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La grâce de vieillir
« Quand tu étais jeune, tu nouais ta ceinture et tu allais où tu voulais ; lorsque tu seras devenu vieux, tu éten-dras les mains et c'est un autre qui nouera ta ceinture et qui te conduira là où tu ne voudrais pas » (Jn 21, 18).
Avant dernière parole de Jésus adressée à Pierre dans la finale johannique. Pierre vient d’être solennellement investi par trois fois
dans sa mission de Chef de l’Église.
* * *
Le thème du vieillissement n’est pas d’emblée attirant, surtout pour les moins vieux d’entre nous. Et puis,
restons modestes : « On n'accepte en réalité la vieillesse et la mort qu'à l'heure où elles arrivent » (George
Sand). Nous sommes tous concernés cependant, quel que soit notre âge, pour au moins 3 raisons :
Si nous voulons vivre longtemps, il nous faudra vieillir, autant nous familiariser avec cette idée !
Nous avons tous des proches (parents, amis, relations diverses) « atteints » par le grand âge. Nos compor-
tements vis-à-vis d’eux ne sont pas toujours évidents.
Dans notre modernité, notre regard sur la vieillesse – et sur nous-mêmes – est appelé à changer. Nous
assistons par exemple à un certain brouillage des âges, pas seulement du fait de l’allongement de la vie,
mais à cause des modes, publicitaires et vestimentaires entre autres. C’est que, en effet, : « Les coupures
soit en classes d'âge, soit en générations, sont tout à fait variables et sont un enjeu de manipulations. » (Pierre Bourdieu, « La ‘jeunesse’ n'est qu'un mot », Questions de sociologie, Paris, Éditions de Minuit, 1992, p.143-154.).
De toute façon, on est toujours le vieux ou le jeune de quelqu'un d’autre. Et puis, il y a :
• L’âge que l’on a
• Celui que l’on pense avoir
• Celui que l’on imagine que les autres nous donnent
• Et celui qu’ils nous donnent vraiment.
Bref, il n’y pas que nos hormones qui sont en pagaille, ce sont tous nos repères psychiques qui partent en
vrille. Des chercheurs anglo-saxons ont démontré que les gens qui se sentent plus jeunes de trois ans au moins
par rapport à leur âge biologique, vivent mieux et plus longtemps, résistant davantage aux pathologies ! (Uni-
versity College de Londres).
Enfin, ce soir, dans la ligne des thèmes de nos Buffets Roquette, « Vivre en ressuscités », nous avons une
chance de découvrir à quel point le grand âge est un pôle d’équilibre dans toute société, car notre regard sur
la vieillesse peut changer si nous découvrons que ce temps-là est un temps de grâce !
* * *
Trois étapes dans notre réflexion de ce soir :
1. L’énigme de la souffrance : dans le livre de Job.
2. La fécondité qui vient de Dieu dans l’histoire d’Abraham et de Sarah
3. Qu’est-ce que cela peut-il bien signifier pour nous ?
1. L’énigme de la souffrance
Une théologienne espagnole, appréciée par le pape François, dans son beau livre, Aux portes du soir. Vieillir avec
splendeur, écrit : « Il vaut mieux faire sortir les murmures retors qui se cachent dans notre sous-sol. Certes il nous
faut bien admettre le caractère inéluctable de la mort, mais le Créateur aurait tout de même pu nous choisir un
autre « format » pour l’étape qui la précède. Il est dit dans la Genèse qu’il vit que cela était bon, mais est-ce bien
sûr que cette déclaration de bonté et de beauté incluait aussi la vieillesse, tant elle est pleine de laideur et dégâts ? »
(Dolores Aleixandre, Aux portes du soir. Vieillir avec splendeur, Namur, Ed. Jésuites, 2016, p. 19).
Ne nous voilons pas la face devant les pertes, les décrépitudes liées au vieillissement qui peuvent nous faire
peur : maladies, infirmités, solitudes, veuvages, pertes de mémoire, angoisses face à la mort, peur de souffrir,
etc. De plus, au fur et à mesure qu’on avance en âge, c’est un nouveau statut social qui nous attend. Le départ

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à la retraite est un soulagement pour certains : finies les contraintes horaires et le stress de la compétition.
Mais pour d’autres, c’est la fin d’une belle carrière : « J’ai été tout, je ne suis plus rien ». Avec l’allongement
de la durée de vie, le vieillissement connaît en outre des phases successives qui ne sont pas forcément les
mêmes pour tous. Pour les partenaires d’un couple, par exemple, qui ne vieillissent pas à la même allure, il
n’est pas si rare de voir l’un des conjoints paniquer devant ce décalage. On peut toujours être tenté de chercher
des échappatoires : le déni, le laisser-aller, le chantage à l’entourage, l’enfermement dans sa solitude, quand
ce n’est pas une volonté d’anticiper la fin ! Bref, le temps qui passe finit toujours par nous acculer à penser à
la mort.
Tout le monde ici connaît le grand livre de Job, de 42 chapitres, écrit en vers, à l’exception du prologue et de
l’épilogue qui sont en prose et nous viennent d’une époque plus ancienne (11e siècle avant notre ère) : ils font
partie d’un conte populaire, d’origine non juive. Les poèmes, eux, sont d’un auteur juif, du temps de l’exil (+
ou – 600 avant J-C).
L’ensemble du livre pose l’énigme de la souffrance de l’innocent. Rassurons-nous : Job s’en sortira, comblé
de bénédictions : non seulement il retrouvera santé, famille et richesses, mais il vivra très vieux, « rassasié de
jours », à la manière des Patriarches de la Genèse dont on nous dit qu’ils atteignirent un âge invraisemblable !
(Voir le livret de famille d’Adam en Genèse, ch. 5). Noé par exemple a 500 ans quand il engendre trois fils !
« Job vécut encore, après cela, 140 ans, et il vit ses fils et les fils de ses fils jusqu’à la 4ème génération, Puis il
mourut, rassasié de jours ». (Jb 42, 16-17).
Mais auparavant, pardon, que de turbulences ! Et comment s’en sort-il ? Job y est présenté comme l’enjeu
d’un défi arrogant entre le Diable (= le mal absolu) et Dieu.
« Il y avait au pays de Ouç un homme du nom de Job. Il était, cet homme, intègre et droit, craignait Dieu et
s'écartait du mal. 7 fils et 3 filles ; 7 000 moutons, 3 000 chameaux, 500 paires de bœufs, 500 ânesses et une très
nombreuse domesticité. Cet homme était le plus grand de tous les fils de l'Orient. L'adversaire vint en audience
devant le Seigneur qui lui demanda : « As-tu remarqué mon serviteur Job ? Il n'a pas son pareil sur terre. C'est un
homme intègre et droit qui craint Dieu et s'écarte du mal. » Mais l'Adversaire répliqua : « Forcément, tu as béni
toutes ses entreprises … Mais touche à ce qu’il possède et tu verras. Je parie qu’il te maudira en face. » Dans tous
ces malheurs, Job se jeta à terre, adora et dit : « Sorti nu du ventre de ma mère, nu j'y retournerai. Le Seigneur a
donné, Le Seigneur a ôté, que le nom du Seigneur soit béni ! » - Le diable retourne une seconde fois à la cours
céleste : « Étends la main sur sa face, je parie qu’il te maudira en face » (Jb 1 et 2).
Une nouvelle fois, Dieu permet au diable de toucher à la santé de Job, à condition toutefois de le laisser en
vie. Désastre ! Job gît sur son fumier, couvert de lèpre et d’ulcères ! Et s’ensuit pour luiun défilé de faux
consolateurs.
- sa femme (Jb 2, 9-10) : « Maudis Dieu et meurs ! » Réponse de Job : « Tu parles comme une folle. Nous
acceptons le bonheur comme un don de Dieu. Et le malheur, pourquoi ne l'accepterions-nous pas aussi ?» « En
tout cela, Job ne pécha point par ses lèvres. »
- Ses 3 amis. Ils commencent par rester en silence 7 jours et 7 nuits auprès de Job (Jb 2, 13). Ils sont méritants !
Puis, ils entament une série de longs discours où ils veulent convaincre Job de sa culpabilité : tu as sûrement
mérité ça d’une façon ou d’une autre ; reconnais donc tes torts et Dieu t’écoutera, etc. Ils sont scandalisés par
les violentes réactions de Job. Il pousse des cris de révolte sans aucune auto censure, il maudit le jour de sa
naissance, évoquant la pendaison et le néant : « Périsse ma carcasse ! ». Beaucoup de thérapeutes nous disent
que le cri libère. Mais, à travers ses cris, Job continue à protester de son innocence. Et il réfute énergiquement
les arguments de ses amis (Job 6, 15-21) : « Consolations de néant ! Néant de l’amitié ! En quoi ai-je faibli,
montrez-le-moi ! » Et il s’adresse à Dieu : « Quand cesseras-tu de m’épier ? Me laisseras-tu avaler ma sa-
live ? Ai-je péché ? Ne peux-tu supporter ma révolte ? »
Le sentiment de culpabilité – dans lequel les 3 amis voudraient enfermer Job – est très fréquent chez ceux qui
voient approcher l’heure de la mort. Ce sentiment peut, certes réveiller des consciences endormies, mais chez
les souffrants, il peut devenir pernicieux. Job ne cède pas. Alors, devant leur échec, les soi-disant sages ces-
sèrent de parler puisque Job s’estimait juste. Ce mélange de révolte et de protestation d’innocence a beaucoup
d’allure.

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- un jeune théologien arrive enfin qui, lui, parce qu’il a étudié, se croit tout permis. Il se met en colère contre
Job et contre la capitulation des 3 vieux : « Je suis un jeune moi, et vous des vieux » (Jb 32, 6,)
« Je veux parler » (v. 6-10),
« Je peux parler » (11-14),
« Je dois parler » (15-22).
Lui, il sait ! En 4 longs poèmes (Jb ch. 32-35), il a, en fait, deux arguments :
« Dieu n’est pas méchant » (Jb 34, 6) ; non, mais il est juste : il punit les méchants et récompense les
bons. Concluez : Job ne fait pas partie des bons.
La souffrance a valeur d’avertissement. Comme si Dieu avait besoin de nous tenir en laisse par une
mesure préventive, Une vaccination en quelque sorte !
Job ne trouve pas la peine de répondre à ce jeune blanc-bec. Deux attitudes chez Job :
La confiance : « Seigneur, si je suis mis en jugement devant toi, je te prendrai comme mon témoin
contre toi ! Littéralement : Sois mon garant auprès de toi-même (Jb 17.3).
Une demande insistante à Dieu : « Parle-moi », Réponds-moi ! »
« Alors le Seigneur répondit à Job du sein de l’ouragan » (Jb 36, 1). Surprise : ce n’est pas une réponse directe.
Dieu entreprend un vaste tour d’horizon, un voyage dans toute la Création, dans l’univers : Qui a bouclé les
océans, qui a fait la neige, la glace, les constellations, et les animaux, même les moins sympathiques, hippo-
potames et crocodiles, désignés comme tortueux (Jb 40, 25) … Étais-tu là ? Faisais-tu partie de mon conseil
quand j’ai fait tout ça ?... Mais, sur les épreuves de Job, pas un mot, sinon : « Que dit de tout ça celui qui
ergote avec Dieu ? Qu’a-t-il à critiquer ? » (Jb 40, 2).
Job ainsi apostrophé répondit alors au Seigneur et dit :
« Je ne fais pas le poids,
Je mets la main sur ma bouche » (Jb 40, 4).
« Je sais que tu peux tout
Et qu’aucun projet n’échappe à ton emprise
… …
Je ne te connaissais que par ouï dire
Maintenant mes yeux ont vu ! » (Jb 42, 2, 5.)
Même parole chez le vieillard Siméon dans le Nouveau testament : « Mes yeux ont vu ton salut » (Lc 2, 30).
Job se déclare satisfait, il est apaisé, consolé, avant même d’être rétabli dans sa santé, sa famille, ses richesses.
Mais la question du « pourquoi la souffrance » reste absolument sans réponse. Et c’est au sein de la tempête,
donc au cœur de la souffrance, que Dieu parle. Le « ressenti » de Job, enfin, est de l’ordre de la « vision ».
« Mes yeux ont vu » : on donnerait cher pour savoir ce qu’il a vu.
2. Une fécondité qui vient de Dieu
Une vie sans projet cesse d’exister ; attendre la mort, ce n’est pas un projet. Voilà justement l’histoire d’un
couple devenu vieux et qui semblait ne plus rien attendre de la vie.
2.1. Le couple Abraham et Sarah
Il y deux récits différents de l’annonce de la naissance d’Isaac.
Gen 17, 15-18 (Tradition sacerdotale : une version masculine)
15. Dieu dit à Abraham : « Je te donnerai, par ta femme Sara, un fils … 17. 17. Abraham se jeta face contre terre et il rit ; il se dit en lui-même : « Un enfant naîtrait-il à un homme de cent ans ? Ou Sara avec ses quatre-vingt-dix ans pourrait-elle enfanter ? » 18. Abraham dit à Dieu : « Puisse Ismaël vivre en ta présence ! » 19. Dieu dit : « Mais non ! Ta femme Sara va t'enfanter un fils et tu lui donneras le nom d'Isaac… »

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Genèse 18, 1-15 (Tradition yawiste, plus ancienne, version féminine)
Abraham leva les yeux et aperçut trois hommes debout près de lui… 6. Abraham se hâta vers la tente pour dire à Sara : « Vite ! Pétris trois mesures de fleur de farine et fais des galettes ! » 7. et il courut au troupeau en prendre un veau bien tendre… (Bref, une scène d’hospitalité à l’orientale, voir le détail du menu). Abraham se tenait debout près de ses hôtes… 90 Et ils dirent : « Où est Sara ta femme ? « Il ré-pondit : « Là, dans la tente. » 10. Le Seigneur reprit : « … voici que Sara ta femme aura un fils. » Or Sara écoutait à l'entrée de la tente, derrière lui. 11. Abraham et Sara étaient vieux, avancés en âge, et Sara avait cessé d'avoir ce qu'ont les femmes. 12. Sara se mit à rire en elle-même et dit : « Tout usée comme je suis, pourrais-je encore jouir ? Et mon maître est si vieux ! » 13 Le Seigneur dit à Abraham : « Pourquoi ce rire de Sara ? Et cette question : « Pourrais-je vraiment enfanter, moi qui suis si vieille ? » … 15. Sara nia en disant : « Je n'ai pas ri », car elle avait peur. « Si ! reprit-il, tu as bel et bien ri. »
La version « masculine » La version « féminine »
Le Seigneur : un seul visiteur.
L’homme a chargé de renommer la femme, pour amplifier sa vocation.
L’homme reçoit la promesse : « Je te donnerai par Sara un fils ».
Le rire est un rire franc : « Il se jeta face contre terre et il rit ! ».
Tentative de l’homme de détourner la promesse à un niveau rationnel en l’appli-
quant à Ismaël le fils qu’il a déjà eu avec la servante.
Le Seigneur : trois visiteurs.
Scène d’hospitalité à l’orientale.
La femme reste cachée derrière l’homme.
La promesse concerne d’abord la femme : « Sarah, ta
femme aura un fils ».
L’objections quant à l’âge plus sexualisée.
Le rire de la femme est inavoué ; elle a peur.
NB. ‘’Sarah’’ signifie ‘’Promesse’’. ; ‘’Isaac’’ : ‘’entouré de rire’’
L’histoire ne s’arrête pas là : alors que la question de la descendance d’Abraham occupe une place centrale et
vitale dans le récit de la Genèse, les couples issus d’Abraham sont frappés de stérilité sur 4 générations :
Sarah, épouse d’Abraham, mère d’Isaac (Gn 11,30 : dans une généalogie !)
Rébecca, épouse d’Isaac, mère des jumeaux, Esaü et Jacob (Gn 25,21)
Léa et Rachel, les deux épouses de Jacob : « Quand le Seigneur vit que Léa n'était pas aimée,il la rendit
féconde alors que Rachel restait stérile (Gn 29,31).
NB. Il y a d’autres cas. La bible présente tout un chassé/croisé de jeux entre stérilité/fécondité.
L’épouse de Manoah, mère de Samson (Jg 13,2-3)
Anne et Pennina, les deux épouses d’Elqana. C’est Anne, la mère de Samuel, l’aimée, qui stérile ; sa rivale l’humilie. « La ste rile enfante 7 fois et la me re fe conde se fle trit » (1 S 2,5)
« Pousse des acclamations, toi, stérile, qui n'enfantais plus, explose en acclamations et vibre, toi qui ne mettais plus au monde ; car les voici en foule, les fils de la désolée, plus nombreux que les fils de l'épousée, dit le Seigneur. » (Es 54,1).
« Il installe au foyer la femme stérile, en joyeuse mère de famille. » (Ps 113, 9).
« Il est écrit : Réjouis-toi, stérile, toi qui n'enfantais pas ; éclate en cris de joie, toi qui n'as pas connu les douleurs ; car plus nombreux sont les enfants de la délaissée que les enfants de celle qui a un époux. » (Ga 4,27).
Dans le Nouveau Testament : Elisabeth, épouse de Zacharie, mère de Jean-Baptiste (Lc 1,7) et le cas particulier de Marie.
2.2. La situation de Marie
C’est inscrit dans l’évangile : Marie est fécondée hors relation conjugale (Lc 1, 34). La véritable fécondité
n’est pas toujours là où on croit la trouver. Elle est don de Dieu et ce don est en rapport avec « ce quelque
chose du cœur de l’homme » qui est ouvert à Dieu, et qui, chez Marie sera désigné comme une profonde
« virginité » qui la rend capable d’enfanter Dieu ». C’est l’étincelle de divin dont a parlé Maurice Fourmond
à notre première soirée, Dieu féconde le cœur virginal. De ce point de vue, l’expression « mère quoique
vierge » est un non-sens théologique : Marie devient mère de Dieu parce que vierge et d’autant plus vierge

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qu’elle est mère. Elle est en même temps vierge, en même temps mère. (Simul virgo, simul mater : le terme
latin « simul » est répété) : nous ne sommes pas dans un traité de gynécologie, mais dans une parole de grâce.
La fécondité de la vierge Marie découle de sa foi. « Marie a conçu le Verbe en son cœur avant qu’en son
corps. C’est plus qu’un jeu de mots, c’est une analogie profonde. L'idée sous-jacente c'est que la naissance
virginale qui procède de la foi même de Marie, se prolonge dans le cœur des chrétiens et dans l’Église, qui
continue de donner naissance à Dieu en ce monde » (René Laurentin). Fécondité générale de toute vie sous
l'Esprit-Saint.
Dieu ne méprise pas la chair, « œuvre d’art modelée par Lui » 1 et appelée à être fécondée par l’Esprit. Paul,
voulant expliquer ce qu’est un corps de ressuscité, distingue (1 Co 15, 35-48) le corps animal doué de vie
(c’est le premier) et le corps spirituel donnant la vie (il vient ensuite).
3. Qu’est-ce que tout cela peut-il bien signifier pour nous ?
Les deux thèmes bibliques que nous venons d’évoquer, nous propulsent à un niveau fortement symbolique
certes, mais il s’agit aussi d’un mode d’expression lié à une culture différente de la nôtre. La bible contient
cependant des révélations à prendre en compte. La manière de les exprimer ne doit pas nous arrêter. Je reprends
deux points : 1. De quels moyens (autre que médicaux bien sûr) disposons-nous face à la souffrance ? 2 Quelle
est donc cette promesse divine de fécondité ? Comment pouvons-nous parvenir à ce propos si apaisant : « Mes
yeux ont vu » ? De quoi s’agit-il ?
3.1. Le courage de vivre et d’assumer les pertes
Le vieillissement entraîne son cortège d’épreuves. Première série d’épreuves : les dysfonctionnements biolo-
giques. Il s’agit bien de courbes descendantes. Les vieux sont la clientèle privilégiée des hôpitaux : « Vous
faites partie des murs » - Merci on s’en passerait ! Ou bien, chez le dentiste : « Quel âge avez-vous ? » Tra-
duisez : « Est-ce que ça vaut vraiment le coup d’investir ? » Une épreuve plus redoutable encore : c’est le
sentiment d’avoir vécu ou de vivre quelque chose pour « la dernière fois ». Que de dernières fois dans une
vie ! « Dernière fois que je touche un volant, que je grimpe mes 6 étages, dernière fois que je peux partir en
voyage, dernière fois que je me regarde entier dans un miroir, avant une amputation, etc. À chacun ses der-
nières fois ! Curieusement, devant toutes ses pertes, Job revendique le droit de crier sa douleur et sa révolte,
ses instincts suicidaires. Mais, à aucun moment, il ne demande d’être rétabli dans son bonheur antérieur. « Le
courage, cela va, cela vient, tiens bon jusqu’à la prochaine livraison » dit Thomas Merton à l’un de ses novices.
Ajoutons que le courage ne tient pas seul : il a toujours besoin d’un réseau de solidarités ! les proches, les
amis, la communauté ecclésiale, le personnel soignant. On ne dira jamais assez l’immense soutien que repré-
sente le pouvoir de la main qui tient, en silence, une autre main, celle de la personne en souffrance.
3.2. Un « lâcher prise »
Nous ne sommes pas assez bêtes pour penser que Dieu aurait besoin de nous voir en situation de faiblesse
pour s’engouffrer dans nos failles. Il ne s’agit pas davantage d’une sorte de lâcheté qui oublierait Dieu quand
tout va bien et chercherait à se raccrocher à une force transcendante quand ça va mal. Et pourtant ! une situa-
tion de fragilité peut nous conduire à une forme de sagesse nouvelle. Il existe une mystérieuse alchimie entre
un « lâcher prise » et le commencement d’une voie de sagesse apaisante et féconde pour nous, nos enfants,
notre entourage. Il ne s'agit plus seulement de tenir bon, mais de consentir filialement à ce qui nous arrive : le
courage de l’abandon2. Marie de Hennezel, spécialiste de l’accompagnement en fin de vie, distingue trois
stades dans la souffrance : révolte, résignation, acceptation. ». Quelques exemples : j’étudiais, il n’y a pas si
longtemps, avec un groupe de nos sœurs aînées, la réponse de Dieu à Job, le grand déploiement divin cos-
mique ; j’ai entendu ma voisine murmurer : « Je me sens comme un grain de sable et ça m’apaise ». On m’a
aussi rapporté qu’un certain évêque, après un très grave accident, à sa sortie du coma, n’avait pas encore
1 Irénée de Lyon, Contre les hérésies. Iv, 1, 3. 2 « Le courage de l’abandon ». Leçon d’adieu prononcée le 5 novembre 2002, à l’Institut Catholique de Paris, par Père Joseph
Caillot, atteint, en pleine maturité, d’une grave maladie irréversible.

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récupéré la vue. Un visiteur lui a apporté des fleurs : Mgr raconte qu’il a allongé la main pour toucher un
pétale de fleur et que ça l’a en quelque sorte raccroché à la vie. Ou encore : cette parole d’un vieil ami en fin
de vie, disant à sa fille, d’une manière totalement sereine : « Ça y est ! j’ai passé la tête ».
À l’inverse du lâcher prise, la crispation, le refus – plus ou moins conscient – de se familiariser avec le vieil-
lissement et notre condition mortelle aggrave notre malheur. Le verset de Gn 2, 17 : « Le jour où tu mangeras
du fruit défendu, tu devras mourir » est intraduisible. Littéralement : « de mort, tu mourras ». Comprendre que
la mort biologique est une conséquence directe du péché est un non-sens qui rejoint l’utopie de l’immortalité.
Sans la mort, il y aurait crise de logement sur la planète ! Est-ce qu’il ne nous est pas plutôt donné à com-
prendre à quel point toute rébellion contre la mort naturelle entraîne une mort « seconde » bien plus grave
celle-là, la mort spirituelle du genre : attachement excessif aux richesses, soif de domination, jalousies, vio-
lences, meurtre de Caïn contre Abel, etc. bref toute tentative de se masquer la mort.
3.3. « Mes yeux ont vu »
La bible est truffée de récits de lumière. Chaque fois que des forces de résurrection sont évoquées, il y a de
la lumière ! Et cette lumière est « guérissante ».
Le récit de la vie de Jésus, dans les 3 évangiles synoptiques, est scandé en trois moments clés, à déchiffrer
l’un par l’autre – baptême, transfiguration, croix – où tout tourne autour de l’antithèse lumière/ténèbres3. Au
baptême de Jésus. L’Esprit descend sur lui, le ciel s’entrouvre, Dieu parle ! Le terme originellement associé
au baptême est celui d’illumination. Néophyte signifie « nouvellement illuminé ». Au baptême de Paul,
aveugle depuis qu’il fut terrassé sur le chemin de Damas, des écailles lui tombent des yeux et il voit (Ac 9,
17-18). Au milieu des évangiles synoptiques, à la scène de la transfiguration, Jésus, avant sa descente vers le
chemin de la passion est « illuminé » et bénéficie d’une vision céleste. Enfin la mise à mort de Jésus déclenche
les ténèbres qui seront traversées par la lumière définitive du Ressuscité.
Les yeux de la foi font de nous des dépositaires de la lumière de la résurrection. Mais il n’y a pas de définition
unique de cette lumière : chacun l’a reçue et la reçoit … Que penser de ce grand malade, revenant de Lourdes,
tout rayonnant, avec sa maladie, non guéri physiquement, disant à son entourage : « Je rentre guéri » ?
Conclusion
La vie ne pourrait pas continuer à s'allonger indéfiniment sans que nous donnions sens et utilité à cet allonge-
ment. La liturgie du dimanche 6 août dernier nous a présenté, en 1ère lecture, et en correspondance avec le récit
de la transfiguration de Jésus, la vision du prophète Daniel : « Je regardais dans mes visions durant la nuit »,
non sans angoisse d’ailleurs (Dn 7, 2). Et le prophète voit un vieillard lumineux, transfiguré à la manière du
Christ (Dn 7, 9-10). On n’a pas laissé à Jésus le temps de vieillir. C’est à son Église que revient le privilège
de témoigner de la lumière de la résurrection, sur les visages des baptisés, mais peut-être plus encore sur des
visages radieux de vieilles personnes avancées en âge, capables de rayonner d’une joie intérieure attirante :
« Il faut que la vieillesse soit sainte, sinon elle est obsédée. » (François Mauriac, Ce que je crois, Paris, Grasset 1902). Et je termine par ce mot de Victor Hugo :« Il y a on ne sait quelle aurore dans une vieillesse épa-
nouie ». Henriette DANET, fj.
* * *
Bibliographie ALEIXANDRE Dolores, Aux portes du soi. Vieillir avec splendeur, Trad. Yvan Murovec, Namur. Éditions jésuites, 2016, 212 p.
BURDIN Léon, Parler de la mort. Des mots pour la vivre, Paris, Desclée de Brouwer, 1997, 285 p.
CANDIARD Adrien, Veilleur où en est la nuit. Petit traité de l ’espérance à l’usage des contemporains. Condé-sur-Noireau, mars
2016. 100 p.
TOLLE Eckhart, Le pouvoir du moment présent, Trad. Annie J. Ollivier, Québec, Éditions Ariane (Diffusion France-Belgique Flam-
marion), 2000, 220 p. Titre original, The power of now, USA, 1999.
TOLLE Eckart, Mettre en pratique le pouvoir du moment présent. Méditations et exercices. Rad. Annie Olivier. Poche, 2011.
Christus, Vieillir, mourir, ressusciter, Mai 2007.
CAILLOT Joseph, Le courage de l’abandon, Leçon d’adieu à l’Institut Catholique de Paris, 5 novembre 2002. http://kubaba.univ-
paris1.fr/divers/caillot.pdf
3 Encore plus flagrant en Jn 1, 8,12 et ch.9 : Jésus, « lumière » du monde !

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Questions pour l’échange
« Seigneur, je sais que tu peux tout et qu'aucun projet n'échappe à tes prises. Qui est celui qui dénigre la providence sans y rien connaître’’ ? Eh oui ! J’ai abordé, sans le savoir, des mystères qui me confondent… Je ne te connaissais que par ouï-dire, maintenant, mes yeux t'ont vu. » (Prière de job (Jb 42, 2-5)
1. Dans un tour de table, exprimez un point qui vous a personnellement touché au cours de l’exposé.
2. « Est-ce parce que je suis méchante que Dieu me punit ? » (Question d’une malade en fin de vie à l’un de
ses proches). Face au sentiment de culpabilité, en quoi l’attitude de Job peut-elle nous inspirer ?
3. « Tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, mes yeux ont vu ». (Lc 2, 30). Avons-nous connu, dans
nos vies des expériences de ce type qui laissent une lumière durable et réconfortante ?