LA GOUVERNANCE DES ARMÉES

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LA GOUVERNANCE DES ARMÉES AFRICAINES :

enjeux de la transparenceet pesanteurs de la corruption

Revue P&S-ASSPaix et Sécurité en Afrique subsaharienne

N°02, Décembre 2020

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Deuxième édition co-publiée par:Konrad Adenauer Stiftung

Programme pour le Dialogue sur la Sécurité en Afrique subsaharienneRue Flamboyant, Cocody Ambassades, Abidjan Rép. de Côte d’Ivoire

Téléphone : 00225. 22 48 18 0008 BP 4134 Abidjan 08

www.kas.de/sipodi : https://www.facebook.com/sipodikas/

et

Association Béninoise d’Etudes Stratégiques et de Sécurité (ABESS)https://facebook.com/ABESS.INFOS

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Cotonou, République du Bénin

Les opinions et analyses émises dans les chapitres sont sous la responsabilitédes auteurs.

Désign : FOFANA YssoufImpression : YOKA Prest, Abidjan, Tél. 00225. 05 72 43 91 / 03 17 95 35

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SOMMAIRE

Avant-propos ......................................................................................................................................................5

Editorial .....................................................................................................................................................................7

Le Comité scientifique et de coordination .................................................................... 9

Notes biographiques................................................................................................................................. 11

Introduction ........................................................................................................................................................13

Chapitre I. Gestion des fonds issus des opérations de paix et relations entre acteurs au

sein de la haute administration de l’État au Bénin : essai d’analyse sociologique d’une opacité

fonctionnelle ...................................................................................................................................................................17

Chapitre II. Quête de transparence des ONG dans le secteur de la sécurité au Niger : briser

continuellement le plafond de verre ................................................................................................................... 35

Chapitre III. La règle de l’exception :

réflexions sur le régime spécial accordé aux marchés spéciaux de la défense par le Code des

Marchés Publics au Cameroun .............................................................................................................................. 45

Chapitre IV.Armée et gouvernance publique : l’exigence de transparence face à la spécificité

de l’institution militaire au Bénin ........................................................................................................................... 59

Chapitre V. Building Integrity in the Defence Sector of Sub-Sahara African States: The Case for

Resilient National Defence Industrial Bases ..................................................................................................... 71

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Avant-propos

Le numéro 02 de votre Revue « Paix et Sécurité en Afrique subsaharienne » est désormais disponible ! Après le grand succès

qu’a connu la précédente parution, celle du mois de septembre 2020, et de l’intérêt qu’elle a toujours suscité auprès de nos partenaires et d’un large public, le présent numéro a poussé un peu plus loin l’ingéniosité de la réflexion sur les politiques sécuritaires en Afrique subsaharienne. À travers un thème évocateur : « la gouvernance des armées africaines : enjeux de la transparence et pesanteurs de la corruption », les experts, aux profils variés, font une incursion au cœur de la gestion des ressources – matérielles et financières – de la grande muette.

Autour des enjeux de la transparence et de l’opacité, une dimension essentielle de la performance des armées africaines est abordée sans exhaustivité. Les questions liées à la gouvernance des ressources du secteur de la sécurité et de la défense en Afrique, celles relatives à la transparence budgétaire comme gage de la sécurité nationale, l’état des lieux et les perspectives en Afrique sont en somme autant de problématiques défrichées. Dans une lecture croisée des contributions à ce numéro, le lecteur découvre une bonne palette de travaux traitant autant que possible – mais pas seulement – de l’approche institutionnaliste d’une dimension importante de la Réforme du Secteur de la Sécurité (RSS) qu’est la gestion des ressources des armées africaines.

À l’instar du numéro du mois de septembre 2020 ayant donné lieu à des discussions formelles entre les experts-contributeurs et les membres du Comité scientifique lors de son lancement officiel à Cotonou, les thématiques abordées dans le présent numéro seront également discutées à travers un séminaire de lancement qui aura lieu à Possotomè au Bénin. Ce format qui consiste à faire intervenir, au détour des tables rondes, les experts ayant contribué à la Revue sur des thématiques spécifiques est une

exclusivité du partenariat existant entre l’Association Béninoise d’Études Stratégiques et de Sécurité (ABESS) et la Fondation Konrad Adenauer dans le cadre de la conception, l’édition et la distribution de la Revue « Paix et Sécurité en Afrique subsaharienne ».

Toute l’équipe du Programme de politiques sécuritaires en Afrique subsaharienne (SIPODI) de la Fondation Konrad Adenauer est reconnaissante de l’expertise sans cesse prouvée et renouvelée des membres de l’ABESS et ceux du comité scientifique et de coordination de ce numéro, présidé par le Professeur Nicaise MEDE, à la réalisation de cette œuvre.

À tous les amoureux de la lecture, aux chercheurs, aux gouvernants, je voudrais souhaiter une bonne lecture!

Chères lectrices, chers lecteurs,

Roland STEINDirecteur Régional – Dialogue de Politique Sécuritaire

en Afrique subsaharienne (SIPODI),Abidjan Novembre 2020

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Editor ia lLe monde s’effondrerait-il ? Chinua Achebe1 a croqué, dans une formulation saisissante, le mal de notre temps : la perte des valeurs. Ce qu’on appelle l’honneur chevaleresque a presque déserté le forum, je veux dire la vie publique. Ne pas dire la vérité est devenu un lieu commun dans les relations interindividuelles, dans l’image que l’on donne de soi, dans le rapportage que nous faisons des faits et des propos : des jeunes footballeurs se donnent faussement des âges de junior afin de pouvoir participer à la Coupe d’Afrique des moins de 18 ans ;2 le Président en exercice des États-Unis se fait le champion de la contre-vérité mais récolte, aux élections, des dizaines de millions de voix d’électeurs3 ; la crème du cyclisme mondial se fait doper à divers stupéfiants, sans état d’âme, parce que cela « fait partie du boulot» comme dit le cycliste américain Lance Armstrong, plusieurs fois champion du Tour de France cycliste ;4 lorsque le Portugais José Manuel Barroso, quitte son poste de Président de la Commission de l’Union européenne, c’est avec un sans-gêne remarquable qu’il se fait embaucher par la banque américaine Goldman Sachs , une banque qui s’est distinguée, au cours de la décennie 2010 en aidant la Grèce à présenter des comptes truqués pour rester dans l’euro.5

Le monde change, le monde bouge et les valeurs se font évanescentes dans le tourbillon de notre quête effrénée du fric, de la gloire et du pouvoir. Les valeurs de transparence, de probité, de sincérité et d’honneur ne sont plus que des reliques d’un passé qui résiste mais doit se résigner à n’être plus qu’un décor d’arrière-plan. Le monde change, le monde s’effondre et fait place à ce qu’Aminata Sow Fall appelle «L’empire du mensonge»,6 l’empire de la contre-vérité, l’empire des vérités occultées. «Partout, s’interroge Michel Fize,

ne voit-on pas l’imposture, la calomnie, la manipulation ? Partout, n’observe-t-on pas la prédominance de la méchanceté et de la fausseté, au point qu’il est permis de se demander si, dans notre monde, l’ordre des valeurs n’est pas irrémédiablement inversé, et si les valeurs négatives n’ont pas pris le pas sur les valeurs positives ? Bref, le monde ment de toutes les manières possibles et imaginables.»7

L’ombre du mensonge se fait envahissante et finit par imprégner la vie publique. La gouvernance publique africaine est menacée par le syndrome du millénaire. La «grande muette» aussi. Et pour cause.L’administration des forces armées a traditionnellement été un univers du clair-obscur, du secret et des non-dits. Ce qu’on appelle là-bas le «bordel civil» est une contre-valeur sous le drapeau et le treillis : on ne parle pas ou peu, on ne montre rien ou peu. L’armée évolue dans la pénombre et la commande publique de céans ne figure pas systématiquement dans les colonnes des journaux ou les communiqués radiodiffusés. Le jargon administratif a une locution pour désigner cet état d’esprit et cette pratique : le secret-défense. Et pourtant !

Il convient, en effet, de discerner ce qui n’est qu’un alibi facile et ce qui correspond aux nécessités de gestion de ce qui concerne notre sécurité collective, la vie des institutions et la pérennité de l’État. Si la République est menacée dans son exister quotidien et si les institutions ne peuvent plus fonctionner, il y aurait tout simplement crise ; ce qui mettrait en péril le territoire, les populations et leur gouvernement. Lorsque notre destin collectif peut être mis en cause, on ne demande à la «grande muette» que de faire preuve d’efficacité. La transparence devient une valeur

1Ch. Achebe, Things Fall Apart, Londres, Heineman éditeur, collection African Writers Series, 19582 Voir Journal béninois de service public La Nation n°7063 du 05 septembre 2018, p. 9.3 «Il n’existe tout simplement pas de précédent où un président américain a passé autant de temps à dire des faussetés. [...] Il est en train d’essayer de créer une atmosphère dans laquelle la réalité est impertinente», écrit le New York Times. Voir David Leonhardt and Stuart A. Thompson, « T r u m p ’ s L i e s » in https://www.nytimes.com/interactive/2017/06/23/opinion/trumps-lies.html?mcubz=1, consulté le 14 décembre 20174 Lance Armstrong, champion du monde du cyclisme 1993, a qualifié de son parcours de «programme de dopage le plus sophistiqué, profession-nalisé et fructueux de l’histoire du sport». Il ajouta : «Mon cocktail, c’étaient l’EPO, les transfusions et la testostérone» https://www.lemonde.fr/sport/article/2013/01/18/armstrong-mon-cocktail-c-etait-l-epo-les-transfusions-et-la-testosterone_1818858_3242.html, consulté le 18 janvier 2013 5 Voir Mathilde Damgé, «Barroso chez Goldman Sachs : quel est le rôle du comité d’éthique européen ?» in http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/09/15/barroso-chez-goldman-sachs-quel-est-le-role-du-comite-d-ethique-europeen_4998070_4355770.html#e3ukW6B6woiC0WtV.99, consulté le 15 septembre 2016.6 A. Sow Fall, L’empire du mensonge, Paris, Le Serpent à plume, 2018.7 M. Fize, Les menteurs, Pourquoi ont-ils peur de la vérité ? Paris, Les Editions de l’Homme, p.15

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résiduelle voire inopportune.

Cependant et malgré tout, la transparence, l’équité et l’inclusion peuvent devenir des adjuvants de l’efficacité lorsqu’elles s’appliquent non pas aux questions opérationnelles de l’armée mais aux questions relationnelles et d’estime de soi. Un bon soldat, c’est d’abord un soldat honnête, c’est un soldat motivé, qui ne subit pas de discrimination dans sa rémunération, un soldat qui n’est pas moins bien payé en raison de son sexe, de sa race, de sa religion, un soldat qui n’est pas victime de l’arbitraire gestionnaire de

sa hiérarchie. En somme, il faut se convaincre que le secret a ses limites dans l’armée. Autant il paraît légitime pour les questions opérationnelles, autant il est contreproductif lorsqu’il s’applique à la gestion des hommes, aux finances de la troupe.

C’est cette summa divisio que les experts ont voulu établir dans les lignes qui suivent, en démontrant, chacun en ce qui le concerne, que les forces armées et la transparence ne sont pas frappées d’une incompatibilité absolue ! Dont acte.

Nicaise MEDEProfesseur des Universités, Directeur du Centre

d’Études et de Recherche sur l’Administration et les Finances (CERAF, Université d’Abomey-Calavi)

[email protected]

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Président• Professeur Nicaise MEDE, Professeur des Universités, Directeur du Centre d’Études et de Recherche sur l’Administration et les Finances (CERAF, Université d’Abomey-Calavi, Bénin)

Membres• Docteur Toussaint KOUNOUHO, Enseignant-Chercheur en science politique, Chargé de Programme à la Fondation Konrad Adenauer

• Colonel (ER) Pierre Gahodit OULATTA, auteur, ancien Député-Président de la Commission Défense et Sécurité à l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire

• Docteur Oswald PADONOU, Enseignant-Chercheur en science politique, Directeur de Programme à l’École Nationale Supérieure des Armées (ENSA), Président de l’Association Béninoise d’Études Stratégiques et de Sécurité (ABESS)

• Colonel Kokou Balakibawi PAKA, Docteur en Droit public, chef de cabinet du Directeur général de la Gendarmerie nationale togolaise

• Docteur Zaratou ZAKARI GARBA, Politologue, Enseignant-Chercheure à l’Université Abdou Moumouni (Niamey)

CorrectionMonsieur N’Faly CISSÉ, Concepteur de manuels scolaires du Ministère de l’Éducation Nationale, de l’Enseignement Technique et de la Formation Professionnelle de Côte d’Ivoire

Remerciementshttps://calenda.org/ calendrier des sciences humaines et socialeshttps://www.notreepoque.bj/ Journal béninois d’investigation, d’analyses et de publicité

Pour leur appui à la diffusion gratuite de l’Appel à contributions.

Le Comité scientifique et de coordination

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Notes b iographiques Chapitre I :Gestion des fonds issus des opérations de paix et relations entre acteurs au sein de la haute administration de l’État au Bénin : essai d’analyse sociologique d’une opacité fonctionnelle

Professeur Nassirou BAKO ARIFARI

Le Professeur Nassirou BAKO-ARIFARI est Député à l’Assemblée nationale du Bénin. Il a été ministre des Affaires étrangères et Président de la Commission des relations extérieures, de la coopération au développement, de la Défense et de la Sécurité au Parlement. Enseignant-Chercheur en sociologie politique à l’Université d’Abomey-Calavi et professeur invité dans des universités africaines et européennes, il est l’auteur de plusieurs ouvrages et articles réalisés entre autres dans le cadre du Laboratoire d’Études et de Recherche sur les Dynamiques Sociales et le Développement Local –LASDEL) dont il a été le Directeur scientifique.

Chapitre II :Quête de transparence des ONG dans le secteur de la sécurité au Niger : briser continuellement le plafond de verre

Dr Sali Bouba OUMAROU

Docteur en relations internationales de l’Université Abdelmalek Essaadi, Sali Bouba Oumarou est un chercheur dont les champs d’intérêt sont les études sur les conflits politiques, la médiation, la coopération internationale et la communication politique. Il porte également un intérêt particulier à la littérature qui lui sert de médium de vulgarisation de ses recherches. Il est l’auteur de deux romans abordant les questions de migration et de radicalisation. Analyste pour plusieurs « think tank », il publie régulièrement des articles d’opinion paraissant dans les médias africains.

Chapitre III :La règle de l’exception : réflexions sur le régime spécial accordé aux marchés spéciaux de la défense par le Code des Marchés Publics au Cameroun

MINKONDA Hermann est Docteur en science politique de l’Université de Yaoundé II-Soa et Chargé de Recherche au Centre National d’Éducation (CNE) au Ministère de la Recherche Scientifique et de l’Innovation (MINRESI) du Cameroun. Il est par ailleurs consultant

à l’État-major de l’Armée de Terre du Cameroun, au Bureau des Etudes Stratégiques (BESTRAT) et membre fondateur du Groupe de Recherche Stratégique sur les Afriques (GERS afrique Experts).

MBIDA Gabriel est Doctorant en science politique à l’Université de Douala et Colonel à la retraite. Il a successivement occupé les postes de responsabilités de Commandant à l’Ecole Militaire Inter-Armées (EMIA), de Commandant de la Brigade du quartier Général (BQG) et de Major-Général de l’Armée de Terre du Cameroun (MAGE-EMAT).

ATANGA Luc-Armand est Maitre de Conférences en science politique à l’Université de Yaoundé II-Soa et Secrétaire Permanent au Centre d’Études et de Recherche en Droit International et Communautaire (CEDIC). Il est par ailleurs enseignant associé à l’École Supérieure des Sciences et Techniques de l’Information et de Communication (ESSTIC) et au Centre de Recherche et d’Etudes de Politique et de Stratégie (CREPS). Chapitre IV :Armée et gouvernance publique : l’exigence de transparence face à la spécificité de l’institution militaire au Bénin

Colonel Nicaise HOUNDJREBO

Officier supérieur des Forces armées béninoises, le Colonel Nicaise C. HOUNDJREBO occupe actuellement les fonctions de Directeur des Écoles et des Sports à l’État-major général.

Ayant suivi sa formation initiale d’Officier à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr en France, il gravit les échelons jusqu’au grade de colonel après avoir suivi des stages professionnels successivement en France (Cours d’Application de Perfectionnement des officiers du Génie), en Belgique, à l’Institut Royal Supérieur de Défense (Cours d’État-major) puis au Cameroun à l’École Supérieure Internationale de Guerre (Brevet de l’Enseignement Militaire du 2nd degré). Au plan universitaire, il est titulaire du DEA option Relations internationales et Défense à l’Université de Nantes. Il a également occupé des postes à l’État-major des forces multinationales au titre des missions des opérations de maintien de la paix. Il est Chevalier de l’Ordre national du Bénin.

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Chapitre V :Building Integrity in the Defence Sector of Sub-Sahara African States: The Case for Resilient National Defence Industrial Bases

Dr Félix OYOSORO

Felix Oyosoro est enseignant-chercheur en études stratégiques. Il est actuellement chef du département des relations internationales à l’Université d’Obong, au Nigeria. Il a obtenu son doctorat à l’Université de Calabar, au Nigeria, et fait ses études de premier cycle à l’Université catholique d’Afrique centrale, au Cameroun. Il est impliqué dans de nombreux projets de recherche collaborative et est actuellement membre de Edinburgh Catalyst Fellowship de l’Université d’Édimbourg, en Écosse. Ses domaines de recherche portent sur les études de sécurité, la consolidation de la paix et la résolution des conflits.

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INTRODUCTION

Chers amis lecteurs de la Revue P&S-ASS, je vous retrouve à l’occasion de la parution de ce numéro 02 consacré à La gouvernance des armées africaines : enjeux de la transparence et pesanteurs de la corruption. Un thème osé comme nous l’ont rapporté plusieurs acteurs du secteur de la sécurité en Afrique subsaharienne. Osé, parce que le sujet est tabou car l’omerta règne toujours autour des dépenses de sécurité des États.

Autant vous dire que la moisson pouvait ne pas être abondante, même si l’engouement et la curiosité de voir l’œuvre aboutir ont prévalu, à la fois chez les sceptiques et chez les plus endurants qui nous ont soumis leurs propositions de contributions.

Après évaluation, six des douze propositions de contributions reçues ont été retenues et elles nous permettent aujourd’hui de mobiliser l’attention autour de cette importante question, dans un but d’abord pédagogique : comprendre la situation, déterminer les goulots d’étranglement, identifier d’éventuelles bonnes pratiques.

Ainsi, les jeux de pouvoir au sein de la bureaucratie d’État et autour de la gestion des fonds de remboursement liés à la participation des Forces armées Béninoises aux opérations de paix de l’ONU sont analysés avec maestria par le Professeur Nassirou Bako Arifari que je remercie particulièrement.

Le cas de la Sierra Leone est également exposé avec une perspective historique qui permet de comprendre pourquoi la reconstruction de l’armée nationale s’est faite sur des bases d’intégrité et de transparence qui sont censées constituer des valeurs cardinales dans la gouvernance du secteur de la sécurité.

Le Niger qui a été au cœur d’une sulfureuse actualité ces derniers mois avec « l’affaire des détournements au ministère de la Défense » revient avec une analyse des mobilisations de la société civile qui démontre que des leviers peuvent être actionnés pour briser la loi du silence quand l’intérêt général et la sécurité nationale sont en jeu.

Au Cameroun, les marchés de la défense et de la sécurité, considérés comme « marchés spéciaux », échappent entièrement au régime juridique général des marchés publics. Pour autant, échappent-ils à un minimum de contrôle ? Le sujet est analysé dans ce numéro et cette position du législateur camerounais

contraste quelque peu avec le cadre juridique béninois qui distingue les marchés relatifs aux équipements « sensibles » des autres marchés « ordinaires » des ministères de la Défense et de l’Intérieur qui eux, sont soumis aux règles générales relatives aux commandes publiques.

Sachant que la plupart des actes de corruption et ceux qui concernent particulièrement les transactions de grande ampleur, s’opèrent dans le cadre des marchés d’équipements létaux et non létaux, l’étude du thème en relation avec la situation au Nigeria interroge sur le développement et les liens d’intérêts opaques d’une industrie locale de la défense avec les décideurs politiques… Et ce dernier chapitre est en anglais. Ce qui est une nouveauté pour votre Revue qui devient bilingue.

C’est donc avec satisfaction que ce nouveau numéro vient apporter quelques éléments d’information et d’analyse à ses lecteurs et à la communauté des spécialistes et des curieux de la gouvernance du secteur de la sécurité en Afrique subsaharienne.

Ces éléments apportent un regard de proximité sur ces enjeux car la perception même de la corruption est culturellement différenciée, même si elle consacre toujours une transgression du Droit et de la morale. En raison des graves conséquences de la mauvaise gouvernance des ressources des secteurs de la défense et de la sécurité : sur l’économie en raison du poids et des liens particuliers de ces secteurs avec les entreprises et sur l’État et la société (insécurité, État failli ou fragile, sous-développement), il importe de (ré) instaurer l’intégrité, la transparence et la redevabilité. Et, dans ce cadre, les outils élaborés par le Centre pour la Gouvernance du Secteur de la Sécurité (DCAF) peuvent représenter en Afrique ou ailleurs, de précieux instruments de transformation positive des systèmes de sécurité.

De mon modeste point d’observation, je note que la discipline, la rigueur professionnelle et l’exemplarité comportementale qui sont des valeurs cardinales des armées et des Forces paramilitaires et qui sont à ce titre enseignées et évaluées dans le rendement des femmes et des hommes en uniforme ne sont pas toujours traduites dans les mécanismes de gestion. Ce qui fait questionner non seulement les aptitudes des professionnels engagés dans ces opérations mais surtout les procédures.

Oswald Padonou,Enseignant-Chercheur en science politiquePrésident de l’Association Béninoise d’Études Stratégiques et de Sécurité (ABESS)

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Celles concernant la classification des informations et des documents par exemple gagneraient à ne pas conférer le statut « secret-défense » ou « confidentiel-défense » à une banale procédure d’acquisition de mobiliers de bureau. Ce qui est pourtant le cas, bien souvent. C’est dire que le « chantier » de la (ré) instauration de bonnes pratiques est absolument impressionnant … et important.

C’est pourquoi, je voudrais, réitérer la sincère gratitude de l’Association Béninoise d’Études Stratégiques et de Sécurité (ABESS) à la Fondation Konrad Adenauer qui nous appuie, ainsi qu’aux membres du comité scientifique et de coordination et à chacun des contributeurs, pour leur investissement dans ce travail collectif.

Et avant d’apprécier les différents chapitres de ce numéro, je vous laisse (re) lire l’encadré ci-après consacré au défi de la transparence et de la corruption pour les armées sahéliennes et publié par la plateforme ID4D de l’Agence Française de Développement (AFD).

Bonne lecture et n’hésitez pas à nous remonter vos observations.

Bonne fin d’année 2020 et que 2021 nous réserve le meilleur pour la paix et la sécurité en Afrique et dans le monde.

Dr Oswald PADONOUhttps://ideas4development.org/transparence-corruption-defi-sahel/

Au Burkina Faso, au Mali et au Niger, l’actualité judiciaire de cette année 2020 a encore mis en lumière la tendance au détournement des ressources affectées à la défense et à la sécurité avec des arrestations pour enrichissement illicite provenant de marchés surfacturés et de matériels payés et non livrés. La plupart des analystes ont conséquemment salué les dénonciations, le rôle des systèmes de contrôle interne et a posteriori des inspections des armées et des services de sécurité, celui des organes de contrôle externe ainsi que la célérité de l’appareil judiciaire. Cependant, deux écueils structurels peuvent entraver durablement la progression des États sahéliens, et plus généralement africains, vers un seuil de transparence acceptable, celui qui préserve les impératifs de sécurité nationale au même titre que les indispensables contrôles politiques, administratifs et citoyens des ressources. Commerce des armes : des progrès à faire sur la transparence. Le premier écueil a trait, d’une part, au défaut d’adhésion au Traité sur le commerce des armes (TCA) de certains des États exportateurs d’armement vers le continent africain. En tête figure, la Russie dont le volume des exportations vers l’Afrique subsaharienne est en croissance ces cinq dernières années, avec en 2019 (d’après les chiffres publiés par SIPRI) la moitié (49 %) des équipements militaires achetés en Afrique. Il faut, d’autre part, noter le faible taux de remise des rapports annuels des États parties, pourtant exigée à l’article 13 du traité. Le Niger, par exemple, n’a jamais satisfait à cette obligation. Le Mali, une seule fois, en 2015, et le Burkina Faso ne s’y conforme plus depuis 2018. La transparence et le commerce responsable des armes dont le TCA était porteur

à son adoption et son entrée en vigueur en 2013 et 2014 sont aujourd’hui gravement compromis. Il est urgent pour les Nations unies et l’ensemble des gouvernements des pays exportateurs et importateurs d’armes conventionnelles de prendre conscience des implications de ce statu quo sur la sécurité internationale, sur la protection des droits humains et la criminalisation des flux financiers liés à ce commerce hautement sensible, mais paradoxalement peu régulé. Car les procédures de transfert qu’instaure le traité et les informations qu’elles permettent de transmettre et de recouper constituent de solides remparts pour préserver un minimum de transparence dans l’exécution des contrats d’armement et un maximum de sécurité collective pour les États parties. Mettre fin à l’autocensure des parlements sahéliens. Le deuxième écueil tout à fait spécifique aux États sahéliens particulièrement, et africains en général, est lié à l’autocensure des parlements qui renoncent à exercer avec efficacité leurs prérogatives constitutionnelles au motif juridiquement insoutenable que la défense et la sécurité relèvent du domaine réservé du pouvoir exécutif (surtout dans un régime présidentiel). Or, il n’en est rien. Le rôle prépondérant du Congrès américain dans les mécanismes de contrôle de la mise en œuvre de la politique de sécurité nationale dans un régime présidentiel illustre cette nécessaire répartition et séparation des pouvoirs qui font la démocratie – peu importe que le régime soit parlementaire, semi-présidentiel ou présidentiel.

Cette autocensure politiquement entretenue par les pouvoirs exécutifs, mais aussi par les partis proches du pouvoir et représentés au parlement, est institutionnellement entretenue par le déficit capacitaire des commissions permanentes en charge de la sécurité et de la défense. Celles-ci n’ont pas les

Les armées sahéliennes face au défi de la transparence et de la corruption

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ressources humaines et financières nécessaires à l’exercice de leur mandat, notamment sur le plan du contrôle de l’action du gouvernement dans le secteur de la sécurité, particulièrement les marchés publics. Un meilleur contrôle démocratique pour une sécurité durable. Or avec 20 % des ressources budgétaires nationales affectées à ces secteurs en 2020 au Niger et au Mali, et 12 % au Burkina Faso (bien que les taux d’exécution ne dépassent généralement pas 60 %), ce sont d’énormes ressources qui sont mobilisées auprès des contribuables de ces pays et des pays donateurs, et dépensées sans contrôle ou trop peu. La supervision et le contrôle démocratique du secteur de la défense et de la sécurité au Burkina Faso, au Mali et au Niger constituent un impératif majeur dans la quête de sécurité et de stabilité durable. Cela passe par la mise en place et le renforcement de systèmes et d’institutions de sécurité tout autant attachés à la reddition de comptes que respectueux des droits humains et de l’État de droit. Le contexte de transition politique au Mali offre justement l’opportunité pour la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’ensemble des parties prenantes dans ce pays de mettre en œuvre les principes et recommandations du Cadre politique pour la réforme et la gouvernance du secteur de la

sécurité adopté par l’organisation sous-régionale en 2016, mais très peu appliqué par ses États membres. La transparence financière, garantie du soutien de l’opinion. Enfin, l’opacité de principe – et non d’exception – qui entoure les dépenses de sécurité dans la plupart des États africains (et certains non africains) s’inscrit dans une tendance opposée à celle de l’open government pour l’ensemble des recettes et des dépenses publiques. Le rapport 2019 de l’International Budget Partnership (IBP), qui mesure la transparence budgétaire des États à travers « l’indice sur le budget ouvert », révèle ainsi qu’en Afrique de l’Ouest aucun pays n’a encore atteint le seuil de 61 points sur 100, requis pour atteindre une transparence jugée satisfaisante. C’est dire si les défis en la matière sont absolument cruciaux et que tous gagneraient à contribuer à davantage de transparence. Car l’efficacité opérationnelle des troupes aux prises avec les groupes armés terroristes (GAT) dans la zone sahélienne dépend également – et peut-être surtout – de leur confiance en la légitimité de leurs chefs et des pouvoirs politiques ainsi que de la confiance de la population. Or celle-ci semble, à juste titre, érodée par les scandales de corruption qui se succèdent au même rythme que les tragiques défaites ponctuées de quelques victoires.

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C H A P I T R E IGESTION DES FONDS ISSUS DES OPÉRATIONS DE PAIX ET RELATIONS ENTRE ACTEURS AU SEIN DE LA HAUTE

ADMINISTRATION DE L’ÉTAT AU BÉNIN : ESSAI D’ANALYSE SOCIOLOGIQUE D’UNE OPACITÉ

FONCTIONNELLE

Nassirou BAKO ARIFARI,Université d’Abomey-Calavi, Chercheur au Laboratoire Lasdel

Résumé

La gestion de la rente onusienne de la paix, à l’intérieur des États contributeurs de troupes comme le Bénin, est un véritable parcours du combattant et un espace d’enjeux et de

confrontation entre différents segments de la haute administration étatique impliqués dans les opérations de paix. Les stratégies d’accès et de contrôle des revenus issus des opérations de paix onusiennes, ainsi que les rapports d’influence réciproque entre acteurs qu’elles induisent, renvoient à une sociologie de la pratique bureaucratique au sommet de l’État,

où s’entremêlent régimes de privilèges, pratiques de lobbying politico-administratif et différentes sous-cultures administratives qui entretiennent des systèmes d’ignorance institutionnelle et qui à leur tour affectent les capacités de coordination de la participation du pays aux opérations de paix tout en révélant en même temps la nature et l’acuité des conflits d’intérêts entre ministères au-delà de la façade de la solidarité gouvernementale officiellement affirmée.

Mots-clés : opérations de paix, rente onusienne de la paix, systèmes d’ignorance institutionnelle, conflit et jeux d’intérêts, haute administration

étatique, Bénin.

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Les opérations de maintien de la paix constituent depuis les années 1990, une des activités phares du système des Nations unies au service de la paix et de la sécurité internationale. En 2019, quatorze (14) opérations de paix étaient encore en cours sur environ soixante-onze (71), que les Nations unies ont organisées depuis 1948. La moitié de ces opérations actuelles de maintien de la paix, soit sept (07) sont déployées sur le continent africain, ce qui a valu à l’Afrique le label peu glorieux de « principal épicentre des opérations de paix» dans le monde. Ainsi, sur les quelques 100.000 personnels déployés (86.500 militaires, 12.000 policiers et 1.500 civils), environ 72% étaient déployés ou affectés en Afrique1 (Traoré 2012, Le Gouriellec 2016). À cela, il faut ajouter les missions propres au continent africain, notamment l’AMISOM en Somalie ou encore la mission hybride au Darfour (MINUAD), initiées par l’Union africaine, qui engagent environ 36.500 personnels 2.

Déjà membre de l’Organisation des Nations unies un mois avant son accession officielle à la souveraineté internationale et malgré la faiblesse de son économie du fait de son appartenance au club des Pays les moins avancés (PMA) et la modeste taille de son armée3, le Bénin a joué et joue encore un rôle non négligeable au sein de cette institution multilatérale. Avant même de devenir un pays « fournisseur de paix », le Bénin a siégé comme membre non permanent au Conseil de sécurité de 1977 à 1978 puis de 2004 à 2005. Réputé pays stable et de « modèle démocratique » depuis la Conférence nationale réussie de 1990, le Bénin a acquis un statut de pays de confiance au sein de la communauté internationale comme acteur de la paix et de la sécurité collective. Le Bénin a déjà participé à une vingtaine de missions et opérations de paix dans

plus d’une dizaine de pays de par le monde (Afrique, Asie, Amérique, Europe)4 en y engageant plusieurs milliers de ses vaillants soldats et officiers. Déjà en 2010, le Bénin figurait au 9ème rang des pays africains contributeurs de troupes aux missions de paix des Nations unies, avant de se retrouver au 22ème rang en 2019 et au 39ème rang mondial parmi les 124 pays contributeurs de troupes aux opérations de paix5. Dans l’espace CEDEAO6, le Bénin est au 7ème rang parmi les pays contributeurs en 2018, derrière le Nigeria, le Sénégal, le Burkina Faso, le Ghana, le Niger et le Togo.7 Au 30 septembre 2019, le Bénin était présent dans six missions de maintien de la paix des Nations unies avec un effectif d’environ cinq cents (500) soldats et officiers.8 Au total, sur les trois décennies de participation aux opérations de paix, le Bénin aura déployé plus de dix mille personnels militaires et de sécurité sur différents théâtres.9

Si pour les régimes « sécurocrates post-libération»10 (Fisher 2012), la participation aux opérations de paix revêt des enjeux comme la quête d’une certaine paix sociale à l’intérieur des pays par l’envoi de troupes à l’extérieur (fonction d’exutoire), la formation et la professionnalisation à faible coût des armées ou encore la recherche d’une certaine reconnaissance comme pays fournisseur de paix sur la scène internationale (Le Gouriellec 2016), avant de devenir un espace de « business d’État », la participation du Bénin aux opérations de paix, à ses débuts en 1994, était plutôt l’expression d’une volonté politique de solidarité communautaire dans le cadre d’un engagement régional au sein de la CEDEAO, notamment dans la gestion de la crise politico-militaire au Liberia puis en Sierra Leone au sein de l’ECOMOG. Par la suite, c’est dans le cadre de la

1Voir : https://peacekeeping.un.org/sites/default/files/4_mission_and_country.pdf2 Cf. Konan Koffi 20193 En 2018, le Bénin possèderait une armée de petite taille de l’ordre de 7.250 soldats selon l’International Institute for Strategic Studies, Military Balance, cité par Augé 2019.4 Entre 1994 et 2020, le Bénin a participé ou participe encore à des missions de paix des Nations unies à Haïti, au Tchad, en RDC, au Kosovo, au Timor oriental, en Éthiopie, en Érythrée, au Libéria, en Côte d’Ivoire, au Burundi, au Soudan, au Soudan du Sud et au Mali, soit dans 13 pays au total cf. Augé 2019, et https://peacekeeping.un.org/sites/default/files/4_mission_and_country.pdf) 5 En 2012, le Bénin avait engagé au total 1016 soldats dans huit (8) opérations de paix et occupait le 11ème rang africain et le 25ème au plan mon-dial. (Source : DPKO, UN Mission’s Summary detailed by country). Pour des données plus récentes (de 2019), voir https://peacekeeping.un.org/en/troop-and-police-contributors6 Contrairement à ses voisins ouest-africains comme le Sénégal ou le Nigeria et le Ghana qui participaient à des opérations de paix des Nations unies depuis les années 1960, le Bénin n’a commencé à déployer des forces dans des opérations de maintien de la paix qu’à partir de 1994, dans le cadre de l’ECOMOG au Liberia sous l’égide de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). D’ailleurs à cette première participa-tion, le contingent béninois composé d’une seule compagnie était intégré à une unité de l’armée nigériane.7 Cf. Quenum et Padonou 2011, Augé 2019 et Konan Koffi 20198 Il s’agit de la MINUSJUSTH à Haïti, la MINUSCA en République centrafricaine, de la MINUSMA au Mali, de l’UNISFA et de l’UNMISS au Soudan et au Soudan du Sud et enfin de la MONUSCO. En fait, en dehors d’une quinzaine d’officiers, le Bénin est sorti à fin 2019 de la MONUSCO, où il avait son contingent le plus important à l’extérieur. La raison principale est l’insuffisance de la qualité des équipements et matériels militaires du contingent béninois par rapport aux normes édictées par le Département des Opérations de Maintien de la Paix (DOMP/DPKO) des Nations unies.9 Ce chiffre est obtenu par inférence à partir d’une récapitulation des chiffres des différentes rotations de contingents sur différents théâtres d’opé-ration de maintien de la paix auxquels j’ai pu avoir accès.10 Les quatre premiers pays africains contributeurs de troupes aux opérations de paix que sont l’Éthiopie, l’Ouganda, le Burundi et le Rwanda re-lèvent de cette catégorie de régimes politiques issus de mouvements de libération tels que caractérisés par Jonathan Fisher.

INTRODUCTION

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bonne coopération militaire que le Bénin entretient avec la Belgique depuis la fin des années 1990, que la Belgique avait décidé d’accompagner le Bénin dans la constitution d’un contingent à déployer en opération de paix à la MONUSCO en RDC. Ce fut le début d’une aventure politico-diplomatique par laquelle le Bénin a intégré le club des pays « fournisseurs de paix » dans le cadre des Nations unies à travers le monde. Cette option venait ainsi s’ajouter au statut de pays « modèle démocratique en Afrique » qui entretient une « diplomatie de bon voisinage » dans la sous-région ouest africaine. Il s’agit-là des éléments de l’arsenal du « soft power » à la béninoise et qui positionne le Bénin comme un des États les plus fonctionnels dans une Afrique de l’Ouest longtemps caractérisée par des crises politico-militaires périodiques.

S’il est vrai que les opérations de paix constituent un moyen efficace pour les Nations unies de réaliser un des objectifs piliers de sa création, à savoir la paix et la sécurité collectives, la participation des États africains aux opérations de paix, notamment à partir des années 1990, constitue une véritable nouvelle source de « rente de développement »11, qu’on peut appeler « la rente onusienne de la paix ». En 2017, le budget des opérations de paix des Nations unies était estimé à environ 7,3 milliards de dollars. L’accès à ces importantes ressources financières pour un pays est fonction de son niveau d’engagement et de participation aux opérations de paix12. À la suite de Fisher (2012) sur les enjeux de la participation de l’Ouganda aux missions de paix, Ambrosetti et Esmenjaud affirment dans la même veine à propos du Burundi que « certains bailleurs de fonds ont le sentiment que le ministère burundais de la Défense nationale et des anciens combattants tend à considérer les millions de dollars qu’il perçoit au nom de sa participation à l’AMISOM comme une rente structurelle qu’il utilise pour son fonctionnement régulier » (Ambrosetti et Esmenjaud 2014 :142)13. La gestion quelque peu opaque de ces fonds, qui désormais participent, au moins en partie, au financement du fonctionnement de l’appareil d’État dans différents pays contributeurs, reste souvent une

pomme de discorde entre, d’une part les acteurs de l’armée et de la sécurité, et d’autre part, les autres segments de la haute administration étatique, à savoir les ministères des Affaires étrangères et des Finances.

Ainsi, si le financement des opérations de paix constitue un enjeu politique majeur dans les relations internationales (Ambrosetti et Esmenjaud 2014)14, la gestion des fonds issus de ces opérations de paix en constitue également un autre, cette fois-ci à l’intérieur des pays contributeurs de troupes15. Le Bénin, qui a engrangé déjà plus d’une centaine de milliards de francs CFA comme revenus issus des opérations de paix, ne fait pas exception à cette réalité16. Les protestations des militaires de retour d’opération de paix tournent parfois à la violence et ont souvent entrainé des arbitrages administratifs, et même politiques avec l’intervention parfois du Chef de l’État, Chef suprême des armées, comme ce fut le cas en 1997 et en 2006. Les militaires, particulièrement les hommes du rang et sous-officiers, sont persuadés qu’ils sont « grugés » par leurs supérieurs. Les accusations de détournement malheureusement ne font l’objet que très exceptionnellement de poursuites judiciaires. L’armée reste souvent muette, pendant que des sanctions, allant parfois jusqu’à la mort pour les plus déterminés dans les revendications, sont prononcées à l’encontre des subalternes. Le cas du caporal Mohamed Dangou17, un ex-déployé de l’ONUCI, reste emblématique à cet égard.

Quel est le dispositif juridique et administratif qui encadre la gestion des fonds des opérations de paix? Quel circuit empruntent ces fonds des Nations unies de New York jusqu’au ministère de la Défense nationale ? Quels sont les acteurs impliqués dans la gestion de ces fonds aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays? Quelles sont les règles de fixation des barèmes de rémunérations des soldats déployés en opération de paix ? En quoi le secret militaire constitue-t-il une entrave à la transparence et à la prévisibilité de l’utilisation de ces fonds ? Comment expliquer l’opacité continue qui entoure la gestion

11 Différents auteurs comme Bierschenk (1988, 1991), Olivier de Sardan 1995 ont avancé la thèse de la « rente de développement » en parlant des flux de ressources de l’aide publique au développement et de la coopération décentralisée des pays du Nord vers les pays du Tiers monde, ceci en com-paraison avec ce que les économistes ont appelé « la rente du pétrole » pour les pays producteurs de l’or noir dans les années 1970. Pour une analyse des théories de la rente et de l’État rentier, cf. Schmid 1997.12 Parmi les pays contributeurs au budget des opérations de paix, les plus importants sont les États-Unis, la Chine, le Japon, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France, l’Italie, etc. Le Bénin contribue pour 0,0003%.13 PInternational Crisis Group, dans un rapport en date de 2017, intitulé « Au cœur de la crise burundaise IV : la rente du maintien de la paix en question » met aussi l’accent sur la même dimension en ces termes: « La question du financement du contingent burundais de l’Amisom illustre l’effet de rente des missions de maintien de la paix pour les armées pauvres. Ce financement, à long terme, peut avoir des conséquences politiques et so-cio-économiques qui dépassent le maintien de la paix et des effets pervers qui se font rapidement sentir en temps de crise. », cf. Vircoulon, T. 2017.14 David Ambrossetti et Romain Esmenjaud (2014) ont fait une bonne analyse des différents enjeux liés aux différentes sources de financement des opérations de paix africaines. Ils en ont identifié essentiellement quatre types : le financement par les acteurs africains, le financement par contribu-tions volontaires d’acteurs externes, le financement par l’ONU et le passage sous casques bleus de missions de paix initialement décidées à l’échelle régionale.15 Nombre de pays ont connu par le passé des cas de mutinerie du fait des incompréhensions autour de la gestion des fonds issus des Opérations de paix entre troupes et hiérarchie militaro-administrative. Ce fut le cas en 1999 en Côte d’Ivoire, en 2017 au Burundi pour ne citer que ces exemples16 Selon une fiche de l’Attaché de Défense à la Mission Permanente du Bénin auprès des Nations unies à New York, au 31 août 2012 déjà, le montant total transféré au Trésor public était de 63.208.657,13 dollars US, soit 31.604.328.565 F CFA.17 Le Caporal Dangou, un des meneurs d’une contestation au sein du contingent béninois de l’ONUCI en Côte d’Ivoire, a trouvé la mort à son retour au pays suite à une interpellation musclée le 6 janvier 2016 au Camp Ghézo à Cotonou. La revendication portait sur le montant des primes à verser aux soldats de retour de mission de paix.

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18 Il n’existe aucune loi d’ensemble sur la projection de troupes à l’extérieur du Bénin et donc aussi sur la participation du pays aux opérations de paix. La Constitution du 11 décembre 1990, en son article 62 alinéa 1er, donne les pleins pouvoirs au président de la République en ce qui concerne l’utilisation des forces armées, sauf les cas de déclaration de guerre qui exigent une délibération du parlement. Par contre, pour l’envoi des troupes à l’extérieur, le président de la République en décide après délibération en Conseil des ministres. L’arsenal juridique relatif aux opéra-tions de paix en vigueur au Bénin relève, d’une part du domaine des traités et conventions internationales que l’article 147 de la Constitution rend immédiatement exécutoires, et d’autre part, du domaine règlementaire le plus basique, à savoir les arrêtés ministériels et interministériels dans le meilleur des cas. Le reste relève de l’administration classique, à savoir des décisions, circulaires et notes de services. Les décrets ne sont que des décrets portant attributions, organisation et fonctionnement des ministères impliqués dans les opérations de paix, essentiellement la Défense nationale et les Affaires étrangères. Cf. Quenum et Padonou 2011, pour des détails sur cet arsenal juridique.19 La presse privée comme celle étatique ont souvent connu de cette question, notamment à travers de nombreuses publications journalistiques, ainsi que l’Assemblée nationale qui a interpellé le gouvernement à différentes reprises comme en 1999 ou 2016. La Commission technique per-manente de l’Assemblée nationale en charge des Relations extérieures, de la Défense et de la Sécurité a souvent été saisie de correspondances de victimes des situations liées à la gestion des fonds issus des opérations de paix comme en 2017, sur le cas du contingent de retour de l’ONUCI en Côte d’Ivoire20 Pour une analyse des différents enjeux des opérations de paix, cf. Le Gouriellec 2016.

de ces fonds et l’impunité relative des « présumés coupables de détournement » malgré les discours officiels de lutte contre la corruption, de promotion de la bonne gouvernance et les politiques publiques de réformes qui affectent les différents secteurs de l’État? L’armée a-t-elle peur de la transparence ? Le silence des pouvoirs publics est-il une forme de compromis fonctionnel pour mieux tenir l’armée à l’écart de la chose politique en lui laissant un espace d’opacité voulue?

On peut affirmer dans un premier temps que, la gestion des fonds issus des opérations de paix baigne dans un espace de relative sous-réglementation juridique et administrative18 au Bénin. Ce « no man’s land » juridique et administratif relatif constitue un espace de suspicions, d’imputations, d’accusations et de rumeurs qui souvent dépassent le seul cadre de l’armée et de la haute administration étatique, et transforment de fait la gestion des fonds issus des opérations de paix en un objet de débat public19.

Dans un second temps, on peut affirmer également que, la gestion des fonds issus des opérations de paix se caractérise par la construction d’une série d’illusions administratives voulues et d’ignorances institutionnelles entretenues dans les relations d’influence réciproque entre acteurs des différents segments de la haute administration étatique impliqués dans les opérations de paix et dont la motivation principale est le captage privilégié de la rente onusienne de la paix.

Les données ayant servi à la rédaction de cette contribution proviennent de sources administratives nationales et onusiennes, d’entretiens libres avec des acteurs impliqués dans les opérations de paix aussi bien dans l’armée, que dans les ministères de la Défense nationale, des Affaires étrangères et des Finances, ainsi que de l’analyse de certaines publications spécifiques aux opérations de paix. Mon expérience personnelle dans la gestion de la participation aux opérations de la paix a été également mobilisée comme un ensemble de données issues d’une sorte d’observation participante.

Les Opérations de paix comme espace de suspicions et de frustrations autour d’une ressource perçue comme une « manne »

Les conditions de vie et de travail de la troupe au sein des forces armées en Afrique sont généralement précaires et les rémunérations sont relativement modestes. Au Burundi, la solde mensuelle d’un soldat est d’environ 80 dollars. Mais lorsqu’il participe à une mission de paix, il peut gagner jusqu’à 800 dollars le mois (Virecoulon 2017). Au Bénin, la prime alimentaire journalière d’un soldat était de 750 F CFA jusqu’en 2008, année où quelques améliorations ont été apportées à la solde des militaires. Ainsi, la prime alimentaire passa à 2.500 F/jour, une prime de rendement de 18% de la solde de base a été introduite, l’indemnité de loyer pour les officiers passa elle aussi de 20.000 F à 40.000 F par mois et même une prime annuelle spéciale de motivation de 100.000 F par soldat fut instituée, mais supprimée en 2016 par le gouvernement du président Talon. Malgré ces efforts, les revenus mensuels des soldats restaient assez modestes. Mais, la participation aux opérations de paix procure des revenus substantiels aux soldats retenus. Certains analystes avancent même que pour les élites politiques, la participation aux opérations de paix « permet de trouver une occupation bien payée à leurs soldats, et éviter ainsi qu’ils interfèrent dans la vie politique nationale » (Fisher 2012 : 418 in Ambrosetti et Esmenjaud 2014)20. En effet, jusqu’en 2016, un soldat de retour d’une opération de paix percevait une rémunération de 400.000 F CFA par mois de présence sur théâtre. Sur les six (6) mois que durait une participation de contingent, cela revenait à 2.400.000 F CFA pour un soldat. Depuis que le temps de présence sur théâtre d’opération de paix est passé de six (6) mois à un an, les revenus des soldats de retour des opérations de paix sont montés à 4.800.000 F CFA par participation. Lorsqu’ils sont retenus comme faisant partie d’un sous-groupement de sécurité (S-GS) pour personnalités, ils pouvaient bénéficier mensuellement, en plus des 400.000 F CFA statutaire, de 700.000 à 800.000 F CFA supplémentaires versés directement par les services financiers de l’ONU, sans passer par le circuit du remboursement classique, par le truchement des Missions permanentes à New

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21 La participation à une opération de paix est pour le soldat semblable à l’affectation dans un projet de développement pour le fonctionnaire ordinaire dans l’administration publique. Les primes, indemnités diverses et autres top in permettent d’avoir des salaires hors norme de la fonction publique. Pour une analyse des projets de développement comme opportunités et formes de rentes, cf. Olivier de Sardan 1995, Bierschenk 1988.22 Sur les différentes formes de la petite corruption en Afrique, voir Bako-Arifari 2001, Blundo et Olivier de Sardan (éds) 2007.23 Arrêté interministériel n°143/MDN/MFE/DC/SG/SA du 20 janvier 2004 portant fixation du taux d’indemnité de campagne aux personnels des contingents des Forces armées béninoises en Opération de maintien de la paix à l’extérieur du Bénin.24 Par moment, il y a des contestations relatives au montant des indemnités à verser aux soldats. En 2006, le Commandant Montan Kérékou, fils de l’ancien président Mathieu Kérékou exigea et obtint le remboursement de l’intégralité de ses primes telles que signées avant son départ en mission de la paix à l’ONUCI. Sur intervention du président Boni Yayi, nouvellement élu, l’intégralité de sa rémunération lui a été versée. La rumeur a couru pour un temps quant au rappel éventuel des moins perçus à faire aux autres soldats du contingent, sans suite.25 Il s’agit du caporal Dangou Mohamed, tué par une sentinelle du camp Ghézo le 06 janvier 2016. Il refusait d’être mis aux arrêts après une interpellation musclée par la Gendarmerie nationale, dans le cadre d’une enquête sur des actes d’insubordination et de rébellion posés, alors qu’il était en mission onusienne à l’ONUCI en Côte d’Ivoire. Par la suite, la presse béninoise a titré abondamment que le renvoi du contingent béninois était lié aux demandes d’explications adressées par l’ONU au Bénin et qui seraient restées sans suite.

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York, comme ce fut le cas à l’ONUCI en Côte d’Ivoire. On comprend alors l’enjeu que constituait, pour le soldat, la rente onusienne de la paix, que procurait la participation aux opérations de paix des Nations unies. Dans l’imaginaire collectif de la troupe, la participation à une opération de paix des Nations unies est perçue comme une « manne » pour le soldat, qui durant sa carrière multipliera les actions et démarches nécessaires pour en bénéficier, afin de préparer sa retraite21. Dès lors, la participation à une opération de paix pouvait alimenter des réseaux clientélistes en amont comme en aval avec une certaine circulation de ressources financières, soit sous forme d’investissement corruptif anticipé, soit sous forme de reconnaissance pour services rendus après le retour de mission22. D’où le caractère très sensible de la paie des soldats de retour de mission. En effet, avant le départ des soldats en mission, jusqu’au milieu des années 2000, les montants inscrits sur les fiches d’engagement des soldats, ne sont pas ce qui leur était versé à leur retour. Ceci a entretenu des quiproquos pendant longtemps entre la hiérarchie militaire et la troupe, qui considère qu’elle fait l’objet de détournement ou d’extorsion d’une partie des revenus versés par les Nations unies. En effet, le coût de la mise en condition d’un contingent ou d’une unité d’UNPOL est relativement élevé. Les ressources à investir au préalable sont donc importantes et les États cherchent à en récupérer une partie sur le volet remboursement des personnels en arme.

Ainsi, pour la mise en condition d’une unité de police constituée de 140 hommes, il faut environ 10 millions de dollars et pour un bataillon de 850 hommes, il faut entre 35 et 40 millions de dollars (cf. MFA et OIF 2019 :112). Dans l’esprit des Nations unies, la rémunération d’un soldat « n’est pas un salaire pour le personnel. Elle représente la compensation versée par l’ONU à l’État membre pour les frais de préparation et d’équipement des personnels (paquetage individuel, armement individuel, vaccinations, frais de formation avant déploiement, etc. » (Idem : 115). Pour tenir compte de cette nomenclature des remboursements, le ministre de la Défense nationale Pierre Osho fit adopter en conseil des ministres, sous la présidence du Général Mathieu Kérékou, une communication

qui fixa la rémunération du soldat en mission à 400.000 F CFA. L’arrêté interministériel23 issu de cette communication organise toujours les rémunérations des soldats jusqu’en 2016 et les modalités de la rétention d’une partie des revenus individualisés. Vu le caractère sensible de cet arrêté interministériel, il ne figure même pas sur le site de la bibliothèque virtuelle de l’Intendance militaire à Cotonou24. En 2016, un malentendu né de la visite du ministre de la Défense nationale au contingent béninois de l’ONUCI finit par engendrer une sorte de rébellion au sein de ce contingent en instance de relève en fin décembre de la même année. Le ministre a annoncé la volonté du gouvernement de revaloriser les barèmes des remboursements aux soldats. Or, l’arrêté interministériel qui devrait acter ce changement n’était pas encore signé. La troupe qui devrait aller pour la relève au sein du contingent béninois de l’ONUCI et qui avait signé les anciennes fiches d’engagement avant déploiement sur la base des mêmes montants que ceux déjà appliqués sur le théâtre, est celle à qui le ministre de la Défense avait annoncé, quelques semaines auparavant, une augmentation de leur rémunération. Cela a été vécu par la troupe en instance de départ comme un acte de trahison. Le ministre a été accusé de vouloir détourner une partie des revenus individuels des soldats en complicité avec la hiérarchie militaire. La contestation organisée par les éléments du contingent et surtout leur refus d’obtempérer aux injonctions du Commandant français de la Force, ont été considérés comme un acte d’indiscipline et de rébellion. C’est ce qui a conduit au retour anticipé de tout le contingent en juin 2017, soit six mois avant la fin officielle de la mission de l’ONUCI. L’un des meneurs de la contestation trouva la mort après son interpellation au camp Ghézo de Cotonou le 06 janvier 2016.25

Les opérations de maintien de la paix comme espace d’enjeux financiers et de clientélisme à l’intérieur des États contributeurs

Après l’Inde et le Bangladesh, les pays africains sont ceux qui contribuent aussi substantiellement à la constitution des forces déployées de par le monde dans

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26 LLe Bénin participe avec une compagnie à la force xxx mise en place par les États membres de la Commission du Bassin du lac Tchad (CBLT) en 2013, dans le cadre de la lutte contre le mouvement terroriste Boko Haram qui sévit au Nord du Nigeria, au Cameroun, au Tchad et au Niger. Le Bénin a déployé aussi des forces en Guinée Bissau à la fin des années 1990 et au début des années 2000 sous l’égide de la CEDEAO.27 Cf. https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/politique-africaine/les-troupes-du-benin-investies-dans-les-operations-de-maintien-de-la-paix-se-retirent-pour-2019_3520967.html28 En 2012, le Bénin avait engagé au total 1016 soldats dans huit (8) opérations de paix et occupait le 11ème rang africain et le 25ème au plan mondial. (Source : DPKO, UN Mission’s Summary detailed by country). Au 31 août 2012, le montant total transféré au Trésor public était de 63.208.657,13 dollars US, soit 31.604.328.565 F CFA (Source : Mission Permanente du Bénin, Fiche de l’Attaché de Défense au président de la République à l’occasion de la 67ème Assemblée générale de l’ONU.).29 Depuis son engagement dans les Opérations de paix des Nations unies, le Bénin a reçu, au titre des différents remboursements selon la division Uniformed Capability Support Division (UCSD) à New York, la somme totale de 230.009.283 dollars US, à raison de 146.309.988 dollars au titre des troupes et 83.699.295 dollars au titre des matériels et équipements militaires (chiffres communiqués en octobre 2020).

les opérations de paix. Parmi ces pays contributeurs, le Bénin, malgré le nombre relativement modeste de sa contribution, n’en constitue pas moins un pays bien considéré dans ces opérations de paix.

En effet, jusqu’en 2018, le Bénin était présent dans six opérations de paix des Nations unies, dont les plus importantes en termes d’effectifs sont la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO) et la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). L’armée béninoise est également présente à la Force intérimaire de sécurité des Nations unies pour Abiyé (FISNUA), au Soudan, la Mission des Nations unies au Soudan du Sud (MINUSS), la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA), et enfin à la Mission pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH). À ces six missions onusiennes, il convient d’ajouter la participation du Bénin aux missions sous-régionales sous l’égide de la CEDEAO et de la CBLT26, et régionale sous l’égide de l’Union africaine, notamment la mission hybride au Darfour. En 2019, on estime à 931 hommes et femmes le nombre de personnels béninois militaires et de sécurité à différentes opérations de paix au-delà des frontières du pays à raison de 700 soldats, 212 policiers, 17 officiers d’État-major et 2 experts en mission.27 Malgré le caractère modeste de son engagement, le Bénin occupe la 22ème place au plan mondial parmi les pays contributeurs de troupes aux opérations de maintien de la paix et la 14ème au plan africain derrière l’Éthiopie, le Ruanda, le Burundi, le Sénégal et autres.28

Le Bénin tire des ressources financières substantielles de sa participation à ces opérations de maintien de la paix. On estime au siège des Nations unies, notamment au Département des Opérations de maintien de la paix (DOMP/DPKO), que les remboursements reçus par le Bénin jusqu’en septembre 2020 se montaient à un peu plus de 230 millions de dollars, soit plus de 116 milliards de francs de CFA29. Ces chiffres, bien entendu, ne concernent que les contingents déployés et n’intègrent pas les revenus issus des missions des experts militaires et du personnel civil béninois engagés dans les Opérations de paix. Ces ressources proviennent des remboursements des matériels et équipements militaires ainsi que des compensations versées au pays pour les troupes engagées. Les montants individuels versés aux personnels militaires et policiers des contingents ont varié dans le temps : de 1028 USD à 1428 USD depuis le 1er juillet 2018. C’est cette dernière forme de remboursement qualifié dans le jargon administratif béninois de « indemnités de campagne » ou primes aux soldats, qui constitue la principale pomme de discorde la plus visible dans la gestion des revenus issus des opérations de maintien de la paix. Le tableau ci-dessous indique les barèmes de remboursement en vigueur aux Nations unies dans le cadre des opérations de maintien de la paix au 1er juillet 2018, tels qu’il apparaît dans le guide pratique des pays contributeurs de troupes aux opérations de paix publié par le ministère français des Armées et l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) en 2019.

Modèle de remboursement selon le Manuel du CEO (FPU et BATINF) :

FPU à 160 (exemple) BATINF à 750 (exemple)Annexe ARemboursement personnel mensuel 1 428 US$ mois/personnel 1 428 US$ mois/personnel

Total remboursement personnel annuel 2 841 600 US 12 852 000 US$Annexe BRemboursement matériels majeurs mensuel 77 600 US$ 311 000 US$

Annexe CRemboursement soutien autonome mensuel 50 338 US$ 298 500 US$

Remboursement matériel annuel 1 535 256 US$ 7 314 000 US$Total annuel remboursé + ou - 4 millions US$ par an + ou - 20 millions US$ par an

Source : Ministère français des Armées et OIF 2019, Être acteur des opérations de paix des Nations unies. Guide pratique des pays contributeurs, Paris, L’Harmattan, p. 116.

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30 C’est à la suite de ce coup d’État que le président Henri Konan Bédié a été évincé du pouvoir en décembre 1999.31 Les sociologues-anthropologues qui se sont intéressés aux projets de développement en Afrique, notamment, ont produit des ana-lyses microsociologiques fines des interactions entre acteurs impliqués dans la gestion des projets et des ressources énormes qui sont souvent en jeu. Cf. les travaux du réseau APAD, Olivier de Sardan, Chauveau, Bierschenk, Blundo, Jacob, Tidjani Alou, etc.

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La gestion des fonds de compensation ou des revenus issus des Opérations de paix est un domaine très sensible aussi bien pour les États que pour les institutions militaires. Elle varie d’un pays à l’autre. Chaque pays a son mode de gestion de ces ressources. Au Ghana, les fonds sont logés sur un compte en dollars aux USA, comme c’est aussi le cas au Sénégal. Au Niger, c’est sur un compte spécial cosigné par le MDN, le MEF et le MAE que les fonds sont logés et les décaissements ne se font qu’avec la connaissance de la hiérarchie militaire. Au Bénin par contre, c’est le principe de l’unicité de caisse de l’État qui gouverne les ressources financières issues des opérations de paix. Même la gestion des primes payées aux soldats, qui constituent le volet le plus sensible de ces fonds, varie d’un pays à l’autre en fonction de considérations spécifiques : au Togo, le soldat en mission de paix perçoit une prime mensuelle de l’ordre de 350.000F à 400.000 F CFA par mois ; au Cameroun, cette prime est également de 400.000 F CFA ; au Sénégal, 600.000 F CFA ; tandis qu’au Ghana, elle est moins de 350.000 F CFA. En Côte d’Ivoire, les primes sont versées intégralement aux soldats depuis la mauvaise expérience de la mutinerie des soldats du contingent ivoirien de retour de la MINURCA en 1999, qui a conduit au coup d’État du Général Robert Guéï, la même année30.

Dans les armées africaines des pays contributeurs, les revenus des opérations de paix constituent pour les soldats la voie royale de réalisation de leur minimum vital et de préparation de leur retour à la vie civile ou de leur retraite. À Bujumbura au Burundi, il existe même un quartier appelé « quartier AMISOM », où les soldats du contingent burundais en Somalie investissent dans l’immobilier pour assurer leurs arrières (cf. Le Gouriellec 2016). En effet, note International Crisis Group dans un rapport :

« Les hommes du rang qui y participaient multipliaient donc leurs revenus par dix – le gouvernement retenant 200 dollars sur chaque salaire. L’écart entre la solde perçue au Burundi et les indemnités de mission était encore accru par des avantages divers, notamment l’obtention de crédits bancaires gagés sur les indemnités de mission. En effet, les militaires ont presque tous un compte bancaire à la Coopérative d’épargne et de crédit pour l’auto développement (CECAD), sorte de caisse d’épargne de l’armée qui leur accorde des avances sur les indemnités avant de partir en mission. Certains amélioraient aussi leur revenu en faisant des affaires avec des commerçants somaliens » (International Crisis Group 2017).

Ainsi, comme les projets de développement dans la vie civile qui assurent des primes et indemnités aux agents civils de l’État qui y sont impliqués, et qui sont sources de grande compétition entre fonctionnaires, les opérations de maintien de la paix sont perçues comme une source de rente de développement pour les armées, mais surtout pour les soldats participant à ces opérations. Il n’est pas rare que les soldats sollicitent l’intervention de parents, amis, alliés et surtout des hommes politiques auprès des chefs militaires pour obtenir leur désignation dans les contingents à envoyer dans les différentes opérations de paix. Ainsi, en amont, les opérations de maintien de la paix alimentent des réseaux de clientélisme administratif et politique pour faciliter l’accès à la rente onusienne de la paix.31

La rente onusienne de la paix va aussi contribuer à la transformation de l’image et des perceptions autour de l’armée dans les pays contributeurs de troupes aux opérations de paix.

Ainsi, sous la pression des députés à l’Assemblée nationale, en 2008 le président Boni Yayi a été amené à procéder à la budgétisation de ces revenus des opérations de paix au titre des recettes annuelles du budget général de l’État. Ce faisant, l’armée béninoise est ainsi devenue une institution pourvoyeuse de ressources au budget de l’État, à l’instar des services comme la douane ou les impôts. Cette nouvelle donne créée par les opérations de paix va contribuer à une évolution des perceptions autour de l’armée. Celle-ci va aussi essayer de se redéfinir une nouvelle image et se repositionner dans l’État comme un contributeur substantiel de ressources financières au fonctionnement quotidien de l’État. En effet, ayant pris conscience qu’elle n’est plus considérée comme une simple institution budgétivore, mais une source de recettes pour l’État, l’armée va émettre des exigences et développer de nouvelles stratégies de captage de ressources financières vis-à-vis du ministère de l’Économie et des Finances.

On comprend alors les contradictions au sommet de l’État lorsque le président de la République, pour des raisons de politique sécuritaire intérieure, prenait la décision du retrait progressif du Bénin des opérations de maintien de la paix. En effet, le 03 juillet 2019, le conseil des ministres du gouvernement du Bénin a décidé de l’arrêt de l’envoi de contingents de l’armée béninoise aux opérations de maintien de la paix des Nations unies. À titre transitoire, il a assuré qu’il poursuivra les engagements en cours, notamment à

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32 Le communiqué officiel faisant état de cette décision précise tout de même : «La bonne conduite générale de nos troupes les crédite d’une appré-ciation positive». Alors pourquoi se retirer d’une participation à des Opérations de paix pourvoyeuses de ressources financières pour le pays, est-on tenté de se demander ?

33 Le ministère de l’Intérieur et de la Sécurité publique (MISP) est aussi impliqué comme quatrième composante. Mais son influence est moins détermi-nante que les autres ministères dans les opérations de paix. Le ministère de la Défense nationale assume le leadership pour tout ce qui concerne les personnels en arme. Le ministère de la Justice n’est impliqué qu’occasionnellement, lorsque des actes posés sur le territoire national dans la gestion des revenus issus des opérations de paix ont des implications judiciaires. Il n’est pas compétent pour les actes délictueux et criminels posés par les éléments des contingents béninois déployés à l’extérieur. C’est d’ailleurs une des faiblesses du dispositif de participation du Bénin aux opérations de paix des Nations unies.

la MINUSMA au Mali pour l’organisation des relèves de troupes jusqu’à la fin de cette mission.32

La gestion de la « rente onusienne de la paix » comme espace de confrontation au sein de la haute administration de l’État béninois

Le mode de gestion des revenus issus des opérations de paix crée l’illusion d’une « manne de la paix » à laquelle chacune des grandes administrations étatiques impliquées veut avoir un accès privilégié. Outre la Présidence de la République, trois principaux ministères de souveraineté sont impliqués dans la gestion desdits revenus : le ministère des Affaires étrangères, le ministère de l’Économie et des Finances et le ministère de la Défense nationale33, qui gère l’institution militaire, dont l’État-major général constitue une pièce maîtresse du puzzle.

Les différents segments de la haute administration étatique au Bénin développent chacun sa stratégie propre d’accès et de contrôle de la rente onusienne de la paix. Chaque segment utilise un instrument administratif de pouvoir spécifique à son domaine de compétence pour se ménager une marge de manœuvre dans le circuit de gestion des ressources financières provenant de la participation du Bénin aux opérations de paix. À cet égard, les diplomates feront usage de l’instrument de la « note verbale », l’armée et le ministère de la défense useront des « fiches à l’attention du président de la République » et des « communications en conseil des ministres », tandis que le ministre de l’Économie et des Finances usera de son pouvoir discrétionnaire en tant qu’ordonnateur national du budget de l’État et de l’instrument qu’est le logiciel de régulation de la gestion des finances publiques appelé « SYGFIP ». Pour comprendre cette constellation, il convient de suivre le circuit qu’empruntent les revenus des opérations de paix des Nations unies de New York jusqu’au Trésor public béninois.

Le pouvoir de la « Note verbale » : La Mission permanente du Bénin auprès des Nations unies et le préfinancement de son fonctionnement à partir des revenus des opérations de paix

Tout engagement d’un pays contributeur dans une opération de paix passe par l’inévitable « note verbale » qu’adresse la Représentation permanente du pays à New York au Secrétariat général de l’ONU pour exprimer l’intention du pays à participer à une

opération de paix quelconque. Dans les relations diplomatiques, la note verbale représente l’instrument fondamental d’expression de la volonté politique d’un État et la base d’un engagement diplomatique opposable à cet État. Seul le ministère des Affaires étrangères dans un pays est compétent en la matière, soit directement de la capitale, soit à travers les missions diplomatiques à l’étranger. Ainsi dans le cadre des Nations unies, c’est la Mission permanente de chaque pays à New York qui en a la compétence. D’où le caractère incontournable de la Mission permanente du Bénin auprès des Nations unies dans tout le processus relatif à la participation du Bénin aux opérations de paix onusiennes. Le remboursement des différents frais occasionnés par l’engagement d’un pays dans une opération de paix procède également de la même logique. C’est par une note verbale que les Nations unies demandent à un pays, à travers sa Mission permanente à New York, de communiquer un numéro de compte pour recevoir les virements des fonds. C’est ainsi que la Mission permanente du Bénin à New York a pris l’habitude, sur instruction des Affaires étrangères, de communiquer le numéro de compte de la Mission à New York pour encaisser les remboursements au nom du gouvernement du Bénin. Une fois les fonds virés sur le compte de la Mission, l’ambassadeur saisit par courrier le ministre des Affaires étrangères avec qui il gère l’information dans un premier temps. Celui-ci dispose d’un certain pouvoir discrétionnaire, quant au choix du moment de transmission de l’information à son collègue de l’Économie et des Finances, mais aussi celui de la signature et de l’envoi du document d’ordre de virement à ce dernier. C’est la signature du document de virement par le ministre des Affaires étrangères qui déclenche le processus de virement vers le Trésor public. Le temps entre le virement des fonds sur le compte de la Mission permanente et son transfert au ministère de l’Économie et des Finances varie en fonction des urgences du moment auxquelles le ministère des Affaires étrangères est confronté quant aux activités de la Mission permanente à New York. Ces urgences peuvent concerner le fonctionnement ordinaire de la Mission, à savoir les salaires des diplomates, les frais de scolarité de leurs enfants, les loyers, et autres frais administratifs. Un diplomate qui est en poste à New York depuis une dizaine d’années reconnaît les faits en ces termes :

« L’incompréhension entre les militaires et les diplomates résidait dans le fait que l’Ambassadeur utilisait les fonds qui étaient logés à la Mission

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Permanente pour préfinancer les besoins de fonctionnement, notamment le paiement des droits de scolarité des enfants de diplomates. L’écolage étant très cher à New York et l’État accusant du retard à déléguer les ressources, l’ambassadeur Zinsou préfinançait les scolarités sur les fonds OMP et restituait les sous prélevés dès que les crédits de scolarité étaient délégués par le MEF. C’est pour cette raison que les sous étaient transférés aux militaires avec un grand retard bien évidemment. » (E.A., diplomate en poste à New York, octobre 2020).

Les urgences auxquelles la Mission permanente est confrontée peuvent aussi concerner la prise en charge anticipées de dépenses liées aux nombreuses participations du chef de l’État aux sessions annuelles de l’Assemblée générale des Nations unies et autres délégations de haut niveau de passage au siège de l’organisation internationale.

L’ONU étant le haut lieu de la diplomatie mondiale et du multilatéralisme, la Représentation permanente d’un pays à New York devient un poste stratégique, une sorte de vitrine du pays vis-à-vis du reste du monde. Le maintien en état de fonctionnement régulier de la Mission permanente est un enjeu central pour les diplomates et pour le ministère des Affaires étrangères. Or, le Bénin est un pays souvent très en retard dans la mise à disposition des crédits de fonctionnement aux représentations diplomatiques à l’étranger. Dès lors, le ministre des Affaires étrangères, en relation avec l’ambassadeur Représentant permanent du Bénin auprès des Nations unies, décident de retarder le transfert des fonds au ministère de l’Économie et des Finances et procèdent à toutes les dépenses jugées nécessaires et urgentes sur ces fonds, en attendant l’envoi par l’affectation des crédits budgétaires prévus pour le fonctionnement de la Mission permanente. Par ailleurs, comme les paiements des personnels militaires se font mensuellement et le remboursement des équipements et matériels militaires trimestriellement, la Mission permanente a toujours suffisamment de liquidités pour faire face à ses dépenses, en accord avec son ministre de tutelle. La Mission ne reverse presque jamais à temps les revenus des opérations de paix au Trésor public et presque jamais la totalité des fonds reçus. Il y a toujours un reliquat suffisant gardé à New York pour faire face à ce qui est considéré comme « dépenses de souveraineté » et de préservation de la dignité de l’État béninois. Cette situation peut être à l’origine de retard dans le paiement des primes des militaires, parce que le ministère de l’Économie et des Finances est obligé de rechercher les ressources pour préfinancer lui aussi le paiement de ces primes. Une telle situation peut expliquer en partie les retards, parfois jusqu’à cinq ou six mois, dans le paiement des primes aux militaires de retour, notamment entre la fin des années 1990, sous le président Mathieu Kérékou et l’avènement du président Boni Yayi en avril 2006 et même après. Le fait que tout se règle dans les relations entre les Nations unies et les États

membres par note verbale interposée, confère une position privilégiée d’interface aux Affaires étrangères entre le Bénin et l’extérieur dans tout ce qui concerne les opérations de paix. Cette position critique lui permet de développer une stratégie de rétention de l’information, d’entretenir une certaine opacité sur le déclenchement du circuit du remboursement des revenus des opérations de paix. Pendant longtemps, les fonctionnaires du ministère de l’Économie et des Finances ont été tenus dans l’illusion que tout virement à partir des Nations unies ne pouvait se faire que sur les comptes des Missions permanentes. D’où l’impuissance relative du ministère de l’Économie et des Finances et celui de la Défense nationale vis-à-vis du ministère des Affaires étrangères. Même le chef de l’État a pu croire à cette illusion savamment entretenue par les diplomates. Une telle pratique a fini par dégénérer en conflit entre le ministère des Affaires étrangères et celui de la Défense nationale, lorsque pour se justifier des retards dans le paiement des indemnités de campagne des soldats de retour des opérations de paix, les cadres du ministère de l’Économie et des Finances accusent la Mission permanente du Bénin à New York de ne pas faire les diligences nécessaires pour opérer le transfert des fonds à temps. Ces retards dans le virement des fonds de remboursement des prestations en opération de paix alimentaient beaucoup de rumeurs et d’accusations au sein de la haute administration de l’État. Un ancien ministre de la Défense nationale expose sa perception des choses en ces termes :

« L’ambassadeur du Bénin aux Nations unies qui géraient le dossier au début de l’engagement du Bénin dans les opérations de paix faisaient virer l’argent sur son propre compte et cela lui générait des intérêts et par conséquent retardait les reversements au pays. Après ce dernier, l’argent était viré sur le compte de la Mission permanente du Bénin à New York. Comme le Bénin, d’habitude, n’envoie pas vite l’argent aux ambassades, la Mission permanente prélevait sur les fonds de maintien de la paix pour son fonctionnement. Moralité, elle n’envoyait pas l’intégralité des fonds remboursés au pays et par conséquent, il n’y avait pas assez de ressources pour payer les soldats de retour des opérations de paix. Par la suite, il y a eu l’ouverture d’un compte au Trésor public pour loger les fonds. Là encore, il s’est créé un réseau entre le ministère de l’Économie et des Finances et le ministère des Affaires étrangères pour détourner une partie des fonds. Le ministre de la Défense nationale n’avait aucun contrôle sur le compte ouvert au Trésor public. Les fonds étaient gérés entre le ministère des Affaires étrangères et le ministère de l’Économie et des Finances, à l’exclusion du ministère de la Défense nationale, d’où partent les soldats dont les prestations généraient les revenus, dont nous sommes exclus de la gestion. C’est très frustrant. » (Entretien avec IKN, ancien MDN, octobre 2020).

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34 En fait, diplomatiquement, il n’existe pas de poste d’attaché militaire auprès des Nations unies, mais plutôt le Bureau de l’Attaché militaire à la Mission permanente du Bénin auprès des Nations unies. L’attaché militaire, appelé aussi attaché de Défense, est un fonctionnaire de la Mission, qui dépend de l’ambassadeur. C’est donc par abus de langage de l’on parle au Bénin d’attaché militaire auprès des Nations unies. Dès que les paiements sont faits, l’ambassadeur informe l’attaché militaire et lui demande de vérifier si ce qui est viré correspond véritablement à ce à quoi le Bénin a droit du fait du nombre de troupes et de matériels et équipements militaires déployés, que l’armée connaît mieux que les diplomates.

Ces propos, même s’ils simplifient les réalités profondes qui entourent la gestion relativement opaque des revenus issus des opérations de maintien de la paix pour le Bénin et les contradictions au sein des grandes administrations étatiques impliquées, ils ont l’avantage de présenter à grands traits, la nature des relations réelles au sein de la haute administration de l’État béninois, quant à la problématique de la gestion des ressources financières générées par la participation du Bénin aux opérations de paix des Nations unies.

La revanche de l’armée sur les Affaires étrangères

En pleine période de contradiction entre le ministère de la Défense nationale et celui des Affaires étrangères, éclata en 2005 un scandale autour de la vente d’une portion de la résidence du Bénin à New York par l’ambassadeur Représentant permanent en complicité avec le ministre des Affaires étrangères de l’époque. Cet ambassadeur n’est autre que celui qui était déjà accusé par les militaires de détournement des remboursements des prestations des contingents béninois dans les opérations de maintien de la paix. Cet acte était à leurs yeux la preuve, par inférence ou par imputation, des accusations de détournement que la hiérarchie militaire portait contre les cadres du ministère des Affaires étrangères. Le président Mathieu Kérékou releva aussitôt le ministre et l’ambassadeur de leurs fonctions respectives.

C’est alors que l’armée prit sa revanche et fit le lobbying auprès du chef de l’État pour faire nommer un officier supérieur comme ambassadeur Représentant permanent auprès des Nations unies. Désormais, c’est un militaire qui détenait à New York « le pouvoir de la note verbale », qui permet de contrôler les relations avec les structures des Nations unies. Celui-ci informa la hiérarchie militaire de tous les aspects du circuit de remboursement des prestations des contingents béninois engagés dans les opérations de paix et les mécanismes d’organisation du retard dans le transfert des fonds au ministère de l’Économie et des Finances. Ainsi, pour la première fois, les fonds furent transférés à temps pour payer, aussitôt rentrés, les soldats de la paix du contingent béninois revenus en avril 2006 de l’ONUCI en Côte d’Ivoire.

Mais profitant du changement de régime en avril 2006 avec l’élection du président Boni Yayi, les diplomates repartent à la charge pour exiger que le poste de Représentant permanent du Bénin aux Nations unies revienne à un diplomate professionnel, ainsi que toutes les autres missions diplomatiques qui s’occupent de la coopération multilatérale. C’est dans

ces conditions qu’en 2007, le président Boni Yayi nomma un diplomate professionnel pour remplacer l’officier supérieur en poste, à son avènement au pouvoir. Alors que jusque-là ce sont les diplomates civils qui géraient la coopération militaire avec les Nations unies, notamment avec le Département des opérations de maintien de la paix (DOMP/DPKO), sous la pression de l’État-major général de l’armée, le ministère de la Défense demanda la création d’un poste d’attaché militaire auprès des Nations unies34 pour s’occuper spécifiquement de toutes les questions relatives aux opérations de maintien de la paix, notamment les dossiers relatifs aux contingents béninois de plus en plus nombreux sur les théâtres d’opération de paix. Le ministre de la Défense nationale de l’époque témoigne :

« C’est ainsi que nous avons eu l’idée d’envoyer des attachés militaires à New York pour y être nos yeux et nos oreilles. Ainsi, chaque fois qu’un virement de fonds est fait, l’attaché militaire me rendait immédiatement compte et je pouvais demander le reversement intégral des fonds au ministère de l’Économie et des Finances et je faisais une communication en conseil des ministres pour demander le décaissement immédiat des fonds, afin de payer les soldats. Je profitais aussi de l’occasion pour faire des commandes de matériels et d’équipements militaires pour renouveler les anciens, chaque fois que de besoin. Voilà comment nous procédions pour contourner les difficultés que les Affaires étrangères et les Finances créaient au ministère de la Défense nationale dans la gestion des revenus issus des opérations de paix ». (Entretien avec IKN, ancien MDN, octobre 2020).

La nomination des attachés militaires est d’ailleurs une recommandation forte issue du Forum géostratégique tenu en janvier 2007 par le ministère de la Défense nationale. On comprend alors que, dans la haute administration étatique impliquée dans la gestion des opérations de paix, ce sont les rapports d’influence du moment entre segments spécifiques de la haute administration qui déterminent le contrôle ou la marginalisation de tels ou tels acteurs dans le processus de gestion des revenus des opérations de paix. Les rapports d’influence ne sont pas acquis une fois pour de bon par un segment donné de la haute administration. Tout est question de la capacité à influencer la décision du chef de l’État à un moment ou à un autre. Ainsi, en reprenant le contrôle de la Mission permanente du Bénin à New York, les diplomates ont dû accepter l’immixtion de l’armée dans le dispositif diplomatico-administratif de celle-ci et donc des Affaires étrangères. Les diplomates ont été dépossédés de la relation privilégiée avec le Département des opérations de maintien de la paix

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de l’ONU au profit de l’attaché militaire. Ainsi, bien qu’ayant repris le « pouvoir de la note verbale », les diplomates ne peuvent plus opérer comme par le passé. L’attaché militaire garde une comptabilité permanente et actualisée des remboursements des prestations et en informe l’État-major général de l’armée et le ministère de la Défense nationale, au fur et à mesure des virements sur le compte de la mission diplomatique. Un indicateur de ce partage de pouvoir entre diplomates et militaires au sein de la Mission permanente est désormais l’élaboration de la « fiche sur les opérations de paix » par l’attaché militaire et sa mise au dossier du chef de l’État ou du ministre des Affaires étrangères, à l’occasion de leur participation au rituel des débats de l’Assemblée générale annuelle des Nations unies à New York.

Pour contourner ce nouvel élément perturbateur du dispositif initial de management des revenus par les diplomates et de leur utilisation en guise de préfinancement du fonctionnement des activités de la Mission, le ministre des Affaires étrangères usa de ses relations personnelles avec le ministre de l’Économie et des Finances pour obtenir une autorisation spéciale d’utilisation d’une partie des remboursements des opérations de paix pour poursuivre le système des préfinancements. Suite à cette initiative, une réunion conjointe entre les Affaires étrangères, les Finances et la Défense nationale est organisée pour trouver le meilleur mécanisme de gestion des revenus des opérations de paix. Cependant en 2011, lorsqu’un ministre des Affaires étrangères non diplomate a instruit l’ambassadeur Représentant permanent du Bénin à New York, de procéder désormais au reversement des fonds sur un compte spécial cosigné par les trois ministres suivant le modèle de gestion à la nigérienne, celui-ci refusa de s’exécuter. En effet, l’ambassadeur contourna son ministre de tutelle pour adresser une correspondance directe au chef de l’État, lui expliquant les raisons pour lesquelles l’instruction de son ministre ne pouvait être exécutée, notamment les difficultés à venir relatives au préfinancement de la participation du chef de l’État aux sessions de l’Assemblée générale de l’ONU et autres réunions et rencontres de haut niveau, auxquelles celui-ci aimait à être présent. Ainsi, dans le processus de gestion des revenus des opérations de paix, notamment le préfinancement des activités de la Mission permanente à New York, les diplomates usent également de stratégie de contournement, même de leur ministre de tutelle, pour négocier l’assentiment du chef de l’État. Celui-ci à l’occasion, a fait lire la correspondance au chef d’État-major général de l’armée, mais a refusé de la faire connaître à son ministre des Affaires étrangères, qu’il a ainsi indirectement désavoué sur ce point au profit de la logique des diplomates. Un quitus indirect a ainsi été donné aux diplomates tacitement par le silence du chef de l’État, pour continuer à opérer des préfinancements des activités de la Représentation permanente sur les revenus des opérations de paix, que l’on qualifierait dans le jargon

des finances publiques de détournement de fonds, mais sans forcément conduire à une « infraction » dans le cas d’espèce.

Ce conflit autour de la gestion des ressources financières des opérations de paix a déteint sur la coordination à l’échelle nationale de la participation du Bénin aux opérations de paix entre le ministère de la Défense nationale et le ministère des Affaires étrangères. Ainsi, la création d’une Direction des opérations de maintien et de promotion de la paix (DOMPP) fut pendant longtemps une pomme de discorde entre les deux ministères. Le ministère des Affaires étrangères a réussi à faire approuver en conseil des ministres en 2008, un décret portant attributions, organisation et fonctionnement (AOF) du ministère, qui incluait la nouvelle direction chargée de coordonner les aspects politiques, administratifs et même financiers au plan national de la participation du Bénin aux opérations de maintien de la paix. Le directeur devrait être un diplomate et son adjoint un officier supérieur de l’armée. La même configuration a été également prévue pour l’Institut de recherche sur les relations internationales et les études stratégiques (IRIES) inscrit dans l’organigramme du même ministère, au même titre que la DOMPP. L’armée et le ministère de la Défense se sont vigoureusement opposés à ces initiatives qui revenaient à confier le leadership des opérations de paix aux Affaires étrangères. Ils n’ont jamais proposé les officiers supérieurs prévus pour occuper les fonctions de directeur adjoint et de directeur général adjoint. Ces deux structures n’ont jamais réussi à fonctionner convenablement. On comprend par là en partie, un des motifs de la difficulté du ministère des Affaires étrangères à jouer pleinement son rôle de coordination comme le notent si bien certains analystes de la participation du Bénin aux opérations de paix: « Son rôle de coordination n’est pas pleinement joué en raison de la mainmise des militaires (premiers acteurs et acteurs dominants en raison de leurs effectifs et de leur organisation interne) qui conçoivent le maintien de la paix d’abord comme une activité militaire pour laquelle ils ne peuvent se résoudre à ne s’en tenir qu’à la planification opérationnelle. Le ministère de la Défense nationale n’a donc pas concédé suffisamment d’espace aux diplomates car certains de ses responsables estiment disposer de cadres militaires capables d’exécuter les tâches sur la quasi-entièreté de la chaîne. » (Quenum et Padonou 2011 : 43).

En 2017, le nouvel organigramme des Affaires étrangères a fusionné la DOMPP avec la direction des organisations internationales (DOI) pour donner la nouvelle direction des organisations internationales et des opérations de maintien de la paix (DOIOMP). L’armée et le ministère de la Défense nationale sont restés dans une posture de résistance administrative pour se réserver les aspects opérationnels liés à la participation du Bénin aux opérations de maintien de la paix.

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Le jeu du chat et de la souris entre le ministère de la Défense nationale et le ministère de l’Économie et des Finances

En 2008, les députés à l’Assemblée nationale ont interpellé le gouvernement sur les retombées financières de la participation du Bénin aux opérations de maintien de la paix et ont exigé et obtenu sa budgétisation pour plus de transparence et de traçabilité dans la gestion de ces fonds. Dans un contexte de précarité parlementaire pour le gouvernement qui n’avait plus une majorité stable au parlement, le président Boni Yayi finit par concéder35 . Désormais, dans le budget général de l’État, figure dans les prévisions de recettes une rubrique sur les revenus des opérations de maintien de la paix. La Cour suprême du Bénin, à travers sa Chambre des comptes, effectue de temps à autres des missions de vérification des revenus des opérations de paix à la Mission permanente du Bénin à New York. Il en est de même de l’Inspection générale des finances. Mais toutes ces missions de vérification n’ont pas réussi à modifier le mode de gestion de ces revenus encore moins le circuit financier qu’ils empruntent.

L’armée et le ministère de la Défense ont été de tout temps préoccupés par la qualité des équipements, qui détermine les niveaux de remboursement. Mais dans l’impossibilité d’avoir la faculté de décider plus librement de la destination des revenus issus des remboursements, ils usent des subterfuges administratifs classiques pour influencer le décideur principal qu’est le chef de l’État, à travers ce qu’on appelle dans le jargon politico-administratif « les fiches à l’attention » (de celui qui a le pouvoir décisionnaire). En 2012, dans une fiche adressée au président de la République en mission à New York, l’attaché de Défense36, en porte-parole indirect de l’armée, attirait encore l’attention de la plus haute autorité sur la question du renouvellement des équipements et matériels déployés dans les opérations de paix :

« Il serait souhaitable que les problèmes liés au remplacement des matériels majeurs vétustes et à la réparation de ceux indisponibles pour des causes mineures soient résolus, afin de bénéficier d’un taux de remboursement maximum de 100%... À cet égard, il est fortement recommandé d’utiliser dans l’immédiat et en priorité, les fonds provenant du remboursement des prestations des matériels déployés dans les missions pour la réalisation des équipements répondant aux normes de l’ONU au profit de ces

bataillons. Un accent particulier doit être mis sur le matériel de communication et sur les matériels lourds qui rapportent plus d’argent que les armes légères. »37

Parallèlement à cette manière soft de faire pression sur le chef de l’État par fiche interposée pour obtenir une utilisation des revenus issus des opérations de paix aux fins souhaitées par l’Armée, le ministère de la Défense nationale a aussi développé une stratégie spécifique de consommation de crédits par des demandes, en termes de dépenses extraordinaires, adressées au ministre de l’Économie et des Finances pour puiser, au-delà de leurs crédits propres, dans ceux de la ligne de « Dépenses non imparties ». Dans la nomenclature budgétaire de l’État, cette ligne de crédit est un fourre-tout budgétaire, où les plus vigilants des membres de gouvernement peuvent puiser des ressources pour des activités ou dépenses extraordinaires ou non prévues. Un ancien ministre de la Défense expose ici sa stratégie :

« Sachant que l’argent existait, je profitais de ma position auprès du président de la République pour pomper cet argent du ministère de l’Économie et des Finances (MEF). Depuis l’indépendance, on n’a plus construit de nouvelles casernes avant l’engagement du Bénin dans les opérations de paix de l’ONU. C’est cela la réalité. Quand les fonds étaient versés au MEF, ils étaient gérés suivant le principe de l’unicité de caisse de l’État. Au Bénin, à ce jour, on ne peut faire le point des fonds reçus à partir des opérations de maintien de la paix auxquelles le Bénin a participé. Pour être clair, ça n’a jamais été transparent. Ne sachant pas combien tombait réellement au Trésor, je profitais dans cette opacité pour demander plus de crédits pour investir dans la modernisation de l’armée. À la limite, on harcelait le ministre des Finances de multiples demandes pour l’obliger à décaisser. Nous agissions ainsi parce que nous avions acquis la conviction que l’armée était devenue pourvoyeuse de ressources financières au budget national au même titre que la douane. On était offusqué du fait que ce soient nos hommes qui allaient au front, risquaient leurs vies et que ce soient les civils des Affaires étrangères et des Finances qui en profitaient. C’est tout simplement inadmissible. » (Entretien avec KDI, un ancien ministre de la Défense nationale, 12/10/2020).

Dans l’impossibilité d’avoir accès directement aux ressources financières des opérations de paix, désormais confondues aux caisses de l’État selon le principe de l’unicité de caisse, le ministère de la

35 La Constitution du 11 décembre 1990 fait de l’armée et de la politique extérieure deux domaines réservés du président de la République. L’Assem-blée nationale ne joue aucun rôle dans la projection des troupes à l’extérieur. Ici, l’Assemblée nationale a joué sur les rapports de force politique du moment et des contestations au sein de la troupe, pour intervenir en aval dans les opérations de paix, par le canal du contrôle général de l’action gouvernementale, notamment la gestion des ressources provenant des opérations de paix. Pour une analyse typologique du rôle des parlements dans les opérations de paix, cf. Haykel Ben Makhlouf 2016.36 Il s’agissait à l’époque du Capitaine de Vaisseau Patrick AHO, devenu depuis 2016 Contre-amiral et désormais chef d’État-major général de l’armée depuis 2017. Il faisait à l’époque des suggestions quant à l’utilisation des 63,2 milliards de F CFA versés au Trésor public, à titre de remboursement des prestations dans le cadre des opérations de paix.37 P. Aho, Fiche de synthèse sur la participation du Bénin aux Opérations de maintien de la paix de l’ONU, 23 septembre 2012.

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38 La Le circuit normal d’une communication en conseil des ministres est à peu près le suivant : rédaction du projet de communication par les cadres du ministère d’origine suivant les instructions du ministre concerné, envoi au Secrétariat général du Gouvernement, transmission à tous les minis-tères pour étude et avis en comité de direction (CODIR), programmation en Conseil des ministres, débat puis approbation ou rejet selon le cas.

Défense et l’armée changent de stratégie à l’égard du ministère de l’Économie et des Finances pour tirer parti du maximum des ressources financières pour l’équipement de l’armée et autres investissements à son profit.

Le ministre de la Défense nationale et le chef d’État-major général usent désormais de leurs relations privilégiées avec le chef de l’État pour demander toujours plus de ressources financières auprès du ministère de l’Économie et des Finances. La méthode est simple. L’État-major général de l’armée formule toujours des demandes pour le renouvellement des matériels et équipements déployés dans les opérations de paix, pour le renforcement des capacités nationales de formation et de casernement, notamment la rénovation d’anciennes casernes militaires (comme celle de Ouidah) ou la construction de nouvelles (comme celles de Tanguiéta, Djougou et Dassa) ou encore la création de nouveaux centres de formation comme le Centre de formation en pré-déploiement de Bembéréké réalisé aux normes des Nations unies. L’armée a aussi développé un nouveau concept baptisé « armée-nation » par le truchement duquel les compétences dont dispose l’armée et qui peuvent intervenir dans le domaine civil en temps de paix devraient être mises à la disposition du peuple. Ainsi, l’Hôpital d’instruction des armées, qui était un centre de seconde zone, a été suffisamment équipé pour être érigé en Centre hospitalier et universitaire, soit un hôpital de référence nationale. Le génie militaire s’est équipé d’engins lourds pour la construction d’infrastructures routières et de BTP. Le gouvernement a même décidé de lui confier l’exécution de certains marchés publics d’entretien routier et autres. Du matériel militaire a été acquis dans ces conditions (avions de transport de troupes, hélicoptères, des navires-vedettes et des patrouilleurs) en France, en Belgique, en Afrique du Sud, etc.

Pour parvenir à ces fins, la technique est simple. C’est l’élaboration d’une communication en conseil des ministres. C’est l’instrument de gouvernance le plus efficace pour engager l’État dans la gestion quotidienne des affaires du pays. Faire adopter une communication en conseil des ministres est un parcours du combattant pour un ministre, lorsque le circuit normal doit être utilisé38. Le circuit le plus court est celui de la communication orale qui se règle souvent entre le ministre auteur de la communication, le chef de l’État et le chef du gouvernement dont l’accord préalable est la principale ressource politique à négocier, et enfin obtenir la coopération du ministre de l’Économie et des Finances qui doit assurer de l’existence des ressources financières pour prendre en charge les implications financières d’une communication. Ainsi, le ministère de la Défense nationale élabore

une communication en conseil des ministres, fait du lobbying auprès du chef de l’État, le chef du gouvernement et auprès des ministres importants, notamment celui de l’Économie et des Finances, pour obtenir son approbation en conseil des ministres, souvent en procédure d’urgence. En effet, le ministre de la Défense nationale, l’un des deux ministres d’État, jouissait d’une certaine prééminence par rapport aux autres ministres. Il forçait la main au ministre de l’Économie et des Finances par l’obtention préalable de l’accord du chef de l’État, qui se matérialise par une annotation presque anodine du président de la République sur la communication en ces termes « bon pour accord » assortie de son paraphe tant recherché. À la vue de cette mention presque « magique », aucun ministre ne peut s’exposer au risque de contredire le chef de l’État avec toutes les conséquences politiques et administratives éventuelles qui pourraient en découler. Une fois cette étape passée, le reste se gère entre les ministères de la Défense et de l’Économie et des Finances pour les procédures de passation des marchés publics d’acquisition des équipements et matériels militaires. Ce sont des marchés sans véritables appels d’offres, mais exécutés généralement sur la base de consultations restreintes sous le couvert du secret-défense. Jusqu’en 2016, la pratique dans les marchés publics relatifs à l’armée est le gré à gré. À ce niveau, l’armée elle-même n’est pas au-dessus de tout soupçon, même s’il est difficile d’y pénétrer et de démêler l’écheveau dans ce domaine.

L’armée au-dessus de tout soupçon ?

La gestion des fonds issus des opérations de paix a créé une certaine atmosphère de défiance dans la relation entre subalternes et hiérarchie militaire au sein de l’armée béninoise. Alors que les officiers exigent le respect de la discipline militaire et infligent à ce titre des sanctions lourdes pour tout soldat auteur de manquements, la question des fonds des opérations de paix, notamment le volet des primes aux soldats, entretient tout de même une atmosphère de suspicion.

Les incompréhensions entre l’État-major général de l’Armée et les éléments des contingents envoyés dans les opérations de paix découlent souvent du décalage entre les montants versés par les Nations unies par soldat et les montants réels qui leur sont versés à leur retour au pays. En fait, les remboursements faits par soldat, qui sont actuellement de l’ordre de 1428 $, couvrent plusieurs types de charges : les diverses primes des soldats en opération de paix, les kits personnels, les frais médicaux, la formation des troupes, le transport interne sur les théâtres d’opérations de paix, etc. Pour tenter de trouver une

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solution de juste milieu entre ce qui est spécifiquement destiné au soldat et ce qui est assuré par l’État à travers l’armée, un arrêté interministériel a été pris pour fixer de façon forfaitaire le montant à verser par soldat pour sa participation à une opération de paix des Nations unies. Dans l’esprit du soldat ordinaire, la différence serait plutôt détournée par la hiérarchie militaire en complicité avec le ministre de la Défense nationale. Cette perception entretient des rumeurs et accusations de détournement et de corruption, que l’armée ne dément pas souvent du fait de sa culture spécifique du silence.

Cette situation n’est pas spécifique au Bénin seul. Ainsi au Togo, à la suite de quelques grognes dans la troupe, la presse s’est emparée du sujet et a titré « Les soldats au front subissent une coupe salariale annuelle de presque 50%, alors que la somme allouée pour chaque Casque bleu va connaître une nouvelle hausse à partir du 1er juillet 2018 » dans une livraison du 29 juin 2017. Le journaliste auteur de l’article d’investigation écrit : « Des magouilles monstres sont organisées au niveau de la rémunération des soldats togolais. Un soldat engagé sur le front devrait percevoir annuellement une prime de 8.100.000 à 9.582.300 F CFA, selon les fluctuations du cours du dollar. Mais malheureusement, ils ne reçoivent au total que 4.800.000 F CFA, sans compter ce qu’ils devront verser à leurs « protecteurs haut placés » ». Il constate impuissant qu’il s’agit d’une « immersion dans un univers où l’omerta semble faire les affaires des uns et perpétuer l’injustice envers les autres. »39 S’il est vrai que le culte du secret est un des traits caractéristiques de la culture militaire, même dans la gestion des ressources financières, il arrive que certains scandales échappent à leur contrôle, du fait très souvent de contradictions internes. L’éclatement de ces quelques cas rares de malversations contribue en retour à alimenter et à renforcer le climat de suspicion ainsi que les perceptions que la troupe a de la hiérarchie militaire et du ministre de la Défense nationale. En effet, au début des années 2000, un scandale de détournement de fonds issus des opérations de paix, notamment de l’UNMIL au Liberia et qui a connu des suites judiciaires, a contribué à entretenir cette atmosphère de suspicion entre troupes et hiérarchie militaire autour de la gestion de ces fonds.

Ce fut le cas, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, quand des fonds fournis par les Nations unies destinés initialement à l’amélioration des conditions de casernement des soldats béninois de l’UNMIL au Liberia, ont été détournés vers le Bénin et gérés par l’État-major général, alors dirigé par le Colonel Gandonou Kodja. Ce fut la source du scandale connu sous le nom de « affaire de la cage d’escalier de l’État-major général des armées ». En effet, c’est sous le couvert de la construction d’infrastructures militaires

que les fonds ont été rapatriés au Bénin. Pour toute réalisation, le chef d’État-major général d’alors n’a fait construire qu’une cage d’escalier externe au siège de l’État-major général des armées. Le reste des fonds a disparu. Ce fut la source d’un conflit qui opposa ce dernier au ministre de la Défense nationale, Sévérin Adjovi, un civil. Ce conflit autour de la gestion de fonds issus d’opération de paix a entraîné un arbitrage du président Mathieu Kérékou, lorsque la presse nationale s’en était emparée. Au sein de l’armée, la troupe considérait que c’est une partie de leurs primes qui a été détournée par la hiérarchie militaire. Le scandale alimenta une série de malentendus et de quiproquos dans l’opinion publique. Le Colonel Gandonou Kodja décida alors d’animer une conférence de presse pour se justifier. Malheureusement, les questions des journalistes l’ont enfoncé et il a fait des révélations indirectes qui dénotaient d’un détournement de fonds. Le ministre de la Défense nationale, qui estima avoir été floué par le chef d’État-major général de l’armée, porta alors plainte contre ce dernier devant les tribunaux et le Colonel finit par être interpellé et placé sous mandat de dépôt pendant neuf (9) mois, juste après son départ à la retraite. Le dossier était alors géré par l’agent judiciaire du Trésor représentant l’État en justice dans les cas relatifs aux malversations financières et en étroite relation avec le ministère de l’Économie et des Finances.

Le ministère de l’Économie et des Finances, le maître du jeu

Le ministère de l’Économie et des Finances (MEF) joue un rôle crucial dans la préparation et la mise en route des militaires retenus pour les opérations de maintien de la paix. Chaque année, le MEF débloque environ 645 millions de francs CFA pour la mise en route des contingents à déployer (cf. Quenum et Padonou 2011 :52). Du fait du principe de l’unicité de caisse et de l’orthodoxie financière prônées par les différents gouvernements du renouveau démocratique à partir de 1990, notamment dans le cadre de la lutte contre la corruption et la promotion de la bonne gouvernance, les exigences de traçabilité et de transparence, telles qu’officiellement affirmées, imposent des circuits de décision et de contrôle assez compliqués sur les décaissements de fonds. Les acteurs impliqués dans les opérations de paix ont souvent stigmatisé la lenteur des procédures au sein du ministère de l’Économie et des Finances. « Les lourdeurs administratives et le manque de transparence sont dénoncés par les autres acteurs qui attendent une meilleure compréhension des enjeux et une plus grande implication et disponibilité du ministère de l’Économie et des Finances dans le processus de participation qui pourrait générer davantage de profits à l’État, même si ce n’est pas sa vocation première et son but ultime en opération de paix » (Idem : 44-45). C’est en partant de

39 Journal La Liberté Togo, n° 2467 du 29 juin 2017.

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cette observation partagée par les différents acteurs que le ministère des Affaires étrangères, notamment la Mission permanente à New York, et le ministère de la Défense nationale définissent et justifient chacun sa stratégie propre de « management » des revenus issus des opérations de paix ou ce qui pourrait en découler. Le statut d’ordonnateur national du budget de l’État, dont dispose le ministre de l’Économie et des Finances, lui confère un pouvoir discrétionnaire à l’égard des autres segments de la haute administration étatique. Ceux-ci réagissent à cela en stigmatisant plutôt le manque de transparence et l’opacité qui entourent les procédures financières : communication en conseil des ministres, décision d’engagement de dépense, ordonnancement de la dépense, décision de paiement, décaissement, bref tout un parcours du combattant, pour utiliser un jargon militaire. Dans ce circuit financier existe un véritable goulot d’étranglement qui est le redouté « SYGFIP » (système informatisé de gestion des finances publiques), dont l’ouverture et la fermeture est la clé de régulation des dépenses publiques détenue par le ministère de l’Économie et des Finances. Ce dispositif a acquis l’appellation peu glorieuse de « la terreur de l’administration publique ». Il fonctionne pour les finances publiques, à l’image d’une sorte d’écluse qui contrôle le passage ou non des navires à des intersections maritimes ou fluviales données. Le SYGFIP est l’écluse de la régulation de la dépense publique au Bénin. Sa régulation est d’autant plus redoutée que l’on tend vers la fin de l’année, notamment au dernier trimestre de l’année. Son ouverture, généralement à fin janvier-début février de chaque année, est célébrée comme un événement dans tous les segments de la haute administration étatique, parce qu’elle est synonyme de possibilité d’engagement, d’ordonnancement de dépenses publiques ou tout simplement de décaissement. Le circuit de la dépense publique au ministère de l’Économie et des Finances entre la Direction générale du budget et la Direction générale du trésor et de la comptabilité publique, en passant par la Direction du contrôle financier, avec leurs multiples ramifications et règles spécifiques, apparaît comme un véritable couvent, où seuls les initiés y ont accès. Les non-initiés sont obligés de recourir à des intermédiaires et autres gate-keepers qui maîtrisent les détails du circuit et la sous-culture bureaucratique spécifique de ce segment de l’État, et dont la disponibilité et les services rendus sont rémunérés d’une manière ou d’une autre, à travers des pratiques interstitielles de petite corruption.

L’Armée a continué par réclamer une plus grande transparence dans la gestion des fonds issus des opérations de paix, afin de pouvoir sortir du jeu du chat et de la souris avec le ministère de l’Économie et des Finances et aussi sortir le ministère des Affaires étrangères du circuit financier qu’empruntent ces fonds. À cet effet, plusieurs missions ont été envoyées

à New York, mais souvent torpillées par les diplomates. Seulement la situation va connaître une évolution favorable à l’armée à partir de 2016, avec l’avènement du régime dit de « la Rupture » avec le président Patrice Talon en avril 2016. Ce dernier a beaucoup limité les prérogatives des diplomates.

En effet, une mission de vérification dépêchée en 2015 par la Cour suprême sur la gestion financière de la Mission permanente du Bénin à New York, et une autre en 2016, cette fois-ci diligentée par l’Inspection générale des finances, ont conclu à de nombreuses irrégularités dans la gestion des fonds issus des remboursements des prestations des troupes béninoises engagées dans les opérations de paix. C’est ainsi que le gouvernement a décidé de l’ouverture d’un compte spécial à la BCEAO pour recevoir désormais tous les virements des fonds relatifs à la participation du Bénin aux opérations de paix des Nations unies. C’est ce que confirme un diplomate en poste à New York en ces termes :

« Une mission dépêchée par le ministère de l’Économie et des Finances (MEF) en 2016 a relevé que la pratique des préfinancements des activités de la Mission permanente des Nations unies, à partir des remboursements issus de la participation du Bénin aux opérations de paix, constituait une irrégularité et a interdit la pratique du virement des fonds des opérations de paix sur le compte de la Mission permanente. Un compte OMP a été par la suite ouvert à la BCEAO et communiqué à la Mission qui l’a transmis aux Nations unies. Depuis lors, les Nations unies y transfèrent directement les remboursements dus au Bénin au titre des opérations de paix. » (EA, diplomate en poste à New York, octobre 2020).Désormais, c’est l’Armée, à travers le ministère de la Défense nationale, et le ministère de l’Économie et des Finances qui ont la haute main sur la gestion des fonds issus des opérations de paix, à l’exclusion du ministère des Affaires étrangères, dont le rôle a été réduit au strict minimum, celui d’envoi et de réception de notes verbales relatives aux opérations paix dans la relation du Bénin avec les Nations unies. Le pouvoir de la note verbale et la construction des illusions diplomatico-administratives autour de la gestion des fonds issus des remboursements des prestations des contingents béninois en opération de paix onusienne, de même que le système des ignorances institutionnelles réciproques entretenues semblent avoir été momentanément réduits. Cependant, les rapports de force et d’influence entre segments de la haute administration étatique impliqués dans les opérations de paix sont essentiellement dynamiques et mouvants et dépendent de la nature des relations entre les responsables de chaque segment avec les détenteurs du pouvoir d’État à un moment donné de la vie politique du pays.

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CONCLUSIONLes soubresauts occasionnels que connaît l’armée béninoise dans le cadre des opérations de maintien de la paix, par le fait des soldats de retour des théâtres étrangers, ne sont qu’un petit bout de l’iceberg de frustrations accumulées, des jeux d’intérêts au sein de la haute administration étatique, et du théâtre d’ombre qui se joue entre les différents acteurs engagés. Il s’agit d’un espace de confrontation, dont la forme la plus visible est celle qui concerne les plus faibles des maillons de la chaîne. Comme des lanceurs d’alerte, les petits remue-ménages que créent périodiquement les soldats de retour des Opérations de paix fonctionnent comme des indicateurs d’une éruption contenue dans les tréfonds des hautes sphères de l’État. Le devoir de réserve, les risques de carrière, la peur de l’isolement administratif et politique ou la volonté de préservation de certains avantages expliquent en grande partie le théâtre d’ombre qui se joue au Bénin autour de la gestion des fonds issus de la participation du pays aux Opérations de paix depuis déjà trois décennies. C’est sur cette réalité politico-sociologique que la présente contribution a tenté d’apporter une petite lumière pour en comprendre les tenants et les aboutissants et expliquer les logiques à l’œuvre et les enjeux des différents acteurs individuels, collectifs ou

sectoriels au sein de la haute administration de l’État béninois. À l’instar de la rente de développement, la rente onusienne de la paix est presque perçue comme une opportunité, une manne à laquelle tous les acteurs impliqués cherchent à avoir un accès privilégié, en développant des stratégies spécifiques qui vont de la création d’illusions administratives par l’entretien d’un flou artistique que chacun développe en fonction des marges de manœuvres que lui laisse la sous-réglementation juridique et administrative du secteur (rétention de l’information, retardement des opérations, usage abusif du secret, complexification des règles financières, exploitation des positions de prééminence momentanée dans l’appareil d’État), à la confrontation politico-administrative entre grands segments de la haute administration de l’État, notamment les ministères impliqués dans les opérations de paix. La rente onusienne de la paix est donc un véritable révélateur des dynamiques de confrontation souterraine au sein de la haute administration de l’État et qui éprouvent la solidarité gouvernementale, dont le principe apparaît en fait comme un simple affichage, dont la solidité peut être ébranlée dès lors qu’apparaissent des intérêts et des enjeux majeurs.

40 Sur la notion de système d’ignorance dans les administrations, cf. Hobart 1993

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En explorant comment les ONG, mobilisées dans l’affaire des « surfacturations » au Niger, ont pu réfuter l’idée de l’impossible transparence du secteur de la sécurité, cet article a pour

ambition de démontrer que les acteurs externes à ce secteur régalien, où domine largement le secret, ont la capacité d’apporter une contribution à la quête de la transparence. Cette démonstration s’appuie sur une

enquête qualitative portée sur l’étude de documents et des discours (circulant prioritairement sur l’espace numérique) permettant de localiser les répertoires d’actions développées, ainsi que les difficultés pertinentes rencontrées par les ONG dans leur quête de la transparence dans le secteur de la sécurité.

C H A P I T R E I IQUÊTE DE TRANSPARENCE DES ONG DANS LE SECTEUR

DE LA SÉCURITÉ AU NIGER : BRISER CONTINUELLEMENT LE PLAFOND DE VERRE

Dr. Sali Bouba Oumarou

Abstract :

Mots clés : ONG ; Niger ; corruption ; transparence ; répertoires d’action.

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1 Dans son communiqué du 26 février, l’autorité entendait, entre autres, « faire rembourser les montants indûment perçus soit en raison de surfacturation, soit au titre des paiements de service et livraisons non effectués ou partiellement effectués, transmettre aux tribunaux compétents les dossiers des fournisseurs qui refuseraient de s’exécuter, prendre les sanctions administratives appropriées à l’endroit des agents publics […] » Cf. communiqué du Porte-parole du gouvernement nigérien du 20 février 2020.

Depuis le mois de février 2020, les récits sur la gestion questionnable des ressources du secteur de la sécurité au Niger rythment les débats médiatiques locaux et internationaux. Que l’on s’intéresse à la presse locale ou internationale, la même image revient avec insistance : celle d’un secteur de la sécurité, en l’occurrence ici l’armée, dont la gestion des ressources financières ne respecte pas toujours les exigences éthiques, les règles de conformité et les implorations de performance recherchées dans le secteur public (Takoubakoye, 2017), en général. De fait, les résultats d’un audit sans précédent de l’inspection générale des armées ont fait état de ce que sur les commandes passées par le ministère nigérien de la Défense, entre les années 2017 et 2019, près de 32,6 milliards F CFA auraient été détournés au moyen des surfacturations et la non-livraison.

Inédite, l’ampleur de cette suspicion de corruption, cataloguée par la presse « de l’affaire des surfacturations » (Jeune Afrique, 2020) est venue remettre en question les progrès réalisés dans la mise en place d’institutions internes de contrôle de conformité et de quête de la performance au sein de l’armée nigérienne. Si sur la question de la transparence dans ce secteur stratégique, des institutions internes telles que l’inspection générale des armées et de la gendarmerie nationale existent, et de toute évidence, jouent une partition dans les processus de consolidation de la transparence, l’action des organisations non gouvernementales n’a pas été moindre pour permettre de toucher le cœur du problème : celui de la transparence et la reddition des comptes dans le secteur de la sécurité. Pour aller à l’essentiel, n’eut été l’inscription dans la durée de cette « affaire » dans l’espace public et la mobilisation multi-niveau des organisations non gouvernementales, le réflexe de l’autorité publique fut, d’abord, celui du secret, et de la discrétion pour évacuer le sujet par des arrangements administratifs « à l’amiable »1. Ce fut fondamentalement l’entrée par effraction, par diverses modalités, d’une diversité d’acteurs — dont des organisations non gouvernementales— dans cette « affaire des surfacturations » qui créa le point de rupture dans les thérapeutiques envisageant accessoirement des poursuites judiciaires. Cette réalité n’est pas sans interroger le potentiel des organisations non gouvernementales dans la quête de la transparence dans le secteur sensible et auréolé de secret de la défense. On se pose notamment la question de savoir : par quels moyens d’action les organisations non gouvernementales interviennent-elles dans la

quête de la transparence et la reddition des comptes dans le secteur de la sécurité ? À quelles difficultés peuvent-elles être confrontées ?

En expliquant comment les ONG ont pu réfuter l’idée de l’impossible transparence du secteur de la sécurité suite à l’éclatement de « l’affaire des surfacturations », tout en accordant un point aux difficultés auxquelles ces acteurs ont été confrontés, cet article a pour objectif de démontrer que les ONG ont la capacité de contribuer à la quête de la transparence et la reddition des comptes dans un secteur régalien potentiellement imperméable à leurs actions. Il y a là, l’intention d’actualiser, à travers l’étude d’un cas situé, le débat initié dès les années 1980 (Otayek, 2002) sur les rôles que les acteurs du secteur, a priori, non marchand pourraient jouer dans les processus de consolidation de l’État de droit. Les ONG nigériennes, et plus largement la société civile, sont en effet reconnues avoir participé aux transformations qui ont bouleversé, non seulement les rapports entre l’État et les citoyens (Gazibo, 2007a), mais également les formes de revendications publiques qui, si elles n’étaient pas impossibles, au lendemain des indépendances, étaient tout simplement clandestines. Aujourd’hui encore, elles contribuent autant à la définition de nouvelles formes de participation publique, qu’à l’exposition et le cadrage interprétatif de certains problèmes publics (MahamanTidjani Alou, 2016). La crise alimentaire de 2005 a donné à voir comment ces acteurs ont grandement contribué, par la dénonciation et l’occupation de l’espace public, par diverses modalités d’action, à l’ajustement des réponses de l’autorité publique à la problématique du détournement de l’aide alimentaire (Gazibo, 2007b).

Cette recherche se situe sur un plan théorique, dans le champ des études sur la sociologie des mobilisations (Neveu, 2005 ; Banégas, 2005). Elle s’ancre dans le prolongement des études sur les différentes formes de participation et d’engagement politiques (Chazel, 1986), des études « des rapports sociaux médiatisés » (Macé, 2001 : 245) et des études de la politique par le bas qui mettent l’accent, entre autres, sur « les modes populaires d’action politique » (Martin, 1989 ; Tilly, 1984a). Elle s’appuie méthodologiquement sur une enquête qualitative portée sur l’étude de documents et des discours (circulant prioritairement sur l’espace numérique) permettant de localiser les répertoires d’actions (Tilly, 1984a) développées ainsi que les difficultés pertinentes rencontrées par les acteurs engagés dans la quête de la transparence

INTRODUCTION

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2 Voir Tableau 1 en annexe pour les éléments d’identification de l’ONG Espace Alternative Citoyen3 Certaines procédures de passation de marchés du ministère de la Défense ne font pas l’objet de publication, ni de communication en conseil des ministres au Niger.4 Les premières réactions des organisations non gouvernementales ainsi que les premiers articles sur l’affaire dite des « surfacturations » ont été produits après la diffusion sur les réseaux sociaux des extraits du rapport provisoire de l’audit du ministère de la Défense qui chiffrait à près de 76 milliards, le manque à gagner pour l’État nigérien

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dans l’affaire des « surfacturations ». Une part importante de nos résultats relève d’une focalisation sur les répertoires d’actions développées par l’ONG Alternative Espaces Citoyens2, à titre individuel ou collectivement, dans le cadre de regroupements ou collectifs d’associations s’étant mobilisés autour de l’ « affaire des surfacturations ». Ce choix a été guidé par une revue de presse nationale (nigérienne) et internationale en ligne rassemblant des supports relativement différents (L’Évènement Niger ; Indépendant plus ; Jeune Afrique ; Afp ; le Point, etc.) qui a permis de relever une visibilité multiforme (discours, actions de terrain, manifestations etc.) de cet acteur de la société civile nigérienne. Bien que les

cas mobilisés pour cette étude ne sauraient épuiser les différentes formes de réfutation de l’impossible transparence du secteur de la sécurité au Niger mises en œuvre par les acteurs externes au secteur public, ni les difficultés que peuvent rencontrer ces acteurs dans cette quête, encore moins toutes les catégories d’acteurs engagés pour cette cause, ils permettent de restituer des contributions pertinentes qui se distinguent radicalement des modalités classiques de contrôle de la transparence dans le secteur de la sécurité au Niger.

Au motif que le secteur de la sécurité serait sensible et exigerait par conséquent que certaines procédures et transactions internes ne fassent l’objet d’aucune publication, ni de communication3, on pourrait être tenté de croire à l’impossible transparence de ce secteur stratégique. Il convient ici d’abaisser ce voile illusoire qui omet le potentiel des répertoires d’action fluides des ONG dans les luttes pour la transparence dans le secteur public (Perroulaz, 2004). Dans le cas qui nous intéresse, ce potentiel s’est décliné en plusieurs étapes impliquant différents acteurs qui ont contribué à travers un discours critique à la création d’une scène favorisant l’émergence et l’ancrage d’une cause publique. La mobilisation discursive performante des ONG, largement relayée par les médias en ligne, a été complétée par des formes traditionnelles et modernes de mobilisations rendues possibles par les nouvelles technologies de l’information et de la communication.

a) ONG et discours sur la transparence du secteur de la sécurité.

Les études sur les mobilisations collectives ont montré que les mouvements sociaux ont tendance à se former à partir d’une certaine forme d’action qui varie selon certains paramètres comme l’histoire du groupe, le lieu, l’attitude des autorités ou encore les ressources et compétences dont dispose le groupe (Tilly, 1986b). Les groupes mobilisés pour une cause sont donc susceptibles de puiser dans des répertoires disponibles plus ou moins codifiés, sans pour autant que cela n’exclue une part d’« innovation » (Mayrargue

et Toulabor,2009 : 113) ou d’ « improvisation » (Ibid :113). Partant de ces prémisses, il n’est pas surprenant de constater que l’implication des ONG dans la quête de la transparence et de la reddition des comptes dans l’affaire des surfacturations au Niger ait largement mobilisé, en première instance, le discours critique spontané ou organisé. Outre les prises de paroles individuelles dans les médias nationaux et internationaux où la critique spontanée a fait florès, les discours critiques organisés des ONG furent véhiculés, dès les premières apparitions de l’affaire sur l’espace public4, par le moyen de communiqués, ou déclarations de presse largement relayés par les médias traditionnels et numériques. Les prises de parole publique de Maman Kaka Touda, homme des médias et membre d’Alternative Espaces Citoyens, à la suite du communiqué de l’autorité publique évoquant l’existence d’irrégularités dans la gestion des finances du ministère de la Défense, est ici illustratif de ce mouvement : «Nous sommes engagés à nous battre pour que lumière soit faite : tous ceux qui de près ou de loin sont impliqués dans cette malversation doivent non seulement rembourser l’intégralité des sommes indûment perçues, mais ils doivent également répondre pénalement de leurs actes» (cité par Agence France Presse, 2020).

La profusion des discours critiques des ONG a largement participé à l’inscription de l’« affaire des surfacturations » dans la durée, fragilisant ainsi la thèse du caractère éphémère ou spontané de l’engagement de ces acteurs pour cette cause. De fait, on constate que ces discours accompagnent toutes les crêtes importantes de son évolution

I-RÉFUTER L’IMPOSSIBLE TRANSPARENCE DU SECTEUR DELA SÉCURITÉ

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dans la sphère publique, partant du communiqué du gouvernement de février 2020, à la déclaration du procureur de la République intervenue en juin 2020. La profusion des discours critiques des ONG a également favorisé l’interpellation d’une gamme large d’opinions publiques, puisqu’un regard sur la transnationalisation médiatique de ce problème public permet de relever que c’est la parole de ces acteurs qui meuble les analyses et commentaires des colonnes des médias internationaux. On la retrouve, à titre illustratif, dans les dépêches de l’Agence France Presse, dans les documents sonores de Radio France internationale (rfi, 2020), dans les articles du magazine le Point (Niagalé, 2020), et sur ceux du Bihebdomadaire nigérien L’Évènement Niger ( Maimou M, 2020), pour ne citer ces quelques médias.

Critiquer, interpeller, inscrire « l’affaire des surfacturations » dans le temps long, n’est pas le seul ressort de la « contestation Viva voce » (Mayrargue , Toulabor2009 : 114) des ONG nigériennes dont Alternative Espace Citoyen est ici l’emblème. Ces ressources discursives tendent également à véhiculer les exigences des acteurs qui les produisent, non sans dévoiler l’écart existant entre ces dernières et les discours de l’autorité publique. Les propos du membre d’Alternative Espaces Citoyens évoqués ci-dessus, faisant de l’engagement des ONG une véritable mission et une obligation morale, résume ici la posture initiale et l’essentiel des exigences des organisations non gouvernementales, dans leur quête pour la transparence. Pour l’essentiel, le lexique et les références autour desquels se structurent ces exigences ne s’éloignent pas de la transparence, de la restitution des sommes détournées et des poursuites judiciaires. On remarque encore, à ce titre, que la déclaration de presse produite par un parterre d’associations au siège de l’ONG Alternative Espaces Citoyens, le 11 mars 2020, en prélude à une montée en gamme de la mobilisation, mettait, entre autres, en avant l’exigence de la publication du rapport de l’audit qui était jusqu’à ce moment-là confidentiel:« Seul le président Issoufou et certains membres de son Gouvernement connaissent le montant réel de l’argent public volé et tout indique qu’ils n’ont aucune intention de rendre public le rapport de l’audit des fonds alloués au ministère de la Défense, a fortiori de traduire devant la justice les auteurs, co-auteurs et complices de ces crimes économiques » (Cité par Maimou,2020).

Dans l’ensemble, l’importance du discours critique des ONG dans le répertoire d’actions pour la quête de la transparence et la reddition des comptes doit être comprise ici, dans un premier temps, comme un premier choix par défaut de la part de ces organisations, explicable par la facilité de sa mobilisation, la facilité de sa circulation et l’une de ses finalités qui est de se prouver et prouver à l’ensemble de la société la justesse de la cause défendue. Construits et cadrés par les ONG, ces discours critiques sont relayés

jusque dans les arrières cuisines de la société par les médias qui, ici, accompagnent et amplifient leurs sens. Dans un second temps, il doit également être compris comme un processus nécessaire pour orienter et soutenir l’action collective de terrain, ajoutant la dimension globale et revendicative que n’apportent pas les simples discours critiques.

b) Mobilisation sur le pavé, mobilisation sur la toile

Au-delà des discours critiques qui ne bouleversent pas réellement le répertoire d’actions traditionnel de la revendication au Niger (Gazibo,2007a), les organisations non gouvernementales nigériennes dans leur quête pour la transparence et la reddition des comptes dans le secteur de la sécurité ont eu recours à la fois aux formes de mobilisation « traditionnelles » (Bleil Susana, 2011), mettant au-devant de la scène publique le corps (Mayrargue, Toulabor, 2009), et aux formes de mobilisation interactives rendues possibles par les nouvelles technologies de l’information de la communication. Ainsi, ces acteurs du secteur, à priori, non marchand, engagés dans « l’affaire des surfacturations », ont préparé, puis organisé le 15 mars 2020 une marche dans le but d’accroitre l’écho de leurs exigences, mais également de prolonger à la fois leur visibilité et la visibilité de la cause défendue. Si certains discours antérieurs à cette mobilisation, produits par les ONG participantes, laissent voir une multitude d’acteurs engagés dans la quête de la transparence, ils permettent également de relever la mise en œuvre de stratégies de coordination entre et à l’intérieur de différentes institutions autour d’une même cause, et le caractère relativement précis et ciblé des buts de la démarche envisagée. En effet, le projet de la marche du 15 mars 2020 aura réussi le pari de renforcer la démarche revendicatrice collective, en fédérant les organisations non gouvernementales les plus en vues dans les locaux de l’ONG Alternative Espaces Citoyens, autour : au moins, de l’exigence de la publication du rapport d’audit mené par le Gouvernement ; et, au plus, de l’exigence de traduction devant les tribunaux de tous les auteurs, coauteurs et complices identifiés des supposées malversations financières.

Au projet de mobilisation physique qui fut réprimé par l’autorité publique par la violence, la mobilisation des ONG s’est prolongée et pérennisée diversement dans l’univers numérique. Il est possible de voir cette extension des lieux de mobilisation comme un moyen, au moins, d’accroitre la visibilité des différentes actions entreprises dans la quête de la transparence, mais également d’attirer de la sympathie supplémentaire autour de la cause défendue. Ainsi, l’espace numérique, caractérisé par son ouverture et sa fluidité, a été largement mis à profit de manière individuelle ou collective par les acteurs associatifs pour faire circuler l’information alternative, les discours critiques, voire toutes les stratégies susceptibles de donner sens à leurs engagements.

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Les plateformes numériques telles que Twitter ou Facebook se sont avérées particulièrement adaptées aux projets des ONG en créant des conditions favorables à la diffusion rapide de divers contenues (écrits, documents iconographiques et audiovisuels), et en contribuant à l’émergence de communautés thématiques susceptibles d’agir ensemble en faveur de la cause défendue. C’est, par exemple, autour des hastages #MDN, #MDN-GATE,#Niger_affaire_MDN_gate,ou#Niger/#Front_social qu’il est possible de retrouver les traces numériques des communautés thématiques créer par les ONG, notamment Alternative Espaces Citoyens, autour de la quête de la transparence dans le secteur de la sécurité au Niger. La mobilisation en ligne, qui a obéit ici, à ses débuts à des préoccupations pragmatiques ou réalistes, a permis, entre autres, donc, d’accompagner, puis de suppléer les actions concrètes et d’envergures envisagées sur

le terrain, mais également d’élargir la visibilité des discours critiques et de renforcer l’identité collective construite autour de la cause défendue.

La combinaison entre « mobilisation sur la pavé » et « mobilisation en ligne » a considérablement élargi l’espace des ONG et diversifié son public susceptible de garantir le succès de ces démarches. Cette logique apporte ici une confirmation supplémentaire de la rupture dans les manières de se mobiliser, notamment en ayant recours aux diverses potentialités des nouvelles technologies. On peut saisir la portée réelle de cette mobilisation multi-niveau, si l’on considère que les combinaisons des formes traditionnelles et modernes de mobilisation produisent « un solide pouvoir » désenclavant l’espace fermement contrôlé et contenu de l’expression publique par l’autorité publique.

Les pressions exercées par les ONG au moyen des discours critiques et de la mobilisation multi-niveau ont certainement contribué à infléchir la position de l’autorité publique qui, au déclenchement de l’affaire, n’envisageait, si on s’en tient au communiqué du 26 février 2020, qu’accessoirement ou à certaines conditions, les poursuites judiciaires contre les potentiels acteurs impliqués dans l’affaire des surfacturations. Si au final, le temps de la justice a pu timidement s’ouvrir avec la transmission du dossier de la procédure au procureur, le 22 juin 2020, cela n’efface pas cependant, la réalité selon laquelle l’engagement des ONG dans la quête de la transparence et la reddition des comptes s’est heurté à une série d’obstacles fortement corrélée à certaines caractéristiques propres au secteur de la sécurité.

a)-Les obstacles à la quête de la transparence dans le secteur de la sécurité.

Ce qui distingue le secteur de la sécurité, en l’occurrence celui de l’armée, des autres secteurs de l’État, c’est certainement la prédominance du secret dont on pourrait concevoir l’instauration dans les buts d’intérêt général (Warusfel, 2003). C’est à n’en point douter un des secteurs régaliens qui donne raison aux théoriciens classiques du pouvoir qui ont eu à insister sur l’importance de la discrétion et du secret comme conduite quasi naturelle de la gestion du pouvoir (Ion ,2006). En effet, le « secret-défense », notion « à la frontière entre la raison d’État et l’État de droit » (Cité par Cursoux-Bruyère, 2015), qui règne

dans le secteur de la sécurité se révèle être un moyen efficace pour protéger l’intimité de l’action dans le secteur de la sécurité. Il implique, plus précisément, que certaines informations, notamment celles liées aux transactions pour la fabrication ou l’achat du matériel militaire, fassent souvent l’objet de régimes particuliers prévoyant notamment des droits et obligations modifiés qui n’admettent pas toujours des contrôles externes, voire même internes (Marc Guillaume, 1996). Et même lorsqu’ils admettent des contrôles, ceux-ci semblent se dérouler encore selon des modalités dérogatoires n’accordant pas de place aux acteurs privés du secteur, à priori, non marchand, tels les ONG ;

C’est cet impératif de protection du secret-défense qui expliquerait, d’abord, pourquoi l’audit ayant révélé l’affaire des surfacturations soit le premier du genre au Niger, dévoilant ainsi la fenêtre d’opportunité exploitée par les ONG, notamment Alternative Espaces Citoyens, pour s’intéresser activement à la question de la transparence du secteur de la sécurité. Jamais par la passé en effet, comme l’illustre les propos ci-après du porte-parole du gouvernement, le secteur stratégique de la sécurité n’avait fait l’objet de contrôle visant une appréciation du respect des exigences éthiques, des règles de conformité et les implorations de performance recherchées dans le secteur public : « C’est la première fois, au Niger, qu’un audit a eu lieu au ministère de la Défense »5 (Abdourahame Zakaria, 2020). Il y a là, au moins, la confirmation que le sentiment d’imperméabilité du secteur de la

II-LES OBSTACLES ET LE PRIX DE LA QUÊTE DE TRANSPARENCE DANS LE SECTEUR DE LA SÉCURITÉ.

2 L’interlocuteur s’exprime ainsi dans un reportage de chaine de télévision France 24, traitant de l’affaire des surfacturations. Ce reportage est dispo-nible sur la chaine youtube de la télévision France 24 cf. https://www.youtube.com/watch?v=_skHWqmrS7g

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6 La volonté de communication de l’autorité publique peut être ici assimilée à une stratégie de communication visant à atténuer les critiques formu-lées à son encontre à la suite des incursions terroristes ayant permis de relever7 Plusieurs institutions, notamment des syndicats et des partis politiques ont marqué un intérêt particulier à l’affaire des surfacturations du ministère de la Défense. 8 Il s’agit du parti politique ayant porté le président Mahamoudou Issoufou au pouvoir.

sécurité, largement entretenu par le secret-défense, semble davantage fort, vis-à-vis des acteurs de la société civile. Ce constat est d’autant plus pertinent que, par le passé, les ONG nigériennes engagées dans l’espace public ont eu à s’intéresser à la question de la transparence dans d’autres secteurs publics plus ouverts que celui de la sécurité. On relève ainsi que l’ONG Espace Alternatives Citoyens mobilise, depuis plusieurs années, des répertoires d’actions allant de la formation, aux mobilisations traditionnelles dans la quête de la transparence des budgets des collectivités locaux (Fonds des Nations unies pour la démocratie, 2016)

Ensuite, l’impératif de protection du secret pourrait expliquer l’attitude de l’autorité publique du Niger consistant à garder sous silence les résultats provisoires de l’audit réalisé au sein du ministère de la Défense, laissant ainsi libre court à la spéculation. Ici, l’impossibilité pour les organisations non gouvernementales de disposer des mécanismes leur octroyant un droit de regard formel sur les activités des forces armées ou encore la difficulté d’identifier « des points d’entrée concrets » (Loada et Moderan, 2020 : 31) alternatifs leur permettant d’apporter une contribution significative à la gouvernance du secteur de la sécurité aura favorisé le développement de discours critiques et des pratiques de mobilisation largement caractérisés par l’incertitude. Trois niveaux d’incertitudes peuvent ici être ressortis, à savoir : l’incertitude sur l’ampleur réelle des malversations, l’incertitude sur les auteurs, coauteurs ou complices des malversations, et enfin l’incertitude sur les modes opératoires utilisés. Dans l’hypothèse où l’autorité publique ait, en amont, considéré l’audit du ministère de la Défense comme relevant du secret-défense, et donc ne communiquant pas sur son action, il est peu probable que les organisations non gouvernementales aient pu avoir l’occasion de se mobiliser pour la quête de la transparence et la reddition des comptes dans le secteur de la sécurité, comme elles pourraient le faire aisément au niveau des collectivités locales, par exemple. Le déclenchement de l’engagement public des organisations non gouvernementales pour la cause de la transparence dans le secteur de la sécurité, dans le cas qui nous intéresse, fut donc largement tributaire de la volonté de communication de l’autorité publique6 et du rôle de caisse de résonance joué par les médias en quête de vérité. On comprend dès lors pourquoi, dans le fond, le fil d’Ariane qui traverse les répertoires d’actions des ONG dans l’affaire des surfacturations pourrait être le désir de, « délégitimer » l’usage du secret Défense qui constitue un des principaux obstacles pour les ONG dans la quête de la

transparence dans le secteur de la sécurité.

b)-Le prix de la quête de la transparence.

« Brutalement réprimés » « Interpelés », « Jetés en prison » sont là quelques termes significatifs utilisés par les acteurs des organisations non gouvernementales, décrivant le prix de la quête de la transparence, ou plus précisément les réactions de l’autorité publique à certains répertoires d’actions qu’ils ont eus à mobiliser dans leur quête pour la transparence du secteur de la sécurité. On retrouve ce lexique notamment dans la déclaration commune des organisations de la société civile produite trois mois après le projet de marche du 15 mars 2020 : « Comme tous les Nigérien(ne)s le savent, nos camarades Halidou Mounkaila, Maikoul Zodi et Moudi Moussa, acteurs connus de la société civile, ont été interpellés et jetés en prison à la suite d’une tentative de manifestation citoyenne, régulièrement déclarée aux autorités de la ville de Niamey, brutalement réprimée par les forces de l’ordre. Cette manifestation n’était pas interdite dans les conditions fixées par la loi ; elle n’était pas violente comme toutes les manifestations organisées par la société civile nigérienne. Elle avait un objectif clair : soutenir les forces de défense et sécurité, exiger la transmission du rapport d’inspection du ministère de la Défense nationale à la justice, dénoncer l’impunité pour les prédateurs de la République et la mal-gouvernance de manière générale ». (Cité par IciNiger,2020)

Dès l’entrée en scène des organisations non gouvernementales dans l’affaire des surfacturations, ces dernières ont dû, au même titre que d’autres acteurs dont l’action n’est pas analysée ici7, subir la réaction de l’autorité publique et de ses soutiens. Au mouvement initiateur des ONG, s’est donc quelque part superposé un « contre-mouvement » (Combes Hélène, Fillieule Olivier,2011) hybride, mêlant acteur relevant du secteur public et acteur relevant du privé. Cette réaction de l’autorité publique et ses soutiens prend des formes différentes selon les répertoires d’actions dominants mobilisés par les organisations non gouvernementales. Si la réaction des soutiens de l’autorité publique, en particulier le parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PDNS)8, envers les discours critiques des partis politiques et des ONG a oscillé entre l’indifférence et la réfutation, comme il en ressort de sa prise de parole publique du 04 mars 2020, celle de l’autorité publique s’est matérialisée, pour les autres répertoires d’actions mobilisés par les organisations non gouvernementales, par la répression et l’emprisonnement. Ainsi, le projet de marche du 15 mars 2020, qui aura cristallisé l’attention, a fait l’objet d’une répression particulièrement forte : trois décès

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9 Cette déclaration est disponible sur la page facebook de l’ONG Espace Alternative Citoyen. Cfhttps://www.facebook.com/alternativeniamey/10 ibid

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ont été décomptés (Kaka, 2020) et plusieurs membres des organisations de la société civile, notamment des cadres de l’ONG Alternative Espace Citoyen, à l’instar de son secrétaire général, Moussa Tchangari, furent arrêtés et emprisonnés

La réaction des autorités et ses conséquences eurent pour effet une réorientation signification de la mobilisation ou, du moins, la naissance d’une autre quête justifiant la mobilisation collective. Si au lendemain de la mobilisation physique, l’exigence de transparence de l’autorité publique et la nécessité de reddition des comptes des auteurs, coauteurs et complices dans l’affaire des surfacturations demeuraient dans l’esprit des ONG, l’engagement discursif devait désormais s’accentuer sur les appels à la libération des acteurs arrêtés. Ainsi, les contenus

des discours critiques organisés ou spontanés, et les mobilisations en ligne vont s’enrichir de messages cadrés sur l’impératif de la libération des acteurs associatifs incarcérés9. Les plateformes numériques de l’ONG alternative citoyen, notamment sa page Facebook, vont pleinement servir cette cause. On note à ce titre, un relai d’images iconographiques, montrant distinctement les visages des acteurs associatifs arrêtés et appelant à leur libération. Ce mouvement va être accompagné des déclarations du collectif d’associations dénommé, cadre de concertation et d’action citoyenne10, notamment celle du 31 mars 2020, allant dans le même sens et réaffirmant l’engagement des ONG pour la quête de la transparence et la reddition des comptes dans le secteur de la sécurité.

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CONCLUSION

L’ambition de cette étude était de procéder à une analyse du potentiel des organisations non gouvernementales dans la quête de la transparence dans le secteur fermé et secret de la sécurité. S’appuyant sur le cas nigérien, et particulièrement sur les répertoires d’actions mobilisées par l’ONG Alternative Espace Citoyen, il en ressort globalement que les organisations non gouvernementales ont la capacité, à travers les différents répertoires d’actions qu’ils sont capables de mobiliser, de contester l’imperméabilité du secteur de la sécurité à la transparence et à la reddition des comptes. Largement soumis aux pesanteurs des particularités du secteur de la sécurité, les ONG à travers les discours critiques organisés ou spontanés, combinés aux formes de mobilisation traditionnelles mettant au-devant de la scène le corps et celles recourant aux nouvelles technologies de communication, n’arrivent pas moins à faire entendre leurs voix sur la question globale de la (bonne) gouvernance des institutions du secteur de la sécurité. Les pratiques discursives qui renvoient principalement à la revendication d’une présence et d’une cause à défendre à travers les supports virtuels ou physiques n’ont pas évincé, mais complétés les formes traditionnelles d’actions des ONG dans leur quête. Cette expérience nigérienne

donne donc ici un crédit supplémentaire aux études mettant en exergue les contributions singulières des acteurs du secteur, à priori, non marchand, dans les processus de consolidation de l’État de droit. Dans le même temps, la fenêtre d’opportunité saisie par les ONG nigériennes pour marquer leur implication dans la gouvernance du secteur de la sécurité, dévoile qu’elles ne se sont pas encore pleinement approprié le projet de cadre de politique régissant la réforme et la gouvernance du secteur de la sécurité en Afrique de l’Ouest soulignant la nécessité de « l’implication effective des organisations de la société civile » dans la gouvernance de la sécurité.

La forte dépendance de l’engagement des ONG nigérienne à la volonté de l’autorité de communiquer sur l’audit lancé au ministère de la Défense, interroge non seulement sur la capacité réelle des ONG à inscrire dans le temps long cette démarche de recherche de la transparence dans un secteur régalien, « jaloux » de sa particularité, mais également sur l’efficacité stratégique de tel ou tel répertoires d’actions dont les coûts sont plus ou moins connus ou anticipables et dont la portée ne saurait réellement remettre en cause le principe du secret-défense.

6 La volonté de communication de l’autorité publique peut être ici assimilée à une stratégie de communication visant à atténuer les critiques formu-lées à son encontre à la suite des incursions terroristes ayant permis de relever7 Plusieurs institutions, notamment des syndicats et des partis politiques ont marqué un intérêt particulier à l’affaire des surfacturations du ministère de la Défense. 8 Il s’agit du parti politique ayant porté le président Mahamoudou Issoufou au pouvoir.

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Annexe 1-Tableau 1-Éléments d’identification de l’ONG Alternative Espace Citoyen

Date de création septembre 1994Statut juridique Association apolitique à but non lucratif

Objectifs

1. le rejet de tout particularisme ethnique, régional, religieux, et de toute forme de sectarisme politique et idéologique ;

2. L’indépendance et le refus de toute aliénation de ses objectifs ;

3. L’engagement constant aux côtés des groupes sociaux vulnérables et défavorisés;

4. Le soutien à toute action concourant à la préservation du service public ;

5. L’ouverture à toutes les personnes physiques et morales poursuivant les mêmes objectifs, dans un esprit de partenariat.

Source : auteur sur la base des données recueillies du site web : http://www.alternativeniger.net/domaines_activite/

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En prenant le cas des marchés dont l’objet concerne « les besoins exclusifs de la défense » et qui mettent en cause « les intérêts essentiels de l’État » qui dérogent à toutes les

règles en vigueur dans le cadre des marchés publics ordinaires comme objet d’analyse, cette étude vise à comprendre les potentielles raisons qui ont amené le législateur à classer l’achat du matériel de guerre de la « grande muette » dans la catégorie des marchés spéciaux au Cameroun. Sur la base des données empiriques et d’un cadre théorique articulé autour

du néo-institutionnalisme et du constructivisme structuraliste, cette réflexion part de l’hypothèse selon laquelle, la législation a été motivée par le fait que les marchés spéciaux de la défense qui sont consacrés par la stratégie globale de sécurité nationale relèvent exclusivement de la compétence, de l’appréciation et du pouvoir discrétionnaire du Chef de l’État, Chef des armées. Au terme de cette réflexion, un constat peut être fait. Tout semble converger vers une justification tenable du régime juridique spécial relatif aux besoins de la défense et de la sécurité nationale

C H A P I T R E I I I

Résumé :

Mots-clés : Marchés spéciaux de la défense, Cameroun, stratégie globale de sécurité nationale, président de la République.

LA RÈGLE DE L’EXCEPTION : RÉFLEXIONS SUR LE RÉGIME SPÉCIAL ACCORDÉ AUX

MARCHÉS SPÉCIAUX DE LA DÉFENSE PAR LE CODE DES MARCHÉS PUBLICS AU CAMEROUN

Hermann MINKONDA, Gabriel MBIDA, Luc-Armand ATANGA

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L’article 71 al 1 du décret No 2018/336 du 20 juin 2018 portant Code des Marchés Publics au Cameroun dispose : « Les marchés spéciaux sont des marchés publics qui ne répondent pas, pour tout ou partie, aux dispositions relatives aux marchés sur appel d’offres ou aux marchés de gré à gré. Ils comprennent essentiellement les marchés relatifs à la défense nationale, à la sécurité et aux intérêts stratégiques de l’État ». Ils sont par extension, des contrats visant à satisfaire les besoins de l’État en matière de travaux, fournitures et de services dans le domaine de la défense et de la sécurité (Terray, 2017 : 5). Suivant l’al 2 de l’article cité supra, les marchés spéciaux « comportent des clauses secrètes pour des raisons de sécurité et d’intérêts stratégiques de l’État, et échappent de ce fait à l’examen de toute Commission des Marchés Publics prévue par le présent Code des Marchés Publics ». À la lumière de cette disposition1 issue du nouveau décret applicable, les marchés publics spéciaux concernent exclusivement les « acquisitions d’équipements, de fournitures ou de prestations directement liées à la défense nationale, à la sécurité et les marchés pour lesquels les intérêts stratégiques de l’État sont en jeu » (Art 71 al 3).

Si la législation générale de la gouvernance des marchés publics au Cameroun (Messengue Avom, 2013) recommande de recourir à des procédures d’appel d’offres concurrentiels pour les marchés publics civils, les marchés passés pour les besoins des « hommes en armes » (Kirat et Bayon, 2006) font l’objet de dispositions spéciales qui permettent

d’utiliser des mécanismes de passation sans mise en concurrence (Kirat, 2005 : 1) avec une procédure négociée sans publicit2 . Ainsi, en dehors des périodes d’exception comme les situations de crise, à l’instar de la pandémie liée à la Covid-193 dont l’achat du matériel médical a été soumis à un régime de droit dérogatoire4 (Tametong Nguemo Tsidié, 2020 : 3), les marchés spéciaux de la défense échappent aux règles de droit commun. Autrement dit, même en dehors des cas où l’urgence impérieuse motivée par les circonstances imprévisibles ou par un cas de force majeure, impose une dérogation aux règles de passation édictées par le code des marchés publics afin de résoudre rapidement le problème, les marchés spéciaux sont soustraits des procédures de passation des marchés publics normaux. Cette nouvelle architecture juridique qui est loin de révéler le caractère novateur d’une législation déjà existante5 (Dicka, 2019 : 4) fait des marchés spéciaux, le régime juridique de principe pour l’acquisition de « la puissance de feu » des Forces de Défenses et de Sécurités (FDS) pour faire la guerre.

En effet, la littérature consacrée pour analyser de manière politique et savante (Weber 1959 : 5) les marchés publics au Cameroun, est généralement articulée autour de trois grandes approches. La première approche qui est juridique tend à décrypter les différentes innovations de la nouvelle législation en vigueur (Dicka, 2019 : 2). La deuxième approche qui est d’émanation économique saisit davantage l’impact économique de la nouvelle règlementation sur les

1 Cette disposition ressemble étrangement à l’art 346 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne de 2010 (ex-art. 296 du Traité instituant la Communauté européenne), qui constitue l’exemption principale invoquée par les États membres de l’UE pour faire sortir certains marchés de dé-fense du champ d’application du droit européen. En effet, cette disposition permet à un État membre de l’UE de prendre les mesures qu’il estime né-cessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité qui se rapportent à la production ou au commerce d’armes, de munitions et de matériel de guerre, mais uniquement si ces mesures n’altèrent pas les conditions de la concurrence dans le marché commun en ce qui concerne les produits non destinés à des fins spécifiquement militaires. Dit autrement, cette disposition exempte le domaine de la défense des règles communes du droit communautaire de la concurrence ou, dans l’hypothèse où les autorités publiques décidaient de ne pas y recourir, par la directive du Parlement et du Conseil 2004/18/CE du 31 mars 2004. Ainsi, environ 50 % des acquisitions de matériel militaire échappent aux règles européennes des marchés publics à cause de l’utilisation de cette exemption (Kirat, 2005 : 1 ; Heuninckx, 2011 : 139-172). 2 En dépit du fait qu’il existe quelques différences de nature et de degré, la législation qui encadre les marchés de la défense en France est également particulière par rapport aux marchés ordinaires. En effet, depuis 2004, les marchés passés pour les besoins de la défense sont désormais régis par un décret particulier (décret N°2006-16 du 7 janvier 2004 pris en application de l’article 4 du Code des marchés publics et concernant certains marchés publics passés pour les besoins de la défense. Voir le Journal Officiel du 08 janvier 2004).3 Dans une correspondance du ministre Secrétaire général de la Présidence de la République adressée le 07 avril 2020 au ministre de la Santé pu-blique, le président de la République autorise « la passation des marchés spéciaux en vue de l’acquisition des équipements, des consommables et la réalisation des prestations ». Au-delà, le président de la République exonère le paiement « de la taxe sur la valeur ajoutée et les droits de douane sur tous les équipements et consommables acquis » pour les besoins de la lutte contre la Covid-19. Selon certains observateurs avertis, à l’instar de Steve Tametong Nguemo Tsidié : « il est fort à craindre, qu’en application de ce régime juridique dérogatoire, les marchés passés dans le cadre de la lutte contre le COVID-19 soient négociés, attribués et signés dans l’opacité la plus totale ouvrant la brèche à des détournements de biens publics sous fond de surfacturation des commandes. On le voit déjà avec ce bon de commande administratif, objet de toutes les polémiques, signé pour la fourniture du matériel médical arrêté à la somme de 351.150.000 FCFA ». (Tametong Nguemo Tsidié, 2020 : 4).4 Selon un officier supérieur en service à la Direction du Budget et des Équipements qui a requis l’anonymat : « la pandémie liée à la Covid-19 est une crise sanitaire d’un autre genre inédit. On est là en face d’une menace asymétrique sanitaire qui porte atteinte à la sécurité nationale sanitaire du pays. Donc, c’était normal qu’on mette tous les achats des équipements médicaux dans le cadre des marchés spéciaux, étant donné que l’urgence pour lutter contre cette maladie respiratoire était à son comble ». Entretien réalisé le 08 octobre 2020 à Yaoundé.5 En effet, les articles 30 et 31 du décret N° 2004/275 du 24 septembre 2004 portant Code des Marchés Publics ainsi que l’article 7a relative à l’arrêté N° 004/CAB/PM du 30 décembre 2005 relative à l’application du Code des Marchés Publics avaient déjà expressément consacrés les marchés spéciaux de la défense dans l’arsenal juridique au Cameroun.

Introduction

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6 En effet, au moment où nous réunissions les éléments pour écrire ces lignes, aucun travail scientifique n’existait encore au Cameroun sur la question des marchés relatifs à l’achat des équipements et matériels de la défense. Plusieurs officiers généraux ont d’ailleurs attiré notre attention en nous disant qu’on « est entrain de s’attaquer à un objet très sensible et qu’aucun militaire sérieux ne peut nous fournir la moindre information sur ce domaine, parce que c’est un objet d’étude très opaque qui est réservé à une poignée de personnes dans l’armée ». Entretiens réalisés les 06 et 08 octobre 2020 à Yaoundé.7 Notre position en tant que consultant permanent à l’État-major de l’armée de Terre et coordonnateur scientifique du Magazine de l’armée de Terre du Cameroun intitulé Beret Vert, nous a permis d’échanger et de discuter avec deux anciens ministres de la Défense et plusieurs officiers supérieurs sur cette épineuse question des marchés spéciaux de la défense. La position stratégique de l’un des co-auteurs dans le dispositif décisionnel de l’armée de Terre qui est engagée en première ligne dans tous les théâtres d’opérations a permis d’avoir certaines informations importantes.8 En détention provisoire depuis le 08 mars 2019 à la prison centrale de Kondengui, l’ancien ministre de la Défense Edgar Alain Mebe Ngo’o a été renvoyé le 26 août 2020 devant le Tribunal Criminel Spécial pour détournements de fonds publics. Il est accusé d’avoir détourné 20, 37 milliards de FCFA (près de 30, 5 millions d’euros), d’avoir passé des marchés publics avec la société chinoise Poly Technologies INC sans avoir la compétence, c’est à dire en violation du Code des Marchés Publics (dont le préjudice pour l’État est estimé à 196, 8 millions de FCFA dont près de 300.000 euros). Il est également accusé de présumées surfacturations dans le cadre d’un contrat d’achat passé avec la société française d’équipement militaire MagForce pour le compte de l’armée camerounaise.

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entreprises du secteur (Chazal et Mooh Edinguele, 2018 : 3). La troisième approche d’inspiration sociologique essaie d’appréhender l’environnement, les jeux, les enjeux, les acteurs en présence, les interactions et les rapports de force qui ont orienté la mise en œuvre d’une nouvelle législation sur les marchés publics (Tametong Nguemo Tsidié, 2020 : 3). Dans le cadre de la présente étude, il s’agit pour nous de poser un regard de politiste sur les motivations qui ont conduit la législation sur les marchés publics à créer un régime spécial pour les marchés spéciaux de la défense au Cameroun. En se basant sur le décret No 2018/336 du 20 juin 2018 portant Code des Marchés Publics au Cameroun, cette réflexion dont l’énoncé est affirmatif et le propos démonstratif n’a aucunement l’ambition d’épuiser l’analyse sur les marchés spéciaux de la défense.

Ce travail de recherche est davantage nourri par l’intention de questionner les variables déterminantes qui ont pesé pour que la législation accorde un régime spécial aux marchés consacrés aux équipements militaires au Cameroun. Le choix d’une telle démarche relativement teintée de subjectivité nous offre l’occasion de nous infiltrer scientifiquement dans un domaine encore très fermé de l’analyse du champ politico-militaire6.

Au demeurant, une question lancinante nourrie de bout en bout cette réflexion : quelles sont les raisons qui peuvent justifier le régime spécial accordé aux marchés de la défense au Cameroun ? En inscrivant cette analyse dans la problématique de la gouvernance au sein des armées africaines qui oscille et vacille entre concurrence, transparence, neutralité, opacité et corruption (Deom et Nihoul, 2006 : 802), cette étude part de l’hypothèse selon laquelle, la législation a été motivée par le fait que les marchés spéciaux de la défense qui sont des marchés publics sui generis consacrés essentiellement à la politique de défense et de sécurité nationale relèvent du pouvoir discrétionnaire du Chef de l’État, Chef des armées. À partir de là, il est question, à la suite des études faites « ailleurs » et centrées sur l’analyse des marchés de la défense (Kirat, Bayon et Blanc, 2003), d’essayer de saisir, de penser, de sentir et d’identifier les différents indicateurs de sens qui ont poussés la législation en matière de marchés

publics au Cameroun de faire des marchés relatifs à l’achat des matériels de combat, des marchés spéciaux. Sur la base des données empiriques reconstituées à partir des entretiens7, de la consultation du dossier pendant devant la justice de l’ancien ministre de la Défense8 et de la législation applicable en matière de marchés publics au Cameroun notamment, le cadre théorique de cette étude repose sur le néo-institutionnalisme (Palier et Bonoli, 1999 : 399) et sur le constructivisme structuraliste (Bourdieu, 1980). La mobilisation du néo-institutionnalisme dont l’objectif est de structurer le politique en conférant aux institutions une importance épistémique, nous permettra de voir comment les facteurs institutionnels ont influés sur la législation pour qu’elle puisse extraire les dépenses de la défense dans la catégorie des marchés publics de droit commun. Le constructivisme structuraliste qui est centré sur la façon dont les formes sociales travaillent la subjectivité des individus et du collectif nous permettra, à partir d’une analyse des institutions, de voir comment la « dépendance au sentier » et l’«habitus et le champ autoritaire » ont continuellement structurés les mentalités des praticiens d’un droit saisi par la politique pour que les marchés spéciaux de la défense demeurent la « chasse gardée » de l’autorité présidentielle. Suivant les préceptes de ce cadre théorique, la mise en place d’une législation taillée sur mesure pour que les marchés consacrés à l’armement soient classés « top secret, secret-défense ou encore secret d’État » dans le code des marchés publics au Cameroun est la résultante de l’intériorisation d’un système de dispositions durables et transposables des normes fortement conditionnées par le contexte institutionnel.

Pour les fins de cette réflexion, nous allons démontrer que deux grandes raisons peuvent justifier ce régime spécial dont bénéficient les marchés de la défense au Cameroun. D’une part, les marchés spéciaux relèvent, de manière générale, de la stratégie globale de sécurité nationale (I). D’autre part, la définition des priorités de la défense, de la sécurité et des intérêts stratégiques de l’État sur laquelle se basent les variables déterminantes des marchés spéciaux, relève de la discrétion, de l’appréciation et de la subjectivité du Chef de l’État (II).

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I- LES MARCHÉS SPÉCIAUX DE LA DÉFENSE, DES MARCHÉS CONSACRÉS À LA STRATÉGIE GLOBALE DE SÉCURITÉ NATIONALE.

« Marchés qui ne répondent pas, pour tout ou partie aux dispositions relatives aux marchés sur appels d’offres ou au marché de gré à gré en raison de leur spécificité liée pour l’essentiel à la sécurité » (art 5cc du Décret No 2018/336 du 20 juin 2018 portant Code des Marchés Publics au Cameroun), les marchés spéciaux de la défense sont essentiellement des marchés dédiés à l’ordre sécuritaire (Belomo Essono, 209 : 39). Cette matrice sécuritaire, qui est animée d’un discours politique en termes de sécurité, d’ordre et d’autorité9 , se révèle à travers l’appropriation présidentielle des enjeux et de la garantie de la sécurité nationale10. Cette obsession de l’ordre dirigeant à faire en sorte que les populations puissent vivre « à l’abri de la peur », « à l’abri du besoin » et « dans une dignité humaniste » (Minkonda, 2017 : 298) participe d’une construction de la stratégie globale de sécurité nationale qui permet au Cameroun de lutter contre les menaces diverses qui entravent ou sont susceptibles d’entraver la paix et la sécurité sur son territoire. Si elle passe par la mise en place d’une législation polémologienne 11, l’achat de l’équipement de guerre qui se fait par l’intermédiaire des marchés spéciaux rentre dans la même dynamique de lutte contre les ennemis de la nation (Bertolt, 2018 : 85). Avec pour objectif le renforcement du dispositif de défense et de sécurité nationale, les marchés relatifs à l’achat du matériel militaire au Cameroun sont pris en compte comme au Congo, dans « l’acquisition de tous équipements ou fournitures et les prestations de toutes natures directement liées à la défense nationale, à la sécurité et aux intérêts stratégiques de l’État » (Art 76 al 2 du Décret N° 2009-156 du 20 mai 2009 portant code des marchés publics de la République du Congo).

Ainsi, à l’opposé des marchés publics classiques

qui renvoient à un « contrat écrit (…) par lequel un entrepreneur, un fournisseur, ou un prestataire de service s’engage envers l’État, une collectivité territoriale décentralisée ou un établissement public, soit à réaliser des travaux, soit à fournir des biens ou des services moyennant un prix » (Art 5w du Décret No 2018/336 du 20 juin 2018 portant Code des Marchés Publics au Cameroun), les marchés spéciaux de la défense sont destinés aux besoins propres des forces armées décidés de manière unilatérale par le président de la République. En effet, les marchés de la défense sont des marchés qualifiés de monopsone (Dupuy, 2013 : 5) où il n’y a qu’un seul acheteur d’armement l’État camerounais. Ces marchés où le demandeur est toujours étatique, en l’occurrence le président de la République, relèvent des clauses sécrètes (1) parce que le matériel de guerre qui en ressort doit être mis à l’abri des potentiels ennemis de la nation (2). 1- La politique d’achat de l’équipement de la défense, une politique soumise à la connaissance des acteurs difficilement identifiables et aux modalités secrètes.

La politique d’achat de l’équipement de la défense vise à répondre aux besoins des armées, directions et services pour l’acquisition des biens, travaux et services nécessaires à leur activité. Elle concourt ainsi de manière déterminante à l’efficacité opérationnelle des FDS. Engageant ou encore faisant partie intégrante des variables stratégiques de l’État12, la politique d’achat du matériel militaire est un levier stratégique qui s’inscrit dans une dynamique d’opacité « normale »13. Ceci étant, contrairement au Code des marchés publics du Gabon où les acteurs qui siègent

9 Selon Pélagie Chantal Belomo Essono, « ces trois concepts se déclinent de plusieurs manières dans la rhétorique et le champ lexico-politique : « l’ordre règnera par tous les moyens », « il faut restaurerl’autorité de l’État », « il faut maintenir l’ordre et la sécurité ». (Belomo Essono, 2009 :41). Dans cette dynamique, ce lexique politique tel un rituel sera tenu par le président Ahidjo lors de la grève des étudiants, par le président Biya lors des villes mortes organisées par l’opposition dans la mouvance de la démocratisation, par les ministres de l’Administration territoriale par exemple Gilbert Andzé Tsoungui et par le Délégué général à la Sûreté nationale Jean Fochivé. On peut aussi citer « L’ordre doit régner au Cameroun ! La démocratie doit avancer ! L’ordre règnera ! La démocratie avancera ! », Extrait du discours du président Biya le 27 juin 1991, in Cameroon Tribune, 28 juin 1991, p. 4 10 C’est sans doute ce qui avait amené le général De Gaulle lors d’un discours prononcé à Bayeux en juin1952 à déclarer que : « de la défense ! C’est là, en effet, la première raison d’être de l’État. Il n’y peut manquersans se détruire lui-même », (Discours et messages. Dans l’attente, février 1946 - avril 1958, Plon, Paris, 1970, p. 527)11 Loi N° 2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme. 12 L’augmentation des dépenses de la défense qui s’est accrue avec le conflit entre le Cameroun et le Nigéria à partir de 1993, au sujet de la péninsule de Bakassi, est montée en puissance en 2015 avec notamment la lutte contre la secte islamiste Boko Haram. Dans le cadre de plans successifs de renforce-ment en matériel de guerre, les quatre catégories d’achats retenues par l’armée camerounaise concernent les véhicules, les armements et les munitions, les équipements de protection et habillement. 13 Selon l’Instruction N° 596/ARM/CAB/CM31 relative à la politique d’achat du ministère des armées du 28 janvier 2019 en France, une politique d’achat efficace et dynamique doit donner ainsi corps aux objectifs : « -améliorer les conditions d’exercice du métier des armes et les conditions de vie et de travail du personnel ; à ce titre, la politique d’achat doit permettre de doter rapidement les personnels de matériels adaptés à leurs missions, de garantir la disponibilité opérationnelle des matériels, d’entretenir, de rénover et de construire les infrastructures du ministère, ainsi que de mettre en place les moyens de fonctionnement courant et de soutien ; - renouveler les capacités opérationnelles des armées par un important plan d’équipement, incluant l’accélération de certains programmes, mais aussi un effort au profit des équipements de cohérence et des petits équipements ; la politique d’achat doit permettre de réaliser ces acquisitions dans les délais prévus et en ne négligeant aucune des composantes de ce plan d’équipement ; - garantir notre auto-nomie et soutenir la construction d’une autonomie stratégique européenne ; la politique d’achat doit ainsi assurer la sécurité de notre approvisionnement en équipements de souveraineté et en systèmes d’armes critiques ; elle constitue également un levier pour la coopération, notamment en favorisant la mutualisation avec nos partenaires ; une attention particulière sera portée à la cybersécurité ; - innover et se transformer pour répondre aux défis du fu-tur ; la politique d’achat doit ainsi favoriser l’acquisition de matériels et services innovants dans l’ensemble des domaines d’activité afin de satisfaire au plus près les besoins ; elle doit s’adapter aux spécificités des biens et services dans le domaine du numérique, pour accompagner la transformation numérique du ministère ; enfin l’innovation et la numérisation constituent en elles-mêmes un vecteur de modernisation du ministère ».

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14 Selon l’art 29 de ce décret : « La commission spéciale des marchés de la défense nationale dont le siège est au Ministère en charge de la Défense nationale se compose ainsi qu’il suit : Avec voix délibérative : • du ministre en charge de la Défense nationale ou son représentant, président ; • du Chef d’Étatmajor général des armées ou son représentant, membre ; • du Commandant en Chef de la Gendarmerie nationale ou son représentant, membre ; • du Contrôleur général des forces de défense ou son représentant, membre ; • du Directeur général du service de santé militaire ou son représen-tant, membre ; • du Directeur général de l’aviation légère des armées ou son représentant, membre ; • du Directeur général du génie militaire ou son représentant, membre ; • d’un commissaire de l’Armée de l’air ou son représentant, membre ; • d’un commissaire de l’Armée de terre ou son représen-tant, membre ; • d’un commissaire de la Marine nationale ou son représentant, membre ; • d’un représentant de l’Atelier central de réparation et de reconstruction des armées, membre ; • du Directeur général du Budget ou son représentant, membre ; • du Contrôleur budgétaire ou son représen-tant, membre. Sans voix délibérative : • du Secrétaire général du ministère en charge de la Défense ou son représentant, rapporteur ; • du responsable de l’administration centrale en charge des marchés publics, ou son représentant, membre »15 Selon l’art 92 al 1 et 2 du Décret N° 2417 /PR/PM/2015 portant Code des Marchés Publics de la République tchadienne : « (1) Les marchés spéciaux sont les marchés relatifs à la défense nationale, à la sécurité et aux intérêts stratégiques de l’État. (2) Un décret fixera les règles de passation, de contrôle et d’exécution desdits marchés dans le respect des dispositions du présent Code ». D’après l’art 93 al 1 et 2 du même décret : « (1) Les marchés qui com-portent des clauses secrètes pour des raisons de sécurité et d’intérêts stratégiques de l’État seront régis par le décret prévu à l’article 95 ci-dessus. (2) Ces marchés ne concernent que l’acquisition de tout équipement ou fournitures et les prestations de toutes natures directement liées à la défense nationale, à la sécurité et aux intérêts stratégiques de l’État ». 16 Un seul exemple peut résumer à suffisance ce fait. Dans tous les rapports sur la chaine des résultats du ministère de la Défense, les indicateurs relatifs aux taux de conformité des effectifs des Unités opérationnelles des forces de Défense aux Tableaux des Effectifs et de Dotations (TED) et aux taux de conformité des matériels des Unités opérationnelles des forces de Défense aux Tableaux des Effectifs et de Dotations (TED) ne sont pas renseignés. C’est une stratégie qui est fait à dessein ; car l’analyse des écarts constatés ou de l’évolution de ces indicateurs ne peut être communiquée au grand public compte tenu du caractère de confidentialité qui entoure les capacités logistiques des forces de l’armée camerounaise. Toutefois, l’évolution de ces indica-teurs est perceptible à travers des facteurs manifestes comme les divers recrutements opérés, l’acquisition des matériels et armements dans le cadre des contrats et conventions conclus avec les partenaires techniques et financiers des pays alliés.17 Il renvoie au montant du marché.18 Il renvoie au processus de définition des éléments du marché qui aboutissent à un montant global des prestations.18 En effet, dans le mécanisme de révision des prix, le prix d’un marché peut être soit « ajustable », soit « révisable ». Un prix est « ajustable » s’il est basé sur un indice de prix et il est « révisable » s’il est basé sur un indice de coût.

à la Commission Spéciale des Marchés de la Défense sont clairement identifiés selon le décret N°00027/PR/MEPPDD du 17 janvier 2018 portant Code des Marchés Publics14, la règlementation qui régit les marchés spéciaux au Cameroun ou encore au Tchad15 est complètement muette à ce sujet. Les acteurs impliqués dans les procédures de négociation sont totalement inconnus du grand public. Cette mesure est essentiellement due au fait que « l’équipement militaire qui relève de la stratégie de guerre d’un pays doit être secret, protégé et à l’abri de l’espionnage. La révélation des acteurs accrédités, par le Chef de l’État, pour engager les négociations avec le pays allié ou encore l’entreprise choisie peut porter atteinte à la sécurité nationale, s’ils tombent entre les mains des ennemis de la nation».

De même, l’autre argument qui est souvent mobilisé par les stratèges et les observateurs avertis du champ sécuritaire camerounais pour justifier le caractère secret des modalités d’acquisition de ces équipements de guerre est technique. En effet, le secret qui entoure l’équipement de guerre est relatif au fait que les potentiels acteurs qui ont pour objectif de porter atteinte à la sécurité du Cameroun ne doivent avoir aucune information sur les estimations statistiques des FDS. Ils ne doivent maitriser ni les effectifs de l’armée, ni les délais d’exécution et de livraison des matériels de défense, ni la valeur technique, ni le processus d’avancement, ni le déploiement des forces sur le terrain, ni encore les stratégies de mobilisation et de démobilisation de l’armée sur les théâtres d’opération ou en période de crise : ces informations doivent rester très confidentielles16.

De manière générale, même si l’achat des matériels militaires donne un accès libre aux opérateurs des pays tiers de maitriser l’arsenal de défense et de sécurité du Cameroun (Simonel, 2016 : 6), les équipements

de guerre sont traités avec une certaine délicatesse, notamment pour des raisons de préservation confidentielles des intérêts fondamentaux et vitaux de l’État. À ce niveau, les documents ou les informations y relatifs sont soumis à un haut niveau de classification dans lequel ne sont généralement mis au secret qu’une poignée de personnes du cercle très proche du Chef de l’État et du cocontractant accrédité. Par conséquent, les procédures de négociation, les détails des achats, la qualité du matériel acheté et les modalités de leur probable utilisation ne sont pas et ne doivent pas être divulgués à l’opinion publique et par conséquent aux potentiels ennemis de la nation.

2- Le matériel de guerre, un matériel mis à l’abri des potentiels ennemis de la nation

L’équipement des FDS est au cœur des enjeux de défense et sécurité nationale. Dans un contexte marqué par la persistance d’une menace terroriste élevée à l’Extrême-nord (Minkonda, Abossolo, inédit), des attaques répétées des bandes armées à l’Est du pays et d’un séparatisme armé dans les régions anglophones du Nord-ouest et du Sud-ouest (Atanga, Minkonda, 2020 : 207), les équipements pour faire la guerre ne doivent pas être connus des potentiels ennemis de la nation. Ayant bénéficié d’une nouvelle priorisation stratégique à cause des nouvelles menaces auxquelles le Cameroun doit désormais faire face, le matériel de guerre qui est de plus en plus sophistiqué doit être à l’abri de toute menace face à laquelle le Cameroun fait ou pourrait faire face.

À partir de là, ni les « prix du marché »17, ni les « prix de convenance »18, ni les « mécanismes de révision des prix »19 (Kirat, Bayon et Blanc, 2003) ne font

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l’objet d’aucune divulgation. Ainsi, même si la « force de frappe » de l’armée camerounaise est souvent dévoilée à dessein pour redonner confiance au peuple, pour exalter le sentiment national ou encore pour dissuader les potentiels ennemis de la nation lors de certaines festivités publiques20, le temps et la période de son acquisition sont toujours tenus dans une extrême confidence. À l’opposé du Sénégal où le Décret N° 2014-1212 du 22 septembre 2014 portant Code des marchés publics dispose en son article 77 que : « pour les marchés classés secrets, un arrêté du ministre chargé des forces armées fixe les conditions dans lesquelles est assurée la protection du secret et des informations concernant la défense nationale et la sûreté de l’État durant toute la procédure de passation et d’exécution du marché », le matériel de guerre au Cameroun est toujours classé « top secret et secret-défense ».

Selon Gaspard Terray, deux conditions cumulatives, à travers leur nature large, participent au caractère extensible des matériels militaires qui sont mis à l’abri des éventuels ennemis de la nation. Ils doivent, d’une part, être « destinés à la sécurité », soit relever d’un service public en charge de la sécurité. D’autre part, l’équipement doit comporter des « supports ou informations protégés ou classifiés dans l’intérêt de sécurité nationale (Terray, 2017 : 22). Ces matériels de guerre concernent d’abord les équipements militaires,

y compris leurs pièces détachées, composants ou sous-assemblages, qui sont destinés à être utilisés comme armes, munitions ou matériel de guerre, qu’ils aient été spécifiquement conçus à des fins militaires ou qu’ils aient été initialement conçus pour une utilisation civile puis adaptés à des fins militaires. Ils concernent ensuite des équipements destinés à la sécurité, y compris leurs pièces détachées, composants ou sous assemblages, et qui font intervenir, nécessitent ou comportent des supports ou informations protégés ou classifiés dans l’intérêt de la sécurité nationale. Ils concernent enfin des travaux et services ayant des fins spécifiquement militaires ou des travaux et services destinés à la sécurité et qui font intervenir, nécessitent ou comportent des supports ou informations protégés ou classifiés dans l’intérêt de la sécurité nationale.

À côté de la raison selon laquelle, la règlementation en matière de marchés publics au Cameroun s’est appuyée sur le fait que les marchés spéciaux ont trait à la stratégie globale de sécurité nationale pour évoquer le caractère spécial qui leur a été accordé, un autre argument peut être avancé. En effet, la législation s’est également basée sur le fait que les marchés spéciaux de la défense sont soumis à des procédures exceptionnelles, non concurrentielles, à l’appréciation et à la discrétion du président de la République, Chef des Armées.

Selon la Constitution de la République du Cameroun21, le président de la République « est le Chef des Forces armées » (art 8 al 2) qui « nomme aux emplois civils et militaires » (art 8 al 10). En « veillant à la sécurité intérieure et extérieure de la République » (art 8 al 3), il « peut, lorsque les circonstances l’exigent, proclamer par décret, l’état d’urgence qui lui confère des pouvoirs spéciaux dans les conditions fixées par la loi » (Art 9 al 1). « Garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, de la permanence et de la continuité de l’État, du respect des traités et accords internationaux » (art 5 al 2), il est par conséquent responsable de la protection des institutions, des intérêts fondamentaux de la nation, des personnes et des biens (Bita Heyeghe, 2017 : 133).

Dans cette dynamique, il « peut, en cas de péril grave menaçant l’intégrité du territoire, la vie, l’indépendance ou les Institutions de la République, proclamer, par décret, l’état d’exception et prendre toutes mesures qu’il juge nécessaires. Il en informe la Nation par voie de message » (art 9 al 2). Cette dernière prérogative que Julien Thomas présente comme une « dictature temporaire vouée à assurer le salut public » (Thomas, 2005 : 2) permet au président de la République, à travers ses ressources et ses pouvoirs d’État (Quermonne, 1986, 363), d’assurer une autorité sur les trois principales forces militaires de la République22 . Dans ce cas exceptionnel, le Chef des armées et responsable de la défense nationale (Sponchiado, : 36)

20 Référence est faite ici à la journée du 20 mai qui constitue un moment de partage et de célébration du vivre-ensemble harmonieux. Durant cette journée mythique et liturgique qui magnifie un instant de communion entre tous les camerounais, plusieurs manifestations sont organisées dans tout le pays. À côté des réceptions publiques et des activités qui sont souvent organisées pour l’occasion, cette journée se singularise par des défilés qui se tiennent dans tous les chefs-lieux. Rassemblant toutes les catégories de la société, y compris des invités spéciaux de toutes les chancelleries présentes au Cameroun, ces défilés sont marqués par une démonstration de la puissance de feu et des nouvelles acquisitions de l’armée pour faire face aux nouvelles menaces et protéger les intérêts vitaux et fondamentaux du Cameroun. 21 Loi N° 96/06 du 18 janvier 1996, portant révision de la Constitution du 02 juin 1972, modifiée et complétée par la loi N°2008/001 du 14 avril 2008. 22 Il s’agit de la force terrestre (Armée de terre), la force navale (Marine) et la force aérospatiale (Armée de l’air). Aux côtés de celles-ci, s’ajoute une force militaire relativement spécifique : la Gendarmerie nationale.

II- LES MARCHÉS SPÉCIAUX DE LA DÉFENSE, DES MARCHÉS À PROCÉDURE EXCEPTIONNELLE, NON CONCURRENTIELLE ET

SOUMIS À L’APPRÉCIATION DISCRÉTIONNAIRE DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

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23 Dans un style ironique qui résume parfaitement les pouvoirs militaires du Chef des armées au Cameroun, un officier supérieur en service à l’État-ma-jor de l’Armée de terre qui a requis l’anonymat a déclaré que : « le président de la République est la seule personne au Cameroun qui détient le pouvoir légitime d’envoyer les hommes à la mort ». Entretien réalisé le 05 octobre 2020 à Yaoundé. 24 En effet, le ministère de la Défense au Cameroun est sous la responsabilité d’un ministre délégué à la Présidence chargé de la Défense. L’épithète délé-gué (c’est nous qui soulignons) renvoie ici au fait que le ministre en charge de ce département ministériel n’est que le prolongement, la « main qui frappe » et le « petit exécutant aux grands ordres » du président de la République dans le domaine de la défense nationale. En dépit du fait que ce ministre délégué est selon les décrets N° 2011/408 du 09 décembre 2011 portant organisation du Gouvernement et N° 2001/177 du 25 juillet 2001 et ses modi-ficatifs subséquents portants organisation du ministère de la Défense, est chargé de l’étude des plans de défense ; de la mise en œuvre de la politique de défense ; de la coordination et du contrôle des Forces de Défense ; de l’organisation et du fonctionnement des juridictions militaires, c’est le président de la République qui est en réalité le véritable ministre de la Défense au Cameroun. Le ministre de la Défense est donc un ministre sans arme et sans réel défense au Cameroun. 25 Contrairement à la France où le Premier ministre est « responsable de la défense nationale » et « dispose de la force armée » pour déterminer et conduire la politique de la nation, au Cameroun, la défense constitue le « domaine réservé » du président de la République.26 À titre d’exemple, c’est le président de la République qui, par le biais du décret N°2014/308 du 14 août 2014 portant modification du décret n°2001/180 du 25 juillet 2001 portant réorganisation du commandement militaire territorial, a autorisé la réorganisation stratégique du commandement militaire dans l’Extrême-nord du Cameroun pour mieux combattre la secte terroriste Boko Haram. C’est également lui qui, par l’intermédiaire du décret N°2018/148 du 21 février 2018, complétant le décret No 2014/208 du 14 août 2014 modifiant le décret No 2001/180 du 25 juillet 2001 portant réorganisation du com-mandement militaire, a décidé du remodelage territorial du commandement militaire pour mieux lutter contre les mouvements sécessionnistes dans les régions du Sud-ouest et du Nord-ouest. Pour plus de détails, lire Atanga et Minkonda, op cit, p. 213 ; Minkonda et Abossolo, inédit.27 Cette dernière se fait à travers la participation du Cameroun dans les Opérations de Maintien de Paix dans le monde. 28 En effet, selon un ancien ministre des Travaux publics qui a par ailleurs rédigé un maitre ouvrage devenu une référence intitulé La Gouvernance des marchés publics au Cameroun : « si c’était la compétence du Chef de l’État qui fondait le caractère spécial attribué aux marchés de la défense, dans ce cas les dits marchés ne seraient-ils plus spéciaux si le ministre de la Défense n’est plus ministre délégué, mais ministre de la Défense plein ? ». Entretien réalisé le 12 octobre 2020 à Yaoundé.29 Selon un ancien ministre de la Défense qui a requis l’anonymat : « contrairement à ce que l’opinion publique pense, curieusement le ministre de la Dé-fense n’est pas souvent informé de certaines négociations. Je prends le cas des hélicoptères. La présidence de la République m’a juste informé que je vais faire un voyage pour ramener le matériel militaire. Arrivé dans ce pays partenaire, j’ai juste signé quelques documents et je suis revenu au Cameroun avec deux hélicoptères ». Entretien réalisé le 08 octobre 2020 à Yaoundé

qui incarne le pouvoir d’État et le pouvoir présidentiel (Quermonne, 1982 : 554) prend le haut du pavé en se réservant tous les pouvoirs23 qu’il juge nécessaires dans le cadre de l’achat du matériel militaire (Vedel, 2001 : 34). Dans cette perspective, les marchés d’armement qui sont intimement liés à la souveraineté, c’est-à-dire aux sujets hautement symboliques et politiques sont du pouvoir du président de la République (Mezzadri, 2000 : 6).

Bénéficiant de l’aménagement et de la répartition des pouvoirs militaires au détriment du Premier ministre, Chef du gouvernement (Capitant, 1964 : 153 ; Viel, 1993 : 163), le président de la République détient la prééminence dans l’appréciation de l’achat du matériel de la défense qui se fait généralement par les conventions de prêts (1) et n’est soumis à aucun régime concurrentiel et à aucun contrôle (2).

1- Les conventions de prêts, procédures spéciales consacrées pour l’achat de l’équipement de guerre

Véritable ministre de la Défense24, le Président, Chef des armées (Cohen, 1991 : 2 ; Chantebout, 2003 : 569) est dans la technologie de l’organisation des pouvoirs publics (Quermonne, 2006 : 6) responsable des questions relatives à la sécurité et à la défense nationale (Bita Heyeghe, 2017 : 129). Ainsi, assurant le « caractère étatique de la défense » (Baude et Vallée, 2012 : 103), il détient la primauté non seulement dans la conception des intérêts stratégiques de l’État25, mais aussi dans la dotation en moyens et en besoins du matériel militaire pour permettre au Cameroun

de mieux faire face aux menaces classiques et asymétriques qui porteraient atteinte à la sécurité du pays26. À ce titre, au terme de l’article 43 qui dispose que « le président de la République négocie et ratifie les traités et accords internationaux », la loi fondamentale fait valoir les attributions du chef de l’État pour négocier et ratifier les traités. Cela sous-entend les traités et accords ayant une dimension militaire. À l’instar des autres dispositions constitutionnelles présentées autour des attributions et de la fonction du président de la République (Massot, 2001 : 10), celle intéressant les traités et accords militaires auxquels l’État camerounais est partie, permet au président de la République d’affirmer la capacité militaire du Cameroun sur la scène internationale par le biais d’un recours aux opérations extérieures (Behrendt, 2016 : 53). Exerçant seul le pouvoir discrétionnaire dans l’appréciation des intérêts fondamentaux et vitaux du Cameroun, les traités et accords internationaux dument promulgués lui permettent d’engager la responsabilité du pays dans l’élaboration de la stratégie de défense nationale et dans la contribution à la sécurité et à la paix internationales27.

Au regard de ces prérogatives, même si ce n’est pas la compétence du Chef de l’État à décider et à contracter l’achat des équipements militaires qui fondent le caractère spécial des marchés spéciaux28, seul le président de la République détient le pouvoir légal et légitime, qu’il exerce sans partage, pour passer des marchés relativement à l’achat du matériel de guerre au Cameroun. Ces marchés sont passés dans le cadre des contrats et conventions conclus avec les partenaires techniques et financiers (Bellais et

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Oudot, 2009 : 263) des pays alliés29. S’appuyant sur sa prérogative constitutionnelle de « Chef des armées », le président de la République décide de l’opportunité et surtout du choix de l’entreprise qui va exécuter le marché en question30. Pour le cas du Cameroun spécifiquement, seul le président de la République a le pouvoir de passer des contrats d’armements (Oudot, 2008b : 157). L’achat du matériel militaire qui se fait en fonction de la rationalité bureaucratique de l’Administration mais aussi des intentions et des humeurs du président de la République, nécessite des financements importants. Deux procédés sont souvent mobilisés. Soit le président de la République mobilise la technique de l’endettement par crédit auprès d’un pays/partenaire vendeur d’armes ou d’une entreprise étrangère installée dans un État allié, soit il passe par un sous-contractant spécialisé dans la fabrication et la vente des armes31. La technique la plus utilisée pour acheter ces matériels de guerre n’est autre que la convention de prêts (Côté, 1987 : 861) qui est généralement négociée entre le président de la République (le cas échéant son représentant) avec soit l’État allié vendeur d’armes32, soit directement avec l’entreprise titulaire ou le sous-contractant du marché qui va exécuter le contrat de défense (Chardigny, 2013 : 45) conclu33. Ce financement par emprunt ou par crédit du matériel militaire de l’État-client (Marty et Voisin, 2003 : 2) qu’est le Cameroun, permet au Chef des armées d’acheter des armes sans directement mobiliser les fonds du budget de l’État qui sont déjà destinés au financement de l’action publique nationale (civile), étant donné que le Cameroun fonctionne selon un budget-programme. Bien plus, en dépit du fait que le budget du ministère de la Défense au Cameroun, comme dans bon nombre de pays,34 soit très spécial en ce sens que les dépenses d’acquisition ne sont

pas nécessairement libellées comme telles, l’achat du matériel de guerre est généralement réglé par une autre source de financement.

Ces conventions de prêt qui constituent la procédure appropriée pour l’achat du matériel de guerre au Cameroun sont sanctifiées d’un régime non concurrentiel qui n’est assujetti à aucun contrôle.

2- L’achat du matériel de guerre, un régime non concurrentiel et assujetti à aucun contrôle.

Malgré la mise en détention provisoire de l’ancien ministre de la Défense qui est accusé d’avoir violé la législation en matière de marchés publics, constituant par ailleurs un fait inédit35, les marchés spéciaux des équipements de la défense (Marty et Voisin, 2003 : 1) ne sont soumis à aucun contrôle, à aucune publicité36 et à aucune mise en concurrence. Comme dans tous les pays stratégiquement émancipés, la négociation des contrats avec l’État ou l’industrie en question étant cruciale, elle n’est pas réalisable dans le cadre de procédures concurrentielles. Ainsi, contrairement à la France, ils n’ont jusque-là pas fait l’objet d’aucun différend (Simonel, 2008 : 195), parce que hors du « banc des accusés » du fait de leur caractère confidentiel. En résumant à l’extrême, à l’opposé des marchés publics qui sont soumis aux organes de contrôle du ministère en charge des marchés publics ou encore de manière plus précise aux Commissions centrales des Marchés37 par exemple et par conséquent aux sanctions relativement aux atteintes à la règlementation en vigueur, les marchés spéciaux relèvent comme en France d’un droit dérogatoire38 qui met les acteurs en présence, qui sont par ailleurs

30 C’est sans doute ce qui a amené un officier supérieur en service à l’État-major de l’Armée de terre (EMAT) qui a requis l’anonymat à affirmer que : « face à une telle situation, nous sommes là en présence d’un gré à gré spécial qui octroie au président de la République le pouvoir de passer un marché sans appel d’offres avec une entreprise pour la fourniture du matériel militaire ». Entretien réalisé le 10 octobre 2020 à Yaoundé. 31 Selon un ancien ministre de la Défense qui a requis l’anonymat : « Personne, même dans les coulisses du pouvoir, n’est en mesure de dire avec préci-sion et exactitude les raisons qui ont pesées pour que le président de la République choisisse tel pays ou telle société pour passer une commande des matériels de guerre. La décision peut par exemple avoir été prise à la suite de la promesse par l’État-vendeur d’un soutien au Conseil de sécurité des Nations unies. Elle peut avoir aussi été motivée par le fait que le pays-vendeur détient une information cruciale sur une éventuelle menace qui mettrait en mal la sécurité du Cameroun. Elle peut également avoir été prise sur la base des coûts abordables et des modes de payement qui semblent meilleurs que les autres offres ». Entretien réalisé le 03 octobre 2020 à Yaoundé. 32 En cas d’extrême urgence impérieuse incompatible avec la préparation des documents constitutifs du marché, le président de la République peut égale-ment utiliser la technique de l’échange de lettres. 33 D’après un ancien ministre de la Défense qui a requis l’anonymat : « Après que le Chef de l’État ait négocié l’achat du matériel militaire avec le Chef d’État ou le responsable de l’entreprise en question, le ministère de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire poursuit la procédure en concluant la convention de prêt (lettre de crédit et lettre de garantie). Le ministre de la Défense ne signe que le contrat commercial ». Entretien réalisé le 14 octobre 2020 à Yaoundé.34 Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Défense, affirmait sur cette question que le budget de la défense « n’est pas un budget comme les autres : il est la condition de notre sécurité, la manifestation de la France à remplir son rôle international et un apport important à la vie économique […] » (Cornut-Gen-tille, 2003 : 47). 35 À ce sujet, beaucoup d’observateurs du champ politique camerounais ne cessent d’affirmer à souhait que la vraie raison de l’incarcération de l’ancien ministre de la Défense se trouve ailleurs. L’argument le plus ressassé est celui de la conquête du pouvoir suprême.36 C’est le même régime juridique qui est appliqué en Belgique au regard de la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains mar-chés de travaux, de fourniture et de services, MB du 21 janvier 1994, art. 3 §§3-4 et de la loi du 15 juin 2006 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services, MB du 15 février 2007, p. 7355, art. 2 1° et 12, qui transpose en droit belge les dispositions ci-dessus. Ces lois permettent l’utilisation de la procédure négociée sans publicité pour l’attribution du marché et l’utilisation des compensations industrielles comme critère d’attribution.37 Selon l’art 24 al 1 du décret No 2018/336 du 20 juin 2018 portant Code des Marchés publics au Cameroun : « les Commissions centrales de contrôle des Marchés sont des organes techniques placés auprès du ministre chargé des marchés publics. Elles sont chargées du contrôle a priori des procédures de passation des marchés publics relevant de leurs compétences initiées par les maîtres d’ouvrage ou les maîtres d’ouvrage délégués ».38 Décision du Conseil d’État, 18 décembre 2019, N° 431696

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39 En effet, sur le fondement du 2° de l’article 58 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, la présidente de la commission des finances du Sénat a demandé à la Cour, par un courrier du 19 décembre 2016, de réaliser une enquête sur les matériels et équipements de la police et de la gendarmerie (acquisition et utilisation). Par une lettre du 11 janvier 2017, le premier président a confirmé que la Cour serait en mesure de mener l’enquête demandée et de remettre le rapport correspondant en 2018. Après un échange avec 40 Malgré le fait qu’il existe une Commission à l’Assemblé nationale du Cameroun intitulé : Commission de la Défense nationale et de la Sécurité : défense nationale, armées, gendarmerie, sureté nationale, justice militaire, Sapeurs-pompiers, le ministre de la Défense bénéficie du droit ou de l‘obligation de ne pas répondre à toutes les questions orales et écrites posées par les parlementaires. Généralement, il avance souvent l’argument selon lequel : « cette question relève du secret-défense ». Face à une telle réponse, les parlementaires n’ont plus le droit de le relancé sur cette question parce que touchant aux intérêts vitaux et fondamentaux du pays. 41 Bien plus, selon cette même disposition : « Cette commission spéciale dispose des pouvoirs de contrôler la procédure de passation du marché et son exécution. Les décisions de cette commission restent cependant soumises au contrôle de I’autorité de régulation des marchés publics qui devra être tenue informée des marchés passés, dans des conditions garantissant les exigences nécessaires au maintien du secret, et qui pourra se saisir ou être saisie de toute contestation afférente aux conditions d’application du présent article ». (Art 37 du Décret 2009-277 du 11 novembre 2009 portant Code des marchés publics et des délégations de service public). 42 Selon un officier supérieur en service à la Direction du budget et des équipements du ministère de la Défense à l’époque de l’ex-ministre de la Défense Edgar Alain Mebe Ngo’o : « Le ministre de la Défense qui brandit son innocence relativement aux différentes accusations aurait eu environ 05 milliards de rétro-commissions dans l’achat des armes auprès de la société chinoise Poly Technologies INC. Cet argent n’a pas été remis au destinataire ». Entretien réalisé le 08 octobre 2020 à Yaoundé43 D’après un officier en service à la Direction du Budget et des Équipements au ministère de la Défense du Cameroun qui a requis l’anonymat : « l’achat du matériel militaire est un moment de corruption très aggravé où circule d’énormes sommes d’argent. Très peu de personnes, y compris celles fortement impliquées dans le processus, sont en mesure de vous dire exactement à combien l’on a acheté les équipements militaires. Parfois même le lieu, le pays, l’entreprise ou encore le sous-contractant qui a vendu ces matériels sont classés secret- défense ». Entretien réalisé le 19 octobre 2020 à Yaoundé. 44 Nous pensons ici à « l’affaire Irangate » qui avait fait chanceler les arcanes du pouvoir et le président Ronald Reagan aux États-Unis en 1986. Appelée aussi « l’affaire Iran-Contra », il s’agit d’un scandale politico-militaire survenu pendant le second mandat de l’administration Reagan. En effet, plusieurs hauts responsables du gouvernement fédéral américain avaient soutenu un trafic d’armes vers l’Iran malgré l’embargo touchant ce pays. L’administration espérait pouvoir utiliser les produits de la vente d’armes pour financer les Contras au Nicaragua, malgré l’interdiction explicite du Congrès des États-Unis de financer ce groupe armé en lutte contre le pouvoir nicaraguayen

difficilement identifiables, à l’abri de tout contrôle technique et de toutes poursuites judiciaires. Ces marchés qui font partie des contrats de la commande publique ne répondent pas aux dispositions relatives aux marchés sur l’appel d’offres. Ils ne font pas, comme en France par exemple39, l’objet d’enquêtes. Le régime de passation qui est par essence le siège des impératifs de mise en concurrence ne s’applique pas à l’achat du matériel de guerre. Les outils de contrôle de l’achat de ces matériels pour faire la guerre, les composantes et les bases de détermination des prix d’armements ainsi que les mécanismes des prix sont existants. Même le parlement qui est l’institution habilité à contrôler l’action du Gouvernement sous toutes ses formes, fait « pâle figure »40 en la matière (Bergougnoux, 2016 : 51). Thierry Kirat justifie l’absence du parlement dans les procédures de contrôle par le fait que cette institution législative étant de nature réglementaire ; elle n’a pas à connaître et à contrôler les dépenses liées aux marchés des équipements militaires (Kirat, 2005 : 2). Bien plus, poursuit, Kirat, ce fait institutionnel est marquant, dans la mesure où le poids économique de la commande publique est considérable, puisqu’elle représente en France 1/10 du Produit Intérieur Brut. Si le parlement est bien sûr partie prenante à la procédure budgétaire et au vote de la loi de finances, il n’est pas pour autant appelé à débattre des conditions juridiques de l’utilisation des ressources budgétaires. Chemin faisant, la réglementation spécifique à la défense est davantage de la compétence du Contrôle général des Armées que de la Direction des affaires juridiques du ministère de la défense. Le Délégué général pour l’armement, quant à lui, ne dispose pas de pouvoirs réglementaires (Kirat, 2005 : 2)

Dans cet esprit, les intérêts et les motivations qui fondent l’achat du matériel et le choix du fournisseur ne sont pas exposés à un appel d’offres public à la commande. Ainsi, contrairement aux marchés de la défense au Togo dont « les conditions légales nécessaires à la mise en œuvre d’une procédure de passation de marché par entente directe sont constatées par une commission spéciale rattachée à la Présidence de la République créée et fonctionnant selon des modalités déterminées par voie réglementaire »41, ce type de marché au Cameroun, bénéficie d’un régime d’exécution spécifique qui se traduit par un dirigisme contractuel de l’État. Dépossédant les marchés spéciaux de toute intégrité morale (Beth et Hrubi, 2008), la procédure négociée, sans publicité ni mise en concurrence qui encadre informellement mais certainement l’achat du matériel militaire, peut se justifier. Les marchés spéciaux de la défense, comme les marchés publics de l’État et des collectivités locales au Sénégal sont frappés d’une corruption quasi permanente (Blundo, 2011, p. 79). En effet, les colossales sommes d’argent qui sont déboursées pour l’achat du matériel militaire ne sont assujetties à aucun contrôle. Cette absence de surveillance des malversations financières relatives aux équipements de guerre s’est faite à dessein ; car les marchés spéciaux de la défense sont l’objet d’énormes rétro-commissions42. La révélation de ces dernières à l’opinion publique pourrait éventuellement ouvrir la « boite de pandore » des pratiques de corruption savamment orchestrées43 ; lesquelles pourraient notamment ébranler le sommet de l’État44. Cet argent issu des rétro-commissions ou encore de l’économie de la défense (Bellais, Foucault et Oudot, 2014) qui est le fruit des « pots de vins » est alors utilisé, soit pour

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le financement privé de la vie politique45, soit pour le financement de l’action publique46.

C’est dire que la technocratie administrative et militaire, en s’accommodant d’une déresponsabilisation au profit des seules autorités politiques dans le discours

et dans les pratiques, trouve son compte dans une forme de répartition des rentes et des prébendes qui maintien un équilibre fonctionnel entre les enjeux de sécurité nationale et la satisfaction des attentes des uns et des autres.

45 Nous pensons ici à « l’affaire Karachi » en France qui a rebondit en 2010. Désignée ainsi en raison de l’attentat du 08 mai 2002 à Karachi, il s’agit de la vente de sous-marins au Pakistan qui aurait donné lieu à des rétro-commissions, lesquelles auraient permis de financer la campagne d’Édouard Balladur à l’élection présidentielle de 1995. En effet, cet attentat, qui avait visé des salariés d’une entreprise française à Karachi, aurait été lié à l’arrêt des versements des commissions par Jacques Chirac, élu alors, président de la République. Dans la même dynamique, une enquête préliminaire aurait été ouverte en octobre 2016 par le parquet national financier pour «corruption d’agents publics étrangers» autour du contrat de vente de sous-marins, signé le 23 décembre 2008, entre l’ancien président français Nicolas Sarkozy et son homologue brésilien Lula da Silva. En 2008, la France avait vendu au Brésil des sous-marins pour un montant estimé à 6.7 milliards d’euros dont 4.1 milliards directement versés à l’entreprise française et le reste à des intermédiaires et à des entreprises locales brésiliennes. 46 D’après un officier supérieur en service à l’État-major des Armées : « certaines rétro-commissions des marchés de l’armement qui sont exécutées par les entreprises étrangères servent parfois à financer les projets de développement dans leur pays. De la même manière, il se pourrait aussi que le président de la République utilise cet argent pour le financement des projets personnels et de certains projets secrets ». Entretien réalisé le 05 octobre 2020 à Yaoundé

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Au terme de cette réflexion, un constat peut être fait. Tout semble converger vers une justification tenable du régime juridique spécial relatif aux besoins de la défense et de la sécurité nationale. De toute évidence, la législation a techniquement et symboliquement extrait les marchés spéciaux de la défense des marchés publics ordinaires pour permettre au président de la République, qui exerce une fonction à la croisée des chemins (Ponthoreau, 2001 : 34), d’être le « président commande tout » (Fournier, 2008 : 206), de conserver une prépondérance dans la définition de la stratégie globale de sécurité nationale du Cameroun à l’ère des nouvelles menaces. Ces marchés spéciaux qui sont soumis à l’appréciation discrétionnaire et à l’immédiate primauté (Cohen, 1998 : 91) du président de la République sont des marchés particuliers à procédure exceptionnelles et non concurrentielles comme expliqué précédemment. Victime d’un « cantonnement juridique » à la dérogation, ces marchés relatifs à la défense nationale, à la sécurité et

aux intérêts stratégiques de l’État sont, contrairement à la controverse, sur la suprématie du président de la République en matière de défense nationale en France (Castillo Marois, 2017 : 343), en harmonie au Cameroun avec les prérogatives constitutionnelles du président de la République, Chef des armées (Simonel, 2011). Au demeurant, l’éventuelle libéralisation ultérieure et progressive de ce secteur stratégique s’imposera à l’État. Il faudra alors envisager la mise en sens et en acte d’un Cameroun des marchés spéciaux de la défense (Richer, 2009), ou encore de manière plus concrète d’un droit des marchés spéciaux de la défense au Cameroun qui soit régi par un cadre légal (loi) et non nécessairement réglementaire (décret), en séparant par exemple les marchés relevant strictement de la sécurité nationale (armement, matériels spécifiques, etc.) des marchés de la défense mais à caractère général (matériels bureautiques, alimentation, etc.).

CONCLUSION

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En Afrique au sud du Sahara, le secteur de la défense et de la sécurité demeure l’un des moins réformés en matière de gouvernance du fait de sa spécificité et des interconnexions entre

le pouvoir politique et le pouvoir militaire et qui tient à quelques facteurs. D’abord, certains États sont en phase continue de reconstruction post crises militaro-politiques. Ensuite, dans d’autres États, l’armée continue d’être le support du pouvoir politique malgré le contexte « démocratique ». Enfin, elle se retrouve au centre des enjeux financiers importants tirés soit directement par les caciques du régime, ou des sociétés écrans détenues par ceux-ci. À ces variables, s’associe parfois l’absence de textes qui structurent et règlementent les dépenses militaires1 notamment les achats d’armements, de munitions ou d’équipements spécifiques estampillés « confidentiel-défense ».

En effet, tous ces facteurs, susceptibles d’entamer le capital crédit du secteur de la défense et de la sécurité auprès de l’opinion publique au sein des États, viennent ainsi corroborer l’état de la gouvernance2 de ce secteur qui se retrouve souvent dissimulé sous le sceau du secret et peuvent subrepticement laisser certains penser que la « grande muette »3 parviendrait parfois à contourner la législation interne en matière de procédures budgétaires et de dépenses publiques. Mieux, d’autres diraient qu’elle serait minée par le fléau de la corruption systémique en raison d’une part de suspicions ou de flous qui caractérisent les dépenses militaires et d’autre part, des interpellations voire des condamnations judiciaires d’autorités militaires liées à des délits financiers.

C H A P I T R E I VARMÉE ET GOUVERNANCE PUBLIQUE :

L’EXIGENCE DE TRANSPARENCE FACE À LA SPÉCIFICITÉ DE L’INSTITUTION MILITAIRE AU BÉNIN

par le Colonel Nicaise HOUNDJREBO

1 Les dépenses militaires sont les ressources financières affectées par l’État à des fonctions militaires. Elles permettent d’évaluer la priorité donnée aux moyens militaires d’assurer la sécurité selon la volonté politique d’un gouvernement, d’assurer la sécurité nationale ou d’atteindre d’autres types d’objec-tifs nationaux définis dans les doctrines de sécurité nationale (SKONS, 2005). Il n’existe pas de lien direct entre l’affectation de ressources financières aux dépenses militaires et les résultats en termes de capacité militaire, de force militaire ou de sécurité militaire. Les résultats obtenus dépendent de ce à quoi l’argent est consacré et de la façon dont les ressources acquises sont gérées et utilisées, d’où les effets de la corruption. (https://www.memoireonline.com/07/08/1180/m_depenses-militaires-gouvernance-efficience-economique-afrique-sub-saharienne4.htmltoc12 ). 2 Issue de la théorie micro-économique et de la science administrative anglo-saxonne, la notion de «bonne gouvernance» a été diffusée dans les années 1990 par la Banque mondiale, comme la condition nécessaire des politiques de développement. La gouvernance repose sur quatre principes fondamen-taux : la responsabilité, la transparence, l’état de droit, la participation. (http://www.toupie.org/Dictionnaire/Gouvernance.htm ).3 Métaphore désignant l’armée. Elle ne correspond plus à la réalité contemporaine mais demeure dans le langage courant pour désigner le silence de l’Armée sur son action. En fait, c’est en France qu’Adolphe Thiers, alors président de la République, fit voter la loi du 27 juillet 1872 sur l’armée qui refusait aux militaires le droit de vote. Ne pouvant pas prendre parti dans les luttes politiques, ils étaient bien muets électoralement parlant. Bien au contraire, aujourd’hui, la réalité est tout autre. L’armée, surtout en Afrique y compris la région du Maghreb a investi le champ politique au lendemain des indépen-dances.

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Ainsi, le secteur de la défense et de la sécurité n’échappe pas lui aussi aux questionnements et aux récriminations des sociétés civiles, des médias et autres organisations non gouvernementales4 du fait de l’opacité qui entoure les méthodes et pratiques de gestion et surtout au regard des « affaires de corruption » qui surgissent dans certains pays notamment en Afrique au sud du Sahara. C’est le cas des luttes d’intérêts et de prévarication relatifs aux ressources allouées aux forces armées dans le cadre de la lutte contre Boko Haram au Nigéri5 , de scandales financiers révélés suite à l’audit des marchés publics diligenté en 2011 par le président Alpha Condé en Guinée6 ou de l’absence de transparence voire de malversations (fraudes, surfacturation, double paiement, non-respect des règles de passation des marchés publics) dans le cadre des achats d’équipements militaires au Niger7, etc..

Dès lors, par rapport à la gouvernance, les forces armées, en tant qu’institution et bien qu’attachées à leurs traditions, se doivent de se transformer structurellement tout en intégrant ses spécificités afin de répondre à l’exigence de bonne gouvernance. Cette adaptation, reflet d’une institutionnalisation de la bonne gouvernance au sein des armées, devient nécessaire car susceptible de corriger l’image écornée que renvoient les forces armées en matière de gestion des ressources publiques. Il importe donc, dans un processus d’appropriation, d’opérer un juste alignement sur les règlementations internes des États en la matière et sur les mécanismes de contrôle des dépenses militaires notamment en ce qui concerne l’acquisition des systèmes d’armes, des munitions et autres matériels à caractère sensible .

Partant du secteur de la défense et de la sécurité au Bénin qui fonde en partie notre analyse dans le cas du présent travail, il nous a été possible d’établir une certaine relativité en terme de bonne gouvernance notamment s’agissant de l’application du régime général des marchés publics.

En effet, à l’instar des autres départements sectoriels et institutions, le secteur de la défense et de la sécurité au Bénin se trouve dans un parfait alignement, quant à l’application non seulement de la législation (le code des marchés publics en République du Bénin lui étant entièrement appliqué y compris

lorsqu’il s’agit de matériels de guerre et d’autres équipements spécifiques pouvant revêtir le sceau du « secret-défense) mais également des mécanismes de préparation, de vote, d’exécution et de contrôle du budget de la défense.

Notre étude consistera à montrer comment, dans un environnement certes propice à la corruption et malgré le caractère particulier lié à leur fonctionnement, les forces armées africaines en général gagneront à s’obliger la bonne gouvernance en observant les bonnes pratiques de gestion des ressources que la nation leur consacre.

Trois interrogations en constituent le fil d’Ariane :

• Quel est l’état des lieux de la gouvernance des armées africaines (évaluation) à l’ère des exigences de contrôle citoyen (transparence et reddition de compte) ?

• Quels sont, au Bénin, les mécanismes de mises en œuvre des dépenses militaires (pratiques) : acteurs, procédures et outils de contrôle démocratique (administratif, juridictionnel et politique) ?

• Quelles sont les conséquences de la mauvaise gouvernance au sein des armées ? Dommageable pour le secteur de la défense lui-même ? Abaissement du capital confiance ? Effritement ou rupture du lien armée-nation ? Effondrement du mythe (armée comme garant de l’ordre et de l’éthique) ? Perception de l’opinion publique de la gestion des ressources publiques par les forces armées ?

Des réponses à ces interrogations, découle la structure de notre travail qui se présente en trois (03) parties.

En premier lieu, nous procéderons à un état des lieux de la gouvernance dans les forces armées africaines, en nous appuyant sur l‘application ou non de la législation et les pratiques dans quelques pays. Nous analyserons ensuite les enjeux liés à la problématique de la transparence, en faisant ressortir la nécessité d’un contrôle démocratique du secteur de sécurité et de défense. Partant de l’exemple du Bénin, nous terminerons en évoquant l’état de la gouvernance et les procédures en matière de dépenses militaires.

4 Transparency International (tout pays), Nigeriane Civil Society Legislative Advocacy, Organized Crime and Corruption Reporting Project (cas du Niger). 5 Site « Le360afrique.com », media digital marocain http://afrique.le360.ma/autres-pays/societe/2018/05/28/21123-nigeria-des-millions-de-dollars-siphonnes-au-nom-de-la-lutte-contre-boko-haram-21123 consulté le 22 septembre 20206 André Silver Konan, « Guinée : l’armée de tous les dangers », article in Hebdomadaire Jeune Afrique, 30 août 2011; https://www.jeuneafrique.com/190411/politique/guin-e-l-arm-e-de-tous-les-dangers/7 Mathieu Olivier, « Pots-de-vin, surfacturations et armes de guerre : comment le Niger a perdu des dizaines de milliards », article in Jeune Afrique, 6 août 2020, https://www.jeuneafrique.com/1025515/politique/pots-de-vins-surfacturation-et-armes-de-guerre-comment-le-niger-a-perdu-des-dizaines-de-mil-liards/ consulté le 03 octobre 2020

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I- ÉTAT DE LA GOUVERNANCE DANS LES ARMÉES AFRICAINES : LA GESTION DES RESSOURCES PUBLIQUES À L’ÉPREUVE DES EXIGENCES

DE LA TRANSPARENCE

La gouvernance désigne l’ensemble des mesures, des règles, des organes de décision, d’information et de surveillance qui permettent d’assurer le bon fonctionnement et le contrôle d’un État, d’une institution ou d’une organisation, qu’elle soit publique ou privée, régionale, nationale ou internationale8.

Selon l’IT Governance Institute, la gouvernance a «pour but de fournir l’orientation stratégique, de s’assurer que les objectifs sont atteints, que les risques sont gérés comme il faut et que les ressources sont utilisées dans un esprit responsable». Ainsi, la gouvernance intègre tous les secteurs de l’État y compris celui de la défense et de la sécurité.

A- Des disparités notables relatives au cadre normatif d’exécution des dépenses militaires9 dans le secteur de la sécurité et de la défense en Afrique

Sans se livrer à une analyse économique de la défense, il apparaît, dans notre étude, quelques difficultés d’appréhension du terme « budget de la défense ». D’abord, la définition du budget de la défense varie d’un pays à l’autre et les comparaisons sont rendues complexes par les différences de méthodes comptables et par les effets des variations des législations10. Par exemple, aux États-Unis, le département de la Défense intègre au budget de la défense les ressources financières qu’ils consacrent à la santé des soldats, retraités et réservistes et personnes à charge. Plus généralement dans les pays occidentaux, des organismes d’État peuvent consacrer un budget au secteur militaire qui peut être pris en compte ou pas selon la législation interne. En Afrique, des dons financiers ou matériels de pays amis ou d’organisations internationales et des mécanismes de compensation dans le cadre de la coopération militaire permettent d’alimenter les besoins militaires qui sont inclus ou non dans le budget de la défense nationale.

Ensuite, dans bien des cas (France, Allemagne, Suède, etc..) le budget de la défense ne concerne pas que les dépenses du ministère de la Défense ; d’autres postes de dépenses militaires sont financés par d’autres ministères.

Enfin, certaines dépenses militaires peuvent être entièrement financées en dehors du budget de l’État ; ce sont des dépenses hors budget. C’est le cas des pays, importants exportateurs d’armes (Chine, Russie, Israël)11. Il peut aussi s’agir de revenus externes destinés à des achats particuliers, le plus souvent des importations d’armes12. Aussi, différents types d’acteurs non étatiques consacrent parfois d’énormes ressources financières qui n’apparaissent pas dans les estimations des dépenses militaires.

En abordant à présent le cadre normatif pour le confronter à l’enjeu de transparence, il ressort le constat qui tend à établir une application approximative de la législation et des normes lorsque celles-ci existent. Qu’ils s’agissent des documents de référence définissant les procédures en matière d’exécution des dépenses publiques dont dispose en général et annuellement la loi de finances, de la loi organique y attenante, des textes règlementaires (circulaire – arrêté – décision) émanant du ministère de l’Économie et des Finances et portant instructions et modalités d’exécution du budget de l’État, du plan de travail annuel et du plan de consommation de crédits (lorsque la législation les prévoit), le secteur de la défense et de la sécurité y devrait être lié. C’est le cas dans beaucoup de pays africains qui jouissent d’une certaine stabilité politique (Bénin, Sénégal, Burkina Faso, Togo, Ghana, Mauritanie, etc). En revanche, cela l’est moins dans les pays actuellement en proie au terrorisme où des mécanismes particuliers devraient permettre d’effectuer des dépenses militaires (Mali, Niger, Tchad, Nigéria) ou en crise militaro-politique (Centrafrique, Sud Soudan).

8 http://www.toupie.org/Dictionnaire/Gouvernance.htm ; consulté le 12/04/2019. 9 Les données concernant les dépenses militaires ne sont pas toujours fiables en Afrique subsaharienne. Elles peuvent être cachées dans d’autres postes du budget que la défense. Comme ces données concernant les dépenses militaires sont une mesure de dotation, elles ne reflètent que le coût des activi-tés militaires et les priorités données par le gouvernement aux dépenses militaires et non militaires mais des problèmes d’évaluation subsistent (SKONS, 2005). 10 L’Année stratégique, ouvrage publié chaque année par l’IRIS (l’Institut de relations internationales et stratégiques est créée en 1991 en France), fournit des informations relatives aux dépenses de défense dans le monde, dont les sources sont notamment le SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) est un institut d’études stratégiques fondé le 6 mai 1966 qui rend accessibles des informations sur le développement de l’armement, les dépenses militaires, la production et le marché de l’armement) et The Military Balance édité par l’IISS ( l’International Institute for Strategic Studies (IISS) est un institut de recherche britannique en relations internationales)11 « La corruption dans le secteur militaire mal combattue », journal 20minutes Monde, publication du 29/01/2013 avec Reuters site https://www.20mi-nutes.fr/monde/1089381-20130129-corruption-secteur-militaire-mal-combattue consulté le 27/09/2020.12 L’exemple le plus connu en temps de paix est celui du Chili qui finançait ses importations d’armes par les recettes des exportations de cuivre qui n’en-traient pas dans le budget ordinaire de l’État (SKONS, 2005).

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Sans éluder la possibilité d’existence de cadre normatif dans une approche sectorielle (chaque ministère sectoriel disposant de textes spécifiques régissant les procédures d’exécution de dépenses), les documents de référence évoqués supra devraient constituer, pour tous les secteurs y compris celui de la défense et de la sécurité, des leviers qui les enferment dans la bonne gouvernance même si le constat est peu reluisant dans nombre de pays.

B- Que nous enseigne la pratique de la gouvernance au sein des forces armées africaines ?

En réalité, la gouvernance comporte plusieurs dimensions, dont chacune présente des difficultés d’évaluation. En particulier, le fait que les indicateurs de gouvernance soient fortement corrélés entre

eux impose la construction d’un indice synthétique de gouvernance à partir des techniques d’analyse factorielle qui regroupent toutes les informations contenues dans les six indicateurs de Kaufmann et al (2007)13. La définition de ces indicateurs a permis, par ailleurs, à des organisations non gouvernementales et autres experts de la gouvernance de mesurer l’état de la gouvernance dans le secteur de la sécurité et de la défense.

Par exemple, considérant l’efficience des dépenses militaires, Kaufman et. al ont pu parvenir à des données moyennes entre 2018 et 2019 pour chacun des six indicateurs de gouvernance pour un échantillon de vingt-quatre (24) pays africains14. Le tableau 1 ci-dessous indique les données pour deux indicateurs choisis que sont la qualité de la règlementation et le contrôle de la gouvernance au sein des États.

13 Ce sont : le contrôle de la corruption, l’efficacité des pouvoirs publics, la stabilité politique, la participation et responsabilité, qualité de la réglementation et la protection des droits de propriétés. Voir Kaufmann (Daniel), Kray (Aart) and Mastruzzi (Massimo), « Governance Matters VI : Governance Indicators for 1996-2006 », World Bank Policy Research Working Paper n° 4280,2007 ; Thérèse Félicitée AZENG, « Dépenses militaires, gouvernance et efficience écono-mique : le cas de l’Afrique sub-saharienne », Mémoire de DEA, Université de Yaoundé 2 - SOA, 2008. 14 Extrait des données sur les indicateurs de la gouvernance mondiale : https://info.worldbank.org/governance/wgi/Home/Reports consulté le 4 novembre 2020 ; http://info.worldbank.org/governance/wgi/#home consulté le 4 novembre 2020 Voir le site http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1682130

Tableau 1 : Données de la gouvernance dans 24 pays africains pour deux indicateurs choisis

Source: Daniel Kaufmann, Aart Kraay and Massimo Mastruzz, «The Worldwide Governance Indicators 2020 : A Summary of Methodology, Data and Analytical Issues». World Bank Policy Research Working Paper No. 5430;

Pays Qualité de la réglementation Contrôle de la corruption2018 2019 2018 2019

Bénin -0,34 -0,38 -0,39 -0,32Burkina Faso -0,37 -0,38 -0,11 -0,19Centrafrique -1,37 -1,37 -1,23 -1,23Côte d’Ivoire -0,20 -0,24 -0,50 -0,53Cameroun -0,80 -0,83 -1,15 -1,21Congo Brazzaville -1,33 -1,30 -1,36 -1,41Comores -1,11 -1,12 -0,82 -1,02Cap Vert -0,24 -0,22 0,77 0,87Gabon -0,92 -0,96 -0,86 -0,94Ghana -0,09 -0,11 -0,12 -0,08Guinée -0,78 -0,77 -1,04 -0,90Gambie -0,63 -0,66 -0,46 -0,29Guinée Bissau -1,20 -1,23 -1,53 -1,45Guinée Equatoriale -1,54 -1,52 -1,56 -1,72Madagascar -0,73 -0,73 -1,00 -1,01Mali -0,56 -0,57 -0,70 -0,70Niger -0,64 -0,67 -0,58 -0,55Nigeria -0,80 -0,86 -1,05 -1,09Sénégal -0,11 -0,11 -0,02 0,05Sierra Léone -0,89 -0,88 -0,49 -0,41Seychelles -0,16 -0,15 0,70 0,97Tchad -1,11 -1,12 -1,41 -1,42Togo -0,65 -0,68 -0,73 -0,75RDC -1,47 -1,51 -1,50 -1,54

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Le tableau reprend deux dimensions de la gouvernance pour les années 2018 et 2019 pour un échantillon de vingt-quatre (24) pays africains considérés. Les deux indicateurs agrégés sont présentés dans leurs unités normales standard allant d’environ -2,5 à 2,5. L’estimation de la gouvernance varie d’environ -2,5 (faible) à 2,5 (bonne) en termes de performance de la gouvernance15. Ce tableau permet des comparaisons significatives entre les pays pour les indicateurs considérés de la gouvernance (qualité de la règlementation et contrôle de la corruption). Ainsi, quelques bons élèves se dégagent en matière de qualité de la règlementation (Bénin, Côte d’Ivoire, Cap Vert, Ghana, Seychelles, Sénégal) et en matière de contrôle de la corruption (Bénin, Burkina Faso, Ghana, Seychelles, Sénégal). En revanche, le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, la Guinée Bissau, la Guinée Équatoriale, le Nigéria, le Tchad et la RDC affichent des indicateurs moins bons. Les pesanteurs de la corruption16 constituent encore des facteurs qui compromettent l’efficience des dépenses militaires et n’assurent pas l’imputabilité financière et juridique. En effet, au Niger, une affaire de détournement de fonds a agité l’opinion publique nationale et au-delà, mettant en alerte la société civile nigérienne et entraînant le limogeage du chef d’État-major de l’armée de l’air, le colonel Boulama Issa Zana Boukar. Selon certaines sources, il s’agit de surfacturations et des contrats d’achat de matériels et équipements militaires (aéronefs et autres) non livrés, faisant perdre à l’État nigérien environ cent milliards de francs CFA17.

Au Nigéria, la lutte contre la corruption notamment au sein de l’armée a été l’une des priorités du président Muhammadu Buhari. Selon Union Magazine, quotidien officiel du Gabon, 2,1 milliards de dollars destinés à la lutte contre Boko Haram auraient été détournés à des

fins politiques18. L’ancien conseiller pour la sécurité nationale, Sambo Dasuki, est accusé d’avoir orchestré ce détournement de fonds colossal, en attribuant des «contrats fantômes» à des firmes d’armement. Mais arrestations et procès sur fond de rivalités politiques suffiront-ils à assainir un secteur gangréné de manière endémique par la corruption ?

En Guinée, un audit des marchés publics de l’État conclus en 2009 et 2010, sous les présidences Dadis Camara et Sékouba Konaté, diligenté en avril 2011 par le président Alpha Condé a révélé un scandale financier (doubles paiements, détournements, fraudes en tout genre) mettant en cause une partie de la hiérarchie militaire. Il s’agit de 617 contrats d’un montant équivalent à neuf cent quatre-vingt-quatre mille (984) milliards de francs CFA19. Cette boîte de pandore ouverte par Alpha Condé constituerait les mobiles possibles de l’attentat perpétré par certains officiers contre lui le 11 juillet 2011.

Certes, la corruption est universelle puisque selon l’ONG Transparency international, plus des deux tiers des pays dans le monde n’ont pas instauré les mesures de lutte anticorruption dans le secteur de la défense et de la sécurité20. Le coût global de la corruption y représente environ 1,3% des dépenses militaires21. (Naylor, 1998 et Tanzi, 1998) estiment que les dépenses pour les acquisitions d’armements sont constituées à 15% de pot-de-vin. Dans près de 70% des pays, les mesures de contrôle contre la corruption y sont inefficaces ou inexistantes, poursuit le rapport. Si quelques pays sont classés à « faible risque » (États-Unis, Royaume-Uni, Suède et Corée du sud) ou à « risque modéré » de corruption (France, l’Espagne, l’Italie et la Pologne), la plupart des pays africains sont classés dans le groupe « risque élevé ».

15 https://info.worldbank.org/governance/wgi/Home/Reports consulté le 4 novembre 2020 ;. 16 EIl n’existe pas de définition standard de la corruption dans la littérature. Elle revêt différentes formes (financier, matériel, entrave à la justice, extorsion, népotisme, trafic d’influence). Quoi qu’il en soit, la corruption peut généralement être décrite comme un abus du pouvoir public pour un bénéfice privé (Bardhan, 1999 ; et Tanzi, 1998) comprenant également des notions d’illégalité et ne se limitant pas seulement au secteur public (Gupta et al, 2000). La plus courante, celle de la Banque mondiale, la définit comme étant « l’abus d’une charge publique en vue d’obtenir un avantage privé ».17 « Afrique : ces armées qui souffrent de leurs hommes », site DW, Afropages, https://www.dw.com/fr/afrique-ces-armées-qui-souffrent-de-leurs-hommes/a-53562672 , consulté le 27 septembre 2020.18 « Lutte anticorruption dans l’armée: le Nigeria agit, mais peut mieux faire », in Magazine L’Union, Gabon, 15 juillet 2016 https://www.union.sonapresse.com/international/nigeria-armes-tribunal-securite-corruption-armee-lutte-anticorruption-dans-larmee-le-nigeria-agit-mais-peut-mieux-faire-13874 , consulté le 27 septembre 2020 à 23 h 02 19 « Guinée : l’armée, la corruption et les mobiles possibles de l’attentat contre Alpha Condé » par François Soudan, Jeune Afrique, août 2011. Site https://www.jeuneafrique.com/190730/politique/guin-e-l-arm-e-la-corruption-et-les-mobiles-possibles-de-l-attentat-contre-alpha-cond/ consulté le 12 octobre 2020.20 « La corruption dans le secteur militaire mal combattue », article consulté en ligne sur le site ce 27/09/2020 https://www.20minutes.fr/monde/1089381-20130129-corruption-secteur-militaire-mal-combattue , publié par Reuteurs, janvier 2013.21 idem

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A- Les forces armées face à leurs capacités de résilience

Dans le contexte démocratique, les questions de défense ne sont pas réservées aux seules armées, pas plus que les questions de sécurité aux seules forces de sécurité publique. Les administrations de la défense et de la sécurité, en s’insérant dans les réformes majeures qui décloisonnent les pouvoirs publics sont en synergie d’action avec les départements sectoriels de la justice, des affaires étrangères et des finances. L’un des enjeux majeurs pour les forces armées traditionnellement estampillées « grande muette » est donc de s’adapter aux principes de bonne gouvernance malgré leurs spécificités.

En effet, il semble être établi de plus en plus aujourd’hui, dans l’imaginaire collectif mais aussi à partir des faits, que l’Afrique serait malade de ses militaires22 non pas parce qu’intervenant encore de façon péremptoire dans le champ politique mais à cause de la pesanteur du « secret » et la tendance à l’opacité dans la gestion des deniers publics au sein de cette institution au regard de l’enjeu de la transparence. De 1960, année des indépendances africaines à 1990, début du processus de démocratisation des régimes, auteurs et autres politistes, se livrant à un panorama désenchanté, ont longtemps reproché aux forces armées africaines et à leurs chefs de se préoccuper plus de la prise de pouvoir que du bien-être de leurs peuples23. Si cette donne politique a évolué depuis trois décennies, nombre de récriminations sont faites aujourd’hui aux armées desquelles figurent la corruption, la concussion, les actes de prévarication et surtout le voile qui entoure les procédures de passation des marchés non seulement d’armements, de munitions et autres équipements spécifiques frappés du sceau « secret-défense » mais également de toutes autres acquisitions. Ainsi, dans une approche institutionnelle, les armées se retrouvent de plus en plus au centre des questions d’orientation de l’action publique et de la bonne gouvernance dans son aspect notamment économique. Il faudrait donc une dimension éthique intégrée aux modes de gestion nonobstant la spécificité de l’institution militaire.

Il devient nécessaire, pour les armées, tout en se conformant aux principes et normes de gestion des

ressources publiques, de se doter d’instruments juridiques spécifiques en matière de gouvernance publique afin de corriger la perception plus ou moins négative de l’opinion publique, des sociétés civiles, des médias. Aussi le renforcement des mesures de contrôle devient-il impératif. Ce contrôle devra s’exercer aux plans interne mais surtout externe.

En effet, au plan externe, les dispositions constitutionnelles prévoient le contrôle législatif (politique), le contrôle juridictionnel (cour des comptes ou chambre des comptes de la Cour suprême) et le contrôle citoyen (organisation de la société civile et médias) du secteur de la défense et de la sécurité, en vertu des principes de subordination des autorités militaires au pouvoir civil et de bonne gouvernance.

Pour une bonne application de ces dispositions légales et une meilleure efficacité dans le contrôle, il est indispensable que les parlements (membres de la commission de défense et de sécurité), les institutions (juges de la Cour des comptes ou de la chambre des comptes de la Cour suprême) et les organes de contrôle (inspecteurs de l’Inspection générale d’État) aient non seulement de bonnes connaissances des affaires militaires mais surtout une accessibilité aux informations fiables relatives à l’exécution du budget de la défense et autres dépenses militaires. Il en est de même pour les médias et la société civile. Nul doute, les forces armées s’y adapteront.

B- La transformation du cadre de gouvernance économique dans les forces armées

En abordant le principe de l’économie des moyens (l’un des trois principes de guerre) sous l’angle de la rationalité, c’est à une approche plus centrée sur la culture de l’efficacité qu’appelle la gouvernance des armées africaines et à une nécessaire soumission des dépenses militaires aux mécanismes légaux d’exécution des dépenses publiques avec, au besoin, des dérogations qui tiennent compte des spécificités du secteur de la défense et de la sécurité.

En effet, pour une perception positive de leurs actions, les armées devront parvenir à des transformations structurelles de l’intérieur, au regard de l’intérêt

II- NÉCESSAIRE CONTRÔLE DÉMOCRATIQUE DES FORCES DE SÉCURITÉ ET DE DÉFENSE ET ADOPTION DES INSTRUMENTS DE

COERCITION

22 Souka Souka, L’Afrique malade de ses militaires, Ed. L’Harmattan, Collection Études africaines, série Défense, Paris, 2020 23 Emile Ouédraogo, « Pour la professionnalisation des forces armées en Afrique », Rapport d’analyse n°6, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, Was-hington DC, juillet 2014

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légitime et croissant de l’opinion publique et des sociétés sur leurs modes de gestion des ressources que la nation leur consacre. Ces transformations conduiront à une rationalisation de l’outil de défense que sont les armées, ce qui revient à les adapter aux enjeux de la bonne gouvernance.

Facteur contribuant à l’efficience dans l’utilisation des ressources publiques par la qualité des dépenses, la focalisation sur un cadre de gouvernance basé sur les « best practice »24 (le Ghana constitue un exemple parmi les pays africains) contribuant à obtenir un niveau d’efficience élevé et la rationalisation des dépenses militaires par la gestion par objectif (Aizenman et Glick (2006) sont un faisceau d’actions susceptibles de contrebalancer les pesanteurs de la corruption systémique.

De même, une bonne gouvernance du secteur de la sécurité nécessite que, des mécanismes pour définir la politique sur la sécurité, identifier les besoins en matière de sécurité puis évaluer les façons appropriées de répondre à ces besoins, soient institutionnalisés. Pour les pays qui n’en disposent pas, il est essentiel que le législateur crée des normes et des mécanismes dans le sens de la promotion et de l’application des règles de droit par les acteurs des forces de défense et de sécurité.

Dès lors, les États, s’obligeant aux principes et règles de la démocratie, devraient pouvoir :

• renforcer le principe de contrôle par le biais de la législation ;

• mettre à la disposition du public des informations adéquates relatives au budget de la défense et de la sécurité et autres dépenses militaires ;

• institutionnaliser les mécanismes favorisant la transparence dans le fonctionnement du secteur de la sécurité (par exemple, limiter les conflits d’intérêt mettant en cause des institutions de sécurité étatiques, des sociétés écrans d’importations d’armements ou des acteurs de la chaîne des dépenses militaires;

• créer un environnement qui facilite l’action de la société civile et des médias. En définitive, au-delà de ces thérapies cathartiques, il revient aux gouvernants de s’attaquer aux causes des prévarications et au fléau de la corruption, qui d’ailleurs n’est pas le seul fait des prétoriens25. Loin s’en faut. Nul doute, la modernisation de l’outil de défense qui passe par la dotation des forces de défense et de sécurité en équipements performants, la garantie de meilleures conditions de travail et de vie, une nécessaire empathie de la société à l’égard de l’institution militaire et de ceux qui la composent, gage de leur meilleure insertion dans le tissu social constituent, sans ambages, des conditions essentielles pour le militaire africain de retrouver l’éthique. Les gouvernants devront s’y atteler par défi, tant en termes de « image building » que de moyens à consacrer à la défense et à la sécurité des nations.

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III- L’EXIGENCE DE LA BONNE GOUVERNANCE : L’EXEMPLE DES FORCES ARMÉES BÉNINOISES

24 Signifie « bonnes pratiques ». Ce sont des principes éthiques ci-dessous que doivent observer une organisation, une institution ou l’administration publique ou privée et qui concourent à la bonne gouvernance : l’intégrité (respect des lois et règles en vigueur), la reddition de comptes (traçabilité et résultats), la planification stratégique (assure le succès et la pérennité de l’institution), la transparence (sans stratagème), contrôle à postériori, etc…25 Métaphore pour désigner de façon péjorative l’armée ou des soldats, des troupes d’une garde souvent inféodée au régime; Voir SOUKA SOUKA, « L’Afrique malade de ses militaires », Ed. L’Harmattan, Collection Études africaines, série Défense, Paris, 2020

La bonne gouvernance étant devenue un concept dominant voire incontournable de la gestion des ressources publiques, aucun secteur d’activité de l’État ne saurait y échapper, même avec ses particularités. Toutefois, si les règles et principes sont acquises, c’est dans la pratique que des disfonctionnements apparaissent. Celle-ci varie d’un État à un autre et d’un secteur d’activité à un autre.

Au Bénin, les réformes du secteur de la sécurité et de la défense en matière de bonne gouvernance, sans être une simple conséquence des réformes institutionnelles

en cours depuis quelques années, sont la résultante d’une logique restructuration. Il est à noter que des Forces armées béninoises, au-delà de leurs capacités de résilience, se sont insérées depuis l’historique conférence nationale des forces vives de 1990, dans le nouvel environnement d’institutionnalisation de la bonne gouvernance notamment économique.

A- L’institution militaire au Bénin à l’image des autres corps d’État en matière de gestion des ressources publiques.

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progressive des eaux du lac Tchad sous l’effet du changement climatique, à laquelle s’est greffée une crise sécuritaire due à la présence et aux opérations du groupe terroriste Boko Haram dans cet espace.

2. La Covid-19, une crise à gérer par le Tchad engagé dans une opération militaire contreBoko Haram

Les premières attaques de Boko Haram contre des positions situées sur le territoire tchadien remontent à 2015, mais ce groupe constitue une menace sécuritaire évidente pour le territoire du lac Tchad depuis 2010 au moins. Dans la province du Lac, qui forme la partie tchadienne du territoire de cette mer intérieure, la crise sanitaire liée à la Covid-19 est donc venue s’ajouter à une situation de crise sécuritaire due à Boko Haram (Figure 3).

Malgré son caractère spécifique, le secteur de la sécurité et de la défense est soumis aux mêmes obligations légales que tous les autres secteurs d’activité de l’État qu’il s’agisse du mécanisme de la préparation, du vote, de l’exécution et du contrôle du budget de la défense et de la sécurité ou des procédures de passation des marchés publics. Aussi à l’instar de tous les autres ministères sectoriels, le ministère de la Défense nationale, après élaboration, exécute-t-il un plan de travail annuel dénommé « Plan de travail annuel du ministère de la Défense » assorti de revue semestrielle.

• Préparation, vote et exécution du budget de la défense nationale

Il ne nous paraît pas utile de s’attarder sur les étapes débouchant sur le vote du budget puisque celui de la défense nationale n’y a pas dérogé (arbitrage budgétaire-audition à l’Assemblée nationale). Comme il est de règle, après le vote et la promulgation de la loi de finances, le respect en gestion des autorisations parlementaires, ainsi que la qualité des dépenses font l’objet de nouvelles règles et modalités d’exécution édictées par le ministère de l’Économie et des Finances auxquelles sont tenues les institutions et les ministères sectoriels. Dès lors, toute dépense éligible au financement des crédits inscrits doit faire l’objet des procédures prévues à cet effet, y compris les dépenses liées à l’achat des matériels et équipements

spécifiques revêtant un caractère sensible ou secret.

L’exigence de la transparence budgétaire et la nécessaire qualité des dépenses axée sur des résultats se reposent sur une règlementation de qualité. Outre le respect des principes budgétaires et comptables et le respect des phases administratives d’exécution des dépenses publiques (engagement – liquidation – ordonnancement), le processus des dépenses a pour socle un cadre normatif qui regroupe l’essentiel des documents de base qui pour la plupart paraît annuellement. Outre la Loi organique relative aux lois de finances26, il existe une circulaire annuelle portant instructions et modalités d’exécution du budget de l’État, la Loi de finances, le Plan de Travail annuel et autres documents connexes. Aussi l’administration militaire, en tant que service publique bénéficiant de crédits budgétaires, est-elle tenue d’établir en début de gestion, un plan de travail annuel (PTA) suivi d’un plan de consommation de crédit (PCC) et de passation des marchés (PPM).

La transparence budgétaire évoquée ci-dessus se traduit par l’approbation et l’adoption de la loi n°2018-21 du 06 août 2018 portant règlement définitif du budget de l’État, gestion 2015 (dernière loi de règlement promulguée). Au terme de ladite loi, l’extrait des résultats de l’exécution du budget 2015 se présente ainsi qu’il suit :

26 Souka Souka, L’Afrique malade de ses militaires, Ed. L’Harmattan, Collection Études africaines, série Défense, Paris, 2020 27 Extrait de la loi n°2014-25 du 23 décembre 2014 portant loi de finances pour la gestion 2015.28 Extrait de la loi n° 2018-21 du 06 août 2018 portant règlement définitif du budget de l’État, gestion 2015.

Tableau 2 : Budget de l’État, gestion 2015 – Dépenses réparties (en millions de francs CFA)27

Tableau 3 : Approbation des ouvertures supplémentaires de crédits et des annulations de crédits constatées de la clôture à l’année budgétaire 201528

SectionInstitution de l’État et Ministères

Dépensesde personnel

Achat de biens et de

services

Dépenses de trans-

fert

Acquisitions et grosses répara-

tionsDépenses en capital Total par

section

22

Ministère de la

Défense nationale

44.661.339 5 815 527 393 325 1 172 846 1 717 451 0 53 760 490

Source : Extrait de la loi n°2014-25 du 23 décembre 2014 portant loi de finances pour la gestion 2015.

Source : Extrait de la loi n° 2018-21 du 06 août 2018 portant règlement définitif du budget de l’État, gestion 2015

SectionInstitution de l’État et Ministères

Totaldes crédits

ouverts

Total des crédits consommés

Crédits non consommés

Crédits à reporter

Crédits àannuler

Ouvertures com-plémentaires

22Ministère de la Défense nationale

52 919 735 628 53 864 948 586 1 209 167 294 - 1 209 167 294 2 154 380 252

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À l’analyse des données ci-dessus, on note que dans le secteur de la défense et de la sécurité, il n’y a pas un grand écart entre les prévisions et les autorisations accordées par l’Assemblée nationale et les dépenses effectives opérées par l’Exécutif, ce qui dénote bien non seulement d’une traçabilité des données de gestion mais d’une transparence budgétaire. Quid des procédures de passation des marchés ?

• Passation des marchés publics

Au Bénin, les dispositions de la Loi portant code des marchés publics29 sont applicables aux procédures de passation, d’exécution, de règlement, de contrôle et de régulation de tous les marchés passés par tous les ministères sectoriels y compris ceux de la défense et de la sécurité. Cependant, au titre des principes généraux, l’article 9 fait une dérogation au bénéfice des forces de défense et de sécurité en stipulant que « les dispositions de ladite loi ne sont pas applicables aux marchés de travaux, de fournitures, de services ou de prestations intellectuelles, lorsqu’ils concernent des besoins de défense et de sécurité nationale exigeant le secret ou pour lesquels la protection des intérêts essentiels de l’État est incompatible avec des mesures de publicité ». Ces mesures rejoignent si bien nos propositions quant à la transformation du cadre de gouvernance dans les forces armées, à savoir la nécessaire soumission des dépenses militaires aux mécanismes légaux d’exécution des dépenses publiques avec, au besoin, des dérogations qui tiennent compte des spécificités du secteur de la défense et de la sécurité.

S’agissant du cadre institutionnel, le ministère de la Défense nationale et celui de la Sécurité disposent, au terme de la loi susvisée et au même titre que les autres ministères sectoriels, des organes de passation des marchés. Il s’agit de la personne responsable des marchés publics (PRMP) chargée de conduire la procédure de passation jusqu’à la désignation de l’attributaire et l’approbation du marché définitif30. Celle-ci est assistée par la commission de passation des marchés publics (CPMP). De même, la loi prévoit des organes de contrôle et de régulation. Ainsi, en son article 14, il est créé, en application de la loi, une Direction nationale de contrôle des marchés publics (DNCMP) placée sous la tutelle du ministre en charge des finances. Elle est l’organe central de contrôle des marchés publics. Ses structures déconcentrées dénommées Cellule de contrôle des marchés publics (CCMP) sont représentées par un délégué qui siège dans chaque ministère sectoriel. Enfin, rattachée à la Présidence de la République,

l’Autorité de régulation des marchés publiques31 est l’organe de régulation de la commande publique. Elle est dotée de la personnalité juridique et jouit d’une autonomie administrative et financière.

Il est notable qu’en matière de commandes publiques, les acteurs de la chaîne des dépenses sont tenus de recourir aux indications de prix du répertoire lors de l’évaluation des dépenses liées aux commandes de biens, de services et travaux. Le Directeur de la Programmation et de la Prospective (DPP) et celui de l’Administration et des Finances (DAF) du ministère de la Défense doivent s’assurer que les évaluations des dépenses relatives aux activités inscrites dans le PTA sont faites sur la base des prix du répertoire. La Personne Responsable des Marchés Publiques (PRMP) est également tenue de s’assurer que les évaluations des commandes publiques à inscrire dans le Plan prévisionnel annuel de passation des marchés publics (PPAPMP) tiennent compte des prix du répertoire.

L’achat des matériels HCCA32 et des matériels et équipements majeurs des trois armées (Terre, Mer et Air) assuré par les deux organismes interarmées dédiés que sont la Direction du service de l’intendance des armées (DSIA) et la Direction du matériel des armées (DMA) repose essentiellement sur les procédures décrites ci-dessus.

À ce faisceau de dispositions légales en matière d’exécution du budget et passation des marchés, il faut ajouter des dispositions générales sur l’organisation du contrôle et de l’audit interne au sein de l’administration publique33.

B- Des mesures de contrôle interne et externe à triple niveau

Les activités de contrôle et d’audit internes sont supervisées, au sein de l’administration publique (ministère sectoriels et institutions), par des Comités Ministériels de Maîtrise des Risques34 et des Comités Ministériels d’Audit Interne35. Celui du ministère de la Défense nationale est rendu effectif au travers d’un arrêté et la création d’une cellule rattachée de promotion de l’intégrité et de lutte contre la corruption. Sa stratégie d’action, objet d’un séminaire tenu en septembre 2020 sur le thème « Indice du système national d’intégrité de la défense et les implications du contrôle financier dans les forces armées béninoises » repose sur un Plan d’action sectoriel de lutte contre la corruption36 et la définition de l’indice d’intégrité de la défense nationale.

29 Loi n°2017-04 du 19 octobre 2017 portant code des marchés publics en République du Bénin. 30 Idem, Article 10.31 Décret n°2018-223 du 13 juin 2018 portant attributions, organisation et fonctionnement de l’ARMP32 Habillement Couchage Campement Ameublement.33 Décret n°2018-396 du 29 août 2018 portant réorganisation des organes de contrôle de l’ordre administratif en République du Bénin.34 Idem, chapitre premier, article 6.35 Idem, chapitre 2, article 10.36 Au Bénin, c’est la loi n°2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes.

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Les autres éléments du contrôle interne comprennent l’ensemble des dispositifs formalisés et permanents existants et qui sont assurés par des structures à compétence nationale ou limitée. Ce sont : • les services de commissariat des trois armées qui exercent des contrôles de gestion financière, matérielle et comptable au niveau des corps de troupe ;

• la Direction du service de l’intendance des armées dont les prérogatives sont l’audit et l’inspection de la gestion des structures relevant de l’État-major général;

• l’Inspection générale des armées (IGA) à compétence nationale qui, annuellement exerce diversement des contrôles (opérationnel, logistique, gestion financière, matérielle et comptable) de toutes les structures sous tutelle du ministère de la Défense nationale.

Quant aux contrôles externes, les prérogatives ne sont que peu exercées par les organes et institutions de contrôle. Tel que prévu par les textes règlementaires :

Le contrôle administratif peut être assuré par :

• le Bureau d’Analyse et d’Investigation (BAI)37 rattaché directement à la Présidence dont l’une des missions est d’organiser et de superviser les missions d’audit ou d’investigation ordonnées par le président de la

République au niveau des administrations publiques (peu effectué) ;

• l’Inspection général des finances38, organe de contrôle à compétence nationale qui fait office d’inspection générale de ministère auprès de leur ministère de rattachement. Au titre de l’année 2019, neuf (09) rapports de vérification lui ont été transmis par le ministère de la Défense nationale39;

• le contrôle juridictionnel au travers de la Cour des comptes ou de la Chambre des comptes de la Cour suprême qui devrait juger les comptes des comptables publics, vérifier l’action des ordonnateurs et informer le Gouvernement et le Parlement de l’exécution du budget (peu effectué) ;

• le contrôle politique ou parlementaire visant à vérifier l’application des dispositions budgétaires (autorisations) ;

• le contrôle citoyen par l’organisation de la société civile (peu effectué) qui, par manque d’informations fiables laisse la place aux récriminations ;

• le contrôle des médias peu effectué en raison du manque de l’institutionnalisation de la communication de l’armée et d’une presse spécialiste des questions de défense et de sécurité.

CONCLUSIONDepuis la révolution libérale des années 1980, le concept de gouvernance appliqué au domaine public a pris toute sa place dans l’élaboration et le suivi des politiques économiques à l’échelle de l’État. Le secteur de la sécurité et de la défense, pilier de la stabilité et essentiel au développement économique s’en accommode malgré les insuffisances relevées et les vices qu’entraînent les pesanteurs de la corruption systémique. Au regard des questionnements qui entourent la gestion du secteur de la sécurité, notre étude a procédé à l’état de la gouvernance dans les armées africaines à travers le prisme de la gestion des ressources publiques confrontée à l’exigence de transparence.

En fonction des pays, il a été relevé des disparités notables relatives au cadre normatif d’exécution des dépenses militaires dans le secteur de la sécurité et de la défense en Afrique. Les pratiques en termes de gouvernance des armées ont révélé quelques cas de scandales financiers relayés par les médias ou la société civile des pays concernés. Cela implique un nécessaire contrôle démocratique des Forces de sécurité et de défense et l’adoption des instruments

de coercition qui oblige les armées à une résilience et à une transformation du cadre de gouvernance économique. L’exemple de gouvernance au sein des forces armées béninoises a constitué une illustration de cette capacité de résilience des armées malgré les pesanteurs de la corruption active.

Il est primordial que la « grande muette » en Afrique s’approprie la problématique de gouvernance établie par les théoriciens du développement, qu’elle approuve ou conteste la manière dont ceux-ci combinent les multiples dimensions de la gouvernance, le but étant d’améliorer l’efficience des dépenses militaires en lien avec celle-ci. Il ne s’agit pas de déconstruire, ni de galvauder, encore moins de remettre en cause les règles et principes de la gouvernance, mais de faire du secteur de la sécurité et de la défense un modèle.

Certes, des cas atypiques de gouvernance du secteur de la sécurité et de la défense en Afrique ont permis aux médias et aux sociétés civiles de douter de l’intégrité dudit secteur sans pour autant qu’une généralisation soit concevable. Les belles pratiques notées au sein de bien d’États sont à promouvoir.

37 Décret n° 2016-366 du 16 juin 2016 portant création, attributions, organisation et fonctionnement du Bureau d’Analyse et d’Investigation de la Prési-dence de la République. 38 Créée par décret n°93-45 du 11 mars 1993 relatif à ses attributions, son organisation et son fonctionnement.39 Extrait du Rapport annuel d’activités 2019 de l’Inspection Générale des Finances

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Textes et règlements

- Loi organique n°2013-14 du 27 septembre 2013 (LOLF).

- Loi n°2017-04 du 19 octobre 2017 portant code des marchés publics en République du Bénin.

- Décret n°2018-223 du 13 juin 2018 portant attributions, organisation et fonctionnement de l’ARMP ;

- Décret n°2018-396 du 29 août 2018 portant réorganisation des organes de contrôle de l’ordre administratif en République du Bénin ;

- Décret n°93-45 du 11 mars 1993 relatif à ses attributions, son organisation et son fonctionnement ;

- Rapport annuel d’activités 2019 de l’Inspection Générale des Finances ;

- Loi n°2014-25 du 23 décembre 2014 portant loi de

finances pour la gestion 2015 ;

- Loi n° 2018-21 du 06 août 2018 portant règlement définitif du budget de l’Etat, gestion 2015.

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Lack of integrity and transparency are noticed in all national defence systems in one form or the other. The Government Integrity Index of Transparency International UK reveals that the

corruption risk index in the defence sector of sub-Sahara African states is either high (Band D), very high (Band E), or Critical (Band F). This reveals that the African continent is a high-risk zone of corruption in the defence sector. Examining two case studies of arms scandal (in Niger and Nigeria), this paper advocates that arms procurement is the major window through which funds embezzlement and corruption in

the defence sector thrives. We argue that the absence of resilient Defence Industrial Bases in the continent creates room for an enormous dependency on the procurement of foreign arms. We, therefore, conclude by encouraging sub-Sahara African states to pursue defence industrialisation. We further outline the basic characteristics of a resilient Defence Industrial Base as a criterion for the reduction, to its barest minimum, of corruption in the Defence Sector of Sub-Saharan Africa.

C H A P I T R E VBUILDING INTEGRITY IN THE DEFENCE SECTOR OF SUB-

SAHARA AFRICAN STATES: THE CASE FOR RESILIENT NATIONAL DEFENCE INDUSTRIAL

BASES

Oyosoro, Felix Idongesit, PhDDepartment of International Relations

Obong University, Nigeria

ABSTRACT

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Le manque d’intégrité et de transparence est constaté dans tous les systèmes de défense nationaux sous une forme ou une autre. L’indice d’intégrité gouvernementale de Transparency International UK révèle que l’indice de risque de corruption dans le secteur de la défense des États d’Afrique subsaharienne est soit élevé (Bande D), très élevé (Bande E) ou critique (Bande F). Ce qui démontre que le continent africain est une zone à haut risque de corruption dans le secteur de la défense. En examinant deux cas d’études (au Niger et au Nigéria), ce document postule que l’achat des armes est la principale voie

par laquelle prospèrent les détournements de fonds et la corruption dans le secteur de la défense. Nous soutenons que l’absence de bases industrielles de défense résilientes sur le continent crée la possibilité d’une énorme dépendance vis-à-vis de l’achat d’armes étrangères. Nous concluons donc en encourageant les États d’Afrique subsaharienne à poursuivre l’industrialisation de la défense. Nous décrivons en outre les caractéristiques d’une base industrielle de défense résiliente en tant que critère de réduction, au strict minimum, de la corruption dans le secteur de la défense en Afrique subsaharienne

There is no simple definition that fully describes the concept of the defence industry. Traditionally, the in-dustry has been greatly influenced by two main factors: the uncertainty of strategic-military planning and the impact of new technologies. During the last decades, three additional factors had an effect on the scope and composition of the arms industry, these being: the unprecedented globalization of production and development of weapons systems; the emergence of dual-use technologies (with both civilian and military applications); and to a lesser degree, the tendency to outsource support tasks and services to the civilian sector, such as strategic lift or satellite imagery.

Lack of integrity and lack of transparency is found in all national defence systems. In the area of defence, this can result in a huge waste of resources, and, within countries where these malfunction peaks at high le-vels, to military forces, not in service to the national in-terest. There is much action today – much more than in previous years – to find constructive ways to over-come this problem nationally. Tackling this problem is not only in the interests of Defence establishments. Defence corruption is also an area of substantial com-mon importance to development organisations and practitioners. For developmental and governmental actors, the prime concerns are the adverse effects of defence corruption on the allocation of public re-sources, decreased investment in productive activi-ties, and reduced human security. These concerns find common ground in the areas of governance and management of public (defence) budgets, and the role defence corruption plays in the creation and mainte-nance of sustained networks of corruption that easily spill over across government and the region.

In sub-Saharan Africa (SSA) – and more broadly, the governments of most developing states – there are no authentic and/or effective popular legislatures, and there are essentially no oversight mechanisms that could constrain defence spending or regulate

arms acquisition standards. The governments’ de-cision-making processes in this regard, as in many others, remain opaque. In general, the perfuncto-ry and/or hand-picked assemblies of several African governments may offer input into social, cultural, or even economic affairs, but they have neither the in-formation nor the invitation to contribute their views on military-security matters. Ordinarily, as Jacob Zuma once noted, defence-related projects are “highly se-cretive and subject to no ministry of finance oversight or controls (BBC, 2018).”

The major corruption window in SSA is unveiled during the procurement of arms. The poor state and inexis-tence (in most cases) of indigenous defence industrial bases across the region paves the way for an active commercial engagement in arms buying. Arms procu-rement provides hundreds of thousands of jobs in the selling countries, generally in the North. In the buyer countries, most often in the South, weapons are used to dissuade potential adversaries or to wage wars. And to enrich the elites also because contracts for the sale of weapons traditionally give rise to considerable hidden commissions. Two factors justify the recurrent need for arms procurement in SSA: the unending state of regional insecurity and moribund or non-existent national defence industries.

This article attempts to show that a strong national defence industrial base in SSA states that can provide strategic autonomy and technological advantage - not just for security reasons, but also for economic ones – is the key to resolving strains of corruption in the defence. Regarding the defence company anti-corrup-tion index provided by the Defence and Security Pro-gram of Transparency International UK (TI), it is obser-ved that robust and resilient public firms have lower levels of firm-level corruption risk. Public defence firms are ranked in Bands A and B in the Transparency Inter-national 2015 report. This indicates that strong public defence firms pay closer attention to corruption risks.

RÉSUMÉ

INTRODUCTION

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The existing literature on the defence industry uses the phrase and concept of ‘defence industry’ inter-changeably, with it also applying to both the arms in-dustry and military industry. Two major approaches have traditionally dominated the development of arms industries: mercantilism and liberalism. Following the realist principles in international relations, mercanti-lism promotes state control and aims for autarky, or

self-sufficiency, in the defence industry. On the other hand, liberalism supports “free markets and compa-rative advantages” and consequently advocates for a limited intervention of the state (Banlaoi, 2009). Un-derstandably, these divergent points of view result in different strategies and priorities when defining the concept of defence industry.

Corruption in public procurement, which is a global phenomenon affecting countries at all stages of de-velopment, has tremendously negative effects, leading to projects which not only exploit taxpayers’ money or donated funds, but which may also pose a danger to the health and safety of users. Public procurement is particularly susceptible to corruption because of the vast sums of money governments spend on such pro-jects, the relatively high degree of discretion public officials and politicians typically have in such matters in comparison with other areas of public expenditure and the difficulty in detecting and investigating cases of corruption (Appolloni and Nshombo, 2014).

Specific examples of corruption in public procurement may be as varied as the procurements and individuals involved. Generally, corruption in public procurement may involve complicated procedures and detailed planning; technical complexities; numerous persons; and at times an international dimension. These cha-racteristics should be duly considered in detecting, preventing, and deterring corruption in public procu-rement.

In this part, we analyse two case studies where arms procurement has served as a major window for cor-ruption. This syphoned money is used for election funding (section A) and as a means of enriching the minority few political leaders (Section B).

A. Dasuki Gate: The Nigerian 2 billion US Dollar arms scandal

A handful of scholarly publications describes Nigeria as a neo-patrimonial state (Bratton & van de Walle, 1997); rentier state (Yates, 1996; Van Gool & Beekers, 2012); prebendal state (Joseph, 1987b); hybrid’ state (Erdmann & Engel, 2007); patron-clientelism (Smith, 2007); an ethnologically constructed state where eth-nic affiliation plays a major role in securing employ-ment, appointment, and contract (Willett, 2009). These theoretical provisions emphasise the use of public re-sources for personal accumulation; systematic control of power by the few powerful individuals; and the use of public funds for political legitimisation (Smith, 2007).

The existing evidence regarding the character of the Nigerian state demonstrates that corruption serves two crucial primary purposes: to preserve power through electoral manipulation and political patro-nage. Power preservation mechanisms include the allocation of government contracts and distribution of jobs to powerful individuals who have the capacity and strength to influence electorates and these strate-gies are employed to buy political support from the big men and political associates. The entrenchment of these social norms formed the basis of the Nigerian political economy.

Importantly, in this type of political environment, the President must ensure that the key political appoint-ments are allocated to his loyalists, ethnic cronies, and kinsmen so that the manipulation of state resources to maintain political power could be assured. To achieve this, the former President Goodluck Jonathan like other past Nigerian political leaders nominated along ethnic lines key leadership positions in the mili-tary, “the strategic posts of Chief of Army Staff (COAS) and National Security Advisor (NSA) were occupied by faces from areas which strongly support Jonathan.” “The appointment of Azubuike Ihejirika represents a major boost for the Igbo south-east and represents the region’s first top command appointment since the Biafra war. Similarly, the National Security Advisor (NSA), late General Andrew Azazi is from Jonathan’s home state of Bayelsa” (Kaplan, 2018, 20-23). It should be recalled that following the death of late General Andrew Azazi, Col. Sambo Dasuki was appointed to fill the vacuum. Therefore, the kinship and patronage po-litics continue to dominate the political atmosphere of every political regime which in turn fuelling the ember of corruption in Nigeria.

In the wake of the defeat of former President Goo-dluck Jonathan in the 2015 Presidential election, Pre-sident Muhammadu Buhari who took the mantle of leadership began to scrutinize the political conditions of the military procurement funds and general de-fence expenditure. The issue emerged in November 2015 when the Presidential constituted committee saddled with the responsibility of auditing arms pro-

I. ARMS PROCUREMENT AS THE MAJOR SPACE FOR DEFENCE CORRUPTION: STUDIES FROM NIGERIA AND NIGER

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curement since 2007 came up with its provisional re-port, detailing embezzlement and large-scale fraud in the general activities of the military, accredited to the former National Security Adviser (NSA), Col. Sam-bo Dasuki (Rtd), the report argues that out of 513 contracts awarded by the office of the NSA, there was no evidence for the delivery of 53 contracts, estimated at 2.1 billion US Dollars, including the purchase of 12 helicopters, Alpha Jets, as well as bombs and ammuni-tion. The report described the procurement as super-fluous as at the time the exercise was carried out. The report further established massive fraud and general irregularities in defence procurement, confirming that between September 2009 and May 2015, the Nigeria Air Force expended approximately 75 million US Dol-lars on the maintenance of Mi-24V/ 35P helicopters, C-130H aircraft and Alpha Jets. It was established that about 22 million US Dollars was allocated for contracts not executed. In their fact findings, the committee acknowledged a new form of corruption in the sector, involving diversion of funds allocated for the mainte-nance, renovation of barracks, and soldiers’ allowance by the commanding officers. Moreover, there were allegations that some military and naval officers colla-borated with the criminal syndicates in the Niger Delta in carrying out illegal bunkering, oil theft, and illegal oil refining operation (Crisis Group, 2016).

The nature of governance instituted on the principle of reciprocity that exists between patrons and clients

was observed in the 2015 arms procurement scandal, often referred to as Dasukigate, which interrogates the patronage politics at the expense of the larger population. The Dasukigate is one of the most com-prehensive and pejorative allegations in defence sec-tor. In furtherance of the findings, The EFCC began to investigate the pipeline through which the funds were distributed which was later discovered to be fa-cilitated through the financial institutions where some of the looted funds were transferred to the accounts of political big men and allies across the different ethnic groups within the country. The allotted funds were shared among the few political big men, allies, and associates (as shown in Table 1) with the aim of employing the funds to secure the support of politi-cal stakeholders within the People’s Democratic Party [PDP] for the 2015 Presidential election so that politi-cal continuity could be guaranteed (Vanguard News-paper, December 9, 2015). This event led to the arrest of former National Security Adviser [NSA], Col. Sambo Dasuki [Rtd] by the Economic and Financial Crimes Commission [EFCC]. He was grasped by the Economic and Financial Crimes Commission [EFCC] to answer some vital questions on the $2.1 billion arms deal scandal, no one knew that the names of high-profile politicians and military Generals were allegedly linked to this national embarrassment, who are in-turn ene-mies within the Nigerian state (BBC News, December 1, 2015).

Table 1: Names of political and military officers alleged of sharing arms procurement funds in Nigeria.

S/N Names of Looters Position Held Amount Embezzled1 Col. Sambo Dasuki (Rtd) Former National Security Adviser (NSA) 2.1 billion US Dollars2 Attahiru Bafarawa Former Sokoto State Governor N 4.6 billion3 Diezani Alison-Madueke Former Minister of Petroleum Resources 115 million US Dollars

4 Bashir Yuguda Former Minister of State for Finance N1.275 billion and N775 million

5 Chief Raymond Dokpesi Chairman emeritus of Daar Communications Plc N2.1 billion

6 Alhaji Aminu Babakusa Former General Executive Director at the Nigerian National Petroleum Corporation

(NNPC)N2.2 billion

7 Waripamowei Dudafa Former Special Assistant to President Goo-dluck Jonathan on Domestic Matters N10 billion

8 Femi Fani-Kayode Director of Publicity of the President Goodluck Jonathan campaign N840 million

9 Chief Olu Falae N100 million10 Rashidi Ladoja N100 million

11 Prof. Rufai Alkali Coordinator of the Goodluck Support Group (GSG) N320 million

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12 Patrick Ziadeke Akpobo-lokemi

Former Director-General of the Nigeria Maritime Administration and Safety Agency

(NIMASA)N2.6 billion

13 Bala James Ngillari Past governor of Adamawa State N450 million

14 Mrs. Esther Nenadi Usma Former Minister of State Finance and Director

of Finance of the Goodluck Jonathan Cam-paign Organisation

N2.5 billion

15 Emeka Mba Former Director-General of the Nigerian Broadcasting Commission (NBC) N17 billion

16 Chief Olisa Metuh Former National Publicity Secretary of the PDP N1.4 billion

Source: Ojo, Lamidi

Allegation of corruption in defence sector is not surprising. It has been observed that inadequate competition in defence procurement provides a fertile ground for informal contracts, rent-seeking, and corruption; consequently, burdening the nation’s economy (d ’Agostino, Dunne, & Pieroni, 2012). Two perspectives that should be considered in understanding defence corruption are the complexity and secretive nature of military procurement as well as bureaucratic sophistication which accommodates corruption tendencies within the security sector. For instance, “it will be recalled that the arms procurement audit revealed that Mr. Dasuki, and the other defence chiefs, purchased unserviceable and cheaper military equipment when they had budgeted for newer military hardware. They then diverted the leftover funds to their personal accounts” (Sahara Reporter January 17, 2016). Many of the contracts carried out in this sector were characterised by breach of extant procurement regulation and lack of due process (Sunday Times, July 15, 2016). The implication of this clandestine makeup in defence contracts that prohibiting freedom of information legislation and effective monitoring creates an environment for corruption in the military (Hudson & Jones, 2008). The monopolistic market environment also raises a mammoth challenge for arms procurement within the security sector (Hartely, 2017).

B. Overbilling, fictitious company and arms procurement: The Niger Republic Arms deal scandal

Niger is located at the heart of the Sahel and the region’s most violent conflicts. Crises in Libya, Mali, and Nigeria directly impact Niger’s internal security and present significant socio-economic challenges. This sense of insecurity in the country is reflected in

increased domestic demand for weapons, particularly for small arms for self-protection. At the same time, the difficulty of controlling the country’s vast desert territory and the absence of state control in several neighbouring border areas make the fight against trans-border insecurity highly challenging for the Nigerien authorities. Niger is particularly resonant given the country’s long-time role as an arms trafficking hub1.As militant groups spread across the Sahel, the West African nation of Niger went on a U.S.-backed military spending spree that totalled about US$1 billion between 2011 and 2019 (Anderson, Sharife, and Prevost, 2020). But almost a third of that money was funnelled into inflated international arms deals designed to allow corrupt officials and brokers to siphon off government funds, according to a confidential government audit: Rapport sur le contrôle à posteriori des marches publiques au ministère de la défense nationale, Niamey, 29 March 2019.

The Inspection Générale des Armées, an independent body that audits the armed forces of Niger, found huge irregularities with contracts amounting to over 320 million US Dollars out of the 875 million US Dollars in the military spending it reviewed. The audit, sent to the Presidency of the Republic of Niger, details, company by company, the contracts deemed fraudulent by the arms inspectors. In 2017, the Ministry of Defense, Kalla Moutari, signed a contract with Renault Trucks for the delivery of equipment worth 25 billion CFA francs, 2.5 billion of which were said to have been diverted. According to the present Nigerien Minister of Defense, Issoufou Katambé: «Soldiers are being killed on the front lines while businessmen and their accomplices lurk in the ministry are sweetening themselves» (Radio France International, February 2020).

Similar to the Nigerian scenario, the arms deal

1 Niger was a key transit point for notorious Ukrainian arms dealer Leonid Minin in the 1990s. He sent weapons from his base in Sharjah in the United Arab Emirates to Charles Taylor, a warlord who was fighting the government in Liberia, where he later became president. Minin’s planes brought attack helicopters, anti-aircraft guns, missiles, and over a million rounds of ammunition to Niger before sending them on to Liberia. The Russian arms dealer Viktor Bout also used Niger as a staging point to bring weapons into Liberia during its civil war. Known as the “Merchant of Death,” Bout is now in prison in the United States where he was convicted of supplying weapons to Colombian insurgents.

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corruption in Niger is tracked to be associated with politicians for election funding. Several businessmen and politicians close to the presidential movement were cited in the audit. These funds are siphoned in Niger through the creation of fictitious companies in free trade zones and so numerous key players in power in Niamey facilitate these procedures. Among them are the former Defence Minister Karidjo Mahamadou, who is said to have passed through Abdourahaman Manzo, an activist of the ruling party living in Brussels; the chief of staff of the President of the Republic Ouhoumoudou Mahamadou; General Ibrahim Wally

Karingama; and Aboubacar Hima Massi (Aksar, 2020).

In a market of 151 billion CFA francs, for example, 75% went to a single company, that of businessman Boubé Hima, alias «Petit Boubé» (Radio France International, February 2020). Except for Renault Trucks and Toyota, the 10 companies pinned down, with names as enigmatic as they are exotic, are well-known economic operators in the country, all close to the regime, and even to the President’s family. Table 2 illustrates in detail the individuals, companies, and institutions involved in the Nigeran arms scandal.

Table 2: Names of companies and individuals indexed in the arms procurement scandal in Niger

S/N Company/Individual Contract Year Country/

Portfolio Total Contract Overcharged Undelivered

1 Renault Trucks 2017 France 25,037,670,750 2,503,767,075

2Aboubakar Charfo (ETS

Charfo)2014-2018

Businessman and Politician/

Niger57,865,686,610 14,513,041,064 3,987,819,671

3Aboubacar

Hima (Brid A Defcon)

2015-2018Businessman and Politician/

Niger87,977,415,629 18,348,283,950 11,294,183,659

4Poly Technolo-gies Inc. (Zakou

Djibo)2015 Nigeran Politi-

cian/China 6,191,367,800 4,934,166,950

5Aerodynes (Aboubacar

Hima)2016

fictitious com-pany in a free

zone 999,737,504 999,737,504

6AreoNautic Services En-

gineering2017

fictitious com-pany in a free

zone880,000,000 880,000,000

7 Est Ukraine 2017fictitious com-pany in a free

zone250,0163,600 250,0163,600

8 Toyota Land Cruiser 2017-2019 Japan 17,182,500,000 4,352,000,000

9 Yancheng Gotye 2017-2018 China 5,142,290,000 1,569,000,000

10 MIM (Moutari Issa Moutari) 2018 Politician/Niger 5,193,000,000 3,626,390,000 400,000,000

11Equipment

MAT (Issa Baba Ahmed)

2018 Politician/Niger 7,218,247,400 3,583,290,000 207,900,000

12 ETS BIS (Ibra-him Salaou) 2018 Politician/Niger 5,702,557,500 2,341,750,000 93,890,000

Total 221,890,636,793 48,333,755,014 27,801,628,459Currency FCFA

Source: Author with data from Inspection Générale de l’armé (2020)

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II. NATIONAL DEFENCE INDUSTRIAL BASES AS A SOLUTION TO REDUCING DEFENCE SECTOR CORRUPTION

There have been significant shifts in the nature, scope, and workings of the defence industry in recent years. These shifts have to be understood within three contexts: changes in the international arms market; restructuring of the international defence industry; and the discourses accompanying these processes. These changes cannot be understood in terms of globalization, but rather are a complicated process of internationalisation, where companies remain wedded to their home countries but increasingly have joint ventures and other links abroad. With the concentration and growth of major defence companies, brokered and networked production has become pervasive.

Another discernible trend is that new generation defence conglomerates are becoming more like non-defence companies and are increasingly influenced by financial capital markets. In both developed and developing countries, the ‘military-industrial complex’ is reconstituting itself in more informal and less visible forms. As part of this process, the larger companies have found new ways to influence governments. This has clear implications for any country with defence industry, as it implies that a comprehensive Defence Industrial Base (DIB) is impossible to maintain. For relatively small economies, the only possible future lies in becoming a niche producer.

A standard argument is that defence industries are vital to national economies; however, a growing body of research suggests that military spending has essentially adverse macroeconomic effects. Increasingly too, defence companies are more reliant upon exports and use economic arguments to justify them. Nevertheless, arms exports are subsidised heavily by the government and the economic benefits are not clear. As shown in our Part I, the importation of arms has paved the way for high-level corruption and embezzlement of state funds, in most cases, with the government playing sometimes major, other times passive roles. In the bid to show that the establishment, revitalisation, and maintenance of a robust national DIB is a prerequisite to reducing to its barest minimum the level of corruption in the defence sector, we demonstrate the utility of the Defence Industrial Base for sub-Sahara African countries (Section A). After which we elaborate on the mechanisms and fundamentals required of a Defence Industrial Base for the reduction of funds embezzlement and corruption in the African defence sector (Section B).

A. The relevance of the defence industrial base in sub-Sahara Africa

A state’s armaments and weapons base are a cause of nationwide contentment. It is an entrenched component of the usual notion of state defence that deals with a country’s capability to protect itself. The government of every country is tasked with the responsibility to protect and ensure the safety of the citizenry within the territory of each state. “From the annals of history, it has been discovered that states are tested by their ability and readiness to respond to security pressures emanating from the interior and outside its borders” (Oyosoro, 2019). Thus, the ability of a state to guarantee an atmosphere of peace, stability, and development within its territory depends largely on the efficient measures put in place to prevent and respond to the sources of threats that can endanger the lives, values, and assets of the citizens.

The reliance of most African states on foreign suppliers and vendors of its military hardware requirement has come under serious challenges in recent times due to the scarcity of foreign exchange and political restrictions abroad. The economic challenges facing the country make it difficult to source foreign currency for military equipment procurement. The high exchange rate of the continental currencies to the supplier countries makes foreign procured equipment very expensive. Additionally, these procurements have become a great source of corruption and embezzlement of public funds by the government, private defence companies, and individuals both from the demanding and supplying countries. Sub-Sahara African countries, except South Africa, have always procured arms (Table 3) and have never exported arms (Table 4). This shows a huge deficit in the consumer industrial sector in Sub-Saharan Africa. This is more of a problem because Arms procured from abroad play an important yet ambiguous role in the peace and security of sub-Saharan Africa. In some cases, they fuel the many conflicts that afflict the region; in others, they are used for legitimate defence or by multilateral peace operations. The widespread concerns about the risks of arms transfers to sub-Saharan Africa and elsewhere have resulted in regional and global discussions about the need for regulation; of these, the efforts to agree on an international arms trade treaty (ATT) are the most prominent.

The motivations for domestic defence production are to reduce dependence on outside arms suppliers which in the case of sub-Saharan Africa, will result in a drastic reduction of arms procurement corruption and misappropriation of state funds. Other motivations include; to enhance a nation’s status in the international community, to facilitate the transfer of technology, and, over time, to gain economically. South Africa’s stated goal in developing its defence industry in the

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early 1960s was to provide the country with a reliable source of arms after its increasing isolation from the world as a result of its apartheid policies (Brauer, 2002). After the emergence of a new political order in 1994, following the election of an ANC led government, and the lifting of the UN arms embargo, the defence industry underwent substantial restructuring with the new government struggling to justify maintaining the existence of the industry. Eventually, the justification focused on trade, economics, and employment maintenance and creation. (Batchelor and Willett 1998). Brazil built a defence industry for national security to enhance its ambitions both as a regional and global power (Perlo-Freeman, 2002) and as a pre-emptive strategic move (Brauer 2002).

Since arms are not regarded as a purely commercial good, their production in developing countries is not governed solely by the economics of comparative advantage. A strategic motivation behind the creation of military industry is to reduce the dependence on unreliable or potentially unreliable, sources of arms. In fact, industrial development, job creation, and export opportunities provide marginal benefits over marginal costs. Ideally, the defence industry would promote the development of human capital and prevent the emigration of skilled labour. The creation of a military industry would also promote the development of a civilian industry by providing backward linkages into the economy for support industries and forward linkages by feeding into downstream industries. Offset deals, co-production, and license agreements with foreign producers would promote technology transfer from more technologically advanced nations. Ideally,

the country would improve its balance of payments by import substitution industrialisation, substituting the imports of arms for those locally produced, and by exporting to foreign markets, thus saving foreign currency.

Although there are many hidden costs in defence production. Arms exports and industries are often subsidised by governments. The subsidies conceal the true cost of the transactions. Through decrees and laws, the state fixes the regime of war materials, weapons, and ammunition subject to authorisation and controls the manufacture and the trade (procurement) of war materials (Moura, 2001, 2). As a result, the agenda for investments in military R&D and their profitability are conditioned on public decisions. These decisions oscillate between economic principles of demand and supply and hard power prerogatives of the safeguard and control of internal security.

Krause (1992) enumerates a process, an eleven step “ladder of production,” by which a developing country would progress from an arms importer to a fully independent arms producer (Table 5). Krause explains such models as being descriptive of the evolution, rather than the linear progression, of the defence production process. Brauer (2002) points out that some countries may choose to enter into the defence production industry at entry points beyond stage one. Besides, some countries may choose to focus on different entry points for different arms. He distinguishes between complete weapons systems production and weapons modules development.

Table 3: Trend Indicator Values (TIVs) expressed in millions of arms exports to selected sub-Saharan Africa States 2010-2019

COUNTRY 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 TOTALAngola 31 2 47 142 108 270 166 767

Benin 0 0 20 2 22

Came-roon 10 9 139 122 9 20 8 2 15 334

Chad 38 1 4 59 58 1 2 6 3 1 173

DR Congo 151 10 1 2 43 208

Ethiopia 54 76 193 153 33 10 5 1 10 71 606

Ghana 2 76 39 63 14 13 22 0 4 235

Kenya 116 14 62 1 17 30 29 16 5 32 321

Niger 0 0 13 4 9 3 3 32

Nigeria 188 62 30 30 218 186 50 41 49 30 883

Senegal 4 20 5 7 16 40 47 12 31 182

South Africa 180 212 132 2 50 2 578

TOTAL 743 461 499 499 525 325 353 230 351 353 4341

Source: SIPRI Arms Transfers Database, Generated: 23 October 2020 (http://www.sipri.org/databases/armstransfers/sources-and-methods/)

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Table 4: Trend Indicator Values (TIVs) expressed in millions of arms exports from selected sub-Saharan Africa States 2010-2019

Table 5: Steps for a developing nation in defence production

Source: SIPRI Arms Transfers Database, Generated: 23 October 2020 (https://armstrade.sipri.org/armstrade/html/export_values.php)

Source: Krause (1992)

COUNTRY 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 TOTALAngola - - - - - - - - - - -Benin - - - - - - - - - - -Came-roon - - - - - - - - - - -

Chad - - - - - - - - - - -DR Congo - - - - - - - - -- -Ethiopia - - - - - - - - - - -Ghana - - - - - - - - - - -Kenya - - - - - - - -- - - -Niger - - - - - - - - - - -Nigeria - - - - - - - - - - -Senegal - - - - - - - - - - -South Africa 197 345 218 347 163 101 479 751 1066 688 4356

TOTAL 197 345 218 347 163 101 479 751 1066 688 4356

STEP 1 The Capability of performing simple maintenanceSTEP 2 Overhaul, refurbishment, and rudimentary modification capabilitiesSTEP 3 Assembly of imported components, simple licensed productionSTEP 4 Local production of components or raw materialsSTEP 5 Final assembly of less sophisticated weapons; some local component production.STEP 6 Co-production or complete licensed production of less sophisticated weaponsSTEP 7 Limited R&D improvements to local license-produced arms

STEP 8 Limited independent production of less sophisticated weapons; limited production of more advanced weapons

STEP 9 Independent R&D and production of less sophisticated weaponsSTEP 10 Independent R&D and production of advanced arms with foreign componentsSTEP 11 Completely independent R&D production

B. Transparency and Integrity as core elements of Resilient Military Industrial Base for sub-Saharan Africa

In contrast with other industrial sectors, the national defence equipment market is a monopsony in the sense that the state is legally the sole customer of the armaments industries. The state thus exercises an administrative regulation of policies and strategies on the arms production system (Hébert, 1995). As a

result, just like the agenda for military investments and their profitability conditions are conditioned by public decisions, the decisions, will, and framework for establishing integrity in the defence institutions in general and the defence industry in particular reposes on public choices. The Government Defence Integrity Index (GDI) which assesses the quality of institutional controls to manage the risk of corruption in defence and security institutions shows that sub-Sahara African countries risk of integrity is either in Band D (High), E

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(very high), or Band F (critical) as illustrated in Table 6. This further explains our narrative in the first part of this paper but also depicts the heightening curve of corruption risks in government defence institutions in sub-Sahara Africa.

Building Integrity is not only of great importance but also of great value as an essential pathway towards good governance in security and defence. Building Integrity is a vital building block for any state or institution striving towards an accountable, transparent, and effective defence and security sector. Corruption acts as a significant obstacle to the development, security, and stability of modern societies. Corruption decreases trust in public institutions and undermines the effectiveness of the armed forces. Security sector corruption extorts a high price from other sectors of public life. Corruption diverts funds from the national budget, preventing investment in education, healthcare, innovation, and development. Corruption

also reduces the operational effectiveness of the military and undermines national defence capacity (DCAF, 2015, 2).

In sub-Saharan Africa – and more broadly, the governments of most developing states – there are no authentic and/or effective popular legislatures, and there are essentially no oversight mechanisms that could constrain defence spending or regulate arms acquisition standards. The governments’ decision-making processes in this regard, as in many others, remain opaque. In general, the perfunctory and/or hand-picked assemblies of several African governments may offer input into social, cultural, or even economic affairs, but they have neither the information nor the invitation to contribute their views on military-security matters. Hence, for the defence industry to be beneficial and play a role in curbing corruption, the public policy ought to oscillate around six fundamental principles as illustrated in Table 7.

Table 6: Government Defence Integrity Index (GDI) 2015

BANDS COUNTRY

BANDE D (High)Benin Cape Verde TunisiaGhana Kenya South Africa Namibia

BANDE E(Very High)

Botswana Burundi RwandaComoros Ethiopia Senegal; The Gambia Liberia Sierra LeoneMadagascar Malawi Swaziland Mali Mozambique TanzaniaNiger Nigeria UgandaRepublic of Cote d'Ivoire Zambia

BANDE F (Criti-cal)

Algeria Equatorial Guinea; Libya; Burkina Faso Eritrea MauritaniaCameroon Egypt Morocco; Central African Republic; Guinea-Bissau; Guinea SomaliaCongo, Rep. Gabon South Sudan; Democratic Republic of the Congo

Chad Sudan

Zimbabwe

Source: Transparency International UK (2015).

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Table 7: Basic Principles for a Resilient Defence Industry

Source: Bonime-Blanc, (2011)

Principle 1 A Written Code of Business Ethics and Conduct.

The need for a written code of conduct that provides a clear overview of business conduct expectations.

Principle 2 Employees’ Ethical Responsibilities. The need for employees to undertake training and educa-tion about business conduct policies and procedures.

Principle 3 Corporate Responsibility for Em-ployees.

Companies need to encourage employees to report alle-gations and violations internally without fear of retribu-tion.

Principle 4 Corporate Responsibility to the Government.

The need for self-governance through monitoring of systems and procedures regarding federal procurement compliance and self- reporting of violations to the govern-ment.

Principle 5 Corporate Responsibility to the Defense Industry.

Sharing of best practices and implementation principles with others in the defense industry through best- practice forums.

Principle 6 Public Accountability. Accountability to the public through periodic reporting of

results.

CONCLUSIONThere are two dimensions of the activities of government when we consider defence: the policy dimension, which is usually conceptualised as strategic in nature; and the decision dimension, relating to the particular activities that are being undertaken, usually as a response to the deliberate policy. The policy dimension is concerned with the generation of military effect principally as a consequence of a formal strategy and planning process. Policy choices usually carry with them implications relating to the use of public and other scarce resources and can inform industrial investment decisions. In contrast, the decision dimension refers to activities related to the creation of forces ready to act within various time scales and the immediate, often tactical decisions taken by military commanders, and by executives within the industry space and officials within the MoD and enabling support echelons. An accumulation of tactical decisions can generate an emergent strategy at the policy level, rather than the deliberate strategy intuitively associated with the policy dimension.

Building Integrity (BI) is not only of great importance but also of great value as an essential pathway towards good governance in security and defence. Building Integrity is a vital building block for any state or institution striving towards an accountable, transparent, and effective defence and security sector. With this paper, we have demonstrated how corruption in the defence sector in Sub-Saharan Africa oscillates within the prerogatives of procurement. We have also suggested that African states develop and strengthen their military capabilities through resilient defence industrial bases. Notwithstanding this fact, there is also a path to reflect on the regional security sector and proffer some reflections on the capacity in building a regional defence industrial base just like their European counterparts who have developed a long-term plan for the European Defence Industrial Base.

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AVANT-PROPOS .................................................................................................................................................................5

EDITORIAL ............................................................................................................................................................................7

NOTES BIOGRAPHIQUES ............................................................................................................................................... 11

INTRODUCTION ............................................................................................................................................................... 13

CHAPITRE I

GESTION DES FONDS ISSUS DES OPÉRATIONS DE PAIX ET RELATIONS ENTRE ACTEURS AU SEIN DE LA HAUTE ADMINISTRATION DE L’ÉTAT AU BÉNIN :

ESSAI D’ANALYSE SOCIOLOGIQUE D’UNE OPACITÉ FONCTIONNELLE ............................................17

Introduction ...................................................................................................................................................................... 18

Conclusion ......................................................................................................................................................................... 32

Bibliographie ..................................................................................................................................................................... 33

CHAPITRE II

QUÊTE DE TRANSPARENCE DES ONG DANS LE SECTEUR DE LA SÉCURITÉ AU NIGER :

BRISER CONTINUELLEMENT LE PLAFOND DE VERRE .......................................................................35

Introduction ...................................................................................................................................................................... 36

I-RÉFUTER L’IMPOSSIBLE TRANSPARENCE DU SECTEUR DE LA SÉCURITÉ ............................................. 37

a) ONG et discours sur la transparence du secteur de la sécurité. ........................................................... 37

b) Mobilisation sur le pavé, mobilisation sur la toile ...................................................................................... 37

II-LES OBSTACLES ET LE PRIX DE LA QUÊTE DE TRANSPARENCE DANS

LE SECTEUR DE LA SÉCURITÉ. ................................................................................................................................... 39

a)-Les obstacles à la quête de la transparence dans le secteur de la sécurité. ...................................... 39

b)-Le prix de la quête de la transparence.l ....................................................................................................... 40

Conclusion ......................................................................................................................................................................... 42

Bibliographie ..................................................................................................................................................................... 43

CHAPITRE III

LA RÈGLE DE L’EXCEPTION : RÉFLEXIONS SUR LE RÉGIME SPÉCIAL ACCORDÉ AUX MARCHÉS SPÉCIAUX DE LA DÉFENSE PAR LE CODE DES MARCHÉS PUBLICS AU CAMEROUN ........................ 45

Introduction ...................................................................................................................................................................... 46

I- LES MARCHÉS SPÉCIAUX DE LA DÉFENSE, DES MARCHÉS CONSACRÉS À LA STRATÉGIE GLOBALE DE SÉCURITÉ NATIONALE.......................................................................................................................................... 37

1- La politique d’achat de l’équipement de la défense, une politique soumise à la connaissance des acteurs difficilement identifiables et aux modalités secrètes. ..................................................................... 48

2- Le matériel de guerre, un matériel mis à l’abri des potentiels ennemis de la nation ...................... 49

II- LES MARCHÉS SPÉCIAUX DE LA DÉFENSE, DES MARCHÉS À PROCÉDURE EXCEPTIONNELLE, NON CONCURRENTIELLE ET SOUMIS À L’APPRÉCIATION DISCRÉTIONNAIRE DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE ................................................................................................................................................................... 50

TABLE DES MATIERES

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1- Les conventions de prêts, procédures spéciales consacrées pour l’achat de l’équipement

de guerre ................................................................................................................................................................... 52

Conclusion ......................................................................................................................................................................... 55

Bibliographie ..................................................................................................................................................................... 56

CHAPITRE IV

ARMÉE ET GOUVERNANCE PUBLIQUE : L’EXIGENCE DE TRANSPARENCE FACE À LA SPÉCIFICITÉ DE L’INSTITUTION MILITAIRE AU BÉNIN ....................................................................................................... 59

I- ÉTAT DE LA GOUVERNANCE DANS LES ARMÉES AFRICAINES : LA GESTION DES RESSOURCES PUBLIQUES À L’ÉPREUVE DES EXIGENCES DE LA TRANSPARENCE ........................................................... 61

A- Des disparités notables relatives au cadre normatif d’exécution des dépenses militaires9 dans le secteur de la sécurité et de la défense en Afrique ......................................................................................... 61

B- Que nous enseigne la pratique de la gouvernance au sein des forces armées africaines ? .......... 62

II- NÉCESSAIRE CONTRÔLE DÉMOCRATIQUE DES FORCES DE SÉCURITÉ ET DE DÉFENSE ET ADOPTION DES INSTRUMENTS DE COERCITION ............................................................................................ 64

A- Les forces armées face à leurs capacités de résilience .......................................................................... 64

B- La transformation du cadre de gouvernance économique dans les forces armées........................ 64

III- L’EXIGENCE DE LA BONNE GOUVERNANCE : L’EXEMPLE DES FORCES ARMÉES BÉNINOISES 65

A- L’institution militaire au Bénin à l’image des autres corps d’État en matière de gestion des ressources publiques. ............................................................................................................................................ 65

B- Des mesures de contrôle interne et externe à triple niveau. ................................................................. 67

Conclusion ......................................................................................................................................................................... 68

Bibliographie ..................................................................................................................................................................... 69

CHAPITRE V

BUILDING INTEGRITY IN THE DEFENCE SECTOR OF SUB-SAHARA AFRICAN STATES: THE CASE FOR RESILIENT NATIONAL DEFENCE INDUSTRIAL BASES ............................................................................ 71

RÉSUMÉ ............................................................................................................................................................................. 72

INTRODUCTION ............................................................................................................................................................... 72

I. ARMS PROCUREMENT AS THE MAJOR SPACE FOR DEFENCE CORRUPTION: STUDIES FROM NIGERIA AND NIGER .................................................................................................................................................. 73

A. Dasuki Gate: The Nigerian 2 billion US Dollar arms scandal. .................................................................. 73

B. Overbilling, fictitious company and arms procurement: The Niger Republic Arms deal scandal. . 75

II. NATIONAL DEFENCE INDUSTRIAL BASES AS A SOLUTION TO REDUCING DEFENCE SECTOR CORRUPTION ................................................................................................................................................................ 77

A. The relevance of the defence industrial base in sub-Sahara Africa. ..................................................... 77

B. Transparency and Integrity as core elements of Resilient Military Industrial Base

for sub-Saharan Africa ........................................................................................................................................... 79

CONCLUSION ................................................................................................................................................................... 81

REFERENCES ..................................................................................................................................................................... 82

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NOTES

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