La guerre de l'information et la guerre cognitive
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Olejniezak Maxime [email protected]
FACULTÉ DE DROIT, D’ÉCONOMIE ET DE GESTION
MASTER 1 STRATÉGIE ET INGENIERIE ÉCONOMIQUE Intelligence Economique et Stratégie Compétitive
DOSSIER DE METHODOLOGIE DE L’INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE
2013-‐2014
Sujet : IE, la guerre de l’information et la guerre cognitive
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Introduction Partons d’un fait d’actualité qui met la lumière sur les compétences subversives de notre
société. L’utilisation habile de l’affaire Snowden par le Président russe Vladimir Poutine
faisant passer ce cas dans la catégorie Défense des Droits de l’homme, lui a permis de
rendre caduque les tentatives d’influences américaines à son encontre. On a ici, une
parfaite démonstration d’un rapport de forces qui peut échapper au plus fort. Avec une
nouvelle dimension de la guerre de l’information qui s’est glissée vers un retour à la
guerre cognitive, nous pouvons voir que dans ces termes « David doit vaincre Goliath ».
L’intelligence économique, au fil des années, est devenu une manière de penser et d’agir
de plus en plus en importante. Elle est à la fois une nécessité pour se protéger et
anticiper mais aussi une volonté stratégique. Ceci est la raison pour laquelle depuis
1994, date de parution de la première œuvre littéraire française sur ce sujet ; le
RAPPORT MARTRE sur L’intelligence économique et stratégie des entreprises, on a pu
observer un nombre croissant d’écrits et de parcours universitaires s’ouvrir portant sur
l’intelligence économique.
De ce rapport est sorti une définition précise de ce qu’est l’intelligence économique :
« L'intelligence économique peut être définie comme l'ensemble des actions coordonnées
de recherche, de traitement et de distribution en vue de son exploitation, de l'information
utile aux acteurs économiques ».
Nous prendrons cette définition comme base dans ce dossier sur la guerre de
l’information et la guerre cognitive.
De plus, afin de poser l’axe de notre recherche, nous partirons de la définition de
François-‐Bernard Huyghe sur la guerre de la l’information et celle de Christian Harbulot
sur la guerre cognitive. La guerre de l’information consiste à « dérober, détruire,
pervertir l’information, depuis les connaissances intellectuelles jusqu’aux données
informations. Son but est produire un dommage, ou de gagner une hégémonie »1. Et la
guerre cognitive serait « la manière d’utiliser la connaissance dans un but conflictuel »2. Il
1 François-‐Bernard Huyghe, Qu’est ce que la guerre de l’information ? 2 Christian Harbulot, La guerre cognitive : l’arme de la connaissance, 2004.
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nuance d’ailleurs, cette dernière notion avec celle américaine qui leur est propre.
Autrement dit, ils voient la guerre cognitive comme une manière de tromper
l’adversaire.
Il est intéressant de voir comment la guerre de l’information s’est construite avec le
contexte politico-‐militaire de l’après seconde guerre mondiale. C’est d’ailleurs à partir
de cette sphère militaire que naîtra tout l’enjeu de contrôle de l’information qui, des
années plus tard, se transposera à la sphère économique. Et c’est ainsi qu’avec la
concurrence croissante des Nouveaux Pays Industrialisés et une complexification du
monde, on observe un retour nécessaire à la guerre cognitive car, étant donné l’accès à
l’information devenu le même pour tous, nous sommes obligés de transformer ces
informations en connaissances.
Nous posons alors la question de savoir comment la guerre cognitive est-‐elle revenue au
devant de la scène après un passage par la guerre de l’information ?
Pour cela, nous nous intéresserons à la manière dont la guerre de l’information a été
propulsée par les conflits militaires et aux outils mis en place pour sa pratique. Puis
nous verrons pour quelles raisons un retour à une guerre cognitive est nécessaire
aujourd’hui et où il ne suffit plus de détenir des stocks d’informations mais, où
l’avantage se trouve dans la capacité à transformer ces informations en connaissances
puis en informations utiles aux Etats et aux entreprises pour prendre des décisions.
I-‐ La guerre de l’information : de la recherche de la suprématie
stratégique aux bornes de cette guerre
1) Le développement de la guerre de l’information
Les Etats-‐Unis sortent grand vainqueur de la seconde guerre mondiale avec les autres
alliés et voient leur influence grandir. Depuis cette date, une culture de l’intelligence
économique s’est développée aux Etats-‐Unis. La période de guerre froide qui suivra sera
le théâtre de rapport de forces et de guerre de l’information entre deux idéologies.
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Dans ce contexte de conflits, Les deux blocs reflétant deux idéologies fortement
distinctes se sont affrontés à distance revendiquant un modèle de références pour tous
et avec des armes non militaires.
« Le dessein de Moscou (…) revêtait une échelle qui allait bien au-delà du simple fait
divers : miner le moral de la société américaine et saper ses valeurs spirituelles pour mieux
affaiblir son esprit de défense et donc sa sécurité militaire » (Dénécé, 20008).
Après la guerre froide, le rapport du fort au fort dans lequel les Etats-‐Unis étaient avec
l’URSS, a disparu en laissant les américains dans une position inédite. C’est-‐à-‐dire que,
n’ayant plus aucun adversaire militaire ou idéologique, ils sont passés à une nouvelle
forme de stratégie qui se propagera, notamment aux états d’Europe. En d’autres termes,
les états vont considérer leurs anciens alliés tantôt comme des partenaires politiques et
diplomatiques, tantôt comme des concurrents économiques. Ce qui, parfois, pourra être
déroutant en ce qui concerne la coexistence entre alliés géopolitiques et adversaires sur
le plan de l’économie mondiale. De plus, symboliquement, la guerre de l’information
émerge avec la chute du mur de Berlin. C’est à partir de ce moment là, que l’information
va être révélée comme un enjeu économique et le centre de toutes stratégies.
Sachant que les origines de l’intelligence économique sont américaines, il n’est donc pas
déconvenu de reconnaître que le concept de « guerre de l’information » prend aussi ses
racines dans les positions stratégiques américaines. D’autant plus que plusieurs
publications américaines, au début des années 90, vont venir influencer l’émergence de
ce concept.
A partir des années 90, on assistera au passage de cette guerre de l’information de
niveau militaire à une guerre de l’information de niveau économique. La forte
accélération de la concurrence internationale et la prise en compte des nouveaux
marchés émergents et inconnus, va faire basculer la guerre informationnelle dans la
sphère économique. C’est ainsi, qu’on verra apparaître, aux Etats-‐Unis notamment, des
rapprochements entre les agences de renseignements et les organisations de
commerces extérieurs. Dès 1994, l’Advocacy Center est crée au département d’Etat
américain. C’est donc à partir du milieu des années 90, que l’on constate une
augmentation des pratiques d’intelligences économiques offensives. Avec la
libéralisation des capitaux, une rivalité croissante entre les grandes firmes ainsi que des
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politiques de globalisation de la chaîne de valeur, les années 90 seront le point de départ
et la mise en pratique de la guerre de l’information dans la sphère économique.
Nous détaillerons plus en profondeur l’impact des NPI et la chute de mur de Berlin sur
les stratégies des pays développés dans la seconde partie de ce dossier.
Ainsi, nous pouvons assurément affirmer que le changement de contexte de la
mondialisation a poussé l’émergence de la guerre de l’information. De plus, dans un
objectif rentable et de court terme, les Etats et entreprises se sont lancés dans cette
« course » à l’information négligeant peut-‐être alors, un travail plus laborieux et de long
terme sur des stratégies cognitives.
2) La guerre de l’information : des outils aux carences
Nous allons désormais nous intéresser aux moyens mis en place dans cette guerre de
l’information mais aussi, aux limites et aux problèmes que cette « course » à
l’information engendre ainsi qu’aux problématiques qu’elle néglige. Pour cela, nous nous
focaliserons dans un premier temps sur deux concepts qui ont eu leur importance au
plus fort de cette guerre de l’information. Il s’agit de l’ « information dominance » et de la
désinformation. Nous verrons que l’exploitation stratégique de l’information devient un
enjeu pour les entreprises de plus en plus important dans la transposition d’une
« guerre » qui passe de la sphère militaire à la sphère économique.
Tout d’abord, nous allons nous intéresser au concept d’ « Information dominance ». Né
sous l’impulsion anglo-‐saxonne en 1997, il est défini comme un « principe de contrôle des
sources électroniques et humaines sous-jacentes aux systèmes de décisions (économiques,
politiques et militaire)»3. En d’autres termes, la logique anglo-‐saxonne se base sur un
contrôle des infrastructures d’information ce qui permettra une plus grande maitrise
des systèmes de décisions et ainsi pouvoir influencer les systèmes politiques. Dans cette
optique de dominance, les États-‐Unis confirment leur volonté de perdurer en tant que
référence d’un modèle démocratique. De plus, contrairement à l’époque de la guerre
froide, une dissuasion nucléaire ne suffit plus dans les échanges géopolitiques. « Seul une
maitrise absolue de la production de connaissances (circuits éducatifs) et en aval (Internet,
médias, audiovisuels) peut leur assurer une légitimité durable sur le contrôle des affaires
3 Philippe Baumard, Les limites d’une économie de la guerre cognitive. Chapitre de l’ouvrage La guerre cognitive, 2002.
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mondiales »4. En d’autres termes, ceci confirme sans surprise l’impulsion volontaire
anglo-‐saxonne de cette démarche du « tout contrôle » de l’information mais, on aperçoit
aussi une nouvelle position stratégique des Etats-‐Unis. N’ayant plus d’adversaire
idéologique et militaire, comme l’URSS durant la guerre froide, ils ont adopté des
nouvelles stratégies appelées des « low intensity conflicts », c’est à dire des interventions
pacifiques synonymes de soutiens administratifs, sanitaires et éducatifs, mais aussi une
volonté de séduction diplomatique et économique.
Nous pouvons, tout de même, nuancer ces derniers propos par les tensions récentes
entre la Chine et les Etats-‐Unis notamment en terme idéologique : opposition entre
libéral et communisme, et militaire : revendication chinoise d’une zone de défense
militaire et manœuvres navales américaines.
Cependant, cette conception de la maitrise de l’information sera mise à mal par la nature
même du système dans lequel évolue cette doctrine anglo-‐saxonne. Cette optique de
contrôle absolu de la circulation de l’information est en contradiction avec les
fondements du modèle libéral véhiculé par les anglo-‐saxons. Ainsi, contrairement aux
décennies précédentes, la domination des canaux d’information et d’exploitation n’est
plus en lien avec la domination des « théâtres d’opérations », plus communément
appelée de nos jours « la scène internationale ». Désormais, même si la domination du
renseignement assure un rôle perpétuel dans l’issue d’un conflit, la supériorité ne se
trouve plus dans la remontée d’informations brutes mais dans la compréhension et
l’analyse instantanées des acteurs de ce conflit sur le « théâtre d’opération ».
Nous allons maintenant nous intéresser au second outil, la désinformation. Il n’est pas
dénué de ce sens d’affirmer que cet outil peut être considéré comme le plus destructeur.
Nous posons, comme axiome de notre réflexion sur la désinformation, la définition de
Robert Lacoste en 1986 : « c’est une arme redoutable à sens unique, sans possibilité de
rétorsion ; ses effets insidieux ne sont souvent décelables qu’avec le recul du temps.». Nous
allons voir que l’utilisation de cette pratique relève de 3 objectifs majeurs et 3 cibles
pour les atteindre. Tout d’abord, commençons par la perte de moyens psychologiques de
l’adversaire qui a pour but de provoquer une « paralysie décisionnelle »5. Cette paralyse
affecte la prise de décisions et par conséquent l’efficience de celles-‐ci. Ensuite, nous 4 Christian Harbulot, Nicolas Moinet, Didier Lucas, La guerre cognitive : A la recherche de la suprématie stratégique, 2002 5 Philippe Baumard, Les limites d’une économie de la guerre cognitive. Chapitre de l’ouvrage, La guerre cognitive, 2002.
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avons la perte de la réputation de l’adversaire pour toucher l’opinion des alliés, des
institutions et du public. Enfin, le dernier but et non le moindre, car on peut le
considérer comme le plus répercutant des trois, est la chute des soutiens financiers.
Attardons nous quelques instants sur cette dernière finalité. L’aspect financier
conditionne la réussite ou non d’un projet. Il est au cœur de toute construction
économique mais aussi politique. Prenons l’exemple d’une campagne électorale, les
soutiens financiers apportés aux candidats ont de grandes chances d’influencer l’issue
des élections. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que les comptes de campagnes soient
examinés par une commission nationale pour vérifier toute la légalité de ces soutiens
sachant l’importance qu’ils peuvent avoir. Au delà même de conditionner la finalité d’un
projet, le facteur finance affecte fortement les autres objectifs visés par la guerre de
l’information en « rachetant » une réputation et manipuler l’opinion publique par
exemple. Prenons une illustration datée mais concrète, les américains ont lancé une
opération dans la seconde guerre mondiale qui avait pour but de tromper les allemands
en leur faisant croire que le débarquement aurait lieu dans le Pas-‐de-‐Calais. Apres,
plusieurs fausses communications sur des mouvements de troupes et des agents
soudoyés, la mission fût un franc succès.
On peut distinguer trois cibles d’une démarche de désinformation. Il s’agit des
« systèmes de croyances », « des systèmes de commandement » et de « l’opinion
publique » (Philippe Baumard). Ainsi, une campagne de déstabilisation passant par l’une
de ces cibles devrait amener une perte de moyens qu’ils soient décisionnels, financiers
ou psychologiques de l’adversaire. Cependant, l’histoire nous a montré que les
conséquences de telles campagnes sont parfois mitigées notamment par l’opinion
publique. Les scandales passés ont mis en avant que l’opinion réagit peu aux « conflits
informationnels » quand ceux-‐ci ne concernent pas des risques alimentaires, sanitaires
ou physique. Prenons justement, comme illustration, la récente affaire sur la viande de
cheval en Europe connue en 2012 mettant au grand jour un scandale alimentaire sur de
la viande de bœuf remplacée par de la viande de cheval par des fournisseurs.
Conséquence de ce scandale : l’image des entreprises est détériorée, perte de confiance,
de réputation et surtout, des répercutions financières en termes de perte de chiffre
d’affaire et de soutiens financiers. Dernièrement, la société Tesco (groupe industriel
britannique) a perdu 360 millions d’euros suite à sa chute boursière après l’annonce
publique du scandale.
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Ceci étant, les codes moraux changent d’une zone géographique à une autre et la
question de la propre consommation de l’opinion publique peut être mise en avant. Tout
est histoire de contexte et d’environnement. C’est d’ailleurs par une analyse de son
environnement que l’entreprise pourra détecter les failles potentielles exploitables par
la concurrence et ainsi évaluer sa vulnérabilité informationnelle.
Nous avons vu par l’approfondissement de ces outils servant la guerre de l’information,
l’utilisation et les conséquences qu’ils peuvent engendrer. Toutefois, leurs utilisations ne
sont pas sans limites. Comme nous avons pu le voir, « l’information dominance » ne
garantie pas la suprématie cognitive, et la désinformation dont la réussite d’une
déstabilisation est fonction de la cible, d’un contexte, d’une culture et d’un
environnement. Rappelons-‐le, il faut savoir transformer l’information en connaissance
et que cette transformation nécessite tout un cheminement de long terme et un
environnement culturel précis. De plus, on peut observer un écart entre « dominance
par l’in formation » et « dominance par la connaissance » que les politiques
semblent ignorer.
II-‐ Un renouveau nécessaire de la guerre cognitive
1) Un contexte qui oblige un retour à la guerre cognitive
Faisons un léger rappel des évènements passés pour poser le cadre de notre réflexion
sur le retour de la guerre cognitive. Nous avons eu, dans un contexte de guerre froide,
une montée en puissance d’une « course » à l’information dans un combat opposant
deux idéologies utilisant principalement la dissuasion nucléaire comme pouvoir
d’influence. Le vainqueur, à partir des années 90, est passé à des influences de nature
plus stratégiques maniant à la fois le hard power (puissance militaire), le soft power
(puissance douce) et le smart power (la combinaison des deux). La guerre de
l’information passant de la sphère militaire à la sphère économique à forcer les
entreprises à se lancer dans cette course qui, certes est rentable à court terme, mais ne
permet pas de cohésion cognitive et par conséquent une suprématie. Il était vrai qu’à
cette époque la production, la protection et la circulation des informations codifiées
pouvaient donner une vraie suprématie à celui qui la détenait en premier. La
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libéralisation des capitaux a lancé la guerre de l’information et c’est la libéralisation des
connaissances qui va relancer la guerre cognitive. Depuis les années 2000, on a pu
observer un changement dans l’accessibilité des informations et notamment dans la
reproduction. Dans les années 90, les pays développés se sont vus concurrencés
industriellement par les Nouveaux Pays Industrialisés qui se sont insérés dans
l’économie mondiale. Plus précisément, nous parlons des 4 dragons asiatiques. Il s’agit
de la Corée du Sud, de Singapour, Hong Kong et Taiwan. Ils sont qualifiés de NPI à partir
des années 60 pour leur fort potentiel de croissance industriel et, c’est à partir de 1990
que leur croissance atteint un pic les faisant sortir du titre même de NPI. Ils sont dès lors
considérés comme des pays développés affichant des PIB par habitant semblable à
certain pays d’Europe comme le Portugal, la Grèce ou la Finlande. Aujourd’hui, parmi les
NPI, sont associés ceux que l’on appelle plus communément les « bébés tigres ». On y
retrouve la Malaisie, la Thaïlande, l’Indonésie, les Philippines, et le Viêt-‐Nam.
Au fil des années, tandis que les pays développés s’attelaient à leur guerre de
l’information pour se défendre contre ces nouveaux concurrents, ces derniers sont
montés en technologies et en gammes. A partir des années 2000, la libéralisation des
connaissances leur a permis de venir concurrencer les pays développés sur les marchés
très haut gamme. Désormais, il ne s’agit plus de posséder le stock le plus important
d’information, ce que s’attardaient à faire la plus part des pays développés, mais il faut
savoir la transformer en connaissance. Etant donné que tous les pays ont accès à la
même information, nous sommes obligés de revenir à une guerre cognitive par le
traitement et l’analyse des informations pour les transformer en connaissances puis en
informations utiles à la prise de décisions. Ainsi, les entreprises et les Etats, dans un
contexte hyper-‐concurrence, se sont vus obligés de repasser à un processus plus long et
laborieux pour être en état de rentrer dans cette guerre du cognitif.
On pourrait, aux premiers abords et avec une certaine suffisance, se contenter de mettre
en exergue la concurrence croissance des NPI, l’accessibilité des informations à tous et
la reproductibilité des informations quasi nulle comme responsables de ce besoin d’un
retour aux conflits cognitifs. Mais, il est intéressant de noter que la montée en puissance
des NPI n’est pas seulement de type industriel, elle est aussi cognitive. Ces nouveaux
pays industriels ne sont pas montés sur la scène internationale avec comme seul
argument d’avoir une main-‐d’œuvre moins chère, mais avec des processus de traitement
de l’information et de transformation en connaissance qui défient et surpassent de
nombreux pays développés dans la gestion des connaissances et des compétences. Il
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n’est pas étonnant de voir que les NPI se sont appuyés sur le modèle japonais pour
s’insérer dans le commerce international, notamment lorsqu’on connaît la réussite
économique de Toyota, le fleuron de l’automobile japonaise qui a retrouvé sa place de
leader sur le marché au début de cette année. Ceci montre encore que se munir
d’ « armes » pour « rentrer en guerre » cognitive est fonction d’une volonté de travail,
d’un environnement et d’une culture qui est propre aux pays. Ce qui fût le cas dans les
pays asiatiques qui ne sont pas contentés de devenir des concurrents industriels mais
aussi des concurrents cognitifs pour les pays occidentaux.
De l’autre coté du globe, la montée en puissance des pays asiatiques obligent, les pays
développés, notamment ceux d’Europe, à rentrer dans une guerre cognitive qui n’est
d’ailleurs pas forcement incluse, encore aujourd’hui, dans les stratégies de certains
d’entre eux. La prise de conscience, que la suprématie ne s’atteint pas dans
l’accumulation d’informations brutes, n’est pas encore assimilée par tous. Notons qu’une
telle démarche relève d’un processus long sur plusieurs décennies et qu’elle requiert de
vraies décisions stratégiques.
2) La recherche de la « dominance cognitive » de long terme et ses limites
Comment nous avons pu le voir, les années 2000 sont à l’image d’un retour nécessaire à
la guerre cognitive. L’accumulation d’information ne suffit plus pour être en position de
dominance. Comme précisé précédemment, la guerre cognitive demande de la réflexion
et savoir transformer les connaissances en de nouvelles connaissances. Cependant, ce
travail cognitif n’est pas une utopie. Un pays en est l’incarnation même. Il est le premier
à être rentré en guerre cognitive et c’est ce qui lui assure sa place de dominance
cognitive depuis plusieurs décennies. Il s’agit des Etats-‐Unis. Ils continuent leur
progression en assurant continuellement leur position de dominant. Ainsi, déjà à
l’époque de la guerre froide, ils défendaient leur idéologie, les valeurs et leur savoir.
Après la chute du bloc soviétique, les Etats-‐Unis se sont retrouvés sans rival et ont
changé leur nature d’influence. Depuis 90, ils appliquent des stratégies qui sont à la fois
du hard power, c’est à dire de la présence militaire et technologique, et du soft power,
c’est à dire la promotion de l’American way of life.
Pour pouvoir mettre en place des stratégies dans cette lutte de la « dominance
cognitive », il faut assurer une cohésion cognitive dans une entreprise ou un Etat.
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Prenons l’exemple de l’Union Européenne, la diversité des cultures et les réticences
cognitives aux stratégies d’intelligence économique font que l’Europe est en difficulté en
terme de stratégies cognitives. Au contraire, de l’autre coté de l’Atlantique, alors que les
pays européens commençaient leur guerre de l’information au début des années 90, les
Etats-‐Unis préparaient déjà des stratégies d’influences pour assurer durablement leur
suprématie en mettant en avant leur modèle de démocratie et en appliquant des
stratégies de hard power et soft power, comme vu précédemment. Aujourd’hui, ils
affichent clairement leur position dominante. De plus, pour approfondir notre pensée
sur la recherche de la « dominance cognitive », nous nous appuierons sur les travaux de
Philippe Baumard relayant ceux de René Girard, sur un aspect non négligeable des
conflits cognitifs. Contrairement aux conflits traditionnels, les conflits cognitifs ne sont
pas aussi volatiles que les conflits informationnels. Supprimer un porteur d’une
information et l’information disparaît mais, supprimer un porteur d’idéologie, de
valeurs, de manière de construire collectivement, ne fait pas disparaitre pour autant la
« cognition collective ». Et c’est ainsi que les Etats-‐Unis peuvent affirmer être en position
de « dominance cognitive ». Prenons l’exemple des OGM aux USA. La société Monsanto a
menée une « guerre cognitive » en s’appuyant sur des moyens psychologiques pour
influencer les comportements futurs des consommateurs. Ainsi en partant du principe
que le modèle américain était un modèle universel pour tous, la société Monsanto s’est
lancée dans des efforts de marketing intelligence, revendiquant un nouveau produit
source de profit. Ceci reflète l’attitude exacte et la perception des américains par rapport
aux autres pays et aux autres cultures. Ils veulent imposer leur vision et leur
fonctionnement aux autres civilisations.
Cependant, nous allons voir qu’une recherche perpétuelle de la dominance cognitive
peut montrer certaines limites. Comme dans toutes guerres, plusieurs camps
s’affrontent pour la « guerre cognitive » il s’agit plus de connaissances et d’idéologie.
Reprenons l’exemple sur les OGM vu ci-‐dessus. En partant du principe que le modèle
américain est applicable à tous, la société Monsanto s’est forgée un cadre d’analyse qui
exclut toute autre vision de leur produit et ainsi écarte des analyses extérieures à leur
culture. Par conséquent, les développeurs des OGM américains sont dans
l’incompréhension lorsqu’un agriculteur s’évertue à ne pas utiliser leurs produits qui
sont pourtant sources de profit. C’est par cette incompréhension que la société
Monsanto s’est retrouvée face à un refus d’intégration de la mentalité américaine, à une
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volonté de non-‐assimilation de principes et de méthodes étrangères, et qui était perçu
comme un signe de « soumission » des agriculteurs. De plus, dans ce cadre de volonté de
diffuser et de promouvoir ce model pour tous, il est possible que les Etats-‐Unis soient
confrontés à un rejet de leur vision au delà du simple cadre de l’agriculteur américain
mais aussi par les autres cultures européennes notamment.
De plus, il est intéressant de voir comment, dans certaines situations, une position de
dominance n’assure pas la pérennité de cette suprématie cognitive. Ce phénomène peut
être plus communément appelé un « paradoxe ». Plus précisément, dans le cas d’une
guerre cognitive, il s’agit d’une société qui, certes affiche une position dominante sur un
secteur mais qui, par des choix stratégiques inappropriés, va voir sa position être remise
en cause ou concurrencée par d’autres entreprises. Nous prendrons ici comme
illustration l’exemple de British Airways et Virgin. British Airways est en position de
dominance cognitive d’une part, par son expérience mais aussi par la connaissance du
métier, des routines et rouages qu’elle a créée pendant des années durant. Cependant la
venue d’un concurrent sur ce secteur a contraint British Airways à adopter une nouvelle
stratégie. Virgin Atlantic est venu capturer une part de la clientèle de la compagnie
britannique. Malgré sa position de dominance, British Airways s’est engagé dans une
démarche de renseignements économiques en piratant les ordinateurs de Virgin pour
capter des informations dans les leurs systèmes de réservations. Malheureusement,
cette action a été condamnée par la justice et British Airways en plus d’une amende, n’a
jamais retrouvé les parts de marchés qu’elle possédait avant l’entrée de Virgin sur le
secteur. Cette affaire illustre pleinement le paradoxe que l’on peut retrouver dans les
guerres cognitives. Une attaque menée, même en position de dominant cognitive, peut
avoir l’effet l’inverse de celui escompté.
Aux limites que l’on peut trouver dans certaines stratégies pour la dominance cognitive,
nous rajouterons celles liées aux stratégies de « soft power ». Le « Soft power » se basant
sur la séduction, la persuasion et l’influence d’un modèle ou d’une culture sur les autres,
peut aussi avoir des effets inverses. Rappelons que la réussite du « soft power » se base
sur une diffusion de valeurs et de culture véhiculées par une population d’un pays et que
d’autres populations viennent s’imprégner de ses valeurs et mode de vie. Autrement dit,
un « soft power » passe par la civilisation. Par conséquent, un « soft power » impulsé par
un gouvernement peut, à ce moment là, avoir des effets inverses et être perçu comme de
la propagande et non comme des valeurs universelles.
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Ainsi, comme nous l’avons constaté, un retour à la guerre cognitive est fortement
conseillé dans la recherche de la suprématie par les Etats et les entreprises. Il ne s’agit
plus de stocker l’information, mais plutôt d’être dans une optique de stock-‐flux afin de
créer de nouvelles connaissances dans des buts de captations de savoir, de pouvoir
d’innovation et de création cognitive.
Conclusion
Le passage de la « guerre de l’information » à la « guerre cognitive » reflète une prise de
conscience et une évolution de la société dans la recherche de la suprématie stratégique.
Ainsi, l’information brute ne devient plus un avantage assuré mais nécessite désormais
un travail long et laborieux à travers le traitement de l’information pour ainsi la
transformer en connaissance puis en information utile à la prise de décisions. C’est avec
une mondialisation qui se complexifie et une concurrence accrue des pays asiatiques,
non seulement en termes de coûts de production mais aussi, en terme de coordination,
gestion de l’information et production de connaissances. Ces pays ne doivent plus être
considérés comme des simples concurrents industriels mais comme de vrais
concurrents cognitifs.
De plus, comme les Etats-‐Unis l’ont fait pour accroître leur position de « dominance
cognitive », de nombreuses stratégies, basées sur la promotion de valeurs et d’influence,
sont à disposition des pays pour construire leurs stratégies cognitives.
Cependant, plusieurs variables sont à prendre en compte. S’engager dans une « guerre
cognitive » demande une vraie cohérence et cohésion dans les prises de décisions
stratégiques, ainsi qu’une capacité de traitement, d’analyse, d’exploitation, de
connaissance et de création de nouvelles connaissances. De plus, une autre variable est à
prendre en compte et non négligeable, il s’agit du contexte. Une dominance cognitive
acquise il y a 30 ans ne sera pas assurément acquise aujourd’hui. Le raisonnement
humain n’est plus le même qu’à l’époque de la guerre froide.
Nous pourrions nous interroger, dans un autre dossier, sur les capacités cognitives que
l’Europe pourrait mettre en application dans leurs stratégies politiques et économiques
de développement, mais ceci demandera une cohésion de la part des Etats. Les
différences culturelles seront un obstacle à prendre en considération et non négligeable.
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Bibliographie : Christian Harbulot, Nicolas Moinet, Didier Lucas (2002) : La guerre cognitive : A la recherche de la suprématie stratégique. Vie Forum intelligence économique de l’Association Aéronautique et Astronautique Française. Christian Harbulot et Didier Lucas (2004) : La guerre économique est-‐elle un paradigme des rivalités internationale ? Chapitre de l’ouvrage collectif, Lavauzelle 2004, La France a-t-elle une stratégie de puissance économique Christian Harbulot (1999) Intelligence économique et guerre de l’information. Article publié au 3è trimestre 1999 dans Les Cahiers de Mars, Revue des anciens de l’Ecole Supérieure de Guerre et du Collège Interarmées de Défense François-‐Bernard Huyghe : Qu’est ce que la guerre de l’information ? Article sur le site www. Huyghe.fr (2011). François-‐Bernard Huyghe (2003) : Trois guerres de l’information. Article publié dans la revue Humanisme Philippe Baumard (2002) : Les limites d’une économie de la guerre cognitive. Chapitre de l’ouvrage, Lavauzelle 2002, La guerre cognitive Rapport MARTE (1994) Intelligence économique et stratégie des entreprises, Rapport du Commissariat général du Plan, http://www.france24.com/fr/20080517-‐linformation-‐cest-‐guerre-‐information-‐manipulation http://www.cairn.info/revue-‐internationale-‐et-‐strategique-‐2004-‐4-‐page-‐63.htm