La grande guerre Un travail de mémoire Pistes...
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La grande guerre
Un travail de mémoire
Pistes artistiques
Jacques Audrerie – Archives départementales
Sandrine Brouard & Emmanuel Blancher – CPC Limoges 4
Animation Pédagogique
Les artistes pendant la grande guerre
Pablo Picasso, Guillaume de
Kostrowitzky, artilleur, 1914, encre et aquarelle sur papier, 23 x 12,5 cm.
Henri Gaudier-Brzeska, La mitrailleuse en action, 1915, crayon sur papier, 28 x 22 cm, Musée national d'art moderne,
Paris.
Otto Dix, "Selbstbildnis mit Artillerie-
Helm" (Autoportrait au casque d'artilleur), 1914, huile sur papier, recto verso, 68 x 53,5 cm, Galerie municipale,
Stuttgart.
Otto Dix, Selbstbildnis als Soldat
(Autoportrait en soldat), 1914, huile sur papier, recto verso, 68 x 53,5 cm,
Galerie municipale, Stuttgart.
William Roberts, The First German Gas Attack at Ypres (La première attaque
allemande au gaz à Ypres), 1918, huile sur toile, 304,8 x 365,8 cm, National
Gallery of Canada, Ottawa.
C. R. W. Nevinson, Machine-gun (La
Mitrailleuse), 1915, huile sur toile, 61 x 50,8 cm, Tate Gallery, Londres.
Otto Dix, Sturmtruppe geht unter Gas
vor (Assaut sous les gaz), 1924, aquatinte, 35,3 x 47,5 cm, Deutsches
Historiches Museum, Berlin
C. R. W. Nevinson, Returning to the
Trenches (Retour aux tranchées), 1914-15, huile sur toile, 51 x 76 cm, National
Gallery of Canada, Ottawa
Gino Severini, Canon en action, 1915, huile sur toile, 50 x 60 cm, Museum
Ludwig.
C. R. W. Nevinson, A Bursting Shell
(L'explosion d'un obus), 1915, huile sur toile, 76,2 x 55,9 cm, Tate Gallery,
Londres.
John Nash, Oppy Wood, 1917. Evening (Le bois d'Oppy, 1917. Le soir), 1917,
huile sur toile, 172,8 x 210,6 cm, Imperial War Museum, Londres.
Eric Heckel, Zwei Verwundete (Deux
soldats blessés), 1915, xylographie sur papier, Musée Folkwang, Essen.
Henri Gaudier-Brzeska, Un de nos obus explose, 1915, crayon sur papier, 22 x
28,5 cm, Musée national d'art moderne, Paris.
Ossip Zadkine, Loude, 1916, encre de
Chine et aquarelle sur papier, 26 x 33,5 cm, Musée d'histoire
contemporaine - BDIC, Paris.
Ossip Zadkine, Ambulance russe, 1917, fusain sur papier, 25,5 x 33 cm, Musée d'histoire contemporaine - BDIC, Paris
Pierre Bonnard, Un village en ruines
près de Ham, 1917, huile sur toile, 63 x 85 cm, Musée d'histoire
contemporaine - BDIC, Paris.
Félix Vallotton, Le cimetière de Châlons-
sur-Marne, 1917, huile sur toile, 54 x 80 cm, Musée d'histoire
contemporaine - BDIC, Paris.
Otto Dix, Prager Straße (La rue de
Prague), 1920, huile et collage sur toile, 101 x 81 cm, Galerie der Stadt,
Stuttgart.
Marcel Gromaire, La Guerre, 1925,
huile sur toile, 127,6 x 97,8 cm, Musée d'art moderne de la Ville de Paris.
Lettre du 30 septembre 1915 qui contient le poème Il y a
Il y a
Il y a un vaisseau qui a emporté ma bien-aimée
Il y a dans le ciel six saucisses pareilles à des asticots dont il naît des étoiles
Il y a un sous-marin ennemi qui en voulait à mon amour
Il y a mille petits sapins brisés par les éclats d'obus autour de moi
Il y a un fantassin qui passe aveuglé par les gaz asphyxiants
Il y a que nous avons tout haché dans les boyaux de Nietzsche de Goethe et de Cologne
Il y a que je languis après une lettre qui tarde
Il y a dans mon porte-cartes plusieurs photos de mon amour
Il y a les prisonniers qui passent la mine inquiète
Il y a une jeune fille qui pense à moi à Oran
Il y a une batterie dont les servants s'agitent autour des pièces
Il y a le vaguemestre qui arrive au trot par le chemin de l'Arbre isolé
Il y a dit-on un espion qui rôde par ici invisible comme le bleu horizon dont il est vêtu et avec quoi il se
confond
Il y a Vénus qui s’est embarquée nue dans un havre de la mer jolie pour Cythère
Il y a les cheveux noirs de mon amour
Il y a dressé comme un lys le buste de mon amour
Il y a des Américains qui font un négoce atroce de notre or
Il y a un capitaine qui attend avec anxiété les communications de la T.S.F. sur l'Atlantique
Il y a à minuit des soldats qui scient les planches pour les cercueils
Il y a des femmes qui demandent du maïs à grands cris devant un Christ sanglant à Mexico
Il y a le Gulf Stream qui est si tiède et si bienfaisant
Il y a un cimetière plein de croix à 5 kilomètres
Il y a des croix partout de-ci de-là
Il y a des figues de Barbarie sur ces cactus en Algérie
Il y a les longues mains souples de mon amour
Il y a un encrier que j'avais fait pour Madeleine dans une fusée de 15 centimètres et qu'on n'a pas laissé
partir
Il y a ma selle exposée à la pluie
Il y a les fleuves qui ne remontent pas leurs cours
Il y a l'amour qui m'entraîne avec douceur vers Madeleine
Il y avait un prisonnier boche qui portait sa mitrailleuse sur son dos
Il y a des hommes dans le monde qui n'ont jamais été à la guerre
Il y a des Hindous qui regardent avec étonnement les campagnes occidentales
Il y a des femmes qui apprennent l’allemand dans les régions occupées
Elles pensent avec mélancolie à ceux dont elles se demandent si elles les reverront
Et par-dessus tout il y a le soleil de notre amour
Gui
Voici le poème publié dans Calligrammes
Il y a
Il y a un vaisseau qui a emporté ma bien-aimée
Il y a dans le ciel six saucisses et la nuit venue on dirait des asticots dont naîtraient les étoiles
Il y a un sous-marin ennemi qui en voulait à mon amour
Il y a mille petits sapins brisés par les éclats d'obus autour de moi
Il y a un fantassin qui passe aveuglé par les gaz asphyxiants
Il y a que nous avons tout haché dans les boyaux de Nietzsche de Goethe et de Cologne
Il y a que je languis après une lettre qui tarde
Il y a dans mon porte-cartes plusieurs photos de mon amour
Il y a les prisonniers qui passent la mine inquiète
Il y a une batterie dont les servants s'agitent autour des pièces
Il y a le vaguemestre qui arrive au trot par le chemin de l'Arbre isolé
Il y a dit-on un espion qui rôde par ici invisible comme l'horizon dont il s'est indignement revêtu et avec
quoi il se confond
Il y a dressé comme un lys le buste de mon amour
Il y a un capitaine qui attend avec anxiété les communications de la T.S.F. sur l'Atlantique
Il y a à minuit des soldats qui scient les planches pour les cercueils
Il y a des femmes qui demandent du maïs à grands cris devant un Christ sanglant à Mexico
Il y a le Gulf Stream qui est si tiède et si bienfaisant
Il y a un cimetière plein de croix à 5 kilomètres
Il y a des croix partout de-ci de-là
Il y a des figues de Barbarie sur ces cactus en Algérie
Il y a les longues mains souples de mon amour
Il y a un encrier que j'avais fait dans une fusée de 15 centimètres et qu'on n'a pas laissé partir
Il y a ma selle exposée à la pluie
Il y a les fleuves qui ne remontent pas leurs cours
Il y a l'amour qui m'entraîne avec douceur
Il y avait un prisonnier boche qui portait sa mitrailleuse sur son dos
Il y a des hommes dans le monde qui n'ont jamais été à la guerre
Il y a des Hindous qui regardent avec étonnement les campagnes occidentales
Ils pensent avec mélancolie à ceux dont ils se demandent s'ils les reverront
Car on a poussé très loin durant cette guerre l'art de l'invisibilité
La tranchée Ô jeunes gens, je m’offre à vous comme une épouse. Mon amour est puissant, j’aime jusqu’à la mort. Tapie au fond du sol, je vous guette jalouse Et mon corps n’est en tout qu’un long baiser qui mord.
Toujours (A Madame Faure-Favier)
Toujours Nous irons plus loin sans avancer jamais Et de planète en planète De nébuleuse en nébuleuse Le don Juan des mille et trois comètes Même sans bouger de la terre Cherche les forces neuves Et prend au sérieux les fantômes Et tant d’univers s’oublient Quels sont les grands oublieurs Qui donc saura nous faire oublier telle ou telle partie du monde Où est le Christophe Colomb à qui l’on devra l’oubli d’un continent Perdre Mais perdre vraiment Pour laisser place à la trouvaille Perdre La vie pour trouver la Victoire
Guillaume Apollinaire (1890-1918)
La colombe poignardée et le jet d’eau
Douces figures poignardées chères lèvres fleuries Mya Mareye Yette et Lorie
Annie et toi Marie Où êtes-vous ô jeunes filles
Mais près d’un jet d’eau qui pleure et qui prie Cette colombe s’extasie
Tous les souvenirs de naguère O mes amis partis en guerre Jaillissent vers le firmament
Et vos regards en l’eau dormant Meurent mélancoliquement
Où sont-ils Braque et Max Jacob Derain aux yeux gris comme l’aube
Où sont Raynal Billy Dalize Dont les noms se mélancolisent Comme des pas dans une église Où est Cremnitz qui s’engagea Peut-être sont-ils morts déjà
De souvenirs mon âme est pleine Le jet d’eau pleure sur ma peine.
Ceux qui sont partis à la guerre Au Nord se battent maintenant Le soir tombe Ô sanglante mer
Jardins où saignent abondamment le laurier rose fleur guerrière.
Guillaume Apollinaire (1890-1918)
Le Feu, Henri Barbusse, 1916
Chapitre XX. Le Feu
Alors une mitrailleuse placée de l’autre côté du ravin a balayé la zone où nous étions. Le caporal Bertrand et moi
avons eu la chance de trouver devant nous, au moment où la fusée montait, rouge, avant d’éclater en lumière, un
trou d’obus où un chevalet cassé tremblait dans la boue ; on s’est aplatis tous les deux contre le rebord de ce
trou, on s’est enfoncés dans la boue autant qu’on a pu et le pauvre squelette de bois pourri nous a cachés. Le jet
de la mitrailleuse a repassé plusieurs fois. On entendait un sifflement perçant au milieu de chaque détonation, les
coups secs et violents des balles dans la terre, et aussi des claquements sourds et mous suivis de geignements,
d’un petit cri et, soudain, d’un gros ronflement de dormeur qui s’est élevé puis a graduellement baissé. Bertrand
et moi, frôlés par la grêle horizontale des balles qui, à quelques centimètres au-dessus de nous, traçaient un
réseau de mort et écorchaient parfois nos vêtements, nous écrasant de plus en plus, n’osant risquer un
mouvement qui aurait haussé un peu une partie de notre corps, nous avons attendu.
Enfin, la mitrailleuse s’est tue, dans un énorme silence. Un quart d’heure après, tous les deux, nous nous sommes
glissés hors du trou d’obus en rampant sur les coudes et nous sommes enfin tombés, comme des paquets, dans
notre poste d’écoute. Il était temps, car, en ce moment, le clair de lune a brillé. On a dû demeurer dans le fond de
la tranchée jusqu’au matin, puis jusqu’au soir. Les mitrailleuses en arrosaient sans discontinuer les abords. Par les
créneaux du poste, on ne voyait pas les corps étendus, à cause de la déclivité du terrain : sinon, tout à ras du
champ visuel, une masse qui paraissait être le dos de l’un deux. Le soir, on a creusé une sape pour atteindre
l’endroit où ils étaient tombés. Ce travail n’a pu être exécuté en une nuit ; il a été repris la nuit suivante par les
pionniers, car, brisés de fatigue, nous ne pouvions plus ne pas nous endormir.
Lettres de soldats
Français
La boue
«Quelle vie ! La boue, la terre, la pluie. On est saturé, teint, pétri. On trouve de la terre partout, dans ses poches, dans son mouchoir, dans ses habits, dans ce qu’on mange.»
Henri Barbusse, Lettre à sa femme
La nourriture «On est crevé, on n’en peut plus. Pas de café, on a chaviré en route. Ils ne protestent pas, ils savent que tout est misère dans ce monde de misère. Ils remplissent leurs gamelles et mangent silencieusement leur ratatouille froide – bœuf bouilli, pommes de terre vinaigrées – en cherchant à se préserver de l’eau et de la terre ; mais ils ont les mains glaiseuses, et le pain qu’ils ont touché crisse sous leurs dents.»
P. Truffau, Carnets d’un combattant, 1917
Les gaz «Des hommes se roulaient à terre, convulsés, toussant, vomissant, crachant le sang. Puis une terrible odeur, charriée par le vent, entra dans nos narines.»
Octave Béliard
L’aliénation « Je ne suis plus qu’un squelette où la figure disparaît sous une couche de poussière mêlée à la barbe déjà longue. Je tiens debout comme on dit en langage vulgaire parce que c’est la mode. »
Émile Sautour, le 19 juillet 1915
Allemands
Les trous d’obus «Nous avons passé trois jours couchés dans les trous d’obus sans la moindre goutte d’eau à boire et dans une terrible puanteur de cadavres. Un obus recouvre les cadavres de terre, un autre les exhume à nouveau. Dès qu’on se met à creuser un abri, on tombe sur des morts.»
Karl Fritz, 16 août 1916
La peur de la déshumanisation « Une chose m’oppresse chaque jour un peu plus : je crains de m’endurcir au point de me déshumaniser ; les balles, les grenades, rien de tout cela ne me fait peur, mais bien la perspective de mon isolement intérieur. Je crains de perdre ma foi en l’homme, en moi-même, en tout ce qui est bon et bien ici-bas. Ah, c’est effroyable ! »
Franz Blumenfeld, jeune étudiant de 22 ans, écrivant à sa mère, 1915
La fraternisation lors des enterrements « Il y avait un enterrement juste devant la ligne de feu, auquel participaient, comme les observateurs de l’artillerie le constatèrent avec leur longue-vue, de nombreuses bandes de nos troupes mais également des troupes ennemies. Échange de vin, de pain, d’alcool, discussions de toutes sortes sont devenus habituels. »
Walter Hamann, 1915