du type d’états internes nommés, et ce, tant par l’adulte que par l’enfant.

Page 116: La lecture interactive : un contexte propice au ...

97

Chapitre 4 - Analyse de la lecture interactive Les oreilles du

roi

Le quatrième chapitre fait état de l’analyse de la lecture interactive réalisée le 10 novembre 2011.

Le chapitre présente, dans un premier temps, une analyse de l’objet, c’est-à-dire de l’album

jeunesse « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011), et ce, tant en ce qui a trait aux

composantes récurrentes présentes dans le récit qu’en ce qui a trait aux composantes de la théorie

de l’esprit. Le récit sera ensuite présenté sous forme de schéma. Dans un deuxième temps, la

compréhension que l’enfant a démontrée du récit, dans le contexte de lecture interactive, sera

présentée sous forme de schéma dans le but de présenter les composantes récurrentes du récit que

l’enfant a fait ressortir pendant la discussion avec l’adulte de même que celles de la théorie de

l’esprit. Dans le but de mettre en relief les questions de l’adulte permettant de propulser l’enfant

dans sa compréhension de l’histoire afin de circonscrire les interventions efficaces et de les

modéliser, les dix-neuf unités de sens représentant des éléments de la discussion réalisée entre

l’adulte et l’enfant dans un contexte de lecture interactive ont été extraites du verbatim initial et

seront analysés tant en ce qui a trait aux composantes récurrentes qu’aux éléments de la théorie

de l’esprit discutés, et ce, qu’ils soient initiés par l’adulte (questions auxquelles l’enfant répond et

questions auxquelles l’enfant ne répond pas) ou par l’enfant (interactions spontanées de l’enfant).

Parmi elles seront présentées neuf unités de sens où l’enfant répond, six unités de sens auxquelles

l’enfant ne répond pas, ainsi que quatre unités de sens comportant une interaction spontanée de

l’enfant. Dans un dernier temps, une synthèse des résultats concernant cette lecture interactive

sera présentée sous forme de tableaux.

4.1. Analyse de l’objet

Le récit sélectionné s’intitule « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011). Le récit raconte

l’histoire du roi Boyan qui vit isolé dans son château puisqu’il a un problème, c’est-à-dire qu’il a

des oreilles de chèvre, ce qui le rend honteux. Ainsi, le roi désire cacher ses oreilles du regard des

villageois. Lorsqu’il désire une coupe de cheveux, il fait venir un coiffeur au château, mais celui-

Page 117: La lecture interactive : un contexte propice au ...

98

ci voit ses oreilles. Alors, le roi refuse de le laisser partir de peur que son secret ne soit dévoilé.

Donc, chaque coiffeur finit séquestré au château. Le mystère plane au village en ce qui a trait au

sort des coiffeurs disparus. Arrive un jour où il ne reste qu’un coiffeur au village, Miro, qui,

devant l’émissaire du roi, s’évanouit tant il a peur qu’il lui arrive le même sort qu’aux autres. Le

jeune Igor, son assistant, se propose pour y aller à sa place. Igor va couper les cheveux du roi et il

ne fait aucun commentaire désobligeant sur les étranges oreilles, même qu’il lui mentionne

qu’elles sont parfaites. Igor peut donc quitter le château, mais il trouve très difficile de garder ce

secret. Alors, il fait un trou dans la terre et y crie « le roi a des oreilles de chèvre ». Il enterre

ensuite le secret. Quelques jours plus tard, des roseaux ont poussé à l’endroit où Igor a enterré

son secret. Des bergers les récupèrent et les taillent en flutes. Lorsque l’on souffle à l’intérieur,

les flutes chantent « le roi a des oreilles de chèvre ». Ces flutes sont vendues à la fête de mai qui

se déroule au village et à laquelle le roi se rend, tout en restant caché dans son carrosse. Les gens

jouent de la flute, le secret du roi est dévoilé et ce dernier se montre enfin tel qu’il est devant ses

sujets. Igor part au château pour avouer sa faute et pour implorer le pardon du roi. Ce dernier lui

pardonne son imprudence et décide de s’accepter tel qu’il est. Finalement, le roi libère tous les

coiffeurs et vit heureux alors qu’Igor devient son coiffeur attitré.

La figure 7 présente le schéma du récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011). Les

composantes récurrentes du récit sont inscrites dans les cases blanches et les éléments de la

théorie de l’esprit, identifiant les types d’états internes, sont dans les cases noires. En ce qui a

trait à la théorie de l’esprit, on remarque que l’émotion négative, la honte, est directement

associée au problème, c’est-à-dire que le roi a des oreilles de chèvre. Cet état interne de type

émotionnel génère le but du protagoniste, soit l’état interne de type intentionnel qu’est le désir de

se cacher. Cela est également lié à un état interne de type épistémique, c’est-à-dire la supposition

que le roi fait lorsqu’il pense que les villageois ne l’aimeront pas s’ils découvrent qu’il a des

oreilles de chèvre. De plus, le fait que les coiffeurs voient son secret relève d’un état de type

physique. En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, le récit se corse lors de la péripétie 3 lorsque

Miro, le coiffeur, a tellement peur que cet état interne de type émotionnel génère l’état physique

qu’est l’évanouissement. Ces deux états sont générés par un état interne de type épistémique qui

est causalement lié aux deux autres états et hiérarchiquement plus complexe c’est-à-dire que la

Page 118: La lecture interactive : un contexte propice au ...

99

non-connaissance de Miro sur ce qui est arrivé aux autres coiffeurs (état interne de type

épistémique) a généré de la peur (état interne de type émotionnel) et l’évanouissement (état

physique). Le secret du roi crée deux autres états internes de type épistémique. En effet, à la

tentative d’action 5, Igor, maintenant conscient du secret du roi, infère que celui-ci est la source

de la disparition des autres coiffeurs. Igor pense donc que le roi a honte de ses oreilles, qu’il a

reçu par le passé des commentaires négatifs des autres coiffeurs et que c’est précisément cela qui

explique leur captivité. Il s’agit d’un état interne de type épistémique qui est également lié à l’état

interne de type émotionnel du roi qu’est sa honte. Ainsi, Igor affirme au roi que ses oreilles sont

parfaites, ce qui lui permet de retrouver sa liberté. Immédiatement après, au sous-problème 3,

Igor enterre le secret du roi parce qu’il est conscient que, s’il le dévoile aux villageois, quoiqu’il

ait dit au roi que ses oreilles étaient parfaites, le roi lui réserverait le même sort qu’aux autres

coiffeurs. Cette connaissance de la pensée et des intentions du roi relève de l’état interne de type

épistémique. De plus, au sein du sous-problème 3, on retrouve l’état interne de type émotionnel

qu’est la peur ainsi que l’état interne de type intentionnel de décider de cacher le secret aux

autres. Ces deux états internes sont causalement liés à l’état interne de type épistémique, c’est-à-

dire le fait qu’Igor sait qu’il ne doit pas dire le secret, état qui est hiérarchiquement plus

complexe que les deux autres. Finalement, on retrouve des états internes de type émotionnel dans

la solution lorsqu’Igor implore le pardon du roi et que ce dernier lui pardonne son imprudence

ainsi que dans l’émotion positive qui est le fait d’être heureux.

Page 119: La lecture interactive : un contexte propice au ...

100

Figure 7: Schéma narratif et de la théorie de l’esprit : « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011)

4.2. Analyse de la compréhension de l’enfant

Le schéma narratif et de la théorie de l’esprit représentant la compréhension de l’enfant (figure 8)

a été extrait à partir de la discussion réalisée en cours de lecture interactive. À partir du verbatim,

il convient de présenter les énonciations coconstruites de l’enfant en collaboration avec l’adulte

en cours de lecture interactive. Dans l’encadré suivant, les propos de l’adulte sont [en gris] et

ceux de l’enfant en noir.

[Est-ce que le roi sort de sa maison pour aller chez le coiffeur?] Non. Oh, il [chaque

nouveau coiffeur] était disparu. [Les gens jacassent. Ça le tracasse le roi.] Pourquoi ça le

tracasse? [Le roi il a un secret; les flutes le chantent : Le roi a… Il a quoi?] Des oreilles de

chèvres! [Est-ce qu’il veut que tout le monde sache son secret le roi?] Non. [Alors, quand

Marie-PierreBaronFévrier2015

Schémaderécit:Lesoreillesduroi(10-11-2011)

But:Leroiveutcachersesoreilles.

Tentatived’action1:Leroifaitvenirlescoiffeursàlamaison.

Tentatived’action6:Igorcreuseuntroudanslaterre,crielesecretetl’enterre.

Tentatived’action5:Igornefaitpasdecommentairesdésobligeantsàproposdesoreillesduroi.Aucontraire,ilaffirmequesesoreillessontparfaites.

Situationinitiale:Leroivitdanssonchâteauisolédeses

sujets.

Situationfinale:Leroilibèrelescoiffeurs

etIgordevintsoncoiffeurattitré.

Tentatived’action2:Leroiséquestrelescoiffeurs.

Solution:LeroiserendàlaFêtedemaietlesflutesysontvendues.Sonsecretest

dévoilé.Igors’excuseetleroicessedesecacher.IlpardonneàIgorsonimprudence.

Émotionnégative:Honte

Problème:Leroiadesoreillesdechèvre.

Émotionpositive:Heureux

Sous-problème4:Desbergersvontdanslepré,ytrouventdesroseauxetenfabriquentdesflutesquichantent«Leroiadesoreillesdechèvre».

Sous-problème3:Igorn’estpascapabledegarderunsigrossecret.Sous-but:selibérerdusecret.

Sous-problème1:Lescoiffeursvoientlesoreillesduroi.

Sous-problème2:Ilyaunepénuriedecoiffeurs.

Tentatived’action3:Leroienvoieunémissairepourtrouveruncoiffeur.Mirolecoiffeurcraintd’allerchezleroietdeneplusrevenir.Ils’évanouit.

Tentatived’action4:LejeuneIgorvacouperlescheveuxduroi.

Étatinterneémotionnel:Miroapeur

Étatphysique:Miros’évanouitÉtatinterneépistémique

Non-connaissancedelapartdescoiffeursdecequisepasseau

château.

Étatinterneémotionnel:Honteduroi

Étatinterneépistémique:Leroipensequelesautressemoquerontdeluietnel’aimerontplusd’ilssontaucourant.

Étatinterneintentionnel:Leroiveutsecacher.

Étatinterneépistémique:Connaissanced’Igorà

proposdelahonteduroi.Étatinterneémotionnel:

Honteduroi.

Étatphysique:Lescoiffeurs

voientlesoreilles.

Étatinterneépistémique:Igorsaitqu’ilnedoitledireà

personne.Étatinterneémotionnel:Igora

peurdedévoilerlesecretÉtatintentionnel:Igorneveutpasdévoilerauxautreslesecret

Étatinterneémotionnel:joiedu

roietd’Igor

Morale:Leroidoits’acceptertelqu’ilest.

Page 120: La lecture interactive : un contexte propice au ...

101

les coiffeurs viennent à la maison…] Il est content. [P’is là les coiffeurs ils viennent couper

ses cheveux. Est-ce qu’ils les voient ses oreilles de chèvre?] Oui. [Est-ce qu’i’ veut, le roi,

que les coiffeurs i’ retournent dans le village p’is qu’i’ disent à tout le monde que le roi a

des oreilles de chèvre?] Non. [Tous les petits coiffeurs ils sont venus dans son château. I’

ont coupé ses cheveux p’is i’ ont vu ses…] DVD. [I’ont vu ses?] Ses oreilles de chèvre.

[Alors là, tous les petits coiffeurs i’ sont venus au château. Ils ont coupé les cheveux du roi.

Est-ce qu’i’ ont vu ses oreilles?] Non… Oui. Qu’est-ce qu’i a dit? [Les coiffeurs veulent

plus y aller chez le roi. Comment ça se fait? Qu’est-ce qui est arrivé à tous les autres

coiffeurs?] Prison. [Si j’appelle un nouveau coiffeur et que je lui demande de venir, est-ce

qu’il va venir?] Non. P’is si ça marche qu’est-ce qui arrive? [Miro devint blanc comme de

la crème à raser et qu’est-ce qu’i a fait?] Évanoui. [Comment ça se fait que lui il peut

retourner chez lui, mais que tous les autres sont en prison?] Pourquoi? [C’est qu’il a des

oreilles de chèvre. Dans le village, est-ce que les gens ils le savent que le roi a des oreilles

de chèvre?] Non. [Mais lui, maintenant, il le sait. Est-ce qu’il peut le dire aux autres? C’est

un secret.] Non. [Regarde comment ça a l’air difficile de garder son secret.] De chèvre.

[Regarde comment ça a l’air difficile de garder son secret. Qu’est-ce qu’il crie? Le

secret…] Le roi a des oreilles de chèvre. [Il s’est libéré de son secret.] Puis? [Le jour de la

fête de mai, les villageois étonnés virent le carrosse du roi traverser lentement la grande

place. Des rideaux sombres étaient suspendus aux fenêtres. Est-ce qu’on le voyait?] Non.

[Il était caché. Est-ce qu’i’ se trouve beau avec ses oreilles?] Non. [À l’instant où l’attelage

s’arrêta, (Bruits de cheval au trot.) une petite voix se mit à chanter… Avec moi, prends ta

flute. Le roi a des oreilles de chèvre. T’as pas ta flute?] Le roi a des oreilles de chèvre.

[Est-ce qu’il est content d’entendre cela?] Non. [Tout le monde l’a vu. Tout le monde a vu

son secret.] Des yeux. Moi j’ai vu des yeux, moi. [Est-ce qu’i’ va pardonner à Igor, le roi?]

Non. Oui.

Par la suite, sur cette base dialogique, il convient de mettre en relief les constructions accordées à

l’enfant en collaboration avec l’adulte et qui ont servi à constituer le schéma de la compréhension

Page 121: La lecture interactive : un contexte propice au ...

102

du récit par l’enfant. Les énonciations accordées, soit celles coconstruites par l’adulte et l’enfant,

se trouvent dans l’encadré suivant.

Il ne sort pas de la maison. Chaque coiffeur était disparu. Pourquoi ça le tracasse? Il a des

oreilles de chèvres! Le roi ne veut pas que tout le monde sache son secret. Quand les

coiffeurs viennent à la maison, il est content. Les coiffeurs voient les oreilles du roi.

Qu’est-ce qu’i a dit : prison. Miro s’évanouit. Pourquoi Igor retourne chez lui? Igor ne peut

pas dire le secret de chèvre. Il crie dans la terre : le roi a des oreilles de chèvre, puis? La

flute chante : le roi a des oreilles de chèvre. Le roi est pas content d’entendre cela. Des

yeux, moi, j’ai vu des yeux moi. Il pardonne à Igor.

Le repérage des énonciations de l’enfant créées en coconstruction avec l’adulte a permis de

dégager les composantes récurrentes du récit ainsi que les composantes de la théorie de l’esprit

identifiées par l’enfant et, par le fait même, de produire le schéma de la compréhension du récit

par l’enfant. Dans la figure 8, les composantes récurrentes du récit, telles que comprises par

l’enfant, sont dans les cases blanches et les éléments de la théorie de l’esprit sont dans les cases

noires.

Page 122: La lecture interactive : un contexte propice au ...

103

Figure 8: Schéma narratif et de la théorie de l’esprit présentant la compréhension que l’enfant a coconstruite autour du récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011)

En collaboration avec l’adulte, en observant la figure 8, on remarque que l’enfant a identifié le

fait que le roi ne sort pas de la maison comme étant la situation initiale. Elle a identifié le

problème du roi, soit le fait qu’il a des oreilles de chèvre ainsi que l’état interne de type

émotionnel qui y est rattaché, soit le fait que cela le tracasse. L’enfant nomme le but du roi qui est

de cacher ses oreilles puisqu’il ne veut pas que le monde sache son secret. Ce désir de se cacher

est un état interne de type intentionnel. L’enfant identifie cinq tentatives d’actions. Premièrement

elle mentionne que les coiffeurs viennent à la maison et que cela rend le roi content, ce qui est un

état interne de type émotionnel. Ceci permet de penser que l’enfant ne lie pas causalement le but

qu’elle a pourtant explicité avec la venue des coiffeurs et que cet évènement ne constitue pas,

pour elle, un réel problème au roi. Les évènements semblent ainsi juxtaposés plutôt que

hiérarchisés et dirigés par le but. C’est pourquoi le schéma en figure 8 ne place pas le but en haut

Situationinitiale:Ilnesortpasdelamaison.

Émotionnégative:Pourquoiçaletracasse?

Problème:Ilades

oreillesdechèvre!

Étatinterneintentionnel:Leroiveutcachersesoreilles

Étatinterneémotionnel:Leroiesttracassé

Situationfinale:

Desyeux,j’aivudesyeux(legensdelafêtesonprésents).Leroin’estpas

contentd’entendreça.Ilpardonneà

Igor.

Étatinterneémotionnel:Lacolèreetlepardonduroi

Tentatived’action1:Quandlescoiffeursviennentàlamaison,ilestcontent.

Sous-problème1:Lescoiffeursvoientlesoreillesduroi.

Tentatived’action2:Qu’est-cequ’iadit:prison.

Tentatived’action3:Miros’évanouit.

Tentatived’action4:PourquoiIgorretournechezlui?Ilnepeutpasdirelesecretdechèvre.

Tentatived’action5:Ilcriedanslaterre:leroiadesoreillesdechèvre.

Sous-problème2:Laflutechante:Leroiadesoreillesdechèvre.

Étatinterneémotionnel:Leroiestcontent

Étatphysique:Lescoiffeursvoient

Étatphysique:ÉvanouissementdeMiro

Étatinternedetypeépistémique:Igorsaitqu’ilnepeutpasledire

But:Leroineveutpasquetoutlemondesachesonsecret.

Émotionpositive:Leroi

pardonne.

Page 123: La lecture interactive : un contexte propice au ...

104

de la hiérarchie causale comme c’est le cas dans la figure 7 de l’analyse logique du livre.

L’enfant mentionne aussi un premier sous-problème, le fait que les coiffeurs voient les oreilles du

roi, ce qui est un état physique. L’enfant mentionne, comme deuxième tentative d’action, que le

roi dit prison, c’est-à-dire que les coiffeurs qui voient ses oreilles sont emprisonnés. Pour la

troisième tentative d’action, l’enfant affirme que Miro s’évanouit, ce qui est un état physique.

Pour la quatrième tentative d’action, l’enfant questionne à savoir pourquoi Igor retourne chez lui

et mentionne qu’il ne peut pas dire le secret de chèvre. Cette énonciation de l’enfant confirme

également qu’elle ne semble pas lier causalement cette tentative avec le but du roi de préserver

son secret. La quatrième tentative d’action met en relief un état interne de type épistémique, soit

le fait qu’Igor sait qu’il ne peut pas dire le secret du roi. En guise de cinquième tentative d’action,

elle nomme qu’Igor crie dans la terre : le roi a des oreilles de chèvre. L’enfant relève ensuite un

deuxième sous-problème causé par les flutes qui chantent le secret du roi. En guise de solution,

l’enfant mentionne qu’il y a des yeux sur l’image, ce qui fait référence aux villageois qui voient

le secret du roi. Finalement, elle affirme que le roi n’est pas content d’entendre son secret et qu’il

pardonne à Igor, ce qui relève de deux états internes de type émotionnel, soit la colère et le

pardon.

Mis à part le lien intracomposantes qui lie l’émotion négative au problème, il est possible de

remarquer que l’enfant ne lie pas causalement les composantes récurrentes du récit qu’elle a fait

ressortir. Elle les juxtapose sans les hiérarchiser. Ainsi, le schéma de la compréhension du récit

par l’enfant présente les composantes côte à côte en n’étant pas reliées ensemble par une

hiérarchisation du but.

4.3. Discussion entre l’enfant et l’adulte autour du récit

Le contexte de lecture interactive permet la mise en place d’un contexte trilogique

d’intersubjectivité littéraire (Baron, 2010) où l’adulte et l’enfant, en relation d’intersubjectivité,

Page 124: La lecture interactive : un contexte propice au ...

105

partagent leur attention et leurs interprétations autour du récit. L’étude de la discussion entre

l’adulte et l’enfant autour du récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011)74 a permis de

faire ressortir trois catégories d’interactions différentes75, c’est-à-dire celles où l’enfant répond

aux questions de l’adulte, celles où l’enfant ne répond pas aux questions de l’adulte et les

interactions spontanées de l’enfant. Dans cette partie, chaque interaction sera recontextualisée

dans le récit et commentée en ce qui a trait au type de question cœur posée par l’adulte, à la

justesse de la réponse de l’enfant, au lien avec les composantes récurrentes du récit de même que

ceux avec les éléments de la théorie de l’esprit ainsi qu’en ce qui a trait aux types de relations

causales faites.

4.3.1. Questions auxquelles l’enfant répond

« Est-ce qu’i’ sort de sa maison lui? »

La première question cœur à laquelle l’enfant a répondu est « Est-ce qu’i’ sort de sa maison

lui? ». Cette question a été soulevée en début de lecture alors que l’adulte avait lu : « Le roi

Boyan ne sortait jamais de son château. Oh non! Jamais, jamais, il ne sortait de son château.

Lorsqu’il voulait se faire couper les cheveux… ». L’adulte a interrompu sa lecture et voici

l’échange qui a eu lieu entre l’adulte et l’enfant :

Extrait 1 :

1. A. Qu’est-ce qu’on fait nous quand on a besoin de faire couper nos cheveux? Où on va? Tu le sais! Tu y es allée avec Mamy la dernière fois. Où on va?

2. E. À un coiffeur. 3. A. On va à un coiffeur. On sort de notre maison et on va chez un coiffeur.

Le roi lui, est-ce qu’il sort de sa maison? Le roi très très triste… 4. E. (Silence.) 5. A. Est-ce qu’i’ sort de sa maison lui?

74 Il est à noter qu’il s’agit de la quatrième lecture interactive de ce livre que l’adulte a fait avec l’enfant. 75 Les catégories d’interactions, de même que le procédé menant à leur identification, ont été définies dans la méthodologie de la thèse.

Page 125: La lecture interactive : un contexte propice au ...

106

6. E. Non. 7. A. Alors, quand il veut faire couper ses cheveux, il appelle un coiffeur

pour qu’il vienne chez lui dans sa maison.

Dans l’extrait 1, on remarque que la question cœur est une question fermée de type oui/non qui a

été posée à la ligne 5. Plusieurs questions ont été posées et l’adulte a utilisé les connaissances sur

le monde de l’enfant pour affirmer que le roi ne fait pas la même chose que l’enfant lorsqu’il

désire aller chez le coiffeur. Dans cet échange, l’enfant dit : « [On va] à un coiffeur » (ligne 2) et

« Non, [il ne sort pas de chez lui] » (ligne 6). On remarque que l’adulte amène l’enfant à nommer

partiellement la situation initiale, puisque c’est l’adulte qui l’énonce en grande partie dans ses

questions. L’adulte, dans la discussion, nomme l’émotion négative du roi (ligne 3) et les

prémisses de la tentative d’action 1, c’est-à-dire le fait qu’il fait venir les coiffeurs chez lui

(ligne 7).

L’adulte crée les liens causaux intercomposantes pour l’enfant et explicite, à la ligne 7, le fait que

le roi fait venir les coiffeurs à la maison puisqu’il ne sort pas de chez lui.

On remarque également, à la ligne 3, que l’adulte nomme l’état interne émotionnel du roi, soit le

fait qu’il est très triste. Cette tristesse est causalement liée à son problème, problème qui n’a pas

été soulevé par les questions. Pour cela, il aurait fallu demander à l’enfant « Comment ça se

fait? ».

« Le roi a des oreilles de ch… »

La seconde question cœur est un énoncé à compléter où l’enfant a eu à terminer la phrase « Le roi

a des oreilles de ch… ». La question est posée à l’enfant alors que l’adulte a lu la tentative

d’action 1, le sous-problème 1 et la tentative d’action 2 : « En vérité, le roi Boyan ne voulait pas

Page 126: La lecture interactive : un contexte propice au ...

107

que les coiffeurs retournent chez eux. Il les retenait prisonniers dans son château et leur confiait

différentes tâches. Certains devaient traire les vaches, d’autres barater le beurre et d’autres encore

prendre soin des cochons. ». Voici ce que l’adulte a demandé à l’enfant :

Extrait 2 : 1. A. « Le roi a des oreilles de ch… » 2. E. de chèvre!

L’adulte, à la ligne 1, amorce une énonciation simple où l’enfant n’a qu’à compléter la phrase.

Cette phrase clé, qui reviendra plus tard dans la lecture du livre, présente la problématique du

récit. La façon dont la question a été formulée est plus simple, puisqu’il s’agit d’une énonciation

fermée rétrospective où l’adulte amorce l’énonciation du problème, réduisant ainsi l’inférence à

construire par l’enfant pour énoncer le problème par soi-même. Le fait que l’enfant, en énonçant

que « [Le roi a des oreilles] de chèvre », ait terminé l’énoncé de l’adulte, démontre qu’elle est en

train de construire la problématique, mais ne démontre pas qu’elle l’ait vraiment comprise. Ainsi,

on considère ici que c’est principalement l’adulte, et non l’enfant, qui a énoncé le problème du

roi.

Dans l’extrait, la réponse formulée ainsi ne démontre pas clairement que l’enfant ait fait des

relations causales. On verra, par la suite, que la complétion de cette phrase énoncée par l’adulte

prendra une forme de ritournelle dans les échanges à venir. Pour s’assurer que l’enfant ait bien

construit le problème, l’adulte aurait dû questionner l’enfant davantage en lui demandant

« Qu’est-ce que ça lui fait d’avoir des oreilles de chèvre? ».

En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, dans cet extrait, ni l’enfant ni l’adulte n’ont fait ressortir

d’état interne.

Page 127: La lecture interactive : un contexte propice au ...

108

« Est-ce qu’i’ veut que tout le monde sache son secret le roi? »

La troisième question a été posée à la suite de la précédente. La question cœur posée ici est en

lien avec le but : « Est-ce qu’i’ veut que tout le monde sache son secret le roi? ». Celle-ci a été

extraite de cette discussion entre l’adulte et l’enfant :

Extrait 3 : 1. E. (En chantant.) « Le roi a des oreilles de chèvre. » 2. A. Ça là, c’est son grand grand grand secret. Nous on le connait : le roi a

des oreilles de chèvre. Est-ce qu’i’ veut que tout le monde sache son secret le roi?

3. E. Non. 4. A. Hein? Un secret est-ce qu’on le dit à tout le monde ou on le garde pour

soi? 5. E. (En chantant.) « Le roi a des oreilles de chèvre. » 6. A. Chut! C’est un secret. Est-ce que les secrets on les dit à tout le monde… 7. E. Oui. 8. A. … ou on les garde pour soi? 9. E. On les garde pour soi. 10. A. Oui. C’est un secret. Le roi est-ce qu’i’ veut que tout le monde le sache

qu’il a des oreilles de chèvre? 11. E. Hum, hum. 12. A. Pas du tout. Alors, quand les coiffeurs viennent à la maison… 13. E. Il est content. 14. A. Il est content de voir les gens. P’is là, les coiffeurs ils viennent couper

ses cheveux. Est-ce qu’ils les voient ses oreilles de chèvre? 15. E. Hum. 16. A. Est-ce qu’i’ veut, le roi, que les coiffeurs i’ retournent dans le village

p’is qu’i’ disent à tout le monde que le roi a des oreilles de chèvre? 17. E. Non.

On remarque que l’adulte a posé à la ligne 2 la question à l’enfant, mais a senti le besoin de

contextualiser ce qu’est un secret en mobilisant ses connaissances sur le monde. Cette question

fermée de type oui/non vise à faire ressortir le but du roi, c’est-à-dire son désir de cacher ses

oreilles, et ce, après avoir explicitement nommé le problème du roi, soit ses oreilles de chèvre

(lignes 1, 2 et 5). Si on extrait les réponses de l’enfant, on remarque qu’elle dit : « Non [il ne veut

pas que tout le monde sache son secret.] » (ligne 3), « [Les secrets] on les garde pour soi. »

(ligne 9) et « Non, [il ne veut pas que les coiffeurs retournent dans le village et disent à tout le

monde que le roi a des oreilles de chèvre.] » (ligne 17). On peut remarquer qu’à la question « Est-

ce que les secrets on les dit à tout le monde? » (ligne 6), l’enfant répond, de prime abord, « oui »

(ligne 7), puis, sous l’insistance explicite de l’adulte (ligne 8), se ravise à la ligne 9. Les réponses

Page 128: La lecture interactive : un contexte propice au ...

109

de l’enfant nous permettent de croire qu’elle circonscrit le secret sans toutefois l’envisager

réellement comme un but, c’est-à-dire comme une conséquence causale du problème qui dirigera

les actions à venir.

Dans cette unité de sens, c’est davantage l’adulte, par ses questions, qui crée le lien causal

intercomposantes entre le problème et le but.

En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, l’adulte, par ses questions qui tournent autour du but,

amène à réfléchir sur l’état interne de type intentionnel du roi, soit son intention de garder son

secret pour lui et de cacher ses oreilles. L’adulte, en demandant à l’enfant si les coiffeurs,

lorsqu’ils viennent couper les cheveux du roi, voient ses oreilles, soulève l’état physique qu’est le

fait de voir (ligne 14). En questionnant l’enfant, aux lignes 2 et 10 de l’extrait 3 sur l’état

intentionnel du roi de préserver son secret, l’adulte visait une discussion (ligne 14) sur ce que

pense le roi à propos des coiffeurs et de son secret, l’adulte vise l’état interne de type

épistémique, c’est-à-dire la connaissance ou la non-connaissance de la pensée des coiffeurs à

propos du roi. Il s’agit ici d’une fausse croyance de premier ordre puisque, même si le lecteur sait

le secret, les personnages de l’histoire, les coiffeurs, ne le savent pas encore. Finalement, l’enfant,

en affirmant à la ligne 13 « il est content », amène un état interne de type émotionnel du roi. Cette

réponse de l’enfant permet toutefois de penser qu’elle n’a ni construit l’état interne de type

intentionnel du roi de vouloir se cacher (comme le soulignera également l’extrait 4 suivant), ni

l’état interne de type épistémique marquant la non-connaissance des coiffeurs du secret du roi

avant d’avoir été conviés au château.

« Est-ce que le roi i’ veut que les coiffeurs aillent dire son secret à tout le monde? »

La quatrième question cœur analysée est celle où l’adulte demande à l’enfant « Est-ce que le roi

i’ veut que les coiffeurs aillent dire son secret à tout le monde? ». Cette question vise le but du

Page 129: La lecture interactive : un contexte propice au ...

110

roi, soit le fait de cacher ses oreilles. La question a été posée lors d’une longue discussion portant

sur le premier sous-problème et la tentative d’action 2, c’est-à-dire le fait que les coiffeurs aient

vu les oreilles du roi, alors ce dernier est dans l’obligation de les séquestrer. La pénurie de

coiffeurs n’a pas encore été énoncée. Voici l’unité de sens présentant la discussion entre l’adulte

et l’enfant :

Extrait 4 : 1. A. Est-ce que le roi i’ veut que les coiffeurs aillent dire son secret à tout le

monde? 2. E. Oui. 3. A. I’ veut? Non! Un secret on garde ça pour soi. Alors, i’ garde tous les

coiffeurs prisonniers dans son château.

On peut remarquer que la question cœur a été posée à l’enfant est une question fermée de type

oui/non. La question sert la construction du but. Cependant, la réponse de l’enfant à la ligne 2 :

« Oui, [le roi veut que les coiffeurs aillent dire son secret à tout le monde] », nous laisse croire

que la construction du but n’est pas réalisée. À la ligne 3, l’adulte reprend l’enfant en énonçant la

bonne réponse.

C’est à la ligne 3 que l’adulte crée un lien causal transcomposantes unissant la problématique du

roi et l’émotion négative qui en découle avec son but et la tentative d’action 2. Le roi a un secret

(problème), ce qui le rend honteux (émotion négative à inférer), alors il décide de le cacher (but)

et de séquestrer ceux qui le voient (tentative d’action 2).

En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, en énonçant sa question, l’adulte met de l’avant l’état

interne intentionnel du roi, c’est-à-dire son intention de garder son secret (lignes 1 et 3).

Page 130: La lecture interactive : un contexte propice au ...

111

« Les coiffeurs, i’ veulent plus aller chez le roi. Comment ça se fait? »

La cinquième question cœur qui a été posée à l’enfant est « Les coiffeurs, i’ veulent plus aller

chez le roi. Comment ça se fait? ». La question a été posée à la suite de la lecture d’un extrait de

l’album qui met de l’avant le sous-problème 2, c’est-à-dire la pénurie de coiffeurs. Voici

l’extrait : « Puis arriva le jour où le roi exigea une nouvelle coupe de cheveux. Un coiffeur fut

convoqué, mais personne n’est venu. ». Immédiatement après, l’adulte a entamé la discussion

comme suit :

Extrait 5 :

La question cœur est une question ouverte de type rétrospective qui vise la tentative d’action 2,

c’est-à-dire le fait que le roi séquestre les coiffeurs. On remarque que l’adulte a décidé de

décortiquer la question en posant deux questions fermées (lignes 1 et 3) dans le but de construire

la cause, de manière rétrospective, qui permet de comprendre pourquoi les coiffeurs ne veulent

plus aller chez le roi. En décortiquant la question, l’adulte empêche l’enfant de faire les liens

causaux intercomposantes puisque, dans le récit, la tentative d’action 2 (la séquestration des

coiffeurs) est la cause de la pénurie de coiffeurs, qui est le sous-problème 2 venant tout juste

d’être lu et que l’adulte nomme à la ligne 1 (« Les coiffeurs, i’ veulent plus y aller chez le roi. »).

Aux questions, l’enfant répond « [Les coiffeurs sont mis en] prison. » (ligne 2) et « Non [un

nouveau coiffeur ne va pas venir]. » (ligne 4).

L’adulte, à la ligne 1, fait un lien causal intercomposantes entre la tentative d’action 2 et le sous-

problème 2. De plus, les réponses de l’enfant aux lignes 2 et 4 permettent de croire qu’elle a

compris la tentative d’action 2 et on remarque qu’elle fait un lien causal intracomposante (un

nouveau coiffeur ne va pas venir parce que les coiffeurs sont mis en prison). Le fait de poser la

1. A. Les coiffeurs, i’ veulent plus y aller chez le roi. Comment ça se fait? Qu’est-ce qui est arrivé à tous les autres coiffeurs?

2. E. Prison. 3. A. Ils sont prisonniers. Alors là, si j’appelle un nouveau coiffeur et que je lui

demande de venir, est-ce qu’il va venir? 4. E. Non.

Page 131: La lecture interactive : un contexte propice au ...

112

question cœur telle que rapportée ici, c’est-à-dire de façon ouverte, aurait possiblement permis à

l’enfant de faire le lien causal intercomposantes, du moins si la question ouverte « Les coiffeurs,

i’ veulent plus aller chez le roi. Comment ça se fait? » avait été posée de nouveau à la fin de

l’échange.

En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, la question de l’adulte aux lignes 1 et 3 touche

directement un état interne de type intentionnel des coiffeurs, soit leur intention de ne pas aller

chez le roi et l’enfant semble manifester sa compréhension de cet état interne conséquente à la

tentative d’action 2 énoncée d’ailleurs quand elle dit, à la ligne 2, « prison » et qu’elle affirme, à

la ligne 4 de l’extrait, « Non [un nouveau coiffeur ne va pas venir]. ». Cependant, l’énonciation

directe de l’état interne de type intentionnel est faite par l’adulte dans ses questions.

« Pourquoi il s’est évanoui? »

La sixième question cœur posée à l’enfant est « Pourquoi il s’est évanoui? ». Cette question a été

posée en cours de lecture de la tentative d’action 3. L’adulte a lu : « L’émissaire découvrit qu’il

ne restait qu’un seul coiffeur dans tout le royaume. C’était Miro… En voyant arriver l’envoyé du

roi, Miro devint blanc comme de la crème à raser et… ». L’adulte interrompt ensuite sa lecture

pour poser les questions suivantes :

Extrait 6 : 1. A. Qu’est-ce qu’i’ a fait? 2. E. Évanoui. 3. A. Il s’est évanoui. Est-ce que tu t’évanouis toi aussi? 4. E. (Silence.) 5. A. Pourquoi il s’est évanoui? 6. E. C’est promis qu’on écoute le DVD? 7. A. Et i’ a quelqu’un du château qui lui a demandé de couper les cheveux

du roi et il s’est… 8. E. Évanoui. 9. A. Est-ce qu’i’ voulait y aller dans le château couper les cheveux du roi

lui? 10. E. Où est le mot évanoui? 11. A. S’évanouir. Est-ce que tu penses qu’il voulait y aller dans le château

couper les cheveux? 12. E. Non.

Page 132: La lecture interactive : un contexte propice au ...

113

13. A. Il avait tellement peur qu’il s’est évanoui.

La question cœur, posée à la ligne 5, est une question ouverte rétrospective (« Pourquoi il s’est

évanoui? »). Elle visait la mise en relation de la tentative d’action 3 et de l’état physique

explicitement nommée (s’évanouir) pour la mise en relief de l’état interne de type émotionnel

qu’est la peur et l’état interne de type épistémique à inférer, c’est-à-dire que Miro ne sait pas ce

qui se passe au château avec les coiffeurs qui n’en reviennent jamais. Elle a été posée à l’enfant,

mais cette dernière a posé, à la ligne 6, une question qui n’était pas en lien avec la lecture. Cette

question, « C’est promis qu’on écoute le DVD? », a été retirée des phrases énoncées par l’enfant

puisqu’elle n’est pas en lien avec le récit, mais elle apparait tout de même dans cet extrait

puisqu’elle influe sur la façon dont la question cœur a été reformulée. En effet, l’adulte a ensuite

décortiqué la question ouverte en posant une question fermée de type oui/non à la ligne 9 (« Est-

ce qu’i’ voulait y aller dans le château couper les cheveux du roi lui? »). L’adulte a ensuite

affirmé, à la ligne 13, « Miro a tellement peur qu’il s’est évanoui ». Il faut aussi mentionner que

l’enfant a fait ressortir quelques éléments en mentionnant, à propos de Miro, « [Il s’est]

évanoui. » (ligne 2) et « Non, [il ne voulait pas aller dans le château couper les cheveux.] »

(ligne 12).

Dans cette unité de sens, l’adulte crée pour l’enfant le lien causal intercomposante unissant la

tentative d’action 3 et les états internes émotionnel et épistémique qui sont liés par l’inférence :

« Miro a tellement peur qu’il s’est évanoui » (ligne 13). Les réponses de l’enfant laissent croire

qu’elle a compris que Miro s’est évanoui et qu’il ne voulait pas aller chez le roi, mais il est

impossible de dire si elle a créé un lien causal entre les composantes récurrentes qui lui aurait

permis de comprendre la trame narrative de l’histoire, c’est-à-dire que Miro s’est évanoui parce

qu’il a peur de ne jamais revenir de chez le roi comme ce fut le cas pour les autres coiffeurs avant

lui.

Page 133: La lecture interactive : un contexte propice au ...

114

Si l’enfant avait manifesté la compréhension que Miro s’est évanoui et qu’il ne voulait pas aller

chez le roi, il aurait été possible de dire, en ce qui a trait à la théorie de l’esprit, qu’elle a identifié

un état interne de type épistémique. Cependant, les questions posées par l’adulte permettent à

l’enfant d’exprimer l’état physique qu’est le fait de s’évanouir (ligne 2). L’état interne de type

intentionnel de Miro, c’est-à-dire son intention de ne pas aller chez le roi (ligne 11) est nommée

par l’adulte. L’état interne de type émotionnel de Miro est aussi exprimé par l’adulte (ligne 13).

« Dans le village, est-ce que les gens ils le savent que le roi a des oreilles de chèvre? »

La septième question cœur est « Dans le village, est-ce que les gens ils le savent que le roi a des

oreilles de chèvre? ». Cette question qui vise le but du roi, c’est-à-dire l’intention de cacher ses

oreilles, a été posée alors que l’adulte venait de lire le sous-problème 3 : « Igor était effrayé à

l’idée que les gens du village apprennent ce qu’il avait découvert au sujet du roi. ». Voici la

discussion qui a suivi :

Extrait 7 : 1. A. C’est qu’il a des oreilles de chèvre. Dans le village, est-ce que les gens

ils le savent que le roi a des oreilles de chèvre? 2. E. Non. 3. A. Personne ne le savait. 4. E. De lion. 5. A. De lion? Tu préfères de lion? 6. E. Oui. 7. A. De lion! Mais lui, maintenant, il le sait. Est-ce qu’il peut le dire aux

autres? C’est un secret. 8. E. Non. 9. A. Regarde comment ça a l’air difficile de garder son secret. 10. E. De chèvre. 11. A. De chèvre, ok.

La question cœur est une question fermée de type oui/non qui aurait visé à construire le but du

récit si la question « Pourquoi? » y avait été jointe. En l’absence de la demande d’explication

qu’aurait pu susciter le « pourquoi », l’adulte exige de l’enfant qu’elle énonce la problématique

hiérarchiquement première dans la structure du récit. Cependant, par ses réponses, l’enfant ne

parvient pas à en faire ressortir sa compréhension, et ce, même si avec énormément de soutien de

l’adulte elle énonce partiellement et indirectement le problème, à la ligne 2, en disant : « Non [les

Page 134: La lecture interactive : un contexte propice au ...

115

gens ne savent pas que le roi a des oreilles de chèvre]. » et, à la ligne 8, « Non [il ne peut pas le

dire aux autres]. ». Le but identifié dans le récit est que le roi veut cacher ses oreilles de chèvre.

Pour que l’enfant réussisse à nommer entièrement et explicitement le but du roi, l’adulte aurait dû

demander à l’enfant d’expliquer pourquoi les gens ne savent pas qu’il a des oreilles de chèvre.

La formulation de ses réponses, ainsi que le type de questions posées ne permettent pas

l’établissement de lien causal. Son interrogation en ce qui a trait à la nature des oreilles du roi,

qu’elles soient de chèvre ou de lion, nous démontre que l’attention de l’enfant, quoique partagée

avec l’adulte sur l’objet d’apprentissage qu’est le livre, n’est pas centrée sur le but, mais

davantage sur le problème, c’est-à-dire les oreilles de chèvre ou de lion du roi, et l’enfant mène

l’attention de l’adulte vers sa propre préoccupation sans doute influencée par l’illustration.

En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, par la question cœur, l’adulte demande à l’enfant de se

positionner sur un état interne de type épistémique alors qu’elle la questionne, à la ligne 1, sur la

connaissance ou non connaissance des villageois à propos du secret du roi en demandant : « Dans

le village, est-ce que les gens ils le savent que le roi a des oreilles de chèvre? ». Cependant, le

type de question fait en sorte que l’enfant répond par oui ou par non et qu’elle n’exprime pas

explicitement sa compréhension de l’état interne de type épistémique. Cette construction exige de

l’enfant une distanciation de ses propres connaissances jusque là construites dans l’histoire et de

celles des différents personnages. Ainsi, en plus d’un haut niveau de compréhension de la fausse

croyance, cela exige à l’enfant de faire une inférence de haut niveau en liant à la fois les

composantes récurrentes du récit et les éléments de la théorie de l’esprit. Toujours en ce qui a

trait à la théorie de l’esprit, on remarque, à la ligne 9, que l’adulte s’exprime sur l’état interne de

type émotionnel de celui qui a peine à garder le secret du roi.

Page 135: La lecture interactive : un contexte propice au ...

116

« Comment il se sent le roi? »

La huitième question cœur est « Comment il se sent le roi? ». Cette question a été soulevée alors

que l’adulte amorçait la lecture de la solution de l’histoire : « Les bergers partirent au village pour

célébrer la fête de mai et apportèrent les étranges roseaux pour le vendre un sou chacun. Le jour

de la fête de mai, les villageois étonnés virent le carrosse du roi traverser lentement la grande

place. Des rideaux sombres étaient suspendus aux fenêtres. ». L’adulte a arrêté sa lecture et a dit

à l’enfant :

Extrait 8 : 1. A. Est-ce qu’on le voyait? 2. E. Non. 3. A. Il était caché. Est-ce qu’i’ se trouve beau avec ses oreilles? 4. E. Non. 5. A. Il n’aime pas ça… En plus, c’est son grand secret et il reste caché. 6. A. (Livre.) « À l’instant où l’attelage s’arrêta, (Bruits de cheval au trot.)

une petite voix se mit à chanter… » 7. A. Avec moi! Prends ta flute! « Le roi a des oreilles de chèvre. » T’as pas

ta flute? 8. E. « Le roi a des oreilles de chèvre. » 9. A. « Le roi a des oreilles de chèvre. » Oh la la! Comment il se sent le roi?

Est-ce qu’il est content d’entendre ça? 10. E. Non. 11. A. Non! C’est son secret à lui. Pauvre roi… Son secret!

La question cœur est une question ouverte rétrospective qui a été posée à l’enfant à la ligne 9 et

qui visait à identifier le problème du roi. On remarque, à la ligne 9, que l’adulte, après avoir posé

la question ouverte rétrospective, pose ensuite une question fermée de type oui/non ayant un

niveau de difficulté inférieur et qui n’assure pas que l’enfant ait saisi les mêmes liens causaux

que ceux exprimés par l’adulte. Pendant cette section de l’intervention, la question de l’adulte fait

en sorte que l’enfant mentionne un évènement en prémisse de la solution en affirmant, à la

ligne 2, que « Non, [on ne le voyait pas]. » lorsqu’il était dans son carrosse. Ensuite, par ses

questions, l’adulte amène l’enfant à faire un retour en arrière en la questionnant sur le problème

du roi, ce qui amène l’enfant, à la ligne 8, à chanter la ritournelle : « Le roi a des oreilles de

chèvre.». L’enfant énonce partiellement, grâce à la question de l’adulte, l’émotion négative

causalement liée à la problématique du roi c’est-à-dire que « Non, [il n’est pas content d’entendre

ça]. » (ligne 10).

Page 136: La lecture interactive : un contexte propice au ...

117

Les questions posées ont servi à construire la cause de la cachette du roi, cachette qui a été

exprimée par l’adulte à la ligne 5 de l’extrait 8. Il s’agit ici de liens causaux intracomposantes fait

par l’adulte qui relient le problème à l’émotion négative qui y est rattachée. Si l’adulte avait

poussé le questionnement plus loin dans le but de permettre à l’enfant de faire ressortir

entièrement la solution, elle aurait pu amener l’enfant à faire un lien transcomposantes liant le

problème, le but et la solution.

En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, l’enfant répond aux questions de l’adulte au sujet de l’état

interne de type émotionnel et elle mentionne que « Non, [il ne se trouve pas beau]. » (ligne 4) et

que « Non, [il n’est pas content d’entendre ça). » (ligne 10). À la ligne 1, lorsque l’adulte

demande si on voyait le roi dans le carrosse, elle met de l’avant l’état physique qu’est l’acte de

voir. Dans tous les cas ici, il s’agit de l’adulte et non de l’enfant qui, par ses questions en cours de

discussion, nomme à la fois les états internes de type émotionnel et l’état physique à l’intérieur

même de la question formulée.

« Est-ce qu’i’ va pardonner à Igor le roi? »

La neuvième question cœur est « Est-ce qu’i’ va pardonner à Igor le roi? ». Cette question a été

posée alors que l’adulte venait de lire qu’Igor, de retour au château après la foire de mai, implore

le pardon du roi : « Votre Majesté, tout ce qui est arrivé pendant la foire de mai est de ma faute.

S’il vous plait, j’implore votre pardon. Pardonnez-moi, votre majesté! ». L’adulte interrompt sa

lecture pour dire :

Extrait 9 : 1. A. C’est toi qui fais le roi. Est-ce que tu me pardonnes? 2. E. (Silence.) 3. A. Est-ce qu’i’ va pardonner à Igor le roi? 4. E. Non. 5. A. I’ lui pardonne pas tu penses? 6. E. Oui.

Page 137: La lecture interactive : un contexte propice au ...

118

La question cœur est une question fermée de type oui/non qui vise à construire une partie de la

solution du récit. Cependant, les réponses de l’enfant qui nous mentionne, à la ligne 4, que « Non

[il ne pardonnera pas à Igor]. » et, à la ligne 6, que « Oui [il va pardonner à Igor]. » ne nous

permettent pas d’affirmer qu’elle a construit cette partie charnière de la solution.

Les réponses de l’enfant ne permettent pas d’affirmer qu’elle ait fait des relations causales pour

formuler sa réponse. En effet, l’adulte aurait dû pousser plus loin le questionnement en

demandant à l’enfant, par une question ouverte rétrospective, d’expliquer pourquoi le roi

pardonne ou non à Igor. Ainsi, par le questionnement de l’adulte, l’enfant aurait pu élaborer et

faire un lien causal intracomposante dans la solution qui aurait permis l’énonciation de cette

composante récurrente, mais elle aurait également pu faire un lien avec la morale du récit qui est

de s’accepter tel que nous sommes.

En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, rien n’a été discuté dans l’extrait 9.

4.3.1.1. Tableaux synthèses des questions auxquelles l’enfant répond

La partie qui suit présente la synthèse des résultats, sous forme de tableaux récapitulatifs, en ce

qui a trait aux questions auxquelles l’enfant répond. Dans un premier temps, la synthèse des types

de questions cœur auxquelles l’enfant a répondu sera présentée. Dans un deuxième temps, la

synthèse des composantes récurrentes visées par les questions cœur auxquelles l’enfant a répondu

sera présentée. Dans un troisième temps, la même chose sera faite en ce qui a trait aux relations

causales puis, finalement, la synthèse des états internes ciblés par les questions auxquelles

l’enfant a répondu sera présentée.

Page 138: La lecture interactive : un contexte propice au ...

119

Types de questions cœur auxquelles l’enfant répond

Le tableau 2 présente les neuf questions cœurs auxquelles l’enfant a répondu. Elles sont

catégorisées de la manière suivante : les questions fermées oui/non, les questions fermées

rétrospectives, les questions ouvertes rétrospectives et les questions ouvertes prospectives. Les

questions répondues adéquatement par l’enfant sont marquées d’un « oui » et celles dont la

réponse est incorrecte sont marquées d’un « non ». Sur les neuf questions cœurs posées, cinq sont

des questions fermées de type oui/non (56 %), deux sont des questions fermées rétrospectives

(22 %) et deux sont des questions ouvertes rétrospectives (22 %). Aucune question ouverte

prospective n’a été formulée.

Tableau 2: Types de questions cœur auxquelles l'enfant répond dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011)

Questions cœur Types de questions Q. fermées

oui/non Q. fermées

rétrospectives Q. ouvertes

rétrospectives Q. ouvertes prospectives

Est-ce qu’i’ sort de sa maison lui? Oui Ligne 5

Le roi a des oreilles de ch… Oui Ligne 1

Est-ce qu’i’ veut que tout le monde sache son secret le roi?

Oui Ligne 2

Est-ce que le roi i’ veut que les coiffeurs aillent dire son secret à tout

le monde?

Non Ligne 1

Les coiffeurs, i’ veulent plus aller chez le roi. Comment ça se fait?

Oui Ligne 1

Pourquoi il s’est évanoui? Non Ligne 5

Dans le village, est-ce que les gens ils le savent que le roi a des oreilles de

chèvre?

Oui Ligne 1

Comment il se sent le roi? Non Ligne 9

Est-ce qu’i’ va pardonner à Igor le roi?

Non Ligne 3

Total : 9 5 (56 %)

2 (22 %)

2 (22 %)

0 (0 %)

Page 139: La lecture interactive : un contexte propice au ...

120

À la lumière de ces résultats, on remarque que l’enfant répond adéquatement en majorité aux

questions fermées de type oui/non qui présentent un faible niveau de difficulté puisque la réponse

n’exige pas l’expression de relation causale. En effet, sur les cinq questions cœur fermées de type

oui/non qui ont été posées, elle parvient à trois reprises à répondre justement. C’est donc dire que

60 % (3/5) des réponses aux questions fermées de type oui/non sont réussies par l’enfant. Par

ailleurs, l’enfant parvient également à répondre à certaines questions fermées rétrospectives. Sur

les deux questions cœur posées de ce type, une seule a été répondue, celle concernant la poursuite

de l’énoncé de la ritournelle « Le roi a des oreilles de … ». C’est donc dire que, dans une plus

petite proportion, 50 % (1/2) des réponses aux questions fermées rétrospectives sont réussies par

l’enfant. Enfin, sur les deux questions posées de type ouvert et rétrospectif, l’enfant parvient une

fois à répondre adéquatement, c’est-à-dire dans une proportion de 50 % (1/2).

Questions cœur auxquelles l’enfant répond et composantes récurrentes visées

Le tableau 3 présente les composantes récurrentes visées76 par les questions cœur auxquelles

l’enfant a répondu. Les X représentent ce qu’a fait l’enfant et les (X) représentent ce qu’a fait

l’adulte. Lorsque l’enfant ne fait que répondre oui ou non à la formulation précédente de l’adulte

qui enchâsse une composante récurrente du récit, l’énonciation de la composante est accordée à

l’adulte et est donc représentée par (X). On remarque que la situation initiale a été abordée dans

100 % (1/1) des cas par l’adulte. Le problème, quant à lui, a été abordé par l’adulte dans 100 %

(5/5) des cas. L’adulte a aussi discuté de l’émotion négative dans 100 % (2/2) des cas. Le but a

été nommé par l’adulte dans 100 % (3/3) des cas. Les tentatives d’actions ont été abordées à parts

égales (50 %) par l’enfant (2/4) et par l’adulte (2/4). Finalement, c’est l’adulte qui, dans 100 %

(1/1) des cas, a discuté du sous-problème, de la sous-émotion négative et de la solution. Au total,

on remarque, dans les questions auxquelles l’enfant a répondu, que les composantes récurrentes

76 À l’intérieur du tableau on retrouve la situation initiale (S. I.), le problème (Prob.), l’émotion négative (É.-), le but (But), les tentatives d’actions (T. A.), le sous-problème (S.-Prob.), l’émotion négative liée au sous-problème (S.-É-), le sous-but (S.-But), la solution au sous-problème (S.-Sol.), la solution au problème principal (Sol.), l’émotion positive (É. +) et la situation finale (S. F.).

Page 140: La lecture interactive : un contexte propice au ...

121

du récit sont abordées par l’enfant dans 11 % (2/18) des cas et par l’adulte dans 89 % (16/18) des

cas.

On observe également, à la lecture du tableau 3, que, si on considère toutes les composantes

récurrentes, la situation initiale a été abordée dans 5,5 % (1/18) des cas, le problème dans 28 %

(5/18), l’émotion négative dans une proportion de 11 % (2/18), le but dans 17 % (3/18) des cas,

les tentatives d’actions dans 22 % (4/18) des cas, les sous-problèmes ont été abordés dans 5,5 %

(1/18) des cas, la sous-émotion négative dans 5,5 % (1/18) des cas et, finalement, la solution dans

5,5 % (1/18) a été discutée des cas.

Tableau 3 : Questions cœur auxquelles l’enfant répond et composantes récurrentes visées dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011)

Questions cœur auxquelles l’enfant

répond

S. I. Prob. É.- But T. A. S.- Prob.

S.- É.-

S. -But

S.- Sol.

Sol. É. +

S. F.

Est-ce qu’i’ sort de sa maison lui?

(X) Ligne

5

(X) Ligne

3

(X) Ligne 7

Le roi a des oreilles de ch…

(X) Ligne 1

Est-ce qu’i’ veut que tout le monde sache

son secret le roi?

(X)77 Lignes 1 et 2

(X) Lignes 2 à 17

Est-ce que le roi i’ veut que les coiffeurs aillent dire son secret

à tout le monde?

(X) Lignes 1 et 3

(X) Lignes 1 et 3

(X) Ligne 3

Les coiffeurs, i’ veulent plus aller

chez le roi. Comment ça se fait?

X Lignes 2 et 4

(X) Ligne 1

Pourquoi il s’est évanoui?

X Lignes 2 et 8

(X) Ligne

13

77 Même si l’enfant a énoncé à la ligne 1 « le roi a des oreilles de chèvre », la composante est accordée à l’adulte parce que l’enfant n’a fait que répéter cette phrase à la suite de l’énonciation de l’adulte et ne prouve, en aucun cas, qu’elle ait construit la problématique du récit.

Page 141: La lecture interactive : un contexte propice au ...

122

Questions cœur auxquelles l’enfant

répond

S. I. Prob. É.- But T. A. S.- Prob.

S.- É.-

S. -But

S.- Sol.

Sol. É. +

S. F.

Dans le village, est-ce que les gens ils le savent que le roi a

des oreilles de chèvre?

(X) Ligne 1

(X) Lignes 1 et 7

Comment il se sent le roi?

(X) Lignes 3, 7, 8

et 9

(X) Ligne

9

Est-ce qu’i’ va pardonner à Igor le

roi?

(X) Ligne 5

Total X : 2/18

(11 %)

Total (X) : 16/18 (89 %)

(X) : 1/1 (100 %)

(X) : 5/5 (100 %)

(X) : 2/2 (100 %)

(X) : 3/3 (100 %)

X : 2/4 (50 %)

(X) : 1/1 (100 %)

(X) : 1/1 (100 %)

(X) : 1/1 (100 %)

(X) : 2/4 (50 %)

Total : 18 1 (5,5 %)

5 (28 %)

2 (11 %)

3 (17 %)

4 (22 %)

1 (5,5 %)

1 (5,5 %)

1 (5,5 %)

À la lumière de ces résultats, il est important de mettre l’emphase sur le fait que l’enfant n’a

énoncé par elle-même que 11 % (2/18) des composantes récurrentes lors de la discussion autour

du récit et que cette proportion de composantes énoncées ne touche que les tentatives d’actions

qu’elle conçoit de manière isolée et non comme étant liées avec les autres composantes

récurrentes. Dans aucun cas, l’enfant nous a fait la démonstration qu’elle a réussi à construire la

problématique du roi et encore moins le but. Le tableau 3 nous montre aussi que l’adulte, dans le

but d’intervenir dans la zone proximale de développement de l’enfant, axe la plus grande

proportion de ses questions vers le problème. De plus, dans le but de stimuler la production de

relations causales permettant de lier la trame narrative avec l’enfant, on remarque que 67 %

(12/18) de la discussion tourne autour du problème (28 %), du but (17 %) et des tentatives

d’actions (22 %).

Questions cœur auxquelles l’enfant répond et types de relations causales établies

Le tableau 4 présente les types de relations causales faites dans l’interaction entre l’adulte et

l’enfant, et ce, pour les questions cœur auxquelles l’enfant répond. Les X représentent ce qu’a fait

Page 142: La lecture interactive : un contexte propice au ...

123

l’enfant et les (X) représentent ce qu’a fait l’adulte. On remarque que l’adulte et l’enfant ont

toutes deux fait une relation causale intracomposante (50 %, 1/2). L’adulte a également fait toutes

les relations causales intercomposantes (100 %, 4/4) et transcomposantes (100 %, 1/1). Ainsi, on

observe aussi que les relations causales ont été faites dans 14 % (1/7) des cas par l’enfant et dans

86 % (6/7) des cas par l’adulte. Si on s’attarde à ce qui a été fait au total en ce qui a trait aux

relations causales, il y a eu absence de relation causale dans 30 % (3/10) des cas, il y a eu

présence de relation causale intracomposante dans 20 % (2/10) des cas, présence de relation

causale intercomposante dans 40 % (4/10) des cas et présence de relation causale

transcomposante dans 10 % (1/10) des cas.

Tableau 4 : Questions cœur auxquelles l’enfant répond et types de relations causales établies dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011)

Questions cœur Absence de relation causale

Présence de relations causales intracomposantes Intercomposantes transcomposantes

Est-ce qu’i’ sort de sa maison lui? (X) Ligne 7

Le roi a des oreilles de ch… X Est-ce qu’i’ veut que tout le monde

sache son secret le roi? (X)

Lignes 2, 10 et 16

Est-ce que le roi i’ veut que les coiffeurs aillent dire son secret à

tout le monde?

(X) Ligne 3

Les coiffeurs, i’ veulent plus aller chez le roi. Comment ça se fait?

X Lignes 2 et 4

(X) Ligne 1

Pourquoi il s’est évanoui? (X) Ligne 13

Dans le village, est-ce que les gens ils le savent que le roi a des oreilles

de chèvre?

X

Comment il se sent le roi? (X) Lignes 3 et 5

Est-ce qu’i’ va pardonner à Igor le roi?

X

Total : 10 X : 3 (30 %)

Total X : 1/7 (14 %)

Total (X) : 6/7 (86 %)

X : 2 (20 %)

(X) : 4 (40 %)

(X) : 1 (10 %)

Page 143: La lecture interactive : un contexte propice au ...

124

Les résultats présentés nous permettent de voir que l’enfant fait peu de relations causales et que la

seule relation causale faite est une relation intracomposante, c’est-à-dire la relation causale la

plus simple à faire. Cette relation causale a été faite à l’intérieur d’une tentative d’action, c’est-à-

dire, dans la seule composante récurrente que l’enfant a su identifier. Ce faible taux de

construction de relations causales n’est pas sans lien avec le type de questions auxquelles l’enfant

a majoritairement répondu (questions fermées oui/non). On remarque, par contre, que

l’intervention de l’adulte se situe au-dessus de ce que l’enfant sait faire puisque l’adulte fait

principalement des relations causales intercomposantes permettant de relier entre elles deux

composantes récurrentes du récit et qui offrent un niveau de difficulté supérieur à celui exigé par

les relations causales intracomposantes. L’adulte agit donc comme un guide qui tente de diriger

l’enfant vers l’identification des composantes récurrentes et les liens causaux les unissant en une

trame narrative.

Questions cœur auxquelles l’enfant répond et composantes de la théorie de l’esprit

Le tableau 5 présente les composantes de la théorie de l’esprit touchées dans la discussion faite

autour des questions cœur auxquelles l’enfant a répondu. Les X représentent ce qu’a fait l’enfant

et les (X) représentent ce qu’a fait l’adulte. On remarque que l’état physique a été abordé dans

33 % (1/3) des cas par l’enfant et dans 67 % (2/3) des cas par l’adulte. L’état interne de type

émotionnel a été abordé par l’enfant dans 20 % (1/5) des cas et par l’adulte dans 80 % (4/5) des

cas. En ce qui a trait à l’état interne de type intentionnel, l’adulte l’a abordé dans 100 % (4/4) des

cas. L’état interne de type épistémique a été abordé par l’adulte dans 100 % (2/2) des cas. Au

total, on remarque que les états internes ont été abordés par l’enfant dans une proportion de 14 %

(2/14) dans les questions auxquelles elle a répondu et par l’adulte dans une proportion de 86 %

(12/14).

Si on observe la proportion des états internes discutés, on remarque que l’état physique a été

abordé dans 21 % (3/14) des cas, l’état interne de type émotionnel dans 36 % (5/14) des cas,

Page 144: La lecture interactive : un contexte propice au ...

125

l’état interne de type intentionnel dans 29 % (4/14) des cas et l’état interne de type épistémique

dans 14 % (2/14) des cas.

Tableau 5 : Questions cœur auxquelles l’enfant répond et composantes de la théorie de l’esprit dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011)

Questions cœur État physique État interne de type émotionnel

État interne de type intentionnel

État interne de type épistémique

Est-ce qu’i’ sort de sa maison lui? (X) Ligne 3

Le roi a des oreilles de ch… Est-ce qu’i’ veut que tout le monde

sache son secret le roi? (X)

Ligne 14 X

Ligne 13 (X)

Lignes 2, 10 et 16 (X)

Lignes 2, 10, 14 et 16

Est-ce que le roi i’ veut que les coiffeurs aillent dire son secret à

tout le monde?

(X) Ligne 3

Les coiffeurs, i’ veulent plus aller chez le roi. Comment ça se fait?

(X) Ligne 1

Pourquoi il s’est évanoui? X Ligne 2

(X) Ligne 13

(X) Lignes 9 et 11

Dans le village, est-ce que les gens ils le savent que le roi a des

oreilles de chèvre?

(X) Ligne 9

(X) Lignes 1 et 3

Comment il se sent le roi? (X) Ligne 1

(X) Lignes 3, 5 et 9

Est-ce qu’i’ va pardonner à Igor le roi?

Total X : 2/14 (14 %)

Total (X) : 12/14 (86 %)

X : 1/3 (33 %)

(X) : 2/3 (67 %)

X : 1/5 (20 %)

(X) : 4/5 (80 %)

(X) : 4/4 (100 %)

(X) : 2/2 (100 %)

Total : 14 3 (21 %)

5 (36 %)

4 (29 %)

2 (14 %)

À la lumière de ces résultats, on remarque que l’enfant énonce des états internes et que, en

observant les proportions, l’enfant énonce plus souvent l’état physique (33 %, 1/3) qui est l’état

qui, d’un point de vue développemental, est le plus facile et le premier à être énoncé par l’enfant.

L’état interne le plus discuté par l’adulte et l’enfant (36 %, 5/14) dans les questions auxquelles

l’enfant répond demeure toutefois l’état interne de type émotionnel. Toutefois, l’enfant exprime

cet état émotionnel dans 20 % (1/5) des cas, malgré que la littérature scientifique relate une

grande difficulté à évoquer les émotions chez les enfants autistes (Baron-Cohen, 1989; Lemay,

2004; Nadel, 2005; Rogers, et coll., 2003). On remarque d’ailleurs que c’est majoritairement

l’adulte qui l’a fait lors de la discussion. D’ailleurs, si on considère l’ensemble des résultats, on

Page 145: La lecture interactive : un contexte propice au ...

126

remarque que l’adulte a, dans 86 % (12/14) des cas, abordé les états internes des personnages et

qu’elle n’a pas hésité, en cours d’intervention, à discuter des états internes plus complexes

nécessitant de faire des inférences et de bien comprendre la trame narrative du récit comme l’état

interne de type intentionnel ou épistémique.

4.3.2. Questions auxquelles l’enfant ne répond pas

« Pourquoi i’ sort jamais de son château tu penses? »

La première question cœur à laquelle l’enfant ne répond pas en l’évitant est « Pourquoi i’ sort

jamais de son château tu penses? ». Cette question a été posée alors que l’adulte venait de lire la

première phrase du récit : « Le roi Boyan ne sortait jamais de son château. ». L’adulte a ensuite

posé les questions suivantes :

Extrait 10. 1. A. Pourquoi i’ sort jamais de son château tu penses? 2. E. (Silence.) 3. A. Comment ça se fait qu’i’ sort jamais? 4. E. (Changement de sujet. Elle parle de l’horaire.)

L’enfant garde le silence devant cette question ouverte prospective qui lui demande de faire une

hypothèse sur la cause de la réclusion du roi, hypothèse qui sera confirmée ou infirmée

ultérieurement dans le récit.

Cette hypothèse sert à identifier le problème du roi et l’émotion négative qui y est associée. Elle

vise, par le fait même, l’état interne de type émotionnel du roi. On remarque que l’adulte tente à

nouveau de lancer la discussion en reformulant la question, mais que l’enfant change de sujet.

Page 146: La lecture interactive : un contexte propice au ...

127

« Est-ce que le roi aime ça que tout le monde parle comme ça? »

La deuxième question cœur à laquelle l’enfant ne répond pas en l’évitant est « Est-ce que le roi

aime ça que tout le monde parle comme ça? ». La question a été posée alors que l’adulte en était

encore à la lecture de la situation initiale qui préparait la problématique du récit. L’adulte a lu :

« Dans tout le Royaume, le monde s’inquiétait du sort de tous ces coiffeurs disparus et les gens

parlaient entre eux. Les gens jacassent. »

Extrait 11. 1. A. Est-ce que le roi aime ça que tout le monde parle comme ça? 2. E. (Silence.) 3. A. Est-ce que le roi i’ aime ça? 4. E. Mmmmm.

Cette question fermée de type oui/non visait à construire l’émotion négative directement liée à la

problématique du récit. En affirmant que le roi n’aime pas que les villageois parlent de lui, il

aurait été possible de remonter jusqu’à la problématique du roi, soit le fait qu’il ait des oreilles de

chèvre, à la honte qui est l’émotion négative qui y est rattachée et même jusqu’au but du roi,

c’est-à-dire son intention de cacher ses oreilles : le roi n’aime pas que les gens parlent de lui

parce qu’il a honte (émotion négative) de ses oreilles de chèvre (problème) et qu’il désire les

cacher (but). Le silence de l’enfant a fait en sorte que l’adulte n’a pu créer, par le questionnement

de type « pourquoi », cette chaine causale avec l’enfant.

En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, la question cœur touchait l’état interne de type émotionnel

du roi, soit la honte qui est liée à son problème.

« Pourquoi le roi i’ les gardait prisonniers les coiffeurs, tu penses? »

La troisième question cœur à laquelle l’enfant ne répond pas en l’évitant est « Pourquoi le roi i’

les gardait prisonniers les coiffeurs, tu penses? ». Cette question a été posée alors que l’adulte

venait de lire la tentative d’action 2 : « En vérité, le roi Boyan ne voulait pas que les coiffeurs

Page 147: La lecture interactive : un contexte propice au ...

128

retournent chez eux. Non, non, non! Il les retenait prisonniers dans son château et leur confiait

différentes tâches. Certains devaient traire les vaches, d’autres barater le beurre et d’autres encore

prendre soin des cochons. ». Voici l’extrait de discussion autour de la tentative d’action 2 :

Extrait 12. 1. A. Pourquoi le roi i’ les gardait prisonniers les coiffeurs, tu penses? 2. E. (Silence.) 3. A. Hein? Le roi i’ voulait pas… 4. E. Pourquoi? 5. A. Nous on sait quelque chose hein? Parce qu’on a déjà lu l’histoire. Le roi

il a un secret. Hein? Il a un secret ce roi-là. 6. E. (Silence.) 7. A. C’est quoi son secret? 8. E. (Inaudible.) 9. A. Oui. Le roi i’ a un secret. Nous autre on le sait! C’est quoi son secret au

roi Boyan? 10. E. Oui. 11. A. Là, nous on sait que le roi i’ a un grand secret. C’est quoi son secret? 12. E. J’sais pas moi.

Dans cet extrait, on remarque que l’adulte pose une question ouverte rétrospective. Elle vise à

faire ressortir, à postériori et à partir de la tentative d’action 2, la relation avec le problème et le

but du roi. Ici, l’adulte pose la question cœur et, devant le silence de l’enfant, elle pose à trois

reprises la question fermée rétrospective « C’est quoi son secret? » pour faire en sorte que

l’enfant nomme le problème du roi (lignes 5, 9 et 11). La question ainsi formulée est moins

complexe que la question cœur qui demandait à l’enfant de faire le lien causal entre la tentative

d’action 2, le but et la problématique. En demandant « C’est quoi son secret? », on isole les

composantes du récit en évitant à l’enfant de faire des liens entre elles. Si l’enfant avait répondu

adéquatement à cette question, elle n’aurait pas automatiquement répondu à la question cœur, de

sorte que l’adulte aurait pu avoir à poser d’autres questions pour permettre l’élaboration du lien

causal ou à reprendre la question cœur.

Le fait que l’enfant ne réponde pas aux questions nous permet de croire qu’elle n’a pas compris la

problématique du récit, du moins, pas en profondeur. Si la question cœur avait été répondue, elle

aurait potentiellement soulevé l’état interne de type émotionnel du roi, c’est-à-dire la honte qu’il

ressent à propos de ses oreilles de chèvre. Le fait de nommer l’émotion aurait pu servir à l’enfant

Page 148: La lecture interactive : un contexte propice au ...

129

dans l’établissement de liens causaux à l’intérieur et entre les composantes récurrentes. L’adulte,

à la ligne 3, amorce une énonciation qui vise l’état interne de type intentionnel en disant « I’

voulait pas… », faisant ainsi référence au but du roi qui est de cacher son secret. De plus, lorsque

l’adulte demande, à la ligne 1, « Pourquoi le roi i’ les gardait prisonniers les coiffeurs, tu

penses? » et, à la ligne 3, amorce une question « I’ voulait pas… », il fait référence à l’état interne

de type épistémique alors qu’il demande à l’enfant d’identifier la connaissance ou la non-

connaissance des villageois et des coiffeurs à propos du secret du roi.

« Pourquoi il les garde prisonniers dans son château? »

La quatrième question cœur que l’enfant a évitée est « Pourquoi il les garde prisonniers dans son

château? ». Cette question a été posée lors d’une discussion autour du problème et du but du roi,

et ce, à la suite de l’énonciation de la tentative d’action 2. Voici l’extrait :

Extrait 13. 7. A. Pourquoi il les garde prisonniers dans son château? 8. E. (Silence.) 9. A. Tous les petits coiffeurs ils sont venus dans son château. I’ ont coupé

ses cheveux p’is i’ ont vu ses… 10. E. … DVD. 11. A. Oui. I’ ont vu ses? 12. E. (Silence.)

On remarque que la question cœur est une question ouverte de type rétrospective. Comment dans

l’extrait précédent, l’adulte a tenté de faire ressortir la problématique et le but du récit en

demandant à l’enfant de la lier causalement avec la tentative d’action 2. Cette fois-ci, devant le

silence de l’enfant, l’adulte a réduit la question en amorçant la réponse pour l’enfant. À la ligne 5,

elle a posé une question fermée à compléter : « I’ ont vu ses? » qui a un très faible niveau de

difficulté. On peut supposer que l’enfant aurait été capable de répondre à cette question, mais le

fait qu’elle demande un DVD nous laisse comprendre que soit son attention est ailleurs que

centrée sur le récit, soit la question ne l’intéresse pas ou encore qu’elle pose un niveau de

difficulté trop élevé. On peut affirmer qu’il y a un bris dans la situation d’attention conjointe liant

l’adulte et l’enfant.

Page 149: La lecture interactive : un contexte propice au ...

130

En posant la question cœur, l’adulte a tenté de faire ressortir la honte du roi qui est l’état interne

de type émotionnel lié à son problème (le roi a des oreilles de chèvre) qui génère un état interne

de type intentionnel lié au but (intention de cacher ses oreilles), ce qui aurait expliqué le fait qu’il

séquestre les coiffeurs (tentative d’action 2) et, par le fait même, aurait lié causalement les

composantes récurrentes du récit. En réduisant le niveau de complexité de la question, l’adulte

demande à l’enfant de tenir compte d’un état physique des coiffeurs, c’est-à-dire le fait de voir les

oreilles du roi.

« C’est quoi déjà son secret au roi? »

La cinquième question cœur à laquelle l’enfant ne répond pas en l’évitant est « C’est quoi déjà

son secret au roi? ». Cette question a été posée plus tard dans la lecture alors que l’adulte énonce

une partie du sous-problème 3 : « Igor était effrayé à l’idée que les gens du village apprennent ce

qu’il avait découvert au sujet du roi. ». Voici l’extrait de la discussion :

Extrait 14. 1. A. Lui, il est allé lui couper les cheveux. Il a vu son énorme secret. 2. E. (Silence.) 3. A. C’est quoi déjà son secret au roi? 4. E. (Silence.)

La question cœur est une question ouverte rétrospective qui fait référence au problème du récit (le

roi a des oreilles de chèvre). Le fait que l’enfant demeure silencieuse ne nous permet pas de la

questionner davantage dans le but de lier causalement la problématique du récit avec le sous-

problème 3, soit le fait qu’Igor n’est plus capable de garder le secret plus longtemps.

En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, la question demandait à l’enfant de faire ressortir la

problématique et, par le fait même, par le sous-questionnement, l’émotion négative qui y est

rattachée, c’est-à-dire l’état interne de type émotionnel du roi qu’est la honte. Cela aurait pu

permettre à l’adulte de poser d’autres questions qui auraient pu amener l’enfant à lier

Page 150: La lecture interactive : un contexte propice au ...

131

causalement la problématique et le sous-problème 3. En affirmant à l’enfant qu’Igor a vu

l’énorme secret du roi, l’adulte énonce un état physique, soit le fait d’avoir vu son secret.

« Est-ce qu’il y va au village? »

La sixième question cœur que l’enfant évite est « Est-ce qu’il y va au village? ». La question a été

posée en cours de lecture pendant la tentative d’action 5, où Igor affirme au roi que ses oreilles

sont parfaites, et avant que l’adulte énonce le sous-problème 4, c’est-à-dire la fabrication des

flutes avec les roseaux. L’adulte a lu : « Par la suite, Igor se rendait au château à chaque fois que

le roi désirait une nouvelle coupe de cheveux. Le roi tenait à savoir comment se déroulait la vie

au village. ». L’adulte a interrompu sa lecture et a demandé à l’enfant :

Extrait 15. 1. A. Est-ce qu’il y va lui au village? 2. E. (Silence.)

Cette question fermée de type oui/non visait la construction d’un lien avec la problématique. Si

l’enfant avait nommé que le roi ne va jamais au village, l’adulte aurait pu demander à l’enfant

« pourquoi il ne va jamais au village » et, alors, l’enfant aurait pu potentiellement lier

causalement le fait qu’il ne sorte pas de chez lui avec son problème, soit ses oreilles de chèvre.

Cependant, cette amorce de questionnements a été interrompue par le silence de l’enfant.

Aucune composante de la théorie de l’esprit n’a été soulevée dans l’extrait 15.

4.3.2.1. Tableaux synthèses des questions auxquelles l’enfant ne répond pas

La partie qui suit présente la synthèse des résultats, sous forme de tableaux récapitulatifs, en ce

qui a trait aux questions auxquelles l’enfant n’a pas répondu. Dans un premier temps, la synthèse

Page 151: La lecture interactive : un contexte propice au ...

132

des types de questions cœur auxquelles l’enfant n’a pas répondu sera présentée puis, dans un

deuxième temps, il en sera de même pour la synthèse des composantes récurrentes visées.

Finalement, la synthèse des états internes ciblés par les questions auxquelles l’enfant n’a pas

répondu sera présentée.

Types de questions cœur auxquelles l’enfant n’a pas répondu

Le tableau 6 présente les six questions cœurs auxquelles l’enfant n’a pas répondu, c’est pourquoi,

dans chaque case de cette catégorisation, on retrouve « non ». Elles sont catégorisées en fonction

du type de question posée, soit les questions fermées oui/non, les questions fermées

rétrospectives, les questions ouvertes rétrospectives et les questions ouvertes prospectives. On

remarque que les questions fermées oui/non ont été posées dans une proportion de 33 % (2/6),

tandis que les questions ouvertes rétrospectives ont été posées dans une proportion de 50 % (3/6).

Finalement, les questions ouvertes prospectives ont été posées dans une proportion de 17 % (1/6).

Tableau 6 : Types de questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011)

Questions cœur Types de questions Q. fermées

oui/non Q. fermées

rétrospectives Q. ouvertes

rétrospectives Q. ouvertes prospectives

Pourquoi i’ sort jamais de son château tu penses?

Non Ligne 1

Est-ce que le roi aime ça que tout le monde parle comme ça?

Non Ligne 1

Pourquoi le roi i’ les gardait prisonniers les coiffeurs, tu penses?

Non Ligne 1

Pourquoi il les garde prisonniers dans son château?

Non Ligne 1

C’est quoi déjà son secret au roi?

Non Ligne 3

Est-ce qu’il y va lui au village? Non Ligne 1

Total : 6 2 (33 %)

3 (50 %)

1 (17 %)

Page 152: La lecture interactive : un contexte propice au ...

133

Dans le tableau 6, on remarque que la moitié (3/6) des questions évitées par l’enfant sont des

questions ouvertes rétrospectives et que le deux tiers (4/6) des questions non répondues sont des

questions ouvertes, ce qui permet de bien cerner les difficultés de l’enfant. Cela n’est pas sans

lien avec ce qui a été remarqué dans les questions auxquelles elle a répondu puisque l’enfant a

répondu majoritairement aux questions fermées oui/non, n’a nommé qu’une tentative d’action,

dans la majorité des cas n’a pas fait de relation causale et, en ce qui a trait à la théorie de l’esprit,

a nommé plus souvent l’état physique. On remarque aussi, en observant les questions auxquelles

l’enfant ne répond pas, que l’adulte pose ces questions qui, d’emblée, semblent trop difficiles

pour l’enfant et offre, de ce fait, un modèle de questionnement causal centré sur les composantes

récurrentes du récit et l’établissement de relations causales entre elles.

Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas et composantes récurrentes visées

Le tableau 7 présente les composantes récurrentes du récit78 visées par les questions cœur

auxquelles l’enfant n’a pas répondu. On observe uniquement la présence de (X) puisqu’il s’agit

toujours d’interventions de l’adulte. On remarque que 56 % (5/9) de celles-ci visaient la

problématique, 22 % (2/9) ont visé l’émotion négative et 22 % (2/9) ont visé le but du

protagoniste.

78 À l’intérieur du tableau on retrouve la situation initiale (S. I.), la problématique (Prob.), l’émotion négative (É.-), le but (But), les tentatives d’actions (T. A.), le sous-problème (S.-Prob.), l’émotion négative liée au sous-problème (S.-É-), le sous-but (S.-But), la solution au sous-problème (S.-Sol.), la solution au problème principal (Sol.), l’émotion positive (É. +) et la situation finale (S. F.).

Page 153: La lecture interactive : un contexte propice au ...

134

Tableau 7: Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas et composantes récurrentes visées dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011)

Questions cœur auxquelles l’enfant

ne répond pas

S. I. Prob. É. - But T. A.

S. – Prob.

S. –É-

S. – But

S. - Sol.

Sol. É. +

S. F.

Pourquoi i’ sort jamais de son

château tu penses?

(X) Lignes 1 et 3

(X) Lignes 1 et 3

Est-ce que le roi aime ça que tout le monde

parle comme ça?

(X) Lignes 1 et 3

Pourquoi le roi i’ les gardait prisonniers

les coiffeurs, tu penses?

(X) Lignes 5, 7, 9 et 11

(X) Ligne 1

Pourquoi il les garde prisonniers dans son

château?

(X) Ligne 1

(X) Ligne 1

C’est quoi déjà son secret au roi?

(X) Lignes 1 et 3

Est-ce qu’il y va lui au village?

(X) Ligne 1

Total : 9 5 (56 %)

2 (22 %)

2 (22 %)

On remarque, à la lecture du tableau 7, que plus de la moitié des questions que l’enfant a évitées

étaient centrées sur la problématique du récit. Cela n’est pas sans lien avec les observations faites

lors des analyses où l’adulte fait l’hypothèse que l’enfant n’a pas construit la problématique et,

surtout, qu’elle n’a pas lié causalement le fait que le roi a des oreilles de chèvre comme étant un

problème générant une émotion négative et un but. On remarque cependant que l’intervention de

l’adulte vise cette construction et qu’elle cible ces trois composantes récurrentes dans

l’intervention. Sans comprendre le problème du roi en fonction de ses oreilles de chèvre, l’enfant

ne peut le lier au but et refaire la chaine causale permettant de lier ensemble les composantes

récurrentes créant la trame narrative du récit.

Page 154: La lecture interactive : un contexte propice au ...

135

Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas et composantes de la théorie de l’esprit

Le tableau 8 présente les composantes de la théorie visées par l’adulte dans la formulation des

questions cœur auxquelles l’enfant n’a pas répondu. On observe la présence seulement de (X)

puisqu’il s’agit toujours d’interventions de l’adulte. À la lecture du tableau, on remarque que

20 % (2/10) des composantes visées correspondaient à des états physiques, que 50 % (5/10)

correspondaient à des états internes de type émotionnel, que 20 % (2/10) correspondaient à des

états internes de type intentionnel et que 10 % (1/10) visaient l’état interne de type épistémique.

Tableau 8: Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas et composantes de la théorie de l’esprit dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011)

Questions cœur État physique État interne de type émotionnel

État interne de type intentionnel

État interne de type épistémique

Pourquoi i’ sort jamais de son château tu penses?

(X) Lignes 1 et 3

Est-ce que le roi aime ça que tout le monde parle comme

ça?

(X) Lignes 1 et 3

Pourquoi le roi i’ les gardait prisonniers les coiffeurs, tu

penses?

(X) Ligne 1

(X) Ligne 3

(X) Lignes 1 et 3

Pourquoi il les garde prisonniers dans son château?

(X) Lignes 3 et 5

(X) Ligne 1

(X) Ligne 1

C’est quoi déjà son secret au roi?

(X) Ligne 1

(X) Ligne 3

Est-ce qu’il y va lui au village?

Total : 10 2 (20 %)

5 (50 %)

2 (20 %)

1 (10 %)

Dans le tableau 8, on observe que, dans les composantes de la théorie de l’esprit présentes dans

les questions évitées, l’état interne de type émotionnel est celui qui a été le plus questionné et, de

ce fait, évité. Il s’agit donc de la moitié des états internes évoqués. On remarque donc que

l’adulte, quoiqu’en disent les caractéristiques diagnostiques de l’autisme, met l’accent sur l’état

interne de type émotionnel dans le récit. De plus, dans le but d’amener l’enfant à faire des

relations causales à l’intérieur et entre les composantes récurrentes, l’adulte cible l’émotion

Page 155: La lecture interactive : un contexte propice au ...

136

puisque, selon Makdissi et ses collaboratrices (2008), l’émotion agit comme moteur des

premières relations causales chez l’enfant.

4.3.3. Interactions spontanées de l’enfant

« Pourquoi? » « Pourquoi ça le tracasse? » « Pourquoi? » « J’veux le faire, ok? »

La première unité de sens dans laquelle on retrouve des interactions spontanées de l’enfant a été

trouvée alors que l’adulte venait de lire le passage suivant : « Dans tout le Royaume, le monde

s’inquiétait du sort de tous ces coiffeurs disparus et les gens parlaient entre eux. Cela tracasse le

roi. ». Cela fait partie de la situation initiale du récit et de la construction de la problématique.

L’enfant a interrompu la lecture de l’adulte et a dit :

Extrait 16. 1. E. Pourquoi? 2. A. Comment ça se fait que ça le tracasse? 3. E. Pourquoi ça le tracasse? 4. A. Que tout le monde parle de ce qui se passe au château? 5. E. (L’enfant parle d’autres choses.) 6. A. Que tout le monde parle de ce qui se passe au château? 7. A. (Livre.) En vérité, le roi Boyan ne voulait pas que les coiffeurs retournent

chez eux. Non, non, non! Il les retenait prisonniers dans son château et leur confiait différentes tâches. Certains devaient traire les vaches, d’autres barater le beurre et d’autres encore prendre soin des cochons.

8. A. Pourquoi le roi i’ les gardait prisonniers les coiffeurs, tu penses? 9. E. (Silence.) 10. A. Hein? Le roi i’ voulait pas… 11. E. Pourquoi? 12. A. … que les coiffeurs i’ retournent chez eux. Nous on sait quelque chose hein?

Parce qu’on a déjà lu l’histoire. Le roi il a un secret. Hein? Il a un secret ce roi-là.

13. E. (Silence.) 14. A. C’est quoi son secret? 15. E. (Inaudible.) 16. A. Oui. Le roi i’ a un secret. Nous autres on le sait! C’est quoi son secret au roi

Boyan? 17. E. Oui. 18. A. Le roi i’ a un grand secret. Nous on le connait son secret toutes les deux. 19. A. Là, nous on sait que le roi i’ a un grand secret. C’est quoi son secret? 20. E. J’ sais pas moi. 21. A. Oui! Les flutes elles le disent plus tard dans l’histoire. (En chantant.) « Le roi

a… » Il a quoi?

Page 156: La lecture interactive : un contexte propice au ...

137

22. E. (En chantant.) « Des oreilles de… » 23. A. (En chantant.) « Le roi a des oreilles de ch… » 24. E. (En chantant.) « De chèvre! » 25. A. Nous on sait le grand secret du roi. 26. E. J’veux le faire, ok? 27. A. Oui. 28. E. (En chantant.) « Le roi a des oreilles de chèvre. »

On remarque ici, en observant les extraits du dialogue mis en caractères gras, que l’enfant, en

demandant « Pourquoi? », tente de construire la problématique du récit à partir de la

dénomination de l’émotion négative venant d’être lue « Cela tracasse le roi. ». De plus, dans la

prolongation de la conversation avec l’adulte qui, à la ligne 2, reformule la question de l’enfant

en demandant « Comment ça se fait que ça le tracasse? », l’enfant réitère sa question en

demandant, à la ligne 3, « Pourquoi ça le tracasse? ». L’hypothèse qu’il y a potentiellement

émergence du problème peut être envisagée alors que l’enfant demande à l’adulte, à la ligne 26,

si elle peut chanter la ritournelle (« J’veux le faire, ok? »). Cependant, le fait que l’enfant chante

la ritournelle et qu’elle s’enquiert de savoir pourquoi cela tracasse le roi ne nous permet pas

d’affirmer qu’elle ait bien compris que le fait que le roi ait des oreilles de chèvre constitue la

problématique du récit. On peut penser qu’elle a davantage porté son intérêt sur la ritournelle

chantée que sur le message que cette dernière véhicule. Cette hypothèse d’une simple émergence

du problème peut être soutenue, par ailleurs, lorsqu’on observe toutes les questions posées sur la

problématique auxquelles l’enfant n’a pas répondu.

Certaines questions présentes dans l’extrait ne montrent pas que l’enfant ait fait des relations

causales pour répondre, par exemple, à la ligne 19, l’adulte demande « C’est quoi son secret? » et

l’enfant, à la ligne 20, répond « J’sais pas moi. ». En ce qui a trait aux relations causales, l’enfant

pose, sans toutefois y répondre, des questions nécessitant de faire un lien causal intracomposante

entre le problème (les oreilles de chèvre) et l’émotion négative (cela le tracasse). Il y a donc

émergence de l’établissement de relation causale intracomposante.

Page 157: La lecture interactive : un contexte propice au ...

138

En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, on remarque que l’état interne de type émotionnel du roi,

qu’est l’inquiétude, a été soulevé lorsque l’enfant demande, à la ligne 3, « Pourquoi ça le

tracasse? ». Si l’enfant avait poursuivi à la fois la discussion et à la fois son questionnement sur le

problème, il aurait été possible de penser qu’elle aurait soulevé l’état interne de type épistémique

puisque la discussion amorcée par la question posée « Pourquoi ça le tracasse? » (ligne 3) aurait

nécessité de se prononcer sur la pensée du personnage et, par le fait même, sur celle des

villageois puisqu’on se demande pourquoi le roi est tracassé par les ragots divulgués par les

villageois. Cette discussion aurait donc nécessité de discuter de la connaissance ou de la non-

connaissance du roi en ce qui a trait à ce qui est dit à son sujet au village, mais l’enfant n’a pas

poussé son raisonnement jusque là.

« Qu’est-ce qu’i’ a dit? »

La deuxième unité de sens présentant une interaction spontanée de l’enfant se trouve en cours de

discussion entre l’adulte et l’enfant, discussion dans laquelle l’adulte tente de faire nommer la

problématique du récit par l’enfant et de la lier causalement à la tentative d’action 2.

Précédemment, l’adulte aura lu la tentative d’action 2 : « En vérité, le roi Boyan ne voulait pas

que les coiffeurs retournent chez eux. Non, non, non! Il les retenait prisonniers dans son château

et leur confiait différentes tâches. Certains devaient traire les vaches, d’autres barater le beurre et

d’autres encore prendre soin des cochons. ». En cours de discussion, l’enfant a posé la question

suivante :

Extrait 17. 1. A. Est-ce qu’i’ ont vu ses oreilles? 2. E. Non… 3. A. Quand i’ viennent couper ses cheveux… 4. E. Oui. 5. A. Oui. 6. E. Qu’est-ce qu’i’ a dit? 7. A. Le roi il leur dit : non, non, non, je vous garde prisonniers de mon

château parce que vous savez maintenant mon secret.

L’extrait mit en caractères gras, démontre que l’enfant tente de construire la problématique du

récit puisqu’elle demande à l’adulte de lire comme si elle était le roi, ce que l’adulte fait.

Page 158: La lecture interactive : un contexte propice au ...

139

L’adulte, par sa réponse théâtrale, fait le lien avec le secret du roi, soit le fait qu’il ait des oreilles

de chèvre. Un autre élément présent dans l’extrait analysé est le fait que l’enfant change sa

réponse lorsqu’on la questionne sur l’état physique des coiffeurs, soit le fait de voir ou non les

oreilles. L’adulte demande, à la ligne 1, s’ils ont vu les oreilles et, à la ligne 2, l’enfant répond

non, puis l’adulte ajoute à son affirmation « Quand i’ viennent couper les cheveux du roi »

(ligne 3) et l’enfant répond, à la ligne 4, « oui ». Ici, l’adulte suppose une hésitation de la part de

l’enfant et elle répète sa réponse. L’enfant pose ensuite sa question « Qu’est-ce qu’i’ a dit »

(ligne 6), ce qui ne permet pas de savoir vraiment si l’enfant a compris ou non que les coiffeurs,

lorsqu’ils vont au château, voient les oreilles du roi. De plus, comme l’analyse des questions et

des interactions précédentes montre que l’enfant n’a pas tout à fait construit le problème du roi,

les réponses présentes dans l’extrait 17 sont considérées comme des hésitations. Les réponses de

l’enfant, de même que son interaction spontanée ne montre pas la présence de relation causale.

En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, l’adulte, à la ligne 1, nomme un état physique en

demandant : « Est-ce qu’i’ ont vu ses oreilles? ».

« Pourquoi? » « Au roi de quoi? »

La troisième unité de sens dans lequel on retrouve des interactions spontanées de l’enfant a été

sélectionnée alors que l’adulte venait de lire cette partie de dialogue entre Igor et le roi qui

constitue la tentative d’action 5 : « « Vous avez l’air très séduisant, Votre Majesté! Vous êtes très

beau! ». « Et mes oreilles? », demanda le roi. « Mais vos oreilles sont parfaites. » « Vraiment? »

« Vraiment! » Le roi lui dit donc : « Tu peux retourner chez toi ». » Voici le dialogue qui a suivi

la lecture :

Extrait 18. 1. A. Tous les autres coiffeurs, tu m’as dit qu’ils étaient restés prisonniers du

château. Mais lui, le roi il lui donne la permission de partir. Il l’envoie en liberté. Il lui dit : « Tu peux partir chez toi ». Comment ça se fait que lui il peut retourner chez lui, mais que tous les autres sont en prison?

2. E. Pourquoi? 3. A. Quand le roi lui a dit : « Comment vous trouvez mes oreilles? », lui i’ a

dit quoi?

Page 159: La lecture interactive : un contexte propice au ...

140

4. E. (Silence.) 5. A. « Vos oreilles sont parfaites! » Ça a fait très très très plaisir au roi. 6. E. Au roi de quoi? 7. A. Au roi Boyan. 8. E. Oui.

Dans l’extrait, l’adulte récapitule le récit à partir de la tentative d’action 2, soit le moment où on

apprend que les coiffeurs sont séquestrés, et pose une question ouverte de type rétrospective à

l’enfant, mais cette dernière, plutôt que de répondre, en pose une à son tour. On remarque ici que

l’enfant ne fait pas une imitation immédiate des propos de l’adulte lorsqu’elle demande pourquoi

(ligne 2); elle reformule plutôt la question de l’adulte, question qui traite du problème du roi (le

roi a des oreilles de chèvre) qui est causalement lié à la tentative d’action 5 où Igor affirme que

les oreilles du roi sont parfaites et au but du roi (cacher ses oreilles de chèvre). L’adulte, en

énonçant ces liens, amorce la construction d’un lien avec la morale de l’histoire, c’est-à-dire que

le roi commence à s’accepter tel qu’il est puisqu’il laisse partir Igor. Cependant, cette acceptation

ne sera complète pour le roi que lors de la solution où il s’accepte entièrement. Dans la tentative

d’action 5, il s’accepte puisqu’Igor mentionne que ses oreilles sont parfaites (ligne 5). On

remarque que l’adulte fait fi de la question de l’enfant et reformule et simplifie la question initiale

à laquelle l’enfant ne répond pas. L’adulte répond elle-même à sa question (ligne 5). L’enfant

pose ensuite une question à l’adulte qui n’est pas en lien avec la structure narrative du récit. En

effet, alors que l’adulte mentionne le roi, l’enfant lui demande : « Au roi de quoi? » (ligne 6).

Cette formulation fait partie des formulations usuelles de l’enfant. Le fait qu’une relation

d’intersubjectivité s’est établie entre l’adulte et l’enfant permet à l’adulte de reconnaitre les

constructions de phrases propres à l’enfant.

Dans cette unité de sens, on remarque que, si l’enfant avait répondu à la question initiale ou à sa

propre question (« pourquoi? »), il y aurait eu présence d’un lien causal transcomposantes entre la

tentative d’action 5, le problème, le but et l’amorce de la morale.

Page 160: La lecture interactive : un contexte propice au ...

141

Dans cet extrait, l’adulte, en lien avec la théorie de l’esprit, vise indirectement l’état interne de

type émotionnel du roi, c’est-à-dire la honte qu’il ressent à propos de ses oreilles, et nomme

explicitement l’état interne de type émotionnel en affirmant que le compliment fait très plaisir au

roi.

« Des yeux. » « Moi j’ai vu des yeux moi. »

La quatrième unité de sens dans laquelle on retrouve une interaction spontanée de l’enfant se

trouve dans la solution du récit. L’adulte a lu le passage suivant : « Par la fenêtre du carrosse

royal, la tête du roi Boyan apparue. Soudain, tous ceux qui le virent affirmèrent que le roi avait

les plus grosses oreilles qui soient. ». L’interaction ici analysée a suivi la lecture :

Extrait 19. 1. A. Tout le monde l’a vu. Tout le monde a vu son secret. 2. E. Des yeux. 3. A. Oui. Tout le monde le regarde. 4. E. Moi j’ai vu des yeux moi. 5. A. Des yeux qui te regardent et qui regardent le roi avec ses oreilles de

chèvre.

Lorsqu’elle mentionne des yeux, l’enfant fait référence à l’illustration sur laquelle on peut voir de

nombreuses paires d’yeux qui entourent le carrosse du roi, symbolisant ainsi les villageois

curieux et surpris qui viennent de découvrir le secret du roi. L’adulte, dans l’extrait 19, fait

ressortir un élément de la solution du récit, mais ne l’énonce pas complètement. On remarque

que, dans cette unité de sens, il y a absence de relation causale.

En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, en mentionnant, à la ligne 1, que tout le monde a vu le

secret du roi, l’adulte soulève un état physique, soit le fait de voir. L’enfant, en affirmant « Moi

j’ai vu des yeux moi. » (ligne 4), fait état de son propre état physique. En s’exprimant ainsi,

l’enfant parle comme si les yeux la regardaient et c’est cette idée que l’adulte reprend à la ligne 5

Page 161: La lecture interactive : un contexte propice au ...

142

tout en recontextualisant l’enfant dans le récit lorsqu’elle affirme : « Des yeux qui te regardent et

qui regardent le roi avec ses oreilles de chèvre. ».

4.3.3.1. Tableaux synthèses des interactions spontanées de l’enfant

La partie qui suit présente la synthèse des résultats, sous forme de tableaux récapitulatifs, en ce

qui a trait aux interactions spontanées de l’enfant. Dans un premier temps, la synthèse des

composantes récurrentes visées par les interactions spontanées de l’enfant sera présentée. Dans

un deuxième temps, la même chose sera faite en ce qui a trait aux relations causales puis,

finalement, la synthèse des états internes ciblés par les interactions spontanées de l’enfant sera

présentée.

Interactions spontanées de l’enfant et composantes récurrentes visées

Le tableau 9 présente les composantes récurrentes79 visées lors des interactions spontanées de

l’enfant. À la lecture du tableau, on remarque que la problématique a été abordée par l’adulte

dans 100 % (3/3) des cas, que l’émotion négative a été abordée par l’enfant dans 100 % (1/1) des

cas et que le but, les tentatives d’action ainsi que la solution ont été abordés par l’adulte dans

100 % (1/1) des cas. Au total, on remarque que, dans les interactions spontanées, l’enfant a

abordé les composantes récurrentes du récit dans 14 % (1/7) des cas et l’adulte l’a fait dans 86 %

(6/7) des cas. On remarque également, dans le tableau 9, que le problème a été abordé dans 43 %

(3/7) des cas et que l’émotion négative, le but et les tentatives d’actions ont été abordés chacun

dans 14,25 % (1/7).

79 À l’intérieur du tableau on retrouve la situation initiale (S. I.), la problématique (Prob.), l’émotion négative (É.-), le but (But), les tentatives d’actions (T. A.), le sous-problème (S.-Prob.), l’émotion négative liée au sous-problème (S.-É-), le sous-but (S.-But), la solution au sous-problème (S.-Sol.), la solution au problème principal (Sol.), l’émotion positive (É. +) et la situation finale (S. F.).

Page 162: La lecture interactive : un contexte propice au ...

143

Tableau 9: Interactions spontanées de l’enfant et composantes récurrentes visées dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011)

Interactions spontanées

S. I.

Prob. É. - But T. A. S. – Prob.

S.- É -

S. – But

S.- Sol.

Sol. É+

S. F

.

« Pourquoi? » « Pourquoi ça le

tracasse? » « Pourquoi? »

« J’veux le faire, ok? »

(X) Lignes 12, 14, 16, 18

à 28

X Ligne 2

« Qu’est-ce qu’i’ a dit? »

(X) Ligne 6

« Pourquoi? » « Au roi de

quoi? »

(X) Ligne 1

(X) Lignes 1 et

3

(X) Lignes 1,

3 et 5

(X) Ligne 5

« Des yeux » « Moi j’ai vu des

yeux moi »

X : 1/7 (14 %)

(X) : 6/7 (86 %)

(X) : 3/3 (100 %)

X : 1/1 (100 %)

(X) : 1/1 (100 %)

(X) : 1/1 (100 %)

(X) : 1/1 (100 %)

Total : 7 3 (43 %)

1 (14,25 %)

1 (14,25 %)

1 (14,25 %)

1 (14,25 %)

À la lecture du tableau 9, on remarque que l’enfant, quoiqu’il s’agisse des unités de sens

présentant ses interactions spontanées, n’aborde que très peu les composantes récurrentes du

récit. Sur les sept composantes sollicitées, elle ne discute que l’émotion négative liée à la

problématique, ce qui implique que ses propres initiatives ne touchent qu’à 14,25 % (1/7) des fois

des composantes récurrentes du récit. Cela n’est pas sans lien avec l’hypothèse faite en cours

d’analyse au sujet de la construction de la problématique par l’enfant. À ce propos, on remarque

que la moitié des composantes récurrentes identifiées en cours de discussions dans les

interactions spontanées de l’enfant touchent la problématique. C’est d’ailleurs l’adulte qui, dans

tous les cas, la cible en cours d’intervention dans le but de permettre à l’enfant de construire la

problématique du récit.

Page 163: La lecture interactive : un contexte propice au ...

144

Interactions spontanées de l’enfant et types de relations causales établies

Le tableau 10 présente les types de relations causales faites dans les interactions spontanées de

l’enfant. Dans la colonne « absence de relation causale », on remarque la présence de X, ce qui

signifie que la relation causale n’a pas été construite, ni par l’adulte, ni par l’enfant. Si on

s’attarde aux colonnes « présence de relations causales », on remarque la présence de la lettre E,

ce qui signifie que la relation causale s’est fait en cours d’échange avec l’adulte. La relation

causale a donc été construite soit par l’adulte, soit par l’enfant, ou encore en coconstruction. Par

contre, s’il y a présence de la lettre Q, cela signifie que l’enfant a soulevé une question qui

potentiellement permettrait la construction d’une relation causale, mais au final, l’enfant ne

répond pas à sa propre question. Ainsi, l’enfant, par son questionnement, marque la relation

causale, mais ne sent pas encore la nécessité de l’établir. Sur les quatre initiatives de l’enfant,

deux formulations de questions de l’enfant, donc 50 % des initiatives (Q), soulevaient un nœud

causal dans la trame du récit bien que l’enfant n’ait pas répondu à ses propres questions et n’a

donc pas établi de relation causale au final. Une de ces questions aurait pu permettre une relation

causale intracomposante et la seconde une relation causale transcomposante. Il y a eu absence de

relation causale dans 50 % (2/4) des cas.

Tableau 10: Interactions spontanées de l’enfant et types de relations causales établies dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011)

Interactions spontanées Absence de relation causale

Présence de relations causales intracomposantes Intercomposantes transcomposantes

« Pourquoi? » « Pourquoi ça le

tracasse? » « Pourquoi? »

« J’veux le faire, ok? »

Q Lignes 1 et 3

« Qu’est-ce qu’i’ a dit? » X « Pourquoi? »

« Au roi de quoi? » Q

Ligne 2

« Des yeux » « Moi j’ai vu des yeux

moi »

X

Total : 4 2 (50 %)

Q : 2 (50 %) 1

(25 %) 1

(25 %)

Page 164: La lecture interactive : un contexte propice au ...

145

L’analyse des relations causales en cours d’interactions spontanées permet de voir que l’enfant a

soulevé une question dont la réponse aurait exigé une relation causale intracomposante; si on

retourne dans l’analyse, il est possible de voir qu’elle est en lien avec l’identification de

l’émotion négative liée au problème du roi alors que l’enfant a demandé « Pourquoi ça le

tracasse? » (extrait 16, ligne 3). Ainsi, on remarque que l’identification de l’émotion négative

dans la question formulée montre son intérêt dans la recherche de la cause. Toutefois, elle

n’établit pas cette relation causale. Ce lien de causalité, si on s’attarde au niveau de difficulté, est

le plus simple à produire puisqu’il crée un lien causal au sein de la même composante récurrente

et ne permet pas de lier les composantes entre elles. On remarque également que l’enfant,

lorsqu’elle pose la question « Pourquoi? » (extrait 18, ligne 2), soulève potentiellement des

relations causales transcomposantes puisque sa question, si elle avait été répondue, aurait pu

permettre de faire ressortir la morale de l’histoire. Cependant, au final, l’enfant n’établit pas ces

relations causales puisqu’elle ne répond pas à sa propre question. Par ailleurs, on remarque que

l’enfant n’a pas fait de relation causale dans les interactions spontanées alors qu’elle en fait une

dans les questions auxquelles elle répond (tableau 4), d’où l’importance de l’intervention, de la

part de l’adulte, dans la zone proximale de développement de l’enfant, dans le but de l’amener à

construire des relations causales.

Interactions spontanées de l’enfant et composantes de la théorie de l’esprit

Le tableau 11 présente les composantes de la théorie de l’esprit ayant été visées lors des

interactions spontanées de l’enfant. Le X représentent les états internes soulevés par l’enfant et

les (X) ceux soulevés par l’adulte. On remarque que 60 % (3/5) des composantes de la théorie de

l’esprit ayant été abordées dans les interactions spontanées sont des états physiques et que 40 %

(2/5) d’entre elles visent l’état interne de type émotionnel. On observe que l’état physique a été

abordé dans 33 % (1/3) des cas par l’enfant et dans 67 % (2/3) des cas par l’adulte. On observe

également que l’état interne de type émotionnel a été abordé à parts égales par l’adulte et l’enfant

(50 %, 1/2). On remarque qu’au total, dans les interactions spontanées, 40 % (2/5) des états

internes ont été soulevés par l’enfant et 60 % (3/5) par l’adulte.

Page 165: La lecture interactive : un contexte propice au ...

146

Tableau 11: Interactions spontanées de l’enfant et composantes de la théorie de l’esprit dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011)

Interactions spontanées

État physique État interne de type émotionnel

État interne de type intentionnel

État interne de type épistémique

« Pourquoi? » « Pourquoi ça le

tracasse? » « Pourquoi? »

« J’veux le faire, ok? »

X Ligne 3

« Qu’est-ce qu’i’ a dit? »

(X) Lignes 1 à 4

« Pourquoi? » « Au roi de quoi? »

(X) Ligne 5

« Des yeux » « Moi j’ai vu des

yeux moi »

X Ligne 5

(X) Ligne 1

Total X : 2/5 (40 %)

Total (X) : 3/5 (60 %)

X : 1/3 (33 %)

(X) : 2/3 (67 %)

X : ½ (50 %)

(X) : ½ (50 %)

Total : 5 3 (60 %) 2 (40 %)

Le tableau 11 nous permet de remarquer que l’état interne qui, en proportion, fut le plus

fréquemment évoqué est l’état interne de type émotionnel (50 %, 1/2). Cela n’est pas sans lien

avec l’identification de l’émotion négative par l’enfant et la présence d’une relation causale

intracomposante. On remarque également qu’en cours de discussion dans les unités de sens

présentant les interactions spontanées de l’enfant, l’état physique a été le plus discuté (60 %, 3/5)

et qu’il s’agit de l’état interne le plus facile et le premier à être identifié. En observant ce que fait

l’enfant seule, on remarque que les interventions de l’adulte précédemment présentées lui

permettront de cheminer dans la construction de la structure narrative du récit et dans

l’identification des états internes puisque l’adulte, dans ses interventions, s’adapte au niveau de

l’enfant et vise sa zone proximale de développement. Dans les interactions spontanées de

l’enfant, on remarque, en ce qui a trait à la théorie de l’esprit, que l’adulte offre moins de soutien

laissant l’enfant mener la discussion.

Page 166: La lecture interactive : un contexte propice au ...

147

4.4. Synthèse

La synthèse du chapitre d’analyse de la lecture interactive du récit « Les oreilles du roi »

(Jovanovic et Béha, 2011) présente, sous forme de tableaux, les cinq angles sous lesquels les

unités de sens ont été analysées. À chaque fois, les observations seront mises en lien avec

l’objectif de la thèse et/ou le sous-objectif auquel elles se rapportent. Dans un premier temps, la

proportion des unités de sens sera présentée en fonction de leur catégorie. Dans un deuxième

temps, les questions cœur auxquelles l’enfant répond et celles auxquelles l’enfant ne répond pas

seront présentées en fonction de leur type. Dans un troisième temps, les questions cœur

auxquelles l’enfant répond, celles où l’enfant ne répond pas ainsi que les interactions spontanées

de l’enfant seront présentées en fonction des composantes récurrentes du récit visées. Dans un

quatrième temps, les questions cœur auxquelles l’enfant répond et ses interactions spontanées

seront présentées en fonction du type de relations causales faites ou non. Finalement, les

questions cœur auxquelles l’enfant répond, celles où l’enfant ne répond pas et les interactions

spontanées seront présentées en fonction des éléments de la théorie de l’esprit soulevés. Un

tableau récapitulatif sera présenté après chaque catégorie d’analyse.

4.4.1. Catégories d’unités de sens

Le tableau 12 présente la synthèse des catégories d’unités de sens repérés dans le récit « Les

oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011).

Tableau 12: Catégories d’unités de sens dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011)

Récit L’enfant répond

L’enfant ne répond pas Interactions spontanées

Les oreilles du roi (19)

9 (47 %)

6 (32 %)

4 (21 %)

Page 167: La lecture interactive : un contexte propice au ...

148

On remarque que, sur les 19 unités de sens analysés, 47 % (9/19) sont des questions auxquelles

l’enfant a répondu. Les questions auxquelles l’enfant ne répond pas représentent 32 % (6/19) des

unités de sens. Les interactions spontanées de l’enfant représentent 21 % (4/19) des unités de

sens. Cette analyse du comportement de l’enfant permet de répondre partiellement à l’objectif

spécifique 1.a. de la thèse qui est de décrire la progression de l’enfant, entre les données

d’intervention, au regard de la structuration du discours narratif en contexte de lecture interactive.

On y observe que, bien qu’un fort pourcentage des questions a été répondu, de nombreuses

questions ont été évitées par l’enfant en cours de discussion.

4.4.2. Types de questions cœur

Les types de questions cœur ont été définis dans le processus méthodologique de la thèse. Elles

sont catégorisées en fonction du type de questions, soit les questions fermées oui/non ou

rétrospectives ainsi que les questions ouvertes rétrospectives ou prospectives. Une synthèse des

tableaux discutés précédemment sera présentée dans le but de répondre partiellement à

l’objectif 1 de la thèse qui est de décrire et d’analyser l’intervention en lecture interactive et la

progression de l’enfant en ce qui a trait au développement de la structure narrative.

Le tableau 13 présente la synthèse des types de questions posées à l’enfant et de la façon dont

elles ont été posées. Ainsi, cela permettra de commencer à décrire ce que fait l’enfant dans

l’objectif ultérieur de tracer sa progression au regard de la structuration du discours narratif en

contexte de lecture interactive (objectif spécifique 1.a.). On y observe que le nombre de

« Questions auxquelles l’enfant répond adéquatement » est de neuf puisque cela fait référence au

nombre total de questions auxquelles l’enfant a répondu. En ce qui a trait aux « Questions posées

par l’adulte », le nombre est de 15 et cela fait référence à l’addition des questions auxquelles

l’enfant a répondu (9) et des questions auxquelles l’enfant n’a pas répondu (6).

Page 168: La lecture interactive : un contexte propice au ...

149

Tableau 13: Synthèse des types de questions cœur dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011)

Questions cœur Types de questions Q. fermées oui/non Q. fermées

rétrospectives Q. ouvertes

rétrospectives Q. ouvertes prospectives

Questions auxquelles l’enfant répond

adéquatement (9)

3 (42 %)

1 (50 %)

1 (20 %)

0 (0 %)

Questions posées par l’adulte (15)

7 (47 %)

2 (13 %)

5 (33 %)

1 (7 %)

Dans le tableau 13, on observe, en ce qui a trait aux questions fermées oui/non, que l’enfant a

répondu à 42 % (3/7) d’entre elles. En ce qui a trait aux questions fermées rétrospectives, l’enfant

a répondu à 50 % (1/2) d’entre elles. Les questions ouvertes rétrospectives, quant à elles, ont été

répondues dans 33 % (1/5) des cas. Il convient de rappeler que trois questions sur les cinq ont

carrément été évitées par l’enfant, ce qui représente 60 % des cas. Finalement, les questions

ouvertes prospectives ont été évitées dans 100 % (1/1) des cas. On observe donc que les questions

ouvertes sont souvent évitées ou inadéquatement répondues (seules 17 % sont adéquates, 1/6) en

comparaison aux questions fermées (44 %, 4/9).

Dans le but de répondre à l’objectif spécifique 1.b. qui est de décrire le contexte et le type

d’interventions élaborés par l’adulte autour du développement de la structuration du discours

narratif par l’intermédiaire de la lecture interactive, il importe de regarder quel type de question

ont été posées par l’adulte. Ainsi, l’adulte a posé 47 % (7/15) de questions fermées oui/non, 13 %

(2/15) de questions fermées rétrospectives, 33 % (5/15) de questions ouvertes rétrospectives et

7 % (1/15) de questions ouvertes prospectives. On observe donc que l’adulte, en cours

d’intervention, semble s’ajuster au niveau de l’enfant qui évite les questions ouvertes. L’adulte

semble chercher à intervenir dans la zone proximale de développement de l’enfant en posant

beaucoup de questions fermées oui/non qui sont, par ailleurs, les questions auxquelles elle a le

plus répondu, mais en posant également des questions ouvertes, et ce, même si l’enfant a plus de

mal à y répondre.

Page 169: La lecture interactive : un contexte propice au ...

150

4.4.3. Composantes récurrentes du récit visées

La troisième section de la synthèse de l’analyse du récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et

Béha, 2011) présente les composantes récurrentes du récit qui ont été visées, soit par les

questions cœur, qu’elles aient été répondues ou non, soit par les interactions spontanées de

l’enfant. Cela permet de répondre partiellement à l’objectif 1 de la thèse qui est de décrire et

d’analyser l’intervention en lecture interactive et la progression de l’enfant en ce qui a trait au

développement de la structure narrative. À l’intérieur du tableau on retrouve la situation initiale

(S. I.), la problématique (Prob.), l’émotion négative (É.-), le but (But), les tentatives d’actions (T.

A.), le sous-problème (S.-Prob.), l’émotion négative liée au sous-problème (S.-É-), le sous-but

(S.-But), la solution au sous-problème (S.-Sol.), la solution au problème principal (Sol.),

l’émotion positive (É. +) et la situation finale (S. F.). Les X représentent ce qu’a fait l’enfant et

les (X) représentent ce qu’a fait l’adulte. L’analyse des composantes récurrentes du récit visées

sera présentée, pour les questions cœur auxquelles l’enfant répond, pour les questions cœur

auxquelles l’enfant ne répond pas, pour les interactions spontanées de l’enfant et, finalement, une

synthèse sera présentée.

Tableau 14: Synthèse des composantes récurrentes du récit soulevées dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011)

Unités de sens S. I. Prob. É.- But T. A. S. – Prob

S.- É-

S. – But

S.- Sol.

Sol. É. +

S. F.

Questions cœur auxquelles l’enfant

répond

X : 1 (100 %)

(X) : 5 (38,5 %)

(X) : 2 (40 %)

(X) : 3 (50 %)

X : 2 (40 %)

(X) : 1 (100 %)

(X) : 1 (100 %)

(X) : 1 (50 %)

(X) 2 (40 %)

Questions auxquelles l’enfant ne répond

pas

(X) : 5 (38,5 %)

(X) : 2 (40 %)

(X) : 2 (33 %)

Interactions spontanées

(X) : 3 (23 %)

X : 1 (10 %)

(X) : 1 (17 %)

(X) : 1 (20 %)

(X) : 1 (50 %)

Total X : 4/34

(12 %)

Total (X) : 30/34 (88 %)

X : 1/1 (100 %)

(X) : 13/13 (100 %)

X : 1/5 (20 %)

(X) : 6/6 (100 %)

X : 2/5 (40 %)

(X) : 1/1 (100 %)

(X) : 1/1 (100 %)

(X) : 2/2 (100 %)

(X) : 4/5 (80 %)

(X) : 3/5 (60 %)

Total : 34 1 (3 %)

13 (38 %)

5 (14,5 %)

6 (18 %)

5 (14,5 %)

1 (3 %)

1 (3 %)

2 (6 %)

Page 170: La lecture interactive : un contexte propice au ...

151

Le tableau 14 présente la synthèse des composantes récurrentes, et ce, pour les trois catégories

d’unités de sens présentées précédemment. On observe que la situation initiale a été abordée par

l’enfant dans 100 % (1/1) des cas et que la problématique (13/13), le but (6/6), les sous-

problèmes (1/1), les sous-émotions négatives (1/1) et la solution (2/2) ont, pour leur part, tous été

abordés par l’adulte (100 %). L’émotion négative a été abordée par l’enfant dans 20 % (1/5) des

cas et par l’adulte dans 80 % (4/5) des cas. Les tentatives d’action ont été abordées par l’enfant

dans 40 % (2/5) des cas et par l’adulte dans 60 % (3/5) des cas. Ainsi, si on observe le

comportement de l’enfant et de l’adulte en ce qui a trait à l’énonciation des composantes

récurrentes du récit (objectifs spécifiques 1.a. et 1.b.), on constate qu’au total, 12 % (4/34) des

composantes récurrentes ont été abordées par l’enfant et 88 % (30/34) l’ont été par l’adulte, ce

qui met l’emphase sur l’importance de l’intervention et du soutien de l’adulte dans

l’identification des composantes récurrentes du récit, et ce, dans le but d’amener l’enfant a

construire sa propre compréhension du récit lu.

Si on s’attarde au nombre de fois que chaque composante récurrente a été soulevée lors de la

discussion autour du récit, on remarque que la situation initiale a été abordée dans 3 % (3/34) des

cas, que le problème l’a été dans 38 % (13/34) des cas, que l’émotion négative a été discutée dans

14,5 % (5/34) des cas, que le but a été discuté dans 18 % (6/34) des cas, que les tentatives

d’actions ont été abordées dans 14,5 % (5/34) des cas, que les sous-problèmes et les sous-

émotions négatives ont été abordés dans 3 % (1/34) des cas et, finalement, que la solution a été

abordée dans 6 % (2/34) des cas. Ainsi, il est possible d’affirmer que l’adulte, en cours

d’intervention, a mis l’emphase sur l’identification et la construction du problème du roi dans le

but de permettre à l’enfant de le comprendre en tant que cause motivant le but et générant la

chaine causale du récit. Cependant, les analyses précédemment présentées suggèrent que l’enfant

n’a pas construit le but et souligne l’importance de l’intervention de l’adulte en ce qui a trait à

l’identification de la composante récurrente.

Page 171: La lecture interactive : un contexte propice au ...

152

4.4.4. Types de relations causales établies

La quatrième section de la synthèse des analyses de la lecture interactive du récit « Les oreilles

du roi » (Jovanovic et Béha, 2011) indique s’il y a absence ou présence de relation causale dans

l’unité de sens sélectionné et présente, s’il y a présence de relation causale, de quel type il s’agit,

et ce, toujours dans le but de répondre à l’objectif 1 de la thèse qui est de décrire et d’analyser

l’intervention en lecture interactive et la progression de l’enfant en ce qui a trait au

développement de la structure narrative.

Parmi les types de relations causales et selon les critères de Makdissi et Boisclair (2008), on

retrouve les relations intracomposantes, les relations intercomposantes et les relations

transcomposantes. Dans le tableau, les X représentent ce qu’a fait l’enfant et les (X) représentent

ce qu’a fait l’adulte. Puisqu’il s’agit d’une analyse des réponses de l’enfant dans le dialogue avec

l’adulte, seules sont présentées ici les questions cœur auxquelles l’enfant répond ainsi que les

interactions spontanées de celle-ci. On remarque, dans le tableau 15, qu’aucune relation causale

n’a été accordée à l’enfant lors des interactions spontanées. Cela est dû au fait que l’enfant, lors

des interactions spontanées, a produit des questions pouvant conduire à l’établissement de

relations causales (voir tableau 10 : Q), ce qu’elle n’a toutefois pas été en mesure de faire. Ainsi,

ces relations ne sont pas comptabilisées dans le tableau synthèse.

Tableau 15: Synthèse des types de relations causales établies dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011)

Unités de sens Absence de relation causale

Présence de relations causales intracomposantes intercomposantes transcomposantes

Questions cœur auxquelles l’enfant répond

X : 3 (43 %)

X : 2 (100 %)

(X) : 4 (100 %)

(X) : 1 (100 %)

Interactions spontanées X : 4 (57 %)

Total : 14 X : 7 (50 %)

Total X : 2/7 (29 %)

Total (X) : 5/7 (71 %)

2 (14 %)

4 (29 %)

1 (7 %)

Page 172: La lecture interactive : un contexte propice au ...

153

Le tableau 15 présente la synthèse des types de relations causales faites dans les questions cœur

auxquelles l’enfant répond et dans les interactions spontanées de l’enfant. On remarque que, dans

l’ensemble des échanges n’ayant pas permis l’élaboration de relation causale, il y a eu absence de

relation causale dans une proportion de 43 % (3/7) lors des questions cœur auxquelles l’enfant

répond et 57 % (4/7) lors des interactions spontanées. On remarque également que, dans

l’ensemble des relations causales intracomposantes faites, 100 % (2/2) ont été effectuées par

l’enfant dans les questions cœur auxquelles elle a répondu. Les relations causales

intercomposantes (4/4) et transcomposantes (1/1) ont, pour leur part, été faites par l’adulte lors

des questions cœur auxquelles l’enfant a répondu (100 %). Au total, si on observe le tableau, on

remarque qu’il n’y a pas eu de relation causale dans 50 % (7/14) des cas, que les relations

causales intracomposantes ont été faites dans 14 % (2/14) des cas, que les relations causales

intercomposantes ont été faites dans 29 % (4/14) des cas et que les relations causales

transcomposantes ont été faites dans 7 % (1/14) des cas. On observe donc que la moitié des unités

de sens n’ont pas présenté de relations causales, ce qui n’est pas sans lien avec la difficulté que

l’enfant a à identifier et à énoncer les composantes récurrentes du récit, notamment la

problématique et le but. Cela a d’ailleurs été illustré dans la figure 8 où le schéma narratif et de la

théorie de l’esprit présentant la compréhension que l’enfant a du récit démontre, par la

juxtaposition des composantes récurrentes, que ces dernières ne sont pas liées causalement de

façon hiérarchique et dirigées par le but.

Dans le but de répondre à l’objectif spécifique 1.b. qui est de décrire le contexte et le type

d’interventions élaborés par l’adulte autour du développement de la structuration du discours

narratif par l’intermédiaire de la lecture interactive, il importe de s’attarder au soutien de l’adulte

dans l’élaboration des relations causales. On remarque que l’enfant a fait 29 % (2/7) des relations

causales tandis que l’adulte, par son soutien, en a fait 71 % (5/7). Il est à noter que l’enfant n’a

fait que des relations causales intracomposante. Cette analyse illustre que l’adulte est intervenu

dans la zone proximale de développement de l’enfant en agissant comme guide et en la soutenant

dans l’élaboration des liens causaux.

Page 173: La lecture interactive : un contexte propice au ...

154

4.4.5. Composantes de la théorie de l’esprit

Le dernier élément présenté dans la synthèse de l’analyse de la lecture interactive de « Les

oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011) est celui des composantes de la théorie de l’esprit.

Cela a pour intention de répondre à l’objectif 2 de la thèse qui est de décrire et d’analyser

l’intervention en lecture interactive et la progression de l’enfant en ce qui a trait au

développement de la théorie de l’esprit. Les composantes analysées sont l’état physique, l’état

interne de type émotionnel, l’état interne de type intentionnel et l’état interne de type épistémique

(Veneziano, 2010, 2016 ; Veneziano et Hudelot, 2006). Dans les tableaux, les X représentent les

composantes nommées par l’enfant et le (X) représentent les composantes nommées par l’adulte.

Dans un premier temps, les questions auxquelles l’enfant répond seront présentées, puis celles où

l’enfant ne répond pas, ensuite les interactions spontanées de l’enfant et, finalement, un tableau

synthèse sera présenté.

Tableau 16: Synthèse des composantes de la théorie de l’esprit soulevées dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011)

Unités de sens État physique État interne de type émotionnel

État interne de type intentionnel

État interne de type épistémique

Questions cœur auxquelles l’enfant répond

X : 1 (12,5 %)

(X) : 2 (25 %)

X : 1 (8,3 %)

(X) : 4 (33 %)

(X) : 4 (67 %)

(X) : 2 (67 %)

Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas

(X) : 2 (25 %)

(X) : 5 (42 %)

(X) : 2 (33 %)

(X) : 1 (33 %)

Interactions spontanées X : 1 (12,5 %)

(X) : 2 (25 %)

X : 1 (8,3 %)

(X) : 1 (8,3 %)

Total X : 4/29 (14 %)

Total (X) : 25/29 (86 %)

X : 2/8 (25 %)

(X) : 6/8 (75 %)

X : 2/12 (17 %)

(X) : 10/12 (83 %)

(X) 6/6 (100 %)

(X) : 3/3 (100 %)

Total : 29 8 (28 %)

12 (41 %)

6 (21 %)

3 (10 %)

Le tableau synthèse 16 présente la proportion d’apparitions de chaque composante de la théorie

de l’esprit, et ce, en fonction des trois catégories analysées précédemment. Si l’on considère

l’ensemble des échanges qui ont mené à la mise en relief d’un état physique, on remarque, à la

lecture du tableau, que cet état a été abordé par l’enfant au sein des questions cœur auxquelles

elle a répondu dans 12,5 % (1/8) des cas et que l’adulte, au sein de cette même catégorie, a

Page 174: La lecture interactive : un contexte propice au ...

155

abordé l’état physique dans 25 % (2/8) des cas. L’état physique a été abordé par l’adulte dans

25 % (2/8) des cas lors des questions cœur auxquelles l’enfant n’a pas répondu. L’enfant, au sein

de ses interactions spontanées, a abordé l’état physique dans 12,5 % (1/8) des cas et l’adulte l’a

fait dans 25 % (2/8) des cas. Au total, on remarque que l’enfant a abordé l’état physique dans

25 % (2/8) des cas et l’adulte l’a fait dans 75 % (6/8) des cas. En ce qui a trait à l’état interne de

type émotionnel, l’enfant l’a abordé dans 8,3 % (1/12) des cas lors des questions auxquelles elle a

répondu et l’adulte l’a fait dans 33 % (4/12) des cas. L’adulte, lors des questions auxquelles

l’enfant n’a pas répondu, a abordé l’état interne de type émotionnel dans 42 % (5/12) des cas.

Dans les interactions spontanées, l’enfant et l’adulte ont abordé l’état interne de type émotionnel

en proportion égale (8,3 %, 1/12). Au total dans cette catégorie liée aux émotions, on observe que

l’enfant a abordé l’état interne de type émotionnel dans 17 % (2/12) des cas, que l’adulte l’a fait

dans 83 % (10/12) des cas. En ce qui a trait à l’état interne de type intentionnel, l’adulte l’a

abordé dans 67 % (4/6) des cas lors des questions auxquelles l’enfant répond et dans 33 % (2/6)

des cas lors des questions auxquelles l’enfant ne répond pas. Au total, dans cette catégorie liée

aux intentions, on remarque que l’état interne de type intentionnel est abordé par l’adulte dans

100 % (6/6) des cas lors de discussions autour du récit. L’état interne de type épistémique est

abordé par l’adulte dans 67 % (2/3) des cas lors des questions cœur auxquelles l’enfant répond et

dans 33 % (1/3) des cas lors des questions auxquelles l’enfant ne répond pas. Ainsi, l’état interne

de type épistémique est abordé par l’adulte dans 100 % (3/3) des cas.

Au total, toujours dans le but de répondre à l’objectif 2 de la thèse ainsi qu’aux deux objectifs

spécifiques sous-jacents80, on remarque qu’au total, l’enfant a fait ressortir les états internes dans

14 % (4/29) des cas et que l’adulte l’a fait dans 86 % (25/29) des cas. Finalement, on remarque

qu’au total l’état physique a été discuté dans 28 % (8/29) des cas, que l’état interne de type

80 L’objectif spécifique 2.a. est de décrire la progression de l’enfant au regard de la théorie de l’esprit en contexte de lecture interactive, tandis que l’objectif spécifique 2.b. est de décrire le contexte et le type d’interventions élaborées par l’adulte dans le discours narratif autour de la théorie de l’esprit par l’intermédiaire de la lecture interactive.

Page 175: La lecture interactive : un contexte propice au ...

156

émotionnel a été abordé dans 41 % (12/29) des cas, que l’état interne de type intentionnel a été

abordé dans 21 % (6/29) des cas et que l’état interne de type épistémique l’a été dans 10 % (3/29)

des cas.

Ces résultats permettent de voir l’importance du soutien de l’adulte dans l’identification des états

internes puisque ces derniers sont en majorité identifiés par l’adulte. De plus, dans une

perspective développementale, on observe que la composante de la théorie de l’esprit que l’enfant

a proportionnellement le plus identifié est l’état physique (25 %, 2/8) ce qui est l’état le plus

facile à identifier. On remarque également que l’état interne le plus abordé en cours de discussion

est l’état interne de type émotionnel qui non seulement apparait plus tard dans la séquence

développementale, donc qui présente un niveau de difficulté supérieur si on le compare à l’état

physique, mais qui est également plus difficile à identifier de la part de l’enfant autiste.

Page 176: La lecture interactive : un contexte propice au ...

157

Chapitre 5 - Analyse de la lecture interactive Raoul Taffin

pirate

Le cinquième chapitre aborde l’analyse de la lecture interactive de l’album jeunesse « Raoul

Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) réalisée le 4 avril 2012. Le chapitre présente, dans un

premier temps, une analyse de l’objet, soit le livre, tant en ce qui a trait aux composantes

récurrentes présentes dans le récit qu’en ce qui a trait aux composantes de la théorie de l’esprit.

Le récit sera ensuite présenté sous forme de schéma. Dans un deuxième temps, la compréhension

que l’enfant a démontrée du récit, en contexte de lecture interactive avec l’adulte, sera présentée

sous forme de schéma afin de souligner les composantes récurrentes du récit discutées de même

que celles de la théorie de l’esprit. Dans le but de mettre en relief les questions de l’adulte

permettant de propulser l’enfant dans sa compréhension de l’histoire, afin de circonscrire les

interventions efficaces et de les modéliser, les vingt-quatre unités de sens présentant des éléments

de la discussion réalisée entre l’adulte et l’enfant dans un contexte de lecture interactive ont été

extraites du verbatim initial et seront analysées tant en ce qui a trait aux types de questions

posées, aux composantes récurrentes, aux liens causaux réalisés qu’aux éléments de la théorie de

l’esprit discutés. Parmi elles seront présentées quatorze unités de sens où l’enfant répond, trois

unités de sens auxquelles l’enfant ne répond pas ainsi que sept unités de sens comportant des

interactions spontanées de l’enfant. Dans un dernier temps, une synthèse concernant cette lecture

interactive sera présentée sous forme de tableaux.

5.1. Analyse de l’objet

L’album utilisé se nomme « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) et fait partie d’une

série de quatre livres. On y retrouve les titres suivants : « Raoul Taffin cosmonaute », « Raoul

Taffin cow-boy » et « Raoul Taffin chevalier ». Les quatre récits présentent le jeune Raoul qui,

grâce à son imagination débordante, vit de nombreuses aventures.

Page 177: La lecture interactive : un contexte propice au ...

158

Dans « Raoul Taffin pirate », l’histoire débute alors que le lecteur apprend que Raoul est le chef

d’une bande de pirates habitant à Port Boucan. Cependant, ces derniers s’ennuient, ce qui pousse

Raoul à les guider dans une folle aventure en mer dont le but est de rapporter du lard, du rhum et

de l’or à la maison. Raoul et son équipage embarquent à bord du bateau « Le terrifiant » et pillent

des villages et des vaisseaux pour remplir leurs cales. Cependant, alors qu’ils sont en mer, une

tempête survient et cela brise leur bateau qui dérive jusqu’au Pôle Nord. Raoul veut donc sauver

son équipage effrayé. Ensemble, ils réparent le bateau et retrouvent leur chemin. Ils trouvent

ensuite leur trésor sur une ile, mais, une fois de retour sur le bateau, des requins affamés les

attaquent. L’équipage a peur, mais Raoul, dans le but de le sauver, disperse les requins à coups de

rames. Sains et saufs, les pirates peuvent se mettre en route vers Port Boucan. C’est à ce moment

que Jules Quatrezieux, l’ennemi juré de Raoul, l’attaque. Raoul, en colère et désireux de protéger

son équipage ainsi que son trésor, se bat avec Jules et remporte la bataille. L’équipage peut enfin

reprendre sa route jusqu’à Port Boucan. Cependant, la route est longue et monotone et l’équipage

ouvre des barils de rhum. Ainsi, les pirates hallucinent et tentent de se jeter par-dessus bord dans

le but d’aller rejoindre les créatures fantastiques imaginées. Raoul, ayant pour but de protéger les

siens, leur prépare un lait fraise et les gardes sains et saufs sur le bateau, et ce, jusqu’à Port

Boucan où Raoul et sa bande, les bras chargés de vivres et de trésors, sont accueillis en héros.

Très heureux, Raoul Taffin est élu pirate de l’année. Tout le livre est illustré en fonction du récit

tel qu’écrit. Cependant, à la dernière page du livre, l’illustration nous fait réaliser que Raoul, tout

au long du récit, se trouvait en réalité au supermarché, ce qui laisse supposer au lecteur mature, à

un second degré d’interprétation, que cette aventure de pirate est le fruit de l’imagination du

protagoniste.

La figure 9 présente le schéma complexe et unique de la structure du récit « Raoul Taffin pirate »

(Moncomble et Pillot, 2001) ainsi que les composantes de la théorie de l’esprit (états internes) qui

sont rattachées aux composantes récurrentes du récit inhérente au premier niveau d’interprétation,

c’est-à-dire sans considérer la dernière illustration et en traitant dès lors le récit comme une

aventure de piraterie. Les composantes récurrentes du récit sont dans les encadrés blancs tandis

que les composantes de la théorie de l’esprit sont dans les encadrés noirs.

Page 178: La lecture interactive : un contexte propice au ...

159

Figure 9 : Schéma narratif et de la théorie de l’esprit : « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001)

Le problème principal du récit soulève un état interne de type émotionnel. En effet, l’équipage

s’ennuie et ceci génère un état interne de type intentionnel qui est relié au but de rapporter du

lard, du rhum et de l’or à la maison. Ce but principal fait en sorte que des tentatives d’actions sont

mises en place pour permettre à Raoul et son équipage de parvenir au but fixé, mais, tout au long

du récit, des sous-problèmes surviendront. Dans un premier temps, la tempête, qui brise leur

bateau et qui les égare au Pôle Nord génèrera l’état interne de type émotionnel, qu’est le fait

d’être effrayé, ainsi qu’un sous-but, commun aux quatre sous-problèmes présents dans le récit,

sauver l’équipage. Ce sous-but relève d’un état interne de type intentionnel, l’intention de

protéger et de sauver l’équipage. En ce qui a trait au premier sous-problème, il génère également

un état interne de type intentionnel chez Raoul qui est causalement lié au sous-but principal.

Raoul désire réparer le bateau et trouver son chemin pour sauver son équipage, ce qu’il parvient à

Marie-PierreBaronFévrier2015

LectureinteractiveRaoulTaffinpirate(schémaderécit):04-04-2012

Tentatived’action4:IlsseremettentenrouteversPort

Boucan.

Tentatived’action3:IlssemettentenrouteversPortBoucan.

Situationinitiale:

RaoulTaffinestlechefd’une

bandedepirates.

Situationfinale:Raoulestélupiratedel’annéeetattend

saprochaineaventure.

Tentatived’action2:Ilstrouventleurtrésor.

Solution:RaoulrevientàPortBoucanavecson

trésor.Émotionnégative:Ennui

Élémentdéclencheur:L’équipages’ennuiede

nerienfaire.

Émotionpositive:

Joie

ÉmotionnégativeEffrayés

ÉmotionnégativePeur

ÉmotionnégativeColère

Émotionnégativepeur

Sous-buts1-2-3-4:Sauverl’équipage

Étatinterneintentionnel:Intentiondeprotégeretdesauverl’équipage

Étatinterneémotionnel:

Ennui

Étatinterneémotionnel:

Joie

Étatinterneémotionnel:PeurÉtatinterneintentionnel:Ilveut

retrouversonchemin

Étatinterneémotionnel:PeurÉtatinterneintentionnel:Lesrequinsveulentlesmanger/Raoulveutfairefuirlesrequins

Étatinterneémotionnel:Colère

Étatinterneintentionnel:

Raoulveutgagnerlabataille/Julesveutpillerlenavire

Étatinterneémotionnel:Raoulest

heureuxÉtatphysique:l’équipage

suaitsangeteau

Étatinterneémotionnel:Joie

Sous-problème1(S-B1):UnetempêtebriselebateauetilsseperdentauPôleNord.

Solution1:Ilsréparentlebateauetretrouventleurchemin

Sous-problème2(S-B2):Desrequinslesattaquent.

Solution2:Raouldisperselesrequinsàcoupsderames.

Sous-problème3(S-B3):JulesQuatrezieuxlesattaque

3

Sous-problème4(S-B4):L’équipageadeshallucinationsduesàl’alcool.Ilsveulentsejeterpar-dessusbord.

Solution3:Raoulgagnelabataille.

Solution4:Raoulleurfaitboiredulaitfraiseettoutrentredansl’ordre.

Étatinterneémotionnel:peurÉtatinterneintentionnel:lespiratesveulentsejeter

par-dessusbordÉtatinterneintentionnel:Raoulveutleursauverlavie

Morale:PrendresoindesautresPourlesenfants,toutestprétexteàs’amuser

Tentatived’action1:Ilsdécidentdepartir.Ils

pillentdesvillagesetdesbateauxpourremplir

leurscales.

But:Rapporterdulard,durhumetdel’oràlamaison

Étatinterneintentionnel:

IntentionderapporteruntrésoràPortBoucan

Page 179: La lecture interactive : un contexte propice au ...

160

faire. Par la suite, la deuxième tentative d’action annonce que Raoul et son équipage trouvent le

trésor. Cela génère un état interne de type émotionnel positif chez Raoul et un état physique

puisque, dans le récit, on affirme que l’équipage a sué sang et eau pour déterrer le trésor. Survient

alors un deuxième sous-problème : des requins attaquent l’équipage apeuré. Cet état interne de

type émotionnel génère également un état interne de type intentionnel, c’est-à-dire que Raoul

veut faire fuir les requins. Cela est en lien avec le sous-but principal qui est de sauver l’équipage.

De plus, par leur présence, les requins génèrent un état interne de type intentionnel puisqu’ils ont

l’intention de manger Raoul et son équipage. Une fois les requins dispersés à coups de rame,

Raoul et son équipage peuvent se remettre en route vers Port Boucan, mais un troisième sous-

problème survient. Ils se font attaquer par Jules Quatrezieux, ce qui génère chez Raoul l’état

interne de type émotionnel de la colère ainsi qu’un état interne de type intentionnel. En effet,

toujours en lien avec le sous-but principal qui est de sauver l’équipage, Raoul a ici l’intention de

gagner la bataille, ce qu’il parvient à faire. Jules, quant à lui, désire piller le navire, ce qui est un

état interne de type intentionnel. L’équipage peut se remettre en route vers Port Boucan, mais la

route est longue, ce qui crée un dernier sous-problème, l’équipage ouvre des tonneaux de rhum et

se met à avoir des hallucinations. Cela génère chez l’équipage l’état interne de type intentionnel

qu’est le désir de se jeter par-dessus bord et qui, par le fait même, génère chez Raoul l’état

interne de type émotionnel, la peur, et l’état interne de type intentionnel, le désir de garder à bord

les pirates. Raoul réussit à garder les pirates à bord du bateau en leur donnant du lait fraise et ils

peuvent rentrer à Port Boucan. Ils sont accueillis en héros ce qui procure de la joie à Raoul, c’est-

à-dire un état interne de type émotionnel.

5.2. Analyse de la compréhension de l’enfant

Le schéma narratif et de la théorie de l’esprit représentant la compréhension que l’enfant a du

récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) est présenté dans la figure 10. À partir

du verbatim, il convient de présenter les énonciations coconstruites de l’enfant en collaboration

avec l’adulte en cours de lecture interactive. Dans l’encadré suivant, les propos de l’adulte sont

en [gris] et ceux de l’enfant en noir.

Page 180: La lecture interactive : un contexte propice au ...

161

[C’est un pirate comment lui?] Méchant [Qui est-ce qui est grognon?] Raoul. [Ils s’en vont

où?] Dans le bateau. [Qu’est-ce qu’i’ veulent?] (Bruits de moteur.) [Conduire leur bateau!]

[Pour aller chercher quoi?] Les pièces en or. [Regarde dans le bateau.] Qui c’est ça? C’est

une pirate. [Oui une fille dans l’équipage de Raoul!] [Comment ils se sentent tu crois?]

Regarde. Lui là, là. Je l’aime lui. [Est-ce que c’est le même?] Lui je l’aime beaucoup.

[Qu’est-ce qui leur arrive?] Là. (Silence.) I’ va avoir peur. [Pourquoi?] Parce que ça… [Ça,

c’est quoi ça? I’ va avoir peur parce que? Qu’est-ce qu’i’ se passe?] I’ a des mers. [I’ sont

dans la mer.] Avec les bouées. [Oui, i’ y a des bouées. I’ sont dans la mer.] Pourquoi?

[Regarde. I’ y a des éclairs.] I’ y a des squelettes aussi. [Oui! I’ y a une tête de squelette.

Oh!] P’is aussi? [Qu’est-ce qu’i’ y a d’autre?] I’ y a un os. Aussi? [Qu’est-ce qu’i’ y a

d’autres?] Ça aussi. C’est quoi ça? [Ça ici?] Oui. [Comme des bouées.] P’is ici? [« Ils sont

effrayés… »] Avec quoi? [Avec quoi?] Ça. [C’est quoi ça?] Un monstre. [Qu’est-ce qu’i’

(Raoul et son équipage) veulent?] I’ veulent jouer. [P’is i’ cherchent quoi eux? I’ sont partis

à la recherche de quoi?] Du ciel. [Pourquoi?] Parce que. Je sais pas moi. [Qu’est-ce qu’i’ y a

dans le ciel?] I’ y a des pirates. [Les pirates sont rendus dans le ciel?] Oui. [I’ sont pas sur la

mer?] Non. [P’is qu’est-ce qu’i’ se passe avec le ciel dans l’histoire?] I’ y a des squelettes.

Pis un os aussi, hein? De quoi? [De chien?] [I’ a été pris dans quoi? Dans la?] Mer. [Dans la

mer. Et puis là, Oh mon Dieu, il est arrivé où?] Dans le bateau. [Son bateau i’ est où? I’ est

rendu où? Au?] Lac. [I’ est à quel endroit? Est-ce qu’i’ est au Maroc?] Non. [I’ est où?]À

Québec.[Tupensesqu’ilestàQuébec?]Oui. [Aujourd’hui?]Oui. [Est-cequ’i’yade la

neige aujourd’hui àQuébec?]Oui. [(L’adulte hoche la têtepourdirenon.)] I’ y a des

feuilles.[Oui.]Quipoussent. [Des pingouins, un… Sais-tu c’est quoi ça?] Un phoque. [Un

morse.] Un narval. Des ours polaires. Et un requin aussi. [Il est où?] Dans la mer. [Où est-ce

qu’i’ vivent les ours polaires?] Au Pôle Nord. [Il est rendu au Pôle-Nord?] Oui. [Est-ce qu’il

est encore au Pôle Nord?] Non. [Qu’est-ce qu’i’ cherche déjà lui?] Un trésor. [Qu’est-ce

qu’il leur arrive?] Ils sauvent de la baleine. [Ils se sauvent! Regarde ses dents. Est-ce que

c’est une baleine?] Non, un requin. [Oh oui! Ils se sauvent du requin.] [Comment ils se

sentent tu crois?] Fâché. [Oui! I’ a l’air fâché contre le requin.][Regarde qu’est-ce qu’i’ a

derrière lui. Il cache son trésor derrière lui.] I’ a d’l’air content? [T’as raison. I’ a l’air fâché

et même, écoute, i’ crie : (Livre.) « Arrière bande d’anchois à l’huile de vidange! »] Raoul

Taffin en colère. P’is la madame? [Qu’est-ce qu’a’ fait?] Elle est triste. [Elle est triste tu

Page 181: La lecture interactive : un contexte propice au ...

162

penses? Pourquoi?] Parce qu’elle aime pas ça. [Elle aime pas quoi?] Les requins. [Ah non,

elle aime pas ça.] A’ fait quoi? [Elle essaie de se sauver.] Quand elle voit Mélissa? [Elle

rame p’is elle fait « Salut Mélissa! » puis elle rame encore.] [« Jules Quatrezieux, l’ennemi

juré de Raoul, voguait dans les parages. » Qu’est-ce qu’i’ sont en train de faire?] La mer…

I’ font quoi? [Qu’est-ce qu’i’ sont en train de faire Raoul et Jules?] Bataille. [Comment ça se

fait qu’i’ font la bataille?] I’ aiment ça. [Tu penses qu’i’ aiment ça? Est-ce que c’est gentil?]

Non. [Pourquoi ils se battent?] Parce que i’ sont… I’ font (mimes de bataille). [Est-ce que

c’est des amis?] Non. [Il (Jules Quatrezieux) fonça sur Raoul en hurlant : « J’aurai ta peau

face de hareng! »] Ben là, a’ m’a fait ça. [Qui ça?] I’ dit hameng. I’ dit face de hareng. [Face

de hareng.] C’est ça qu’i’ dit. [Mais la route du retour était encore longue jusqu’à Port

Boucan.] [Audébut ils sontpartispourallerchercherquoi?]Lequoi? [Ils sontpartis

pourallerchercher?]Unanimal.Non.Unsquelette.[I’cherchaientunsquelette?]Oui.

Ils sont beaux, hein? [Qui ça?] I’ sont beaux les pirates, hein? [Qu’est-ce qu’i’ sont en train

de faire?] I’ sont en train de jouer ensemble. À la fin qu’est-ce qu’a’ va faire à la fin? I’

disent (signe de la main pour saluer). [Quand ils sont partis, ils cherchaient un trésor.] Oui.

[P’is là, i’ ont arrêté dans les villages. I’ ont volé des villages pour mettre de la nourriture

dans les cales du bateau.] Oui. [I’ ont traversé une tempête effrayante qui les a menés jusque

où? Ils sont où là?] Au Pôle Nord. [P’is après ça, i’ ont retrouvé leur chemin jusqu’au trésor.

Raoul avait enfin son trésor. Qu’est-ce qu’on peut faire un coup qu’on a réussi notre

mission? Quand nous on part à pied et qu’on a une mission, quand on a réussi notre mission,

qu’est-ce qu’on fait?] On cherche un trésor. [I’ on trouvé leur trésor p’is après? Ils ont pu

rentrer à la maison. P’is là, i’ est arrivé un problème! Sur le chemin de la maison, qu’est-ce

qu’i’ est arrivé? I’ ont vu?] Des requins. [I’ est arrivé un premier problème. Ils ont rencontré

des?] Des requins. [Est-ce qu’i’ ont réussi à s’échapper?] Oui. [Mais là, i’ est arrivé un autre

problème. Il a rencontré? Son ennemi juré! Et qu’est-ce qu’i’ ont fait?] I’ a deux pirates.

[Qu’est-ce qu’i’ sont en train de faire Jules et Raoul?] I’ sont batte. [Ils se sont battus! Qui

est-ce qui a gagné le combat?] Raoul p’is Jules. [Oui. Ils se sont battus puis Raoul a gagné le

combat.] [Et puis là, ils peuvent retourner à la maison avec leur trésor.] Ils sont pas contents

les pirates, hein? [Est-ce qu’i’ sont pas contents?] Oui i’ sont contents. [Oui, hein? Raoul

avait sa mission : chercher son trésor. Est-ce qu’i’ a réussi sa mission?] Oui. [Regarde, il le

rapporte triomphant.]

Page 182: La lecture interactive : un contexte propice au ...

163

Par la suite, sur cette base dialogique, il convient de mettre en relief les constructions accordées à

l’enfant en conversation avec l’adulte et qui ont servi à constituer le schéma du récit par l’enfant.

Les énonciations accordées se trouvent dans l’encadré suivant.

C’est un pirate méchant. Raoul est grognon. Ils vont dans le bateau pour aller chercher des

pièces en or. Qui c’est ça? C’est une pirate. Là, il va avoir peur parce qu’il y a des mers avec

des bouées. Pourquoi? Il y a des éclairs, des squelettes aussi. Puis aussi, il y a un os. C’est

quoi ça? Puis ici? Ils sont effrayés avec un monstre. Les pirates veulent jouer. Ils sont dans

le ciel. Il y a des squelettes et un os de chien. Ils sont pris dans la mer avec un bateau. Il y a

un phoque, un narval, des ours polaires et un requin aussi. Ils sont dans la mer au Pôle-Nord.

Raoul cherche un trésor. Ils se sauvent du requin. Il a l’air fâché, en colère. La madame est

triste parce qu’elle aime pas ça les requins. Elle fait quoi? I’ font quoi? Raoul et Jules font la

bataille. Ils aiment ça. Ce n’est pas gentil faire la bataille. Ce ne sont pas des amis. Il dit :

face de hareng. Les pirates sont beaux. Ils sont en train de jouer ensemble. À la fin, qu’est-ce

qu’elle va faire à la fin? À la fin, ils saluent de la main. On cherche un trésor. Ils ont vu des

requins et ils ont réussi à s’échapper. Il y a deux pirates qui se battent, Raoul p’is Jules. Ils

sont pas contents les pirates, hein? Ils sont contents. Ils ont réussi leur mission.

Le repérage des énonciations de l’enfant créées en coconstruction avec l’adulte a permis de

dégager les composantes récurrentes du récit ainsi que les composantes de la théorie de l’esprit

identifiées par l’enfant et, par le fait même, de produire le schéma de la compréhension du récit

par l’enfant. Dans la figure 10, les composantes récurrentes du récit se retrouvent dans les

encadrés blancs et les composantes de la théorie de l’esprit ayant été soulevées par l’enfant se

retrouvent dans les encadrés noirs.

Page 183: La lecture interactive : un contexte propice au ...

164

Figure 10 : Schéma narratif et de la théorie de l’esprit présentant la compréhension que l’enfant a coconstruite du récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001)

En collaboration avec l’adulte, l’enfant nomme une situation initiale, c’est-à-dire le fait que

Raoul est un pirate méchant et grognon. L’enfant énonce clairement le but du récit, c’est-à-dire le

fait que les pirates vont chercher des pièces en or, un trésor. La quête correspond à un état interne

de type intentionnel. L’enfant mentionne une partie de la tentative d’action 1, c’est-à-dire qu’ils

vont dans le bateau, puis elle mentionne, comme premier sous-problème, le fait qu’il y a des mers

avec des bouées. Elle fait une dénomination faisant référence à l’illustration qui représente la

tempête. L’enfant mentionne le fait qu’ils sont pris dans la mer et qu’ils sont au Pôle Nord ainsi

que l’état interne de type émotionnel que cela engendre, soit la peur. Elle associe à cette peur les

éléments de l’illustration composant la tempête : les éclairs, les squelettes et le monstre. L’enfant

mentionne, par la suite, le sous-problème 2, soit qu’ils ont vu des requins, et la colère de Raoul

qui est l’état interne de type émotionnel y étant rattaché. L’enfant énonce une solution à ce sous-

problème en mentionnant qu’ils se sauvent des requins, qu’ils réussissent à s’échapper. Un état

But:Allerchercherdespiècesenor.Raoulchercheuntrésor

Tentatived’action1:Ilsvontdanslebateau.

Situationinitiale:

RaoulTaffinestunpirateméchantetgrognon.

Situationfinale:Ilssaluentdelamainet

jouentensemble.

Solution:Ilaréussisamission.

Émotionpositive:Ilssontcontents.

Sous-problème1:Ilssontdanslameravecdesbouées.Ilssontprisdanslamer.IlssontauPôleNord.

I’yadeséclairs,dessquelettes,unmonstre.

Sous-problème2:Ilsontvudesrequins

Sous-problème3:RaouletJulesfontlabataille.Cenesontpasdesamis.

Solution2:Ilssesauventdesrequins.Ilsontréussiàs’échapper.

ÉmotionnégativeIlssonteffrayés.

ÉmotionnégativeIlal’airfâché,encolère.La

madameesttristeparcequ’elleaimepasçalesrequins.

Émotionpositive:Ilsaimentça.

Étatinterneémotionnel:

Joie

Étatinterneémotionnel:

Peur

Étatinterneémotionnel:Lacolèreetlatristesse

Étatinterneintentionnel:Intentiond’allerchercherdespiècesenor,untrésor.

Étatinterneémotionnel:Soulagement

Étatinterneintentionnel:Ilsontl’intentiondesesauverdesrequins.

Sous-But:sesauver

Page 184: La lecture interactive : un contexte propice au ...

165

interne de type émotionnel est ici inféré, soit le soulagement de Raoul et de son équipage, et, par

l’énonciation de la sous-solution, on peut inférer l’énonciation de l’état interne de type

intentionnel qu’est l’intention de se sauver des requins. L’enfant soulève le sous-problème 3,

c’est-à-dire que Raoul et Jules font la bataille et l’état interne de type émotionnel qui a engendré

cette bataille, soit le fait qu’ils ne sont pas des amis. L’enfant identifie également l’état interne de

type émotionnel associé au fait de se battre, soit qu’ils aiment ça. On remarque que le sous-

problème 3 et l’émotion négative qui y est rattachée ne sont pas causalement liés aux autres

composantes récurrentes présentées dans la structure. Ainsi, dans la figure, il n’est pas lié aux

autres par un trait noir. Finalement, l’enfant annonce, comme solution, que Raoul a réussi sa

mission. L’état interne de type émotionnel que la solution engendre, le fait qu’il soit content, est

également nommé. En tant que situation finale, l’enfant mentionne que les pirates saluent de la

main et jouent ensemble.

5.3. Discussions entre l’adulte et l’enfant autour du récit

L’étude de la discussion entre l’adulte et l’enfant autour du récit « Raoul Taffin pirate »

(Moncomble et Pillot, 2001)81 a permis de faire ressortir trois catégories d’interactions

différentes, c’est-à-dire celles où l’enfant répond aux questions de l’adulte, celles où l’enfant ne

répond pas aux questions de l’adulte et les interactions spontanées de l’enfant. Dans cette partie,

chaque interaction sera recontextualisée dans le récit et commentée en ce qui a trait au type de

question cœur posée par l’adulte, à la justesse de la réponse de l’enfant, au lien avec les

composantes récurrentes du récit de même que ceux avec les éléments de la théorie de l’esprit

ainsi qu’en ce qui a trait aux types de relations causales faites.

81 Il est à noter qu’il s’agit de la troisième lecture interactive de ce livre que l’adulte a fait avec l’enfant.

Page 185: La lecture interactive : un contexte propice au ...

166

5.3.1. Questions auxquelles l’enfant répond

« C’est un pirate comment lui? »

La première question cœur à laquelle l’enfant a dû répondre est « C’est un pirate comment lui? ».

La question a été posée alors que l’adulte venait tout juste de lire le titre du récit. L’adulte a alors

attiré l’attention de l’enfant sur l’illustration et lui a dit :

Extrait 1. 1. A. Regarde! Grrrrr! C’est un pirate comment lui? 2. E. Méchant.

On remarque ici que la question cœur est une question fermée rétrospective. La question visait,

en guise d’amorce à la situation initiale du récit, à discuter du personnage principal et à bien

contextualiser le récit qui lui a déjà été lu auparavant, et ce, sans avoir à établir de relation

causale. Par sa réponse, qui ne nécessite pas d’établir de relation causale, l’enfant a fait ressortir

un trait de caractère du protagoniste, en affirmant que « [C’est un pirate] méchant. » (ligne 2). Il

aurait été intéressant que l’adulte continue la conversation en posant à l’enfant une question

ouverte de type « Pourquoi? », ce qui aurait pu permettre la dénomination du but ou, du moins,

prolonger la discussion pour aborder réellement la situation initiale.

Par ailleurs, aucun élément de la théorie de l’esprit n’a été discuté par l’intermédiaire de cette

question.

« Qui est-ce qui est grognon? »

La deuxième question cœur qui a été posée est « Qui est-ce qui est grognon? ». La question a été

posée alors que l’adulte venait de lire les premières phrases du récit : « Raoul Taffin était le chef

Page 186: La lecture interactive : un contexte propice au ...

167

d’une bande de pirates. Tous des grognons, des grincheux, des ronchons. Ce soir là, ils

grognaient, grinchaient, ronchonnaient plus encore que d’habitude. » L’adulte a ensuite posé la

question suivante :

Extrait 2. 1. A. Qui est-ce qui est grognon? 2. E. Raoul.

Cette question fermée de type rétrospective a été posée à l’enfant et cette dernière y a répondu

correctement. Encore une fois, la question visait à contextualiser le récit et à définir le

protagoniste de l’histoire en faisant ressortir son trait de caractère soit le fait que « Raoul [est

grognon] » (ligne 2), et ce, sans nécessairement discuter d’une composante récurrente. Le niveau

de difficulté de la question est facile puisque l’adulte venait de lire l’extrait qui disait que Raoul

et son équipage étaient grognons. Ainsi, l’enfant n’a pas eu à faire de relation causale pour

répondre à la question. Un sous-questionnement ouvert aurait pu permettre d’en faire et

d’amorcer une discussion autour du problème. Cependant, le fait de poser cette question a permis

à l’adulte de vérifier si l’attention de l’enfant était au même endroit que le sien, c’est-à-dire

centrée sur le livre et sur la présentation des personnages.

Dans cette unité de sens, aucune composante de la théorie de l’esprit n’a été discutée entre

l’adulte et l’enfant.

« Qu’est-ce qu’i’ veulent? »

La troisième question cœur qui a été posée est « Qu’est-ce qu’i’ veulent? ». Avant de questionner

l’enfant, l’adulte a lu cet extrait de la tentative d’action 1 : « Il avait justement dans la poche le

plan d’un trésor. On poussa des « Hourra! » et des « Vive Raoul! ». À vrai dire, on poussa surtout

un « Ouf! ». ». À la suite de la lecture de cet extrait, l’adulte a posé des questions auxquelles

l’enfant n’a pas répondu et qui seront considérées plus loin dans l’analyse. L’enfant a ensuite

Page 187: La lecture interactive : un contexte propice au ...

168

parlé de l’horaire de la journée, puis l’adulte, dans le but de recentrer l’attention de l’enfant sur le

livre, a enchainé avec ces questions :

Extrait 3. 9. A. Ils s’en vont où? 10. E. Dans le bateau. 11. A. Oui! Pour faire quoi? Qu’est-ce qu’i’ veulent? 12. E. (Bruit de moteur.) 13. A. Conduire leur bateau! Pour aller chercher quoi? 14. E. Les pièces en or. 15. A. Les pièces en or! Oui! 16. E. Oui. 17. A. Un trésor avec des pièces en or.

On remarque que la question cœur est une question ouverte rétrospective. En effet, l’adulte, par

son questionnement (lignes 1 et 3), cherche à faire nommer le but du récit par l’enfant. Aux

lignes 2 et 6, l’enfant répond : « Dans le bateau [pour aller chercher] les pièces en or. ». La

question ouverte et le sous-questionnement ont permis à l’enfant de faire une relation causale

intercomposante et ainsi de nommer la tentative d’action 1 (Ligne 2 : « [Ils vont] dans le

bateau. ») et le but du récit (Ligne 6 : « [Pour aller chercher] les pièces en or »).

En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, l’enfant énonce l’état interne de type intentionnel de

Raoul et de son équipage, soit leur intention d’aller chercher un trésor.

« Comment ils se sentent tu crois? »

La quatrième question cœur à laquelle l’enfant répond est « Comment ils se sentent tu crois? ».

La question a été posée en cours de lecture de la tentative d’action 1 : « Raoul Taffin et son

équipage embarquèrent donc sur « Le Terrifiant ». Ils étaient gonflés à bloc. Le trésor n’avait

qu’à bien se tenir. Comme disait Raoul : « Par ma barbe! On va voir ce qu’on va voir

MordBouc! » Raoul Taffin n’avait ni barbe ni bouc, mais il aimait bien jurer. ». L’adulte a

ensuite posé les questions suivantes :

Page 188: La lecture interactive : un contexte propice au ...

169

Extrait 4. 1. A. Comment ils se sentent tu crois? 2. E. Regarde. Lui là, là. Je l’aime lui. 3. A. Est-ce que c’est le même? 4. E. Lui je l’aime beaucoup.

La question posée est une question fermée rétrospective. Elle demandait à l’enfant de discuter de

l’état interne de type émotionnel de Raoul et de son équipage pendant la tentative d’action 1. On

remarque ici que l’enfant parle à l’adulte, mais elle répond à ses questions en exprimant ses

propres sentiments au regard des personnages au lieu de cibler les émotions vécues par ceux-ci

(lignes 2 et 4). L’adulte, dans cette situation, aurait pu centrer l’attention de l’enfant sur le

personnage visé (Raoul) et répéter la question à l’enfant dans le but d’avoir une réponse et

d’amorcer un dialogue. Aucune relation causale n’a été faite par l’enfant.

En mentionnant qu’elle aime le personnage (ligne 2 et 4), elle fait référence à un état interne de

type émotionnel à partir d’elle-même et non à partir des personnages fictifs du livre.

« Pourquoi? »

La cinquième question cœur est « Pourquoi? ». L’unité de sens présente une question cœur à

laquelle l’enfant répond et a été sélectionnée en cours de discussion à la suite de la lecture de la

fin de la tentative d’action 1 : « À présent, « Le Terrifiant » et son équipage d’affreux étaient

prêts à affronter n’importe quoi et même pire. ». La discussion suivante a suivi la lecture :

Extrait 5.

1. A. Qu’est-ce qu’il leur arrive? 2. E. Là. (Silence.) I’ va avoir peur. 3. A. Oui, hein? Pourquoi? 4. E. Parce que ça… 5. A. Ça, c’est quoi ça? 6. E. (Bruits.) 7. A. I’ va avoir peur parce que? Qu’est-ce qu’i’ se passe? 8. E. I’ y a des mers. 9. A. I’ sont dans la mer.

Page 189: La lecture interactive : un contexte propice au ...

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10. E. Avec les bouées. 11. A. Oui, i’ y a des bouées. I’ sont dans la mer. 12. E. Avec les bouées. 13. A. Oui, i’ y a des bouées. I’ sont dans la mer.

La cinquième question cœur à laquelle l’enfant répond est « Pourquoi? » (ligne 3). Il s’agit d’une

question ouverte rétrospective qui tourne autour du sous-problème 1 où Raoul et son équipage

sont prisonniers de la tempête. À la ligne 1, l’adulte demande à l’enfant « Qu’est-ce qu’il leur

arrive? ». À la ligne 2, en guise de réponse, l’enfant répond à l’adulte en attirant son attention

(« Là. ») et fait une hypothèse sur l’état interne de type émotionnel de Raoul (« I’ va avoir

peur. »), ce qui laisse croire qu’elle tente de construire le sous-problème 1. En affirmant qu’« I’

va avoir peur » (ligne 2), l’enfant énonce la sous-émotion négative liée au sous-problème 1.

L’adulte centre alors son attention sur ce que l’enfant lui propose et lui demande, à la ligne 3, la

cause de la peur de Raoul (« Pourquoi? »), ce à quoi l’enfant répond « Parce que ça, i’ y a des

mers avec les bouées. » (lignes 4, 8 et 10).

Avec la question cœur de l’adulte (ligne 3 : « Pourquoi? »), l’enfant fait un lien causal

intracomposante entre différents éléments de l’illustration qui représentent la tempête et la peur

de Raoul « I’ va avoir peur parce que ça, i’ y a des mers avec les bouées. » (lignes 2, 4, 8 et 10).

De plus, elle mentionne l’état interne de type émotionnel de Raoul (ligne 2).

« Qu’est-ce qu’ils veulent? »

La sixième question cœur qui a été posée est « Qu’est-ce qu’i veulent? ». L’adulte a lu l’extrait de

la tentative d’action 1 qui menait au premier sous-problème, soit la tempête qu’ils devraient

affronter. Voici l’extrait : « À présent, « Le Terrifiant » et son équipage d’affreux étaient prêts à

affronter n’importe quoi et même pire. Ils sont effrayés… ». À la suite de la lecture de cet extrait,

l’adulte a posé des questions auxquelles l’enfant n’a pas répondu et qui seront traitées plus loin

dans l’analyse. Puis, elle a enchainé avec les questions suivantes:

Page 190: La lecture interactive : un contexte propice au ...

171

Extrait 6. 1. A. C’est quoi ça? 2. E. Un monstre. 3. A. On dirait un monstre! T’as raison! Qu’est-ce qu’i’ vont faire? 4. E. (Gémissements.) 5. A. Qu’est-ce qu’i’ veulent? 6. E. I’ veulent jouer. 7. A. I’ veut jouer. P’is i’ cherchent quoi? 8. E. (Silence.) 9. A. (Silence.) 10. E. I’ veut jouer. Ouch. 11. A. I’ veut jouer. P’is i’ cherchent quoi eux? I’ sont partis à la recherche

de quoi? 12. E. De le ciel. 13. A. Du sel? 14. E. Du ciel! 15. A. Du ciel? Ah oui? Pourquoi? 16. E. Parce que. Je sais pas moi. 17. A. Explique-moi pourquoi i’ sont partis à la recherche du ciel. 18. E. (Silence.) 19. A. Hein? Pourquoi i’ sont partis à la recherche du ciel, tu m’as dit?

Qu’est-ce qu’i’ y a dans le ciel? 20. E. I’ y a des pirates. 21. A. Les pirates sont rendus dans le ciel? 22. E. Oui. 23. A. I’ sont pas sur la mer? 24. E. Non. 25. A. Oh! P’is qu’est-ce qu’i’ se passe avec le ciel dans l’histoire? 26. E. I’ y a des squelettes. 27. A. I’ y a des squelettes dans le ciel… 28. E. P’is un os aussi, hein? 29. A. Et un os. 30. E. De quoi? 31. A. De chien?

La question cœur est du type ouverte rétrospective et vise à construire le but du récit, mais

l’enfant n’y parvient pas; elle se centre plutôt sur le sous-problème 1. En premier lieu, on

remarque, à la ligne 1, que l’adulte, dans le but que l’enfant précise et exprime son pointage sur

l’illustration du livre, lui pose une question fermée de dénomination en lien avec cette

illustration. Ainsi, l’enfant dit qu’elle voit un monstre (ligne 2). Lorsque l’adulte demande

« Qu’est-ce qu’i’ vont faire? » (ligne 2), l’enfant esquive la question. L’adulte enchaine ensuite

avec la question cœur « Qu’est-ce qu’i’ veulent? » (ligne 5) qui a été ensuite précisée en

refermant la question « P’is i’ cherchent quoi? » (ligne 7), l’enfant répond, à la ligne 6 et à la

ligne 10, « I’ veulent jouer ». L’adulte, à la ligne 11, reprend la réponse de l’enfant et pose à

nouveau la question, soit « I’ veut jouer. P’is i’ cherchent quoi eux? ». L’enfant répond « [I’

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172

cherchent] le ciel. » (ligne 12). L’adulte tente de soutenir les explications de l’enfant afin qu’elle

rende compte de son interprétation en demandant « Pourquoi? » (ligne 15) et « Explique-moi

pourquoi ils sont partis à la recherche du ciel. » (ligne 17). Cette recherche causale semble

difficile pour l’enfant. D’abord, elle affirme « parce que… je ne sais pas. » (ligne 16), puis elle

garde le silence (ligne 18). L’adulte demande « Pourquoi i’ sont partis à la recherche du ciel, tu

m’as dit? » (ligne 19) et, immédiatement après, elle demande à l’enfant « Qu’est-ce qu’i’ a dans

le ciel? » (ligne 19). Partant d’une question ouverte de nature causale, la question s’est refermée à

un niveau de difficulté très bas amenant à la dénomination et invitant l’enfant à se centrer sur

l’illustration. Elle dit alors : « [Dans le ciel] i’ y a des pirates, des squelettes et un os aussi. »

(lignes 20, 26 et 28). L’attention de l’enfant est donc centrée sur l’illustration qui présente la

tempête où on aperçoit des squelettes, des os et des pirates dans le ciel. Ceci lui permet de

discuter, à sa manière, de l’élément problématique, mais pas du but de la quête.

Le fait que l’adulte, par la reformulation de sa question, centre l’attention de l’enfant non pas sur

le but du récit, mais bien sur l’illustration, fait en sorte que l’enfant dénomme les éléments

constituant le sous-problème 1 de l’histoire et ne fait pas de relation causale. Il est possible de

remarquer que l’adulte ne retourne pas à sa question initiale en visant la construction du but.

Ainsi, la composante de la théorie de l’esprit que l’adulte visait à discuter avec l’enfant, soit l’état

interne de type intentionnel (lignes 3, 5, 7 et 11) a été occultée. On remarque cependant que

l’enfant, en énonçant qu’« I’ veulent jouer » (lignes 6 et 10), fait référence à un état interne de

type intentionnel qui est possiblement davantage en lien avec ses propres intentions qu’en lien

avec celles du protagoniste.

Page 192: La lecture interactive : un contexte propice au ...

173

« Il est arrivé où? »

La septième question cœur posée est « Il est arrivé où? ». La question a été posée alors que

l’adulte avait lu précédemment le sous-problème 1 : « Le Terrifiant n’était plus qu’une misérable

épluchure de cacahuète au milieu de la tempête. Brinqueballé, cabossé, déglingué et il disparut au

milieu d’une épouvantable purée de pois. ». Après la lecture de cet extrait, l’adulte a posé des

questions auxquelles l’enfant n’a pas répondu et qui seront traitées plus loin dans l’analyse. Pour

recentrer l’attention de l’enfant sur le récit, l’adulte a posé les questions suivantes :

Extrait 7. 1. A. I’ a été pris dans quoi? 2. E. (Silence.) 3. A. Dans la? 4. E. Mer. 5. A. Dans la mer. Et puis là, Oh mon Dieu, il est arrivé où? 6. E. Dans le bateau. 7. A. Oui. Son bateau i’ est où? I’ est rendu où? Au? 8. E. Lac. 9. A. Oui. I’ est à quel endroit? Est-ce qu’i’ est au Maroc? 10. E. Non! 11. A. I’ est où? 12. E. À Québec. 13. A. Tu penses qu’il est à Québec. 14. E. Oui. 15. A. Aujourd’hui? 16. E. Oui. 17. A. Est-ce qu’i’ y a de la neige aujourd’hui à Québec? 18. E. Oui. 19. A. (L’adulte hoche la tête pour dire non.) 20. E. I’ y a des feuilles. 21. A. Oui. 22. E. Qui poussent. 23. A. T’as raison. Des pingouins, un… Sais-tu c’est quoi ça? 24. E. Un phoque. 25. A. Un morse. 26. E. Ça. 27. A. (Silence.) 28. E. Un narval. 29. A. Oui! 30. E. Des ours polaires. 31. A. Des ours polaires. Oh! 32. E. Et un requin aussi. 33. A. Il est où? 34. E. Dans la mer. 35. A. Dans la mer. Au? Où est-ce qu’i’ vivent les ours polaires? 36. E. Au Pôle Nord. 37. A. Il est rendu au Pôle Nord? 38. E. Oui!

Page 193: La lecture interactive : un contexte propice au ...

174

On remarque ici que la question cœur « Il est arrivé où? » (ligne 5) est une question fermée

rétrospective. La question vise précisément la fin du sous-problème 1, soit le fait que la tempête

les ait menés jusqu’au Pôle Nord. Dans l’interaction, l’enfant mentionne que « [I’ a été pris dans

la] mer » (ligne 4), « [I’ est arrivé] dans le bateau » (ligne 6), « [Son bateau i’ est au] lac »

(ligne 8) et qu’il est « Au Pôle Nord. » (ligne 36). Ainsi, l’enfant nomme la tentative d’action 1

qui annonce que Raoul et sa bande partent en bateau. L’adulte, qui tente de faire énoncer à

l’enfant que Raoul et son équipage se trouvent au Pôle Nord, lui fait une suggestion erronée en

lui demandant si l’équipage est au Maroc, pays dans lequel se trouvent les protagonistes d’un

autre album jeunesse que l’enfant affectionne et l’enfant répond que « Non, [i’ est pas au

Maroc] » (ligne 10) et qu’ « [I’ est] à Québec » (ligne 12). À la suite de ces réponses, on

remarque que l’adulte, en prenant compte du fait que l’attention de l’enfant était centrée sur

l’illustration, décide de joindre son attention à la sienne et lui demande de dénommer des

animaux présents. L’enfant nomme « un phoque » (ligne 24), « un narval » (ligne 28), « des ours

polaires » (ligne 30), « et un requin aussi » (ligne 32), ce qui l’amène à dire, à la ligne 36, que

« [Les ours polaires vivent] au Pôle Nord » et, à la ligne 38, que « Oui [il est rendu au Pôle

Nord] ». Ainsi, le fait que l’enfant acquiesce aux propos de l’adulte (ligne 38) et qu’elle affirme

qu’« [Ils ont été pris dans la] mer. » (ligne 3) nous permet de faire l’hypothèse que, avec le

soutien de l’adulte, elle est en train de construire le sous-problème 1.

L’adulte a simplifié une question déjà simple de par sa nature fermée, dans le but de discuter de

la trame narrative avec l’enfant, notamment en lien avec l’arrivée au Pôle-Nord s’intégrant au

sous-problème 1. Cependant, les questions posées ont fait en sorte que l’attention de l’adulte et de

l’enfant sont restés majoritairement centrées sur les illustrations. La question n’a pas nécessité à

l’enfant de faire des relations causales et ne visait aucune composante de la théorie de l’esprit.

Page 194: La lecture interactive : un contexte propice au ...

175

« Qu’est-ce qu’i’ cherche déjà lui? »

La huitième question cœur qui a été posée est « Qu’est-ce qu’i’ cherche déjà lui? ». La question a

été posée alors que l’adulte venait de lire la solution du sous-problème 1 qui mène à la tentative

d’action 2, dont voici l’extrait : « Une fois « Le Terrifiant » réparé, recousu et rebouché, Raoul fit

demi-tour. Grâce à la petite boussole qu’il avait emportée, il retrouva son chemin. ». L’adulte a

ensuite interrompu sa lecture pour poser les questions suivantes à l’enfant :

Extrait 8. 1. A. Oh! Est-ce qu’il est encore au Pôle Nord? 2. E. Non. 3. A. Non, hein? T’as vu, sur une belle plage de sable blanc? Qu’est-ce qu’i’

cherche déjà lui? 4. E. Un trésor.

La question cœur est une question ouverte rétrospective (ligne 3). La question visait à faire

nommer le but par l’enfant, ce qu’elle a fait à la ligne 4 en affirmant « [I’ cherche] un trésor. »,

mais visait également à préparer la lecture de la tentative d’action 2 dans laquelle Raoul et son

équipage trouvent le trésor sur la plage de sable blanc. La construction du but par l’enfant exige

une relation causale intercomposante avec la problématique, première et implicite au but

hiérarchiquement premier, c’est-à-dire que les coffres sont vides. Pour amener l’enfant à faire un

lien causal qui lie entre elles les composantes récurrentes (lien transcomposantes), il aurait été

intéressant d’augmenter le niveau de difficulté de la discussion en posant une question ouverte

prospective exigeant de prédire la tentative d’action 2 (« Qu’est-ce qu’i’ va se passer, tu

penses? »).

En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, en questionnant l’enfant sur le but, l’adulte a amené

l’enfant à discuter de l’état interne de type intentionnel de Raoul.

Page 195: La lecture interactive : un contexte propice au ...

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« Qu’est-ce qui leur arrive? »

La neuvième question cœur est « Qu’est-ce qu’il leur arrive? ». La question a été posée après la

lecture de la tentative d’action 2 dont voici l’extrait : « On piocha, on pelleta, on fouilla le sol à

tour de bras. L’équipage suait sang et eau, mais en deux coups de cuillère à pot, et hop!, on

déterra le plus beau, le plus fabuleux trésor qu’on ait jamais trouvé dans les mers du Sud. C’était

inouï, inespéré! Raoul Taffin était le plus heureux des pirates. ». Après avoir lu cet extrait,

l’adulte a tourné la page pour présenter la suivante. Elle a recentré l’attention de l’enfant sur le

livre en posant ces questions :

Extrait 9. 1. A. Dans le livre, qu’est-ce qu’i’ se passe? 2. E. Qu’est-ce qu’i’ se passe? 3. A. Hein? Qu’est-ce qu’il leur arrive? 4. E. Ils sauvent de la baleine. 5. A. Ils se sauvent! Regarde ses dents, est-ce que c’est une baleine? 6. E. Non un requin. 7. A. Oh oui! Ils se sauvent du requin.

La question posée est une question ouverte prospective. L’adulte, par sa question, désirait que

l’enfant discute du sous-problème 2 avant que ce dernier ne soit lu, donc que l’enfant fasse une

hypothèse sur le déroulement futur du récit. En effet, la page avait été tournée et on ne voyait

plus les pirates avec leur trésor, mais bien les pirates qui tentent de se sauver des requins. On

remarque que l’adulte, à la ligne 1, demande à l’enfant « Qu’est-ce qu’i’ se passe? » et que

l’enfant, à la ligne 2, reprend la question de l’adulte. Cependant, l’adulte, pour stimuler le

dialogue et la coconstruction de sens, reformule la question et énonce ce qui est ici considéré

comme la question cœur « Qu’est-ce qu’i’ leur arrive? » (ligne 3), ce qui demande de faire des

prédictions sur la suite du récit. À cette question cœur, l’enfant a répondu (lignes 4 et 6) :

« Ils [se] sauvent de la baleine, non un requin ». En répondant qu’ils se sauvent du requin,

l’enfant énonce implicitement que la présence des requins est problématique (sous-problème 2)

en formulant explicitement le sous-but au sous-problème 2, soit le fait de « se sauver ».

Page 196: La lecture interactive : un contexte propice au ...

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L’enfant, grâce aux questions de l’adulte, a fait une relation causale intercomposantes en liant, en

une seule phrase, la présence problématique des requins au sous-but : ils sont attaqués par les

requins (sous-problème 2 implicite), donc ils se sauvent (sous-but).

En nous démontrant sa compréhension du sous-but au sous-problème 2, l’enfant a nommé l’état

interne de type intentionnel de Raoul et de son équipage, soit l’intention de se sauver du requin.

« Comment ils se sentent tu crois? »

La dixième question cœur est « Comment ils se sentent tu crois? ». L’unité de sens présente une

question à laquelle l’enfant répond et se trouve dans la discussion qui a suivi la lecture du sous-

problème 1 : « Attirés par l’odeur humaine, une tripotée de requins attaquèrent la chaloupe. Des

mangeurs d’hommes, de pirates, de Raoul Taffin, des mangeurs de tout! « Au secours! ». » Voici

l’extrait de la discussion :

Extrait 10. 1. A. Comment ils se sentent tu crois? 2. E. Fâchés. 3. A. Oui! I’ a l’air fâché contre le requin.

La question posée par l’adulte est une question fermée rétrospective par laquelle l’adulte

questionne l’enfant sur la sous-émotion négative reliée au sous-problème 2. L’enfant répond

« [Ils se sentent] fâchés. » (ligne 2). En affirmant ceci, l’enfant amorce un lien causal

intracomposante reliant la sous-émotion au sous-problème 2 (la présence de requins). L’adulte

explicite ce lien causal, à la ligne 3, en affirmant « I’ a l’air fâché contre le requin. ». Ici, l’adulte

aurait pu poser une question ouverte prospective, « Qu’est-ce qu’i’ va faire Raoul? » pour

discuter de la sous-solution au sous-problème 2 et, de ce fait, complexifier la construction des

liens de causalité entre les composantes du récit par l’enfant.

Page 197: La lecture interactive : un contexte propice au ...

178

En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, l’enfant nomme un état interne de type émotionnel à la

ligne 2 (« Fâchés. ») que l’adulte reprend à la ligne 3 (« I’ a l’air fâché contre le requin. »).

« Comment ça se fait qu’i’ font la bataille? »

La onzième question cœur qui a été posée est « Comment ça se fait qu’i’ font la bataille? ». La

question a été posée alors que l’adulte venait de lire les prémisses du sous-problème 3 dont voici

l’extrait : « Et voilà, les cales du « Terrifiant » étaient pleines à rebord de lard, de rhum et d’or. Il

était temps de revenir au port. Mais c’était oublier Jules Quatrezieux, l’ennemi juré de Raoul, qui

voguait dans les parages. ». L’adulte a ensuite arrêté sa lecture pour poser les questions suivantes

à l’enfant :

Extrait 11. 1. A. C’est son ennemi juré! Qu’est-ce qu’i’ font? 2. E. (Silence.) 3. A. Hein? Qu’est-ce qu’i’ font? 4. E. (Silence.) 5. A. Qu’est-ce qu’i’ sont en train de faire? 6. E. La mer… I’ font quoi? 7. A. Qu’est-ce qu’i’ sont en train de faire Raoul et Jules? 8. E. Bataille. 9. A. Comment ça se fait qu’i’ font la bataille? 10. E. I’ aiment ça. 11. A. Oh! Tu penses qu’i’ aiment ça? Est-ce que c’est gentil? 12. E. Non. 13. A. Pourquoi ils se battent? 14. E. Parce que i’ sont… I’ font (mimes de bataille). 15. A. Est-ce que c’est des amis? 16. E. Non. 17. A. Non, hein?

La question cœur est une question ouverte rétrospective. Elle a été posée une première fois à la

ligne 9 puis elle a été répétée dans une formule équivalente à la ligne 13 (« Pourquoi ils se

battent?). La question touche le sous-problème 3 et l’enfant le nomme en reprenant les éléments

constituant la question qui elle-même fait état du sous-problème 3. Elle mentionne, à la ligne 8,

que « [Raoul et Jules font la] bataille. ». Lorsque l’adulte lui demande pourquoi ils font la

bataille, elle répond en ne nommant pas la cause de l’action, mais en restant collée à l’action de

Page 198: La lecture interactive : un contexte propice au ...

179

faire la bataille : « [Ils se battent] parce qu’ils font (mouvements de bataille). » (ligne 14).

Répondre à cette question aurait exigé des liens causaux avec les intentions des personnages leur

but respectif, protéger son trésor pour Raoul et s’approprier le trésor pour Jules. L’enfant ne

parvient pas à exprimer ce lien causal entre la bataille et les buts des personnages. L’enfant

mentionne également une sous-émotion. À la ligne 10, elle affirme qu’« I’ aiment ça [faire la

bataille]. » et, aux lignes 12 et 16, l’enfant répond négativement aux propos de l’adulte quand elle

demande « Est-ce que c’est gentil? ». Il est difficile d’accorder à l’enfant un lien causal

intracomposante entre la sous-émotion qu’elle identifie positivement en lien avec l’évènement de

bataille (ligne 8 et 10). Ceci contribue à penser que la bataille ne constitue pas, pour l’enfant, un

évènement problématique. Ainsi, aucun lien causal n’est accordé à l’enfant.

Par ses réponses, l’enfant nomme un état interne de type émotionnel lorsqu’elle mentionne qu’ils

aiment ça faire la bataille (ligne 10).

« Alors eux, au début, ils sont partis pour aller chercher quoi? »

La douzième question cœur qui a été posée est « Alors eux, au début, ils sont partis pour aller

chercher? ». La question a été posée alors que l’adulte venait de lire le passage présentant le sous-

problème 4 et la solution 4 : « Ils ont vu des créatures monstrueuses qui dansaient dans les

vagues. Ils ont vu des troupeaux de baleines roses qui chantaient : « la, la, la, la, la » en chœur.

Raoul Taffin eut un mal de chien à convaincre son équipage de ne pas se jeter à l’eau pour les

rejoindre. Il faut dire que, pour passer le temps, l’équipage avait ouvert quelques tonneaux de

rhum. Raoul obligea donc ses hommes à boire du lait fraise et tout rentra dans l’ordre. ». L’adulte

a ensuite posé ces questions :

Extrait 12. 1. A. Alors eux, au début, ils sont partis pour aller chercher? 2. E. (Silence.) 3. A. Au début ils sont partis pour aller chercher quoi? 4. E. Le quoi? 5. A. Ils sont partis pour aller chercher? 6. E. Un animal.

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7. A. Un animal? 8. E. Non. Un squelette. 9. A. Un squelette? I’ cherchaient un squelette? 10. E. Oui. 11. A. Qu’est-ce qu’i’ cherchaient eux? 12. E. (Silence.)

L’adulte, à la ligne 1, en posant cette question ouverte rétrospective, s’attendait à ce que l’enfant

nomme le but du récit, c’est-à-dire l’état interne de type intentionnel qu’est le fait de chercher un

trésor. Cependant, cette dernière, en affirmant « [I’ cherchaient] un animal, non un squelette. »

(lignes 6 et 8) fait référence à l’illustration du sous-problème 1 alors que Raoul et son équipage

sont pris dans la tempête. Ainsi, la réponse de l’enfant ne correspond pas à la composante

récurrente visée. De plus, le fait qu’elle nomme les éléments de l’illustration permet d’affirmer

qu’elle n’a pas fait de lien causal pour formuler sa réponse. Bien que l’adulte ait utilisé une

reformulation de cette question ouverte « Qu’est-ce qu’i’ cherchaient eux? » (ligne 11), l’enfant

n’a pas répondu de sorte qu’elle n’a pas fait de relation causale et, de ce fait, l’adulte n’a pas pu

ouvrir la discussion autour du but du protagoniste. Ceci démontre que le but exprimé par l’enfant

précédemment (extraits 3 et 6) demeure fragile et en émergence puisqu’elle ne le maintient pas

tout au long du récit.

En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, c’est l’adulte qui, dans la formulation et la reformulation

de sa question, fait état d’un état interne de type intentionnel (lignes 1, 3, 5, 9 et 11).

« Qu’est-ce qu’on peut faire un coup qu’on a réussi notre mission? »

La treizième question cœur est « Qu’est-ce qu’on peut faire un coup qu’on a réussi notre

mission? ». Cette unité de sens a été prélevée dans le verbatim de la lecture interactive

immédiatement après l’unité de sens présentée précédemment (« Alors eux, au début, ils sont

partis pour aller chercher quoi? »). Les unités de sens ont été séparées puisqu’elles ne visent pas

les mêmes composantes récurrentes dans le récit. Voici l’extrait présentant la discussion entre

Page 200: La lecture interactive : un contexte propice au ...

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l’adulte et l’enfant, discussion pendant laquelle l’adulte tourne les pages du livre pour présenter

les illustrations vues précédemment qui soutiennent ses propos :

Extrait 13. 1. A. Quand ils sont partis, ils cherchaient un trésor… 2. E. Oui. 3. A. P’is là, i’ ont arrêté dans les villages. I’ ont volé des villages pour

mettre de la nourriture dans les cales du bateau. 4. E. Oui. 5. A. I’ ont traversé une tempête effrayante qui les a menés jusque où? 6. E. (Silence.) 7. A. Ils sont où là? 8. E. Au Pôle Nord. 9. A. P’is après ça, i’ ont retrouvé leur chemin jusqu’au trésor. Raoul avait

enfin son trésor. Qu’est-ce qu’on peut faire un coup qu’on a réussi notre mission? Quand nous on part à pied et qu’on a une mission, quand on a réussi notre mission, qu’est-ce qu’on fait?

10. E. On cherche un trésor. 11. A. Nous, la dernière fois qu’on est sortie, on avait une lettre à aller poster.

Là on a rempli notre mission p’is après ça, qu’est-ce qu’on fait? On? 12. E. (Changement de sujet.) 13. A. I’ ont trouvé leur trésor p’is après? Ils ont pu rentrer à la maison. P’is là,

i’ est arrivé un problème! Sur le chemin de la maison, qu’est-ce qu’i’ est arrivé? I’ ont vu?

14. A. I’ ont vu quoi? 15. E. Des requins. 16. A. Des requins oui! I’ ont voulu les attaquer, mais Raoul a été capable de

protéger son trésor. 17. E. (L’enfant parle d’autres choses.) 18. A. I’ est arrivé un premier problème. Ils ont rencontré des? Qu’est-ce qu’i’

ont rencontré? Qu’est-ce que Raoul Taffin il a rencontré? 19. E. (Silence.) 20. A. Le premier problème, ils ont rencontré quoi? Des? 21. E. (Silence.) 22. A. Mélissa. I’ ont rencontré des? C’est quoi ça? 23. E. (Silence.) Des requins. 24. A. Oui! Est-ce qu’i’ ont réussi à s’échapper? 25. E. Oui. 26. A. Mais là, i’ est arrivé un autre problème. Qu’est-ce qu’i’ est arrivé? Il a

rencontré? Il a rencontré qui? 27. E. (Silence.) 28. A. Son… Son ennemi juré! Et qu’est-ce qu’i’ ont fait? 29. E. I’ y a deux pirates. 30. A. Oui, les deux pirates i’ ont fait quoi? I’ ont fait une? 31. E. (Silence.) 32. A. Qu’est-ce qu’i’ sont en train de faire Jules et Raoul? 33. E. I’ sont batte. 34. A. Ils se sont battus! Qui est-ce qui a gagné le combat? 35. E. Raoul p’is Jules. 36. A. Oui. Ils se sont battus puis Raoul a gagné le combat. Et puis là, ils

peuvent retourner à la maison avec leur trésor.

Page 201: La lecture interactive : un contexte propice au ...

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Dans cet extrait, la question cœur « Qu’est-ce qu’on peut faire un coup qu’on a réussi notre

mission? » (ligne 9) est une question ouverte prospective qui demande à l’enfant de prédire la

solution du récit. Dans un premier temps, pour que l’enfant fasse une hypothèse sur la solution,

l’adulte revient rétrospectivement sur le récit. Par le questionnement, l’adulte nomme le but du

récit, ce à quoi l’enfant acquiesce : « Oui [quand ils sont partis, il cherchaient un trésor.] »

(lignes 1 et 2). L’adulte nomme la tentative d’action 1, ce à quoi l’enfant acquiesce : « Oui, [ils

ont arrêté dans les villages et les ont volés pour mettre de la nourriture dans les cales du

bateau.] » (lignes 3 et 4). L’adulte nomme également le sous-problème 1 que l’enfant complète :

« [Ils ont traversé une tempête effrayante qui les a menés] au Pôle Nord. » (lignes 7 et 8). À la

ligne 9, l’adulte nomme également une partie de la sous-solution 1 (« P’is après ça, i’ ont

retrouvé leur chemin jusqu’au trésor. ») et la tentative d’actions 2 (« Raoul avait enfin son

trésor. »). Quand l’adulte questionne l’enfant à propos de la solution du récit, l’enfant ne parvient

pas à la nommer, et ce, même si l’adulte, à la ligne 9, tente de contextualiser la quête en faisant

des liens avec le vécu de l’enfant (« Quand nous on part à pied et qu’on a une mission, quand on

a réussi notre mission, qu’est-ce qu’on fait? »). Ainsi, à la ligne 10, l’enfant, ne sachant pas quoi

répondre ou ne comprenant pas la question de l’adulte, nomme explicitement le but du récit « On

cherche un trésor ». L’adulte, à la ligne 11, fait une autre tentative en contextualisant le récit avec

le vécu de l’enfant (« Nous, la dernière fois qu’on est sortis, on avait une lettre à aller poster. Là

on a rempli notre mission p’is après ça, qu’est-ce qu’on a fait? »), mais l’enfant, ne comprenant

toujours pas vers quoi l’adulte dirige la discussion, change de sujet (ligne 12). À la ligne 13,

l’adulte nomme explicitement la solution au récit en affirmant : « I’ont trouvé leur trésor p’is

après? Ils ont pu rentrer à la maison. ». Ensuite, toujours dans le but de faire nommer la solution

du récit par l’enfant, l’adulte reprend la chaine causale à partir du sous-problème 2. Les questions

de l’adulte font en sorte que l’enfant nomme le sous-problème 2 « [I’ ont vu] des requins. »

(ligne 15) et elle le répète à la ligne 23 (« [C’est] des requins. »). L’adulte nomme le deuxième

sous-but à la ligne 16 (« I’ ont voulu les attaquer, mais Raoul a été capable de protéger son

trésor ») et elle la complète à la ligne 24 lorsqu’elle demande à l’enfant « Est-ce qu’i’ ont réussi à

s’échapper? », ce à quoi l’enfant acquiesce (ligne 25). Toujours dans l’intention de reconstruire

avec l’enfant la trame causale du récit, ce qui la mènerait à l’identification de la solution, l’adulte

questionne l’enfant au sujet de l’épisode 3. L’adulte identifie le sous-problème 3 « Mais là, i’ est

arrivé un autre problème. Qu’est-ce qu’i’ est arrivé? Il a rencontré? Il a rencontré qui? Son… Son

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ennemi juré! » (lignes 26 et 28). L’enfant nomme également, aux lignes 29, 33 et 35, le sous-

problème 3 en affirmant « I’ y a deux pirates, i’ sont battent, Raoul p’is Jules [ont gagné le

combat]. ». L’adulte termine donc l’échange à propos de l’épisode 3 en énonçant que « Oui. Ils se

sont battus puis Raoul a gagné le combat. » (ligne 36). Finalement, l’adulte, tout comme à la

ligne 13, répond elle-même à la question cœur et réaffirme la solution principale du récit « Et

puis là, ils peuvent retourner à la maison avec leur trésor. » (ligne 36).

On remarque que l’adulte, par son questionnement aux lignes 9 et 11, a tenté d’utiliser les

connaissances sur le monde de l’enfant dans le but de faire un parallèle entre sa vie et celle de

Raoul, mais cela n’a pas fonctionné puisque l’enfant a changé de sujet (ligne 12). L’adulte, en

cours de discussion avec l’enfant, aurait dû modifier son questionnement pour poser des

questions ouvertes par lesquelles l’enfant aurait elle-même eu à nommer les composantes

récurrentes. Cependant, l’échange autour de cet extrait, bien qu’elle visait la solution, a permis à

l’enfant de réitérer la mission, le but, qui prend forme par une relation causale intercomposante

avec le problème implicite hiérarchiquement premier (les coffres vides) (ligne 10). Le sous-but

de l’épisode 2 est identifié par l’adulte : le désir d’échapper aux requins et celui de protéger

l’équipage (ligne 16). Le fait de nommer le sous-problème 2 et son sous-but fait en sorte que

l’adulte crée un lien causal intercomposante qui relie des éléments de l’épisode 2. On remarque

que même quand l’adulte explicite des relations causales, il semble que l’enfant ne la suit pas et

ne prend pas ce soutien comme une opportunité de lier les composantes. Par exemple, on peut

remarquer, à la ligne 16, que l’adulte établit un lien intercomposante entre l’attaque de requins

(sous-problème 2), l’état intentionnel des requins de « vouloir » cette attaque et le sous-but de

Raoul de protéger son trésor. L’adulte cherche à faire lier cet épisode au suivant, c’est-à-dire la

rencontre problématique avec Jules (lignes 24, 26 et 28) contribuant ainsi à un lien

transcomposantes. Ceci ne semble pas captiver l’intérêt de l’enfant puisqu’elle se met à parler

d’autres choses (ligne 17), comme si ce lien exprimé par l’adulte ne trouvait pas sa pertinence

dans l’interprétation de l’enfant. Cependant, on remarque, à un niveau de difficulté moindre, que

l’enfant fait une relation causale intracomposante en énonçant le sous-problème 3 « I’ y a deux

pirates, i’ sont battent, Raoul p’is Jules [ont gagné le combat]. » (lignes 29, 33 et 35). Il est à

noter que, bien que l’enfant, aux lignes 15 et 23, énonce le sous-problème 2, « des requins », il

Page 203: La lecture interactive : un contexte propice au ...

184

est impossible, vu la nature des questions précédant les dénominations, d’affirmer qu’il y ait

problématisation. Il s’agit plutôt d’une dénomination.

Les silences de l’enfant face à la question ouverte ont poussé l’adulte à décomposer la question

cœur ouverte rétrospective. Ces questions ont été posées dans le but de soutenir l’enfant dans ses

réponses permettant de reconstruire la trame causale du récit pour ensuite répondre à la question

cœur. En effet, par certaines questions (lignes 13, 16, 18, 24, 34 et 36), l’adulte fait une relation

causale transcomposante qui a permis de nommer plusieurs composantes récurrentes et qui ont

réuni le récit. L’enfant a fait une relation causale intercomposante en nommant le but (ligne 10) et

une relation causale intracomposante en discutant de la bataille entre Raoul et Jules (lignes 29, 33

et 35). En cours de discussion, il aurait été intéressant que l’adulte revienne à un questionnement

ouvert pour que l’enfant fasse davantage de liens causaux et relie les éléments de la trame

narrative du récit ensemble. Par exemple, l’adulte aurait pu demander à l’enfant « Raoul et son

équipage ont eu de gros problèmes, c’était quoi leurs problèmes? » ou « Qu’est-ce qu’ils ont fait

pour s’en sortir? ».

En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, on remarque que l’adulte, à la ligne 1, énonce l’état

interne de type intentionnel « […] ils cherchaient un trésor » et que l’enfant l’énonce également à

la ligne 10 (« On cherche un trésor. »). L’enfant, dirigée par la formulation de l’adulte (lignes 13

et 14) nomme, à la ligne 15, l’état physique qu’est le fait de voir « [I’ ont vu] des requins. ».

L’adulte, à la ligne 16, nomme l’état interne de type intentionnel des requins, leur désir

d’attaquer, et l’intention de Raoul de protéger son trésor (« I’ ont voulu les attaquer, mais Raoul a

été capable de protéger son trésor. »). L’adulte nomme également, à la ligne 24, un état interne de

type intentionnel qu’est le désir de s’échapper des requins (« Est-ce qu’i’ ont réussi à

s’échapper? »).

Page 204: La lecture interactive : un contexte propice au ...

185

« Est-ce qu’i’ a réussi sa mission? »

La quatorzième question cœur est « Est-ce qu’i’ a réussi sa mission? ». Cette question a été posée

à la suite des unités de sens présentées précédemment. Entre cette question et celle présentée

précédemment (extrait 13), l’enfant a parlé d’autres choses, puis l’adulte a enchainé avec cette

question cœur :

Extrait 14. 1. A. Raoul avait sa mission: chercher son trésor. Est-ce qu’i’ a réussi sa

mission? 2. E. Oui. 3. A. Oui! Regarde, il le rapporte triomphant.

Cette question cœur est une question fermée oui/non. Par la formulation de la question, à la

ligne 1, l’adulte nomme le but du récit, « chercher son trésor ». L’adulte commence à nommer la

solution du récit et l’enfant, en répondant à la ligne 2, acquiesce que « Oui, [il a réussi sa

mission.] ». L’adulte complète la solution à la ligne 3 en affirmant qu’« il le rapporte

triomphant ». Par la formulation de sa question (ligne 1), l’adulte fait un lien causal

intercomposantes entre le but et la solution du récit.

Le choix du type de question fait en sorte que l’enfant ne fait pas de relation causale et ne nous

permet pas de voir sa réelle compréhension du récit. L’adulte, dans le but de s’en assurer, aurait

dû sous-questionner l’enfant en utilisant une question ouverte rétrospective comme, par exemple,

« Quelle était sa mission? » ou « Comment ça se fait qu’il revient triomphant et que tous les

saluent? » qui aurait permis de s’assurer de la compréhension de l’enfant et de lui permettre

d’établir des liens causaux entre les composantes récurrentes du récit.

En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, on remarque que l’adulte, en affirmant que Raoul a réussi

sa mission (ligne 1), soulève un état interne de type intentionnel, soit qu’il avait l’intention de la

réussir.

Page 205: La lecture interactive : un contexte propice au ...

186

5.3.1.1. Tableaux synthèses des questions auxquelles l’enfant répond

La partie qui suit présente la synthèse des résultats, sous forme de tableaux récapitulatifs, en ce

qui a trait aux questions auxquelles l’enfant répond. Dans un premier temps, la synthèse des types

de questions cœur auxquelles l’enfant a répondu sera présentée. Dans un deuxième temps, la

synthèse des composantes récurrentes visées par les questions cœur auxquelles l’enfant a répondu

sera présentée. Dans un troisième temps, la même chose sera faite en ce qui a trait aux types de

relations causales puis, finalement, la synthèse des états internes ciblés par les questions

auxquelles l’enfant a répondu sera présentée.

Types de questions cœur auxquelles l’enfant répond

Le tableau 17 présente les quatorze questions cœur auxquelles l’enfant a répondu. Elles sont

catégorisées de la manière suivante : les questions fermées oui/non, les questions fermées

rétrospectives, les questions ouvertes rétrospectives et les questions ouvertes prospectives. Les

questions répondues adéquatement par l’enfant sont marquées d’un « oui » et celles dont la

réponse est incorrecte sont marquées d’un « non ». Sur les 14 questions cœurs posées, il y a une

question fermée de type oui/non (7 %), cinq sont des questions fermées rétrospectives (36 %), six

sont des questions ouvertes rétrospectives (43 %) et deux sont des questions ouvertes

prospectives (14 %).

Tableau 17 : Types de questions cœur auxquelles l’enfant répond dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001)

Questions cœur Q. fermées oui/non

Q. fermées rétrospectives

Q. ouvertes rétrospectives

Q. ouvertes prospectives

C’est un pirate comment lui? Oui Ligne 1

Qui est-ce qui est grognon? Oui Ligne 1

Qu’est-ce qu’i’ veulent? Oui Ligne 3

Page 206: La lecture interactive : un contexte propice au ...

187

Questions cœur Q. fermées oui/non

Q. fermées rétrospectives

Q. ouvertes rétrospectives

Q. ouvertes prospectives

Comment ils se sentent tu crois? Non Ligne 1

Pourquoi? Oui Ligne 3

Qu’est-ce qu’i’ veulent? Non Ligne 5

Il est arrivé où? Non Ligne 5

Qu’est-ce qu’i’ cherche déjà lui? Oui Ligne 3

Qu’est-ce qu’il leur arrive? Oui Ligne 3

Comment ils se sentent tu crois? Oui Ligne 1

Comment ça se fait qu’i’ font la bataille?

Non Ligne 9

Alors eux, au début, ils sont partis pour aller chercher quoi?

Non Ligne 1

Qu’est-ce qu’on peut faire un coup qu’on a réussi notre

mission?

Non Ligne 9

Est-ce qu’i’ a réussi sa mission? Oui Ligne 1

Total : 14 1 (7 %)

5 (36 %)

6 (43 %)

2 (14 %)

À la lumière de ces résultats, on remarque que l’enfant répond adéquatement à 57 % (8/14) des

questions cœur. Elle répond adéquatement à la question fermée oui/non et à 60 % (3/5) des

questions fermées rétrospectives. Ces types de questions présentent un niveau de difficulté plus

faible puisqu’elles n’exigent pas de la part de l’enfant de faire des relations causales.

Sommairement, 67 % (4/6) des questions fermées, qu’elles soient de type oui/non ou

rétrospectives, ont été répondues correctement par l’enfant. En ce qui a trait aux questions

ouvertes rétrospectives, l’enfant a répondu adéquatement à trois questions sur six (50 %). En

outre, l’enfant répond correctement aux questions cœur ouvertes prospectives une fois sur deux

(50 %). Ainsi, on remarque que l’enfant répond correctement à plus de questions fermées (67 %)

que de questions ouvertes (50 %, 4/8). Cela n’est pas sans lien avec le fait que les questions

fermées sont plus faciles et qu’elles n’obligent pas à faire de relation causale.

Page 207: La lecture interactive : un contexte propice au ...

188

Si on s’attarde à ce que l’adulte fait, on remarque que, pour les questions auxquelles l’enfant a

répondu, l’adulte a posé davantage de questions cœur ouvertes (57 %, 8/14) que de questions

cœurs fermées (43 %, 6/14), ce qui nous permet de penser que l’adulte tente d’intervenir dans la

zone proximale de développement de l’enfant en ne s’arrêtant pas à ce que l’enfant sait faire,

mais en la poussant plus loin.

Questions cœur auxquelles l’enfant répond et composantes récurrentes visées

Le tableau 18 présente les composantes récurrentes82 visées par les questions cœur auxquelles

l’enfant a répondu. Les X représentent ce qu’a fait l’enfant et les (X) représentent ce qu’a fait

l’adulte. On remarque que le but a été abordé par l’enfant dans 43 % (3/7) des cas et par l’adulte

dans 57 % (4/7) des cas. L’enfant a discuté des tentatives d’actions dans 40 % (2/5) des cas et

l’adulte dans 60 % (3/5) des cas. Les sous-problèmes ont été nommés par l’enfant dans 44 %

(4/9) des cas et par l’adulte dans 56 % (5/9) des cas. Les sous-émotions négatives ont été

abordées par l’enfant dans 100 % (2/2) des cas. Les sous-buts ont été abordés à parts égales

(50 %) par l’enfant (1/2) et par l’adulte (1/2). Les sous-solutions ont été abordées par l’adulte

dans 100 % (1/1) des cas. La solution a été abordée par l’adulte dans 100 % (2/2).

Au total, on remarque, dans les questions auxquelles l’enfant a répondu, que les composantes

récurrentes du récit sont abordées par l’enfant dans 46 % (12/28) des cas et par l’adulte dans

54 % (16/28) des cas. On observe également, à la lecture du tableau, que, si on considère toutes

les composantes récurrentes, le but a été abordé dans 25 % (7/28), les tentatives d’actions dans

une proportion de 18 % (5/28), les sous-problèmes dans 32 % (9/28) des cas, les sous-émotions

82 À l’intérieur du tableau on retrouve la situation initiale (S. I.), la problématique (Prob.), l’émotion négative (É.-), le but (But), les tentatives d’actions (T. A.), le sous-problème (S.-Prob.), l’émotion négative liée au sous-problème (S.-É-), le sous-but (S.-But), la solution au sous-problème (S.-Sol.), la solution au problème principal (Sol.), l’émotion positive (É. +) et la situation finale (S. F.).

Page 208: La lecture interactive : un contexte propice au ...

189

négatives et les sous-buts dans 7 % (2/28) des cas, les sous-solution dans 4 % (1/28) des cas et,

finalement, la solution a été abordée dans 7 % (2/28) des cas.

Tableau 18 : Questions cœur auxquelles l’enfant répond et composantes récurrentes visées dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001)

Questions cœur S. I.

Prob. É. -

But T. A. S. – Prob.

S.- É -

S. – But

S.- Sol.

Sol. É. +

S. F.

C’est un pirate comment lui?

Qui est-ce qui est grognon?

Qu’est-ce qu’i’ veulent? X Ligne 6

X Ligne 2

Comment ils se sentent tu crois?

Pourquoi? X Lignes 4, 8 et

10

X Ligne 2

Qu’est-ce qu’i’ veulent?

(X) Lignes 5, 7,

13 et 15

Il est arrivé où? X Lignes 4,

6, 8 et 36

(X) Lignes 1, 3 et

5

Qu’est-ce qu’i’ cherche déjà lui?

X Ligne 4

Qu’est-ce qu’il leur arrive?

X Lignes 4 et 6

X Lignes 4 et 6

Comment ils se sentent tu crois?

(X) Ligne

3

X Ligne 2

Comment ça se fait qu’i’ font la bataille?

(X) Lignes 9, 11, 13 et 15

Alors eux, au début, ils sont partis pour aller

chercher quoi?

(X) Lignes 1, 3, 5, et 11

Page 209: La lecture interactive : un contexte propice au ...

190

Questions cœur S. I.

Prob. É. -

But T. A. S. – Prob.

S.- É -

S. – But

S.- Sol.

Sol. É. +

S. F.

Qu’est-ce qu’on peut faire un coup qu’on a réussi

notre mission?

X Ligne 10

(X) Ligne 1

(X) Ligne

3 (X)

Ligne 9

(X) Ligne

13

X Lignes 15 et

23 X

Lignes 29, 33 et 35 (X)

Lignes 5 et 7 (X)

Lignes 26 et

28

X Lignes 17, 21 et 23 (X)

Lignes 16 et 24

X Ligne

23 (X)

lignes 9 et 11

(X) Lignes 13 et 36

Est-ce qu’i’ a réussi sa mission?

(X) Ligne 1

(X) Lignes 1

et 3

Total X : 12/28 (46 %)

Total (X) : 16/28

(54 %)

X : 3/7 (43 %)

X : 2/5 (40 %)

X : 4/9 (44 %)

X : 2/2 (100 %)

X : 1/2 (50 %)

(X) : 1/1 (100 %)

(X) : 2/2 (100 %)

(X) : 4/7

(57 %)

(X) : 3/5 (60 %) (X) : 5/9

(56 %)

(X) : 1/2

(50 %)

Total : 28 7 (25 %)

5 (18 %)

9 (32 %)

2 (7 %)

2 (7 %)

1 (4 %)

2 (7 %)

À la suite de la lecture du tableau 18, il importe de mettre l’accent sur le fait que l’enfant énonce

46 % (12/28) des composantes récurrentes par elle-même lors de la discussion autour du récit et

qu’elle commence à concevoir certaines de ces composantes récurrentes comme étant liées

causalement. Le tableau 18 démontre que l’enfant discute davantage des sous-émotions négatives

(100 %, 2/2) et des sous-buts (50 %, 1/2). Pour sa part, l’adulte, dans le but d’intervenir dans la

zone proximale de développement de l’enfant, centre la plus grande proportion de ses

interventions sur les tentatives d’actions (60 %, 3/5), le but du récit (57 %, 4/7), les sous-

solutions (100 %, 1/1) et la solution (100 %, 2/2). De plus, pour stimuler la production de

relations causales entre les composantes récurrentes du récit et dans l’intention de coconstruire la

trame narrative du récit avec l’enfant, les composantes récurrentes les plus discutées sont le but

(25 %, 7/28), qui permet de lier ensemble plusieurs composantes récurrentes puisque le but est

généré par le problème et qu’il génère la suite du récit, et les sous-problèmes (32 %, 9/28), qui

génèrent la suite des sous-composantes au sein des différents épisodes.

Page 210: La lecture interactive : un contexte propice au ...

191

Questions cœur auxquelles l’enfant répond et types de relations causales établies

Le tableau 19 présente les types de relations causales faites dans l’interaction entre l’adulte et

l’enfant, et ce, pour les questions cœur auxquelles l’enfant répond. Les X représentent ce qu’a fait

l’enfant et les (X) représentent ce qu’a fait l’adulte. On remarque que l’enfant n’a pas fait de

relation causale dans 35 % (6/17) des cas. L’enfant et l’adulte ont fait toutes deux 50 % (2/4) des

relations causales intracomposantes. En ce qui a trait aux relations causales intercomposantes,

l’enfant en a fait quatre, ce qui correspond à 67 % (4/6) des relations causales intercomposantes

faites dans cette catégorie, et l’adulte en a fait deux, ce qui équivaut à 33 % (2/6). On observe

aussi que des relations causales transcomposantes ont été faites dans 100 % (1/1) des cas par

l’adulte. Si on s’attarde aux relations causales répertoriées, on observe que 55 % (6/11) des

relations causales faites ont été faites par l’enfant et 45 % (5/11) ont été établies par l’adulte. Les

relations causales intracomposantes représentent 24 % (4/17) de ce qui a été fait lors des

questions auxquelles l’enfant répond. Les relations causales intercomposantes représentent 35 %

(6/17) et les relations causales transcomposantes représentent 6 % (1/17).

Tableau 19 : Questions cœur auxquelles l’enfant répond et types de relations causales établies dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001)

Questions cœur Absence de relation causale

Présence de relations causales Intracomposantes Intercomposantes Transcomposantes

C’est un pirate comment lui? X Qui est-ce qui est grognon? X

Qu’est-ce qu’i’ veulent? X Lignes 2 et 6

Comment ils se sentent tu crois?

X

Pourquoi? X Lignes 2, 4, 8 et 10

Qu’est-ce qu’i’ veulent? X Il est arrivé où? X

Qu’est-ce qu’i’ cherche déjà lui?

X Ligne 4

Qu’est-ce qu’il leur arrive? X Lignes 4 et 6

Comment ils se sentent tu crois?

(X) Ligne 2

Comment ça se fait qu’i’ font la bataille?

(X) Lignes 9, 11, 13 et 15

Page 211: La lecture interactive : un contexte propice au ...

192

Questions cœur Absence de relation causale

Présence de relations causales Intracomposantes Intracomposantes Intracomposantes

Alors eux, au début, ils sont partis pour aller chercher

quoi?

X

Qu’est-ce qu’on peut faire un coup qu’on a réussi notre

mission?

X Lignes 29, 33 et 35

X Ligne 10

(X) Ligne 16

(X) Lignes 13, 16, 18, 24,

26, 28 34 et 36

Est-ce qu’i’ a réussi sa mission?

(X) Lignes 1 et 3

Total : 17 6 (35 %)

X : 2/4 (50 %)

(X) : 2/4 (50 %)

X : 4/6 (67 %)

(X) : 2/6 (33 %)

(X) : 1/1 (100 %)

Total X : 6/11 (55 %)

Total (X) : 5/11 (45 %)

4 (24 %)

6 (35 %)

1 (6 %)

Les résultats présentés démontrent que l’enfant fait des relations causales (55 %, 6/11) avec le

soutien de l’adulte qui, par son questionnement, l’amène à nommer explicitement certaines

composantes récurrentes et, par le choix et le type des questions (questions ouvertes

rétrospectives et prospectives), à les lier causalement. Dans une perspective développementale,

on remarque ici que l’enfant construit des liens de causalité intracomposante (50 %, 2/4) et

intercomposantes (67 %, 4/6) et, de ce fait, tente de construire la trame causale du récit.

On remarque également que l’adulte, par son intervention, vise les relations causales

intracomposante (50 %, 2/4), intercomposantes (33 %, 2/6) et transcomposantes (100 %, 1/1) qui

demandent de lier causalement les composantes récurrentes entre elles dans le but de construire la

trame narrative du récit. Ainsi, il est possible de penser que l’adulte, par son intervention, vise un

niveau de difficulté supérieur à ce que l’enfant sait faire seule dans le but de la guider dans la

complexification de la construction de liens de causalité.

Page 212: La lecture interactive : un contexte propice au ...

193

Questions cœur auxquelles l’enfant répond et composantes de la théorie de l’esprit

Le tableau 20 présente les composantes de la théorie de l’esprit touchées dans la discussion faite

autour des questions cœur auxquelles l’enfant a répondu. Les X représentent ce qu’a fait l’enfant

et les (X) représentent ce qu’a fait l’adulte. On remarque que l’état physique a été abordé dans

100 % (1/1) des cas par l’enfant. L’état interne de type émotionnel a également été abordé par

l’enfant dans 100 % (2/2) des cas. En ce qui a trait à l’état interne de type intentionnel, l’enfant

l’a abordé dans 40 % (4/10) des cas et l’adulte dans 60 % (6/10) des cas. L’état interne de type

épistémique n’a pas été soulevé en cours de discussion.

Au total, on remarque que les états internes ont été abordés par l’enfant dans une proportion de

54 % (7/13) dans les questions auxquelles elle a répondu et par l’adulte dans une proportion de

46 % (6/13). En observant la proportion dans laquelle chaque état interne a été discuté, il est

possible de remarquer que l’état physique a été abordé dans 8 % (1/13) des cas, l’état interne de

type émotionnel dans 15 % (2/13) des cas et l’état interne de type intentionnel dans 77 % (10/13)

des cas.

Tableau 20 : Questions cœur auxquelles l’enfant répond et composantes de la théorie de l’esprit dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001)

Questions cœur État physique

État interne de type émotionnel

État interne de type intentionnel

État interne de type épistémique

C’est un pirate comment lui? Qui est-ce qui est grognon?

Qu’est-ce qu’i’ veulent? X Ligne 6

Comment ils se sentent tu crois?

Pourquoi? X Ligne 2

Qu’est-ce qu’i’ veulent? (X) Lignes 5, 7, 13, 15 et 17

Il est arrivé où? Qu’est-ce qu’i’ cherche déjà

lui? X

Ligne 4

Qu’est-ce qu’il leur arrive? X Ligne 4

Page 213: La lecture interactive : un contexte propice au ...

194

Questions cœur État physique

État interne de type émotionnel

État interne de type intentionnel

État interne de type épistémique

Comment ils se sentent tu crois?

X Ligne 2

Comment ça se fait qu’i’ font la bataille?

Alors eux, au début, ils sont partis pour aller chercher

quoi?

(X) Lignes 1, 3,

5, 9 et 11

Qu’est-ce qu’on peut faire un coup qu’on a réussi notre

mission?

X Ligne 15

X Ligne 10

(X) Ligne 1

(X) Ligne 16

(X) Ligne 24

Est-ce qu’i’ a réussi sa mission?

(X) Ligne 1

Total X = 7/13 (54 %)

Total (X) = 6/13 (46 %)

X : 1/1 (100 %)

X : 2/2 (100 %)

X : 4/10 (40 %)

(X) : 6/10 (60 %)

Total : 13 1 (8 %)

2 (15 %)

10 (77 %)

À la lumière des résultats présentés dans le tableau 20, on remarque que l’enfant énonce des états

internes et que, en observant les proportions, elle énonce dans 100 % des cas les états physiques

(1/1) et les états internes de type émotionnels (2/2). Ce qui est le plus intéressant dans ce tableau

est que l’enfant énonce des éléments de l’état interne de type intentionnel (40 %, 4/10), état

interne qui est très souvent lié au but dans le récit et que, tel que présenté précédemment dans le

tableau 18, l’enfant énonce à quelques reprises le but des protagonistes en cours de discussion.

De plus, la nomination du but propulse l’expression des relations causales dans le récit puisque le

but chapeaute hiérarchiquement les autres composantes récurrentes du récit. Cela n’est pas chose

facile pour l’enfant autiste qui, selon la littérature, éprouve des difficultés à attribuer une

croyance ou une intention aux autres (Baron-Cohen, 1989; Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985).

Cela a des conséquences sur la compréhension des récits et l’interprétation des désirs, des états

internes et des croyances des personnages (Losh et Capps, 2003; Mason, et coll., 2008).

Finalement, si on observe le tableau en général, on remarque que l’enfant a énoncé la majorité

des états internes (54 %, 7/13) et que l’adulte a concentré ses interventions sur l’énonciation de

l’état interne de type intentionnel, ce qui n’est pas sans lien avec les interventions

majoritairement faites autour du but (tableau 18).

Page 214: La lecture interactive : un contexte propice au ...

195

5.3.2. Questions auxquelles l’enfant ne répond pas

« Qu’est-ce qu’i’ va leur arriver ici? »

La première question cœur à laquelle l’enfant ne répond pas est « Qu’est-ce qu’i’ va leur arriver

ici? ». La question a été posée alors que l’adulte lisait ce qui a fait office de transition entre la

tentative d’action 1 et le sous-problème 1 : « À présent, « Le Terrifiant » et son équipage

d’affreux étaient prêts à affronter n’importe quoi et même pire. » L’adulte a interrompu sa lecture

et a posé les questions suivantes :

Extrait 15. 1. A. Qu’est-ce qu’i’ va leur arriver ici? 2. E. (Silence.) 3. A. Là ils sont arrêtés dans tout plein de petits villages pour piller les

villages, pour remplir la cale de leur bateau avec des provisions, p’is là ici qu’est-ce qu’i’ se passe?

4. E. (Silence.) 5. A. P’is là ici, qu’est-ce qu’i’ se passe? 6. E. Oui. 7. A. Regarde. 8. E. (Silence.) 9. A. Oh mon Dieu! Qu’est-ce qu’i’ se passe Mélissa? 10. E. (Silence.)

Il s’agit d’une question ouverte prospective qui demande à l’enfant de faire une hypothèse sur la

suite du récit, c’est-à-dire le sous-problème 1. On remarque ici que, devant le silence de l’enfant,

l’adulte fait un retour sur la tentative d’action 1 ainsi que sur le but du récit (ligne 3) et utilise

l’illustration du livre pour faire prédire à l’enfant la composante récurrente visée dans le récit.

Cependant, le silence de l’enfant (ligne 4) et le fait qu’elle réponde « oui » (ligne 6) à la question

« P’is là ici, qu’est-ce qu’i’ se passe? » (lignes 3 et 5) nous permettent de croire que cette

question prospective posait une difficulté trop grande pour l’enfant, ou encore que cela ne

l’intéressait pas. On remarque, à la ligne 9, que l’adulte essaie d’attirer l’attention de l’enfant en

utilisant un ton dramatique : « Oh mon Dieu! Qu’est-ce qu’i’ se passe Mélissa? ». En

dramatisant, l’adulte met en relief une émotion négative par la tonalité de sa voix dans le but de

soutenir un lien avec le problème. Toutefois, l’enfant demeure silencieuse. L’adulte aurait pu

Page 215: La lecture interactive : un contexte propice au ...

196

descendre le niveau de difficulté de la question pour susciter la participation de l’enfant et ensuite

revenir avec la question cœur ouverte dont le niveau de difficulté semble élevé pour l’enfant.

Aucun élément de la théorie de l’esprit n’a été discuté dans cette unité de sens.

« Les pirates i’ ont trouvé quoi? »

La deuxième question cœur à laquelle l’enfant n’a pas répondu en l’évitant est « Les pirates i’ ont

trouvé quoi? ». La question a été posée après que l’adulte ait lu l’extrait suivant qui présente la

tentative d’action 2 : « On piocha, on pelleta, on fouilla le sol à tour de bras. L’équipage suait

sang et eau, mais en deux coups de cuiller à pot, et hop!, on déterra le plus beau, le plus fabuleux

trésor qu’on ait jamais trouvé dans les mers du Sud. C’était inouï, inespéré! Raoul Taffin était le

plus heureux des pirates. ». L’adulte a interrompu sa lecture et a posé les questions suivantes :

Extrait 16. 1. A. Les pirates i’ ont trouvé quoi? 2. E. (Silence.) 3. A. Raoul et son équipage, qu’est-ce qu’i’ ont trouvé? I’ ont creusé, i’ ont

cherché la petite ile, i’ ont trouvé… 4. E. Marie-Pierre, je chigne dans les pirates. 5. A. Non. I’ ont creusé et puis là i’ ont trouvé… leur trésor. C’est quoi leur

trésor? 6. E. Attention! On joue à quoi aujourd’hui?

La question posée à l’enfant est une question fermée rétrospective qui touchait la tentative

d’action 2 en lien avec le but hiérarchiquement premier. En effet, l’adulte venait tout juste de lire

que les pirates avaient trouvé leur trésor, mais l’enfant n’a pas répondu à la question. On

remarque que, dans un premier temps, elle garde le silence (ligne 2). Par la suite, à la ligne 3,

l’adulte reformule la tentative d’action 2 et amorce une phrase à compléter par l’enfant, mais

celle-ci, à la ligne 4, manifeste son désintérêt (« Marie-Pierre, je chigne dans les pirates. »).

Finalement, l’adulte donne la réponse et demande à l’enfant, à la ligne 5, « C’est quoi leur

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197

trésor? ». Cette dernière, à la ligne 6, évite la question en invitant l’adulte au jeu (« Attention! On

joue à quoi aujourd’hui? »).

Aucun élément de la théorie de l’esprit n’a été évoqué. Ces observations du comportement de

l’enfant nous permettent de dire que son attention n’était pas, à ce moment, centrée sur le livre et

c’est ce qui fait en sorte qu’elle n’a pas pu répondre à ces questions, et ce, même si l’adulte a fait

diverses tentatives dans le but de susciter le dialogue.

« Qu’est-ce qu’i’ ont vu? »

La troisième question cœur à laquelle l’enfant n’a pas répondu en l’évitant est « Qu’est-ce qu’i’

ont vu? ». L’adulte a lu à l’enfant la fin de la tentative d’action 4 et le début du sous-problème 4.

Voici l’extrait : « Mais la route du retour était encore longue jusqu’à Port Boucan. Si longue et si

monotone que l’équipage, à force de lorgner l’horizon, finit par y voir de drôles de choses. ».

L’adulte a ensuite posé la question suivante :

Extrait 17. 1. A. Ah! Qu’est-ce qu’i’ ont vu? 2. E. (Silence.)

La question cœur est une question fermée rétrospective. La question demandait à l’enfant de se

prononcer, en ce qui a trait à la théorie de l’esprit, sur l’état physique de l’équipage de Raoul et,

par le fait même, de nommer une partie du sous-problème 4. La question ainsi posée demandait à

l’enfant de s’appuyer soit sur le texte en disant qu’ils ont vu de drôles de choses, soit sur

l’illustration qui présente les hallucinations de l’équipage. On remarque ici que l’adulte aurait pu

insister dans le but d’avoir une réponse de l’enfant en répétant et en reformulant la question.

Page 217: La lecture interactive : un contexte propice au ...

198

5.3.2.1. Tableaux synthèses des questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas

La partie qui suit présente la synthèse des résultats, sous forme de tableaux récapitulatifs, en ce

qui a trait aux questions auxquelles l’enfant n’a pas répondu. Dans un premier temps, la synthèse

des types de questions cœur auxquelles l’enfant n’a pas répondu sera présentée puis, dans un

deuxième temps, il en sera de même pour la synthèse des composantes récurrentes visées.

Finalement, la synthèse des états internes ciblés par les questions auxquelles l’enfant n’a pas

répondu sera présentée.

Types de questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas

Le tableau 21 présente les trois questions cœur auxquelles l’enfant n’a pas répondu. Parmi celles-

ci, 67 % (2/3) étaient des questions fermées rétrospectives. On remarque également que les

questions ouvertes prospectives ont été évitées dans une proportion de 33 % (1/3). Aucune

question fermée oui/non ou question ouverte rétrospective n’a pas été répondue par l’enfant.

Tableau 21 : Types de questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001)

Questions cœur Q. fermées oui/non

Q. fermées rétrospectives

Q. ouvertes rétrospectives

Q. ouvertes prospectives

Qu’est-ce qu’i’ va leur arriver ici?

Non Ligne 1

Les pirates i’ ont trouvé quoi?

Non Ligne 1

Qu’est-ce qu’i’ ont vu? Non Ligne 1

Total : 3 2 (67 %)

1 (33 %)

Dans le tableau 21, on remarque que le deux tiers des questions qui ont été évitées par l’enfant

sont des questions fermées rétrospectives (67 %). Une des deux questions fermées rétrospectives

n’a pas été répondue puisque l’attention de l’enfant n’était pas centrée sur la même chose que

l’adulte et qu’elle tentait de faire bifurquer la conversation (extrait 16). Si on observe les

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199

questions ouvertes prospectives, on remarque qu’elles représentent 33 % (1/3) des questions

auxquelles l’enfant n’a pas répondu. Cette proportion inférieure à la moitié n’est pas sans lien

avec le fait que l’enfant répond a plus de questions ouvertes et qu’elle a répondu correctement à

50 % d’entre elles (tableau 17). De plus, par l’établissement de relations causales (tableau 19) et

par son intérêt en cours de discussion sur l’état interne de type intentionnel (tableau 20), l’enfant

a démontré qu’elle était capable de répondre aux questions ouvertes.

Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas et composantes récurrentes visées

Le tableau 22 présente les composantes récurrentes83 du récit qui étaient visées par les questions

cœur auxquelles l’enfant n’a pas répondues. Les X sont entre parenthèses puisque l’enfant, en ne

répondant pas aux questions, n’a pu nommer les composantes récurrentes visées. On remarque

que le but du récit (2/6), les tentatives d’actions (2/6) ainsi que les sous-problèmes (2/6) ont été

visés par 33,3 % des questions qui n’ont pas été répondues.

Tableau 22 : Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas et composantes récurrentes visées dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001)

Questions cœur S. I. Prob. É. - But T. A. S. – Prob.

S.- É-

S. – But

S.- Sol.

Sol. É. +

S. F.

Qu’est-ce qu’i’ va leur arriver ici?

(X) Ligne 3

(X) Ligne 3

(X) Lignes 1,

3 et 5

Les pirates i’ ont trouvé quoi?

(X) Ligne 5

(X) Lignes 3 et

5

Qu’est-ce qu’i’ ont vu?

(X) Ligne 1

Total : 6 2 (33,3 %)

2 (33,3 %)

2 (33,3 %)

83 À l’intérieur du tableau on retrouve la situation initiale (S. I.), la problématique (Prob.), l’émotion négative (É.-), le but (But), les tentatives d’actions (T. A.), le sous-problème (S.-Prob.), l’émotion négative liée au sous-problème (S.-É-), le sous-but (S.-But), la solution au sous-problème (S.-Sol.), la solution au problème principal (Sol.), l’émotion positive (É. +) et la situation finale (S. F.).

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200

On remarque, à la lecture du tableau 22, que les questions non répondues touchaient le but (33,3

%, 2/6), les tentatives d’actions (33,3 %, 2/6) et les sous-problèmes (33,3 %, 2/6), ce qui est en

lien avec le désir de l’adulte d’amener l’enfant non seulement à identifier les composantes

récurrentes, mais aussi à faire des liens causaux entre elles. En identifiant le but, les tentatives

d’actions et les sous-problèmes, l’enfant sera amenée à identifier les composantes récurrentes

propres à chaque épisode discuté.

Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas et composantes de la théorie de l’esprit

Le tableau 23 présente les composantes de la théorie de l’esprit qui étaient visées par les

questions cœur auxquelles l’enfant n’a pas répondues. Les X représentent ce que l’enfant fait et

les (X) ce que l’adulte a fait. On remarque que 100 % (1/1) des questions touchaient l’état

physique des personnages.

Tableau 23 : Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas et composantes de la théorie de l’esprit dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001)

Questions cœur État physique

État interne de type émotionnel

État interne de type intentionnel

État interne de type épistémique

Qu’est-ce qu’i’ va leur arriver ici?

Les pirates i’ ont trouvé quoi? Qu’est-ce qu’i’ ont vu? (X)

Ligne 1

Total : 4 1 (100 %)

Au regard des résultats présentés, on remarque que tous les états internes ciblés dans les

questions auxquelles l’enfant n’a pas répondu sont en lien avec l’état physique. Il est toutefois

possible d’affirmer, à la lumière des résultats présentés précédemment, que l’enfant est en mesure

d’identifier l’état physique, et ce, même si elle ne l’a pas fait dans l’extrait 17.

Page 220: La lecture interactive : un contexte propice au ...

201

5.3.3. Interactions spontanées de l’enfant

« Qui c’est ça? C’est une pirate. »

La première unité de sens présentant des interactions spontanées de l’enfant se trouve pendant la

lecture de la tentative d’action 1 : « Raoul Taffin et son équipage embarquèrent donc sur « Le

Terrifiant ». Ils étaient gonflés à bloc. Le trésor n’avait qu’à bien se tenir. Comme disait Raoul :

« Par ma barbe! On va voir ce qu’on va voir MordBouc! » Raoul Taffin n’avait ni barbe ni bouc,

mais il aimait bien jurer. » À la suite de cette lecture, l’enfant parle de la collation et de l’horaire.

Voici l’extrait où l’attention de l’enfant se recentre sur le livre :

Extrait 18. 1. A. T’as vu? Regarde! 2. E. Qui c’est ça? C’est une pirate. 3. A. Oui une pirate fille dans l’équipage de Raoul!

On remarque dans cet extrait que l’adulte attire l’attention de l’enfant sur livre et que celle-ci

répond à l’adulte en lui posant une question à laquelle elle répond aussitôt. L’enfant s’exclame

« Qui c’est ça? » (ligne 2). En affirmant qu’il y a une pirate dans le bateau (« C’est une pirate. »),

l’enfant tente, elle aussi, de centrer l’attention de l’adulte sur ce qui l’intéresse dans l’illustration,

les personnages. Elle suscite alors un moment d’attention conjointe. On remarque à la ligne 3 que

l’adulte répond positivement à cette initiative de l’enfant et reprend ses propos. L’interaction

spontanée de l’enfant vise un élément très précis de l’illustration, un personnage secondaire, et ne

touche pas de composante récurrente a proprement dit ni de composante de la théorie de l’esprit.

« Pourquoi? » « P’is aussi? » « Aussi? » « C’est quoi ça? » « P’is ici? »

La deuxième unité de sens présentant des interactions spontanées de l’enfant a été sélectionnée en

cours de discussion après l’extrait 5 où l’enfant répond aux questions de l’adulte à propos de la

suite de la tentative d’action 1. L’enfant y mentionne : « I’ va avoir peur parce que ça… I’ y a des

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202

mers avec les bouées. ». L’enfant reprend ensuite le contrôle de la conversation en posant des

questions.

Extrait 19.

Dans cet extrait, l’adulte reprend les propos de l’enfant en affirmant « Oui, i’ y a des bouées. I’

sont dans la mer. » (ligne 1). L’enfant interpelle l’adulte en demandant, à la ligne 2,

« Pourquoi? ». Le fait que l’enfant pose cette question renforce l’hypothèse qu’elle tente de

construire le sous-problème 1 et met de l’avant le fait qu’elle commence à imiter, de façon

différée, les interventions de l’adulte. À la suite de sa question, l’adulte répond à l’enfant et porte

son attention sur des indices présents dans les illustrations quant au sous-problème 1 « Regarde i’

y a des éclairs » (ligne 3). S’ensuit chez l’enfant une série de questions visant à étendre la

dénomination d’objets jugés problématiques. On y nomme des squelettes (ligne 4), puis l’enfant

demande « P’is aussi? » (ligne 6). L’adulte lui retourne la question à la ligne 7 (« Qu’est-ce qu’i y

a d’autre? »), ce qui permet à l’enfant d’affirmer « I’ y a un os. » (ligne 8). L’enfant demande

ensuite « Aussi? » (ligne 10). À la ligne 11, l’adulte lui retourne sa question en lui demandant

« Qu’est-ce qu’i’ y a d’autres? » et l’enfant, à la ligne 12, fait de même en demandant à l’adulte

« C’est quoi ça? » dans le but de lui faire nommer les bouées (ligne 15). On remarque ici que

l’enfant prend le contrôle de l’interaction et centre l’attention de l’adulte sur certains éléments de

l’illustration (Ligne 16 : « Pis ici? »). Cependant, l’adulte retourne dans le livre (ligne 17) et ne

répond pas à la question de l’enfant.

1. A. Oui, i’ y a des bouées. I’ sont dans la mer. 2. E. Pourquoi? 3. A. Regarde. I’ y a des éclairs. 4. E. I’ y a des squelettes aussi. 5. A. Oui! I’ y a une tête de squelette. Oh! 6. E. P’is aussi? 7. A. Qu’est-ce qu’i’ y a d’autre? 8. E. I’ y a un os. 9. A. Oui. 10. E. Aussi? 11. A. Qu’est-ce qu’i’ y a d’autres? 12. E. Ça aussi. C’est quoi ça? 13. A. Ça ici? 14. E. Oui. 15. A. Comme des bouées. T’avais raison. 16. E. P’is ici? 17. A. (Lecture.)

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203

Par son interaction spontanée à la ligne 2 (« Pourquoi? »), l’enfant tente de faire une relation

causale intracomposante, mais l’échange prend une autre forme. Ici, l’adulte aurait dû revenir à la

question à l’enfant et sous-questionner dans le but de coconstruire des liens causaux qui auraient

pu permettre la mise en lien intercomposante entre le sous-problème 1 et la tentative d’action 1.

L’enfant, en nommant avec l’adulte des éléments de l’illustration (lignes 3, 4 et 8), fait un lien

causal intracomposante entre la peur nommée en cours de lecture et sa cause. Dans cet extrait,

aucun état interne n’a été nommé.

« Avec quoi? »

La troisième unité de sens présentant une interaction spontanée de l’enfant apparait en cours de

discussion immédiatement à la suite de l’extrait 19 précédemment présentée. Les deux unités de

sens ont été coupées puisqu’ils ne visent pas la même composante récurrente.

Extrait 20.

Cet extrait débute alors que l’adulte, à la ligne 1, fait la lecture du récit et nomme l’émotion

négative liée au sous-problème 1 : « Ils sont effrayés… ». L’enfant, à la ligne 2, l’interrompt en

demandant « Avec quoi? ». L’enfant cherche donc la cause de l’émotion négative montrant ainsi

une sensibilité à l’émotion et sa cause, cause s’avérant être en partie le sous-problème 1. Ici,

l’adulte retourne la question à l’enfant (ligne 3) qui lui répond « ça » (ligne 4). L’adulte demande

ensuite « C’est quoi ça? » et l’enfant, en guise de réponse, mentionne un monstre pour cause de la

frayeur (ligne 6).

1. A. (Lecture.) Ils sont effrayés… 2. E. Avec quoi? 3. A. Avec quoi? 4. E. Ça. 5. A. C’est quoi ça? 6. E. Un monstre.

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204

À la ligne 2, l’enfant, par son interaction spontanée (« Avec quoi? »), fait un lien causal

intracomposante reliant l’émotion, « Ils sont effrayés. » (ligne 1), avec sa cause « Un monstre »

(ligne 6). De plus, dans l’extrait, l’adulte, par sa lecture du récit, fait ressortir un état interne de

type émotionnel (ligne 1 : « Ils sont effrayés… »).

« I’ a d’l’air content? » « P’is la madame? » « A’ fait quoi? » « Quand elle voit Mélissa? »

La quatrième unité de sens présentant des interactions spontanées de l’enfant se trouve dans la

discussion qui a suivi la lecture du sous-problème 1 : « Attirés par l’odeur humaine, une tripotée

de requins attaquèrent la chaloupe. Des mangeurs d’hommes, de pirates, de Raoul Taffin, des

mangeurs de tout! « Au secours! ». » À la suite de la lecture de cet extrait, l’adulte a interrogé

l’enfant sur le sentiment de l’équipage à la suite de l’arrivée des requins, ce à quoi cette dernière

a répondu qu’ils se sentaient fâchés (extrait 10). Voici l’extrait de la discussion faisant suite à

cette question dans lequel l’enfant questionne l’adulte à son tour :

Extrait 21. 1. A. Regarde qu’est-ce qu’i’ a derrière lui. Il cache son trésor derrière lui. 2. E. I’ a d’l’air content? 3. A. Hum, hum. T’as raison. I ’a l’air fâché et même, écoute, i’ crie : (Livre.)

« Arrière bande d’anchois à l’huile de vidange! » Et il dispersa les bestioles à coup de rames. »

4. E. (L’enfant lit le livre.) Raoul Taffin en colère. 5. A. Oui! 6. A. (Livre.) « Raoul Taffin en colère, c’est un Raoul Taffin redoutable. » 7. E. P’is la madame? 8. A. Qu’est-ce qu’a’ fait? 9. E. Elle est triste. 10. A. Elle est triste tu penses? Pourquoi? 11. E. Parce qu’elle aime pas ça. 12. A. Elle aime pas quoi? 13. E. Le les requins. 14. A. Ah non, elle aime pas ça. 15. E. A’ fait quoi? 16. A. Elle essaie de se sauver. 17. E. Quand elle voit Mélissa? 18. A. Elle rame p’is elle fait « Salut Mélissa! » puis elle rame encore.

Cet extrait de discussion porte sur le sous-problème 2 (la présence des requins) et les

composantes qui y sont liées causalement. À la ligne 1, l’adulte affirme « Il cache son trésor

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205

derrière lui. ». À la suite de cette affirmation de l’adulte, l’enfant, à la ligne 2, s’interroge à

propos du sous-problème 2 et demande à l’adulte « I’ a d’l’air content? ». Par le fait même, elle

s’interroge également au sujet de la sous-émotion négative liée au sous-problème. L’adulte

répond qu’il a l’air fâché (ligne 3) et poursuit la lecture en nommant la sous-solution au sous-

problème 2 (« Et il dispersa les bestioles à coups de rames. »). L’enfant en poursuivant la lecture

du livre à la ligne 4 lit une sous-émotion négative « Raoul Taffin en colère. ». Cet extrait du récit

est complété par l’adulte à la ligne 6, « Raoul Taffin en colère, c’est un Raoul Tafin

redoutable. ».

En cours de discussion, l’enfant réinterroge l’adulte sur l’état interne émotionnel d’un personnage

pendant le sous-problème 2 en demandant « P’is la madame? » (ligne 7). À la ligne 8, l’adulte

retourne la question à l’enfant et demande « Qu’est-ce qu’a’ fait? ». L’enfant affirme qu’« elle est

triste » (ligne 9). L’adulte demande ensuite pourquoi et l’enfant répond « parce qu’elle aime pas

ça les requins » (lignes 11 et 13). Ainsi, par sa réponse à la question de l’adulte, et en répondant à

sa propre initiative d’interaction, l’enfant établit un lien de causalité intracomposante qui identifie

la cause de la tristesse de la madame, et ce, en mettant l’émotion négative en lien avec le sous-

problème 2. L’enfant demande ensuite, à la ligne 15, « A’ fait quoi? » et l’adulte, en répondant à

la question de l’enfant, énonce le sous-but relatif au sous-problème en affirmant que la madame

essaie de se sauver (ligne 16). Finalement, aux lignes 15 et 17, l’enfant demande à l’adulte « A’

fait quoi quand elle voit Mélissa? ». L’adulte répond « Elle rame p’is elle fait « Salut Mélissa! »

puis elle rame encore. » (ligne 18). Par sa question et le fait qu’elle suppose que la madame

puisse la voir, l’enfant démontre encore une fois que la frontière entre le monde fictif du livre et

le monde réel dans lequel elle vit n’est pas toujours nette.

On remarque, dans cette unité de sens, que l’enfant fait des liens causaux intracomposante entre

le sous-problème 2 et l’émotion négative qui y est rattachée : « Raoul Taffin en colère » (ligne 4)

et « Elle est triste parce qu’elle aime pas ça les requins » (lignes 9, 11 et 13). Si on regarde la

discussion dans son ensemble, on observe que l’adulte et l’enfant, par leurs questions,

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206

coconstruisent un lien intercomposantes entre le sous-problème 2 (la présence des requins,

ligne 11), l’émotion négative qui y est inhérente (tristesse, ligne 9) et le sous-but 2 (se sauver,

ligne 16). Ce lien intercomposantes permet de lier causalement une partie de l’épisode 2 et de

générer, de façon implicite, le sous-but de Raoul et de son équipage qui est de sauver l’équipage.

En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, l’adulte nomme un état interne de type émotionnel à la

ligne 3 (« I’ a l’air fâché »). L’enfant en nomme un à la ligne 2 (« I’ a d’l’air content? »). À la

ligne 4, l’enfant, en effectuant la lecture du livre, nomme un autre état interne de type

émotionnel, « Raoul Taffin en colère. » que l’adulte répète à la ligne 6. À la ligne 9, l’enfant

nomme un autre état interne de type émotionnel en affirmant, en ce qui a trait à la madame

qu’« elle est triste ». En ce qui a trait à l’état physique, l’enfant fait référence au fait de voir à la

ligne 17 (« Quand elle voit Mélissa? »). L’adulte fait aussi référence à l’état interne de type

intentionnel de la madame puisqu’elle affirme qu’« Elle essaie de se sauver. » (ligne 16).

« Ben là, a’ m’a fait ça! »

La cinquième interaction spontanée se trouve à la suite de la lecture d’un extrait du sous-

problème 3 alors que l’adulte venait de lire « Un pirate cruel, sournois et jaloux comme un

coucou. Il fonça sur Raoul en hurlant : « J’aurai ta peau face de hareng! ». L’adulte a interrompu

sa lecture et a dit :

Extrait 22.

1. A. Oh! Pas gentil! 2. E. Ben là, a’ m’a fait ça! 3. A. Hum? 4. E. A’ m’a fait ça. 5. A. Qui ça? 6. E. I’ dit face de hameng. 7. A. Hareng. 8. E. I’ dit hameng. I’ dit face de hareng. 9. A. Face de hareng. 10. E. C’est ça qu’i’ dit.

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207

Dans l’extrait de discussion, on remarque que l’enfant attire l’attention de l’adulte en

mentionnant « Ben là, à’ m’a fait ça! » (ligne 2). L’adulte manifeste son incompréhension

« Hum? » (ligne 3) puis demande à l’enfant « Qui ça? » (ligne 5). L’enfant répond alors « I’ dit

face de hameng. » (ligne 6), nous laissant alors comprendre qu’elle fait référence au dialogue

présent dans le livre au sous-problème 3. L’enfant, en reprenant en partie les propos de Jules

Quatrezieux, nous démontre que son attention est centrée sur le livre et, en interpelant ainsi

l’adulte, elle s’assure qu’elles sont en situation d’attention conjointe. Ici, l’adulte aurait dû

questionner davantage l’enfant en posant une question ouverte rétrospective comme « Pourquoi il

lui dit ça Jules? Qu’est-ce qu’il veut? » qui aurait permis de faire un lien causal avec les

composantes récurrentes précédentes et les états internes, notamment l’état interne de type

intentionnel. Dans cet extrait, aucune relation causale n’a cependant été faite et aucun état interne

n’a été nommé.

« I’ sont beaux, hein? » « À la fin qu’est-ce qu’a’ va faire à la fin? »

La sixième unité de sens présentant des interactions spontanées de l’enfant se trouve à la suite de

la lecture de la quatrième tentative d’action : « Mais la route du retour était encore longue jusqu’à

Port Boucan. Si longue et si monotone que… ». Ici, l’enfant interrompt la lecture de l’adulte et

dit :

Extrait 23. 1. E. Ils sont beaux, hein? 2. A. Qui ça? 3. E. I’ sont beaux les pirates, hein? 4. A. Oui. Qu’est-ce qu’i’ sont en train de faire? 5. E. I’ sont en train de jouer ensemble. 6. A. Oui. 7. E. À la fin qu’est-ce qu’a’ va faire à la fin? 8. A. Qu’est-ce qu’i’ font à la fin? 9. E. I’ disent (salutation de la main).

Dans un premier temps, à la ligne 1, l’enfant pose une question fermée oui/non à l’adulte : « Ils

sont beaux, hein? ». L’adulte ne répond pas à la question de l’enfant, mais demande plutôt des

précisions. À la ligne 3, cette dernière la lui répète avec les précisions demandées (« I’ sont beaux

Page 227: La lecture interactive : un contexte propice au ...

208

les pirates, hein? »). L’adulte, à la ligne 4, répond oui à l’enfant et pose une question qui vise à

faire ressortir le sous-problème 4 du récit (« Qu’est-ce qu’i’ sont en train de faire? »), soit le fait

que l’équipage est victime d’hallucinations puisqu’ils ont ouvert quelques tonneaux de rhum,

mais l’enfant répond « I’ sont en train de jouer ensemble. » (ligne 5). Cette réponse ne nous

permet pas d’affirmer qu’elle nomme avec justesse la composante récurrente visée ni qu’elle fait

des relations causales, mais un sous-questionnement de la part de l’adulte, notamment avec une

question ouverte de type « Comment ça se fait? », aurait pu permettre à l’enfant d’aller plus loin

et d’expliciter son interprétation. Cependant, l’adulte acquiesce cette réponse et l’enfant demande

ensuite « À la fin, qu’est-ce qu’a’ va faire à la fin? » (ligne 7). Cette question ouverte prospective

nécessite de faire une hypothèse sur la situation finale du récit et propose un haut niveau de

difficulté. À la ligne 8, on remarque que l’adulte ne répond pas à cette question et la retourne à

l’enfant (« Qu’est-ce qu’i’ font à la fin? »). Cette dernière répond « I’ disent (salutation de la

main). » (ligne 9). Ainsi, l’enfant répond elle même à sa question en émettant une hypothèse

positive sur la fin du récit. Les questions de l’enfant et la discussion qu’elle entretient avec

l’adulte ne nécessitent pas de lien causal et ne permettent pas de faire de lien avec les

composantes de la théorie de l’esprit.

« I’ sont pas contents les pirates, hein? »

La septième unité de sens présentant des interactions spontanées de l’enfant se trouve à la suite

de la lecture du sous-problème 4 et de la sous-solution 4 : « Ils ont vu des créatures monstrueuses

qui dansaient dans les vagues. Ils ont vu des troupeaux de baleines roses qui chantaient : « la, la,

la, la, la » en chœur. Raoul Taffin eut un mal de chien à convaincre son équipage de ne pas se

jeter à l’eau pour les rejoindre. Il faut dire que pour passer le temps, l’équipage avait ouvert

quelques tonneaux de rhum. Raoul obligea donc ses hommes à boire du lait fraise et tout rentra

dans l’ordre. ». À la suite de la lecture, l’enfant et l’adulte ont eu une discussion rétrospective qui

a permis de lier des composantes du récit. Ensuite, l’adulte a présenté la solution du récit à

l’enfant et cette dernière a posé une question. Voici l’extrait :

Page 228: La lecture interactive : un contexte propice au ...

209

Extrait 24. 1. A. Et puis là, ils peuvent retourner à la maison. Avec leur trésor. 2. E. Ils sont pas contents les pirates, hein? 3. A. Est-ce qu’i’ sont pas contents? 4. E. Oui i’ sont contents. 5. A. Oui, hein? Raoul avait sa mission : chercher son trésor. Est-ce qu’i’ a

réussi sa mission? 6. E. Oui.

Dans cet extrait, l’adulte énonce, à la ligne 1, la solution du récit et l’enfant pose à l’adulte, à la

ligne 2, une question fermée de type oui/non visant à identifier l’émotion des personnages

pendant cette composante récurrente. Ainsi, l’enfant dit « Ils sont pas contents les pirates, hein? »

et l’adulte lui retourne la question (ligne 3). L’enfant répond à la ligne 4 « Oui i’ sont contents. »,

de sorte qu’elle identifie la composante récurrente de l’émotion positive qui est causalement

rattachée à la solution du récit. L’adulte enchaine ensuite en rappelant le but hiérarchiquement

premier du récit « Raoul avait sa mission : chercher son trésor. » (ligne 5) et elle demande à

l’enfant si il a réussi sa mission, ce à quoi l’enfant acquiesce (ligne 6).

À la lecture de l’extrait, on peut affirmer que les pirates sont contents parce qu’ils peuvent

retourner à la maison avec leur trésor. La question de l’enfant et la réponse de l’adulte permettent

de penser qu’ensemble elles ont construit une relation causale intracomposante (lignes 2, 4 et 5).

Il aurait été toutefois préférable de demander : « Comment ça se fait? » afin que l’enfant elle-

même tente d’établir cette relation causale. En rappelant la mission de Raoul (ligne 5), l’émotion

positive (ligne 4) ainsi que la solution (ligne 1), l’adulte fait un lien causal intercomposante entre

le but et la solution. En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, l’enfant énonce un état interne de

type émotionnel (lignes 2 et 4) et l’adulte, en mentionnant le but (ligne 5), nomme un état interne

de type intentionnel.

5.3.3.1. Tableaux synthèses des interactions spontanées de l’enfant

La partie qui suit présente la synthèse des résultats, sous forme de tableaux récapitulatifs, en ce

qui a trait aux interactions spontanées de l’enfant. Dans un premier temps, la synthèse des

Page 229: La lecture interactive : un contexte propice au ...

210

composantes récurrentes visées par les interactions spontanées de l’enfant sera présentée. Dans

un deuxième temps, la même chose sera faite en ce qui a trait aux relations causales puis,

finalement, la synthèse des états internes ciblés par les interactions spontanées de l’enfant sera

présentée.

Interactions spontanées de l’enfant et composantes récurrentes visées

Le tableau 24 présente les composantes récurrentes84 visées par les interactions spontanées de

l’enfant. Les X présentent les composantes récurrentes qui ont été soulevées par l’enfant dans le

cadre de la discussion et les (X) représentent les composantes récurrentes qui ont été soulevées

par l’adulte lors de l’interaction. On remarque que le but a été soulevé par l’adulte dans 100 %

des cas (1/1), que les sous-problèmes ont été abordés dans 75 % (3/4) des cas par l’enfant et dans

25 % (1/4) des cas par l’adulte. Les sous-émotions négatives ont été abordées à parts égales

(50 %) par l’enfant (1/2) et par l’adulte (1/2). Les sous-buts, les sous-solutions et la solution ont

été abordés dans 100 % (1/1) des cas par l’adule. Finalement, l’émotion positive rattachée à la

solution et la situation finale ont été abordées par l’enfant dans 100 % (1/1) des cas.

Au total, on remarque que sur les douze énonciations des composantes récurrentes, 50 % (6/12)

ont été faites par l’enfant et 50 % (6/12) par l’adulte. On observe également, à la lecture du

tableau, que, si on considère toutes les composantes récurrentes, le but a été abordé dans 8,3 %

(1/2) des cas, les sous-problèmes ont été abordés dans 33 % (4/12) des cas, les sous-émotions

négatives dans 17 % (2/12) des cas et les sous-buts, les sous-solutions, la solution, l’émotion

positive ainsi que la situation finale ont toutes été énoncées en cours de discussion dans une

proportion de 8,3 % (1/12).

84 À l’intérieur du tableau on retrouve la situation initiale (S. I.), la problématique (Prob.), l’émotion négative (É.-), le but (But), les tentatives d’actions (T. A.), le sous-problème (S.-Prob.), l’émotion négative liée au sous-problème (S.-É-), le sous-but (S.-But), la solution au sous-problème (S.-Sol.), la solution au problème principal (Sol.), l’émotion positive (É. +) et la situation finale (S. F.).

Page 230: La lecture interactive : un contexte propice au ...

211

Tableau 24 : Interactions spontanées de l’enfant et composantes récurrentes visées dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001)

Interactions spontanées

S. I. Prob. É. -

But T. A.

S. – Prob.

S.- É- S. – But

S.- Sol.

Sol. É. + S. F.

« Qui c’est ça? C’est une pirate. »

« Pourquoi? » « P’is aussi? »

« Aussi? » « C’est quoi

ça? » « P’is ici? »

X Lignes 2, 6, 8,

10, 12 et 16

« Avec quoi? » X Lignes 2,

4 et 6

(X) Ligne

1

« I’ a d’l’air content. » « P’is la

madame? » « A’ fait quoi? »

« Quand elle voit Mélissa? »

X Lignes

11 et 13

X Lignes 4 et 9

(X) Ligne 16

(X) Ligne 3

« Ben là, a’ m’a fait ça! »

« Ils sont beaux, hein? »

« À la fin qu’est-ce qu’a’

va faire à la fin? »

(X) Ligne 4

X Lignes 7 et 9

« Ils sont pas contents les

pirates, hein? »

(X) Ligne

5

(X) Ligne

1

X Ligne 4

Total X : 6/12

(50 %)

Total (X) : 6/12

(50 %)

(X) : 1/1 (100 %)

X : 3/4 (75 %)

X : 1/2 (50 %)

(X) : 1/1 (100 %)

(X) : 1/1 (100 %)

(X) : 1/1 (100 %)

X : 1/1 (100 %)

X : 1/1 (100 %)

(X) : 1/4 (25 %)

(X) : 1/2 (50 %)

Total : 12 1

(8,3 %) 4

(33 %) 2

(17 %) 1

(8,3 %) 1

(8,3 %) 1

(8,3 %) 1

(8,3 %) 1

(8,3 %)

À la lecture du tableau 24, on remarque que l’enfant a énoncé la moitié des composantes

récurrentes lors de ses interactions spontanées (50 %, 6/12) et que la composante récurrente la

plus fréquemment visée est le sous-problème (33 %, 4/12). En lien avec l’identification des sous-

problèmes, on remarque que la sous-émotion négative qui y est liée a été amplement discutée

Page 231: La lecture interactive : un contexte propice au ...

212

(17 %, 2/12), et ce, en dépit du fait que la littérature présente l’enfant autiste comme ayant des

difficultés à identifier et à se représenter les émotions chez l’autre (Baron-Cohen, 1989; Lemay,

2004; Nadel, 2005; Rogers, et coll., 2003). Le fait que la discussion ait majoritairement porté sur

les sous-problèmes et les sous-émotions négatives a permis à l’enfant de produire des relations

causales intracomposantes (voir tableau 25).

Interactions spontanées de l’enfant et types de relations causales établies

Le tableau 25 présente les types de relations causales établies dans les unités des sens présentant

des interactions spontanées de l’enfant. Dans la colonne « absence de relation causale », on

remarque la présence de X, ce qui signifie que la relation causale n’a pas été construite, ni par

l’adulte, ni par l’enfant. Si on s’attarde aux colonnes « présence de relations causales », on

remarque la présence de la lettre E, ce qui signifie que la relation causale s’est faite en cours

d’échange avec l’adulte. La relation causale a donc été construite soit par l’adulte, soit par

l’enfant, ou encore en coconstruction. Par contre, s’il y a présence de la lettre Q, cela signifie que

l’enfant a soulevé une question qui potentiellement permettrait la construction d’une relation

causale, mais au final, l’enfant ne répond pas à sa propre question. Ainsi, l’enfant, par son

questionnement, marque la relation causale, mais ne sent pas encore la nécessité de l’établir.

On remarque que l’enfant n’a pas soulevé de formulation impliquant réellement ou

potentiellement des relations causales dans 21,5 % (3/14) des cas. Sur huit initiatives de l’enfant

en ce qui a trait aux relations causales intracomposantes, six ont été établies lors de l’échange (E)

et l’enfant a eu deux initiatives (Q) lors de la formulation d’une question qui est demeurée sans

réponse. Les relations causales intracomposantes représentent 57 % (8/14) des interactions

spontanées. Finalement, deux relations causales intercomposantes ont été établies en cours de

conversation entre l’adulte et l’enfant (E) et une initiative de l’enfant (Q) a été faite, ce qui

équivaut à 21,5 % (3/14) des échanges en cours d’interactions spontanées. On remarque

également que 72 % (8/11) des relations causales ont été établies lors de l’échange (E) et que

Page 232: La lecture interactive : un contexte propice au ...

213

trois questions amenant à la création de relations causales n’ont pas été répondues (27 %, 3/11)

par l’enfant.

Tableau 25 : Interactions spontanées de l’enfant et types de relations causales établies dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001)

Interactions spontanées par unités de sens

Absence de relation causale

Présence de relations causales Intracomposantes Intercomposantes Transcomposantes

« Qui c’est ça? C’est une pirate. »

X

« Pourquoi? » « P’is aussi? »

« Aussi? » « C’est quoi ça? »

« P’is ici? »

E Lignes 3, 4 et 8

Q

Ligne 2

« Avec quoi? » E Lignes 1, 2 et 6

Q Ligne 2

« I’ a d’l’air content. » « P’is la madame? »

« A’ fait quoi? » « Quand elle voit Mélissa? »

E Ligne 1

E Ligne 2, 4

E Ligne 9, 11 et 13

E Lignes 9, 11 et 16

Q Ligne 15

« Ben là, a’ m’a fait ça! » X « Ils sont beaux, hein? »

« À la fin qu’est-ce qu’a’ va faire à la fin? »

X

« Ils sont pas contents les pirates, hein? »

E Lignes 1 et 3

E Lignes 1, 4 et 5

Total : 14 3 (21,5 %)

E : 8/11 (72 %)

Q : 3/11 (27 %)

8 (57 %)

3 (21,5 %)

L’analyse des relations causales en cours d’interactions spontanées permet de voir qu’il y a eu

présence de relation causale dans 79 % (11/14) des cas. Au sein de ce 79 % se trouvent trois

interactions dans lesquelles l’enfant a posé une question amenant l’établissement du lien de

causalité qui n’a pas été répondu. On remarque également que, lors des relations causales établies

en cours d’échange (E), l’enfant a été capable de construire les liens de causalité entre autres

grâce au questionnement de l’adulte. Ainsi, l’intervention de l’adulte guide l’enfant dans la

construction de relations causales.

Page 233: La lecture interactive : un contexte propice au ...

214

Interactions spontanées de l’enfant et composantes de la théorie de l’esprit

Le tableau 26 présente les composantes de la théorie de l’esprit qui ont été soulevées lors des

unités de sens où l’enfant a fait des interactions spontanées. On remarque que 9 % (1/11) des

composantes de la théorie de l’esprit ayant été abordées dans les interactions spontanées sont des

états physiques et que l’état physique a été abordé dans 100 % des cas par l’enfant (1/1). On

observe également que l’état interne de type émotionnel a été abordé dans une proportion de

55 % (6/11), et ce, dans 67 % (4/6) des cas par l’enfant et dans 33 % (2/6) des cas par l’adulte.

Finalement, l’état interne de type intentionnel a été abordé dans 36 % (4/11) des cas, et ce,

toujours par l’adulte (4/4). On remarque qu’au total, dans les interactions spontanées, 45 % (5/11)

des états internes ont été soulevés par l’enfant et 55 % (7/11) par l’adulte.

Tableau 26 : Interactions spontanées de l’enfant et composantes de la théorie de l’esprit dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001)

Interactions spontanées État physique

État interne de type

émotionnel

État interne de type

intentionnel

État interne de type

épistémique « Qui c’est ça? C’est une pirate. »

« Pourquoi? » « P’is aussi? »

« Aussi? » « C’est quoi ça? »

« P’is ici? »

« Avec quoi? » (X) Ligne 1

« I’ a d’l’air content. » « P’is la madame? »

« A’ fait quoi? » « Quand elle voit Mélissa? »

X Ligne 17

X Ligne 2

X Ligne 4

X Ligne 9 (X)

Ligne 1 et 3

(X) Ligne 1

(X) Ligne 3

(X) Ligne 16

« Ben là, a’ m’a fait ça! » « Ils sont beaux, hein? »

« À la fin qu’est-ce qu’a’ va faire à la fin? »

« Ils sont pas contents les pirates, hein? » X Lignes 2 et 4

(X) Ligne 5

Total X = 5/11 (45 %) Total (X) = 6/11

(55 %)

X : 1/1 (100 %)

X : 4/6 (67 %)

(X) : 2/6 (33 %)

(X) : 4/4 (100 %)

Total : 11 1 (9 %)

6 (55 %)

4 (36 %)

Page 234: La lecture interactive : un contexte propice au ...

215

Le tableau 26 nous permet de remarquer que l’état interne proportionnellement le plus discuté

lors des interactions spontanées est l’état interne de type émotionnel (55 %, 6/11). C’est d’ailleurs

celui que l’enfant a le plus exprimé par elle-même (67 %, 4/6), après l’état physique (100 %, 1/1).

Cela est en lien avec le fait que la composante récurrente la plus discutée lors des interactions

spontanées est la sous-émotion négative liée aux sous-problèmes (tableau 24). Si on retourne au

tableau 25, on remarque d’ailleurs que la relation causale la plus souvent faite par l’enfant est la

relation causale intracomposante qui a servi à mettre en lien les états internes de type émotionnels

à leur cause. On remarque également que l’état interne de type intentionnel a été soulevé en cours

de discussion (36 %, 4/11), mais que cela a toujours été fait par l’adulte. Cela n’est pas sans lien

avec le fait que l’enfant autiste a de la difficulté à interpréter les désirs, les états internes et les

croyances des personnages dans le récit (Losh et Capps, 2003; Mason, et coll., 2008). Ainsi, il est

possible de remarquer que l’adulte, dans ses interventions, tente de se trouver dans la zone

proximale de développement de l’enfant et de la guider dans la coconstruction de liens causaux,

tel que cela a pu également être remarqué dans les questions auxquelles l’enfant répond et où

cette dernière, grâce au questionnement de l’adulte, a pu identifier l’état interne de type

intentionnel (voir tableau 20).

5.4. Synthèse

La synthèse du chapitre d’analyse de la lecture interactive du récit « Raoul Taffin pirate »

(Moncomble et Pillot, 2001) présente, sous forme de tableaux, les cinq angles sous lesquels les

unités de sens ont été analysées. Dans un premier temps, la proportion des unités de sens sera

présentée en fonction de leur catégorie. Dans un deuxième temps, les questions cœur auxquelles

l’enfant répond et celles auxquelles l’enfant ne répond pas seront présentées en fonction du type

de question et en fonction de la façon dont les questions ont été posées. Dans un troisième temps,

les questions cœur auxquelles l’enfant répond, celles où l’enfant ne répond pas ainsi que les

interactions spontanées de l’enfant seront présentées en fonction des composantes récurrentes du

récit visées. Dans un quatrième temps, les questions cœur auxquelles l’enfant répond et ses

interactions spontanées seront présentées en fonction du type de relations causales faites ou non.

Finalement, les questions cœur auxquelles l’enfant répond, celles où l’enfant ne répond pas et les

Page 235: La lecture interactive : un contexte propice au ...

216

interactions spontanées seront présentées en fonction des éléments de la théorie de l’esprit

soulevés. Un tableau récapitulatif sera présenté après chaque angle.

5.4.1. Catégories d’unités de sens

Le tableau 27 présente les trois catégories d’unités de sens qui ont été recensées dans la lecture

interactive du récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001).

Tableau 27 : Catégories d’unités de sens dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001)

Récit L’enfant répond L’enfant ne répond pas Interactions spontanées Raoul Taffin Pirate (24) 14

(58 %) 3

(13 %) 7

(29 %)

On remarque que, sur les 24 unités de sens sélectionnées, 58 % (14/24) sont des unités de sens

auxquelles l’enfant a répondu et 13 % (3/24) sont des unités de sens auxquelles l’enfant n’a pas

répondu. Finalement, les interactions spontanées de l’enfant représentent 29 % (7/24) des unités

de sens analysées. Cette analyse du comportement de l’enfant permet de répondre partiellement à

l’objectif spécifique 1.a. de la thèse qui est de décrire la progression de l’enfant au regard de la

structuration du discours narratif en contexte de lecture interactive. Il est intéressant de remarquer

que plus de la moitié des unités de sens sont des questions auxquelles l’enfant a répondu (58 %,

14/24), ce qui marque l’intérêt de l’enfant à participer à la discussion, souvent axée sur la

recherche causale, autour du récit. De plus, il est possible d’observer que près d’un tiers (29 %,

7/24) des unités de sens sont des interactions spontanées, ce qui signifie que l’enfant se

questionne en ce qui a trait au récit et qu’elle sollicite elle-même les moments d’attention

conjointe avec l’adulte autour du récit.

Page 236: La lecture interactive : un contexte propice au ...

217

5.4.2. Types de questions cœur

Les types de questions cœur ont été définis dans le processus méthodologique de la thèse. Elles

sont catégorisées en fonction du type de questions, soit les questions fermées oui/non ou

rétrospectives ainsi que les questions ouvertes rétrospectives ou prospectives. Une synthèse des

tableaux présentés précédemment sera mise en relief dans le but de répondre partiellement à

l’objectif 1 de la thèse qui est de décrire et d’analyser l’intervention en lecture interactive et la

progression de l’enfant en ce qui a trait au développement de la structure narrative.

Le tableau 28 présente la synthèse des types de questions posées à l’enfant. Ainsi, cela permettra

de commencer à décrire ce que fait l’enfant dans l’objectif ultérieur de tracer sa progression au

regard de la structuration du discours narratif en contexte de lecture interactive (objectif

spécifique 1.a.). On y observe que le nombre de « Questions auxquelles l’enfant répond

adéquatement » est de 8 puisque cela fait référence au nombre total de questions auxquelles

l’enfant a répondu adéquatement au sein des questions cœur auxquelles l’enfant répond. En ce

qui a trait aux « questions posées par l’adulte », le nombre total était de 17 incluant les questions

cœur auxquelles l’enfant a répondu (14) et des questions cœur auxquelles l’enfant n’a pas

répondu (3).

Tableau 28 : Synthèse des types de questions cœur dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001)

Questions cœur Types de questions Q. fermées oui/non Q. fermées

rétrospectives Q. ouvertes

rétrospectives Q. ouvertes prospectives

Questions auxquelles l’enfant répond

adéquatement (8)

1 (100 %)

3 (43 %)

3 (50 %)

1 (33 %)

Questions posées par l’adulte (17)

1 (6 %)

7 (41 %)

6 (35 %)

3 (18 %)

Page 237: La lecture interactive : un contexte propice au ...

218

Dans le tableau 28, dans le but de répondre à l’objectif 1.a. de la thèse85, on observe, en ce qui a

trait aux questions fermées oui/non, que l’enfant a répondu adéquatement à 100 % (1/1) d’entre

elles. En ce qui a trait aux questions fermées rétrospectives, l’enfant a répondu adéquatement à

43 % (3/7) d’entre elles. Les questions ouvertes rétrospectives, quant à elles, ont été répondues

dans 50 % (3/6) des cas, ce qui n’est pas sans lien avec l’établissement des liens causaux et la

hausse de l’identification par l’enfant des composantes récurrentes. Finalement, les questions

ouvertes prospectives ont été répondues adéquatement dans 33 % (1/3) des cas. On observe donc

que les questions fermées oui/non ont été les plus répondues par l’enfant (100 %), mais qu’une

seule question de ce type a été posée. On observe donc que les questions ouvertes, qu’elles soient

rétrospectives ou prospectives, ont été moins répondues adéquatement par l’enfant (44 % sont

adéquates, 4/9) en comparaison aux questions fermées (50 %, 4/8).

En ce qui a trait à ce que fait l’adulte et dans le but de répondre à l’objectif spécifique 1.b. qui est

de décrire le contexte et le type d’interventions élaborées par l’adulte autour du développement

de la structuration du discours narratif par l’intermédiaire de la lecture interactive, il importe de

regarder quel type de question ont été posées par l’adulte. Ainsi, l’adulte a posé 6 % (1/17) de

questions fermées oui/non, 41 % (7/17) de questions fermées rétrospectives, 35 % (6/17) de

questions ouvertes rétrospectives et 18 % (3/17) de questions ouvertes prospectives. On observe

donc que l’adulte, en cours d’intervention, semble s’ajuster au niveau de l’enfant en posant

davantage de questions ouvertes, puisque 53 % (9/17) des questions posées étaient de nature

ouverte, et ce, qu’elles soient de type rétrospectif (35 %) ou prospectif (18 %). L’adulte semble

donc chercher à intervenir dans la zone proximale de développement de l’enfant en posant

beaucoup plus de questions favorisant et nécessitant l’établissement de liens causaux.

85 L’objectif 1.a. est de décrire la progression de l’enfant au regard de la structuration du discours narratif en contexte de lecture interactive.

Page 238: La lecture interactive : un contexte propice au ...

219

5.4.3. Composantes récurrentes du récit visées

La troisième section de la synthèse de l’analyse du récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et

Pillot, 2001) présente les composantes récurrentes du récit qui ont été visées, soit par les

questions cœur, qu’elles aient été répondues ou non, soit par les interactions spontanées de

l’enfant. À l’intérieur du tableau on retrouve la situation initiale (S. I.), la problématique (Prob.),

l’émotion négative (É. -), le but (But), les tentatives d’actions (T. A.), les sous-problèmes (S.-

Prob.), les émotions négatives liées aux sous-problèmes (S.- É.-), les sous-buts (S.-But), les

solutions aux sous-problèmes (S.-Sol.), la solution au problème principal (Sol.), l’émotion

positive (É. +) et la situation finale (S. F.). Les X représentent ce qu’a fait l’enfant et les (X)

représentent ce qu’a fait l’adulte. L’analyse des composantes récurrentes du récit visées sera

présentée, pour les questions cœur auxquelles l’enfant répond, pour les questions cœur auxquelles

l’enfant ne répond pas, pour les interactions spontanées de l’enfant et, finalement, une synthèse

sera présentée. Une synthèse des tableaux exposés précédemment sera dévoilée dans le but de

répondre partiellement à l’objectif 1 de la thèse qui est de décrire et d’analyser l’intervention en

lecture interactive et la progression de l’enfant en ce qui a trait au développement de la structure

narrative.

Tableau 29 : Synthèse des composantes récurrentes du récit soulevées dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001)

Unités de sens

S. I. Prob. É. -

But T. A. S. – Prob.

S.- É -

S. – But

S.- Sol.

Sol. É. + S. F.

Questions cœur

auxquelles l’enfant répond

X : 3 (30 %)

X : 2 (28,5 %)

X : 4 (27 %)

X : 2 (50 %)

X : 1 (33,3 %)

(X) : 1 (50%)

(X) : 2 (75 %)

(X) : 4

(40 %)

(X) : 3 (43 %)

(X) : 5 (33 %)

(X) : 1 (33,3 %)

Questions auxquelles l’enfant ne répond pas

(X) : 2 (20 %)

(X) : 2 (28,5 %)

(X) : 2 (13 %)

Interactions spontanées

(X) : 1 (10 %)

X : 3 (20 %)

X : 1 (25 %)

(X) : 1 (33,3 %)

(X) : 1 (50 %)

(X) : 1 (25 %)

X : 1 (100 %)

X : 1 (100 %)

(X) : 1 (7 %)

(X) : 1 (25 %)

Page 239: La lecture interactive : un contexte propice au ...

220

Unités de sens S. I. Prob. É. -

But T. A. S. – Prob.

S.- É -

S. – But

S.- Sol. Sol. É. + S. F.

Total X :

18/46 (39 %)

Total (X) : 28/46 (61 %)

X : 3/10 (30 %)

X : 2/7 (28,5 %)

X : 7/15 (47 %)

X : 3/4 (75 %)

X : 1/3 (33 %)

(X) : 2/2 (100 %)

(X) : 3/3 (100 %)

X : 1/1 (100 %)

X : 1/1 (100 %)

(X) : 7/10 (70 %)

(X) : 5/7 (71,5 %)

(X) : 8/15 (53 %)

(X) : 1/4 (25 %)

(X) : 2/3 (67 %)

Total : 46 10 (22 %)

7 (15 %)

15 (33 %)

4 (9 %)

3 (6,5 %)

2 (4 %)

3 (6,5 %)

1 (2 %)

1 (2 %)

Le tableau 29 présente la synthèse des composantes récurrentes, et ce, pour les trois catégories

d’unités de sens présentées précédemment. Dans la totalité des échanges concernant le but, on

observe qu’il a été abordé par l’enfant dans 30 % (3/10) des cas et par l’adulte dans 70 % (7/10)

des cas. Les tentatives d’actions ont été discutées par l’enfant dans 28,5 % (2/7) des cas et par

l’adulte dans 71,5 % (5/7) des cas. Les sous-problèmes ont été abordés par l’enfant dans 47 %

(7/15) des cas et par l’adulte dans 53 % (8/15) des cas. Les sous-émotions négatives, pour leur

part, ont été abordées par l’enfant dans 75 % (3/4) des cas et par l’adulte dans 25 % des cas (1/4).

Les sous-buts ont été abordés par l’enfant dans 33 % (1/3) des cas et par l’adulte dans 67 % (2/3)

des cas. Les sous-solutions ont été abordées dans 100 % (2/2) des cas par l’adulte. La solution

quant à elle a été discutée seulement par l’adulte (100 %, 3/3) tandis que l’émotion positive et la

situation finale ont été abordées à 100 % (1/1) par l’enfant. Ainsi, si on observe le comportement

de l’enfant et de l’adulte en ce qui a trait à l’énonciation des composantes récurrentes du récit

(objectifs spécifiques 1.a. et 1.b.), on remarque que les composantes ont été soulevées par

l’enfant dans une proportion de 39 % (18/46) des cas, alors que l’adulte les a soulevées dans une

proportion de 61 % (28/46).

Si on s’attarde au nombre de fois que chaque composante récurrente a été soulevée lors de la

discussion autour du récit, on observe que le but a été discuté dans 22 % (10/46) des cas, les

tentatives d’actions dans 15 % (7/46) des cas, les sous-problèmes dans 33 % (15/46) des cas et les

sous-émotions négatives dans 9 % (4/46) des cas. Les sous-buts l’ont été dans 6,5 % (3/46) des

cas. Les sous-solutions ont été exprimés dans 4 % (2/46) des cas et la solution dans 6,5 % (3/6)

des cas. L’émotion positive, ainsi que la situation finale ont toutes deux été discutées dans 2 %

(1/48) des cas. Il est ainsi possible d’affirmer qu’un tiers de la discussion entre l’adulte et l’enfant

Page 240: La lecture interactive : un contexte propice au ...

221

a porté sur les sous-problèmes (33 %, 15/46). Cela n’est pas sans lien avec l’émergence de la

construction par l’enfant de relations causales au sein du récit. On remarque ainsi que tant

l’intervention de l’adulte que les énonciations de l’enfant vont en ce sens et que l’adulte,

consciente de la portée que peuvent avoir les interventions, tente d’agir en tenant compte de la

zone proximale de développement de l’enfant.

5.4.4. Types de relations causales établies

La quatrième section de la synthèse des analyses de la lecture interactive du récit « Raoul Taffin

pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) indique s’il y a absence ou présence de relation causale dans

l’unité de sens sélectionné et présent, s’il y a présence de relation causale, de quel type il s’agit.

Cela est fait dans le but de répondre à l’objectif 1 de la thèse qui est de décrire et d’analyser

l’intervention en lecture interactive et, ultérieurement, de déterminer la progression de l’enfant en

ce qui a trait au développement de la structure narrative.

Parmi les types de relations causales et selon les critères de Makdissi et Boisclair (2008), on

retrouve les relations intracomposantes, les relations intercomposantes et les relations

transcomposantes. Dans le tableau, les X représentent ce qu’a fait l’enfant et les (X) représentent

ce qu’a fait l’adulte. Puisqu’il s’agit d’une analyse des réponses de l’enfant dans le dialogue avec

l’adulte, seules seront présentées ici les questions cœur auxquelles l’enfant répond ainsi que ses

interactions spontanées86. Une synthèse de l’analyse des types de relations causales sera

également présentée.

86 On remarque, dans le tableau 30, que 3 relations causales n’ont pas été inscrites dans la ligne des interactions spontanées. Cela est dû au fait que l’enfant a produit 3 questions pouvant établir une relation causale (Q), mais que ces relations n’ont pas été établies (tableau 25). Ainsi, elles ne sont pas présentes dans le tableau synthèse.

Page 241: La lecture interactive : un contexte propice au ...

222

Tableau 30 : Synthèse des types de relations causales établies dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001)

Unités de sens Absence de relation causale

Présence de relations causales intracomposantes intercomposantes transcomposantes

Questions cœur auxquelles l’enfant répond

X : 6 (67 %)

X : 2 (20 %)

(X) : 2 (20 %)

X : 4 (50 %)

(X) : 2 (25 %)

(X) : 1 (100 %)

Interactions spontanées X : 3 (33 %)

X : 6 (60 %)

X : 2 (25 %)

Total : 28 9 (32 %)

X : 8/10 (80 %)

(X) : 2/10 (20 %)

X : 6/8 (75 %)

(X) : 2/8 (25 %)

(X) : 1/1 (100 %)

Total X : 14/19 (74 %)

Total (X) : 5/19 (26 %)

10 (36 %)

8 (29 %)

1 (3 %)

Le tableau 30 présente la synthèse des types de relations causales faites dans les questions cœur

auxquelles l’enfant répond et dans les interactions spontanées de l’enfant. Dans l’ensemble des

échanges n’ayant pas permis l’élaboration de liens de causalité, on remarque que’il y a eu

absence de relation causale dans une proportion de 67 % (6/9) pour les questions cœur auxquelles

l’enfant répond et dans une proportion de 33 % (3/9) pour les interactions spontanées. On

remarque également que, dans l’ensemble des relations causales intracomposantes faites, 20 %

(2/10) des relations causales intracomposantes ont été faites par l’enfant dans les questions

auxquelles elle a répondu et que 20 % (2/10) ont été faites par l’adulte. On observe également

que 60 % (6/10) des relations causales intracomposantes ont été faites par l’enfant dans les

interactions spontanées. En tout, les relations causales intracomposantes ont été faites par l’enfant

dans 80 % (8/10) des cas et par l’adulte dans 20 % (2/10) des cas. En ce qui a trait aux relations

causales intercomposantes, dans les questions cœur auxquelles l’enfant a répondu, on observe

que 50 % (4/8) d’entre elles ont été faites par l’enfant et 25 % (2/8) d’entre elles ont été faites par

l’adulte. Dans les interactions spontanées, l’enfant a fait toutes les relations causales

intercomposantes, ce qui équivaut à 25 % (2/8) des relations intercomposantes. En tout, on

remarque que l’enfant a fait 75 % des relations causales intercomposantes et que l’adulte en a fait

25 % (2/8). Les relations causales transcomposantes ont été faites par l’adulte (100 %, 1/1) lors

des questions cœur auxquelles l’enfant a répondu. Au total, si on observe le tableau, on remarque

qu’il n’y a pas eu de relation causale dans 32 % (9/28) des cas, que les relations causales

intracomposantes ont été faites dans 36 % (10/28) des cas, que les relations intercomposantes ont

Page 242: La lecture interactive : un contexte propice au ...

223

été faites dans 29 % (8/28) des cas et que les relations causales transcomposantes ont été faites

dans 3 % (1/28) des cas.

Dans le but de répondre à l’objectif spécifique 1.b. qui est de décrire le contexte et le type

d’interventions élaborés par l’adulte autour du développement de la structuration du discours

narratif par l’intermédiaire de la lecture interactive, il importe de s’attarder au soutien de l’adulte

dans l’élaboration des relations causales. On remarque que l’enfant a fait 74 % (14/19) des

relations causales tandis que l’adulte en a fait 26 % (5/19). Il est intéressant de soulever que

l’enfant est responsable de la majorité des relations causales intracomposante (80 %, 8/10) et des

relations causales intercomposantes (75 %, 6/8). Il est possible de remarquer que l’adulte, pour sa

part, oriente ses interventions vers les relations causales plus complexes (relations causales

intercomposantes et transcomposantes) pour s’assurer d’agir comme guide auprès de l’enfant. De

plus, l’adulte explicite moins de relations causales pour l’enfant et, par ses questions

majoritairement ouvertes (tableau 28), offre un contexte de discussion propice à ce que l’enfant

soit en mesure de les exprimer elle-même.

5.4.5. Composantes de la théorie de l’esprit

Le dernier élément présenté dans la synthèse de l’analyse de la lecture interactive de « Raoul

Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) sont les composantes de la théorie de l’esprit. Les

composantes analysées sont l’état physique, l’état interne de type émotionnel, l’état interne de

type intentionnel et l’état interne de type épistémique (Veneziano, 2010, 2016 ; Veneziano et

Hudelot, 2006). Cela a pour intention de répondre à l’objectif 2 de la thèse qui est de décrire et

d’analyser l’intervention en lecture interactive afin de tracer, ultérieurement, la progression de

l’enfant en ce qui a trait au développement de la théorie de l’esprit. Dans les tableaux, les X

représentent les composantes nommées par l’enfant et le (X) représentent les composantes

nommées par l’adulte. Dans un premier temps, les questions auxquelles l’enfant répond seront

présentées, puis celles où l’enfant ne répond pas, ensuite les interactions spontanées de l’enfant

et, finalement, un tableau synthèse sera présenté.

Page 243: La lecture interactive : un contexte propice au ...

224

Tableau 31 : Synthèse des composantes de la théorie de l’esprit soulevées dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001)

Unités de sens État physique État interne de type émotionnel

État interne de type intentionnel

État interne de type épistémique

Questions cœur auxquelles l’enfant répond

X : 1 (33,3 %)

X : 2 (25 %)

X : 4 (28,5 %)

(X) : 6 (43 %)

Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas

(X) : 1 (33,3 %)

Interactions spontanées X : 1 (33,3 %)

X : 4 (50 %)

(X) : 2 (25 %)

(X) : 4 (28,5 %)

Total X = 12/25 (48 %)

Total (X) = 13/25 (52 %)

X : 2/3 (67 %)

(X) : 1/3 (33 %)

X : 6/8 (75 %)

(X) : 2/8 (25 %)

X : 4/14 (28,5 %)

(X) : 10/14 (71,5 %)

Total : 25 3 (12 %)

8 (32 %)

14 (56 %)

Le tableau synthèse 31 présente la proportion d’apparitions de chaque composante de la théorie

de l’esprit, et ce, en fonction des trois catégories analysées précédemment. Si l’on considère

l’ensemble des échanges qui ont mené à la mise en relief d’un état physique, on remarque, à la

lecture du tableau, que cet état a été abordé par l’enfant au sein des questions cœur auxquelles

elle a répondu dans 33,3 % (1/3) des cas. L’état physique a été abordé par l’adulte dans 33,3 %

(1/3) des cas lors des questions cœur auxquelles l’enfant n’a pas répondu. L’enfant, au sein de ses

interactions spontanées, a abordé l’état physique dans 33,3 % (1/3) des cas. Au total, on remarque

que l’enfant a abordé, en cours de discussion, l’état physique dans 67 % (2/3) des cas et l’adulte

l’a fait dans 33 % (1/3) des cas. En ce qui a trait à l’état interne de type émotionnel, l’enfant l’a

abordé dans 25 % (2/8) des cas lors des questions auxquelles elle a répondu. Dans les interactions

spontanées, l’enfant a abordé l’état interne de type émotionnel dans 50 % (4/8) des cas et l’adulte

l’a fait dans 25 % (2/8) des cas. Au total de cette catégorie liée aux émotions, on observe que

l’enfant a abordé l’état interne de type émotionnel dans 75 % (6/8) des cas, alors que l’adulte l’a

fait dans 25 % (2/8) des cas. En ce qui a trait à l’état interne de type intentionnel, l’enfant

l’aborde dans 28,5 % (4/14) des cas lors des questions auxquelles elle répond et l’adulte, dans

cette même catégorie, l’aborde dans 43 % (6/14) des cas. Finalement, l’adulte aborde l’état

interne de type intentionnel dans 28,5 % (4/14) des cas lors des interactions spontanées. Au total

de cette catégorie liée aux intentions, on remarque que l’état interne de type intentionnel est

abordé par l’enfant dans 28,5 % (4/14) des cas et par l’adulte dans 71,5 % (10/14) des cas lors de

discussions autour du récit.

Page 244: La lecture interactive : un contexte propice au ...

225

Au total, toujours dans le but de répondre à l’objectif 2 de la thèse ainsi qu’aux deux objectifs

spécifiques sous-jacents87, on remarque qu’au total, l’enfant a fait ressortir les états internes dans

48 % (12/25) des cas et que l’adulte l’a fait dans 52 % (13/25) des cas. Finalement, on remarque

qu’au total l’état physique a été discuté dans 12 % (3/25) des cas, que l’état interne de type

émotionnel a été abordé dans 32 % (8/25) des cas et que l’état interne de type intentionnel a été

abordé dans 56 % (14/25) des cas. À la lecture du tableau, il est possible d’observer que l’état

interne de type épistémique n’a pas été soulevé en cours de lecture interactive. Cela est en lien

avec la figure 9 qui présente le schéma narratif et de la théorie de l’esprit de « Raoul Taffin

pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) dans lequel on peut remarquer que l’état interne de type

épistémique n’est pas visé dans ce récit.

Ces résultats permettent de voir comment le soutien de l’adulte peut aider l’enfant à identifier les

composantes de la théorie de l’esprit. On remarque que l’état interne le plus identifié par l’enfant

demeure l’état interne de type émotionnel (75 %, 6/8), et ce, malgré les difficultés présentées

dans la littérature en ce qui a trait aux enfants autistes et à l’identification des émotions (Baron-

Cohen, 1989; Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985). On remarque également que l’état interne le

plus discuté (56 %, 14/25) et celui pour lequel l’adulte est le plus intervenu (71,5 %, 10/14) est

l’état interne de type intentionnel. Cela est lié à l’importance que l’adulte a accordée à

l’identification de la composante récurrente du but par l’enfant lors des interventions. De plus,

l’état interne de type intentionnel est, dans une perspective développementale, plus complexe à

accorder que l’état interne de type émotionnel, ce qui permet de penser que l’adulte, en centrant

ainsi ses interventions, tente d’être dans la zone proximale de développement de l’enfant.

87 L’objectif spécifique 2.a. est de décrire la progression de l’enfant au regard de la théorie de l’esprit en contexte de lecture interactive, tandis que l’objectif spécifique 2.b. est de décrire le contexte et le type d’interventions élaborées par l’adulte dans le discours narratif autour de la théorie de l’esprit par l’intermédiaire de la lecture interactive.

Page 245: La lecture interactive : un contexte propice au ...

226

Chapitre 6 - Analyse de la lecture interactive Nez Rouge sur

la piste de Léonard

Ce sixième chapitre de la thèse fait état de l’analyse de la lecture interactive réalisée le 6 juin

2012. Dans un premier temps, une analyse de l’objet est présentée, c’est-à-dire l’album jeunesse

« Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999), et ce, tant en ce qui a trait aux

composantes récurrentes du récit qu’aux composantes de la théorie de l’esprit. Le récit sera

ensuite présenté sous forme de schéma. Dans un deuxième temps, la compréhension que l’enfant

a démontrée du récit en contexte de lecture interactive, sera présentée sous forme de schéma dans

le but de discuter des composantes récurrentes du récit que l’enfant a fait ressortir en cours de

discussion avec l’adulte de même que celles de la théorie de l’esprit. Dans le but de mettre en

relief les questions de l’adulte permettant de propulser l’enfant dans sa compréhension de

l’histoire ainsi qu’afin de circonscrire les interventions efficaces et de les modéliser, quinze

unités de sens représentant des éléments de la discussion réalisée entre l’adulte et l’enfant dans un

contexte de lecture interactive ont été extraites du verbatim initial et seront analysées tant en ce

qui a trait aux composantes récurrentes qu’aux éléments de la théorie de l’esprit discutés. Parmi

ces unités de sens, dix sont dans la catégorie des questions cœur auxquelles l’enfant répond, une

dans la catégorie des unités de sens comportant une question cœur à laquelle l’enfant ne répond

pas et quatre représentent les interactions spontanées de l’enfant. Dans un dernier temps, une

synthèse sous forme de tableaux récapitulatifs sera présentée.

6.1. Analyse de l’objet

Le récit sélectionné s’intitule « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999) et

fait partie de la série de livres « Nez-Rouge » qui présente les différentes aventures du clown du

même nom et de sa troupe de cirque. L’histoire débute alors que la troupe du cirque Abadaba

défile en parade pour annoncer sa venue dans la ville de Bruyère-les-Buissons. Alors que la

troupe se prépare pour le spectacle du soir, Taille-de-Mouche la funambule dit à Léonard le

rhinocéros qu’il sent mauvais, ce qui l’attriste. Sans avertir les autres, Léonard quitte ses quartiers

Page 246: La lecture interactive : un contexte propice au ...

227

pour aller prendre un bain dans le but de sentir meilleur et de plaire à sa maitresse. Cette solution

pour Léonard crée un problème à Taille-de-Mouche lorsque cette dernière se rend compte que

Léonard a disparu. Elle a peur de l’avoir blessé et qu’il effraie les habitants de la ville en

déambulant dans les rues. Elle part donc à sa recherche accompagnée de Nez-Rouge le clown. Ils

partent dans la ville et arrivent sur le site d’un accident de voiture. Taille-de-Mouche et Nez-

Rouge supposent que Léonard a causé cet accident, mais ce n’est pas le cas. Ils rencontrent

ensuite une femme avec les cheveux dressés sur la tête. Taille-de-Mouche et Nez-Rouge

supposent qu’elle a rencontré Léonard et que celui-ci lui a fait peur, mais la dame est coiffée pour

un bal masqué et n’a pas vu Léonard. Par la suite, Taille-de-Mouche et Nez-Rouge aperçoivent

un trou dans une palissade. Ils supposent que Léonard en est l’auteur, mais aucun passant ne l’a

vu passer par là. Ils retournent donc au cirque bredouilles et entendent des cris. C’est alors qu’ils

retrouvent Léonard dans le bain de Lili l’écuyère. Taille-de-Mouche comprend alors que Léonard

n’avait pas fui le cirque. Ils se réconcilient et tous rentrent dans leurs quartiers dans le but de se

préparer pour la représentation du soir. La morale de cette histoire est que nous ne pouvons

prédire la portée de nos paroles et que nous devons faire attention à ce que l’on dit.

Page 247: La lecture interactive : un contexte propice au ...

228

Figure 11 : Schéma narratif et de la théorie de l’esprit : « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999)

La figure 11 présente le schéma complexe et unique du récit ainsi que les composantes de la

théorie de l’esprit (encadrés noirs) qui sont en lien avec les composantes récurrentes du récit

(encadrés blancs). Léonard a un problème. Il sent mauvais, ce qui pousse sa maitresse déçue à

révéler explicitement cet état physique. Cet état physique génère un état interne de type

émotionnel. Léonard est triste de se faire dire qu’il sent mauvais. C’est pourquoi Léonard a pour

but de sentir bon et de plaire à sa maitresse ce qui est, par le fait même, un état interne de type

intentionnel. On remarque que la solution de Léonard, prendre un bain, génère la problématique

de Taille-de-Mouche et de Nez-Rouge. En effet, Nez-Rouge et Taille-de-Mouche ne savent pas

encore que Léonard a emprunté la baignoire d’un autre membre de la troupe, ce qui explique le

fait qu’il soit ailleurs que dans ses quartiers. Ils pensent que Léonard, blessé, a quitté le cirque

vers la ville, ce qui relève d’un état interne de type épistémique. Cette problématique génère l’état

Marie-PierreBaronFévrier2015

Schémaderécit:Nez-RougeàlapoursuitedeLéonard(06-06-2012)

ButdeNez-RougeetTaille-de-Mouche:RetrouverLéonard.

Tentatived’action1:Ilsvontvoirenvilleettombentsurunaccidentdevoiture.Lesconducteursn’ontpasvusLéonard.

Sous-Problème1:Ilsretournentaucirqueetentendentdescris.

Tentatived’action3:Ilyauntroudansunepalissade.Ilsarrêtentlespassants,maispersonnen’avuLéonard.

Situationinitiale:LatroupeducirqueAbadabafaituneparadepourannoncersa

venue.

Situationfinale:Nez-Rougen’estpasmécontentquetoutsoitrentrédansl’ordre.

Toutlemondevasepréparerpourlespectacle.

Tentatived’action2:Ilsrencontrentunefemmeaveclescheveuxdresséssurlatête.Ellen’apasvuLéonard.

Solution:IlsretrouventLéonarddanslebaindeLiliL’Écuyère.

Émotionnégative:Taille-de-MoucheetNez-Rougesontinquiets.

ProblèmedeNez-RougeetTaille-de-Mouche:Léonardestdisparu.

Émotionpositive:Ilssontcontentset

soulagés.

ButdeLéonard:sentirbonpourplaireàsamaitresse

Solution:Léonardvaprendreunbain.

ProblèmedeLéonard:Taille-de-Moucheluiditqu’ilsentmauvais.

Émotionnégative:Léonardesttriste.

Étatinterneintentionnel:IntentionderetrouverLéonard

Étatinterneintentionnel:Intentiondesentirbonetplaireàsamaitresse.

Étatinterneémotionnel:Tristesse

Étatinterneémotionnel:

Contentsetsoulagés

Étatinterneémotionnel:Inquiétude

Étatphysique:Sentirmauvais

ÉtatinterneépistémiquePendantleproblèmeetlespéripéties,Taille-de-MouchepensequeLéonardestpartiparcequ’ellel’ablessé.

ÉtatinterneépistémiquePourlatentatived’action2,Taille-de-MoucheetNez-Rougesupposentqueladameestaffoléepuisqu’ellearencontréLéonard.Ainsilespersonnagesémettentunehypothèsesurlapenséed’unautrepersonnage.

Morale:Ilfautfaireattentionàlaportéedesesparoles Étatinterneépistémique:Onnesaitpascommentlesautrespeuventinterpréternosparoles

ÉtatinterneépistémiquePourlatentatived’action1,Taille-de-MoucheetNez-Rougesupposentqu’unchauffeuravuLéonardetatentédel’esquiver,cequiauraitcausél’accident.

Étatinterneépistémique:IlsnesaventpasqueLéonardestdanslebain

Page 248: La lecture interactive : un contexte propice au ...

229

interne de type émotionnel qu’est l’inquiétude. De cette nouvelle problématique nait le but de

Taille-de-Mouche et de Nez-Rouge, c’est-à-dire retrouver Léonard, ce qui relève d’un état interne

de type intentionnel. Dans le schéma, on remarque que les deux buts s’opposent illustrant le fait

qu’à l’intérieur du même récit, il y ait deux récits en parallèle. Pour comprendre ceci, il faut

comprendre l’état interne de type épistémique qui fait en sorte que Taille-de-Mouche et Nez-

Rouge ne connaissent pas l’intention de Léonard et ne savent donc pas qu’il est allé prendre un

bain. Ainsi, il s’agit d’un épisode interactif88 (Baron, 2010). Les deux récits se nourrissent l’un et

l’autre et se rejoignent à la situation finale. Taille-de-Mouche et Nez-Rouge partent donc sur la

piste de Léonard. Pendant ce temps et tout au long des tentatives d’actions, Taille-de-Mouche

soulève un état interne de type épistémique, c’est-à-dire qu’elle croit avoir blessé Léonard et que

celui-ci s’est enfui du cirque. Taille-de-Mouche ne sait pas que Léonard est allé prendre un bain

précisément pour lui plaire. Elle fait une hypothèse sur la pensée d’un autre personnage. Dans la

tentative d’action 1, Taille-de-Mouche et Léonard, alors qu’ils voient l’accident de voiture,

pensent qu’un conducteur a aperçu Léonard et qu’il a perdu le contrôle de son véhicule, ce qui

relève d’un état interne de type épistémique. Pendant la tentative d’action 2, Taille-de-Mouche et

Nez-Rouge soulèvent un autre état interne de type épistémique en prétendant que la dame avec

les cheveux dressés sur la tête a rencontré Léonard et que cela l’a affolée. Ils émettent une

hypothèse sur la pensée d’un autre personnage du récit. Certains états internes de types

épistémiques relèvent de ce que Veneziano (2002, 2005) appelle les fausses croyances de

deuxième niveau qui se remarquent alors que le personnage A doit s’exprimer sur ce qu’il croit

que le personnage B pense. Dans le cas du dernier exemple, Taille-de-Mouche et Nez-Rouge sont

des intermédiaires pour affirmer la pensée supposée de la dame aux cheveux dressés sur la tête.

Finalement, la solution de Taille-de-Mouche et de Nez-Rouge génère un état interne de type

émotionnel, le soulagement de retrouver Léonard sain et sauf. À la suite de la lecture du récit, il

est possible non seulement de faire ressortir la morale qui est de faire attention à la portée de nos

paroles, mais aussi de faire ressortir l’état interne de type épistémique qui y est associé, c’est-à-

dire la non-connaissance de l’interprétation que les gens font de nos dires. Dans ce récit, Taille-

88 Le récit « fait une description de la séquence d’évènements selon deux perspectives possibles, c’est-à-dire en fonction de différents protagonistes (Ilgaz et Aksu-Koç, 2005). Il prend soin de nommer les buts de chaque personnage et l’influence que chacun peut avoir sur l’autre. Il met donc les différentes perspectives en interaction » (Baron, 2010).

Page 249: La lecture interactive : un contexte propice au ...

230

de-Mouche ne sait pas réellement ce que pense Léonard, comment il a interprété ses dires; elle ne

sait pas qu’il pense l’avoir déçue.

6.2. Analyse de la compréhension de l’enfant

Le schéma de l’analyse de la compréhension de l’enfant (figure 12) est réalisé à partir de

l’interaction entre l’adulte et l’enfant en cours de lecture interactive. À partir du verbatim, il

convient de présenter les énonciations coconstruites de l’enfant en collaboration avec l’adulte en

cours de lecture interactive. Dans l’encadré suivant, les propos de l’adulte sont en [gris] et ceux

de l’enfant en noir.

[Balourd, Finesse, Mandibule, Ça c’est Lili l’écuyère.] Qu’est-ce qu’a’ fait Lili l’écuyère?

[Lili l’écuyère: «Venez au grand cirque Abadaba!»] [« Sur le dos de Léonard le

rhinocéros, Taille-de-Mouche grimace. » Qu’est-ce qu’elle lui dit tu crois?] Tu sens

mauvais. [« C’est terrible! C’est terrible! Léonard a disparu! Oh non! »] Oui. [Elle (Taille-

de-Mouche) lui a dit quoi?] Tu sens mauvais. [Bien oui! Est-ce que tu penses que ça lui a

fait de la peine à Léonard de se faire dire ça?] Oui. [Nez-Rouge et Taille-de-Mouche

traversent la ville au pas de course. Ils aperçoivent deux voitures qui viennent d’avoir un

accident. Est-ce que tu penses que Léonard a à voir là-dedans?] Oui. [En tout cas, moi je

pense que c’est ce que eux i’ croient.] Oui, hein? [« L’un des conducteurs a peut-être croisé

Léonard et a perdu le contrôle de sa voiture? », s’alarme Taille-de-Mouche. […] « Vous

êtes sûr qu’il s’agissait bien d’un chien? », demande Taille-de-Mouche. « Pas plutôt d’une

grosse bête avec une corne sur le nez? »] [Elle parle de qui là?] Un nocéros. [Nez-Rouge et

Taille-de-Mouche continuent leurs recherches. Devant eux, une femme a les cheveux

dressés sur la tête. « Elle a dû voir Léonard! Elle est encore toute affolée! »] [Ça veut dire

quoi être affolée?] Ça veut dire « maquillée ». [Tu penses que ça veut dire « maquillé »?

La madame, ils ont peur qu’elle soit affolée. Si toi là, tu vois un rhinocéros dans la rue,

comment tu vas te sentir?] Triste. [Tu vas être triste? Pourquoi?](Silence.)[Si tu vois un

rhinocéros dans la rue, est-ce que tu vas avoir peur…] Oui. [… ou tu vas être contente?]

Page 250: La lecture interactive : un contexte propice au ...

231

Contente. [Moi je pense que j’aurais peur. C’est très gros un rhinocéros.] [« Nez-Rouge et

Taille-de-Mouche continuent leurs recherches. Ils découvrent un trou énorme dans une

palissade. » Comment ça se fait qu’i’ y a un trou tu penses?] I’ sont contents. [Est-ce qu’i’

sont contents? Regarde leur visage.] Non. [Comment ils se sentent?] Tristes. [Pourquoi?]

Parce qu’i’ sont, parce qu’i’ sont… Parce qu’i’ ont pas trouvé, parce qu’i’ ont pas trouvé

Léonard. [I’ veulent quoi eux?] Léonard [Qu’est-ce que Taille-de-Mouche et Nez-Rouge

ils vont faire pour retrouver Léonard?] I’ va l’accompagner. [I’ va accompagner qui?]

Léonard. [I’ va l’accompagner. Où ça?] Dans… dans le chemin. Qu’est-ce qu’a’ fait?

Qu’est-ce qu’i’ va dire? Bonjour. I’ t’a retrouvé Léonard. [Nez-Rouge et Taille-de-Mouche

rentrent bredouilles au cirque. Taille-de-Mouche est dépitée. Comment ils se sentent?]

Tristes. [Comment ça se fait?] Parce qu’i’ ont pas retrouvé Léonard. [« Soudain, un

nouveau cris retentit. » C’est qui qui crie?] C’est elle! [C’est Lili!] [« Nez-Rouge se

précipite, prêt à chasser l’intrus. Mais qui découvre-t-il dans la baignoire de Lili? »] Nez-

Rouge. [Nez-Rouge est dans la baignoire de Lili?] Nah! [Non!] Léonard! [On vérifie?

(L’adulte tourne la page.) Léonard! Qu’est-ce qu’i’ fait là?] Léonardo. [Léonard.] Léonard.

Léonardo. [Qu’est-ce qu’i’ fait là dans la baignoire de Lili?] I’ s’ baigne. [Pourquoi?] Parce

qu’i’ aime ça. [Parce qu’i’ aime ça… Qu’est-ce qu’i’ fait là dans le bain?] I’ s’ lave. [I’ se

lave? Pourquoi i’ s’ lave?] Je sais pas. [Ilselave…Lui là, au début, Léonard c’était quoi

son problème?] I’ sentait mauvais. [Il sentait mauvais. P’is là, qu’est-ce qu’i’ est en train

de faire?] I’ prend un bain. [Est-ce qu’i’ va régler son problème comme ça?] Oui. [I’ est en

train de régler son problème. Et puis eux, Taille-de-Mouche et Nez-Rouge, c’était quoi leur

problème? Ils voulaient quoi eux?] Ils voulaient Léonard. [Et là, est-ce qu’i’ ont réglé leur

problème?] Oui. [« Mais qu’est-ce que tu fais là? », s’étonne Taille-de-Mouche. « Mais, tu

m’as dit que je sentais mauvais. », s’exclame Léonard.] I’ a de la peine? Pourquoi? Parce

qu’i’ a dit : « Tu sens mauvais ». [Qui est-ce qu’i’ a pris son savon?] Nez-Rouge. [C’est

Nez-Rouge, tu crois, qui a pris son savon?] Oui. [Qui est-ce qu’i’ a prit un bain?] Léonard.

[Ah! Je crois que c’est plutôt lui qui a volé son savon!]

Page 251: La lecture interactive : un contexte propice au ...

232

Par la suite, sur cette base dialogique, il convient de mettre en relief les constructions accordées à

l’enfant qui ont servi à constituer le schéma du récit de l’enfant. Les énonciations accordées se

trouvent dans l’encadré suivant.

Taille-de-Mouche dit à Léonard : tu sens mauvais. Cela a fait de la peine à Léonard de se

faire dire ça. Léonard a à voir avec l’accident de voiture. Si je croise un rhinocéros dans la

rue, je vais me sentir triste, je vais avoir peur. Nez-Rouge et Taille-de-Mouche sont

contents de découvrir un trou dans la palissade. Nez-Rouge et Taille-de-Mouche se sentent

tristes parce qu’ils n’ont pas trouvé Léonard. Ils veulent Léonard. Pour retrouver Léonard,

ils vont l’accompagner dans le chemin. Qu’est-ce qu’elle fait? Qu’est-ce qu’elle va dire?

Bonjour. Il t’a retrouvé Léonard [interprétation : est-ce que tu as trouvé Léonard?]. C’est

elle (Lili) qui crie. Léonard, il se baigne parce qu’il aime ça. Il se lave parce qu’il sentait

mauvais. Il prend un bain. Il va régler son problème comme ça. Nez-Rouge et Taille-de-

Mouche voulaient Léonard. Ils ont réglé leur problème. Il a de la peine? Pourquoi? Parce

qu’il a dit : « tu sens mauvais ».

Le repérage des énonciations de l’enfant créées en coconstruction avec l’adulte a permis de

dégager les composantes récurrentes du récit ainsi que les composantes de la théorie de l’esprit

identifiées par l’enfant et, par le fait même, de produire le schéma de la compréhension du récit

par l’enfant. Dans la figure 12, les composantes récurrentes du récit se retrouvent dans les

encadrés blancs et les composantes de la théorie de l’esprit ayant été soulevées par l’enfant se

retrouvent dans les encadrés noirs.

Page 252: La lecture interactive : un contexte propice au ...

233

Figure 12 : Schéma narratif et de la théorie de l’esprit présentant la compréhension que l’enfant a du récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999)

On remarque, dans la figure 12, que l’enfant soulève le problème de Léonard, soit le fait que

Taille-de-Mouche lui dit qu’il sent mauvais, ce qui correspond à un état physique directement lié

à l’état interne de type émotionnel qui lui est associé, c’est-à-dire que Léonard a de la peine de se

faire dire ça. L’enfant identifie la solution de Léonard, soit l’utilisation du bain, en affirmant que

Léonard prend son bain parce qu’au début il sentait mauvais. Elle nomme donc à nouveau l’état

physique qu’est le fait de sentir mauvais. On peut donc affirmer que l’enfant a implicitement

nommé le but de Léonard, soit l’état interne de type intentionnel, qu’est le désir de ne plus sentir

mauvais. L’enfant identifie également implicitement le problème de Taille-de-Mouche et de Nez-

Rouge, soit le fait que Léonard est disparu par l’intermédiaire de l’état interne de type émotionnel

qui est associé, c’est-à-dire le fait que les deux personnages se sentent tristes parce qu’ils n’ont

pas retrouvé Léonard. L’état interne de type intentionnel qui représente le but est aussi nommé

puisque l’enfant affirme que Taille-de-Mouche et Nez-Rouge veulent retrouver Léonard. Cela

suppose, dans l’implicite, qu’il n’y est plus, qu’il est effectivement disparu. L’enfant nomme

Marie-PierreBaronFévrier2015

ProblèmedeLéonard:Taille-de-MoucheaditàLéonard

qu’ilsentmauvais.

Émotionnégative:Çaluiafaitdelapeinedese

fairedireça.

ButdeNez-RougeetTaille-de-Mouche:RetrouverLéonard.

Solution:Ilsvontdirebonjourjet’airetrouvé.IlsvoulaientLéonard,c’étaitleurproblème.Ilsl’ontréglé.

SolutiondeLéonard:Léonardselaveparcequ’ilsentait

mauvais.Ilprendunbain.

Émotionnégative:Taille-de-MoucheetNez-Rougesesententtristesparcequ’ilsn’ontpasretrouvéLéonard.

ProblèmedeNez-RougeetTaille-de-Mouche:Léonardestdisparu.

Tentativesd’actions:Taille-de-MoucheetNez-Rougevontl’accompagnerdanslechemin.

Tentatived’action2:Léonardaàvoiravecl’accidentdevoitures.

Sous-problème1:IlsentendentLilicrier.

Tentatived’action3:Sijecroiseunrhinocérosdanslarue,jevaismesentirtriste.

ButdeLéonard:(implicite)Neplussentirmauvais

Étatinterneintentionnel:IntentionderetrouverLéonard

Étatinterneintentionnel:Intentiondesentirbon

Étatphysique:Sentirmauvais

Étatinterneémotionnel:Tristesse

Étatinterneémotionnel:Tristesse

Étatinterneintentionnel:IntentionderetrouverLéonard

Situationinitiale:Léonardsentmauvais.

Page 253: La lecture interactive : un contexte propice au ...

234

deux tentatives d’actions. Dans un premier temps, elle résume les tentatives d’actions en

affirmant que pour retrouver Léonard ils doivent l’accompagner dans le chemin. Dans un

deuxième temps, comme première tentative d’action, l’enfant affirme que Léonard a à voir avec

l’accident de voiture. Finalement, l’enfant affirme, en guise de deuxième tentative d’action et en

lien avec ce qu’a vécu la femme dont les cheveux étaient dressés sur la tête, que, si elle croisait

un rhinocéros dans la rue, elle se sentirait triste. L’enfant énonce un état interne de type

émotionnel. Par la suite, l’enfant soulève le sous-problème 1 en affirmant qu’ils entendent Lili

crier, de même que la solution du récit. L’enfant dit que Taille-de-Mouche et Léonard voulaient

Léonard (état interne de type intentionnel), que c’était leur problème et qu’ils l’ont réglé.

6.3. Discussions entre l’adulte et l’enfant autour du récit

L’étude de la discussion entre l’adulte et l’enfant autour du récit « Nez-Rouge sur la piste de

Léonard » (Devernois et Pied, 1999)89 a permis de faire ressortir trois catégories d’interactions

différentes, c’est-à-dire celles où l’enfant répond aux questions de l’adulte, celles où l’enfant ne

répond pas aux questions de l’adulte et les interactions spontanées de l’enfant. Dans cette partie,

chaque interaction sera recontextualisée dans le récit et commentée en ce qui a trait au type de

question cœur posée par l’adulte, à la façon dont la question a été posée, à la justesse de la

réponse de l’enfant, au lien avec les composantes récurrentes du récit, le type de relations

causales faites de même qu’aux éléments de la théorie de l’esprit.

89 Il est à noter qu’il s’agit de la troisième lecture interactive de ce livre que l’adulte a fait avec l’enfant.

Page 254: La lecture interactive : un contexte propice au ...

235

6.3.1. Questions auxquelles l’enfant répond

« Qu’est-ce qu’elle lui dit tu crois? »

La première question cœur à laquelle l’enfant répond est « Qu’est-ce qu’elle lui dit tu crois? ».

Cette question a été posée à la suite de la lecture de la situation initiale : « Ce soir! Un spectacle

de cirque fantastique dans votre ville. Venez petits et grands! Venez tous nous retrouver sous le

chapiteau! Venez! » Sur le dos de Léonard le rhinocéros, Taille-de-Mouche grimace. ». L’adulte

a interrompu sa lecture et a posé la question suivante :

Extrait 1. 1. A : Qu’est-ce qu’elle lui dit tu crois (Lili à Léonard)? 2. E : Tu sens mauvais.

La première question cœur (ligne 1) est une question ouverte prospective. En posant cette

question, l’adulte demande à l’enfant de faire une hypothèse, à partir de ce qui a été lu, sur la

suite du récit, soit l’énonciation du problème de Léonard.

Ainsi, l’enfant fait un lien causal intracomposante à l’intérieur du problème entre la réaction de

Taille-de-Mouche et le fait que Léonard sente mauvais.

En affirmant : « [Elle dit :] tu sens mauvais. » (ligne 2), l’enfant soulève, en ce qui a trait à la

théorie de l’esprit, l’état physique de Léonard. Pour alimenter la discussion, l’adulte aurait pu

questionner l’enfant, toujours avec des questions ouvertes prospectives, dans le but de lui faire

inférer l’émotion négative qui y est liée (« Comment il se sent tu penses? »), le but (« Alors,

qu’est-ce qu’il veut? ») ou la solution de Léonard (« Comment il va faire, tu penses, pour obtenir

ça? ») et, de ce fait, favoriser l’explicitation du lien de causalité.

Page 255: La lecture interactive : un contexte propice au ...

236

« Elle lui a dit quoi? »

La deuxième question cœur à laquelle l’enfant a répondu est « Elle lui a dit quoi? ». La question a

été posée à la suite de la lecture du problème de Taille-de-Mouche et de Nez-Rouge : « Soudain,

il entend Taille-de-Mouche appeler. « C’est terrible! Léonard a disparu! Je suis sûr que c’est

quelqu’un qui l’a enlevé! » « Ça m’étonnerait », répond le clown. « Vous ne vous êtes pas

disputés tous les deux? » « Oh! Je l’ai un peu chicané tout à l’heure, mais ce n’était pas

méchant. » . » L’adulte a interrompu sa lecture et a questionné l’enfant :

Extrait 2. 1. A. Est-ce qu’elle l’a chicané tout à l’heure? 2. E. Oui. 3. A. Elle lui a dit quoi? 4. E. Tu sens mauvais. 5. A. Bien oui! Est-ce que tu penses que ça lui a fait de la peine à Léonard de

se faire dire ça? 6. E. Oui. 7. A. Oui, hein? Peut-être qu’il est parti parce qu’i’ avait de la peine.

La question cœur est une question ouverte rétrospective (ligne 3). Elle vise le problème de

Léonard, soit le fait qu’il sente mauvais, et, par différentes questions, tente de mettre en lien son

problème et l’émotion négative. L’adulte a posé différentes questions par lesquelles l’enfant a

acquiescé au fait que « Oui, [elle l’a chicané tout à l’heure.] » (ligne 2). Ensuite, l’enfant a

énoncé clairement la problématique en explicitant la cause de cette chicane, c’est-à-dire « [Elle

lui a dit :] tu sens mauvais. » (ligne 4). Par la suite, l’adulte a demandé à l’enfant si cela lui avait

fait de la peine à Léonard (ligne 5), mettant ainsi en relief l’émotion négative. L’enfant a

acquiescé : « Oui [ça lui a fait de la peine.] » (ligne 6). En cours de discussion, l’enfant et l’adulte

ont énoncé le problème de Léonard et l’émotion négative qui y est rattachée, et ce, dans le but

d’expliquer la cause du départ de Léonard.

Dans le cadre de la discussion, l’adulte tente d’amener l’enfant à nommer différentes

composantes récurrentes du récit, et ce, dans le but de les relier causalement entre elles. On peut

considérer que l’enfant, grâce aux questions de l’adulte, fait une relation causale intracomposante

Page 256: La lecture interactive : un contexte propice au ...

237

entre le problème « Tu sens mauvais. » (ligne 4) et l’émotion négative qui y est rattachée « Oui

[ça lui a fait de la peine.] » (ligne 6). Devant ce que l’enfant a fait et dans le but d’agir comme

guide, l’adulte ajoute : « Peut-être qu’il est parti parce qu’i’ avait de la peine. » (ligne 7). Ici, non

seulement l’adulte reprend les réponses de l’enfant, mais elle crée un lien causal

intercomposantes entre l’émotion négative enchâssée dans le problème vécu par Léonard, mais

aussi avec une partie de la tentative d’action qui mène à la solution de Léonard, le fait qu’il soit

parti, ce qui devient le problème de Taille-de-Mouche et de Nez-Rouge.

En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, l’adulte, en nommant l’émotion négative de Léonard,

soulève un état interne de type émotionnel (ligne 5) et l’enfant, en nommant le fait que Léonard

sent mauvais (ligne 4), nomme l’état physique rattaché à la situation initiale du rhinocéros.

« Est-ce que tu penses que c’est de la faute de Léonard si i’ ont eu un accident? »

La troisième question cœur à laquelle l’enfant répond est « Est-ce que tu penses que c’est de la

faute de Léonard si i’ ont eu un accident? ». Elle a été posée en cours de lecture de la tentative

d’action 1 : « Nez-Rouge et Taille-de-Mouche traversent la ville au pas de course. Ils aperçoivent

deux voitures qui viennent d’avoir un accident. »

Extrait 3. 1. A. Est-ce que tu penses que Léonard a à voir là-dedans? 2. E. (Silence.) 3. A. Est-ce que tu penses que c’est de la faute de Léonard si i’ ont eu un

accident? 4. E. Oui. 5. A. En tout cas, moi je pense que c’est ce que eux i’ croient. 6. E. Oui, hein?

La question cœur posée à l’enfant est une question fermée oui/non qui demande de se prononcer

sur l’implication de Léonard dans l’accident de voiture, soit la tentative d’action 1 (ligne 3). Ici,

l’enfant acquiesce aux questions de l’adulte : « Oui [c’est de la faute de Léonard si i’ ont eu un

Page 257: La lecture interactive : un contexte propice au ...

238

accident.] » (ligne 4) et, avec incertitude, elle affirme « Oui, hein? [c’est ce que eux i’ croient.] »

(ligne 6). En effet, à ce moment de la lecture, tout porte à croire que Léonard est responsable de

l’accident et c’est pourquoi les réponses de l’enfant sont considérées comme correctes.

Dans le contexte des questions qui lui ont été adressées, l’enfant n’a pas eu à faire de relation

causale.

En s’exprimant sur ce que Taille-De-Mouche et Nez-Rouge pensent à propos de la culpabilité de

Léonard (ligne 5), l’adulte s’exprime sur l’état interne de type épistémique des personnages. En

effet, l’adulte se prononce sur la connaissance ou la non-connaissance des personnages en ce qui

a trait à l’accident en affirmant « En tout cas, moi je pense que c’est ce que eux i’ croient. »

(ligne 5). Ici, dans le but de complexifier la question et de favoriser l’expression de relations

causales ainsi que de la théorie de l’esprit, l’adulte aurait dû poser une question ouverte à l’enfant

qui aurait pu amener cette dernière à s’exprimer sur la pensée des personnages. Par exemple, il

aurait été possible de remplacer l’affirmation de la ligne 5 par une question ouverte : « Et Nez-

Rouge et Taille-de-Mouche, ils en pensent quoi eux? ».

« Tu vas être triste? Pourquoi? »

La quatrième question cœur à laquelle l’enfant répond est « Tu vas être triste? Pourquoi? ». La

question a été posée alors que l’adulte était en train de lire la tentative d’action 2 : « Nez-Rouge

et Taille-de-Mouche continuent leurs recherches. Devant eux, une femme a les cheveux dressés

sur la tête. « Elle a dû voir Léonard! Elle est encore tout affolée! ». L’adulte a interrompu sa

lecture et a posé les questions suivantes à l’enfant :

Extrait 4. 1. A. Ça veut dire quoi être affolée? 2. E. Ça veut dire « maquillée ». 3. A. Tu penses que ça veut dire « maquillé »? La madame, ils ont peur

Page 258: La lecture interactive : un contexte propice au ...

239

qu’elle soit affolée. Si toi là, tu vois un rhinocéros dans la rue, comment tu vas te sentir?

4. E. Triste. 5. A. Tu vas être triste? Pourquoi? 6. E. (Silence.) 7. A. Si tu vois un rhinocéros dans la rue, est-ce que tu vas avoir peur… 8. E. Oui. 9. A. … ou tu vas être contente? 10. E. Contente. 11. A. Moi je pense que j’aurais peur. C’est très gros un rhinocéros.

La question cœur est une question ouverte rétrospective (ligne 5) à laquelle l’enfant ne répond

pas possiblement parce que l’évènement qui cause la tristesse est déjà dit dans la question qui

précède (ligne 3). Pour permettre à l’enfant de se prononcer sur la cause de l’affolement de la

dame au sein de la tentative d’action 2, l’adulte a posé différentes questions et lui a demandé de

se mettre à la place de celle-ci. On remarque, dans l’extrait lu, que l’adulte a nommé directement

la cause de l’affolement de la dame et, de ce fait, la tentative d’action 1. Par ses questions,

l’adulte a mis l’enfant en scène en lui demandant d’imaginer comment elle se serait sentie si

c’était elle qui avait vu Léonard. L’enfant a répondu : « [Si je vois un rhinocéros dans la rue, je

vais me sentir] triste. » (ligne 4). Plutôt que de demander à l’enfant pourquoi elle se serait sentie

triste, l’adulte ne part pas des propos de l’enfant et reste centrée sur la réponse qu’elle attendait,

de sorte que l’enfant ne fait pas de lien de causalité dans les composantes du récit. Un

questionnement supplémentaire sur la cause aurait pu amener l’établissement de liens de

causalité. Cependant, l’adulte a ensuite demandé à l’enfant si elle aurait peur. L’enfant

acquiesce : « Oui [je vais avoir peur.] » (ligne 8). Devant l’ambivalence de l’enfant dans ses

réponses, l’adulte a fait la contresuggestion « Ou tu vas être contente? » (ligne 9) et l’enfant a

répondu : « [Je vais être] contente. » (ligne 10). Les réponses variables et opposées de l’enfant ne

nous permettent pas de nous prononcer clairement sur sa compréhension de la peur ou du mot

« affolé ».

Dans cet extrait, l’enfant n’a pas fait de relation causale concernant les composantes du récit dans

l’énonciation de ses hypothèses de réponse et cela est dû en grande partie au fait que l’adulte a

énoncé la cause dans sa question et s’est davantage attardée à la justesse de l’émotion ciblée par

Page 259: La lecture interactive : un contexte propice au ...

240

l’enfant (la tristesse au lieu de la peur) ce qui a mené à la simplification de la question cœur en

posant des questions fermées.

Dans cette unité de sens, l’adulte a demandé à l’enfant de se mettre à la place du personnage, et

ce, dans une situation qu’elle n’a jamais vécue. Dans la perspective de la théorie de l’esprit, il

s’agit d’une tâche ardue. En cours de discussion, l’adulte a énoncé deux états internes de type

émotionnel (lignes 7 et 9). Quant à l’enfant, elle fait diverses hypothèses, ce qui lui a aussi permis

de faire ressortir un état interne de type émotionnel (ligne 4). De plus, à la ligne 3, l’adulte

affirme « La madame, ils ont peur qu’elle soit affolée ». En s’exprimant ainsi sur la pensée de

Taille-de-Mouche et de Nez-Rouge à propos de l’état de la madame, l’adulte fait référence à un

état interne de type épistémique.

« I’ veulent quoi eux? »

La cinquième question cœur à laquelle l’enfant a répondu est « I’ veulent quoi eux? ». La

question a été posée en cours de lecture de la tentative d’action 3 : « Nez-Rouge et Taille-de-

Mouche continuent leurs recherches. Ils découvrent un trou énorme dans une palissade. ».

L’adulte a posé la question suivante :

Extrait 5.

1. A. I’ veulent quoi eux? 2. E. Léonard. 3. A. Ils veulent Léonard! Ils veulent le retrouver!

La question cœur est une question ouverte rétrospective (ligne 1). L’adulte demande à l’enfant de

nommer le but de Taille-De-Mouche et de Nez-Rouge, ce à quoi l’enfant a répondu : « [I’

veulent] Léonard. » (ligne 2).

Page 260: La lecture interactive : un contexte propice au ...

241

Pour énoncer le but de Taille-De-Mouche et de Nez-Rouge, l’enfant doit faire un lien causal

intercomposante avec leur problématique, c’est-à-dire le fait que Léonard soit disparu.

Cependant, pour que l’enfant l’explicite, l’adulte aurait dû enchainer avec une autre question

ouverte rétrospective de type « Pourquoi? ».

En énonçant ainsi le but, l’enfant nomme l’état interne de type intentionnel des personnages, soit

leur intention de retrouver Léonard (ligne 2).

« Qu’est-ce que Taille-de-Mouche et Nez-Rouge ils vont faire pour retrouver Léonard? »

La sixième question cœur à laquelle l’enfant répond est « Qu’est-ce que Taille-de-Mouche et

Nez-Rouge ils vont faire pour retrouver Léonard? ». La question a été posée alors que l’adulte

avait lu un extrait de la tentative d’action 3 : « Nez-Rouge et Taille-de-Mouche continuent leurs

recherches. Ils découvrent un trou énorme dans une palissade. ». L’adulte et l’enfant ont discuté

du but de Taille-De-Mouche et de Nez-Rouge, puis l’adulte a posé ces questions :

Extrait 6. 1. A. Qu’est-ce qu’i’ font pour le retrouver? Qu’est-ce qu’i’ vont faire pour le

retrouver Léonard? 2. E. (Silence.) 3. A. Qu’est-ce que Taille-de-Mouche et Nez-Rouge ils vont faire pour

retrouver Léonard? 4. E. I’ va l’accompagner. 5. A. I’ va l’accompagner. I’ va accompagner qui? 6. E. Léonard. 7. A. I’ va l’accompagner. Où ça? 8. E. Dans… dans le chemin.

La question cœur est une question ouverte prospective dans laquelle l’adulte, à partir de ce que

l’enfant avait exprimé dans l’extrait précédent concernant le but (extrait 5), énonce le but de

Taille-De-Mouche et de Nez-Rouge qui est de retrouver Léonard (ligne 3). En posant la question

ainsi, l’adulte visait les tentatives d’actions. À l’aide du questionnement de l’adulte, l’enfant a

Page 261: La lecture interactive : un contexte propice au ...

242

répondu à la question : « I’ va l’accompagner Léonard dans le chemin. » (lignes 4, 6 et 8).

L’adulte interprète cette réponse de l’enfant comme si elle avait voulu dire qu’ils suivent Léonard

dans le chemin, dans la ville. C’est d’ailleurs ce que Taille-De-Mouche et Léonard font en partant

dans la ville à la recherche d’indices permettant de penser que Léonard est passé par là. En

formulant ainsi sa réponse, l’enfant résume les premières tentatives d’action (lignes 4, 6 et 8)

associées au but exprimé par l’enfant (extrait 5) et repris par l’adulte (lignes 1 et 3) dans cet

extrait 6 pour pousser plus loin la discussion.

Ainsi, si on affirme qu’il y a un lien causal entre le but et la tentative d’action, il est possible de

penser que l’enfant, par une relation transitive, a compris que Léonard est disparu parce que s’il

n’était pas disparu (problème), il n’essaierait pas de la retrouver (but) et ne l’accompagnerait pas

dans le chemin (tentative d’action). L’enfant fait donc une relation causale transcomposante.

En nommant le but de Nez-Rouge et de Taille-de-Mouche (ligne 3), l’adulte nomme l’état interne

de type intentionnel : retrouver Léonard.

« Comment ils se sentent? » « Comment ça se fait? »

Les septièmes questions cœur auxquelles l’enfant répond sont « Comment ils se sentent? » et

« Comment ça se fait? ». Les questions ont été posées à la suite de la lecture de la fin de la

tentative d’action 3 : « Mais personne n’a vu un tel animal. Nez-Rouge et Taille-de-Mouche

rentrent bredouilles au cirque. Taille-de-Mouche est dépitée. ». L’adulte a interrompu sa lecture

et a posé les questions suivantes à l’enfant :

Extrait 7. 1. A. Comment ils se sentent? 2. E. Tristes. 3. A. Tristes, hein? Comment ça se fait? 4. E. Parce qu’i’ ont pas retrouvé Léonard.

Page 262: La lecture interactive : un contexte propice au ...

243

Les deux questions considérées comme une question cœur est une question ouverte rétrospective

(ligne 3). La question est considérée comme ouverte dans le sens où on demande à l’enfant de se

prononcer sur la cause de l’émotion qu’elle a nommée à la ligne 2. Avec le questionnement de

l’adulte, l’enfant répond à la question en affirmant : « [Ils se sentent] tristes parce qu’i’ ont pas

retrouvé Léonard. » (lignes 2 et 4).

Ainsi, l’enfant relie causalement deux composantes récurrentes, soit l’émotion négative et le but

de Taille-De-Mouche et de Nez-Rouge. Pour ce faire, elle doit considérer le problème de Taille-

de-Mouche et de Léonard, soit que Léonard ait disparu. Ainsi, par une relation transitive entre le

but et l’émotion négative, on considère que l’enfant tient implicitement compte du problème et

que cette dernière fait une relation causale intercomposante qui explique la cause de l’émotion

vécue par les protagonistes : Ils ont perdu Léonard (problème à inférer), ils sont tristes (émotion

négative, ligne 2) et ils veulent retrouver Léonard (but, ligne 4).

En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, l’enfant se prononce sur l’état interne de type émotionnel

(ligne 2) et l’état interne de type intentionnel (ligne 4) de Taille-De-Mouche et Nez-Rouge.

« Qui est-ce qui crie? »

La huitième question cœur à laquelle l’enfant a répondu est : « Qui est-ce qui crie? ». La question

a été posée pendant que l’adulte amorçait la lecture du sous-problème 1 : « Soudain, un nouveau

cri retentit. ». L’adulte s’est arrêté de lire et a posé ces questions à l’enfant :

Page 263: La lecture interactive : un contexte propice au ...

244

Extrait 8. 1. A. Qui est-ce qui crie? 2. E. (Silence.) 3. A. Est-ce que c’est Taille-de-Mouche qui crie? 4. E. Non! 5. A. Non. C’est qui qui crie? 6. E. (Silence.) 7. A. Ah! 8. E. C’est elle! 9. A. C’est Lili! 10. E. Oui!

La question cœur est une question fermée rétrospective (ligne 1). Sur l’illustration, on peut voir,

sans équivoque, que les cris viennent de la maison de Lili l’écuyère. Dans le dialogue, on

remarque que l’adulte pose la question cœur à l’enfant (ligne 1), mais que cette dernière demeure

silencieuse (ligne 2). L’adulte fait ensuite des suggestions à l’enfant, de sorte que cette dernière

affirme : « Non [ce n’est pas Taille-De-Mouche qui crie.] » (ligne 4). Finalement, l’adulte

reprend la question cœur et l’enfant répond que « C’est elle (Lili) [qui crie.] » (lignes 8 et 10). La

question visait à clarifier le sous-problème qui venait d’être lu et l’enfant a répondu correctement

à la question.

Pour répondre à la question cœur, l’enfant n’a pas eu à faire de relation causale.

Aucune composante de la théorie de l’esprit n’a été énoncée dans cet extrait. Dans le but de

poursuivre la discussion et de faire des liens causaux, l’adulte aurait pu demander à l’enfant

pourquoi elle crie, ce qui lui aurait permis de faire des liens causaux avec la solution de Léonard,

le problème de Lili l’écuyère et le but de Nez-Rouge et de Taille-de-Mouche.

Page 264: La lecture interactive : un contexte propice au ...

245

« Qu’est-ce qu’i’ fait là dans la baignoire de Lili? » « Pourquoi? »

Les neuvièmes questions cœur sont « Qu’est-ce qu’i’ fait là dans la baignoire de Lili? » Et

« Pourquoi? ». Les questions ont été posées alors que l’adulte faisait la lecture de la solution du

récit : « Cette fois-ci, il provient de chez Lili. « J’ai peur, j’ai peur! Il y a quelqu’un dans mon

bain, dans ma salle de bain! J’ai peur! » Nez-Rouge se précipite, prêt à chasser l’intrus. Mais qui

découvre-t-il dans la baignoire de Lili? ». L’adulte a arrêté sa lecture alors que le récit posait une

question à laquelle l’enfant a répondu ainsi : Extrait 9.

1. A. (Livre.) « Mais qui découvre-t-il dans la baignoire de Lili? » 2. E. Nez-Rouge 3. A. Nez-Rouge est dans la baignoire de Lili? 4. E. Nah! 5. A. Non! 6. E. Léonard! 7. A. On vérifie? (L’adulte tourne la page.) Léonard! Qu’est-ce qu’i’ fait là? 8. E. Léonardo. 9. A. Léonard! 10. E. Léonard. Léonardo. 11. A. Qu’est-ce qu’i’ fait là dans la baignoire de Lili? 12. E. I’ s’ baigne. 13. A. Pourquoi? 14. E. Parce qu’i’ aime ça. 15. A. Parce qu’i’ aime ça… Qu’est-ce qu’i’ fait là dans le bain? 16. E. I’ se lave. 17. A. I’ se lave? Pourquoi i’ se lave? 18. E. (Soupir.) Je sais pas. 19. A. Il se lave… Lui là, au début, Léonard, c’était quoi son problème? 20. E. I’ sentait mauvais. 21. A. Il sentait mauvais. P’is là, qu’est-ce qu’i’ est en train de faire? 22. E. I’ prend un bain. 23. A. Est-ce qu’i’ va régler son problème comme ça? 24. E. Oui. 25. A. I’ est en train de régler son problème. Et puis eux, Taille-de-Mouche et

Nez-Rouge, c’était quoi leur problème? Ils voulaient quoi eux? 26. E. Ils voulaient Léonard. 27. A. Et là, est-ce qu’i’ ont réglé leur problème? 28. E. Oui.

Les deux questions considérées comme une question cœur posée à l’enfant est une question

ouverte rétrospective (lignes 11 et 13). On remarque dans la discussion que l’enfant prétend, dans

un premier temps, que Nez-Rouge est dans la baignoire de Lili (ligne 2), mais elle rectifie le tir

en affirmant qu’il s’agit de Léonard (ligne 6). Étant donné la complexité du traitement

anaphorique impliqué dans la question (ligne 1), cette première hypothèse de l’enfant peut

Page 265: La lecture interactive : un contexte propice au ...

246

possiblement s’expliquer par une interprétation de la question de la manière suivante : Qui

découvre Léonard (il) dans la baignoire? D’ailleurs, lorsque l’adulte met en mots le résultat de la

réponse de l’enfant (« Nez-Rouge est dans la baignoire de Lili? (ligne 3), l’enfant précise que

c’est bien Léonard (ligne 6). Ensuite, l’adulte tourne la page et, en fonction de l’illustration, elle

confirme que c’est Léonard qui est dans la baignoire de Lili (ligne 7). La solution de Taille-De-

Mouche et de Nez-Rouge est alors énoncée, soit le fait qu’ils aient retrouvé Léonard dans la

baignoire de Lili (ligne 6). Lorsque l’adulte pose les questions cœur et demande « Qu’est-ce qu’il

fait là dans la baignoire de Lili? » (ligne 11) et « Pourquoi? » (ligne 13), l’enfant répond : « I’ se

baigne parce qu’i’ aime ça. » (ligne 12 et 14). L’adulte précise la question et demande à l’enfant

« Qu’est-ce qu’i’ fait là dans l’bain? » (ligne 15), ce à quoi l’enfant répond : « I’ s’ lave. »

(ligne 16). La solution de Léonard est donc énoncée.

Dans le but de soutenir l’expression de liens causaux par le questionnement, l’adulte revient au

problème initial de Léonard en demandant « Lui là, au début, Léonard, c’était quoi son

problème? » (Ligne 19). L’enfant dit alors : « [Au début, son problème c’est qu’] i’ sentait

mauvais. » (Ligne 20). L’adulte questionne ensuite l’enfant sur la solution de Léonard en

demandant « P’is là, qu’est-ce qu’i’ est en train de faire? » (Ligne 21) et « Est-ce qu’i’ va régler

son problème comme ça? » (ligne 23). L’enfant répond : « I’ prend un bain » (ligne 22) et « Oui

[ça va régler son problème.] » (ligne 24). Le fait que l’enfant mentionne que cela va régler son

problème permet d’inférer le but de Léonard qui est de sentir bon. Ainsi, l’enfant fait un lien

transcomposantes entre le problème (ligne 20 : « I’ sentait mauvais. »), le but (sentir bon) et la

solution de Léonard (lignes 22 et 24 : « I’ prend un bain » et « Oui [ça va régler son

problème.] »).

L’adulte questionne ensuite l’enfant sur le problème et le but de Taille-De-Mouche et de Léonard

en demandant « Et puis eux, Taille-de-Mouche et Nez-Rouge, c’était quoi leur problème? Ils

voulaient quoi eux? » (ligne 25). L’enfant répond : « Ils voulaient Léonard. » (ligne 26). L’enfant

énonce aussi, à la suite du questionnement de l’adulte, que « Oui, [leur problème est réglé.] »

Page 266: La lecture interactive : un contexte propice au ...

247

(ligne 28). Ainsi, l’enfant nomme explicitement le but de Taille-De-Mouche et de Nez-Rouge

(ligne 26), elle nomme implicitement leur problème en mentionnant que leur problème est réglé

en répondant « Oui » (ligne 28) à la question de l’adulte. L’enfant fait donc une relation causale

intercomposantes entre le problème et le but de Taille-de-Mouche et de Nez-Rouge.

Il est important de mentionner que le but de Léonard et celui de Taille-De-Mouche et de Nez-

Rouge sont en tension puisqu’il s’agit ici d’un récit qui contient deux épisodes interactifs. Les

réponses de l’enfant suggèrent qu’elle a réussi à reconstruire la trame narrative de chaque

épisode.

En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, l’enfant, en mentionnant la problématique de Léonard,

exprime un état physique (ligne 20) et, en nommant le but de Taille-De-Mouche et de Nez-Rouge

(ligne 26), exprime un état interne de type intentionnel. De plus, l’enfant, en s’exprimant sur le

fait que Léonard aime prendre son bain (ligne 14), soulève un état interne de type émotionnel.

« Qui est-ce qu’i’ a pris son savon? »

La dixième question cœur à laquelle l’enfant répond est « Qui est-ce qui a pris son savon? ». La

question a été posée après la lecture de la situation finale : « Taille-de-Mouche le couvre de

bisous. Léonard se demande quelle mouche l’a piqué, mais il se laisse faire. Ce n’est pas si

courant de recevoir des bisous. Mécontente, Lili récupère son flacon de savon à moitié vide. ».

Extrait 10. 1. A. Qui est-ce qu’i’ a pris son savon? 2. E. Nez-Rouge. 3. A. C’est Nez-Rouge, tu crois, qui a pris son savon? 4. E. Oui. 5. A. Qui est-ce qui a pris un bain? 6. E. Léonard. 7. A. Ah! Je crois que c’est plutôt lui qui a volé son savon!

Page 267: La lecture interactive : un contexte propice au ...

248

La question cœur est une question fermée rétrospective qui vise la solution du récit (ligne 1). On

remarque que lorsque l’adulte demande à l’enfant qui a pris le savon de Lili, cette dernière

répond : « Nez-Rouge [a pris son savon.] » (ligne 2). L’adulte questionne alors l’enfant sur la

solution de Léonard pour permettre à cette dernière de dire que « Léonard [a pris un bain.] »

(ligne 6). L’adulte fait donc, à la place de l’enfant, le lien entre les évènements en affirmant que

le voleur de savon doit être Léonard : « Ah! Je crois que c’est plutôt lui qui a volé son savon! »

(ligne 7).

L’adulte fait un lien intracomposantes qui relie causalement, à l’intérieur même de la solution de

Léonard, le fait qu’il prenne un bain comme étant la cause de la disparition du savon. Dans cet

extrait, l’enfant n’a pas fait de relation causale.

L’enfant ne nomme pas de composante de la théorie de l’esprit dans cette unité de sens.

Cependant, pour l’amener à faire des relations causales, l’adulte aurait pu poser une question

ouverte de type « Pourquoi il a pris son savon? », ce qui aurait amené l’enfant à se prononcer sur

le problème et le but de Léonard ainsi qu’à faire des relations causales entre ces composantes.

6.3.1.1. Tableaux synthèses des questions auxquelles l’enfant répond

La partie qui suit présente la synthèse des résultats, sous forme de tableaux récapitulatifs, en ce

qui a trait aux questions auxquelles l’enfant répond. Dans un premier temps, la synthèse des types

de questions cœur auxquelles l’enfant a répondu sera présentée. Dans un deuxième temps, la

synthèse des composantes récurrentes visées par les questions cœur auxquelles l’enfant a répondu

sera présentée. Dans un troisième temps, la même chose sera faite en ce qui a trait aux niveaux de

relations causales établies. Finalement, la synthèse des états internes ciblés par les questions

auxquelles l’enfant a répondu sera présentée.

Page 268: La lecture interactive : un contexte propice au ...

249

Types de questions cœur auxquelles l’enfant répond

Le tableau 32 présente les dix questions cœur auxquelles l’enfant a répondu ainsi que le type de

questions, c’est-à-dire s’il s’agit de questions fermées oui/non, de questions fermées

rétrospectives, de questions ouvertes rétrospectives ou de questions ouvertes prospectives. Parmi

les dix questions cœur auxquelles l’enfant a répondu, 10 % (1/10) sont des questions fermées

oui/non et 20 % (2/10) sont des questions fermées rétrospectives. Par ailleurs, 50 % (5/10) des

questions cœur posées sont des questions ouvertes rétrospectives tandis que 20 % (2/10) sont des

questions ouvertes prospectives.

Tableau 32 : Types de questions cœur auxquelles l’enfant répond dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999)

Questions cœur Q. fermées oui/non

Q. fermées rétrospectives

Q. ouvertes rétrospectives

Q. ouvertes prospectives

Qu’est-ce qu’elle lui dit tu crois? Oui Ligne 1

Elle lui a dit quoi? Oui

Ligne 3

Est-ce que tu penses que c’est de la faute de Léonard si i’ ont eu un

accident?

Oui Ligne 3

Tu vas être triste? Pourquoi? Non Ligne 5

I’ veulent quoi eux? Oui Ligne 1

Qu’est-ce que Taille-de-Mouche et Nez-Rouge ils vont faire pour

retrouver Léonard?

Oui Ligne 3

Comment ils se sentent? Comment ça se fait?

Oui Ligne 3

Qui est-ce qui crie? Oui Ligne 1

Qu’est-ce qu’i’ fait là dans la baignoire de Lili? Pourquoi?

Oui Ligne 16

Qui est-ce qu’i’ a pris son savon? Non Ligne 1

Total : 10 1 (10 %)

2 (20 %)

5 (50 %)

2 (20 %)

Page 269: La lecture interactive : un contexte propice au ...

250

À la lecture du tableau 32, on remarque que l’enfant a répondu correctement à 80 % (8/10) des

questions cœur posées. Seules une question fermée oui/non et une question ouverte prospective

n’ont pas été répondues avec exactitude. On remarque également que 70 % (7/10) des questions

posées auxquelles l’enfant a répondu sont des questions ouvertes, qu’elles soient rétrospectives

(50 %, 5/10) ou prospectives (20 %, 2/10), et que, sur l’ensemble des questions ouvertes, 86 %

(6/7) ont été répondues adéquatement. Ainsi, cela démontre une capacité de l’enfant, en cours de

discussion avec l’adulte autour du récit, à mieux comprendre et construire la trame causale du

récit. Cela permet également de remarquer que l’adulte, par l’augmentation des questions

ouvertes90, augmente le niveau de difficulté de ses interventions et s’ajuste au niveau de l’enfant.

Questions cœur auxquelles l’enfant répond et composantes récurrentes visées

Le tableau 33 présente les composantes récurrentes91 visées par les questions cœur auxquelles

l’enfant a répondu. Les X représentent ce qu’a fait l’enfant et les (X) représentent ce qu’a fait

l’adulte. Lorsque l’enfant ne fait que répondre oui ou non à la formulation précédente de l’adulte

qui enchâsse une composante récurrente du récit, l’énonciation de la composante est accordée à

l’adulte et est donc représentée par (X). Il est à noter que ce récit présente une séquence

interactive, soit deux problèmes, deux émotions négatives, deux buts et deux solutions, et que ces

mêmes composantes, quoique revenant à deux reprises dans le récit, ont été regroupées dans la

même case. On remarque que les problèmes ont été énoncés par l’enfant dans 83 % (5/6) des cas

et par l’adulte dans 17 % (1/6) des cas. Les émotions négatives qui y sont liées sont discutées à

parts égales (50 %) par l’adulte (1/2) et par l’enfant (1/2). Les buts sont discutés dans 75 % (3/4)

des cas par l’enfant et dans 25 % (1/4) des cas par l’adulte. Les tentatives d’actions, quant à elles,

sont discutées par l’enfant dans 25 % (1/4) des cas et par l’adulte dans 75 % (3/4) des cas. Le

sous-problème est discuté par l’adulte dans 100 % (1/1) des cas et, finalement, les solutions et les

90 Il convient de rappeler que les questions ouvertes représentaient, dans la première puis dans la deuxième analyse, respectivement 22 % et 57 %. 91 À l’intérieur du tableau on retrouve la situation initiale (S. I.), la problématique (Prob.), l’émotion négative (É.-), le but (But), les tentatives d’actions (T. A.), le sous-problème (S.-Prob.), l’émotion négative liée au sous-problème (S.-É-), le sous-but (S.-But), la solution au sous-problème (S.-Sol.), la solution au problème principal (Sol.), l’émotion positive (É. +) et la situation finale (S. F.).

Page 270: La lecture interactive : un contexte propice au ...

251

émotions positives inhérentes sont discutées dans 100 % (2/2) des cas par l’enfant. Au total, on

remarque, dans les questions auxquelles l’enfant a répondu, que les composantes récurrentes du

récit sont abordées par l’enfant dans 65 % (13/20) des cas et par l’adulte dans 35 % (7/20) des

cas.

On observe également, à la lecture du tableau 33, que, si on considère toutes les composantes

récurrentes, les problèmes ont été abordés dans 30 % (6/20) des cas, les émotions négatives dans

10 % (2/20) des cas, les buts et les tentatives d’actions dans chacun 20 % (4/20) des cas, le sous-

problème dans une proportion de 5 % (1/20), les solutions dans 10 % (2/20) des cas et l’émotion

positive y étant inhérente dans 5 % (1/20) des cas.

Tableau 33 : Questions cœur auxquelles l’enfant répond et composantes récurrentes visées dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999)

Questions cœur S. I.

Prob. É. - But T. A. S. – Prob.

S.- É-

S. – But

S.- Sol.

Sol. É. + S. F.

Qu’est-ce qu’elle lui dit tu crois?

X Ligne 2

Elle lui a dit quoi?

X Ligne 4

(X) Ligne 5

(X) Ligne 7

Est-ce que tu

penses que c’est de la faute de

Léonard si i’ ont eu un accident?

(X) Ligne 3

Tu vas être triste?

Pourquoi?

(X) Ligne 3

I’ veulent quoi eux?

X Ligne 2

Page 271: La lecture interactive : un contexte propice au ...

252

Questions cœur S. I.

Prob. É. - But T. A. S. – Prob.

S.- É-

S. – But

S.- Sol.

Sol. É. + S. F.

Qu’est-ce que Taille-de-

Mouche et Nez-Rouge ils vont

faire pour retrouver Léonard?

(X) Lignes 1

et 3

(X) Lignes 1

et 3

X Lignes 4,

6 et 8

Comment ils se sentent?

Comment ça se fait?

X Lignes 2

et 4

X Ligne 2

X Ligne 4

Qui est-ce qui crie?

(X) Lignes 1, 3, 5 et 9

Qu’est-ce qu’i’ fait là dans la baignoire de

Lili? Pourquoi?

X Ligne 20

X Ligne 28

X Ligne 26

X Lignes 6, 12, 16, 22

et 24

X Ligne 14

Qui est-ce qu’i’ a pris son savon?

X Ligne 6

Total X : 13/20 (65 %)

Total (X) : 7/20

(35 %)

X : 5/6 (83 %)

X : 1/2 (50 %)

X : 3/4 (75 %)

X : 1/4 (25 %)

(X) : 1/1 (100 %)

X : 2/2 (100 %)

X : 1/1 (100 %)

(X) : 1/6 (17 %)

(X) : 1/2 (50 %)

(X) : 1/4 (25 %)

(X) : 3/4 (75 %)

Total : 20 6 (30 %)

2 (10 %)

4 (20 %)

4 (20 %)

1 (5 %)

2 (10 %)

1 (5 %)

À la lumière des résultats, on remarque, dans un premier temps, que l’enfant a énoncé elle-même

65 % (13/20) des composantes récurrentes du récit, ce qui n’est pas sans lien avec l’importante

proportion des questions ouvertes auxquelles elle a répondu. De plus, il est possible de remarquer

que, mis à part pour les tentatives d’actions, qu’elle a énoncés dans 25 % (1/4) des cas, et les

sous-problèmes, c’est elle qui a énoncé 50 % ou plus des composantes récurrentes. Dans un

deuxième temps, on observe que l’adulte a principalement guidé la discussion autour de trois

composantes récurrentes (70 %, 14/20), soit les problèmes (30 %, 6/20), les buts (20 %, 4/20) et

les tentatives d’actions (20 %, 4/20). Ainsi, par ses interventions, l’adulte favorise l’expression de

liens causaux entre les composantes récurrentes ainsi que dans chacun des deux épisodes

interactifs présents dans le récit.

Page 272: La lecture interactive : un contexte propice au ...

253

Questions cœur auxquelles l’enfant répond et types de relations causales établies

Le tableau 34 présente les types de relations causales faites dans l’interaction entre l’adulte et

l’enfant, et ce, pour les questions cœur auxquelles l’enfant répond. Les X représentent ce qu’a fait

l’enfant et les (X) représentent ce qu’a fait l’adulte. L’enfant a fait les deux relations causales

intracomposantes (100 %, 2/2). En ce qui a trait aux relations causales intercomposantes, l’enfant

les a faites dans 75 % (3/4) des cas et l’adulte les a faites dans 25 % (1/4) des cas. L’enfant a fait

100 % (2/2) des relations causales transcomposantes. Ainsi, on observe aussi que les relations

causales ont été faites dans 87,5 % (7/8) des cas par l’enfant et dans 12,5 % (1/8) des cas par

l’adulte. Si on s’attarde à ce qui a été fait au total en ce qui a trait aux relations causales, il y a eu

absence de relation causale dans 33 % (4/12) des cas, il y a eu présence de relation causale

intracomposante dans 17 % (2/12) des cas. Il y a eu présence de relation causale intercomposante

dans 33 % (4/12) des cas et présence de relation causale transcomposante dans 17 % (2/12) des

cas.

Tableau 34 : Questions cœur auxquelles l’enfant répond et types de relations causales établies dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999)

Questions cœur Absence de relation causale

Présence de relations causales intracomposantes intercomposantes transcomposantes

Qu’est-ce qu’elle lui dit tu crois? X Ligne 2

Elle lui a dit quoi? X

Lignes 4 et 6 (X)

Ligne 7

Est-ce que tu penses que c’est de la faute de Léonard si i’ ont eu un

accident?

X

Tu vas être triste? Pourquoi? X I’ veulent quoi eux? X

Ligne 2

Qu’est-ce que Taille-de-Mouche et Nez-Rouge ils vont faire pour

retrouver Léonard?

X Lignes 4, 6 et 8

Comment ils se sentent? Comment ça se fait?

X Lignes 2 et 4

Qui est-ce qui crie? X Qu’est-ce qu’i’ fait là dans la baignoire de Lili? Pourquoi?

X Lignes 26 et 28

X Lignes 20, 22 et 24

Qui est-ce qu’i’ a pris son savon? X

Page 273: La lecture interactive : un contexte propice au ...

254

Questions cœur Absence de relation causale

Présence de relations causales intracomposantes intercomposantes transcomposantes

Total : 12 4 (33 %)

X : 2/2 (100 %)

X : 3/4 (75 %)

(X) : 1/4 (25 %)

X : 2/2 (100 %)

Total X : 7/8 (87,5 %)

Total (X) : 1/8 (12,5 %)

2 (17 %)

4 (33 %)

2 (17 %)

Le tableau 34 permet de voir, quoique la proportion d’absence de relation causale demeure élevée

(33 %, 4/12), que l’enfant fait la grande majorité des relations causales par elle-même (87,5 %,

7/8). Il est important de noter que l’enfant, en cours de cette lecture interactive, fait 100 % (2/2)

des relations causales transcomposantes dans lesquelles elle relie le problème, le but et les

tentatives d’actions (extrait 6) ou encore le problème, le but et la solution (extrait 9). L’enfant

démontre ainsi son habileté à lier causalement chacune des deux trames narratives qui se trouvent

dans ce récit. On remarque également que l’adulte, agissant comme un guide, fait peu de relations

causales (12,5 %, 1/8) et oriente l’enfant en posant des questions ouvertes dans le but de lui

permettre de faire elle-même les relations causales. L’adulte ajuste ainsi l’intervention à la zone

proximale de développement de l’enfant.

Questions cœur auxquelles l’enfant répond et composantes de la théorie de l’esprit

Le tableau 35 présente les composantes de la théorie de l’esprit ayant été visées par les questions

cœur auxquelles l’enfant répond. On remarque que l’état physique a été abordé dans 100 % (3/3)

des cas par l’enfant. L’état interne de type émotionnel a été abordé à parts égales (50 %) par

l’enfant (3/6) et par l’adulte (3/6). L’état interne de type intentionnel a été abordé par l’enfant

dans 75 % (3/4) des cas et par l’adulte dans 25 % (1/4) des cas. L’état interne de type épistémique

a été abordé par l’adulte dans 100 % (2/2) des cas. Au total, on remarque que les états internes

ont été abordés par l’enfant dans une proportion de 60 % (9/15) dans les questions auxquelles elle

a répondu et par l’adulte dans une proportion de 40 % (6/15).

Page 274: La lecture interactive : un contexte propice au ...

255

Si on observe la proportion des états internes discutés, on remarque que l’état physique a été

abordé dans 20 % (3/15) des cas, l’état interne de type émotionnel dans 40 % (6/15) des cas,

l’état interne de type intentionnel dans 27 % (4/15) des cas et l’état interne de type épistémique

dans 13 % (2/15) des cas.

Tableau 35 : Questions cœur auxquelles l’enfant répond et composantes de la théorie de l’esprit dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999)

Questions cœur État physique

État interne de type émotionnel

État interne de type intentionnel

État interne de type épistémique

Qu’est-ce qu’elle lui dit tu crois? X Ligne 2

Elle lui a dit quoi? X

Ligne 4 (X)

Ligne 5

Est-ce que tu penses que c’est de la faute de Léonard si i’ ont eu un

accident?

(X) Ligne 5

Tu vas être triste? Pourquoi? X Ligne 4

(X) Ligne 7

(X) Ligne 9

(X) Ligne 3

I’ veulent quoi eux? X Ligne 2

Qu’est-ce que Taille-de-Mouche et Nez-Rouge ils vont faire pour

retrouver Léonard?

(X) Ligne 3

Comment ils se sentent? Comment ça se fait?

X Ligne 2

X Ligne 4

Qui est-ce qui crie?

Qu’est-ce qu’i’ fait là dans la baignoire de Lili? Pourquoi?

X Ligne 20

X Ligne 14

X Ligne 26

Qui est-ce qu’i’ a pris son savon? Total X : 9/15

(60 %)

Total (X) : 6/15 (40 %)

X : 3/3 (100 %)

X : 3/6 (50 %)

(X) : 3/6 (50 %)

X : 3/4 (75 %)

(X) : 1/4 (25 %)

(X) : 2/2 (100 %)

Total : 15 3 (20 %)

6 (40 %)

4 (27 %)

2 (13 %)

Page 275: La lecture interactive : un contexte propice au ...

256

À la lumière de ces résultats, on remarque que l’enfant a énoncé la plus grande proportion des

états internes (60 %, 9/15) et que l’état interne le plus nommé par l’enfant (100 %, 3/3) demeure

l’état physique qui, d’un point de vue développemental, est l’état le plus facile à énoncer. Il est

intéressant de remarquer que l’enfant, dans 75 % (3/4) des cas, est celle qui énonce les états

internes de type intentionnel. Il est à noter que l’état interne de type intentionnel est lié, dans la

plupart des cas, à l’énonciation du but des personnages et que cette énonciation favorise

l’énonciation de relations causales, tel que démontré dans le tableau 34. Cette observation est

intéressante puisque différents auteurs mentionnent la difficulté des enfants autistes à attribuer

une intention aux autres (Baron-Cohen, 1989; Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985), notamment

dans le récit (Losh et Capps, 2003; Mason, et coll., 2008). En ce qui a trait à l’intervention, on

remarque que l’adulte, entre autres par l’utilisation de questions ouvertes, laisse plus de place à

l’enfant en énonçant 40 % (6/15) des états internes92 dont le tiers (2/6) sont des états internes de

type épistémique, soit l’état interne le plus difficile à accorder et pour lequel l’enfant éprouve

encore des difficultés. Cela nous permet de penser que l’intervention de l’adulte se trouve dans la

zone proximale de développement de l’enfant.

6.3.2. Questions auxquelles l’enfant ne répond pas

« Qu’est-ce qu’i’ font pour le retrouver Léonard? »

La question cœur à laquelle l’enfant n’a pas répondu est « Qu’est-ce qu’i’ font pour le retrouver

Léonard? ». La question a été posée alors que l’adulte avait précédemment lu cet extrait de la

tentative d’action 3 : « Nez-Rouge et Taille-de-Mouche continuent leurs recherches. Ils

découvrent un trou énorme dans une palissade. ». À la suite de la lecture, l’enfant a changé de

92 Il convient de rappeler que la première et la deuxième analyse impliquaient l’énonciation des états internes par l’adulte respectivement à raison de 86 % et de 46 %.

Page 276: La lecture interactive : un contexte propice au ...

257

sujet et a parlé de jeux à faire avec l’adulte. L’adulte, dans le but de recentrer l’attention de

l’enfant sur le livre, a posé ces questions :

Extrait 11. 1. A. Qu’est-ce qu’i’ vont faire pour le retrouver? Qu’est-ce qu’i’ font pour le

retrouver Léonard? 2. E. (Silence.) T’as pas le CD de… de Nez-Rouge? 3. A. Non, il ne l’a pas fait avec des CD. Qu’est-ce qu’i’ font Nez-Rouge et

Taille-de-Mouche pour retrouver Léonard? 4. E. Léonard qui? 5. A. Léonard le rhinocéros! Qu’est-ce qu’i’ font pour le retrouver, Léonard

le rhinocéros? 6. E. I’ fait… (Silence.) C’est où St-Tite?

La question cœur est une question ouverte prospective (ligne 1) où l’enfant a à s’exprimer sur les

tentatives d’actions précédentes. L’adulte nomme, à même la question cœur, le but de Taille-de-

Mouche et de Nez-Rouge : « Qu’est-ce qu’i’ font pour le retrouver Léonard » (lignes 1, 3 et 5).

La question tente de mettre en lien le but avec la tentative d’action 3 qui venait tout juste d’être

lue ainsi qu’avec les tentatives d’actions précédentes, mais elle est formulée dans le sens du futur.

On remarque ici que l’enfant ne répond pas à la question cœur, mais elle demande à l’adulte si

elle a le CD de Nez-Rouge (ligne 2). Ici, l’enfant fait référence aux versions audio des livres où

un narrateur fait la lecture du récit. Ensuite, l’adulte répond à la question de l’enfant et repose la

question cœur, ce à quoi l’enfant demande « Léonard qui? » (ligne 4). L’adulte lui répond qu’il

s’agit de Léonard le rhinocéros et repose la question cœur à l’enfant (ligne 5). Finalement,

l’enfant amorce une réponse « I’ fait… » puis demande à l’adulte « C’est où St-Tite? » (ligne 6).

À la lumière de cette analyse et en considérant le fait que l’enfant venait tout juste de discuter

d’un sujet qui n’était pas en lien avec le livre, il est possible d’affirmer que l’attention de l’enfant

n’était pas centrée sur le contenu du livre. L’enfant n’a pas répondu à la question, et ce, en dépit

du fait que l’adulte ait répondu à ses questions et ait pris soin de la répéter.

L’enfant, en ne répondant pas à la question cœur, n’a pas fait de relation causale.

Page 277: La lecture interactive : un contexte propice au ...

258

En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, la question cœur visait l’état interne de type intentionnel

qu’est l’intention qu’ont Taille-de-Mouche et Nez-Rouge de retrouver Léonard (lignes 1, 3 et 5)

en lien avec les tentatives d’action passées et à venir.

6.3.2.1. Tableaux synthèses de la question à laquelle l’enfant ne répond pas

La partie qui suit présente la synthèse des résultats, sous forme de tableaux récapitulatifs, en ce

qui a trait à la question à laquelle l’enfant n’a pas répondu. Dans un premier temps, la synthèse

du type de question cœur à laquelle l’enfant n’a pas répondu sera présentée puis, dans un

deuxième temps, il en sera de même pour la synthèse des composantes récurrentes visées.

Finalement, la synthèse des états internes ciblés par la question cœur à laquelle l’enfant n’a pas

répondu sera présentée.

Type de question cœur à laquelle l’enfant ne répond pas

Le tableau 36 présente de quel type est la question cœur à laquelle l’enfant n’a pas répondu,

c’est-à-dire s’il s’agit d’une question fermée oui/non, d’une question fermée rétrospective, d’une

question ouverte rétrospective ou d’une question ouverte prospective. On remarque que la

question posée est une question ouverte prospective (100 %, 1/1).

Tableau 36 : Types de questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999)

Question cœur Q. fermées oui/non

Q. fermées rétrospectives

Q. ouvertes rétrospectives

Q. ouvertes prospectives

Qu’est-ce qu’i’ font pour le retrouver Léonard?

Non Ligne 1

Total : 1 1 (100 %)

Page 278: La lecture interactive : un contexte propice au ...

259

On remarque, dans le tableau 36, qu’une seule question n’a pas été répondue. On remarque, pour

cette question, que l’attention de l’adulte et de l’enfant n’était pas centrée sur le même aspect du

livre. Ainsi, il est possible de penser que l’enfant, en ce qui a trait à cette question, était capable

d’y répondre (pour s’en convaincre, voir l’extrait 6), mais qu’elle était préoccupée ailleurs plutôt

qu’à la reconstruction de la trame causale du récit.

Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas et composantes récurrentes visées

On remarque dans le tableau 37 que seulement deux composantes récurrentes93 sont visées par la

question cœur à laquelle l’enfant ne répond pas. Il s’agit des buts (1/2) et des tentatives d’actions

(1/2) qui sont représentées dans une proportion égale de 50 %.

Tableau 37 : Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas et composantes récurrentes visées dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999)

Question cœur S. I.

Prob. É. -

But T. A. S. – Prob.

S.- É-

S. – But

S.- Sol.

Sol. É. +

S. F.

Qu’est-ce qu’i’ font pour le retrouver

Léonard?

(X) Lignes 1, 3

et 5

(X) Lignes 1, 3

et 5

Total : 2 1 (50 %)

1 (50 %)

On remarque la présence du but parmi les deux composantes récurrentes qui ont été évitées. Il

s’agit de la composante récurrente hiérarchiquement supérieure aux autres dans l’organisation

causale du récit. Cependant, comme démontré précédemment dans le tableau 33 présentant les

questions cœur auxquelles l’enfant a répondu, l’enfant est capable d’identifier les buts des

93 À l’intérieur du tableau on retrouve la situation initiale (S. I.), la problématique (Prob.), l’émotion négative (É.-), le but (But), les tentatives d’actions (T. A.), le sous-problème (S.-Prob.), l’émotion négative liée au sous-problème (S.-É-), le sous-but (S.-But), la solution au sous-problème (S.-Sol.), la solution au problème principal (Sol.), l’émotion positive (É. +) et la situation finale (S. F.).

Page 279: La lecture interactive : un contexte propice au ...

260

personnages et, dans le cas de cette question cœur à laquelle l’enfant n’a pas répondu (extrait 11),

l’attention de l’enfant n’est pas centrée sur la même chose que l’adulte, ce qui pourrait expliquer

le fait qu’elle ne réponde pas à la question. En ce qui a trait aux tentatives d’actions, il est

possible de remarquer, en observant les réponses de l’enfant aux questions cœur (tableau 33), que

celle-ci n’a réussi à les identifier que dans une proportion de 25 % (1/4). Il est ainsi possible

d’affirmer que l’identification des tentatives d’actions par l’enfant demeure une difficulté.

Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas et composantes de la théorie de l’esprit

Le tableau 38 présente les composantes de la théorie de l’esprit visées pour la question cœur à

laquelle l’enfant n’a pas répondu. On remarque que la question cœur visait l’état interne de type

intentionnel (100 %, 1/1).

Tableau 38 : Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas et composantes de la théorie de l’esprit dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999)

Question cœur État physique

État interne de type émotionnel

État interne de type intentionnel

État interne de type épistémique

Qu’est-ce qu’i’ font pour le retrouver Léonard?

(X) Lignes 1, 3 et 5

Total : 1 1 (100 %)

À la lecture du tableau 38 et en fonction de ce qui a été présenté précédemment, il est possible de

penser que le fait que l’attention de l’enfant qui n’était pas conjointement lié au même objet que

l’adulte a fait en sorte qu’en ne répondant pas aux questions, elle n’a pas pu discuter des états

internes. De plus, il est possible de remarquer que l’état interne de type intentionnel de la

deuxième question cœur à laquelle l’enfant n’a pas répondu (extrait 11) est en lien avec la mise

en relief du but par l’adulte.

Page 280: La lecture interactive : un contexte propice au ...

261

6.3.3. Interactions spontanées de l’enfant

« Qu’est-ce qu’a’ fait Lili l’écuyère? »

La première interaction spontanée de l’enfant apparait alors que l’adulte et l’enfant nomment les

personnages du cirque qui se promènent à la queue leu leu dans la ville. L’enfant interrompt la

dénomination et pose une question à l’adulte :

Extrait 12. 1. A. Balourd, Finesse, Mandibule. Ça, c’est Lili l’écuyère. 2. E. Qu’est-ce qu’a’ fait Lili l’écuyère? 3. A. Lili l’écuyère : « Venez au grand cirque Abadaba! »

Cette question est une question ouverte qui demande à l’enfant d’inférer, à partir de l’illustration

et du texte, ce que Lili fait pendant la situation initiale : « Qu’est-ce qu’a’ fait Lili l’écuyère? »

(ligne 2). Dans un premier temps, on remarque que l’adulte et l’enfant sont en situation

d’attention conjointe puisque leur attention est centrée sur l’illustration de la situation initiale. De

plus, on remarque que l’enfant réutilise une formulation de question utilisée par l’adulte, soit

« Qu’est-ce qu’elle fait? ». Cela nous permet de penser qu’elle s’est appropriée la formulation

puisqu’elle reprend les propos maintes fois partagés avec l’adulte, dans le même contexte général

qu’est celui de la lecture interactive.

L’interaction spontanée ne nécessite pas l’établissement de relation causale et ne touche pas de

composante de la théorie de l’esprit. Ici, l’adulte aurait pu poursuivre le questionnement et

amener l’enfant, par une question ouverte prospective, à énoncer la problématique de Léonard :

« Qu’est-ce qu’i’ va se passer ensuite? ».

Page 281: La lecture interactive : un contexte propice au ...

262

« I’ sont contents? »

La deuxième interaction spontanée de l’enfant a été repérée à la suite de la lecture par l’adulte du

début de la troisième tentative d’action : « Nez-Rouge et Taille-de-Mouche continuent leurs

recherches. Ils découvrent un trou énorme dans une palissade. ». L’adulte pose une question à

l’enfant, mais cette dernière la questionne ainsi :

Extrait 13. 1. A. Comment ça se fait qu’i’ y a un trou tu penses? 2. E. I’ sont contents? 3. A. Est-ce qu’i’ sont contents? Regarde leur visage. 4. E. Non. 5. A. Comment ils se sentent? 6. E. Tristes. 7. A. Pourquoi? 8. E. Parce qu’i’ sont, parce qu’i’ sont… Parce qu’i’ ont pas trouvé, parce

qu’i’ ont pas trouvé Léonard. 9. A. T’as raison. Ils sont tristes parce qu’i’ ont pas retrouvé Léonard.

Ici, l’adulte pose une question ouverte prospective à l’enfant, mais cette dernière prend le

contrôle de la conversation en questionnant de façon plus simple l’émotion négative de Taille-

De-Mouche et de Nez-Rouge : « I’ sont contents? » (ligne 2). L’adulte, qui n’avait pas prévu

cette interaction, centre son attention sur le même aspect du récit que l’enfant et reprend son

affirmation en question : « Est-ce qu’i’ sont contents? » (ligne 3). L’enfant répond que « Non, [ils

ne sont pas contents.] » (ligne 4), puis l’adulte lui demande « Comment ils se sentent? (ligne 5) et

« Pourquoi? » (ligne 7) dans le but de complexifier le niveau de la discussion en utilisant une

question ouverte. Ces questions permettent à l’enfant d’affirmer qu’« [Ils se sentent] tristes parce

qu’i’ ont pas trouvé Léonard. » (lignes 6 et 8).

Dans l’extrait, l’enfant énonce ainsi l’émotion négative (ligne 6) et le but de Taille-De-Mouche et

de Nez-Rouge (ligne 8). Il est donc possible d’inférer, par une relation transitive, le problème de

Taille-de-Mouche et de Nez-Rouge, soit le fait que Léonard soit disparu. L’enfant fait donc une

relation causale intercomposante unissant causalement le problème (la disparition de Léonard),

Page 282: La lecture interactive : un contexte propice au ...

263

l’émotion négative y étant inhérente (tristesse) et le but de Taille-de-Mouche et de Nez-Rouge

(retrouver Léonard).

Ainsi, en ce qui a trait à la théorie de l’esprit, l’enfant se prononce deux fois sur l’état interne de

type émotionnel des personnages (lignes 2 et 6) et, en parlant de leur but, elle se prononce sur

leur état interne de type intentionnel (ligne 8).

« I’ a de la peine? » « Pourquoi? »

Le troisième extrait contenant des interactions spontanées de l’enfant se trouve à la suite de la

lecture de la solution alors que Taille-De-Mouche trouve Léonard dans le bain : « « Mais qu’est-

ce que tu fais là? », s’étonne Taille-de-Mouche. « Mais, tu m’as dit que je sentais mauvais »,

s’exclame Léonard. ». L’adulte a interrompu sa lecture pour féliciter l’enfant en ce qui a trait à

une hypothèse juste qu’elle a énoncée précédemment (extrait 13) :

Extrait 14. 1. A. T’as raison Mélissa! 2. E. I’ a de la peine? 3. A. C’est vrai qu’i’ a l’air d’avoir de la peine. 4. E. Pourquoi? 5. A. Pourquoi tu penses qu’i’ a de la peine? 6. E. Parce qu’i’ a dit : « Tu sens mauvais ». 7. A. Ça lui a fait de la peine à Léonard.

Ici, l’enfant pose une question fermée oui/non à l’adulte à propos de l’émotion négative de

Léonard. Elle demande : « I’ a de la peine? » (ligne 2), ce à quoi l’adulte acquiesce (ligne 3).

L’enfant demande ensuite « Pourquoi? » (ligne 4). Il est important de souligner que l’enfant, en

posant la question ouverte rétrospective « Pourquoi? », rehausse le niveau de complexité de la

discussion et reprend une formulation amplement utilisée par l’adulte en contexte de lecture

interactive depuis le début de l’année scolaire. Elle s’approprie donc la formulation créant ainsi

un lien de causalité dans ses propos. Plutôt que de répondre à la question, l’adulte la retourne à

Page 283: La lecture interactive : un contexte propice au ...

264

l’enfant en disant « Pourquoi tu penses qu’i’ a de la peine? » (ligne 5), ce à quoi l’enfant répond

« Parce qu’i’ a dit : « tu sens mauvais ». » (ligne 6).

Dans cette unité de sens, l’enfant a construit le problème de Léonard et a fait un lien causal

intracomposantes qui relie l’évènement à l’émotion négative qui en découle : « I’a de la peine

parce qu’i’ a dit : « tu sens mauvais ». » (lignes 2 et 6).

En affirmant que Léonard sent mauvais (ligne 6), l’enfant fait référence, en ce qui a trait à la

théorie de l’esprit, à un état physique et, en affirmant que Léonard a de la peine (ligne 2), l’enfant

fait référence à un état interne de type émotionnel.

« Qu’est-ce qu’a’ fait? Qu’est-ce qu’i’ va dire? »

La quatrième interaction spontanée a eu lieu à la suite de l’extrait 6 présenté dans les questions

cœur auxquelles l’enfant répond. Dans cet extrait, l’enfant affirme que Taille-de-Mouche et Nez-

Rouge vont accompagner Léonard dans le chemin. L’adulte répète « dans le chemin » et l’enfant

reprend la parole pour questionner l’adulte :

Extrait 15. 1. E. Qu’est-ce qu’a’ fait? Qu’est-ce qu’i’ va dire? 2. A. Qu’est-ce qu’i’ va dire? 3. E. Bonjour. 4. A. Oui? 5. E. I t’a retrouvé… Léonard. Ok. Tourne la page.

Ici, l’enfant pose une question ouverte prospective à l’adulte en lui demandant de prédire ce que

Nez-Rouge va dire. Par sa question, l’enfant cible la tentative d’action du récit. Dans l’extrait,

l’enfant pose ses questions « Qu’est-ce qu’a’ fait? Qu’est-ce qu’i’ va dire? » (ligne 1) et l’adulte,

à la ligne 2, retourne la question à l’enfant : « Qu’est-ce qu’i’ va dire? ». L’enfant répond

Page 284: La lecture interactive : un contexte propice au ...

265

« Bonjour. » (ligne 3) et l’adulte, dans le but de permettre à l’enfant de poursuivre son idée,

répond de façon interrogative « Oui? ». L’enfant énonce alors la solution de Nez-Rouge et de

Taille-de-Mouche : « I’ t’a retrouvé… Léonard. » (ligne 5), que l’on peut interpréter, à ce

moment du récit, comme « Est-ce que t’as retrouvé Léonard? ».

Dans la phrase « I’ t’a retrouvé… Léonard. » (ligne 5), l’enfant énonce explicitement le but de

Nez-Rouge et de Taille-de-Mouche qui est de retrouver Léonard. Ainsi, l’enfant fait une relation

causale intercomposante entre la tentative d’action de Nez-Rouge et de Taille-de-Mouche et leur

but.

En ce qui a trait à la théorie de l’esprit, en faisant référence au but des personnages, l’enfant

réfère à un état interne de type intentionnel. Si l’adulte n’avait pas accepté de clore la

conversation telle que l’enfant, à la ligne 5, l’a demandée (« Ok. Tourne la page. »), elle aurait pu

amener l’enfant à envisager la solution commune aux deux trames. Une question ouverte

rétrospective telle que « Est-ce que tu penses qu’ils cherchent à la bonne place Léonard?

Pourquoi dis-tu cela? », aurait pu permettre ceci en plus d’amener l’enfant à construire des

relations causales encore plus complexes.

6.3.3.1. Tableaux synthèses des interactions spontanées de l’enfant

La partie qui suit présente la synthèse des résultats, sous forme de tableaux récapitulatifs, en ce

qui a trait aux interactions spontanées de l’enfant. Dans un premier temps, la synthèse des

composantes récurrentes visées par les interactions spontanées de l’enfant sera présentée. Dans

un deuxième temps, la même chose sera faite en ce qui a trait aux relations causales puis,

finalement, la synthèse des états internes ciblés par les interactions spontanées de l’enfant sera

présentée.

Page 285: La lecture interactive : un contexte propice au ...

266

Interactions spontanées de l’enfant et composantes récurrentes visées

Le tableau 39 présente les composantes récurrentes du récit94 visées dans les interactions

spontanées de l’enfant. À la lecture du tableau, on remarque que la situation initiale (1/1), les

problématiques (2/2), les émotions négatives (2/2), les buts (2/2) et les solutions (1/1) ont été

abordés dans 100 % des cas par l’enfant. Au total, 100 % (8/8) des composantes récurrentes ont

été nommées par l’enfant pendant les interactions spontanées. On remarque que 12,5 % des

interactions spontanées de l’enfant visaient la situation initiale (1/8) et la tentative d’action (1/8).

On observe également que 25 % d’entre elles visaient les problématiques du récit (2/8), les

émotions négatives liées aux problématiques du récit (2/8) et les buts des protagonistes du récit

(2/8).

Tableau 39 : Interactions spontanées de l’enfant et composantes récurrentes visées dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999)

Interactions spontanées

S. I. Prob. É. - But T. A. S. – Prob.

S.- É-

S. – But

S.- Sol.

Sol. É. +

S. F.

« Qu’est-ce qu’a’ fait Lili

l’écuyère? »

X Ligne 2

« I’ sont contents? »

X Lignes 6

et 8

X Lignes 2

et 6

X Ligne 8

« I’ a de la peine? »

« Pourquoi? »

X Lignes 2,

4 et 6

X Ligne 2

« Qu’est-ce qu’a’ fait? Qu’est-ce qu’i’ va dire? »

X Ligne 5

X Ligne 5

Total X : 8/8

(100 %)

Total (X) : 0/8

(0 %)

X : 1/1 (100 %)

X : 2/2 (100 %)

X : 2/2 (100 %)

X : 2/2 (100 %)

X : 1/1 (100 %)

Total : 8 1 (12,5 %)

2 (25 %)

2 (25 %)

2 (25 %)

1 (12,5 %)

94 À l’intérieur du tableau on retrouve la situation initiale (S. I.), la problématique (Prob.), l’émotion négative (É.-), le but (But), les tentatives d’actions (T. A.), le sous-problème (S.-Prob.), l’émotion négative liée au sous-problème (S.-É-), le sous-but (S.-But), la solution au sous-problème (S.-Sol.), la solution au problème principal (Sol.), l’émotion positive (É. +) et la situation finale (S. F.).

Page 286: La lecture interactive : un contexte propice au ...

267

En observant le tableau 39, on peut remarquer que c’est l’enfant qui a énoncé la totalité des

composantes récurrentes lors des interactions spontanées (100 %, 8/8). En ce qui a trait aux

composantes récurrentes discutées, on remarque également que, dans la majorité des cas (75 %,

6/8), la discussion tourne autour des problèmes (25 %, 2/8), des émotions négatives (25 %, 2/8) et

des buts (25 %, 2/8). Cela sera d’ailleurs à mettre en lien avec la production de liens causaux

intracomposantes et intercomposantes par l’enfant dans ses interactions spontanées (tableau 40).

Encore une fois, on remarque que l’adulte prend peu de place en cours de discussion pour agir

comme guide en retournant les questions à l’enfant pour la laisser mener la conversation à son

juste niveau de développement.

Interactions spontanées de l’enfant et types de relations causales établies

Le tableau 40 présente les types de relations causales faites dans les interactions spontanées de

l’enfant. Si on s’attarde au tableau, on observe, dans la colonne « absence de relation causale »,

on remarque la présence de X, ce qui signifie que la relation causale n’a pas été construite, ni par

l’adulte ni par l’enfant. Si on s’attarde aux colonnes « présence de relations causales », on

remarque la présence de la lettre E, ce qui signifie que la relation causale s’est fait en cours

d’échange avec l’adulte. La relation causale a donc été construite soit par l’adulte, soit par

l’enfant, ou encore en coconstruction. Dans les précédents chapitres d’analyse (chapitres 4 et 5),

il a été possible de remarquer la présence de la lettre Q signifiant que l’enfant a posé une question

propice à un type de relation causale, mais que ladite relation n’a pas été établie. Cela n’a pas été

le cas lors de cette lecture interactive dans la mesure où les questions formulées par l’enfant ont

généralement abouti, dans l’échange, en expression causale. Dans le tableau 40, on remarque que,

dans seulement 25 % (1/4) des cas, l’enfant n’a pas soulevé de formulation impliquant réellement

ou potentiellement des relations causales. L’enfant a fait une relation causale intracomposante

(25 %, 1/4) et deux relations causales intercomposantes (50 %, 2/5).

Page 287: La lecture interactive : un contexte propice au ...

268

Tableau 40 : Interactions spontanées de l’enfant et types de relations causales établies dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999)

Interactions spontanées par unités de sens

Absence de relation causale

Présence de relations causales intracomposantes intercomposantes transcomposantes

« Qu’est-ce qu’a’ fait Lili l’écuyère? »

X

« I’ sont contents? » E Lignes 6 et 8

« I’ a de la peine? » « Pourquoi? »

E Lignes 2 et 6

« Qu’est-ce qu’a’ fait? Qu’est-ce qu’i’ va dire? »

E Lignes 5

Total : 4 1 (25 %)

1 (25 %)

2 (50 %)

On remarque, dans le tableau 40, que les trois quarts des interactions spontanées de l’enfant

comprennent des relations causales (75 %, 3/4), ce qui est à mettre en lien avec le fait que, tel que

présenté dans le tableau 39, l’enfant aborde différentes composantes récurrentes du récit en cours

de discussion. Il est important de mettre l’emphase sur le fait que toutes (3/3) les relations

causales en cours d’interactions spontanées ont été faites exclusivement par l’enfant lors des

échanges avec l’adulte. Ainsi, l’enfant a fait une relation causale intracomposante où elle a lié

causalement le problème de Léonard à son émotion (extrait 14), mais elle a surtout fait deux

relations causales intercomposantes où elle a lié ensemble le problème, l’émotion négative et le

but de Taille-de-Mouche et de Nez-Rouge (extrait 13) et où elle a lié le but et la tentative d’action

de Taille-de-Mouche et de Nez-Rouge (extrait 15). Ainsi, si les interventions de l’adulte ont

permis de guider l’enfant en ce qui a trait à nommer les composantes récurrentes, mais également

à les lier causalement, on note ici que l’enfant s’arrime aux questionnements de l’adulte en

s’appropriant le type de questions régulièrement partagées lors des lectures interactives.

Interactions spontanées de l’enfant et composantes de la théorie de l’esprit

Le tableau 41 présente les composantes de la théorie de l’esprit visées dans les interactions

spontanées de l’enfant. On remarque que l’état physique (1/6), l’état interne de type émotionnel

(3/6) et l’état interne de type intentionnel (2/6) ont été nommés par l’enfant dans 100 % des cas.

Page 288: La lecture interactive : un contexte propice au ...

269

Au total, on remarque que l’état physique a été discuté dans 17 % (1/6) des cas, l’état interne de

type émotionnel dans 50 % (3/6) des cas et l’état interne de type intentionnel dans 33 % (2/6) des

cas.

Tableau 41 : Interactions spontanées de l’enfant et composantes de la théorie de l’esprit dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999)

Interactions spontanées État physique

État interne de type émotionnel

État interne de type intentionnel

État interne de type épistémique

« Qu’est-ce qu’a’ fait Lili l’écuyère? »

« I’ sont contents? » X Ligne 2

X Ligne 6

X Ligne 8

« I’ a de la peine? » « Pourquoi? »

X Ligne 6

X Ligne 2

« Qu’est-ce qu’a’ fait? Qu’est-ce qu’i’ va dire? »

X Ligne 5

Total X : 6/6 (100 %)

Total (X) : 0/6 (0 %)

X : 1/1 (100 %)

X : 3/3 (100 %)

X : 2/2 (100 %)

Total : 6 1 (17 %)

3 (50 %)

2 (33 %)

Dans le tableau 41, on remarque que c’est l’enfant qui a nommé 100 % des états internes (6/6).

En cours de discussion, l’état physique a été discuté dans 17 % (1/6) des cas, ce qui n’est pas sans

lien avec le problème de Léonard, soit le fait qu’il sente mauvais. L’emphase a été mise par

l’enfant sur l’état interne de type émotionnel qui a été discuté dans 50 % (3/6) des cas. On

remarque également que l’enfant a discuté de l’état interne de type intentionnel (33 %, 2/6). Cet

état interne est en lien avec le but et, si on observe les données d’un point de vue

développemental, c’est l’état le plus complexe que l’enfant produit. Ces observations ne sont pas

sans lien avec les relations causales intracomposante et intercomposantes établies (tableau 40).

Ici, l’adulte ne nomme pas d’état interne, mais, par son questionnement, elle agit en tant que

médiatrice, d’une part, entre l’enfant, son interprétation du livre et son questionnement et, d’autre

part, le livre, et ce, pour l’aider à identifier les composantes récurrentes du récit et celles de la

théorie de l’esprit dans le but de construire un schéma causal.

Page 289: La lecture interactive : un contexte propice au ...

270

6.4. Synthèse

La synthèse du chapitre d’analyse de la lecture interactive du récit « Nez-Rouge sur la piste de

Léonard » (Devernois et Pied, 1999) présente, sous forme de tableaux, les cinq angles sous

lesquels les unités de sens ont été analysées. À chaque fois, les observations seront mises en lien

avec l’objectif de la thèse et/ou le sous-objectif auquel elles se rapportent. Dans un premier

temps, la proportion des unités de sens sera présentée en fonction de leur catégorie. Dans un

deuxième temps, les questions cœur auxquelles l’enfant répond et celles auxquelles l’enfant ne

répond pas seront présentées en fonction du type de question. Dans un troisième temps, les

questions cœur auxquelles l’enfant répond, celles où l’enfant ne répond pas ainsi que les

interactions spontanées de l’enfant seront présentées en fonction des composantes récurrentes du

récit visé. Dans un quatrième temps, les questions cœur auxquelles l’enfant répond et ses

interactions spontanées seront présentées en fonction du type de relations causales faites ou non.

Finalement, les questions cœur auxquelles l’enfant répond, celles où l’enfant ne répond pas et les

interactions spontanées seront présentées en fonction des éléments de la théorie de l’esprit

soulevés. Un tableau récapitulatif sera présenté dans chaque catégorie d’analyse présentée.

6.4.1. Catégories d’unités de sens

Le tableau 42 présente, pour le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied,

1999), la proportion des unités de sens posées en fonction de chaque catégorie.

Tableau 42 : Catégories d’unités de sens dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999)

Récit L’enfant répond L’enfant ne répond pas Interactions spontanées Nez-Rouge (15) 10

(66,7 %) 1

(6,6 %) 4

(26,7 %)

Page 290: La lecture interactive : un contexte propice au ...

271

On remarque que, sur les quinze unités de sens sélectionnées, les deux tiers des questions

présentes dans le corpus de l’enfant (66,7 %, 10/15) sont des questions auxquelles elle répond.

Les questions auxquelles elle ne répond pas représentent 6,6 % (1/15) du corpus et les

interactions spontanées composent 26,7 % (4/6) du corpus.

6.4.2. Types de questions cœur

Les types de questions cœur ont été définis dans le processus méthodologique de la thèse. Il s’agit

des questions fermées oui/non ou rétrospectives ainsi que des questions ouvertes rétrospectives

ou prospectives. Une synthèse des tableaux sera présentée dans le but de répondre partiellement à

l’objectif 1 de la thèse qui est de décrire et d’analyser l’intervention en lecture interactive et la

progression de l’enfant en ce qui a trait au développement de la structure narrative.

Le tableau 43 présente la synthèse des types de questions posées à l’enfant. Ainsi, cela permettra

de commencer à décrire ce que fait l’enfant en vue de tracer sa progression au regard de la

structuration du discours narratif en contexte de lecture interactive (objectif spécifique 1.a.). On y

observe que le nombre de « questions auxquelles l’enfant répond adéquatement » est de huit

puisque cela fait référence au nombre total de questions auxquelles l’enfant a répondu. En ce qui

a trait aux « questions posées par l’adulte », le nombre est de 11 et cela fait référence à l’addition

des questions auxquelles l’enfant a répondu (10) et des questions auxquelles l’enfant n’a pas

répondu (1).

Tableau 43 : Synthèse des types de questions cœur « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999)

Questions cœur Types de questions Q. fermées

oui/non Q. fermées

rétrospectives Q. ouvertes

rétrospectives Q. ouvertes prospectives

Questions cœur auxquelles l’enfant répond adéquatement (8)

1 (100 %)

1 (50 %)

4 (80 %)

2 (67 %)

Questions posées par l’adulte (11) 1 (9 %)

2 (18 %)

5 (46 %)

3 (27 %)

Page 291: La lecture interactive : un contexte propice au ...

272

Dans le tableau 43, on observe, en ce qui a trait aux questions fermées oui/non, que l’enfant a

répondu à 100 % (1/1) d’entre elles. En ce qui a trait aux questions fermées rétrospectives,

l’enfant a répondu à 50 % (1/2) d’entre elles. Les questions ouvertes rétrospectives, quant à elles,

ont été répondues dans 80 % (4/5) des cas. Finalement, les questions ouvertes prospectives ont

été répondues dans 67 % (2/3) des cas. On observe donc que les questions ouvertes, qu’elles

soient rétrospectives ou prospectives, ont été les plus répondues adéquatement par l’enfant (75 %,

6/8) en comparaison aux questions fermées (67 %, 2/3) et que cette dernière a évité ou a répondu

incorrectement à un tiers (33 %) des questions fermées qui lui ont été posées.

En ce qui a trait à ce que fait l’adulte et dans le but de répondre à l’objectif spécifique 1.b. qui est

de décrire le contexte et le type d’interventions élaborés par l’adulte autour du développement de

la structuration du discours narratif par l’intermédiaire de la lecture interactive, il importe de

regarder quel type de questions ont été posées par l’adulte. Ainsi, l’adulte a posé 9 % (1/11) de

questions fermées oui/non et 18 % (2/11) de questions fermées rétrospectives. Elle a posé 46 %

(5/11) de questions ouvertes rétrospectives et 27 % (3/11) de questions ouvertes prospectives. On

observe donc que l’adulte, en cours d’intervention, semble s’ajuster au niveau de l’enfant qui

répond de plus en plus adéquatement aux questions ouvertes. Ainsi, si on observe ce que fait

l’enfant, on remarque que l’adulte semble chercher à intervenir dans sa zone proximale de

développement en posant une majorité de questions ouvertes (73 %, 8/11), qu’elles soient de type

rétrospectif (46 %, 5/11) ou prospectif (27 %, 3/11). Ces questions favoriseront l’identification

des composantes récurrentes, des états internes des personnages et de ce fait l’expression des

relations causales par l’enfant.

6.4.3. Composantes récurrentes du récit visées

La troisième section de la synthèse de l’analyse du récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard »

(Devernois et Pied, 1999) présente les composantes récurrentes du récit qui ont été visées par les

questions cœur, qu’elles aient été répondues ou non, ainsi que par les interactions spontanées de

l’enfant. Cela permet de répondre partiellement à l’objectif 1 de la thèse qui est de décrire et

Page 292: La lecture interactive : un contexte propice au ...

273

d’analyser l’intervention en lecture interactive et la progression de l’enfant en ce qui a trait au

développement de la structure narrative. À l’intérieur du tableau on retrouve la situation initiale

(S. I.), les problématiques (Prob.), les émotions négatives (É. -), les buts (But), les tentatives

d’actions (T. A.), le sous-problème (S.-Prob.), l’émotion négative liée au sous-problème (S.- É -),

le sous-but (S.-But), la solution au sous-problème (S.-Sol.), les solutions aux problèmes

principaux (Sol.), les émotions positives (É. +) et la situation finale (S. F.). Il est important de

rappeler ici que ce récit présente une séquence interactive, soit deux problèmes, deux émotions

négatives, deux buts et deux solutions, et que ces mêmes composantes, quoique revenant à deux

reprises dans le récit, ont été regroupées dans la même case. Dans le tableau, les X représentent

ce qu’a fait l’enfant et les (X) représentent ce qu’a fait l’adulte. L’analyse des composantes

récurrentes du récit visées sera présentée, pour les questions cœur auxquelles l’enfant répond,

pour les questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas, pour les interactions spontanées de

l’enfant et, finalement, une synthèse sera présentée.

Tableau 44 : Synthèse des composantes récurrentes du récit soulevées dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999)

Unités de sens S. I. Prob. É. - But T. A. S. – Prob.

S.- É -

S. – But

S.- Sol.

Sol. É. + S. F.

Questions cœur auxquelles

l’enfant répond

X : 5 (62,5 %)

X : 1 (25 %)

X : 3 (43 %)

X : 1 (17 %)

(X) : 1 (100 %)

X : 2 (100 %)

X : 1 (100 %)

(X) : 1 (12,5 %)

(X) : 1 (25 %)

(X) : 1 (14 %)

(X) : 3 (50 %)

Questions auxquelles l’enfant ne répond pas

(X) : 1 (14 %)

(X) : 1 (17 %)

Interactions spontanées

X : 1 (100 %)

X : 2 (25 %)

X : 2 (50 %)

X : 2 (29 %)

X : 1 (17 %)

Total X : 21/30 (70 %)

Total (X) : 9/30

(30 %)

X : 1/1 (100 %)

X : 7/8 (87,5 %)

X : 3/4 (75 %)

X : 5/7 (71 %)

X : 2/6 (33 %)

(X) : 1/1 (100 %)

X : 2/2 (100 %)

X : 1/1 (100 %)

(X) : 1/8 (12,5 %)

(X) : 1/4 (25 %)

(X) : 2/7 (29 %)

(X) : 4/6 (67 %)

Total : 30 1 (3 %)

8 (27 %)

4 (13 %)

7 (24 %)

6 (20 %)

1 (3 %)

2 (7 %)

1 (3 %)

Le tableau 44 présente la synthèse des composantes récurrentes, et ce, pour les trois catégories

d’unité de sens présentés précédemment. On observe que la situation initiale a été abordée par

Page 293: La lecture interactive : un contexte propice au ...

274

l’enfant dans 100 % (1/1) des cas et que les problématiques ont été abordées par l’enfant dans

87,5 % (7/8) des cas et par l’adulte dans 12,5 % (1/8) des cas. L’enfant a discuté des émotions

négatives dans une proportion de 75 % (3/4) des cas et l’adulte l’a fait dans une proportion de

25 % (1/4). Les buts ont été abordés par l’enfant dans 71 % (5/7) des cas et par l’adulte dans

29 % (2/7) des cas. Les tentatives d’actions ont été abordées par l’enfant dans une proportion de

33 % (2/6) alors que l’adulte l’a fait dans une proportion de 67 % (4/6). L’adulte, dans 100 % des

cas, a discuté du sous-problème (1/1) alors que l’enfant a fait de même pour la solution (2/2) et

pour l’émotion négative y état inhérente (1/1). Ainsi, si on observe le comportement de l’enfant et

de l’adulte en ce qui a trait à l’énonciation des composantes récurrentes du récit au regard de la

structuration du discours narratif (objectifs spécifiques 1.a. et 1.b.), on observe qu’au total, 70 %

(21/30) des composantes récurrentes ont été abordées par l’enfant et 30 % (9/30) l’ont été par

l’adulte, ce qui met l’accent sur le cheminement de l’enfant en ce qui a trait à l’identification des

composantes récurrentes du récit et au rôle de l’adulte qui agit comme guide dans le but d’amener

l’enfant a construire causalement sa compréhension du récit.

Si on s’attarde au nombre de fois que chaque composante récurrente a été soulevée lors de la

discussion autour du récit, on remarque que la situation initiale a été abordée dans 3 % (1/30) des

cas, que les problèmes l’ont été dans 27 % (8/30) des cas, que les émotions négatives ont été

discutées dans 13 % (4/30) des cas, que les buts ont été discutés dans 24 % (7/30) des cas, que les

tentatives d’actions ont été abordées dans 20 % (6/30) des cas, que le sous-problème a été abordé

dans 3 % (1/30) des cas, que les solutions ont été abordées dans 7 % (3/30) des cas et, finalement,

que l’émotion positive a été abordée dans 3 % des cas (1/30). Ainsi, il est possible d’affirmer que

l’adulte, en cours d’intervention, a mis l’emphase par son questionnement sur l’identification et la

construction des problèmes (27 %, 8/30) et des buts (24 %, 7/30) dans l’intention de permettre à

l’enfant de les identifier, de les comprendre et de les lier causalement aux autres composantes

récurrentes pour comprendre chacune des deux chaines causales se déroulant en parallèle dans ce

récit. Il est important de souligner que les résultats démontrent que, mis à part pour les tentatives

d’actions (33 %, 2/6) et le sous-problème (0 %, 0/1), l’enfant énonce la moitié ou plus des

composantes récurrentes en cours de discussion en contexte de lecture interactive, et ce, incluant

Page 294: La lecture interactive : un contexte propice au ...

275

le but qui est la composante hiérarchiquement première permettant de lier ensemble la structure

causale du récit.

6.4.4. Types de relations causales établies

La quatrième section de la synthèse des analyses de la lecture interactive du récit « Nez-Rouge

sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999) présente s’il y a absence ou présence de

relation causale dans l’unité de sens sélectionné et détaillée, s’il y a présence de relation causale,

de quel type il s’agit. Parmi les types de relations causales et selon les critères de Makdissi et

Boisclair (2008), on retrouve les relations intracomposantes, les relations intercomposantes et les

relations transcomposantes. Puisqu’il s’agit d’une analyse des réponses de l’enfant dans le

dialogue avec l’adulte, seules seront présentées ici les questions cœur auxquelles l’enfant répond

ainsi que ses interactions spontanées. On remarque ici que les relations causales faites par

l’enfant lors des interactions spontanées, marquées par un E dans le tableau 40, sont maintenant

marquées d’un X. Une synthèse de l’analyse des types de relations causales sera également

présentée.

Tableau 45 : Synthèse des types de relations causales établies dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999)

Unités de sens Absence de relations causales

Présence de relations causales Intracomposantes Intercomposantes Transcomposantes

Questions cœur auxquelles l’enfant

répond

X : 4 (80 %)

X : 2 (67 %)

X : 3 (50 %)

(X) : 1 (17 %)

X : 2 (100 %)

Interactions spontanées X : 1 (20 %)

X : 1 (33 %)

X : 2 (33 %)

Total : 16 5 (31 %)

X : 3/3 (100 %)

X : 5/6 (83 %)

(X) : 1/6 (17 %)

X : 2/2 (100 %)

Total X : 10/11 (91 %)

Total (X) : 1/11 (9 %)

3 (19 %)

6 (37,5 %)

2 (12,5 %)

Page 295: La lecture interactive : un contexte propice au ...

276

Le tableau 45 présente la synthèse des types de relations causales faites dans les questions cœur

auxquelles l’enfant répond et dans les interactions spontanées de l’enfant. On remarque que, dans

l’ensemble des échanges n’ayant pas permis l’élaboration de relation causale, il y a eu absence de

relation causale dans une proportion de 80 % (4/5) lors des questions cœur auxquelles l’enfant

répond et de 20 % (1/5) lors des interactions spontanées. On remarque également que, dans

l’ensemble des relations causales intracomposantes faites, 67 % (2/3) des cas ont été faites par

l’enfant au sein des questions cœur auxquelles elle a répondu et dans 33 % (1/3) au sein des

interactions spontanées. Les relations causales intercomposantes ont été faites par l’enfant dans

une proportion de 50 % (3/6) et par l’adulte dans une proportion de 17 % (1/6) lors des questions

auxquelles l’enfant a répondu. L’enfant a fait 33 % (2/6) des relations causales intercomposantes

lors de ses interactions spontanées. Les relations causales transcomposantes ont été faites par

l’enfant dans 100 % (2/2) des cas au sein des questions auxquelles elle a répondu. Au total, si on

observe le tableau, on remarque qu’il n’y a pas eu de relation causale dans 31 % (5/16) des cas,

que les relations causales intracomposante ont été faites dans 19 % (3/16) des cas, que les

relations causales intercomposantes ont été faites dans 37,5 % (6/16) des cas et que les relations

causales transcomposantes ont été faites dans 12,5 % (2/16) des cas.

Dans le but de répondre aux sous-objectifs spécifiques 1.a. et 1.b., il importe de s’attarder au

soutien de l’adulte dans l’élaboration des relations causales. On remarque que l’enfant a fait 91 %

(10/11) des relations causales tandis que l’adulte, par son soutien, en a fait 9 % (1/11). Si on

observe en détail ce que l’enfant fait (objectif spécifique 1.a.) et ce que l’adulte fait (objectif

spécifique 1.b.), on remarque que l’enfant a fait 100 % (3/3) des relations causales

intracomposante. On observe également que l’enfant a fait 83 % (5/6) des relations causales

intercomposantes et que l’adulte en a fait 17 % (1/6). Finalement, l’enfant fait 100 % (2/2) des

relations causales transcomposantes. Ainsi, il est possible de penser que, quoique 31 % (5/16) des

interactions ne présentent pas de relation causale, l’enfant a produit la grande majorité de celles

faites dont toutes les relations causales transcomposantes, soit celles qui, d’un point de vue

développemental, sont les plus difficiles à établir. Cela n’est pas sans lien avec le fait que l’enfant

a été capable d’identifier 70 % (21/30) des composantes récurrentes en cours de lecture

interactive (tableau 44). D’ailleurs, les auteurs s’entendent pour dire que la connaissance par

Page 296: La lecture interactive : un contexte propice au ...

277

l’enfant de la structure du discours narratif a une conséquence sur les relations causales faites

entre les composantes récurrentes (Diehl, Benneto et Carter Young, 2006; Losh et Capps, 2003;

Tager-Flusberg, 2000). Cette analyse démontre également que l’adulte a agi comme guide dans

l’élaboration de liens causaux en soutenant l’enfant, entre autres par l’utilisation d’un

questionnement ouvert (tableau 43), dans l’élaboration de liens causaux et en en faisant moins

elle-même.

6.4.5. Composantes de la théorie de l’esprit

Dans le but de répondre à l’objectif 2 de la thèse qui est de décrire et d’analyser l’intervention en

lecture interactive et la progression de l’enfant en ce qui a trait au développement de la théorie de

l’esprit, le dernier élément présenté dans la synthèse de l’analyse de la lecture interactive de

« Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999) sont les composantes de la

théorie de l’esprit. Les composantes analysées sont l’état physique, l’état interne de type

émotionnel, l’état interne de type intentionnel et l’état interne de type épistémique (Veneziano,

2010, 2016 ; Veneziano et Hudelot, 2006). Dans les tableaux, les X représentent les composantes

nommées par l’enfant et le (X) représentent les composantes nommées par l’adulte. Dans un

premier temps, les questions auxquelles l’enfant répond seront présentées, puis celles ou l’enfant

ne répond pas, ensuite les interactions spontanées de l’enfant et, finalement, un tableau synthèse

sera présenté.

Tableau 46 : Synthèse des composantes de la théorie de l’esprit soulevées dans le récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999)

Unités de sens État physique État interne de type émotionnel

État interne de type intentionnel

État interne de type épistémique

Questions cœur auxquelles l’enfant

répond

X : 3 (75 %)

X : 3 (33,3 %)

(X) : 3 (33,3 %)

X : 3 (43 %)

(X) : 1 (14 %)

(X) : 2 (100 %)

Questions cœur auxquelles l’enfant ne

répond pas

(X) : 1 (14 %)

Interactions spontanées

X : 1 (25 %)

X : 3 (33,3 %)

X : 2 (29 %)

Page 297: La lecture interactive : un contexte propice au ...

278

Unités de sens État physique État interne de type émotionnel

État interne de type intentionnel

État interne de type épistémique

Total X : 15/22 (68 %)

Total (X) : 7/22

(32 %)

X : 4/4 (100 %)

X : 6/9 (67 %)

(X) : 3/9 (33 %)

X : 5/7 (71 %)

(X) : 2/7 (29 %)

(X) : 2/2 (100 %)

Total : 22 4 (18 %)

9 (41 %)

7 (32 %)

2 (9 %)

Le tableau 46 présente la proportion d’apparitions de chaque composante de la théorie de l’esprit,

et ce, en fonction des trois catégories analysées précédemment. On remarque, à la lecture du

tableau, que l’état physique a été abordé par l’enfant au sein des questions cœur auxquelles elle a

répondu dans 75 % (3/4) des cas et que l’enfant, au sein de ses interactions spontanées, a abordé

l’état physique dans 25 % (25 %) des cas. Au total, on remarque que l’enfant a abordé l’état

physique dans 100 % (4/4) des cas. En ce qui a trait à l’état interne de type émotionnel, l’enfant

l’a abordé dans 33,3 % (3/9) des cas lors des questions auxquelles elle a répondu et l’adulte l’a

fait dans 33,3 % (3/9) des cas. Dans les interactions spontanées, l’enfant a abordé l’état interne de

type émotionnel dans 33,3 % (3/9) des cas. Au total, on observe que l’enfant a abordé l’état

interne de type émotionnel dans 67 % (6/9) des cas que l’adulte l’a fait dans 33 % (3/9) des cas.

En ce qui a trait à l’état interne de type intentionnel, l’enfant l’a abordé dans 43 % (3/7) des cas et

l’adulte l’a abordé dans 14 % (1/7) des cas lors des questions auxquelles l’enfant répond. Au sein

des questions auxquelles l’enfant ne répond pas, l’adulte a abordé l’état interne de type

intentionnel dans 14 % (1/7) des cas et, au sein des interactions spontanées, l’enfant l’a abordé

dans 29 % (2/7) des cas. Au total, on remarque que l’état interne de type intentionnel est abordé

par l’enfant dans 71 % (5/7) des cas et par l’adulte dans 29 % (2/7) des cas lors de discussions

autour du récit. L’état interne de type épistémique est abordé par l’adulte dans 100 % (2/2) des

cas lors des questions cœur auxquelles l’enfant répond.

Page 298: La lecture interactive : un contexte propice au ...

279

Au total, toujours dans le but de répondre à l’objectif 2 de la thèse ainsi qu’aux deux objectifs

spécifiques sous-jacents95, on remarque qu’au total, l’enfant a fait ressortir les états internes dans

68 % (15/22) des cas et que l’adulte l’a fait dans 32 % (7/22) des cas. Finalement, on remarque

qu’au total l’état physique a été discuté dans 18 % (4/22) des cas, que l’état interne de type

émotionnel a été abordé dans 41 % (9/22) des cas, que l’état interne de type intentionnel a été

abordé dans 32 % (7/22) des cas et que l’état interne de type épistémique l’a été dans 9 % (2/22)

des cas.

Ces résultats permettent de remarquer que l’état interne de type émotionnel et l’état interne de

type intentionnel ont tous deux été les plus discutés. Ces deux états internes sont d’ailleurs

souvent liés aux émotions négatives liées aux problématiques vécues par les personnages ainsi

qu’aux buts. Ces deux composantes récurrentes ont d’ailleurs été amplement discutées en cours

de lecture interactive (voir tableau 44). On remarque également, en ce qui a trait à ce que fait

l’adulte (objectif spécifique 2.b.), qu’elle a abordé dans 100 % (2/2) des cas l’état interne de type

épistémique qui est, d’un point de vue développemental, l’état le plus complexe à discuter et, tel

que présenté dans la littérature, l’enfant autiste éprouve de nombreuses difficultés à comprendre

les états mentaux des autres (Baron-Cohen, 1989; Baron-Cohen, Jolliffe, Mortimore et

Robertson, 1997; Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001). De plus, on remarque que, quoique

l’enfant ait énoncé la majorité des états internes de type intentionnel (71 %, 5/7), l’adulte en a

énoncé 29 %. Ces observations permettent de penser que l’adulte continue d’agir en tant que

guide pour l’enfant et qu’elle déplace ses interventions dans le but de toujours demeurer dans la

zone proximale de développement de l’enfant.

95 L’objectif spécifique 2.a. est de décrire la progression de l’enfant au regard de la théorie de l’esprit en contexte de lecture interactive, tandis que l’objectif spécifique 2.b. est de décrire le contexte et le type d’interventions élaborées par l’adulte dans le discours narratif autour de la théorie de l’esprit par l’intermédiaire de la lecture interactive.

Page 299: La lecture interactive : un contexte propice au ...

280

Chapitre 7 – Discussion

Il a été maintes fois rapporté que la maturation joue un rôle dans le développement de l’enfant et

que celle-ci doit être prise en compte dans l’évaluation des acquisitions. Piaget et Inhelder (1967)

ajoutent que l’expérience construite dans l’action, ainsi que les influences du milieu physique et

social, jouent également un rôle important dans le développement de l’enfant puisque les

interactions sociales réalisées, entre autres pendant l’intervention, permettent une forme de

structuration de l’objet et du monde où l’enfant contribue autant qu’il reçoit. La discussion est

donc l’occasion de croiser les résultats précédemment présentés dans les chapitres d’analyse dans

le but de répondre à l’objectif principal de la thèse : décrire la portée potentielle d’interventions

intensives faites en interaction et en intersubjectivité avec une enfant autiste autour de l’objet

complexe qu’est l’album de littérature jeunesse. Cela sera fait en décrivant, d’une part, la

progression développementale de l’enfant en cours d’intervention et d’autre part, les

interventions de l’adulte, et ce, au regard de deux sphères de développement soit le

développement de la structuration du discours narratif et le développement de la théorie de

l’esprit. Ainsi, le chapitre fera un retour sur les sous-objectifs spécifiques de la thèse en

présentant une synthèse de l’évolution de l’enfant au cours des mois d’intervention ainsi que la

progression des interventions faites par l’adulte. Les implications pédagogiques, les contributions

et les limites du projet ainsi que les visées prospectives de recherche seront ensuite présentées.

7.1. Décrire et analyser l’intervention en lecture interactive et la progression de l’enfant en

ce qui a trait au développement de la structure narrative

Les tableaux présentés dans cette section permettent de rendre compte des résultats des analyses

dans le but de répondre à l’objectif spécifique 1 : décrire et analyser la progression de l’enfant

ainsi que l’intervention en lecture interactive en ce qui a trait au développement de la structure

narrative et des deux sous-objectifs qui y sont rattachés. Pour ce faire, l’évolution de l’activité de

l’enfant sera présentée, de même que l’évolution du type de questions répondues adéquatement

par l’enfant et de celles posées par l’adulte. Ensuite, l’évolution des composantes récurrentes du

récit énoncées par l’enfant et par l’adulte sera présentée. Finalement, la progression de l’enfant en

Page 300: La lecture interactive : un contexte propice au ...

281

ce qui a trait aux types de relations causales énoncées sera détaillée, de même que celles des

interventions faites par l’adulte.

7.1.1. L’activité de l’enfant en cours d’interventions en lecture interactive

Le tableau 47 montre, en partie, la progression de l’enfant au regard de la structuration du

discours narratif (sous-objectif 1.a.). Il présente la façon dont l’enfant a abordé la lecture

interactive au fil des interventions et permet de commenter son activité.

Tableau 47 : Description de l’activité de l’enfant en cours d’interventions en lecture interactive

Récit Unités de sens

L’enfant répond L’enfant ne répond pas

Interactions spontanées

Les oreilles du roi 19 9 (47 %)

6 (32 %)

4 (21 %)

Raoul Taffin pirate 24 14 (58 %)

3 (13 %)

7 (29 %)

Nez-Rouge sur la piste de Léonard

15 10 (66,7 %)

1 (6,6 %)

4 (26,7 %)

Le tableau 47 permet de souligner une diminution constante des questions auxquelles l’enfant ne

répond pas, ce qui, au départ, représentait 32 % (9/19) des unités de sens, pour se limiter

respectivement à 13 % (3/24) et à 6,6 % (1/15) lors de la seconde et de la troisième lecture

interactive. Cette diminution des questions auxquelles l’enfant ne répond pas a été mise au profit

de questions auxquelles elle répond et des interactions qu’elle initie de manière spontanée. En

effet, on peut remarquer une progression constante des questions auxquelles l’enfant répond de la

première à la dernière lecture interactive passant respectivement de 47 % (9/19), à 58 % (14/24),

à 66,7 % (10/15). Quant aux interactions spontanées, elles augmentent entre la première et la

seconde lecture, passant de 21 % (4/19) à 29 % (7/24), puis semblent se stabiliser lors de la

troisième lecture interactive à 26,7 % (4/15).

Page 301: La lecture interactive : un contexte propice au ...

282

Cette hausse dans le temps des interactions spontanées de l’enfant et de ses réponses aux

questions permet de penser que cette enfant autiste s’est approprié le fonctionnement de la lecture

interactive et a augmenté les moments d’attention conjointe avec l’adulte, et ce, bien que

plusieurs auteurs (Baron-Cohen, 1989; Charman, 2003; Lemay, 2004; Plumet et Veneziano,

2014b; Rogers, Hepburn, Stackhouse et Wehner, 2003) soulignent les difficultés de l’enfant

autiste à entrer en relation d’attention conjointe. Certains affirment même que le nœud dans le

développement de l’attention conjointe peut être mis en relation avec celui remarqué dans le

développement de l’intersubjectivité (Claudon, et coll., 2008). Cependant, les résultats des

analyses de la progression de l’enfant nous permettent de remarquer que, par l’interaction

spontanée, c’est l’enfant qui, à plusieurs occasions, crée la situation d’attention conjointe; elle

entre en contact avec l’autre (initiative sociale). Ainsi, la lecture interactive offre un contexte

d’intersubjectivité littéraire (Makdissi, et coll., 2010) où l’enfant apprend à mobiliser son

attention sur diverses facettes d’un objet littéraire et à entrer en contact avec l’autre (l’adulte et

l’auteur du livre), notamment en partageant son attention. De plus, par la diminution des

questions auxquelles elle ne répond pas au profit de l’augmentation des questions auxquelles elle

répond et de ses interactions spontanées, on remarque que l’enfant étend sa zone intersubjective

où elle partage avec l’adulte la structuration complexe et causale du discours narratif. De plus,

l’apport de l’adulte par la médiation joue un rôle d’intermédiaire dans la façon d’aborder le livre

et de se questionner. L’adulte agira ainsi comme un modèle structurellement complexe qui

permet une appropriation progressive du type de questions que se pose un lecteur mature.

7.1.2. Les types de questions posées en cours d’interventions en lecture interactive

Le tableau 48 permet également de décrire la progression de l’enfant, dans le temps, au regard de

la structuration du discours narratif (sous-objectif 1.a.), en situant le type de questions posées par

l’adulte lors de l’interaction et celles auxquelles elle a su répondre adéquatement. De plus, ce

tableau permet de décrire le contexte et le type d’interventions élaborés par l’adulte autour du

développement de la structuration du discours narratif par l’intermédiaire de la lecture interactive

(sous-objectif 1.b.) en présentant l’évolution de l’intervention faite par l’adulte en ce qui a trait à

la proportion ainsi qu’à la complexification des questions posées à l’enfant.

Page 302: La lecture interactive : un contexte propice au ...

283

Tableau 48 : Évolution des types de questions posées en cours d’interventions en lecture interactive

Récits Questions cœur Types de questions Q. fermées

oui/non Q. fermées

rétrospectives Q. ouvertes

rétrospectives Q. ouvertes prospectives

Les oreilles du roi

Questions auxquelles l’enfant répond

adéquatement (9)

3 (43 %)

1 (50 %)

1 (20 %)

0 (0 %)

Questions posées par l’adulte (15)

7 (47 %)

2 (13 %)

5 (33 %)

1 (7 %)

Raoul Taffin pirate

Questions auxquelles l’enfant répond

adéquatement (8)

1 (100 %)

3 (43 %)

3 (50 %)

1 (33 %)

Questions posées par l’adulte (17)

1 (6 %)

7 (41 %)

6 (35 %)

3 (18 %)

Nez-Rouge sur la piste de Léonard

Questions auxquelles l’enfant répond

adéquatement (8)

1 (100 %)

1 (50 %)

4 (80 %)

2 (67 %)

Questions posées par l’adulte (11)

1 (9 %)

2 (18 %)

5 (46 %)

3 (27 %)

Le tableau 48 permet plusieurs observations. Il met en relief l’arrimage des exigences de l’adulte

aux savoirs faire de l’enfant, d’une part, et, d’autre part, inversement, le déplacement des savoirs

faire de l’enfant vers les exigences de l’adulte. En effet, on peut souligner une diminution

substantielle des questions fermées posées par l’adulte passant de 60 % (47 % + 13 %) lors de la

première lecture, à 47 % (6 % + 41 %) lors de la seconde lecture, pour finir à 27 % (9 % + 18 %)

lors de la dernière lecture. À l’inverse, elle augmente ses questions ouvertes passant

respectivement de 40 % (33 % + 7 %), à 53 % (35 % + 18 %), à, finalement, 73 % (46 % +

27 %). L’adulte semble s’ajuster à l’enfant dans un rapport intersubjectif et vice versa.

Effectivement, lors de la première lecture interactive, l’enfant parvient très peu à répondre

adéquatement aux questions ouvertes (17 %, 1/(1+5)) alors qu’elle répond mieux aux questions

fermées, 44 % ((3+1)/(7+2)). Progressivement, les exigences de l’adulte et les comportements

littéraires de l’enfant évoluent vers les questions de nature ouverte. Lors de la deuxième lecture,

on remarque que, maintenant, l’enfant répond adéquatement à 44 % ((3+1)/(6+3)) des questions

ouvertes tout en sachant toujours répondre adéquatement aux questions fermées, dans une

proportion légèrement supérieure à la première lecture (50 %, (3+1)/(1+7)). Cette progression de

l’enfant, qui semble chercher à rejoindre les exigences de l’adulte dans un rapport intersubjectif,

s’accentue encore davantage à la fin de l’année d’intervention, lors de la troisième lecture ciblée

Page 303: La lecture interactive : un contexte propice au ...

284

aux fins de la présente thèse. On y remarque, en effet, que l’enfant répond adéquatement à 75 %

((4+2)/(5+3)) des questions ouvertes tout en rehaussant l’exactitude de ses réponses aux

questions fermées, 67 % ((1+1)/(1+2)).

Le tableau 48 permet aussi de rendre compte, de manière plus détaillée, de cet arrimage

intersubjectif autour du livre en fonction de chaque type précis de question. Si on s’attarde aux

questions ouvertes rétrospectives et prospectives, on peut observer la progression de l’enfant et

noter une hausse importante non seulement de ses réponses, mais aussi de l’exactitude de celles-

ci. En détail, en ce qui a trait aux questions fermées oui/non, le taux d’exactitude des réponses de

l’enfant passe de 43 % (3/7) pour le premier temps d’analyse à 100 % pour le second (1/1) et le

dernier temps d’analyse (1/1). En ce qui a trait aux questions fermées rétrospectives, l’enfant

répond adéquatement à 50 % (1/2) de ces questions lors de la première lecture, à 43 % (3/7) à la

seconde lecture et à 50 % (1/2) à la dernière lecture. Les questions ouvertes rétrospectives, pour

leur part, ont été répondues avec exactitude dans 20 % (1/5) des cas pour la première lecture, à

50 % (3/6) des cas pour la seconde lecture et à 80 % (4/5) des cas à la dernière lecture.

Finalement, les questions ouvertes prospectives n’étaient pas répondues au premier temps

d’analyse (0 %, 0/1), elles ont été répondues avec exactitude dans une proportion de 33 % (1/3)

au deuxième temps d’analyse, puis elles ont été répondues correctement dans 67 % (2/3) des cas

au troisième temps d’analyse.

Si on s’attarde aux types d’interventions élaborées par l’adulte autour du développement de la

structuration du discours narratif (sous-objectif 1.b.), le tableau 48 nous permet de remarquer une

complexification, dans le temps, du type de questions posées à l’enfant. En effet, l’adulte semble

s’ajuster à la progression de l’enfant en augmentant le nombre de questions ouvertes posées et, de

façon générale, en diminuant le nombre des questions fermées, dans le but de favoriser

l’énonciation par l’enfant de composantes récurrentes du récit, d’états internes et, ainsi, la

construction de relations causales. On remarque, en ce qui a trait aux questions posées par

l’adulte, que les questions fermées oui/non passent de 47 % (7/15), à 6 % (1/17), puis à 9 %

Page 304: La lecture interactive : un contexte propice au ...

285

(1/11). Les questions fermées rétrospectives, entre les trois temps d’analyse, passent de 13 %

(2/15), augmentent à 41 % (7/17) et chutent, à la dernière lecture interactive, à 18 % (2/11). En ce

qui a trait aux questions ouvertes rétrospectives, l’adulte les pose dans une proportion de 33 %

(5/15) lors de la première lecture interactive, dans une proportion de 35 % (6/17) lors de la

deuxième lecture interactive et, finalement, dans une proportion de 46 % (5/11) lors de la

troisième lecture interactive. Les questions ouvertes prospectives ont été posées par l’adulte dans

7 % (1/15) des cas au premier temps d’analyse, dans 18 % (3/17) des cas au second temps

d’analyse puis dans 27 % (3/11) des cas au dernier temps d’analyse.

L’enfant, en augmentant non seulement le taux d’exactitude de ses réponses, mais également la

proportion de questions ouvertes répondues, fait la preuve qu’elle étend sa zone proximale de

développement. Les interventions de l’adulte, qui vont de pair avec la progression de l’enfant en

augmentant le nombre de questions ouvertes posées, font la démonstration qu’elle pousse l’enfant

dans son développement de la compréhension de la structure narrative de sorte que ses

interventions se situent dans sa zone proximale de développement. Selon Milburn, Girolametto,

Weitzman et Greenberg (2014), les questions fermées, dont la réponse nécessite peu de mots

(questions fermées rétrospectives) ou encore un oui ou un non (questions fermées oui/non),

permettent d’engager l’enfant dans la lecture et d’obtenir rapidement une rétroaction positive.

Dans le tableau 48, on remarque que l’adulte ne sent plus la nécessité de poser en abondance ce

type de questions puisque l’enfant est maintenant capable de répondre aux questions ouvertes. De

plus, le détail des analyses pour la lecture interactive de « Nez-Rouge sur la piste de Léonard »

(Devernois et Pied, 1999) montre que l’enfant, dans ses interactions spontanées, s’est approprié

les questions ouvertes de l’adulte. Ce sont d’ailleurs les questions ouvertes qui, selon Schick et

Melzi (2010), propulsent le développement des compétences en littératie. Elles demandent à

l’enfant de penser, de se questionner et de faire des relations causales (Neslihan Bay et Hartman,

2015), dans le but d’entrer en interaction avec l’adulte et de coconstruire le sens. L’enfant

s’approprie ainsi les questions propices à la compréhension du lecteur expert. C’est d’ailleurs en

lien avec cette harmonisation, entre l’adulte et l’enfant, de l’attention partagée portée sur le livre

menant à discuter à l’oral de l’interprétation d’un texte écrit par une tierce personne (l’auteur),

par l’intermédiaire de questions ouvertes visant à rendre compte d’une compréhension profonde

Page 305: La lecture interactive : un contexte propice au ...

286

de la trame narrative, que Makdissi et coll. (2010) avancent le concept d’intersubjectivité

littéraire. Ce concept est ici étayé empiriquement, par l’analyse des interventions et des échanges

entre l’adulte et l’enfant, ainsi que par la réponse aux objectifs de la thèse.

Cela permet d’affirmer que la lecture interactive permet à l’adulte d’adapter ses interventions à la

singularité de l’enfant ce qui, pour Chamak et Cohen (2003), est la clé des interventions efficaces

à prodiguer à l’enfant autiste. Snow et Dickinson (1990), à propos des activités de lecture faites

en classe auprès d’enfants tout-venant, mentionnent qu’il est primordial d’amener les élèves à

s’engager cognitivement et à interagir sur les objets d’apprentissages. Ainsi, on remarque que la

répétition de l’intervention en lecture interactive et, de ce fait, l’augmentation des opportunités

d’apprentissage et de discussion autour du récit, a permis de créer un engrenage où, tel que

Lemay (2004) l’a affirmé, le plaisir d’échanger et de coconstruire a su se développer chez

l’enfant autiste. Ainsi, ce contexte de lecture interactive proposée au quotidien chez cette enfant

autiste aura possiblement contribué à lui offrir un environnement propice à ce que Van Kleeck

(2010) nomme la socialisation de la littératie.

7.1.3. Les composantes récurrentes du récit énoncées par l’enfant en cours d’interventions en

lecture interactive

L’analyse de l’énonciation des composantes récurrentes du récit par l’enfant permet de rendre

compte de sa progression au regard de la structuration du discours narratif (sous-objectif 1.a.). Le

tableau 49 présente, pour les trois lectures interactives analysées, les composantes récurrentes que

l’enfant a nommées dans les questions auxquelles elle a répondu et dans ses interactions

spontanées. À l’intérieur du tableau, on retrouve la situation initiale (S. I.), la problématique

(Prob.), l’émotion négative (É.-), le but (But), les tentatives d’actions (T. A.), le sous-problème

(S.-Prob.), l’émotion négative liée au sous-problème (S.-É-), le sous-but (S.-But), la solution au

sous-problème (S.-Sol.), la solution au problème principal (Sol.), l’émotion positive (É. +) et la

situation finale (S. F.).

Page 306: La lecture interactive : un contexte propice au ...

287

Tableau 49 : Composantes récurrentes du récit énoncées par l’enfant en cours d’interventions en lecture interactive

Récit Unités de sens S. I. Prob. É.- But T. A. S. – Prob

S.- É-

S. – But

S.- Sol.

Sol. É. + S. F.

Les oreilles du roi

Questions cœur

auxquelles l’enfant

répond (3)

1 (100 %)

2 (100 %)

Interactions spontanées (1)

1 (100 %)

Total : 4 1 (25 %)

1 (25 %)

2 (50 %)

Raoul Tafin pirate

Questions cœur

auxquelles l’enfant

répond (12)

3 (100 %)

2 (100 %)

4 (57 %)

2 (67 %)

1 (100 %)

Interactions spontanées (6)

3 (43 %)

1 (33 %)

1 (100 %)

1 (100 %)

Total : 18

3 (17 %)

2 (11 %)

7 (39 %)

3 (17 %)

1 (5,5 %)

1 (5,5 %)

1 (5,5 %)

Nez-Rouge sur la

piste de Léonard

Questions cœur

auxquelles l’enfant

répond (13)

5 (71 %)

1 (33 %)

3 (60 %)

1 (50 %)

2 (100 %)

1 (100 %)

Interactions spontanées (8)

1 (100 %)

2 (29 %)

2 (67 %)

2 (40 %)

1 (50 %)

Total : 21 1 (4,5 %)

7 (33 %)

3 (14 %)

5 (24 %)

2 (10 %)

2 (10 %)

1 (4,5 %)

De façon générale, on remarque une hausse du nombre de composantes récurrentes nommées par

l’enfant, et ce, tant en ce qui concerne ce qu’elle a fait en réponse à l’adulte que ce qu’elle a fait

lors de ses interactions spontanées. En effet, la dénomination des composantes récurrentes du

récit, de manière générale, passe de quatre pour le premier récit, à 18 pour le second et à 21 pour

le dernier. Les composantes récurrentes nommées lors des questions répondues passent de trois

au premier temps d’analyse, à 12 au deuxième temps d’analyse et à 13 pour le dernier temps

d’analyse. En ce qui a trait aux interactions spontanées, l’enfant énonce une seule composante

récurrente lors de la première lecture interactive, six lors de la seconde et huit lors de la troisième.

Page 307: La lecture interactive : un contexte propice au ...

288

Il est également possible de remarquer, dans le tableau 49, qu’en plus d’une hausse de la variété

des composantes récurrentes nommées, il y a aussi une progression en ce qui a trait à la

complexité des composantes récurrentes les plus nommées par l’enfant. En effet, lors de la

première lecture interactive, la composante récurrente la plus nommée par l’enfant en cours de

discussion était les tentatives d’actions (50 %, 2/4). Lors de la seconde lecture interactive, la

majorité des interventions de l’enfant touchaient les sous-problèmes (39 %, 7/18). Finalement,

lors de la dernière lecture interactive analysée, on remarque que, en cours de discussion autour du

récit, l’enfant a axé ses interventions sur les problématiques (33 %, 7/21) et sur les buts des

personnages (24 %, 5/21).

En ce qui a trait à l’enfant autiste, Diehl, Benneto et Carter Young (2006) s’entendent pour dire

que l’enfant autiste produit des séquences d’actions descriptives sans liens causaux entre les

composantes récurrentes du récit et que les difficultés de l’enfant autiste en ce qui a trait à la

théorie de l’esprit ont des répercussions sur la façon dont l’enfant interprète les récits (Losh et

Capps, 2003; Mason, et coll., 2008; Tager-Flusberg, 2000). Or, le tableau 49 démontre que

l’enfant autiste, en situation d’interventions en lecture interactive intensives, nomme non

seulement plusieurs composantes récurrentes du récit, mais surtout, des composantes récurrentes

pour lesquelles l’enfant, pour être en mesure de les construire, doit faire des relations causales.

Bien que la discussion autour du récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011) corrobore

avec le portrait que la littérature a fait, on remarque que pour les deux autres lectures interactives,

l’enfant énonce les buts, les problématiques et les sous-problèmes96. La compréhension par

l’enfant de ces composantes récurrentes du récit nécessite l’élaboration de liens entre les

composantes et, par le fait même, favorise la création de liens causaux (Makdissi et Boisclair,

2008).

96 Dans la discussion autour du récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001), l’enfant aborde les sous-problèmes dans 39 % (7/18) des cas et le but dans 17 % (3/18) des cas. Dans la discussion autour du récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999), l’enfant discute des problèmes dans 33 % (7/21) des cas et des buts des personnages dans 24 % (5/21) des cas.

Page 308: La lecture interactive : un contexte propice au ...

289

7.1.4. Les composantes récurrentes du récit énoncées par l’adulte en cours d’interventions en

lecture interactive

Le tableau 50 présente les composantes récurrentes97 discutées par l’adulte en cours de lecture

interactive, et ce, lors des questions auxquelles l’enfant a répondu, lors des questions auxquelles

l’enfant n’a pas répondu et lors des interactions spontanées de l’enfant. Cela permet de décrire le

contexte et le type d’interventions que l’adulte a élaborés autour du développement de la

structure narrative en cours de lecture interactive (sous-objectif 1.b.).

Tableau 50 : Composantes récurrentes du récit énoncées par l’adulte en cours d’interventions en lecture interactive

Récit Unités de sens S. I.

Prob.

É.- But T. A. S. – Prob

S.- É-

S. – But

S.- Sol.

Sol. É. +

S. F.

Les oreilles du roi

Questions cœur

auxquelles l’enfant

répond (15)

5 (38,5 %)

2 (50 %)

3 (50 %)

2 (67 %)

1 (100 %)

1 (100 %)

1 (50 %)

Questions auxquelles l’enfant ne

répond pas (9)

5 (38,5 %)

2 (50 %)

2 (33 %)

Interactions spontanées (6)

3 (23 %)

1 (17 %)

1 (33 %)

1 (50 %)

Total : 30 13 (43 %)

4 (13 %)

6 (20 %)

3 (10 %)

1 (3,5 %)

1 (3,5 %)

2 (7 %)

Raoul Tafin pirate

Questions cœur

auxquelles l’enfant

répond (16)

4 (57 %)

3 (60 %)

5 (62,5 %)

1 (50 %)

1 (50 %)

2 (67 %)

Questions auxquelles l’enfant ne

répond pas (6)

2 (29 %)

2 (40 %)

2 (25 %)

Interactions spontanées (6)

1 (14 %)

1 (12,5 %)

1 (100 %)

1 (50 %)

1 (50 %)

1 (33 %)

97 À l’intérieur du tableau, on retrouve la situation initiale (S. I.), la problématique (Prob.), l’émotion négative (É.-), le but (But), les tentatives d’actions (T. A.), le sous-problème (S.-Prob.), l’émotion négative liée au sous-problème (S.-É-), le sous-but (S.-But), la solution au sous-problème (S.-Sol.), la solution au problème principal (Sol.), l’émotion positive (É. +) et la situation finale (S. F.).

Page 309: La lecture interactive : un contexte propice au ...

290

Unités de sens S. I. Prob.

É.- But T. A. S. – Prob

S.- É-

S. – But

S.- Sol.

Sol. É. +

S. F.

Total : 28

7 (25 %)

5 (18 %)

8 (28,5 %)

1 (3,5 %)

2 (7 %)

2 (7 %)

3 (11 %)

Nez-Rouge sur la

piste de Léonard

Questions cœur

auxquelles l’enfant

répond (7)

1 (100 %)

1 (100 %)

1 (50 %)

3 (75 %)

1 (100 %)

Questions auxquelles l’enfant ne

répond pas (2)

1 (50 %)

1 (25 %)

Interactions spontanées

Total : 9 1 (11,1 %)

1 (11,1 %)

2 (22,2 %)

4 (44,4 %)

1 (11,1 %)

De façon générale, on remarque, contrairement à ce qui a été présenté pour l’enfant (tableau 49),

une baisse de la fréquence d’énonciations des composantes récurrentes du récit par l’adulte. Cela

peut être mis en lien avec la hausse des questions ouvertes posées à l’enfant ainsi que la hausse

du taux d’exactitude de ses réponses (tableau 48), de sorte que l’adulte, en tant que médiateur, a

laissé la place à l’enfant et a agi en tant que guide. Dans le tableau 50, on observe que l’adulte

énonce des composantes récurrentes à 30 reprises au cours de la première lecture interactive,

qu’elle le fait à 28 reprises lors de la seconde et qu’elle le fait seulement à neuf reprises lors de la

troisième lecture interactive. Les composantes récurrentes nommées lors des questions répondues

par l’enfant passent de 15 au premier temps d’analyse, à 16 au deuxième temps d’analyse et à

sept pour le dernier temps d’analyse. Lors des questions auxquelles l’enfant ne répond pas,

l’adulte énonce neuf composantes récurrentes pendant la première lecture interactive, six lors de

la seconde et deux lors de la dernière. En ce qui a trait aux interactions spontanées de l’enfant,

l’adulte énonce six composantes récurrentes lors de la première lecture interactive, six lors de la

seconde et aucune lors de la troisième.

On observe également un déplacement en ce qui a trait aux composantes récurrentes visées par

l’adulte lors de ses interventions. En comparant la progression de l’enfant (tableau 49) et le

déplacement des interventions de l’adulte (tableau 50), on observe que l’adulte propulse l’enfant

Page 310: La lecture interactive : un contexte propice au ...

291

dans la construction de la structuration du discours narratif. Dans un premier temps, les

interventions de l’adulte étaient axées sur la problématique (43 %, 13/30) alors que l’enfant

discutait, dans une faible participation, des tentatives d’actions (50 %, 2/4) et des émotions

négatives (25 %, 1/4), mais sans lien encore avec l’évènement problématique. Dans la seconde

lecture interactive, l’adulte a ciblé les sous-problèmes (28,5 %, 8/28) et le but (25 %, 7/28), alors

que l’enfant a davantage discuté des sous-problèmes (39 %, 7/18). Dans la dernière lecture

interactive, l’adulte a ciblé ses quelques interventions (9) autour des tentatives d’actions (44,4 %,

4/9) alors que l’enfant a démontré, de par ses interventions, qu’elle s’interrogeait à propos des

problématiques (33 %, 7/21) et des buts (24 %, 5/21).

Alors que Diehl, Benneto et Carter Young (2006) affirment que l’enfant autiste interprète les

récits de façon plus descriptive, l’analyse du tableau 49 a permis de rendre compte du contraire.

En effet, l’intervention de l’adulte, entre autres par l’augmentation des questions ouvertes posées

(tableau 48), a permis à l’enfant, tel que décrit par Neslihan Bay et Hartman (2015), de penser et

de se questionner en ce qui a trait au récit, ce qui a certainement propulsé l’expression des

composantes récurrentes. Le tableau 50, quant à lui, étaie comment l’adulte a progressivement

retiré son soutien des composantes récurrentes du récit que l’enfant s’appropriait pour le déplacer

vers d’autres composantes du récit que l’enfant ne considérait pas encore dans son discours

autour du livre. D’ailleurs, Veneziano et Hudelot (2009) ont affirmé que les questions ouvertes

favorisent l’expression des composantes récurrentes. On remarque encore ici que la zone

d’intersubjectivité entre l’adulte et l’enfant a permis à l’adulte d’ajuster ses interventions à la

zone proximale de développement de l’enfant. Ainsi, l’apport de l’adulte par la médiation joue un

rôle d’intermédiaire dans la façon d’aborder le livre et de se questionner. En effet, alors qu’au

début l’essentiel des interventions de l’adulte était axé sur la reconnaissance des composantes

récurrentes du récit, à la fin des interventions, l’adulte n’avait plus besoin de les identifier

puisque l’enfant était en mesure de le faire par elle-même. L’adulte posait ainsi moins de

questions fermées (tableau 48) axées sur la dénomination des composantes récurrentes et s’est

permis des questions plus ouvertes qui laissaient à l’enfant l’espace nécessaire pour réfléchir et

interpréter le récit.

Page 311: La lecture interactive : un contexte propice au ...

292

7.1.5. Les relations causales établies par l’adulte et l’enfant en cours d’interventions en lecture

interactive

Le tableau 51 présente les types de relations causales faites en cours de récit par l’adulte et

l’enfant, et ce, dans le but de répondre aux sous-objectifs 1.a.98 et 1.b.99 de la thèse. Pour ce faire,

les trois lectures interactives analysées seront présentées, et ce, en ce qui a trait aux questions

auxquelles l’enfant répond ainsi qu’à ses interactions spontanées. Il convient de rappeler que les

X soulignent les liens élaborés par l’enfant et les (X) ceux élaborés par l’adulte.

Tableau 51 : Types de relations causales établies par l’enfant et par l’adulte en cours d’interventions en lecture interactive

Récits Unités de sens Absence de relation causale

Présence de relations causales Intra-

composantes Inter-

composantes Trans-

composantes Les oreilles

du roi Questions cœur auxquelles

l’enfant répond X : 3

(43 %) X : 2

(100 %) (X) : 4

(100 %) (X) : 1

(100 %) Interactions spontanées X : 4

(57 %)

Total : 14 7 (50 %)

Total X : 2/7 (29 %)

Total (X) : 5/7 (71 %)

X : 2 (14 %)

(X) : 4 (29 %)

(X) : 1 (7 %)

Raoul Taffin pirate

Questions cœur auxquelles l’enfant répond

X : 6 (67 %) X : 2

(20 %)

(X) : 2

(20 %)

X : 4

(50 %)

(X) : 2

(25 %)

(X) : 1

(100 %)

Interactions spontanées X : 3 (33 %)

X : 6 (60 %)

X : 2 (25 %)

98 Le sous-objectif 1.a. est de décrire et d’analyser la progression de l’enfant au regard de la structuration du discours narratif en contexte de lecture interactive. 99 Le sous-objectif 1.b. est de décrire le contexte et le type d’interventions élaborés par l’adulte autour du développement de la structuration du discours narratif par l’intermédiaire de la lecture interactive.

Page 312: La lecture interactive : un contexte propice au ...

293

Unités de sens Absence de relation causale

Présence de relations causales Intra-

composantes Inter-

composantes Trans-

composantes Total : 28 9

(32 %) Total X : 14/19

(74 %) Total (X) : 5/19

(26 %) 10

(36 %) 8

(29 %) 1

(3 %) Nez-Rouge sur la piste de Léonard

Questions cœur auxquelles l’enfant répond

X : 4 (80 %)

X : 2 (67 %)

X : 3 (50 %)

(X) : 1 (17 %)

X : 2 (100 %)

Interactions spontanées X : 1 (20 %)

X : 1 (33 %)

X : 2 (33 %)

Total : 16 5 (31 %)

Total X : 10/11 (91 %)

Total (X) : 1/11 (9 %)

3 (19 %)

6 (37,5 %)

2 (12,5 %)

De manière générale, on remarque, en ce qui a trait à au sous-objectif 1.a., que l’enfant augmente

le nombre et la complexité des relations causales faites. Le tableau 51 présente effectivement que

le pourcentage d’absence de relation causale baisse dans le temps. En effet, on remarque qu’il y a

eu absence de relation causale dans 50 % (7/14) des cas lors de la première lecture interactive,

dans 32 % (9/28) des cas dans la seconde et dans 31 % (5/16) des cas dans la dernière lecture

interactive. Ainsi, il est possible d’affirmer, non seulement que la participation de l’enfant

augmente au fil des interventions, mais surtout qu’il y a majoration de ses compétences à

structurer le discours narratif de manière causale. En plus d’énoncer davantage de composantes

récurrentes (tableau 49), elle les organise de manière causale pour tracer la trame narrative des

récits. À chaque temps d’analyse, l’enfant complexifie le type de relations causales faites passant

de la relation causale intracomposante, à la relation causale intercomposante pour être capable, au

dernier temps d’analyse, de faire des relations causales transcomposantes. Plus précisément, en ce

qui a trait à l’énonciation des relations causales, l’enfant a énoncé les relations causales dans

29 % (2/7) des cas lors de la lecture de « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011). Ces

relations causales étaient toutes intracomposantes (100 %, 2/2). Dans la lecture de « Raoul Taffin

pirate » (Moncomble et Pillot, 2001), l’enfant a énoncé 74 % (14/19) des relations causales dont

huit (57 %, 8/14) étaient intracomposantes et six (43 %, 6/14) étaient de type intercomposantes.

Pour ce qui est de la lecture de « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999),

l’enfant a énoncé 91 % (10/11) des relations causales en cours de lecture interactive. Parmi

Page 313: La lecture interactive : un contexte propice au ...

294

celles-ci, trois (30 %, 3/10) étaient de type intracomposantes, cinq (50 %, 5/10) étaient

intercomposantes et deux (20 %, 2/10) étaient transcomposantes.

En ce qui a trait au sous-objectif 1.b., on remarque, dans le tableau 51, que l’adulte, à l’inverse de

l’enfant, diminue le nombre de ses énonciations de relations causales au fil des interventions en

lecture interactive au fur et à mesure que l’enfant progresse, retirant et déplaçant son soutien vers

des niveaux de relations causales supérieures. De par l’augmentation des questions ouvertes

posées (tableau 48), l’adulte laisse plus de place à l’enfant et, par la nature de ses questions, agit

comme médiatrice et comme guide. En effet, dans le détail, on remarque que l’adulte, dans la

première lecture, fait des relations causales dans 71 % (5/7) des cas. Dans la seconde lecture, elle

fait des relations causales dans 26 % (5/19) des cas et, dans la dernière lecture, elle fait des

relations causales dans 9 % (1/11) des cas. Il est également possible de remarquer, dans le

tableau 51, que le niveau de difficulté des relations causales de l’adulte se déplace dans le temps,

et ce, au rythme de la progression de l’enfant. Ainsi, dans la lecture de « Les oreilles du roi »

(Jovanovic et Béha, 2011), l’adulte fait toutes les relations causales intercomposantes (100 %,

4/4) et toutes les relations causales transcomposantes (100 %, 1/1). Dans la lecture de « Raoul

Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001), l’adulte fait 20 % (2/10) des relations causales

intracomposantes, 25 % (2/8) des relations causales intercomposantes et 100 % (1/1) des relations

causales transcomposantes. Dans la lecture interactive de « Nez-Rouge sur la piste de Léonard »

(Devernois et Pied, 1999), alors que l’enfant fait des relations causales transcomposantes, l’adulte

ne fait que 17 % (1/6) des relations causales intercomposantes. Il est intéressant également de

remarquer que l’enfant, au départ, n’établissait pas de relations causales dans ses interactions

spontanées. Ainsi, elle fait plus de relations causales dans les questions auxquelles elle répond

que dans ses interactions spontanées. Il est également possible de remarquer, dans les lectures

interactives de « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) et de « Nez-Rouge sur la piste

de Léonard » (Devernois et Pied, 1999), que l’enfant intègre les relations causales dans ses

interactions spontanées, et ce, même si le pourcentage de relations causales complexes entre deux

composantes ou plus (intercomposantes et transcomposantes) est plus élevé dans les questions

auxquelles l’enfant répond que dans ses interactions spontanées. Toujours en lien avec le sous-

objectif 1.b. qui est de décrire le contexte et le type d’interventions élaborées par l’adulte autour

Page 314: La lecture interactive : un contexte propice au ...

295

du développement de la structuration du discours narratif, cela nous permet de voir que les

questions et le soutien de l’adulte en contexte de lecture interactive permettent à l’enfant d’aller

plus loin dans la compréhension et l’organisation causale du discours narratif.

Plusieurs auteurs (Diehl, Benneto et Carter Young, 2006; Losh et Capps, 2003; Tager-Flusberg,

2000) s’entendent pour dire que l’enfant autiste n’utilise pas, dans le récit, le langage dans sa

forme causale, de sorte qu’il produit des rappels descriptifs dans lesquels les composantes

récurrentes du récit ne sont pas liées entre elles. En effet, ces derniers affirment que la

connaissance que l’enfant a de la structure narrative du récit est à mettre en lien avec les

difficultés vécues dans l’expression de la causalité. Veneziano et Hudelot (2009), pour leur part,

affirment que les difficultés vécues par les enfants autistes dans l’établissement de liens de

causalité sont dues, en partie, à celles vécues dans l’attribution d’états internes. Or, les résultats

présentés dans le tableau 51 permettent d’avancer que l’enfant autiste, en contexte de lecture

interactive, pour peu qu’il soit baigné dans une socialisation littéraire où l’adulte promeut les

questions ouvertes et causales, non seulement est capable d’établir des liens de causalité, mais

qu’elle est également capable de faire des relations causales transcomposantes qui sont, d’un

point de vue développemental, les relations causales les plus complexes à établir.

En ce qui a trait à l’intervention de l’adulte en cours de lecture interactive, Veneziano (2016)

mentionne, à la suite d’une intervention menée auprès d’enfants tout-venant, que des discussions

orientées causalement autour du récit permettent à l’enfant d’aller plus loin que la description et,

ainsi, permet l’expression de la causalité. D’ailleurs, dans ces discussions, l’adulte, de par ses

questions, soutient la pensée de l’enfant et facilite le développement de relations causales. C’est

d’ailleurs ce qui a été permis de remarquer dans le tableau 51 où l’enfant fait davantage de

relations causales plus complexes dans les questions auxquelles elle répond que dans ses

interactions spontanées, mais également l’appropriation de cette élaboration causale initialement

Page 315: La lecture interactive : un contexte propice au ...

296

absente dans les interactions spontanées et que l’on voit apparaître lors de la deuxième lecture

interactive100. Ces questions permettent de cibler directement la zone proximale de

développement de l’enfant. De plus, il a été remarqué que, au fil des interventions, l’adulte posait

davantage de questions ouvertes à l’enfant (tableau 48). À ce propos, Veneziano et Hudelot

(2009), ont mentionné que les questions ouvertes favorisent l’expression des composantes

récurrentes et des liens de causalité.

7.2. Décrire et analyser l’intervention en lecture interactive et la progression de l’enfant en

ce qui a trait au développement de la théorie de l’esprit

Les tableaux présentés dans cette section permettent de rendre compte des résultats des analyses

dans le but de répondre à l’objectif spécifique 2, qui est de décrire et d’analyser la progression de

l’enfant et l’intervention en lecture interactive en ce qui a trait au développement de la théorie de

l’esprit, et des deux sous-objectifs qui en découlent. Pour ce faire, l’évolution des composantes de

la théorie de l’esprit énoncées par l’enfant et par l’adulte sera présentée.

7.2.1. Les composantes de la théorie de l’esprit énoncées par l’enfant en cours d’interventions en

lecture interactive

L’analyse de l’énonciation des composantes de la théorie de l’esprit par l’enfant permet de rendre

compte de sa progression au regard de la théorie de l’esprit en contexte de lecture interactive

(sous-objectif 2.a.). Le tableau 52 présente, pour les trois lectures interactives analysées, les états

internes que l’enfant a nommés dans les questions auxquelles elle a répondu et dans ses

interactions spontanées.

100 Il convient de rappeler que cinq mois séparent la première lecture interactive et la seconde analysées dans cette thèse et que l’enfant, entre ces temps de collectes de données, a bénéficié de lectures interactives quotidiennes avec l’intervenante-chercheuse.

Page 316: La lecture interactive : un contexte propice au ...

297

Tableau 52 : Composantes de la théorie de l’esprit énoncées par l’enfant en cours d’interventions en lecture interactive

Récits Unités de sens État physique État interne de type émotionnel

État interne de type intentionnel

État interne de type épistémique

Les oreilles du

roi

Questions cœur auxquelles

l’enfant répond

1 (50 %)

1 (50 %)

Interactions spontanées

1 (50 %)

1 (50 %)

Total : 4 2 (50 %)

2 (50 %)

Raoul Taffin pirate

Questions cœur auxquelles

l’enfant répond

1 (50 %)

2 (33 %)

4 (100 %)

Interactions spontanées

1 (50 %)

4 (67 %)

Total : 12 2 (17 %)

6 (50 %)

4 (33 %)

Nez-Rouge sur la piste de Léonard

Questions cœur auxquelles

l’enfant répond

3 (75 %)

3 (50 %)

3 (60 %)

Interactions spontanées

1 (25 %)

3 (50 %)

2 (40 %)

Total : 15 4 (27 %)

6 (40 %)

5 (33 %)

Dans un premier temps, on remarque que le nombre d’états internes nommés par l’enfant

augmente au fil des interventions passant de quatre pour la première lecture, à 12 pour la seconde

puis à 15 pour la dernière lecture. Dans un deuxième temps, on remarque une progression en ce

qui a trait à la complexité des états internes énoncés par l’enfant. En effet, à la première lecture

interactive, l’enfant a énoncé 50 % (2/4) d’états physiques et 50 % (2/4) d’états internes de type

émotionnel. Dans la seconde lecture interactive, l’enfant a énoncé 17 % (2/12) d’états physiques

et 50 % (6/12) d’états internes de type émotionnel. Il est à noter que, quoique la proportion

d’énonciations demeure égale à la lecture précédente, le nombre de fois que l’enfant a énoncé cet

état interne triple passant de deux à six. L’état interne de type intentionnel, au départ absent, est

énoncé dans 33 % (4/12) des cas pendant la seconde et la dernière lecture interactive. Il convient

également de souligner que, si lors de la deuxième lecture l’enfant énonce les états internes

strictement par l’intermédiaire des questions posées par l’adulte, lors de la troisième lecture,

l’enfant en fait mention également, dans 40 % (2/5), dans ses interactions spontanées, soutenant

Page 317: La lecture interactive : un contexte propice au ...

298

ainsi l’idée de Vygotski (1997/1934) que l’enfant partage d’abord avec l’adulte des capacités

qu’il pourra faire seul par la suite. En ce qui a trait à la dernière lecture interactive analysée,

l’enfant a nommé l’état physique dans 27 % (4/15) des cas. Cette hausse est tributaire d’un des

protagonistes du récit, Léonard, dont la problématique, sentir mauvais, relève d’un état physique.

D’ailleurs, l’enfant aborde la problématique dans 33 % (7/21) de ses interactions autour de ce

récit (voir tableau 49). Toujours dans la troisième lecture interactive, l’enfant discute des états

internes de type émotionnel dans 40 % (6/15) des cas et des états internes de type intentionnel

dans 33 % (5/15) des cas. Il est intéressant de remarquer que l’enfant ne fait jamais mention, en

cours de discussion, de l’état interne de type épistémique, état interne qui se développe très tard

chez l’enfant tout-venant. D’ailleurs, les difficultés vécues par les enfants autistes dans le

développement de la théorie de l’esprit ont un effet sur le développement de cet état interne.

De nombreux auteurs (Baron-Cohen, 1989; Baron-Cohen, et coll., 1997; Baron-Cohen, Leslie et

Frith, 1985; Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001; Lemay, 2004) font état des difficultés des

enfants autistes dans le développement de la théorie de l’esprit et affirment que ces difficultés ont

des répercussions dans la façon dont ces derniers comprennent les récits et interprètent les désirs,

les états internes et les croyances des personnages (Losh et Capps, 2003; Mason, et coll., 2008).

En effet, Baron-Cohen (1989) et Lemay (2004) parlent d’une difficulté pour les enfants autistes à

interpréter les émotions. Or, le tableau 52 présente les types d’états internes énoncés par l’enfant

et l’état interne de type émotionnel est l’état interne nommé dans une plus grande proportion, et

ce, dans chacune des trois lectures interactives analysées. La littérature présente également

l’enfant autiste comme ayant de la difficulté à accorder des croyances et des intentions aux autres

(Baron-Cohen, 1989; Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985). Cependant, le tableau 52 nous permet

de constater que l’enfant, en cours de lecture interactive des récits « Raoul Taffin pirate »

(Moncomble et Pillot, 2001) et « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999),

a énoncé, dans 33 % des cas, l’état interne de type intentionnel associé à l’attribution de

croyances et d’intentions. Il est également intéressant de faire un lien entre le type de questions

répondues par l’enfant et la théorie de l’esprit.

Page 318: La lecture interactive : un contexte propice au ...

299

Si l’on considère la théorie de l’esprit comme étant la capacité à inférer ce que l’autre croit en

fonction de ce qu’il lui arrive et de prédire ce qu’il va faire (Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985;

Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001), il serait possible d’anticiper des difficultés, de la part de

l’enfant autiste, à répondre aux questions ouvertes prospectives qui demandent justement

d’anticiper et de prédire les actions et les émotions des personnages. Or, on remarque, dans le

tableau 48, que l’enfant, à la suite de plusieurs mois d’interventions intensives en lecture

interactive, est capable de répondre adéquatement à ce type de question. En effet, dans la lecture

interactive de « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001), l’enfant répond à 33 % (1/3)

des questions ouvertes prospectives posées et, dans la lecture interactive de « Nez-Rouge sur la

piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999), elle répond à 67 % (2/3) d’entre elles. Ainsi, cela

fait état de la progression de l’enfant, en ce qui a trait à l’énonciation des composantes de la

théorie de l’esprit en contexte de lecture interactive.

7.2.2. Les composantes de la théorie de l’esprit énoncées par l’adulte en cours d’interventions en

lecture interactive

Le tableau 53 présente les composantes de la théorie de l’esprit discutées par l’adulte en cours de

lecture interactive, et ce, lors des questions auxquelles l’enfant a répondu, lors des questions

auxquelles l’enfant n’a pas répondu et lors des interactions spontanées de l’enfant101. Cela permet

de décrire le contexte et le type d’interventions que l’adulte a élaborés dans le discours narratif

autour de la théorie de l’esprit par l’intermédiaire de la lecture interactive (sous-objectif 2.b.).

101 Bien que les interactions spontanées soient amenées par l’enfant, il convient de rappeler que les contributions de l’adulte mises à profit par les initiatives de l’enfant sont également considérées dans ce tableau.

Page 319: La lecture interactive : un contexte propice au ...

300

Tableau 53 : Composantes de la théorie de l’esprit énoncées par l’adulte en cours d’interventions en lecture interactive

Récits Unités de sens État physique État interne de type émotionnel

État interne de type intentionnel

État interne de type épistémique

Les oreilles du

roi

Questions cœur auxquelles

l’enfant répond

2 (33,3 %)

4 (40 %)

4 (67 %)

2 (67 %)

Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas

2 (33,3 %)

5 (50 %)

2 (33 %)

1 (33 %)

Interactions spontanées

2 (33,3 %)

1 (10 %)

Total : 25 6 (24 %)

10 (40 %)

6 (24 %)

3 (12 %)

Raoul Taffin pirate

Questions cœur auxquelles

l’enfant répond

6 (60 %)

Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas

1 (100 %)

Interactions spontanées

2 (100 %)

4 (40 %)

Total : 13 1 (8 %)

2 (15 %)

10 (77 %)

Nez-Rouge sur la piste de Léonard

Questions cœur auxquelles

l’enfant répond

3 (100 %)

1 (50 %)

2 (100 %)

Questions cœur auxquelles l’enfant ne répond pas

1

(50 %)

Interactions spontanées

Total : 7 3 (43 %)

2 (28,5 %)

2 (28,5 %)

Le tableau 53 permet de remarquer que le nombre d’interventions où l’adulte nomme les états

internes en cours de lecture interactive diminue au fil des interventions. En effet, celles-ci passent

de 25 pour la première lecture, à 13 pour la seconde lecture, puis à sept pour la dernière lecture.

Le tableau permet également de rendre compte du type d’interventions élaborées par l’adulte. On

remarque, à la première lecture interactive, que l’adulte a énoncé toutes les composantes de la

théorie de l’esprit alors que l’enfant en a énoncé très peu (tableau 52). En effet, l’adulte discute

de l’état physique dans 24 % (6/25) des cas, de l’état interne de type émotionnel dans 40 %

Page 320: La lecture interactive : un contexte propice au ...

301

(10/25) des cas, de l’état interne de type intentionnel dans 24 % (6/25) des cas et de l’état interne

de type épistémique dans 12 % (3/25) des cas. En ce qui a trait à la lecture interactive de « Raoul

Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001), l’adulte énonce l’état physique dans 8 % (1/13) des

cas, l’état interne de type émotionnel dans 15 % (2/13) des cas et l’état interne de type

intentionnel dans 77 % (10/13) des cas. Ceci est à mettre en lien avec le fait que l’adulte, en cours

de lecture interactive, aborde le but du protagoniste dans une proportion de 25 % (7/28)

(tableau 50). Il est à noter ici qu’aucune intervention de l’adulte n’a touché l’état interne de type

épistémique puisque le schéma de la structuration du récit n’a pas fait ressortir cet état interne

(figure 9). Finalement, en ce qui a trait à la lecture interactive de « Nez-Rouge sur la piste de

Léonard » (Devernois et Pied, 1999), l’adulte discute de l’état interne de type émotionnel dans

43 % (3/7) des cas et de l’état interne de type intentionnel et celui de type épistémique dans

28,5 % (2/7) des cas.

Ainsi, on remarque que l’adulte, bien que plusieurs auteurs aient mentionné les difficultés de

l’enfant autiste dans le développement de la théorie de l’esprit, énonce les états internes lors de la

discussion autour du récit avec l’enfant. D’ailleurs, en lien avec l’intervention propulsant

l’établissement de relations causales, certains auteurs (Veneziano, 2016 ; Veneziano et Hudelot,

2009) mentionnent que cela permet également l’énonciation des états internes. Ainsi, les

discussions orientées causalement autour du récit, comme la lecture interactive, permettent

d’attribuer le statut de cause ou de conséquence aux états internes. Cela a d’ailleurs été remarqué

dans les lectures analysées où l’état interne de type émotionnel est associé à l’émotion négative

inhérente à la problématique. Un lien causal intracomposante est alors à établir, ce que l’enfant a

su faire en cours d’interventions en lecture interactive. L’adulte a également su propulser la

dénomination des composantes de la théorie de l’esprit par l’enfant (tableau 52) en posant

davantage de questions ouvertes (tableau 48), de sorte qu’elle a nommé plus de composantes

récurrentes du récit (tableau 49), qu’elle a fait un plus grand nombre de relations causales ainsi

que plus de relations causales dont le niveau de complexité est grand (tableau 51).

Page 321: La lecture interactive : un contexte propice au ...

302

7.3. Décrire l’interrelation entre la structure narrative et la théorie de l’esprit en contexte

de lecture interactive

Le tableau présenté dans cette section permet de rendre compte des résultats des analyses dans le

but de répondre à l’objectif spécifique 3, qui est de décrire l’interrelation entre la structure

narrative et la théorie de l’esprit en contexte de lecture interactive, et des deux sous-objectifs qui

en découlent. Le sous-objectif 3.a. est de mettre en lien la progression de l’enfant dans la

compréhension de la structure narrative ainsi que dans le développement de la théorie de l’esprit.

Le sous-objectif 3.b. est de décrire comment le contexte de lecture interactive et le type

d’interventions élaborés autour du discours narratif sont interreliés à ceux élaborés autour de la

théorie de l’esprit. Pour ce faire, toutes les unités de sens dans lesquelles l’enfant a énoncé des

composantes de la théorie de l’esprit ont été ressorties des questions cœur auxquelles elle a

répondu et de ses interactions spontanées. Pour chaque unité de sens, le type de question posée, si

cela s’appliquait, a été nommé. Par la suite, si l’unité de sens comprenait des composantes

récurrentes énoncées par l’enfant ou des relations causales faites par l’enfant, cela a été inscrit au

tableau. Finalement, le type d’état interne énoncé a été nommé.

Tableau 54 : Interrelation entre la structure narrative et la théorie de l’esprit en contexte de lecture interactive

Récit Catégorie Extrait Type de questions [et composante

récurrente visée]

Composantes récurrentes

énoncées par l’enfant

Type de relation

causale faites par l’enfant

Composante de la théorie de

l’esprit énoncées par l’enfant

Les oreilles du roi

Questions auxquelles

l’enfant répond

1- Est-ce qu’i’ veut que tout le monde sache

son secret le roi?

Question fermée oui/non (oui)

[but]

État interne de type émotionnel

2- Pourquoi il s’est évanoui?

Question ouverte rétrospective (non) [émotion / tentative

d’action]

Tentatives d’action

État physique

Interactions spontanées

3- « Pourquoi? » « Pourquoi ça le

tracasse? » « Pourquoi? »

« J’veux le faire, ok? »

[problématique] État interne de type émotionnel

4- « Des yeux » « Moi j’ai vu des

yeux moi »

[solution] État physique

Page 322: La lecture interactive : un contexte propice au ...

303

Récit Catégorie Extrait Type de questions [et composante

récurrente visée]

Composantes récurrentes

énoncées par l’enfant

Type de relation

causale faites par l’enfant

Composante de la théorie de

l’esprit énoncées par l’enfant

Raoul Taffin pirate

Questions auxquelles

l’enfant répond

5- Qu’est-ce qu’i’ veulent?

Question ouverte rétrospective (oui)

[but]

But Tentative d’action

Inter-composantes

État interne de type intentionnel

6- Pourquoi? Question ouverte rétrospective (oui) [sous-problème]

Sous-problème Sous-émotion

négative

Intra-composantes

État interne de type émotionnel

7- Qu’est-ce qu’i’ cherche déjà lui?

Question ouverte rétrospective (oui)

[but]

But Inter-composantes

État interne de type intentionnel

8- Qu’est-ce qu’il leur arrive?

Question ouverte prospective (oui) [sous-problème]

Sous-problème Sous-but

Inter-composantes

État interne de type intentionnel

9- Comment ils se sentent tu crois?

Question fermée rétrospective (oui) [sous-émotion -]

Sous-émotion négative

État interne de type émotionnel

10- Qu’est-ce qu’on peut faire un coup qu’on

a réussi notre mission?

Question ouverte prospective (non)

[solution]

But Sous-problèmes

(2) Sous-but

Sous-solution

Intra-composantes

Inter-composantes

État physique État interne de

type intentionnel

Interactions spontanées

11- « I’ a d’l’air content. »

« Raoul Taffin en colère. »

« P’is la madame? » « A’ fait quoi? » « Quand elle voit

Mélissa? »

[sous-problème] Sous-problème Sous-émotion

négative

Intra-composante (3)

Inter-composante

État physique État interne de

type émotionnel (3)

12- « Ils sont pas contents les pirates,

hein? » « Oui ils sont contents. »

[émotion +] Émotion positive Intra-composante

Inter-composante

État interne de type émotionnel

Nez-Rouge sur la

piste de Léonard

Questions auxquelles

l’enfant répond

13- Qu’est-ce qu’elle lui dit tu crois?

Question ouverte prospective (oui) [problématique]

Problématique Intra-composantes

État physique

14- Elle lui a dit quoi? Question ouverte rétrospective (oui) [problématique]

Problématique Intra-composantes

État physique

15- Tu vas être triste? Pourquoi?

Question ouverte rétrospective (non) [tentative d’action]

État interne de type émotionnel

16- I’ veulent quoi eux? Question ouverte rétrospective (oui)

[but]

But Inter-composantes

État interne de type intentionnel

17- Comment ils se sentent?

Comment ça se fait?

Question ouverte rétrospective (oui) [émotion – / but]

Problème Émotion négative

But

Inter-composantes

État interne de type émotionnel État interne de

type intentionnel 18- Qu’est-ce qu’i’ fait

là dans la baignoire de Lili? Pourquoi?

Question ouverte rétrospective (oui)

[problématique / but / solution]

Problèmes (2) But

Solution Émotion positive

Inter-composantes

Trans-composantes

État physique État interne de

type émotionnel État interne de

type intentionnel Interactions spontanées

19- « I’ sont contents? » « [Ils se sentent]

tristes »

[émotion - / but] Problème Émotion négative

But

Inter-composantes

État interne de type émotionnel

(2) État interne de

type intentionnel 20- « I’ a de la peine? »

« Pourquoi? » [émotion -] Problème

Émotion négative Intra-

composante État physique État interne de

type émotionnel 21- « Qu’est-ce qu’a’

fait? Qu’est-ce qu’i’ va dire? »

[tentative d’action] But Tentatives d’action

Inter-composantes

État interne de type intentionnel

Page 323: La lecture interactive : un contexte propice au ...

304

Dans le but de répondre au sous-objectif 3.a., on remarque que l’enfant progresse en ce qui a trait

à l’énonciation des composantes récurrentes et à l’établissement des liens causaux permettant la

compréhension de la structure narrative et qu’elle progresse également dans le développement de

la théorie de l’esprit, notamment en ce qui a trait à l’énonciation des états internes des

personnages. Ainsi, dans le tableau 54, on remarque que, pour la lecture interactive du récit « Les

oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011) (extraits 1 à 4), parmi les 13 unités de sens faisant

partie des catégories où l’enfant répond ainsi que les interactions spontanées, l’enfant énonce

quatre états internes, qu’une seule composante récurrente et ne fait aucune relation causale. Dans

la lecture interactive du récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001) (extraits 5 à

12), parmi les 21 unités de sens faisant partie des catégories où l’enfant répond ainsi que les

interactions spontanées, l’enfant nomme 12 états internes, 18 composantes récurrentes du récit et

fait 12 relations causales. Dans la lecture interactive du récit « Nez-Rouge sur la piste de

Léonard » (Devernois et Pied, 1999) (extraits 13 à 21), parmi les 14 unités de sens faisant partie

des catégories où l’enfant répond ainsi que les interactions spontanées, l’enfant nomme 15 états

internes, 18 composantes récurrentes du récit et fait neuf relations causales dont une relation

causale transcomposantes qui, rappelons-le, est la relation causale la plus complexe à construire.

Il est également à noter que la hausse de la participation de l’enfant en cours de lecture interactive

permet de penser que l’enfant est en situation d’intersubjectivité et d’attention conjointe avec

l’adulte et que ces deux concepts, rappelons-le, sont jugés par plusieurs auteurs comme étant

déficitaires chez l’enfant autiste (Baron-Cohen, 1989; Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001;

Charman, 2003; Claudon, et coll., 2008; Lemay, 2004; Nadel, 2005; Plumet et Veneziano, 2014b;

Rogers, Hepburn, Stackhouse et Wehner, 2003). De plus, de par la hausse de ses interactions

spontanées, il est possible de penser que l’enfant manifeste son désir de nourrir cette relation de

proximité et de partage avec l’adulte.

En ce qui a trait au sous-objectif 3.b., le tableau 54 permet de rendre compte qu’en cours

d’intervention en lecture interactive, l’énonciation d’états internes, en lien avec les composantes

récurrentes du récit, permet la construction de liens causaux. Par exemple, lorsque l’enfant a eu à

énoncer l’émotion négative inhérente à la problématique du récit, l’enfant a fait un lien causal

intracomposante (extraits 6, 11, 12 et 20) ou un lien causal intercomposantes (extraits 17 et 19)

Page 324: La lecture interactive : un contexte propice au ...

305

puisque l’émotion négative a été liée à la problématique ainsi qu’au but. À une seule occasion,

l’émotion négative liée à la problématique n’a pas permis la construction d’une relation causale

(extrait 9) et cela est dû au type de question posée par l’adulte, une question fermée rétrospective,

qui n’a pas permis à l’enfant d’établir la relation causale. On remarque également que, lorsque

l’enfant a eu à énoncer le but ou les sous-buts des protagonistes, elle a construit, du même coup,

un lien causal intercomposantes les liant à la problématique ou au sous-problème des personnages

(extraits 5,7, 8,10, 16,17, 18,19 et 21). Il est aussi intéressant de remarquer, au sein des unités de

sens faisant partie de la lecture de « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied,

1999) présentés dans le tableau 54, que la problématique de Léonard le rhinocéros est liée à un

état physique (sentir mauvais)102, de sorte que l’enfant, en énonçant cet état physique, a fait des

liens causaux intracomposantes (extraits 13, 14 et 20). Cependant, il est à noter que, d’emblée, la

présence de l’état physique dans la discussion autour du récit n’amène pas la construction d’un

lien causal et que cette situation est propre au récit lu. Ainsi, on remarque que la construction de

liens causaux autour du récit en situation de lecture interactive est favorisée par des questions

amenant l’enfant à énoncer un état interne lié à certaines parties du schéma de structuration du

récit telle l’émotion négative inhérente à la problématique (lien causal intracomposante) et le but

(lien causal intercomposante).

Sur les 14 questions auxquelles l’enfant a répondu ayant permis l’énonciation de composantes de

la théorie de l’esprit présentes dans le tableau 54, 86 % (12/14) sont des questions ouvertes et

14 % (2/14) sont des questions fermées. Parmi les questions ouvertes rétrospectives posées, deux

(extraits 2 et 15) n’ont pas été répondues adéquatement et ces deux questions n’ont pas permis à

l’enfant de faire des relations causales. Une question ouverte prospective (extrait 10) n’a pas été

répondue adéquatement, mais l’enfant a pu faire des relations causales en y répondant. Les neuf

questions ouvertes posées ayant permis l’énonciation de composantes de la théorie de l’esprit

pour lesquelles l’enfant a répondu adéquatement (extraits 5, 6, 7, 8, 13, 14, 16, 17 et 18), ont

102 Il est à noter que, dans ce récit, il y a deux problématiques qui s’opposent de sorte que les extraits 13 à 21 présents dans le tableau peuvent référer tant à la problématique de Léonard le rhinocéros qu’à celles vécues par Taille-de-Mouche et par Nez-Rouge.

Page 325: La lecture interactive : un contexte propice au ...

306

toutes permis à l’enfant d’énoncer des états internes, des composantes récurrentes du récit ainsi

que de faire des relations causales. Ces résultats permettent de corroborer ceux avancés par

Veneziano et Hudelot (2009) qui ont affirmé que les questions ouvertes amènent l’expression des

composantes récurrentes du récit, des relations causales et des états internes. L’une des

contributions de cette thèse est de tracer et de préciser explicitement le lien entre l’énonciation

des états internes et la construction de liens causaux dans le récit.

7.4. Les implications pédagogiques

Tout au long des chapitres d’analyse précédents, on remarque un souci constant de faire

circonscrire les interventions efficaces de l’adulte permettant le développement de la structuration

du discours narratif (sous objectif 1.b.) et de la théorie de l’esprit (sous-objectif 2.b.) chez

l’enfant, et ce, dans le but d’amorcer une modélisation des interventions efficaces en lecture

interactive permettant à l’enfant autiste de progresser au regard de ces deux concepts (sous-

objectif 1.a. et 2.a.).

Il appert ici que les résultats de la thèse permettent d’avancer quatre grandes lignes directrices

pour concevoir les interventions pédagogiques en cours de lecture interactive.

1- Il semble que, au départ, les questions fermées aient été nécessaires afin d’amener l’enfant

à participer à la discussion, les questions ouvertes l’amenant souvent à ne pas répondre ou

à éviter la question. Ceci rejoint les conclusions de Milburn, Girolametto, Weitzman et

Greenberg (2014) affirmant que les questions fermées peuvent permettre l’engagement

des enfants en cours de lecture.

2- Toutefois, dès le départ, les questions ouvertes demeurent essentielles, car les résultats de

cette thèse montrent comment l’enfant autiste est parvenu à répondre de plus en plus à

cette exigence cognitive, voire à s’approprier, dans ses interactions spontanées, le type de

questions préalablement partagées avec l’adulte. Ces résultats rejoignent, d’une part, les

Page 326: La lecture interactive : un contexte propice au ...

307

travaux de Vygotski concernant la zone proximale de développement (1997/1934), ainsi

que ceux de Makdissi et coll. (2010) eu égard au développement d’une zone

d’intersubjectivité littéraire et ceux de van Kleeck (2010) quant à l’importance d’une

socialisation à la littératie. En effet, il est possible de penser que l’exposition fréquente et

soutenue aux questions ouvertes, et ce, dès le début des interventions, permet à l’enfant de

mieux les appréhender et de se les approprier. Ainsi, ces questions propices à la

compréhension chez le lecteur expert pourront se retrouver plus tard dans les interactions

spontanées de l’enfant.

3- Les questions ouvertes posées en cours d’interventions en lecture interactive ont permis à

l’enfant, lorsque répondues adéquatement, de cibler des composantes récurrentes du récit,

de nommer des états internes des personnages et de faire des relations causales.

4- De plus, l’analyse des questions posées a permis de réaliser que les questions ouvertes de

l’adulte sollicitant l’expression des marques de la théorie de l’esprit liées aux

composantes récurrentes du récit, telles que l’état interne de type émotionnel et l’émotion

négative inhérente à la problématique ou l’état interne de type intentionnel et le but des

protagonistes, impliquaient l’expression de relations causales permettant la construction

de différentes composantes du récit.

Il est possible de penser, à la suite de la présentation des analyses, que le rôle de médiatrice et de

guide qu’a tenu l’adulte en cours de lecture interactive a permis à l’enfant de s’approprier la

démarche et de pousser plus loin sa compréhension des récits. Le travail dans cette zone

d’intersubjectivité littéraire (Makdissi et coll., 2010) a permis à l’enfant de s’approprier les

questionnements de l’adulte et a fait en sorte, en cours d’année d’interventions, que l’enfant a

commencé à construire de façon causale et complexe sa compréhension du récit. En lien avec le

fait que l’entrée dans la littératie est un apprentissage social (Van Kleeck, 2008, 2010), il est

possible de remarquer au fil des expériences, que la façon dont l’enfant a abordé le livre s’est

complexifiée, et ce, en grande partie grâce à son interaction avec l’adulte.

Page 327: La lecture interactive : un contexte propice au ...

308

7.5. Contributions scientifiques et limites du projet

Le projet de recherche doctoral est une étude de cas exploratoire dont la méthodologie qualitative

présente un processus de création de catégories. Le projet de recherche est à la fois original et

novateur et, évidemment, il comprend des limites importantes. Il contribue à quelques égards à la

littérature scientifique dans le domaine de la littératie chez l’enfant autiste.

Les résultats de la thèse permettent :

1- De faire la démonstration des habiletés de l’enfant autiste à identifier des émotions

d’autrui par l’intermédiaire des personnages fictifs véhiculés dans les récits, contrairement

à l’idée répandue dans la littérature (Baron-Cohen, 1989; Lemay, 2004).

2- De faire la démonstration qu’avec le soutien de l’adulte, l’enfant autiste parvient à faire

une lecture des intentions et des buts des personnages contrairement à ce qui a été

véhiculé dans la littérature (Baron-Cohen, 1989; Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985; Losh

et Capps, 2003; Mason, et coll., 2008) et en conformité avec les propos de Veneziano et

Hudelot (2009).

3- De faire la démonstration que les questions de l’adulte autour d’un récit qui promeut la

théorie de l’esprit permettent l’expression de relations causales et de composantes

récurrentes du récit comme l’affirment Veneziano et Hudelot (2009). La contribution de

cette thèse tient en la précision de ces liens.

4- De discuter de la possibilité et de l’importance d’établir une zone d’intersubjectivité avec

l’enfant autiste, notamment autour du livre, et la démonstration de l’harmonisation entre

les exigences de l’adulte, l’appropriation de raisonnements causaux et des éléments de la

théorie de l’esprit qu’élabore l’enfant autiste avec le temps contrairement à ce que

quelques auteurs ont affirmé (Diehl, Benneto et Carter Young, 2006; Lemay, 2004; Losh

et Capps, 2003; Tager-Flusberg, 2000).

Page 328: La lecture interactive : un contexte propice au ...

309

Toutefois, certaines limites du projet doctoral doivent être soulignées.

1- Une première limite à considérer est le fait qu’il s’agit d’une étude de cas dont les

résultats sont reconnus pour ne pas être généralisables empiriquement puisqu’ils

proviennent d’une entité singulière qui vit dans un contexte précis. Selon plusieurs

chercheurs, l’étude de cas ne peut être qualifiée d’exemplaire vu la singularité de

l’humain et l’hétérogénéité clinique de l’autisme (Plumet et Veneziano, 2009).

Cependant, bien que ce « type d’échantillon » ne permette pas la généralisation à

proprement dit, elle permet une généralisation théorique (Pires, 1997; Yin, 1984). Yin

(1984) et Pires (1997) affirment que l’étude de cas n’empêche pas la généralisation, mais

qu’elle empêche le fait que l’on puisse tout généraliser de la situation. Ainsi, dans le cas

de l’expérimentation d’un modèle d’intervention, l’étude de cas fait ressortir les forces et

les lacunes du modèle, de sorte qu’il puisse être reproduit ultérieurement dans un contexte

plus généralisable, si ce n’est que sous l’angle statistique. De plus, les éléments apportés

par l’étude de cas peuvent permettre d’enrichir ou de nuancer des propos théoriques déjà

existants (Mucchielli, 2009). De plus, le fait que ce projet de recherche ne mette en scène

qu’un seul sujet a permis de se pencher avec précision sur les éléments permettant de

démontrer son évolution développementale en ce qui a trait à la structuration du discours

narratif ainsi que la théorie de l’esprit, et ce, tout en prenant soin de le situer à l’intérieur

des interactions précises avec l’adulte (tout en considérant la force ou la faiblesse

théorique des interventions). En ce qui concerne la description des interventions faites par

l’adulte, bien que le projet se soit déroulé avec un seul sujet ce qui ne permet pas de

présenter une grande variété de styles d’interventions, le projet a permis de présenter

l’évolution de l’intervention de l’adulte en fonction de celle de l’enfant. Il a permis de

mettre l’accent sur cette proximité que la médiation apporte et qui permet de rester dans la

zone proximale de développement de l’enfant et de circonscrire les lignes directrices pour

modéliser les interventions qui ont été efficaces.

2- Une seconde limite à l’étude peut être retenue, c’est-à-dire le fait que l’intervention ait été

dispensée par une seule personne et que celle-ci joue également le rôle de chercheuse.

Cette posture de praticienne chercheuse (De Lavergne, 2007) peut faire en sorte, lors de

l’analyse des données d’intervention en cours de processus de production de catégories,

que l’adulte ait des difficultés à prendre une distance critique face à l’intervention

Page 329: La lecture interactive : un contexte propice au ...

310

(Albarello, 2003), ce qui peut amener un conflit des rôles (Miles et Huberman, 2003,

Mucchielli, 2009). Cependant, des précautions méthodologiques ont été mises en place

telle que l’ajout d’un second juge pour contrôler l’effet personnel qu’aurait la présence de

la praticienne lors du processus d’analyse (Albarello, 2003; Gagnon, 2012; Poisson, 1991)

et pour permettre une distanciation par rapport à l’expérimentation (Miles et Huberman,

2003; Van der Maren, 2003). De plus, lors de la première étape du processus d’analyse,

les données sous forme de vidéoscopies ont été transcrites sous forme de verbatim

(Poisson, 1991), ce qui a permis non seulement de partager les données avec la seconde

juge, mais également de créer une distance entre les interventions dispensées et les

données analysées par la praticienne chercheuse permettant ainsi de réduire les risques

d’effet miroir où le jugement aurait pu être altéré (Van der Maren, 2003). Il est à noter

que plusieurs mois se sont écoulés entre l’année d’expérimentation et le moment de

l’analyse de sorte que la praticienne chercheuse a pu prendre une distance critique face

aux interventions déployées. Il n’en demeure pas moins que le fait qu’une seule personne

ait réalisé l’intervention lui confère un caractère personnel et singulier. Cependant, ce

contexte bien précis a permis de faire des descriptions détaillées de l’intervention et de

l’effet qu’a eu cette dernière sur la progression de l’enfant en conformité avec les

objectifs de recherche circonscrits.

3- Une troisième limite réside dans le fait que les trois récits sélectionnés aux fins d’analyse

sont singuliers et réfèrent à des contextes situés dont le degré de complexité et l’univers

qui y est exploité sont des variables qui peuvent influencer la compréhension de l’enfant.

Le seul contrôle qui peut être exercé sur ces variables est qu’une analyse logique de

chaque récit a été produite103. Ainsi, il est impossible d’affirmer à quel point la

complexité du langage, la structure du récit ou l’univers en toile de fond de la trame

narrative peuvent avoir influencé les propos partagés avec l’enfant.

103 L’analyse logique des trois récits lus a été présentée au début des chapitres d’analyses des lectures interactives (chapitres quatre, cinq et six).

Page 330: La lecture interactive : un contexte propice au ...

311

Bien que la discussion de la thèse propose des lignes directrices pour amorcer la modélisation

d’une intervention exemplaire présentant les types de questions et la forme de médiation la plus

porteuse à offrir en cours de lecture interactive, celle-ci a été élaborée à la suite de données

recueillies dans un contexte précis avec une seule enfant et une seule praticienne chercheuse. Ce

modèle d’intervention s’appuyant sur un cadre théorique précis et rigoureux présente une validité

théorique, mais le résultat de l’effet de l’intervention demeure à être confirmé par des travaux

ultérieurs. Ainsi, malgré les limites présentées, la méthodologie demeure pertinente et le modèle

d’intervention et d’analyse par création de catégories développées demeurent utilisables et

devront être validés dans d’autres contextes et auprès d’un échantillon plus grand et dont les

sujets présentent des caractéristiques variées.

7.6. Avenues prospectives de recherche

L’étude de cas présentée a offert la possibilité d’apprendre beaucoup tant sur l’autisme que sur le

développement de l’enfant. Le projet doctoral, ainsi réalisé, a permis l’analyse en profondeur

d’un phénomène dans son contexte (Gagnon, 2012). Cette réflexion sur les pratiques éducatives

auprès des élèves autistes est le point de départ d’une conceptualisation qui, dans une portée

pragmatique, répondrait aux besoins des intervenants et des enseignants en adaptation scolaire et

sociale. Au regard des résultats du présent projet doctoral et en fonction de la dimension

prospective et évolutive qu’elle sous-tend, des suites sont envisageables dans le but de voir si,

dans un contexte différent et avec des participants différents, de tels résultats pourraient être

attendus.

Des ouvertures de recherches en collaboration avec des enseignants en adaptation scolaire et

sociale sont à prévoir pour la suite du projet. Il serait intéressant de déployer le même type

d’interventions intensives en lecture interactive au sein d’une classe spéciale accueillant des

élèves ayant un trouble du spectre de l’autisme, et ce, dans le but de déterminer si cette

modélisation d’intervention est efficace dans une optique généralisable. Ainsi, deux groupes

d’enfants autistes pourraient être approchés, un auprès de qui les interventions présentées dans la

Page 331: La lecture interactive : un contexte propice au ...

312

thèse seraient déployées (groupe expérimental) et l’autre qui agirait à titre de groupe témoin. Des

mesures pré et post intervention seraient prises avec les deux groupes. L’objectif serait, d’une

part, de décrire la progression de chaque enfant au regard de la théorie de l’esprit et de la

structuration du récit en contexte de lecture interactive quotidienne, et, d’autre part, de déterminer

si ce type d’expérimentation pourrait permettre de discuter qualitativement des interactions entre

les élèves en classe, et ce, au regard des deux mêmes critères et en utilisant la méthodologie ainsi

que les catégories d’analyse crées pour la thèse. Pour ce faire, il serait intéressant de prolonger

avec ces deux groupes des mesures en dehors du contexte de lecture interactive (par exemple lors

de conflits sociaux ou en période de jeu) dans le but de savoir si les enfants autistes du groupe

expérimental font une meilleure lecture des conduites émotionnelles et intentionnelles que ceux

du groupe témoin. Ceci permettrait de discuter des possibilités de transférer les apprentissages

faits pendant la lecture interactive à d’autres contextes de la vie quotidienne.

La praticienne chercheuse est également interpellée par la dimension ontogénique de la

recherche, c’est-à-dire par une réflexion sur sa propre action dans le but d’innover et de

construire des théories qui conviennent aux besoins des intervenants et des enseignants en

adaptation scolaire pour ainsi, dans le futur, utiliser ce type d’intervention pour avoir une

incidence sur le monde politique et institutionnel (De Lavergne, 2007; Van der Maren, 2003).

Ainsi, au-delà de valider les retombées de l’intervention en lecture interactive auprès d’un groupe

classe, ce type de projet pourrait permettre de construire, en collaboration avec les partenaires du

milieu, un cadre d’implantation de l’intervention ainsi qu’un modèle théorique riche permettant

d’intervenir sur les construits scolaires et sociaux des élèves autistes. Cela permettrait d’agir, de

façon complexe et signifiante sur les constats faits par le MELS (2007) au sujet des élèves

autistes.

Dans une visée nomothétique, la chercheuse vise la production de connaissances théoriques en

lien avec l’étude de cas présentée. Ainsi, un projet de recherche de cette envergure aurait des

incidences pédagogiques en ce qui a trait à l’intervention auprès de l’enfant autiste, mais pourrait

Page 332: La lecture interactive : un contexte propice au ...

313

aussi avoir des incidences en ce qui a trait à la formation des maitres. Non seulement le projet a

permis de porter un regard nouveau sur l’enfant autiste, mais il a aussi permis d’explorer une

nouvelle façon de voir la lecture interactive, soit en liant à l’énonciation des composantes

récurrentes du récit et à la construction de liens causaux l’énonciation des composantes de la

théorie de l’esprit.

Page 333: La lecture interactive : un contexte propice au ...

314

Conclusion

Le projet de recherche doctorale s’inscrit dans une perspective socioconstructiviste et

développementale dans laquelle le développement de l’enfant est présenté selon une approche

systémique pour laquelle chaque concept est tributaire des précédents et donc précurseur des

suivants. L’objectif principal de la thèse est de décrire la portée potentielle d’interventions

intensives en lecture interactive faites en interaction et en intersubjectivité avec une enfant autiste

de onze ans autour de l’objet complexe qu’est l’album de littérature jeunesse. Le projet s’est

déroulé au domicile familial de l’enfant pendant dix mois au cours desquels des interventions en

lecture interactive quotidiennes ont été réalisées. Dans cette étude de cas, une méthodologie

qualitative et inductive a été utilisée dans le but de permettre la création de catégories d’analyse.

Les catégories créées ont permis de décrire les interventions de l’adulte et la progression

développementale de l’enfant en cours d’intervention, et ce, au regard de deux sphères de

développement soit la structuration du discours narratif et le développement de la théorie de

l’esprit.

Les analyses ont permis de décrire la progression développementale de l’enfant au regard de la

structuration du discours narratif par la hausse des questions répondues adéquatement et des

interactions spontanées. L’enfant a également, au fil des interventions, augmenté le nombre de

composantes récurrentes énoncées ainsi que le nombre et la complexité des relations causales

faites. De plus, entre les trois temps d’analyse, il a été possible de décrire la progression

développementale de l’enfant au regard du développement de la théorie de l’esprit par la hausse

du nombre et de la complexité des états internes énoncés. En ce qui a trait à la description du

contexte d’intervention, il a été possible de mettre en lien la hausse des questions ouvertes posées

par l’adulte et répondues adéquatement par l’enfant avec la hausse du nombre de composantes

récurrentes du récit énoncées, la hausse et la complexité des relations causales faites entre ces

dernières ainsi que la hausse et la complexité des composantes de la théorie de l’esprit énoncées.

Ainsi, l’analyse des données d’intervention a permis d’avancer que l’enfant a énoncé des états

internes majoritairement en réponse à des questions ouvertes rétrospectives et prospectives. Au

sein de ces réponses, l’enfant a énoncé des composantes récurrentes du récit et a construit des

Page 334: La lecture interactive : un contexte propice au ...

315

relations causales. Il a même été possible de tracer un lien entre certaines composantes

récurrentes du récit et certains états internes, tels que l’émotion négative liée à la problématique

et l’état interne de type émotionnel, ainsi que le but et l’état interne de type épistémique. En ce

sens, on peut penser que le contexte de lecture interactive peut permettre de discuter des

composantes récurrentes du récit, ainsi que permettre de travailler directement les composantes

de la théorie de l’esprit. Ainsi, on peut affirmer que le développement de la structure narrative et

le développement de la théorie de l’esprit sont interreliés.

Ce projet doctoral crée un apport théorique intéressant en ce qui a trait à l’intervention dispensée

auprès des enfants autistes. D’une part, plusieurs auteurs mentionnent les difficultés et les retards

de l’enfant autiste en ce qui a trait à la théorie de l’esprit, notamment en ce qui a trait à évoquer

les émotions des autres (Baron-Cohen, 1989; Lemay, 2004), à attribuer des croyances et des

intentions (Baron-Cohen, 1989; Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985; Losh et Capps, 2003; Mason,

et coll., 2008), ainsi qu’à considérer les points de vue des autres (Baron-Cohen, 2009; Plumet et

Veneziano, 2014a). D’autre part, la littérature mentionne également une grande difficulté en ce

qui a trait à l’élaboration de liens causaux à l’intérieur du discours narratif, de sorte que les

enfants autistes produisent davantage de récits descriptifs (Diehl, Benneto et Carter Young, 2006;

Losh et Capps, 2003; Tager-Flusberg, 2000). Finalement, les auteurs mentionnent également un

retard précoce et important en ce qui a trait au développement de l’attention conjointe (Baron-

Cohen, 1989; Charman, 2003; Lemay, 2004; Plumet et Veneziano, 2014b; Rogers, Hepburn,

Stackhouse et Wehner, 2003) et de l’intersubjectivité (Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001;

Charman, 2003; Claudon, et coll., 2008; Lemay, 2004; Nadel, 2005). Cependant, dans le cadre de

cette étude de cas, les résultats démontrent que, grâce au contexte d’intervention en lecture

interactive élaboré par l’adulte, l’enfant autiste nomme davantage les composantes récurrentes du

récit ainsi que les états internes des personnages et utilise les liens explicatifs de causalité entre

les composantes récurrentes du récit ainsi qu’entre les composantes récurrentes du récit et les

états internes. Il a été affirmé, par la hausse des questions répondues adéquatement, que l’enfant

entre en situation d’attention conjointe et en relation d’intersubjectivité avec l’adulte. De plus, par

la hausse des interactions spontanées de l’enfant en cours de lecture interactive, il est possible de

Page 335: La lecture interactive : un contexte propice au ...

316

remarquer que cette dernière suscite davantage par elle-même les moments d’attention conjointe

avec l’adulte et nourrit la relation intersubjective.

Comme démontré auprès d’enfants tout-venant par Makdissi (Makdissi, 2004; Makdissi et

Boisclair, 2006a, 2006b, 2008; Makdissi et coll. 2008; Makdissi et coll., 2010), en ce qui a trait

au développement structurel et causal du récit, et par Veneziano (Veneziano 2016; Veneziano et

Hudelot, 2009), en ce qui a trait à la théorie de l’esprit, une intervention utilisant la discussion

orientée causalement autour d’un objet, tel que la lecture interactive, peut amener l’enfant au-delà

de la description dans la construction de sens et de causalité. Cette étude de cas aura donc permis

de démontrer, dans un contexte précis et auprès d’un sujet unique, qu’une intervention complexe

en lecture interactive aura permis à l’enfant autiste de progresser en ce qui a trait au

développement de son discours narratif et de la théorie de l’esprit, déjouant ainsi les critères

diagnostiques de l’autisme. De plus, tout comme plusieurs auteurs l’ont affirmé (Baron-Cohen,

2009; Chamak et Cohen, 2003; Plumet et Veneziano, 2014a; Thommen et Guidoux, 2011), ce

projet fait également la preuve que l’enfant autiste continue de se développer et de progresser tout

au long de sa vie.

Malgré les limites énoncées, l’étude de cas telle que présentée a permis de corroborer ce que

Chamak et Cohen (2003) ont affirmé, c’est-à-dire que, vu la singularité de l’autisme, la

« solution » permettant de repousser ses limites réside dans l’adaptation à chaque cas.

L’intervention en lecture interactive axée sur le raisonnement et la construction de sens,

contrairement aux tâches décontextualisées présentées dans les milieux scolaires, a permis à

l’enfant de progresser. De plus, l’apport de l’intervention en lecture interactive comme une

activité sociale permettant à l’adulte de jouer son rôle de médiateur et de s’adapter à la zone

proximale de développement de l’enfant est à considérer. Dans un futur proche, cette intervention

pourra être réalisée dans les milieux scolaires dans le but non seulement de valider sa faisabilité

et sa méthodologie auprès d’un groupe d’élèves autistes, mais aussi de pousser encore plus loin

l’importance de l’intelligence sociale (Tomasello, 2011, 2015) et d’augmenter les opportunités

Page 336: La lecture interactive : un contexte propice au ...

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d’apprentissages sociaux, complexes et signifiants chez ces élèves, et ce, dans le but de stimuler

la construction des savoirs et la compréhension des liens de causalité, ce qui aurait des

répercussions sur le développement des construits scolaires et de la pensée réflexive des enfants

autistes.

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