La Guerre - Épreuve littéraire Prépas scientifiques ... · LA GUERRE Épreuve littéraire....

30
Coordonné par Christine Seutin LA GUERRE Eschyle-Clausewitz-Barbusse Epreuve littéraire prépas scientifi ques Concours 2015-2016 Tout- en-un Résumé et analyse des œuvres Étude du thème dans les œuvres Les citations à retenir Les textes à connaître Méthodologie des épreuves + 15 sujets corrigés : dissertations et résumés

Transcript of La Guerre - Épreuve littéraire Prépas scientifiques ... · LA GUERRE Épreuve littéraire....

Coordonné par Christine Seutin

LA GUERREEschyle-Clausewitz-Barbusse

Epreuve littéraire prépas scientifi quesConcours 2015-2016

Tout-en-un➔ Résumé et analyse des œuvres

➔ Étude du thème dans les œuvres

➔ Les citations à retenir

➔ Les textes à connaître

➔ Méthodologie des épreuves

+ 15 sujets corrigés : dissertations et résumés

LA GUERRELA GUERRELA GUERRE

Épreuve littéraire. Prépas scientifiques

Coordonné par Christine Seutin

Eschyle – Clausewitz – Barbusse

Emmanuel BlondelChristine Seutin

Marie-Gabrielle SlamaJacqueline Zorlu

Avec la collaboration deLaurent Miclot et Pascale Miclot

ISBN 978-2-311-40045-8

La loi du 11 mars 1957 n’autorisant aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions stricte-ment réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consen-tement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduc-tion, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. Le « photocopillage », c’est l’usage abusif et collectif de la photocopie sans autorisation des auteurs et des éditeurs. Largement répandu dans les établissements d’enseignement, le « photocopillage » menace l’avenir du livre, car il met en danger son équilibre économique. Il prive les auteurs d’une juste rémunération. En dehors de l’usage privé du copiste, toute reproduction totale ou partielle de cet ouvrage est interdite.Des photocopies payantes peuvent être réalisées avec l’accord de l’éditeur. S’adresser au Centre français d’exploitation du droit de copie : 20 rue des Grands Augustins, F-75006 Paris. Tél. : 01 44 07 47 70

© Magnard-Vuibert – juin 2014 – 5 allée de la 2e DB, 75015 ParisSite internet : http://www.vuibert.fr

III

Sommaire

LA GUERRE. INTRODUCTION AU THÈME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

Partie I. Analyses des œuvres

LES PERSES, ESCHYLE (472 AV. J.-C.) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

DE LA GUERRE, CLAUSEWITZ (1832) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59

LE FEU, HENRI BARBUSSE (1916) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103

Partie II. La guerre

ÉTUDE TRANSVERSALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147

CITATIONS À RETENIR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204

Partie III. Conseils de méthode

LE RÉSUMÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .211

LA DISSERTATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227

LA SYNTHÈSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 240

L’ORAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245

Partie IV. Sujets et corrigés

RÉSUMÉS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 249

DISSERTATIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 278

1

La guerre

Introduction au thème

« De tout temps les hommes, pour quelque morceau de terre de plus ou de moins, sont convenus entre eux de se dépouiller, se brûler, se tuer, s’égorger les uns les autres ; et pour le faire plus ingénieusement et avec plus de sûreté, ils ont inventé de belles règles qu’on appelle l’art militaire. »

Jean de La Bruyère (1645-1696), Les Caractères ou les mœurs de ce siècle, Chapitre X, « Du Souverain ou de la république ».

En 2014, la commémoration de la Première Guerre mondiale, la « Grande Guerre », tout comme les soixante-dix ans du débarquement de 1944, sont l’objet de toutes les attentions. Les événements contemporains, en outre, ne cessent de nous pousser à nous interroger sur la violence, sur les manières d’imposer une décision politique, sur les enjeux profonds des conflits qui opposent des États, sur les jeux d’alliance, sur la puissance. Ce thème de « la guerre » est donc pleinement inscrit dans l’actualité la plus récente et nous conduit à de nombreuses interrogations.

Comment un tel déchaînement violent peut-il apparaître ? Sert-il des inté-rêts économiques, sociaux, ou exclusivement politiques ? Est-il un phénomène aisé à cerner, définir, analyser ? Pourquoi parle-t-on d’un « art de la guerre » ? Existe-t-il une manière de conduire les hostilités ? Quels sont les penseurs qui ont tenté de construire une analyse fine et précise du phénomène ? Comment expliquer que les allusions aux autorités référentielles comme Clausewitz, Sun Tsu ou von Bülow, par exemple, soient si nombreuses dans les médias, au cinéma, et parfois même dans des productions télévisuelles en série, dans lesquelles la guerre n’est abordée que de manière très allusive ?1

1. Les références au Feu de Barbusse sont ici celles de l’édition du Livre de Poche, pour les Perses et De la Guerre, ce sont les éditions au programme qui ont été utilisées.

La guerre

2

I. Un programme cohérent dans sa structure d’ensemble sur les dernières années

Depuis 2010, en effet, les programmes proposés aux étudiants des CPGE scientifiques ont proposé un ensemble cohérent d’œuvres et de thématiques.

En 2011-2012, « la justice » invitait à revenir sur une manière humaine d’aborder le « vivre ensemble », sur la façon dont les hommes pouvaient dépasser la violence, et gérer les conflits grâce à des lois. En 2012-2013, « la parole » mettait en perspective cette approche des relations sociales et humaines, des domaines religieux, politiques, moraux et sociaux en inter-rogeant sur les modalités, les enjeux et les intentions de la parole. En 2013-2014, « le temps vécu » a permis de prolonger la réflexion sur les rapports humains et sur les liens qui unissent les humains au monde et à leur condition. Ainsi, le programme de 2014-2015, « la guerre », ouvre-t-il la voie à une ana-lyse de l’une des manifestations les plus fortes, les plus connues et redoutées de la relation à l’autre – individu, groupe ou État. Quel meilleur exemple d’un temps vécu fort, marqué émotionnellement – et qui touche autant l’individu dans sa chair et sa mémoire que la société et le collectif – que la guerre ? Quel événement humain provoque plus d’émotions, de peurs, d’enthousiasmes, de souvenirs et de traumatismes, voire de névroses, d’œuvres artistiques mais aussi de célébrations mémorielles, de commémorations, de structuration de sociétés, de cultures et de réécriture de l’histoire que la guerre ?

a) L’étymologie du terme Elle est simple et connue : issue du francique Werra, qui signifiait troubles,

désordres, querelles, la forme ancienne subit la modification de la prononcia-tion habituelle pour tous les mots commençant par (w) en entrant dans notre langue. Le substantif « guerre » supplante le grec polemos et le latin bellum – bien que les adjectifs « belliqueux » et « polémique » demeurent, comme d’autres noms (« polémologie » ou « belligérants », par exemple). Le mot, entré dans la langue en 1100, désigne rapidement une « lutte armée entre deux groupes humains ou deux États ».

La guerre est ainsi généralement définie comme une forme de violence collective, qui oppose deux groupes. Elle se distingue des actes ponctuels, des duels ou des chocs limités comme des combats animaux, par son organisa-tion. Les animaux se confrontent entre individus, et, le plus souvent, entre

La guerre. Introduction au thème

3

espèces différentes. La guerre oppose l’homme à l’homme. S’il existe peu de sociétés totalement pacifiques, on ne peut pourtant parler d’un phénomène « naturel ». Organisée, spécifiquement humaine, la guerre semble d’ailleurs n’avoir fait véritablement son apparition que lorsque les bouleversements du néolithique ont poussé l’être humain à se sédentariser, à cultiver, à concevoir la propriété et, ainsi, à convoiter les biens d’autrui. Il s’agit d’une action assez commune dans l’histoire. Cependant, elle est aussi perçue comme anormale puisqu’elle rompt la période de paix.

Elle est habituellement liée à une série de causes, de motifs déclencheurs, biologiques, historiques, idéologiques, sociaux, démographiques, politiques… Justifiée ordinairement par chaque belligérant grâce à un discours explicatif, elle est fréquemment liée à des mobiles variés, qui vont de l’apologie de la bravoure et du sacrifice héroïque à la nécessité de riposter à une agression. Elle donne aussi naissance à des séquelles nombreuses, que de nombreux textes tentent d’analyser. Les conséquences économiques, sociales, psycho-logiques, environnementales et, le plus souvent, politiques sont nombreuses. Il suffit de songer aux rancœurs nées de l’armistice de 1918, à l’organisation nouvelle des états qui suivit ou encore à la répartition en deux blocs et à la « guerre froide » qui accompagnent la Seconde Guerre mondiale pour en dis-cerner le poids…

Elle est aussi, parfois, un moyen de penser la société et de tenter d’éviter le conflit armé. Qui ne se souvient de « si vis pacem, para bellum » (si tu veux la paix, prépare la guerre), formule attribuée à Végèce (in De Re militari, IV-Ve

siècle) ? Elle donne naissance à la notion de « paix armée », mais est aussi souvent accusée de trop faciliter la mise en place des éléments favorables à la guerre. Machiavel insiste d’ailleurs sur le fait que la guerre est générale-ment prévisible. Dans L’Art de la guerre (1521), il note d’ailleurs qu’elle est la manière la plus fréquente de s’agrandir, mais aussi d’acquérir du pouvoir. Il va même jusqu’à affirmer que c’est sur sa capacité à faire la guerre, à s’armer, qu’un gouvernant appuie sa puissance.

M AC H I AV E L , L E P R I N C E , 1 5 1 5 :

« (…) il est certain que les séditions, les guerres, l’indifférence systé-matique ou les infractions effectives aux lois sont bien plus imputables aux défauts d’un État donné qu’à la méchanceté des hommes. Car les hommes ne naissent point membres de la société mais s’éduquent à ce rôle ; d’autre part, les sentiments naturels humains sont toujours

La guerre

4

les mêmes. Au cas, donc, où la méchanceté régnerait davantage et où le nombre de fautes commises serait plus considérable dans une certaine nation que dans une autre, une conclusion évidente res-sortirait d’une telle suite d’événements : cette nation n’aurait pas pris de disposition suffisante en vue de la concorde, et sa législation n’aurait pas été instituée dans un esprit suffisant de sagesse.

Un prince doit donc n’avoir d’autre objet ni d’autre pensée, ni s’ap-proprier d’autre art que celui de la guerre, de son organisation comme de la discipline qui s’y rapporte – car c’est le seul art qui convient à celui qui commande, et il a tant de valeur que non seule-ment il maintient au pouvoir ceux qui sont nés princes, mais souvent il permet aux hommes de condition privée de s’élever à ce titre. À l’inverse, on voit que les princes qui pensent plus aux plaisirs qu’aux armes ont perdu leur État. Or, la première cause qui te le fait perdre, c’est de négliger cet art ; et la cause qui te le fait acquérir, c’est la maîtrise de cet art. (…) Entre un prince armé et un prince désarmé, il y a une disproportion, il n’est pas logique que celui qui est armé obéisse volontiers à celui qui est désarmé, et pas davantage que celui-ci soit en sûreté au milieu de serviteurs armés ; comme l’un éprouve méfiance et l’autre soupçon, il n’est pas possible qu’ils œuvrent de concert. C’est pourquoi un prince qui n’y entend rien à l’armée, entre autres malheurs et comme on l’a dit, ne peut être estimé de ses soldats, ni leur faire confiance. »

Le pacifisme, en revanche, cherche à abolir la guerre, à instaurer une paix perpétuelle, tandis que la pensée de la guerre cherche généralement à analy-ser, voire motiver ce phénomène.

b) La guerre est donc un acte de violenceOr, selon G. Deleuze, la « violence est ce qui ne parle pas » (Présentation de

Sacher-Masoch, 1967). Souvent exagérée, elle est liée à la mort, la donnant ou la rendant possible. Clausewitz note qu’« il est donc impossible d’introduire dans la philosophie de la guerre un principe de modération sans commettre une absurdité » (p. 21), le messager d’Eschyle évoque des corps démembrés, Barbusse donne à voir l’atrocité, l’horreur des corps noircis, déchiquetés, abandonnés sur le terrain, déshumanisés… Elle est aussi généralement

La guerre. Introduction au thème

5

éprouvée comme ce qui anéantit l’humain, et l’humanisme. En outre, elle ne s’épuise pas dans les actes, elle est également créatrice d’états de violence. Même quand un fusil ne tire pas, quand une arme est inutilisée, sa simple présence est une violence, une menace. L’attente est ainsi profondément violente dans Le Feu : « On attend toujours dans l’état de guerre. On est devenus des machines à attendre » (p. 40). Barbusse montre même que le silence peut être agressif et destructeur. L’état de violence modifie donc la vie ordinaire et quotidienne : « Faut vivre au jour le jour, heure par heure même si tu peux » (ibid. p. 50), la reine des Perses remarque qu’« elle est perdue la puissance des Perses » (714). Si toute société cherche généralement à bannir les actes de violence, elle déclare la guerre et ordonne souvent de combattre aux citoyens ou sujets. Sartre la définit comme « la confiance dans le pire » (Cahier pour une morale, 1983).

Elle est pourtant universelle et souvent vue comme un moyen structu-rant de la société, comme intrinsèquement liée à l’homme, à ses pulsions et à ses envies. Elle unit alors une communauté dans un ensemble idéologique, contre un ennemi identifié, permet de rêver de grandeur, d’acquérir parfois une gloire ou une puissance nécessaire à l’expansion. Dans La Violence et le sacré, René Girard note, par exemple, que :

« (…) la violence est à la fois l’instrument, l’objet et le sujet universel de tous les désirs. C’est bien pourquoi toute existence sociale serait impossible s’il n’y avait pas de victime émissaire, si au-delà d’un certain paroxysme, la violence ne se résolvait en ordre culturel. Au cercle vicieux de la violence réciproque, totalement destructrice, se substitue alors le cercle vicieux de la violence rituelle, créatrice et protectrice. »

Paradoxalement, donc, elle constitue un trouble et se situe hors du droit, mais elle est également source de justice et instrument de retour à l’ordre. Ainsi, symboliquement, le glaive accompagne-t-il souvent les emblèmes du pouvoir terrestre et, parfois, religieux…

La non-violence, justifiée à partir du XIXe siècle comme moyen d’action sociale et politique efficace, repose sur l’idée que la violence est inutile voire inefficace et stérile. Elle parvient d’ailleurs à affaiblir un pouvoir, comme le fit Gandhi, en Inde, à partir de 1921, sans mener une véritable guerre armée. Adoptée par de grandes personnalités célèbres, dont Martin Luther King aux États-Unis, le Dalaï Lama au Tibet, Adolfo Pérez Esquivel en Amérique latine, Lech Walesa en Pologne, Vaclav Havel en république tchèque, et, sans doute parmi les plus connus, Nelson Mandela en Afrique du Sud et Aung San

La guerre

6

SuuKyi en Birmanie, elle constitue une « non-participation » à des actions que l’on réprouve. Mais elle nécessite également un adversaire mesuré, qui n’applique pas les ressources de la cruauté ou de la barbarie dans la répression qu’il instaure…

Texte cléSartre, dans Cahier pour une morale, 1983, lie la violence à une image surdimen-

sionnée de soi :

« L’intransigeance du violent est l’affirmation du droit divin de la personne humaine à avoir tout, tout de suite. L’univers n’est plus moyen, mais l’obstacle dense et inessen-tiel entre le violent et l’objet de son désir. » (p. 181-182) Et il note, par ailleurs, l’une des caractéristiques essentielles de la violence, les relations ambiguës qu’elle entretient avec le droit et la justice : « La violence crée l’acceptation parce que le vaincu proclame un refus inefficace qui recouvre une soumission de fait. Fût-il décidé à lutter contre le vainqueur par tous les moyens, au moins reprend-il à son compte la situation faite par le vainqueur (…) Au fond, le Mal dans la violence vient précisément non de ce qu’elle détruit le droit, mais de ce qu’elle le crée. Elle met le vaincu dans une situation telle qu’il doit l’accepter ou mourir. Et s’il ne meurt pas il se soumet et la violence émane du vainqueur et la reconnaissance, donc le Droit, émane du vaincu. » (p. 275)

La guerre, en tant qu’acte de violence, est aussi un thème d’analyses et d’expression littéraires, et constitue donc un moment particulièrement fort, remarquable de la vie des individus comme des sociétés.

II. Un thème littéraire et philosophique majeur

Thème littéraire majeur, la guerre permet de construire des œuvres litté-raires et philosophiques donnant lieu à des prises de position fondamentales sur les valeurs, sur l’éthique d’une société.

a) Les textes fondateurs Ils sont généralement articulés autour de cette thématique : épopées

antiques, chansons de gestes médiévales sont souvent conçues comme des narrations explicatives d’une structure sociale et culturelle. Fondant sou-vent un mythe collectif, s’introduisant dans une dimension mémorielle, elles constituent aussi une imagerie commune. Le chœur, dans la pièce d’Eschyle, évoque un passé collectif illustre, appuyé sur la guerre : « On voyait alors nos

La guerre. Introduction au thème

7

armées glorieuses / assiéger les ennemis / selon les lois de la guerre ; / et les retours des combats, sans souffrance / ni peine, rendaient les hommes / à leurs maisons heureuses » (Antistrophe 1, 859-864).

b) Un motif artistique récurrentEn outre, ces ouvrages attirent l’attention sur des moments forts, qui

bouleversent tout autant les durées individuelles que le temps vécu collec-tif. En effet, comment ne pas voir, en lisant Les Perses ou Le Feu, mais aussi les réflexions de Clausewitz, qui note les différences qu’apportent les moyens modernes sur le champ de bataille, que la guerre est étroitement liée au temps vécu ? Associée à l’affectif, au qualitatif, à l’intensité passionnelle et aux représentations d’un vécu particulier, elle constitue tout autant un phé-nomène émotionnel fort qu’un sujet de réflexions. L’art en est un témoignage manifeste : qui ne connaît les Croix de bois de Dorgelès ou le célèbre Guer-nica de Picasso ? Qui n’a jamais entendu parler de la Danse des morts ou des Joueurs de skat d’Otto Dix ?

La guerre, en effet, par son caractère exceptionnel, ses excès, offre toutes sortes d’affects, de possibilités d’expression et constitue donc un motif riche et abondamment traité. D’autant qu’elle constitue une manifestation humaine ancrée dans notre culture depuis les origines. Les récits de guerre sont légion, le modèle de l’Iliade homérique en est, naturellement, l’un des plus connus. Le témoignage et la construction légendaire voisinent souvent dans ces narra-tions et servent fréquemment à la glorification d’une nation. Eschyle montre les Perses qui se lamentent, mais il trace aussi, en creux, le portrait du Grec, face à l’étranger, à l’oriental. Ainsi se structure l’image du guerrier grec, viril, actif. Barbusse narre ses expériences dans les tranchées aux côtés de ses com-pagnons et frères d’armes mais esquisse aussi le portrait des officiers allemands « monstrueux ».

c) Un thème lié au dépassementPourtant, la guerre est aussi un phénomène qui, dépassant les hommes,

semble souvent déterminé ou parrainé par une volonté puissante, roi, gou-vernant ou même par les dieux. Comme l’action divine de création fait entrer l’homme dans le temps linéaire et dans l’histoire, c’est souvent la volonté d’un démiurge, d’une divinité ou d’un souverain – qui assume de manière symbolique dans la réalité des pouvoirs équivalents – qui enclenche le phénomène guerrier.

La guerre

8

Ainsi, dans la pièce d’Eschyle, ce sont les dieux qui ont œuvré à la défaite des assaillants. Mais cette dimension tragique de la présence d’une divinité n’est pas nécessaire pour penser la guerre. Le conflit est plus souvent conçu comme un moment de dépassement des limites et de soi. Clausewitz note que « la guerre est un acte de violence » et que « l’emploi de celle-ci ne connaît pas de limites » (p. 22). Ainsi, ajoute-t-il, « pour soumettre l’adversaire à notre volonté, nous devons le placer dans une position plus défavorable que le sacrifice que nous exigeons de lui » (ibid. p. 23).

Les dirigeants, la volonté politique et, naturellement, les chefs militaires et leurs combattants doivent donc être des « hommes aux passions éner-giques, profondes et secrètes » (id., ibid., p. 84). Et si, selon lui, « un homme ordinaire n’atteint jamais le détachement parfait et l’élasticité naturelle de l’âme » (p. 100) idéaux, le combattant apparaît généralement comme un homme dont la force d’âme, la confiance en soi doivent être poussées au maximum. Le héros n’est donc pas nécessairement un surhomme, un demi-dieu comme certains le sont dans le monde grec, mais c’est avant tout un être qui transcende les forces humaines usuelles, qui va jusqu’au sacrifice de soi. Son héroïsme témoigne d’une générosité exceptionnelle puisqu’il va jusqu’à donner sa vie pour d’autres, pour une cause, un idéal, une patrie… Et si Barbusse leur refuse l’appellation antique, il en fait cependant des êtres qui se sacrifient pour le bien d’autrui (« Ce ne sont pas le genre de héros qu’on croit, mais leur sacrifice a plus de valeur que ceux qui ne les ont pas vus ne seront jamais capables de le comprendre », p. 266). Résignation, abnégation, don de soi constituent également des éléments essentiels de ces œuvres.

III. La guerre, c’est aussi un rapport particulier au temps

Il s’agit d’un intervalle durant lequel la vie quotidienne, ordinaire, est suspendue, où la parole, les larmes, les attributions de chacun prennent des dimensions différentes.

a) Un espace temporel et référentiel très particulierLe moment des hostilités constitue, en effet, un espace temporel et

référentiel très particulier. Il s’inscrit totalement dans le temps spatialisé

La guerre. Introduction au thème

9

dont parlait Bergson pour définir le temps linéaire, scandé par les horloges et déterminé par les calculs scientifiques. Pour les combattants, leurs proches, les États belligérants, cette succession chronologique est essentielle. Mais pour chaque culture, chaque nation, ses dates et les grands noms des batailles demeurent également comme des points fixes, des ancrages temporels, des références fortes, souvent unificatrices. Même si nous avons oublié les guerres médiques, nous en connaissons encore quelques jalons, comme les victoires de Salamine (dont Eschyle nous rappelle le résultat : « Ils sont pleins de morts tués misérablement, / les rivages de Salamine, et leurs abords » 272-273) et de Platée, dont le dramaturge fait le point de départ de sa pièce. Et, pour évoquer le premier conflit mondial, qui ne se souvient encore de certaines grandes dates, comme celles de la première victoire de la Marne, en septembre 1914 ? Qui ne sait que l’Armistice fut signé le 11 novembre 1918, à Rethondes ?

Pourtant, la guerre instaure aussi une « durée », une synthèse subjective, individuelle, spontanée, liée à une conscience qui se construit et trouve son identité également dans ces instants spécifiques. Le « vécu » est ici étroite-ment uni à la durée intérieure, le temps n’y est pas seulement chronologique, il est aussi une synthèse mentale. Attendre dans les tranchées, ou combattre ne déterminent pas la même interpénétration, la même fusion des états affectifs. Espérer une victoire, découvrir la réalité désastreuse, ne modifient pas seulement la linéarité temporelle mais aussi le vécu intériorisé. La littéra-ture, la philosophie deviennent des voies d’accès à ces émotions et à leur mise à distance critique. L’homme cherche souvent à savoir comment affronter de grands cataclysmes, comme celui que nous dépeint Barbusse, ou comment vivre l’attente angoissée puis la déploration qui suit inévitablement l’annonce du malheur consommé, argument des Perses.

b) Une temporalité spécifique qui exige une justification, une légitimation

Mais, devant l’apparente impossibilité d’échapper au conflit, l’artiste, l’écri-vain, le philosophe, tentent aussi d’en déterminer les modalités, de trouver la meilleure manière de le penser, de l’organiser, de le comprendre. À Clausewitz qui n’y voit « rien d’autre qu’un duel amplifié » (p. 20), « un acte de violence engagé pour contraindre l’adversaire à se soumettre à notre volonté » (p. 21), répond Darios dans la pièce d’Eschyle qui analyse les actions guerrières de son fils avec lucidité comme une erreur, une folie : « Mon fils, cet inconscient, aura

La guerre

10

agi en jeune téméraire » (744), remarquant que « Simple mortel, il s’est imaginé qu’il vaincrait tous les dieux » (749) et concluant : « Il faut que la démence ait possédé mon fils ! » (751) Barbusse, prolonge et amplifie ces remarques en ne mettant plus en valeur que le non-sens grâce à la description des conditions inhumaines dans lesquelles elle jette les soldats :

« Cette guerre, c’est la fatigue épouvantable, surnaturelle, et l’eau jusqu’au ventre, et la boue et l’ordure et l’infâme saleté. C’est les faces moisies et les chairs en loques et les cadavres qui ne ressemblent même plus à des cadavres, surnageant sur la terre vorace. C’est cela, cette monotonie infinie de misères, interrompue par des drames aigus. » (p. 356)

La guerre change l’appréhension du temps, modifie l’impression de son écoulement, joue sur le futur tout autant que sur le passé. Les Perses se sou-viennent des temps heureux et les opposent au constat présent : « La guerre est malheureuse à la race des Perses ! » (1013) Le narrateur de Barbusse remarque que lors des combats, « la chair » s’apprête « au monstrueux sacrifice » (p. 345), ouvrant sur une temporalité ritualisée, sacrée donc hors du temps commun. Mais elle empêche l’homme de penser : « On serait peut-être tués un jour, ou prisonniers. Mais on ne pensait plus à rien. On ne pouvait plus, on ne savait plus. » (p. 348) Et Clausewitz, après avoir remarqué que « la guerre n’éclate pas subitement. Sa propagation n’est pas l’œuvre d’un instant » (p. 26), observe que « toute action nécessite pour son accomplissement un temps déterminé : nous l’appelons sa durée » (p. 32). Enfin, il tient à démontrer que :

« Si dans la guerre nous laissons sa durée à chaque action, il nous faut admettre – au moins à première vue – que tout laps de temps qui n’appartient pas à cette durée, c’est-à-dire toute cessation momentanée dans la poursuite de l’acte militaire paraît absurde. » (p. 33)

La guerre correspond à la temporalité nécessaire à sa propre réalisation, elle ouvre un temps approprié à ses modalités : pour Clausewitz « elle mène plus ou moins vite à l’objectif, mais elle dure toujours assez longtemps pour qu’on puisse exercer une influence sur son déroulement, pour qu’on puisse lui imprimer telle ou telle direction, bref, pour rester soumise à la volonté d’une intelligence conductrice » (p. 43), Barbusse insiste sur le fait que les combattants accèdent à une expérience particulière du temps. Il écrit, dans le chapitre II, « On est enterrés au fond d’un éternel champ de bataille ; mais comme le tic-tac des horloges de nos maisons, aux temps d’autrefois, dans le passé quasi légendaire, on n’entend cela (= fusillade et bombardement) que lorsqu’on écoute » (p. 28). Son personnage Volpatte rend d’ailleurs compte de cette particularité, il affirme « J’me fous d’l’heure, dit Volpatte. L’temps qui passe, ça n’a pus rien à faire avec

La guerre. Introduction au thème

11

moi » (p. 78). Eschyle, quant à lui, conduit ses spectateurs à s’interroger sur la différence fondamentale qui marque le temps à la guerre, les événements sont amplifiés, les conséquences démultipliées et, parfois, modifient les usages et les connaissances : « jamais en un seul jour / n’aura péri une aussi grande foule d’hommes » (431-432), affirme le messager.

c) Un phénomène provisoireCertains s’interrogent aussi sur la manière de mettre fin à la guerre. Soit

en rétablissant la paix, une fois le but recherché atteint, soit en se deman-dant comment assurer la victoire de son camp ou l’impossibilité de revivre une horreur. Clausewitz rappelle que la guerre ne doit pas être considérée comme « une réalité autonome, mais comme un instrument politique » (p. 46). En conséquence, « comme la guerre n’est pas un acte de fureur aveugle, mais un acte dominé par la fin politique, la valeur de cette fin politique doit décider de l’ampleur des sacrifices au prix desquels nous voulons l’acquérir » (p. 51-52), il peut donc ajouter que « Cela ne vaut pas seulement pour leur étendue mais aussi pour leur durée » (p. 52). Ainsi, « Quand la force des motifs (de paix) s’accroît d’un côté, il est possible qu’elle décroisse de l’autre, et si leur somme est suffisante, la paix sera conclue ; en faveur naturellement de celui dont les motifs de paix sont les plus faibles » (p. 52).

Cette temporalité ne peut donc qu’être une rupture dans le temps « nor-mal », celui de la paix. Le Feu s’achève sur un espoir, celui de la fin des guerres : « Y aura plus de guerre quand l’esprit de la guerre sera vaincu ! » (p. 362) Le narrateur évoque finalement les modalités de cette disparition : « L’entente des démocraties, l’entente des immensités, la levée du peuple du monde, la foi brutalement simple… Tout le reste, tout le reste, dans le passé, le présent et l’avenir, est absolument indifférent. » (p. 375) Enfin, Eschyle, le Grec, montre que les velléités guerrières des Perses devraient disparaître en faisant dire à l’ombre de Darios : « Il ne faut plus mener d’expédition en Grèce, / quand même l’armée mède serait plus nombreuse : / là-bas, la terre même est pour eux une alliée. » (790-792)

Cette volonté de mettre un terme à cet espace temporel particulier s’appuie aussi, naturellement, sur la conscience des « horreurs » qui accom-pagnent les combats. Barbusse note l’exécration fondamentale qu’il associe aux combats :

La guerre

12

« C’est avec nous seulement qu’on fait les batailles. La guerre n’est composée que de la chair et des âmes des simples soldats. C’est nous qui formons les plaines de morts et les fleuves de sang, nous tous (…) et c’est nous tout entiers. » (p. 366)

Il va même jusqu’à qualifier la guerre d’entreprise d’élimination, qui perd toute signification : « En réalité, le sacrifice des soldats est une suppression obs-cure. » (p. 374) Et l’on ne compte plus les descriptions de cadavres noircis, puants, déchiquetés pour mieux évoquer ces moments épouvantables. Clausewitz les évoque lui aussi dans le chapitre IV, intitulé « Du danger de la guerre » : « À la vue des mutilés et des mourants, la compassion assène des coups affligeants à notre cœur qui palpite » (p. 99) et Eschyle fait dire à son messager que les soldats grecs « rouent de coups les malheureux, ils les démembrent, / jusqu’à tant qu’ils leur aient ôté la vie à tous » (463-464). Si Eschyle fait vivre l’angoisse de « l’intérieur », comme Barbusse, qui vise à rendre compte de la peur, de l’horreur du vécu qui fut le sien, si Woolf dépeint les conséquences sociales, politiques mais aussi mentales et névrotiques d’un conflit, Clausewitz tente d’en trouver les ressorts et de découvrir une façon de gérer au mieux cet acte éminemment politique à ses yeux mais aussi violent, source de « frictions », et de destructions.

IV. Le thème, les œuvres

En fait, le thème au programme cette année nous invite à considérer les deux grands points essentiels que sont la réflexion sur la nature, les moyens et les fins de la guerre, d’une part, et ses réalisations, les effets qu’elle produit, d’autre part.

a) Réflexions sur l’autre et sur soiÀ l’analyse théorique, aux propos organisés en chapitres et, parfois, en

sous-parties de Clausewitz, correspondent le lyrisme et les réflexions sur l’autre des deux œuvres littéraires. Celles-ci exposent la représentation dévalorisée de l’ennemi, différent – et donc plus qu’un adversaire –, un être qui ne correspond pas aux « normes » de son propre camp, mais introduisent aussi des réflexions sur soi. L’autoportrait peut parfois être réalisé en « creux », le Grec d’Eschyle est cerné par la description en contrepoint, explicite, des Perses, mais cette éthopée peut aussi être réalisée explicitement, les per-sonnages de Barbusse assimilent clairement les officiers allemands à des

La guerre. Introduction au thème

13

« monstres ». Dans les deux cas, une « nation » s’oppose à une autre, avec ses propres règles, ses idées, ses valeurs.

b) De l’analyse au conceptLe déterminant défini, « la » ouvre la voie à une analyse qui doit dépasser

toute complémentation restrictive : il ne faut pas travailler sur les guerres médiques, sur la Première Guerre mondiale, ou ne lire Clausewitz qu’à la lumière des conflits napoléoniens, mais élargir la pensée à la notion même, au concept. Nos œuvres ouvrent des pistes qui permettent de généraliser l’étude, Clausewitz pose la différenciation entre la guerre « absolue » et sa forme réelle, Eschyle invite à réfléchir, au-delà de l’histoire précisément choisie comme support, sur la civilisation grecque, face aux « barbares », sur leur manière d’aborder les idées, la vie et, ainsi, sur l’usage de la violence, des armes, des passions. Barbusse révèle le déchaînement de feu et de fer qui transforme les humains en « pithécanthropes », en être sans âge dont le comportement n’est dicté que par le désir de survivre « un peu plus, un peu mieux ». Il est impossible d’évoquer la guerre sans ses « horreurs » et sans le leitmotiv qui ponctue toutes les « lettres de Poilus » publiées depuis, et que Roland Dorgelès a si bien évoqué dans Les Croix de bois lorsqu’il parle de l’en-fer de Verdun, celui d’une « victoire » amère : « J’trouve que c’est une victoire, parce que j’en suis sorti vivant. » Pourtant, la guerre c’est aussi un concept lié étroitement à la politique, considéré parfois comme un art – certains s’interrogent même sur sa valeur scientifique – et Clausewitz se détache de ces éléments plus affectifs (qu’il n’évoque que dans le chapitre IV du premier livre, « Du danger de la guerre », p. 98-100) pour mieux en analyser les carac-téristiques, formuler des « principes ».

Comme la parole, le temps vécu, c’est au concept, à l’analyse plus vaste, qu’invitent nos œuvres.

Notons, enfin, que la première guerre mondiale a mis fin à l’illusion que l’on pouvait représenter la guerre comme un phénomène compréhensible, analysable en totalité, comme un événement cohérent. Alors que les épo-pées, les œuvres tragiques cherchaient à exalter le sens de l’histoire, la vic-toire d’un camp, des valeurs héroïques, le sacrifice et le don de soi, les récits modernes visent à donner un effet de réel. L’expérience individuelle, le témoi-gnage, contribuent ainsi souvent à mettre en lumière les absurdités, les inco-hérences, le non-sens de la guerre. Barbusse, par exemple, tente de reproduire

La guerre

14

le langage des combattants, les idiolectes et les sociolectes. La langue et la littérature sont ainsi à la fois plus proches de la réalité à décrire, du compte-rendu d’un vécu mais également plus impuissantes en apparence à témoigner de l’horreur.

Rappelons que, plus tard, en 1946, le poète Jean Cayrol, analysant la litté-rature qui naît à la suite de la Seconde Guerre mondiale dans ses Poèmes de la nuit et du brouillard, ira d’ailleurs jusqu’à inventer le concept de littérature « lazaréenne ». Cette conception, fondée sur l’étude précise de l’apparition d’un « romanesque concentrationnaire » s’interroge sur la possibilité d’une création littéraire qui rende précisément compte d’une expérience vécue. En effet, l’expérience de la guerre, à la fois individuelle et collective, est toujours, par essence, intransmissible. Il théorisera véritablement cette analyse littéraire en 1950 dans Pour un romanesque lazaréen. En effet, dépassant et prolongeant le travail des écrivains qui rédigèrent leurs œuvres après 1914, il revient sur la question fondatrice : comment rendre compte de l’indicible ? Le « rescapé » témoigne, mais il parle à sa manière d’un malheur qui le hante, d’une horreur qu’il ne peut oublier. Le survivant des camps, à la manière dont Barbusse l’a déjà fait en 1915, est celui qui suggère que la mort s’est étendue sur la vie et modifie longtemps après la fin des hostilités, la manière dont on pense la société.

On a, d’ailleurs, souvent reproché aux écrivains de guerre – qu’ils soient ceux de la « Grande » ou de la Seconde – leur manière d’« adoucir », de « gau-chir » la réalité vécue. Cependant, ces œuvres témoignent toujours des inter-rogations sur le fondement anthropologique d’un phénomène qui apparaît de plus en plus comme non seulement la destruction de l’humanité mais égale-ment comme sa négation.

u La guerre est encore, avant tout, une modalité relationnelle

Elle constitue une manière de gérer des intérêts, des espaces, des rap-ports politiques. Elle ne peut opposer des individus. « La guerre n’est point une relation d’homme à homme, mais une relation d’État à État, dans laquelle les particuliers ne sont ennemis qu’accidentellement, non point comme hommes, ni même comme citoyens, mais comme soldats », écrit Rousseau dans Du Contrat social (I, 4). Ainsi, la guerre doit-elle être étudiée non seulement comme « une simple continuation de la politique par d’autres moyens » (Clausewitz, I, 24, p. 43) et comme un « un acte de violence engagé pour contraindre l’adversaire à se soumettre à notre volonté » (id., ibid., I, 2, p. 21) mais aussi dans sa dimen-

La guerre. Introduction au thème

15

sion humaine, d’activité, de mise en tension et de mise en rapport entre les hommes. Comme la justice, la parole, ou le temps, elle structure les sociétés, influence leur vie, leurs représentations du monde et d’elles-mêmes. L’unité profonde du programme des dernières années est donc aisément visible : la cohérence est forte et les étudiants qui auront travaillé sur la parole, pourront également tirer profit de leurs connaissances pour aborder le nouveau thème.

u Des notions et des thèmes à considérer

Les analyses du thème dans les œuvres conduisent donc à s’interroger sur quelques points essentiels :

�� La place de la parole dans le conflit et face à la violence, le langage spéci-fique.

�� La guerre comme choc de deux univers référentiels, de deux mondes.

�� Les valeurs qui structurent les combats, le « nationalisme », le patrio-tisme, les idéaux politiques.

�� Le tragique exposé sous des formes variées, les hommes « acteurs » d’un combat où le destin est à l’œuvre, dont les enjeux et les stratégies leur échappent souvent, les menaces, les représentations de la mort, de la souf-france.

�� La mise à distance de l’adversaire, de l’autre, « exotique », étranger, étrange, cruel, barbare, monstrueux.

�� L’horreur, les difficultés physiques, les « frictions » ; les répercussions sur l’humanité et les êtres qui sont liés au combat ou le subissent.

�� Les images qui représentent la lutte, les combattants, le territoire, les ins-tants vécus. La « terre », alliée, obstacle, figure maternelle, asile ou violente.

Texte cléOuverture de L’Iliade, traduction de Leconte de Lisle

« Chante, Déesse, du Pèlèiade Akhilleus la colère désastreuse, qui de maux infinis accabla les Akhaiens, et précipita chez Hadès tant de fortes âmes de héros, livrés eux-mêmes en pâture aux chiens et à tous les oiseaux carnassiers. Et le dessein de Zeus s’accomplissait ainsi, depuis qu’une querelle avait divisé l’Atréide, roi des hommes, et le divin Akhilleus.

La guerre

16

Qui d’entre les Dieux les jeta dans cette dissension ? Le fils de Zeus et de Lètô. Irrité contre le Roi, il suscita dans l’armée un mal mortel, et les peuples périssaient, parce que l’Atréide avait couvert d’opprobre Khrysès le sacrificateur.

Et celui-ci était venu vers les nefs rapides des Akhaiens pour racheter sa fille ; et, portant le prix infini de l’affranchissement, et, dans ses mains, les bandelettes de l’Ar-cher Apollon, suspendues au sceptre d’or, il conjura tous les Akhaiens, et surtout les deux Atréides, princes des peuples :

– Atréides, et vous, Akhaiens aux belles knèmides, que les Dieux qui habitent les demeures olympiennes vous donnent de détruire la ville de Priamos et de vous en retourner heureusement ; mais rendez-moi ma fille bien aimée et recevez le prix de l’affranchissement, si vous révérez le fils de Zeus, l’Archer Apollon (…) et Phoibos Apol-lon l’(= Agamemnon)entendit et, du sommet Olympien, il se précipita, irrité dans son cœur, portant l’arc sur ses épaules, avec le plein carquois. Et les flèches sonnaient sur le dos du Dieu irrité, à chacun de ses mouvements. Et il allait, semblable à la nuit.

Assis à l’écart, loin des nefs, il lança une flèche, et un bruit terrible sortit de l’arc d’argent. Il frappa les mulets d’abord et les chiens rapides ; mais, ensuite, il perça les hommes eux-mêmes du trait qui tue. Et sans cesse les bûchers brûlaient, lourds de cadavres. »

211

Le résuméLes textes choisis peuvent appartenir à tous les siècles, même si ce sont

généralement des extraits d’œuvres assez récentes qui vous sont proposés (du XIXe siècle à nos jours). La plupart des concours présentent des extraits en liaison directe avec le thème de l’année. Ces passages peuvent être philo-sophiques ou littéraires le plus souvent.

I. Les objectifs de l’épreuve

Si l’on exige que vous rendiez, en un nombre de mots limité et précis du contenu d’un texte donné, c’est pour mieux évaluer plusieurs compétences précises et nécessaires à vos études dans les grandes écoles mais surtout à la pratique professionnelle qui sera la vôtre une fois diplômé. En effet, cet exer-cice de reformulation permet de cerner certaines aptitudes :

�� compréhension claire et complète d’une argumentation, capacité à déga-ger son organisation et son cheminement ;

�� capacité à reformuler, et ainsi, à éclairer les enjeux du débat exposé ;

�� aptitude à trouver une structure et un lexique approprié pour mettre en lumière une pensée.

Bref, il s’agit de montrer que vous êtes attentif à la pensée d’autrui, capable de l’intégrer, d’en prendre clairement connaissance, d’en tenir compte, afin éventuellement de pouvoir, dans un second temps, lui répondre, la réfuter ou la développer. On teste ainsi votre capacité à entrer dans un débat, à vous exprimer avec concision et clarté, à dominer des idées, des structures argu-mentatives et textuelles. N’oubliez pas le présupposé de l’exercice : une per-sonne n’ayant pas lu le texte doit pouvoir comprendre à la première lecture du résumé la substance de ce texte.

Conseils de méthode

212

II. Quelques principes à retenir

Vous ne résumez pas des phrases ni des paragraphes mais des idées et un raisonnement. Le résumé est une reformulation, il se signale donc par l’ab-sence totale de toute idée personnelle : pour rendre compte de la pensée d’autrui, il faut savoir s’effacer, ne rien ajouter, ne rien omettre, ne pas com-menter les idées exposées.

A. Rendre compte d’une pensée�� Vous devez conserver l’énonciation du texte vous n’êtes ni un journaliste

ni un commentateur extérieur, vous devez vous imaginer être l’auteur de ce texte. Si ce dernier dit « je », vous utiliserez également la première personne, et présenterez honnêtement les arguments de l’écrivain, même si vous ne les partagez pas.

�� Résumer un texte, c’est aussi être capable de montrer quel était le mou-vement du passage entier. N’oubliez pas qu’un auteur pose un problème, en expose les données et aboutit à une conclusion. Sa pensée progresse par conséquent et il vous appartient donc, même si vous réduisez cet ensemble, d’en révéler le cheminement. Ne déplacez jamais les éléments du texte de départ, c’est d’ailleurs l’une des principales difficultés de l’exercice.

�� Gardez à l’esprit qu’il faut exposer tout le texte mais aussi – et surtout – rien que le texte : pour cela il est nécessaire d’éliminer l’accessoire et de ne retenir que l’essentiel. Cela signifie donc qu’il faut préalablement travailler sur la structure du passage : établir ses mouvements (son « plan »), permet de ne pas oublier que la conclusion du texte initial doit apparaître dans votre travail. Rédiger un résumé au fil des paragraphes conduit souvent à réduire considérablement l’importance de la fin puisque le nombre de mots exigé est souvent atteint et, ainsi, à ne pas proposer le point d’arrivée argumentatif du texte. Un devoir qui ne présente pas la totalité de l’argumentaire est déséqui-libré, incomplet et, surtout, ne met pas en relief l’essentiel et les enjeux de l’extrait. Vous ne pouvez donc espérer une note convenable…

�� Pour vous entraîner, essayez de travailler à partir d’un texte court en appliquant le principe : un résumé, un axe. En effet, quelle que soit sa lon-gueur, il est toujours possible de résumer un texte en une seule phrase. Vous pouvez d’ailleurs l’inscrire sur votre brouillon et la confronter, une fois le

Le résumé

213

résumé terminé au brouillon, à votre travail, pour vérifier que l’essentiel du texte a été vu.

�� Dernier impératif, essentiel, il faut toujours suivre le mouvement du texte et le restituer avec précision. Réduire impose des choix, des « deuils », et des simplifications mais vous devez garder l’essentiel. Gardez à l’esprit qu’un para-graphe de résumé représente d’abord une unité de sens.

B. Respecter des conventions et des contraintes�� La contrainte du nombre de mots est primordiale. Les ordinateurs utilisés

pour les reports de notes aux concours appliquent le barème avec rigueur et « sans état d’âme » : tout dépassement de la marge est sanctionné (- 0,25 le plus souvent par mot supplémentaire), toute tricherie constatée vous nuit considérablement : vous indiquez un nombre total de mots à la fin du résumé, le correcteur recompte et indique son propre décompte, toute différence notable (de plusieurs mots) est considérée comme une tentative de fraude et est, à ce titre, lourdement pénalisée.

�� Il faut vous contraindre à respecter les proportions : n’avancez jamais dans un texte en aveugle, car l’expérience montre que la fin du résumé est toujours plus courte que le début, le candidat se rendant tardivement compte qu’il a épuisé son quota de mots. L’équilibre même du texte doit toujours être visible dans votre reformulation. Consacrer plus de mots aux idées essen-tielles est nécessaire.

�� Le bon résumé prouve donc une vision d’ensemble du texte, ce qui permet d’évaluer l’importance de chaque paragraphe par rapport au problème posé par l’auteur.

�� La reformulation ne doit jamais être en style télégraphique, elle ne doit pas être allusive : on doit cerner l’argumentaire, comprendre l’ensemble du chemi-nement sans avoir besoin de se reporter au texte initial.

�� Cette reformulation est personnelle : vous utilisez vos propres mots, sans reprise de ceux du texte chaque fois que c’est possible. Vous disposez – dans votre cerveau – de votre dictionnaire personnel, le lexique doit être approprié, clair et précis.

Conseils de méthode

214

�� La grammaire doit être respectée, les phrases correctes et bien construites, les temps et les modes employés avec exactitude.

�� L’orthographe n’est pas un ornement, les fautes sont comptabilisées et donnent lieu à des retraits de points. Veillez, durant l’année à vérifier dans un dictionnaire la graphie exacte des mots sur lesquels vous hésitez. Vous DEVEZ pouvoir écrire sans faute les mots que VOUS avez choisis…

�� Enfin, ayez le souci des transitions : il faut soigner les enchaînements qui permettent à l’auteur de passer d’une idée à une autre. C’est aussi la raison qui pousse à éviter l’usage de phrases courtes ou minimalistes, car elles vous incitent souvent à tronçonner le texte.

III. Qu’est ce qu’un mauvais résumé ?

Afin de clarifier vos idées, dites-vous qu’un résumé qui n’aura pas la moyenne et qui, donc, pénalisera votre note globale est d’abord :

�� Un résumé qui avance paragraphe par paragraphe et qui comporte donc le même nombre de paragraphes que le texte de départ. Cela signale explicite-ment que vous n’avez pas établi le plan du texte ni, par voie de conséquence, travaillé sur son argumentaire…

�� Un résumé qui ne saisit pas le principe directeur du texte, qui ne valorise pas sa thèse ni son cheminement, ce type de devoir se satisfait souvent d’un simple « collage » de quelques mots du texte et d’une progression par « addi-tion », signalée souvent par « de plus, en outre, on note encore, on constate ».

�� Un collage – parfois même en « style télégraphique » – des principales phrases ou idées du texte.

�� Un résumé qui privilégie le début du texte et omet la fin – ou l’inverse…

�� Un résumé compact qui se présente comme un seul paragraphe à l’inté-rieur duquel rien n’est distingué, sans mot de liaison, sans signalement des enchaînements.

Sujets et corrigés

248

AvertissementNous vous proposons six sujets de résumé avec une proposition de cor-

rection :

�� un devoir corrigé pas à pas avec également la réponse aux questions (résumé 1) ;

�� cinq devoirs avec des conseils préalables et une proposition de corrigé (résumés 2 à 6).

Neuf sujets de dissertation sont également proposés, avec une proposition de correction. Vous trouverez ainsi :

�� trois devoirs semi-rédigés et très détaillés, comprenant les transitions, pour mettre en place la méthode (dissertations 1, 2 et 3) ;

�� quatre devoirs comprenant des plans détaillés plus succincts, mais avec des précisions nombreuses, des exemples pour vous aider à réviser et à consti-tuer un « réservoir » d’illustrations utiles pour les concours (dissertations 4, 5, 6 et 7) ;

�� deux devoirs comprenant des plans succincts, que vous pouvez compléter (dissertations 8 et 9).

DANS CET OUVRAGE :

➔ Une présentation du thème « la guerre », qui le situe, présente les notions clés et explicite la cohérence des œuvres.

➔ L’étude de chacune des œuvres, avec un résumé, une présentation de l’auteur, des éléments d’analyses littéraireet philosophique, le thème dans l’œuvre et des encadrés.

➔ Une étude transversale et problématisée du thème à travers les trois œuvres du programme.

➔ Une liste mémorisable de citations essentielles à retenir.

➔ Une méthodologie détaillée des exercices de l’épreuve.

➔ 15 sujets et leurs propositions de correction.

Les auteurs : Emmanuel Blondel, ancien élève de l’école Normale supérieure, agrégé de philoso-phie, docteur ès lettres. Christine Seutin, agrégée de lettres modernes, docteur ès lettres.Marie-Gabrielle Slama, agrégée de lettres modernes, docteur ès lettres. Jacqueline Zorlu,agrégée de lettres classiques.

Avec la collaboration de Laurent Miclot, ancien élève de l’école Normale supérieure de Saint-Cloud, agrégé de lettres modernes, professeur de chaire supérieure et Pascale Miclot, agrégée de lettres classiques.

Ils sont tous professeurs ou ancien professeur en classe préparatoire scientifi que.

LA GUERRE

L’essentiel pour réussir l’épreuve littéraire aux concours des prépas scientifi ques

Cré

dit p

hoto

: Ill

ustr

atio

n de

couv

ertu

re :

Jean

Dro

it, B

atai

lle d

e la

Som

me,

1916

, lith

ogra

phie

coul

eur,

colle

ctio

n pr

ivée

.

ISBN : 978-2-311-40045-8