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Université Lumière Lyon 2 Institut d'Études Politiques de Lyon La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problème public LORANS Bérengère Mémoire de 4 ème année Séminaire Politiques publiques et gestion des risques Sous la direction de Mme Gwenola Le Naour (Soutenu le 1 er septembre 2011)

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Université Lumière Lyon 2Institut d'Études Politiques de Lyon

La gestion des algues vertes en Baie deSaint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaired’un problème public

LORANS BérengèreMémoire de 4ème année

Séminaire Politiques publiques et gestion des risquesSous la direction de Mme Gwenola Le Naour

(Soutenu le 1er septembre 2011)

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Table des matièresRemerciements . . 5Introduction . . 6

Intérêt du sujet . . 6Problématique . . 8Hypothèses . . 10Méthodologie . . 15

I- De l’arrangement local à l’action collective : la reconnaissance tardive du phénomènedes marées vertes . . 18

A) Le déni collectif : la non-publicisation de la prolifération des algues vertes . . 18Les marées vertes n’existent pas… . . 18La négation du risque sanitaire . . 19

B) L’action contestée des pouvoirs publics . . 21La persistance du phénomène malgré de multiples plans d’actions . . 21« Faire de la brume » autour du phénomène : l’absence de mesures concrètes. . 23

C) Déchirer le voile du silence. La stratégie collective des associations de défense del’environnement. . . 28

Le tournant des années 2000 : une situation devenue insupportable . . 28Marées vertes et naissance d’un mouvement social . . 30

Conclusion . . 18II- Lutter contre les marées vertes : quand la pollution d’origine agricole devientdangereuse pour l’homme . . 35

A) Du problème de l’eau à celui de l’agriculture . . 35Les marées vertes : un problème environnemental . . 35Les excédents d’azote mis en cause ? . . 36

B) Impulser des changements dans le modèle de développement économique breton . . 39Le poids de l’industrie agroalimentaire . . 40Les algues vertes : conséquences directes des politiques agricoles passéeset présentes . . 42

C) Vers une reconnaissance du risque sanitaire ? . . 46Faire face à une deuxième campagne de déni . . 46La reconnaissance du risque sanitaire, « clé de voûte » du combat associatif . . 48

Conclusion . . 35III- Le plan Algues vertes, vers une prise en charge définitive et territorialisée duproblème ? . . 53

A) Des initiatives conjointes pour lutter contre les algues vertes . . 53Les origines du Plan algues vertes : la saillance du risque sanitaire . . 53Une démarche d’appels à projets territoriaux . . 55

B) Le retour des blocages récurrents et de l’immobilisme ? . . 59L’avis du Comité Scientifique face à une ambition jugée insuffisante. Véritable« coup d’arrêt » pour la profession agricole. . . 59

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La mise en œuvre d’une gestion préventive des marées vertes freinée par lepoids des tensions locales . . 62

C) L’été 2011 : un tournant pour la Baie de Saint-Brieuc ? . . 65L’adoption du nouveau projet de territoire à très basses fuites d’azote etl’émergence d’un compromis . . 65Au-delà du volet préventif, une gestion curative toujours difficile face à laprolifération massive des algues vertes . . 69

Conclusion . . 53Conclusion . . 73

La gestion chaotique des algues vertes . . 73Les limites inhérentes à l’enquête de terrain . . 75

Bibliographie . . 77Ouvrages . . 77Articles de presse . . 78Rapports / documents officiels . . 79Plan Algues vertes et autres plans d’action . . 80Quelques sites Internet . . 80

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Remerciements

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RemerciementsA l’issue de ce travail, je tiens à remercier l’ensemble des personnes qui ont participé à sonélaboration.

Madame Le Naour, directrice du mémoire, pour son aide, ses conseils et sa rigueur,indispensables au cheminement et à la construction de ma réflexion,

Madame Dourlens, Présidente du jury, pour le temps consacré à la lecture et à l’évaluationde mon travail,

Les différentes personnes que j’ai rencontrées lors de mes entretiens, qui m’ont apporté leurconnaissance du dossier, leur expérience de terrain, tout en me faisant découvrir les difficultés maiségalement les richesses de ce type de travail,

Enfin, les nombreuses personnes qui m’ont entendu parler des algues vertes tout au long del’année et qui m’ont elles-mêmes accompagnée dans la bonne réalisation de mon travail, en meconservant des articles de presse ou en m’informant d’un évènement présent ou passé qui auraitpu m’échapper.

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Introduction

L’ancien Président de l’association Halte aux marées vertes, militant écologiste, se désolaità la mi-avril d’avoir déjà ramassé les premières algues vertes sur les plages de la Baiede Saint-Brieuc, malgré l’absence de précipitations. En effet, tout le monde dans la régionespérait que la situation serait la même que celle de l’été précédent : peu de précipitationsen avril-mai, limitant ainsi le transport des nitrates vers la mer.

Le journal Ouest France des 14 et 15 mai 2011 titrait ainsi « Le retour des algues vertes

est toujours préoccupant » 1 . Malgré les plans d’action, la situation des plages de la Baiedépend chaque année de la pluie et des quantités de nitrates contenues dans les rivières.

La gestion des algues vertes dans la Baie de Saint-Brieuc consiste à faire face auphénomène des marées vertes, en limitant ses manifestations et ses impacts, dans le cadrede contraintes politiques, économiques et naturelles particulièrement importantes.

Intérêt du sujetDepuis les années 1970, les plages bretonnes sont constamment envahies par les alguesvertes. La Baie de Saint-Brieuc est particulièrement touchée par ce phénomène. En effet,les apports en sels nutritifs (azote et phosphore notamment) sont excessifs en sortie descours d’eau des bassins de la baie. Cela s’explique notamment par le fait que plus de lamoitié de la production française de volailles et de porcs est concentrée sur la moitié dela Bretagne (nord-Finistère et nord des Côtes d’Armor)2. La faible profondeur de la baiefavorise également la croissance des algues alors que le renouvellement lent de la massed’eau côtière ainsi que les courants de marée et la houle permettent leur accumulation. Leterme de « marée verte » est couramment utilisé pour décrire le phénomène, en référenceaux marées noires, véritables fléaux qui ont touché les côtes bretonnes à plusieurs reprises.

Depuis les années 1980, ce phénomène fait l’objet de différents plans d’action auxobjectifs divers, notamment le programme PROLITTORAL en 2002 et, dernier en date,le Plan algues vertes de 2010. Des programmes plus locaux ont également vu le jourde façon épisodique. Par exemple, dans les années 1990, le Conseil Général des Côtesd’Armor encouragea la réalisation d’études de compréhension et de suivis du phénomènede prolifération des algues vertes.

Cet historique est également jalonné par divers « scandales » liés aux décès suspectsd’hommes ou d’animaux sur les plages envahies par les algues. C’est d’ailleurs dans cecadre que des rencontres scientifiques s’organisent afin de mettre en évidence la toxicitédes algues, notamment lors de leur putréfaction, en raison de l’émanation d’hydrogènesulfuré.

1 CHAUPITRE Marie-Claudine, DESILLE David et KIESEL Anne, « Le retour des algues est toujours préoccupant », OuestFrance, 14-15 mai 2011.2 Entretien 2. Représentant d’Eaux et Rivières de Bretagne au SAGE de la Baie de Saint-Brieuc.

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Introduction

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Face à cela, ce sont plusieurs associations qui se créent ou se réorganisent pourdénoncer le problème. Ainsi, en 2004, Halte aux marées vertes, Eau et rivières de Bretagne,De la Source à la mer et Sauvegarde du Trégor portent plainte contre l’Etat, qu’elles estimentresponsable du problème en raison de son inaction. En effet, depuis les années 1980, lespouvoirs publics interviennent de façon épisodique sur le dossier. En 1981, le Ministre del’Environnement se rendait à St-Michel-en-Grève pour constater l’ampleur des dégâts. En2009, c’est François Fillon et Chantale Jouanno qui se déplacent sur les plages bretonnespour annoncer un nouveau plan d’action suite à la mort d’un cheval sur la plage de St-Michel-en-Grève.

D’autre part, les agriculteurs sont rapidement pointés du doigt par les associationsde sauvegarde de l’environnement. Ainsi, les quantités d’azote disponibles à partir duprintemps dans les rivières sont déterminantes sur l’ampleur des marées vertes. Or, 66%des nitrates des eaux continentales proviennent de l’épandage d’engrais azoté et de lisierpar les agriculteurs. Durant la période de l’après guerre, dans un objectif d’autosuffisancealimentaire et d’exportation, les agriculteurs français ont été invités à produire davantage,notamment grâce aux progrès techniques. C’est ainsi que le département des Côtesd’Armor, doté d’un climat océanique doux, devient le premier département agricole françaispour la production agricole finale, l’élevage et les productions animales.

C’est donc tout un modèle agricole productiviste qui est remis en cause.L’histoire de la gestion de la prolifération des algues vertes est ainsi marquée par

l’alternance d’intenses mobilisations et de périodes d’enlisement et de silence.C’est dans ce contexte et entre ces acteurs que s’articule la gestion des algues vertes

au niveau de la Baie de Saint-Brieuc.La prolifération des algues vertes comporte plusieurs aspects qui peuvent se croiser.

Tout d’abord, ce phénomène peut être envisagé dans un cadre économique puisqu’ilprovoque la fuite des touristes et une désaffection pour une partie du littoral breton. Cesont donc les professionnels du tourisme mais aussi les élus des communes concernéesqui sont particulièrement préoccupés par cet aspect. C’est dans ce cadre que des éluscommencent dès les années 1980 à interpeller les pouvoirs publics en mettant l’accent surl’impact économique des marées vertes. Citons également à ce propos l’action du Présidentde la région Bretagne, Jean-Yves le Drian, face à la campagne d’affichage de la FNE dans lemétro parisien. Celui-ci s’est mobilisé pour dénoncer l’image négative de la région véhiculéepar ces affiches, de peur que les touristes n’en boudent une fois de plus les plages.

« Donc si la région Bretagne s’occupe de ce sujet aujourd’hui, c’est parceque c’est un sujet majeur pour son développement économique, pour sondéveloppement touristique, pour son image, pour ses produits, pour sa capacité

d’accueil 3 ».

D’autre part, la prolifération des algues vertes traduit un problème environnemental. Eneffet, ce phénomène est le résultat de l’introduction excessive de nutriments (nitrates)dans les milieux aquatiques, liée aux activités humaines (épandages excessifs ou mauvaistraitement des eaux usées). Ainsi, en novembre 1993, la Commission européenne adresseau Gouvernement une mise en demeure de respecter la directive sur les nitrates.

3 Entretien 7. Vice-président de la Région Bretagne en charge de l’environnement.

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Enfin, les algues vertes présentent un risque sanitaire dans la mesure où leurputréfaction provoque l’émanation de gaz toxiques ayant déjà provoqués des décèsd’hommes et d’animaux.

Cet aspect multidimensionnel du phénomène va être à l’origine d’une lectureparticulière du problème. En effet, en fonction des acteurs en jeu et des périodes, c’estun des aspects qui va prévaloir par rapport à un autre, impliquant des approches et desréponses différentes.

ProblématiqueLes différentes définitions du phénomène sont fonction des acteurs impliqués dans sagestion et sont à l’origine de politiques publiques différentes, de par les moyens proposéset les solutions apportées.

La notion de qualification renvoie à l’attribution de certains traits à un problème demanière à déterminer ses modalités de résolution. Les qualifications du problème sontmoins liées à ses propriétés intrinsèques qu’aux variations de ses frontières. C’est dans cecadre qu’Olivier Borraz parle d’« effets de cadrage »4.

Ainsi, l’émergence du problème de la prolifération des algues vertes est marquée parune certaine fluidité. La carrière de ce problème va se déplier et se replier au rythme deses différentes requalifications. Des évènements, parfois dramatiques, vont provoquer desprises de conscience momentanées de l’ampleur du problème et de ses conséquences.Puis, face au faible impact des mesures mises en place, ce dernier perd peu à peu de savisibilité.

Cette métaphore du dépliement et du repliement permet de cerner la façon dontle problème, à certains moments, va imposer l’évidence de son existence avant de sedissoudre dans un fonds indifférencié d’enjeux5 . Il s’agit ainsi d’étudier le jeu incessant desfrontières du problème.

La question de la prolifération des algues vertes fait des apparitions éphémères surl’agenda politique, des allers-retours entre la publicisation et l’ignorance. Il y a publicisationd’un problème lorsque celui-ci passe de la sphère privée à la sphère publique, c’est-à-direlorsqu’il y a expression d’une demande auprès d’autorités publiques.

D’autre part, le traitement des algues vertes en tant que risque est donc loin d’être uneévidence. En effet, le risque est un objet social que l’on peut définir comme la perceptiond’un danger par une population ou un individu : c’est un danger potentiel qui fait l’objet d’uneconstruction sociale. La qualification de « risque » ne répond pas aux propriétés intrinsèquesd’un problème ou d’un phénomène. Cette qualification va être à la fois l’enjeu mais aussile résultat d’une mobilisation collective et d’une confrontation entre différents acteurs. Lerisque s’analyse aussi en termes de gestion, impliquant la mise en place d’aménagements

4 BORRAZ Olivier, Les politiques du risque, Paris : Les Presses de Sciences Po, 2008, 294 p.5 DOURLENS Christine, « La dynamique du dépliement : la mise sur agenda du saturnisme infantile », dans Claude GILBERT

(dir.), Risques collectifs et situations de risques. Apports de la recherche en sciences humaines et sociales, Paris : L’Harmattan, 2002,p. 65-77.

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Introduction

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adaptés pour un usage des territoires intégrant le danger6. Dans le cadre de notre travail,il s’agit de s’intéresser aux modalités de gestion du risque lié à la prolifération des alguesvertes en fonction des configurations d’acteurs impliqués.

La problématique des algues vertes se construit au cours du temps par les définitionset les mises à l’agenda successives dont elle fait l’objet.

Ces qualifications différentes traduisent des divergences entre les acteurs concernéspar le phénomène. En quoi les désaccords entre les acteurs impliqués vont donner lieu àdes reconfigurations successives du problème et donc à divers instruments de politiquespubliques ?

Ainsi, Jean-Eudes Beuret7 explique que la prise en charge de l’environnement témoignedes capacités de compromis entre des acteurs dont les intérêts divergent. En effet, lesterritoires font l’objet d’usages multiples, d’où des « itinéraires de concertation » constituésde phases d’accords, de désaccord, de conflits. Les territoires ruraux, tels que nous lescôtoyons au niveau de notre terrain d’enquête, sont divisés entre « plusieurs monde » :d’un côté le monde civique qui agirait pour l’intérêt général, pour tous, de l’autre côté lemonde domestique centré sur ses propres intérêts et celui de ses enfants, et entre les deuxle monde « industriel » avec pour objectif la production et la performance. D’où des intérêtset des principes de justification différents. Dans le cadre de notre terrain, à première vue, lemonde civique correspond aux associations de défense de l’environnement mais égalementaux pouvoirs publics, le monde domestique renvoie aux riverains et le monde industriel estprincipalement constitué des agriculteurs et du secteur agroalimentaire. Cependant, nousestimons qu’il peut y avoir porosité entre ces différentes sphères en fonction des intérêtset des objectifs qui sont défendus. Ce sont les positions et les stratégies adoptées dansle cadre des conflits qui sont à l’origine des changements de frontières du problème et deces diverses définitions.

George Simmel aborde la notion de conflit en s’intéressant à son rôle positif et à safonction socialisante. Le conflit est ainsi un « mouvement de protection contre le dualismequi sépare, et une voie qui mènera à une sorte d’unité » 8 , et vise la paix. Dans lecadre de notre terrain, il convient de définir le terme conflit comme étant une successionde désaccords opposant les différents acteurs impliqués dans la gestion du phénomène etayant des intérêts divergents. Ces acteurs étant le secteur agricole et agroalimentaire, lesassociations, l’Etat et les élus. Leurs intérêts sont reliés à leur position dans les différents« mondes » explicités ci-dessus ainsi qu’à leur vision du territoire local qu’est la Baie deSaint-Brieuc.

Notre positionnement par rapport aux écrits de George Simmel est le suivant : lesconflits entre les acteurs, liés à des intérêts différents voire opposés, et leurs évolutions,déterminent les modalités de gestion des marées vertes et de leurs conséquences. Lesajustements entre les acteurs sont constants, mais des blocages demeurent.

Selon la définition du Petit Robert, l’intérêt renvoie à « ce qui importe, ce qui convient,en quelque manière que ce soit, à l’utilité, à l’avantage d’une personne ou d’une collectivité,d’un individu ou d’une personne morale, en ce qui concerne soit leur bien physique et

6 VEYRET Yvette, Géographie des risques naturels en France, Paris : Hatier, 2004, 251 p.7 BEURET Jean-Eudes, « Petits arrangements entre acteurs… Les voies d’une gestion concertée de l’espace rural ». Natures,

Sciences, Sociétés, n°1, vol. 7, 1999, p. 21-30.8 SIMMEL Georg, Le conflit – 3ème édition, Paris : Circé, 2008, 159 p.

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matériel, soit leur bien intellectuel et moral ». Dans le cadre de notre enquête de terrain,nous nous inscrivons pleinement dans cette définition.

Pour André Torre9, les territoires ruraux se définissent par leur caractèremultidimensionnel. Ils sont le lieu où se rencontrent trois types de fonctions : une fonctionéconomique, une fonction résidentielle ou récréative et une fonction de conservation.Les différents acteurs vont s’impliquer pour imposer leur définition du problème, pour sel’approprier et pour rendre acceptable leur solution (en termes de politiques publiques).

Mais la répartition des acteurs au sein de ces différents « mondes » ou « fonctions »va également faire l’objet de reconfigurations. Ainsi, l’élu local peut à la fois se situer dansle monde civique car il défend l’intérêt de ses citoyens, mais aussi dans le monde industrielquand il s’agit de sauvegarder les emplois de sa commune. Ces intérêts mouvants etdiverses vont faciliter un certain accord sur la non-publicisation du problème. Cette situationpeut être étayée par l’article de Jeanne Chabbal sur la non-émergence d’un problème public.Elle y explique ainsi qu’une multitude d’acteurs cloisonnés, porteurs d’intérêts très divers etde visions du monde localisées peuvent ainsi produire une sorte de consensus sur la non-pertinence de la mobilisation collective10.

C’est dans ce cadre que s’inscrit notre travail. Il s’agit d’étudier en quoi les qualificationssuccessives du phénomène des algues vertes témoignent des difficultés à inscriredurablement le problème sur l’agenda politique.

La définition du problème résulte d’une interaction continuelle entre les protagonistes.De ce rapport de forces entre les parties va dépendre la naissance du problème car lesacteurs vont se l’approprier et le modeler suivant leurs intérêts.

HypothèsesNos hypothèses de départ permettent de distinguer plusieurs phases dans l’émergence duproblème des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc. Ces phases sont chacune marquéesparune définition particulière du problème, un certain nombre d’acteurs engagés ainsi quedes solutions de politiques publiques différentes.

Chaque définition du problème semble succéder à une autre de façon chronologique.Si une qualification prévaut souvent à une certaine époque, en fait les différentes approcheset moyens d’action vont s’entrecroiser.

La ligne directrice de notre démonstration est la suivante : les qualifications successivesdu problème de la prolifération des algues vertes traduisent la difficulté d’inscrire cephénomène sur l’agenda politique et donc de le prendre en charge. Chaque définition est liéeà des acteurs particuliers et est à l’origine de moyens de politiques publiques différenciés.

Mais cette succession et cet enchevêtrement de qualifications et requalificationssuccessives permettent seulement des apparitions temporaires du problème sur la scènepublique. Du rapport de forces entre les parties-prenantes va dépendre la définition duproblème. Les acteurs vont se l’approprier et le modeler en fonction de leurs intérêts et des

9 TORRE André et al. , « Conflits et tensions autour des usages de l’espace dans les territoires ruraux et périurbains. Le casde six zones géographiques françaises », Revue d’Economie régionale et urbaine, n°3,2006, p. 415-453.

10 CHABBAL Jeanne, « Le risque invisible. La non-émergence d’un problème public », Politix, n°70, vol. 2, 2005, p. 169-175.

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Introduction

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perspectives d’aggravation ou d’amélioration de leur position dans le cadre de la nouvellequalification proposée.

La non-publicisation de la prolifération des algues vertesLa question des marées vertes ne fait tout d’abord l’objet d’aucune prise en charge

publique : elle n’est pas mise à l’agenda. Ainsi, jusqu’aux années 2000 environ, il y a danscertains milieux une volonté de ne pas ébruiter le phénomène des algues vertes. C’estnotamment le cas de la commune d’Hillion avant le renouvellement de l’équipe municipaleen 2008.

Il ne fallait surtout pas parler du problème au risque de faire peur aux touristes et dedégrader l’image de la région.

Cependant, cette question de l’image et de la-non publicisation semble encoreprégnante actuellement. C’est dans ce cadre que s’inscrit la polémique autour de lacampagne d’affichage de France Nature Environnement dans le métro parisien. En effet,cette association écologiste a été accusée par le Président de la Région Bretagne Jean-Yves Le Drian de donner une mauvaise image de la région, de ses agriculteurs, et despolitiques qui sont menées en matière de gestion des algues vertes. Les associationsécologistes ont rapidement réagi en déclarant que ce sont les pratiques agricoles intensivesqui sont néfastes à l’image de la Bretagne puisqu’à l’origine des marées vertes. Surtout,elles estiment que si des mesures avaient été prises avant, la situation ne serait peut-être pas aussi désespérée. Cette polémique récente traduit la sinuosité de la carrière dece problème sur l’agenda public : il alterne entre des périodes d’oubli et des moments desaillance intenses, souvent marqués par de véritables scandales.

Ainsi, on retrouve le thème de la non-publicisation du problème. Ce qui a prévalu durantde nombreuses années était une stratégie de « non-dit ». Il ne fallait surtout pas ébruiterle problème. En effet, différents acteurs avaient alors un intérêt à ce que le phénomènedes algues vertes ne soit pas trop connu. Les élus et les professionnels craignaient unefuite des touristes, les agriculteurs voulaient se désengager de toute responsabilité dans cephénomène, et même certains riverains craignaient une chute des valeurs immobilières.

Le problème des algues vertes était alors défini comme un « non-problème ». Leprincipal enjeu qui y était lié était de ne pas l’ébruiter car chaque acteur concerné y avait unintérêt particulier. Aucune action particulière, au-delà de quelques mesures de ramassageau niveau local, n’est alors envisagée.

Cependant, parallèlement à cela, certains acteurs commencent à élever la voix et à semobiliser face à l’ampleur du phénomène. Tout d’abord, les élus des communes les plustouchées interpellent les pouvoirs publics en raison de l’impact économique des maréesvertes, notamment sur le tourisme. En effet, les touristes commencent à fuir les plages descommunes concernées et se détournent vers celles qui échappent encore à ce phénomène.De plus, les riverains s’inquiètent d’une éventuelle baisse des valeurs immobilières etcommencent à se plaindre de la gêne olfactive provoquée par les algues qui pourrissent.

Du problème de l’eau à celui de l’agricultureFace à la persistance du problème, des acteurs locaux vont se mobiliser contre les

algues vertes. Mais lutter contre le phénomène est difficile puisque la réalité de celui-cia été masquée durant des années. L’enjeu de la lutte contre les algues vertes est doncde présenter le problème comme un problème global concernant l’ensemble du territoireet de ses acteurs. La prolifération des algues vertes va donc être l’objet de qualifications

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successives, en fonction des parties impliquées dans sa gestion. Qualifications dont vontdépendre les éventuelles mises à l’agenda de cette problématique.

Ce sont les associations écologistes qui vont mettre en évidence l’aspectenvironnemental des marées vertes. Ainsi, une association de protection du saumon enBretagne dénommée l’APPSB (Association pour la Protection du Saumon en Bretagne)devient en 1983 Eau et rivières de Bretagne. De la protection d’une espèce en particulier,cette association s’est ensuite tournée vers la protection du milieu. Eau et rivières deBretagne compte ainsi deux agréments, le premier au titre de défense de l’environnementet le second au titre de la défense des consommateurs. Il s’agit d’aborder la question del’eau en étant attentif à tous les débats qui s’y rapportent11. C’est donc dans ce cadre quela problématique des algues vertes prend toute son importance puisque les marées vertessont essentiellement dues à des teneurs en nitrates beaucoup trop importantes.

C’est ainsi qu’en 1998, à l’appel de l’association Eau et rivières de Bretagne, 5000personnes défilent à Binic pour réclamer « de l’eau pure des sources à la mer ».

D’autre part, en 2001 et 2002, l’Etat est condamné par la Cour de Justice desCommunautés Européennes pour la mauvaise qualité des eaux destinées à la productiond’eau alimentaire en raison des teneurs en nitrates d’origine agricole excessives.

Au cours des années 1990 sont organisés des colloques scientifiques relatifs auxorigines des algues vertes. Ainsi, en septembre 1999, l’IFREMER organise une rencontreà Ploufragan consacrée aux pollutions diffuses, du bassin versant au littoral, qui affirme laresponsabilité de l’azote d’origine agricole dans le développement des marées vertes.

D’autre part, en décembre 2002 est lancé le programme PROLITTORAL qui prévoit desactions préventives mais aussi quelques mesures destinées à limiter les apports azotés enmodifiant des pratiques agricoles. Sans remettre en cause le modèle agricole qui prévauten Bretagne, ce programme fait des propositions pour « limiter les dégâts » : éviter lasurfertilisation des sols, couvrir les sols… Cependant, il évoque aussi les « autres sources depollution ». Certes, il ne les cite pas, mais l’on ne se focalise pas uniquement sur l’agriculture.

Puis, en décembre 2009, le Préfet des Côtes d’Armor adresse aux autoritésministérielles un rapport non destiné à être rendu public sur les marées vertes. Il yindique que « la diminution visible et notable du phénomène ne pourra passer que par unchangement profond des pratiques agricoles, ce que la profession agricole n’est pas prête

à accepter pour le moment » 12 .

Le problème passe ainsi du secteur de l’eau à celui de l’agriculture. Il ne s’agit pasuniquement d’un problème de pollution des eaux mais bien celui d’un modèle agricoleprépondérant en Bretagne. Ce changement de définition rejoint la position des associationsécologistes qui espèrent impulser un changement dans les pratiques agricoles. C’est poureux le seul moyen de gérer la prolifération des algues vertes.

Cette requalification traduit une montée en généralité du problème. Les algues vertesne sont alors que la partie émergée de l’iceberg : derrière se cache un modèle agricole peurespectueux de la nature et basé sur une logique de production et de volumes. Mais secache également un modèle de développement économique basé sur l’omniprésence de

11 MALLARD, Alexandre et REMY Elisabeth, « Comment les associations renouvellent le débat sur la qualité de l’eau ? »,Environnement et société, n°22, 1999, p. 69-85.

12 FARGEAS Jean Louis, Lettre destinée au Premier Ministre, Le phénomène des algues vertes dans les Côtes d’Armor, Saint-Brieuc : Préfecture des Côtes d’Armor, 4 septembre 2009, 17 p.

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Introduction

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l’industrie agro-alimentaire. Ceci explique d’ailleurs les nombreux blocages rencontrés parceux qui veulent impulser des changements. En effet, le secteur agro-alimentaire disposed’une influence considérable au niveau local, aussi bien auprès des élus mais aussi surl’opinion publique. 46% de l’industrie costarmoricaine travaille dans le secteur agricole ouagroalimentaire. Quelques entreprises agro-alimentaires ont entre leurs mains une partimportante des perspectives d’emploi de la région : elles pèsent sur les négociations localeset peuvent même user du chantage. Elles n’ont aucun intérêt à ce que le modèle deproduction agricole breton ne change puisque leur objectif est de produire toujours plus auxmoindres coûts.

La définition du problème a donc été élargie pour porter sur les problématiques dedéveloppement durable et de modèle d’agriculture. Il s’agit d’une montée en généralité :le problème des algues vertes est devenu une question complexe relevant à la fois depolitiques environnementales et agricoles.

Le phénomène, dont les enjeux ont été élargis, devient alors plus visible. L’arrangementlimité dont il faisait l’objet a été dépassé.

Le phénomène des algues vertes concerne initialement un nombre restreint d’acteurs :associations écologistes, élus concernés et certains représentants de l’Etat « engagés ».Progressivement cette relation va s’ouvrir à d’autres acteurs : agriculteurs, agroalimentaire,collectivités territoriales. Ainsi, de nouvelles contraintes vont peser sur ces acteurs : denature politique (mise en cause potentielle d’un élu ou d’un représentant de l’Etat face àun éventuel accident sanitaire), économique (surtout le secteur agroalimentaire) et sociale(rejet du monde agricole par une partie importante de la société en raisons de certainesactivités portant atteinte à l’environnement)13.

Un élément important dans le cadre de cette requalification du problème des alguesvertes est de s’interroger sur la pertinence et l’efficacité de cette nouvelle stratégie. Dansla mesure où il s’agit de changer totalement les modes de production en vigueur depuisdes dizaines d’années, les résultats semblent très difficiles à atteindre. Ce n’est pasen un seul jour que le modèle économique breton va pouvoir s’adapter aux exigencesenvironnementales qui s’imposent. Il y a également le risque de « noyer » de problème ausein de considérations et de politiques complexes, difficiles à cerner.

Est-il vraiment envisageable d’aboutir à des résultats concrets en matière de productionagricole dans la mesure où il s’agit de remettre en cause un modèle de développementexistant depuis les années 1960 ?

Du problème de l’agriculture au risque sanitaireLe monde agricole est donc mis en cause et tenu en partie pour responsable de la

prolifération des algues. Cependant, ce changement de cadrage ne suffit pas à une priseen charge durable du problème : faire évoluer le modèle agricole est long et il existe uneforte inertie des milieux naturels, peu propice à une réduction rapide des taux de nitratesdans l’eau.

Il y a ainsi un risque que la gestion des algues vertes retombe une fois de plus dansl’oubli face à l’absence de moyens et de résultats concrets. C’est pourquoi des acteurs,essentiellement associatifs, vont s’efforcer de prouver le danger sanitaire que représententles algues vertes. Si le problème n’est qu’agricole, alors il faut accepter des résultats à long

13 BORRAZ Olivier et SALOMON Danielle, « Reconfiguration des systèmes d’acteurs et construction de l’acceptabilité sociale :le cas des épandages des boues d’épurations urbaines », dans Claude GILBERT (dir.), Risques collectifs et situations de crise. Apportsde la recherche en sciences humaines et sociales, Paris : L’Harmattan, 2002, p. 145-160.

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terme, mais si les marées vertes mettent en danger la vie des usagers du littoral, il y aurgence : acteurs politiques et économiques se doivent d’agir. C’est donc l’enjeu de cettenouvelle phase de qualification : en alertant sur le risque sanitaire, les acteurs impliquésvont impulser une véritable prise en charge du phénomène. Mais cette reconnaissance durisque sanitaire est difficile : acteurs économiques et même politiques craignent en effetd’effrayer les riverains et les touristes.

La mise en évidence du risque sanitaire va émerger à la suite de plusieurs « alertes » :la mort de chiens sur la plage d’Hillion en 2008, la mort d’un cheval à Saint-Michel-en-Grèveen 2009 et la mort « suspecte » d’un transporteur d’algues.

C’est dans ce cadre que vont être proposées des stratégies davantage basées sur levolet curatif. Il s’agit notamment d’élus confrontés quotidiennement au phénomène et quise doivent d’agir afin de défendre les intérêts de leur commune tout en évitant un nouveaudrame sanitaire. Mais c’est aussi une stratégie de « différenciation » face à d’autres acteursqui, soit ne veulent pas entendre parler du problème, soit prônent des objectifs pour lemoment inatteignables. On retrouve ici la question des causes de la prolifération, notammentagricoles, de leurs conséquences, mais aussi des priorités que doivent avoir les politiquesde gestion des algues face au risque sanitaire.

Le discours et les propositions sont ici beaucoup plus pragmatiques : il s’agit des’adapter au jour le jour aux problèmes posés par le phénomène de marées vertes :nuisances visuelles et olfactives, risque sanitaire, fuite des touristes. Ils sont tout de mêmeconscients que ce type d’actions reste un « pis-aller » ou des solutions de dernier ressort.Cependant, face à l’urgence de la situation, il est nécessaire de ramasser et de traiterles algues, tout en menant parallèlement des actions sur le long terme dans le sens d’unchangement durable des pratiques agricoles.

Parfois, ces visions et ces propositions s’opposent : il n’existe pas de consensus autourdu mode de gestion à adopter. Il y a encore des désaccords entre le volet curatif et l’aspectpréventif.

Ainsi, même au sein du même type d’acteurs, des avis différents vont s’opposer ;certains mettant en avant l’urgence du problème, d’autres s’intéressant à la problématiqued’une agriculture enfin durable et respectueuse de l’environnement.

La stratégie collective : le recours en justiceLa carrière du problème des algues vertes dans l’espace public dépend très largement

des stratégies de mobilisation des acteurs associatifs, de certains élus, et des citoyens quiles soutiennent. Ces acteurs vont construire une entreprise collective de protestation et decontestation et vont utiliser des outils diverses afin d’obtenir la reconnaissance et la priseen charge du problème des algues vertes.

Ainsi, à partir de 2001, les associations de défense de l’environnement inaugurent unnouveau type d’action en portant plainte contre l’Etat. Celui-ci est considéré responsablede la prolifération continue des algues vertes par son inaction dans ce domaine. Il estégalement accusé de laxisme concernant l’octroi des autorisations d’élargissement decertains élevages porchers dans la région.

En 2007, après 3 ans de procédures, le Tribunal administratif de Nantes déclare l’Etatresponsable des marées vertes du fait de ses carences répétées dans l’application deslégislations nationales et européennes de prévention des pollutions des eaux par l’azoteagricole.

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Introduction

LORANS Bérengère - 2011 15

L’entrée en justice ne vise pas seulement le gain d’un procès, ni la réparation d’undommage, mais bien une action politique pour débattre de la question de la pollutiondes eaux et des marées vertes. L’objectif est d’impulser une véritable politique territorialeassociant tous les acteurs concernés par la pollution des eaux et de les amener à assumerleurs responsabilités14. Il s’agit, une fois de plus, d’attirer l’attention sur les marées verteset de lutter contre ce phénomène.

C’est ce contexte, ainsi que la mort du cheval à St-Michel-en-Grève, qui conduit l’Etatà adopter le Plan Algues Vertes en 2009 afin de coordonner au niveau national l’ensembledes initiatives locales.

MéthodologieLa période de temps sur laquelle portera notre travail s’étend des années 1970, date despremières proliférations et des premières mesures face au phénomène de prolifération desalgues vertes, jusqu’à nos jours.

Ensuite, le terrain d’enquête retenu est la côte littorale de la Baie de Saint-Brieuc,plus particulièrement la zone s’étalant de Binic à Hillion. L’ensemble des communes dece littoral sont particulièrement touchées par le phénomène et organisent des opérationsde ramassage assez importantes pour éviter une fuite massive des touristes. Cette zonegéographique rassemble un certain nombre d’activités économiques : tourisme, pêche,agriculture, mytiliculture…

D’autre part, l’ensemble de ces communes font partie de la communautéd’agglomérations de Saint-Brieuc, désormais responsable du ramassage des algues. Cettecompétence donne une certaine unité à la gestion curative des algues vertes sur toute lazone.

Notre méthode d’enquête est en grande partie basée sur des entretiens semi-directifsavec les acteurs concernés par le phénomène et intervenant dans sa définition et sa gestion.

Il est possible de définir l’entretien de recherche semi-directif comme un « entretienentre deux personnes, un interviewer et un interviewé, conduit et enregistré parl’interviewer ; ce dernier ayant pour objectif de favoriser la production d’un discours linéaire

de l’interviewé sur un thème défini dans le cadre d’une recherche » 15 .Selon Stéphane Beaud, l’entretien de recherche permet de réaliser une observation

participante, et ainsi d’être immergé dans le milieu enquêté. L’entretien permet notammentd’obtenir des informations, dans le cadre de la recherche, sans recourir forcément àl’observation. L’entretien permet donc de recueillir des données grâce au discours del’interviewé : données issues directement du récit mais aussi d’une analyse fine des parolesde l’interlocuteur. Cet extrait du travail de Michel Pialoux illustre parfaitement la logique del’entretien semi-directif, sa richesse et son intérêt pour l’enquête en sociologie : « C’estdans la manière dont s’engendrent et s’appellent sans cesse de nouveaux thèmes, dont

14 MALLARD, Alexandre et REMY Elisabeth, « Comment les associations renouvellent le débat sur la qualité de l’eau ? »,Environnement et société, n°22, 1999, p. 69-85.

15 BLANCHET Alain, GHIGLIONE Rodolphe, MASSONNAT Jean et TROGNON, Les techniques d’enquête en sciencessociales. Observer, interviewer, questionner,Paris : Dunod, 1992, 197 p.

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s’organisent certaines associations d’idées, dont surgissent des propositions incidentes,c’est dans les hésitations et les brisures d’une phrase, la manière dont le locuteur se laissetout à coupenvahir par telle ou telle vague de souvenirs ou d’émotions que s’exprime peut-être ce qu’il y a de plus original, de plus spécifique, dans son discours et sa personne sociale,cette spécificité devant elle-même être pensée comme un produit social »16.

Dans le cadre de notre travail, l’accent fut tout d’abord mis sur les associations dedéfense de l’environnement, telle Eau et rivières de Bretagne et Halte aux marées vertes.En effet, celles-ci se distinguent par leur intervention active sur ce dossier depuis denombreuses années. Ensuite, il était indispensable de rencontrer les élus des communesconcernées par le phénomène afin d’avoir un aperçu des actions menées à leur niveau.Les rencontres avec les représentants de l’Etat, notamment à travers la Préfecture nousont également permis d’analyser la position de l’Etat et ses éventuelles évolutions face auproblème des algues vertes. Enfin, les représentants de la profession agricole nous ontpermis de mieux cerner la position des agriculteurs par rapport à la problématique desalgues vertes. Il s’agissait ainsi de rencontrer un à un les acteurs afin de savoir depuisquand ils sont mobilisés sur la question, pourquoi et comment ils en sont arrivés à cetteposition. Ces entretiens permettent de comprendre la façon dont ils définissent le problèmedes algues vertes et quelles solutions ils proposent. Ce fut aussi l’occasion de mettre enexergue les divergences et les oppositions en s’intéressant aux représentations des acteurset au niveau institutionnel du discours.

Pour comprendre les processus de mise sur agenda du problème des algues vertes, ilétait indispensable d’interroger un certain nombre d’acteurs différents, relevant des secteursassociatif, scientifique, administratif et politique. Ainsi, les entretiens nous permettaient decomprendre les enjeux propres à chaque secteur, les relations entre les différents acteurs,

ainsi que les polémiques, les controverses et les débats en présence 17 .D’autre part, nous nous sommes penchés sur des sources écrites, notamment des

articles de la presse locale, afin d’avoir un point de vue sur le discours officiel des différentsacteurs engagés. Ils permettent également de comprendre l’évolution du problème dans letemps et la façon de le gérer. Ceux-ci furent récoltés grâce à la lecture assidue de cettepresse locale mais également grâce aux acteurs rencontrés qui conservent une grandepartie des articles de journaux relatifs au sujet.

L’intérêt de cette méthode est donc d’étudier la façon dont la problématique des alguesvertes se construit au cours du temps et pourquoi elle fait l’objet de mises à l’agendasuccessives depuis son émergence.

Cependant, dès nos premiers contacts avec le terrain, que ce soit lors de discussionsinformelles ou lors des sollicitations pour les entretiens, s’est dégagé l’impression que nous« débarquions » dans un monde relativement fermé. Les individus semblaient surpris d’unetelle prise de contact car peu de « non-initiés » étaient impliqués dans ce domaine. De plus,les acteurs approchés ont souvent exprimé leurs difficultés à cerner l’enjeu de notre travail.A plusieurs reprises ils ont évoqué la complexité du sujet, leur propre difficulté à le cernerdans sa globalité et donc le fait que nous aurions surement du mal à le traiter.

Mais d’un autre côté, ils se sont montrés heureux que des « jeunes » s’intéressent àla problématique des algues vertes, d’où une certaine facilité de discussion sur ce sujet.

16 PIALOUX Michel, « Chroniques Peugeot », ARSS, n° 52-53, 1984, p. 88-95.17 Entretien avec Claude Gilbert, « Des objets à géométrie très variable », Politix, n°44, 1998, p. 29-38.

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Introduction

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Une fois l’étonnement initial passé, l’enquête auprès des acteurs rencontrés fut relativementfacile.

D’autre part, la méthodologie a eu certaines limites. En effet, l’enjeu principal était de

ne pas prendre parti. Or, la neutralité apparaît comme un objectif illusoire 18 . Ainsi, lorsquenous étions pris à parti, il était difficile de rester dans une attitude la plus objective possible.De plus, les acteurs se connaissaient bien entre eux puisqu’ils étaient souvent en contactsles uns avec les autres. Bien souvent, au cours des entretiens, ils parlaient des uns et desautres, se critiquant, formulant certaines remarques à l’égard de l’action des autres. Ceséléments contradictoires émergeant au fur et à mesure de l’enquête de terrain furent parfoisdéstabilisants. Cependant, ils nous ont également permis de comprendre les relations etles arrangements qui existaient au niveau local entre les différents acteurs.

Il fallut ainsi passer au travers des jugements des uns et des autres pour extraire desentretiens la matière nécessaire à notre étude.

Cependant, étant donné l’éloignement géographique du terrain d’enquête, l’observationfut limitée. Peut-être aurait-elle pu être intéressante pour recueillir davantage d’informationssur les divergences entre les acteurs ou leurs représentations. Ce sont notamment lesréunions des associations qui auraient pu nous permettre de davantage répondre à laquestion de l’évolution de la problématique des algues vertes.

La prolifération des algues vertes a longtemps été ignorée par les acteurs locaux : élu,agriculteurs, riverains, professionnels du tourisme. Les intérêts de cette coalition d’acteursétaient liés à la non-publicisation du phénomène. Cependant, face à la récurrence duproblème et à ses conséquences économiques et sanitaires, le rapport de force va évolueravec l’émergence de nouveaux acteurs qui vont se mobiliser afin de lutter contre les maréesvertes (Partie 1).

La mise à l’agenda du problème des algues vertes n’est pas pour autant acquise : lamobilisation collective ne suffit pas. Les interactions entre les acteurs vont être à l’originede requalifications du phénomène et de montées en généralités. Chaque partie concernéecherchant ainsi à imposer sa propre vision du problème et ses solutions de politiquespubliques. Ce cheminement difficiletraduit les difficultés à inscrire durablement le problèmesur l’agenda politique (Partie 2).

Puis, face aux conséquences économiques et surtout sanitaires du problème, lespouvoirs publics, notamment l’Etat et les collectivités territoriales tentent de proposer dessolutions adaptées. Ceci dans un cadre de recours en justice des associations écologistescontre l’Etat, accusé de laxisme dans ce dossier. Les politiques proposées mêlent un voletcuratif et préventif et ont pour objectif d’associer tous les acteurs concernés, qui sont invitésà assumer leurs responsabilités.Cette négociation collective n’empêche pas le retour desdébats récurrents sur la façon de définir et d’aborder la problématique des algues vertes(Partie 3).

18 BEAUD Stéphane, « L’usage de l’entretien en sciences sociales. Plaidoyer pour « l’entretien ethnographique », Politix, 1996,n°35, p. 226-257.

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I- De l’arrangement local à l’actioncollective : la reconnaissance tardive duphénomène des marées vertes

La définition du phénomène des marées vertes résulte d’une interaction continuelle entre lesprotagonistes. Jusque dans les années 2000, la coalition des acteurs impliqués va étoufferl’existence des marées vertes. Puis, le rapport de force va évoluer avec l’émergence denouveaux acteurs qui vont parvenir à s’approprier le phénomène en le transformant en unproblème public. L’évolution de ce rapport de force est la condition préalable à une prise encharge territorialisée des algues vertes.

A) Le déni collectif : la non-publicisation de laprolifération des algues vertes

Il y a publicisation d’un problème lorsque celui-ci passe de la sphère privée à la sphèrepublique. Ici, la publicisation n’existe pas puisque le phénomène des algues vertes, enraison d’une forme d’arrangement entre les acteurs locaux, reste confiné et n’accède pasau statut de problème public.

Les marées vertes n’existent pas…La prolifération des algues vertes est considérée comme un phénomène ponctuel, peuimportant, ne nécessitant pas de traitement, et encore moins que l’on en parle. C’est cetétat d’esprit qui prévaut notamment à la municipalité de la commune d’Hillion jusqu’aurenouvellement de l’équipe municipale en 2008. Il ne faut surtout pas ébruiter le phénomène.

Cette situation s’explique notamment parce qu’une multitude d’acteurs portent desintérêts divers et une vision particulière du territoire, produisant ainsi une sorte de

consensus sur la non-pertinence de la mobilisation collective face au phénomène 19 . Ainsi,différents acteurs cherchent à représenter les intérêts d’une section spécifique de la société

(agriculture, riverains, secteur du tourisme…) dans l’espace public 20 .Tout d’abord, les élus craignent que les touristes ne délaissent leurs plages pour celles

du voisin. Cette considération économique est partagée par les professionnels du tourisme,dont la survie dépend de la fréquentation de la région littorale. Mais ne pas en parler

19 CHABBAL Jeanne, « Le risque invisible. La non-émergence d’un problème public », Politix, n°70, vol. 2, 2005, p. 169-175.20 BOUSSAGUET Laurie et al., Dictionnaire des politiques publiques, article « Groupe d’intérêt », Paris : Les Presses de

Sciences Po, 2010, p.309-316.

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I- De l’arrangement local à l’action collective : la reconnaissance tardive du phénomène desmarées vertes

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n’empêche cependant pas les touristes de se tourner vers des zones plus épargnées parles marées vertes.

D’autre part, les riverains craignent une chute des valeurs immobilières, et ainsi de voirleur patrimoine se déprécier.

Enfin, les professionnels du secteur agricole et agro-alimentaire souhaitent maintenirleur activité économique sans être pointés du doigt pour leurs éventuelles responsabilitésdans le phénomène de prolifération des algues. Les élus sont également tributaires dumodèle économique breton, basé sur l’industrie agro-alimentaire. Cette dernière tienteffectivement entre ses mains une partie importante des perspectives d’emploi sur leterritoire. Il est donc impossible de parler des algues vertes sans évoquer leurs causes etleurs conséquences. L’émergence d’une véritable politique de gestion des marées vertesest perçue comme susceptible de nuire à des intérêts constitués : la valeur des biensimmobiliers pour les riverains, le maintien de l’activité pour les professionnels agricoles,agro-alimentaires et du tourisme, et enfin l’argument du développement économique localpour les élus.

Les risques liés aux marées vertes sont perçus en termes patrimoniaux pour lesriverains, économiques pour l’agriculture et l’industrie qui en découle et électoraux pour lesélus. Ces définitions diverses et incompatibles sont un facteur de blocage de l’émergencedu problème. Mais ces intérêts antagonistes seront également à l’origine de l’émergenced’une action collective.

Il existe une incompatibilité des définitions du risque mais aussi une coalition d’acteursqui contribuent à empêcher la publicisation de la question. Il y a donc un consensus sur lanon-publicisation du phénomène des marées vertes. Le seul point de convergence entre lesacteurs locaux est leur accord sur la nécessité de ne pas ébruiter le problème. Celui-ci estd’ailleurs présenté comme un « non-problème » ne nécessitant pas de traitement particulier.

Cet accord sur la non-émergence d’un problème public empêche toute reconnaissanced’un éventuel risque lié aux marées vertes.

La négation du risque sanitaireTout comme l’existence des marées vertes, leurs conséquences sanitaires sont ignorées :les acteurs locaux ferment les yeux. Les déclarations de l’adjoint au maire de la communed’Hillion en charge de la gestion curative des algues en témoignent :

« A Hillion il y a eu deux chiens qui ont fait les unes des journaux. Mais deschiens il y en a eu des dizaines dans des tas d’algues. Mais, on n’en parlait pas. Y

en a eu avant mais bon ils étaient chargés avec les algues » 21 .On retrouve ici le thème de la non-publicisation. Il s’agit d’étouffer les éventuels risques liésaux algues vertes afin de ne pas affoler les usagers du littoral et de ne pas remettre encause les intérêts locaux constitués.

Pourtant, en 1985, le futur créateur de l’association Halte aux marées vertes, travaillantchez Gaz de France, fait analyser les algues vertes ramassées sur la plage d’Hillion. Ildécouvre ainsi que les algues en putréfaction dégagent de l’hydrogène sulfuré ainsi qu’unautre gaz toxique : le mercaptan. Cependant, on en reste alors à la toxicité du toucher.

21 Entretien 1. Adjoint au maire de la commune d’Hillion chargé de la gestion curative des algues vertes.

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Personne n’imagine que ces algues peuvent tuer un homme. Mais ces études ne sont pas

dévoilées publiquement : « A cette époque-là, on m’a ri au nez » 22 .Cependant, des contradictions commencent à poindre. En effet, les autorités publiques,

notamment les Préfets, multiplient les déclarations concernant la non-toxicité des algues.Les services sanitaires, tels la DDASS, déclarent également qu’aucun cas d’intoxicationhumaine n’a été attribuable à des « expositions » aux algues vertes. Pourtant, dans le mêmetemps, de nombreuses mesures de prévention sont mises en place : mesures de sécurité

pour les ramasseurs d’algues ou encore informations aux touristes fréquentant les plages 23

. Ainsi, une lettre envoyée par le Préfet des Côtes-d’Armor le 1er octobre 2007 demande auxmaires du département de prendre des mesures de précaution visant à limiter l’expositiondes personnes à l’hydrogène sulfuré, et particulièrement les travailleurs dont la missionimplique un contact répété avec des algues en décomposition.

D’autre part, l’intérêt économique et électoral des élus les pousse à relativiser l’éventuelrisque sanitaire puisqu’ils craignent de faire fuir les touristes et d’affoler les riverains.

« Eau et rivières est financée par les communes, y a même des communes quiont dit comme ça, notamment Hénon, que si Eau et rivières ne changeait pas son

fusil d’épaule, ils n’auraient plus la subvention annuelle de 100 euros » 24 .Certains élus vont ainsi exercer une certaine pression sur les associations pour maintenirle silence sur l’alerte sanitaire liée à la prolifération des algues vertes. Les élus sontdonc prisonniers d’un dilemme : ils ont conscience que les marées vertes peuvent êtredangereuses, mais ils n’osent pas le reconnaître car lutter contre les algues serait uneentreprise complexe, avec des enjeux et des conséquences économiques très importants.Ainsi, la plupart des élus insistent sur la nécessité de ramasser les algues pour qu’ellesne relancent pas de nouvelles marées vertes. L’idée est d’épuiser le milieu en azote enramassant, et non d’envisager le risque sanitaire.

Il est ainsi possible de faire le parallèle avec le scandale qui a éclaté à la suite de lacampagne d’affichage de France Nature Environnement dans le métro parisien. Les affichesmentionnaient notamment que la décomposition des algues dégage un gaz mortel pourl’homme. Lors de la parution des affiches dénonçant la persistance des marées vertes et leurrisque sanitaire, le président de la Région Bretagne ainsi que le comité régional du tourismes’insurgent contre France Nature Environnement, accusée de diffuser une mauvaise imagede la Bretagne, au risque, une fois de plus, de faire fuir les touristes.

Jusque dans les années 2000, tous les acteurs locaux avaient conscience du problème,mais personne n’avait le courage de dire tout haut ce qui se passait. Chacun avait un intérêtà ce que le problème soit tu.

Cette position de déni va être progressivement dépassée, mais la négation duphénomène et de ses impacts reviendra ensuite, par intermittence, dans le débat public.

22 Entretien 3. Ancien président et fondateur de l’association Halte aux Marées Vertes.23 OLLIVRO André, LE LAY Yves-Marie, Les marées vertes tuent aussi. Le scandale sanitaire, Nantes : Le Temps, 2011, 188 p.

24 Entretien 3. Ancien président et fondateur de l’association Halte aux Marées Vertes.

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LORANS Bérengère - 2011 21

B) L’action contestée des pouvoirs publicsGérer un phénomène consiste à faire face, au mieux, à une situation difficile.

Mais les plans mis en œuvre contournent le problème. Il s’agit de plans d’actions« flous », peu précis, et dont les mesures ne s’attaquent pas aux causes du problème.

La persistance du phénomène malgré de multiples plans d’actionsEn mai 1970, une délibération du Conseil Municipal de la commune de Saint-Michel-en-Grève évoque l’arrivée importante d’algues sur les plages pour la deuxième annéeconsécutive. « Une végétation verte abondante, gluante recouvre depuis quelques tempsla mer et la lieue de grève […] Cette végétation se décompose rapidement en masseblanchâtre mousseuse, nauséabonde transformant la grève de sable fin en un tas defumier dont l’odeur se répand jusqu’à l’intérieur des terres ». En outre, le Conseil Municipals’inquiète du coût de ramassage des algues et des conséquences néfastes sur le tourisme.Le maire indique qu’il souhaite prévenir le service de la santé en ce qui concerne leséventuels dangers découlant de cette pollution.

Le phénomène de prolifération des algues est donc présent, et connu depuis desdizaines d’années : il fait l’objet d’un traitement ponctuel, très localisé. Pour certains acteurstouchés de près par le phénomène (élus préoccupés, riverains), la prolifération des alguesest déjà envisagée sous l’angle du problème puisque ce dernier représente un risque pourl’économie de la commune. Ainsi, dès le début, la prolifération des algues suscite desinterrogations, mais ces dernières sont atténuées par un discours officiel.

Ainsi, le Préfet des Côtes-d’Armor de l’époque répond en 1971 à une lettre qui lui aété envoyée par le maire de Saint-Michel-en-Grève. Les algues vertes y sont présentéescomme un phénomène naturel ayant toujours existé. Il ne s’agit pas d’un problème, et aucuntraitement n’est alors envisageable.

D’autre part, à Hillion, au même moment est créée l’association DHIANE, dont l’objetest la protection de l’environnement et de la nature. Cette association a rapidement étéoubliée, mais lorsque les mobilisations autour des algues vertes naissent au début desannées 2000, l’ancien Président de l’association rappelle le combat qu’il a mené dans lesannées 1970. En effet, ce dernier était alors Directeur de l’Aménagement Touristique dulittoral et a engagé une action en faveur de la qualité des eaux de baignades, face à laprolifération des algues. Mais à l’époque, le mot d’ordre local était de taire ce phénomènepour ne pas nuire à la fréquentation d’Hillion. C’est dans ce cadre que les autorités localesvont vivement lui conseiller de réorienter ses activités associatives vers le ramassage des

bouteilles en plastique sur les bords de mer plutôt que de s’occuper des algues vertes 25 .Les mobilisations face aux algues vertes sont apparues au même moment que le

phénomène. Cependant, leur impact était alors limité par la volonté de maintenir le silencesur les marées vertes. Jusque dans les années 1990, rien n’est fait pour lutter contre lesalgues, on considère que c’est un phénomène naturel contre lequel on ne peut rien faire.

Lorsque le fondateur de Halte aux marées vertes créé son association, il lance unecampagne d’audit et d’interviews auprès des administrations pour comprendre pourquoi lesalgues vertes sont présentes et d’où elles viennent. C’est alors qu’il prend conscience quedes plans de lutte contre les algues ont été lancés depuis une dizaine d’années, mais que

25 OLLIVRO André, LE LAY Yves-Marie, Les marées vertes tuent aussi. Le scandale sanitaire, Nantes : Le Temps, 2011, 188 p.

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le phénomène n’a pas évolué. Ces plans d’action n’ont eu aucun impact sur la proliférationdes algues vertes.

« Et alors là j’ai découvert que toutes les administrations étaient au courant… Eten même temps on avait découvert aussi qu’il y avait plein de plans qui existaientet qui, à chaque fois…on devait boire non pas de l’eau de Perrier au robinet mais

de l’eau de Plancoët » 26 .Encadré 1 : De 1990 à nos jours : les multiples plans d’actions de reconquête dela qualité de l’eau et de lutte contre les marées vertes.

L’appellation Bretagne Eau Pure recouvre un programme de lutte contre les pollutionsde

l’eau qui a démarré en 1990, à l'initiative du Conseil régional de Bretagne, encollaboration avec les Conseils Généraux, l’Etat, et l’Agence de l’Eau.

Le premier programme Bretagne Eau Pure (1990-1994) s’était donné pour objectifl’assainissement des communes littorales. Mais la détérioration croissante de la qualitédes eaux a conduit à réorienter ce programme en direction de la lutte contre les pollutionspar les nitrates. C’est l’objet de la nouvelle convention Bretagne Eau Pure II, signée enjuillet 1995, dont l’ambition est également de mobiliser l’ensemble des acteurs sur leterritoire du Bassin versant. Ce programme crée peu d’instruments nouveaux et consisteessentiellement à articuler des programmes préexistants (notamment le PMPOA et lesmesures agro-environnementales) et permet d’imposer la notion de bassin versant commeéchelle de travail cohérente. Ce programme BEP II représente au total 235,03 millionsd’euros sur cinq ans en tenant compte des programmes généraux associés. Les actionsdu troisième programme se sont orientées vers du conseil personnalisé et l’engagement

individuel des agriculteurs pour l’amélioration des pratiques de fertilisation 27 .Les programmes PMPOA (programme de maîtrise des pollutions d’origine agricole)

accordent des aides aux éleveurs pour financer les l’adaptation des bâtiments d’élevage etl’extension des capacités de stockage des effluents. Elles contribuent donc à améliorer la

maîtrise des épandages 28 .Le premier PMPOA date de 1993 et a été mis en œuvre à partir de 1994 et a permis

d’aider 35 000 éleveurs. Il résulte d’un accord conclu entre l’Etat, la profession agricole etl’Agence de l’eau.

Le PMPOA 2 a été mis en place en 2002 et s’applique dans les zones prioritaires où lerisque de pollution des eaux par les nitrates issus des effluents d’élevage est avéré.

L’ensemble des paiements et des engagements réalisés au titre du PMPOA s’élevaient

en 2001 à 68 milliards d’euros. 29

26 Entretien 3. Ancien président et fondateur de l’association Halte aux Marées Vertes.27 NOVINCE Emilie, « Bretagne Eau Pure » et « Prolittoral », les précurseurs du Grand Projet 5, Ploufragan : Agence de l’Eau

Loire Bretagne, 2010, 3 p.28 Cour des Comptes, La préservation de la ressource en eau face aux pollutions d’origine agricole : le cas de la Bretagne,

Paris : Cour des Comptes, février 2002, 293 p.29 LUNEAU Sylvie, PMPOA, un programme pour réconcilier l’élevage et l’environnement, Ploufragan : Agence de l’Eau Loire

Bretagne, 2008, 2 p.

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I- De l’arrangement local à l’action collective : la reconnaissance tardive du phénomène desmarées vertes

LORANS Bérengère - 2011 23

En 2002, face aux proliférations massives d’algues vertes, les collectivités territorialesbretonnes (Région, départements, communes concernées) et l’agence de l’Eau Loire-Bretagne décident d’associer et de coordonner leurs moyens dans un programme régionalet interdépartemental de lutte contre les marées vertes intitulé Prolittoral. Ce programme estorganisé autour de trois volets d’actions : un volet préventif correspondant aux actions delutte à la source contre les nitrates, un volet curatif destiné aux actions de ramassage et unvolet transversal intégrant la coordination du programme et les suivis environnementaux duphénomène. Le budget alloué à ce programme était de 16,7 millions d’euros ; les financeursétant la Région, les départements bretons, l’Agence de l’Eau et les communes assurant le

ramassage 30 .En février 2002 a été signé le plan d’action pour un développement pérenne de

l’agriculture et de l’agroalimentaire et pour la reconquête de la qualité de l’eau en Bretagne.Il s’agit de maintenir la place de l’agriculture et de l’agroalimentaire dans le développementéconomique de la Bretagne et dans l’aménagement de son territoire. Ses deux objectifsprincipaux sont le maintien du potentiel de production agricole en Bretagne et la reconquêtede la qualité des eaux. Son principal instigateur est le Préfet de Région de l’époque : Claude

Guéant. Près de 600 millions d’euros ont été investis 31 .

Ainsi, c’est 1,5 milliards d’euros qui ont été investis dans divers plans d’actions depuis ledébut des années 1990. Pourtant, les algues vertes persistent : leur prolifération ne diminuepas.

Chaque plan permet de publiciser le phénomène pendant une courte durée enidentifiant des moyens d’action et des objectifs. Puis, celui-ci retombe rapidement dansl’oubli, pour de multiples raisons : mesures mal appliquées, insuffisantes ou irréalisables,manque de volonté collective…

Pour comprendre la trajectoire saccadée du problème des algues vertes, il convient deconnaître les raisons de l’inefficacité des programmes d’actions successifs.

« Faire de la brume » autour du phénomène : l’absence de mesuresconcrètes

Au début des années 1990, l’annonce des premiers programmes de reconquête de la qualitéde l’eau en Bretagne traduisait une prise de conscience des conséquences néfastes d’undéveloppement économique non maîtrisé. Ces initiatives se posaient en rupture par rapportà l’absence de politiques face à l’aggravation des pollutions agricoles. Jusqu’aux années2000, les programmes ne portent pas spécifiquement sur la question des algues vertes.Les différentes actions et réglementations se sont essentiellement construites autour de laproblématique de l’alimentation en eau potable. Cette observation permet de souligner lalente émergence du phénomène des marées vertes comme problème à part entière. Lagestion des marées vertes passe dans un premier temps par une lutte contre la pollution deseaux, mais quelques éléments relatifs aux pollutions agricoles commencent tout de mêmeà émerger.

30 Centre d’Etude et de Valorisation des Algues, Programme régional et interdépartemental de lutte contre les marées vertesen Bretagne, Pleubian : Centre d’Etude et de Valorisation des Algues, septembre 2007, 65 p.

31 PILLET Didier et LE DOUAR Jean, « Agriculture pérenne : le plan est prêt », Ouest France, 12-13 janvier 2002.

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La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problèmepublic

24 LORANS Bérengère - 2011

Les programmes d’actions successifs se sont caractérisés par leurs insuffisances etleurs incohérences, empêchant ainsi une véritable reconquête de la qualité des eaux.

Le rapport de la Cour des Comptes concernant les politiques de reconquête de la qualitédes eaux en Bretagne fait un constat sans appel sur le manque d’efficacité des mesuresmises en œuvre.

« Les principes d’action retenus par le législateur pour préserver la ressourceen eau obligent les pouvoirs publics à privilégier l’action préventive pour réduireles pollutions dès leur origine, et à faire supporter aux responsables de cettedétérioration tout ou partie du coût des actions mises en place. Au vu despolitiques engagées depuis dix ans en Bretagne, aucun de ces principes n’a été

respecté. » 32

Les fragilités du volet réglementaireTout d’abord, l’Etat est resté passif devant l’inapplication des réglementations dont

l’objectif était de concilier développement économique et protection du milieu naturel. C’estcette passivité qui lui est aujourd’hui reprochée, et qui créé des tensions au niveau localentre des acteurs aux intérêts divergents.

Le régime des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE)implique, suivant trois seuils croissants, le respect d’un règlement sanitaire, le dépôt d’unedéclaration préalable, ou l’obtention d’une autorisation préfectorale après enquête publique.Il a pour objectif de s’assurer que l’installation ou l’extension d’élevages est compatible avecla protection des milieux naturels et permet à l’Etat de réguler le secteur.

Or, ce régime n’a pas été appliqué tout au long des années 1980 : rares sont lesélevages bretons qui avaient respecté les arrêtés d’autorisation accordés et bon nombred’entre eux n’avaient même jamais sollicité cette autorisation ou déposé de déclaration. Deplus, les contrôles dans les exploitations sont insuffisants, et bien inférieurs aux 10% exigéspar la loi. Ceci s’explique notamment par le manque de contrôleurs agréés. Or, les bilansde contrôle font apparaître des dérives significatives : ainsi, à la fin des années 1990, la

proportion d’élevages porcins en situation irrégulière s’élevait à 44,6% 33 .Les faiblesses réglementaires sont également importantes concernant la question

de l’épandage. La mise au point d’un plan d’épandage et son suivi sur un cahier sontobligatoires sur toutes les exploitations. Or, le contrôle de la correcte exécution desépandages s’est avéré insuffisant puisque, dans les Côtes d’Armor, aucun contrôle physiqueinopiné des plans d’épandage n’a été réalisé entre 1993 et le début des années 2000.

Ainsi, la viabilité de l’ensemble du volet réglementaire de l’action de l’Etat est douteusepuisque celle-ci repose sur une réglementation peu contrôlée et principalement conçuepour prévenir les pollutions accidentelles et non les pollutions diffuses. Si ces pollutionsaccidentelles peuvent être maîtrisées par l’amélioration des bâtiments et des capacités de

32 Cour des Comptes, La préservation de la ressource en eau face aux pollutions d’origine agricole : le cas de la

Bretagne, Paris : Cour des Comptes, février 2002, p. 7.33 Cour des Comptes, La préservation de la ressource en eau face aux pollutions d’origine agricole : le cas de la Bretagne,

Paris : Cour des Comptes, février 2002, 293 p.

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I- De l’arrangement local à l’action collective : la reconnaissance tardive du phénomène desmarées vertes

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stockage, l’essentiel du problème réside dans la maîtrise des épandages, volet jusqu’alors

délaissé 34 .Une sélection peu pertinente des territoires et des zones d’action

Au gré des procédures et des programmes, de multiples zones d’action se sontimbriquées les unes aux autres. Pourtant, certains territoires, touchés par les pollutions, ontété maintenus à l’écart.

Ainsi, le choix des bassins versants dans le cadre du programme « Bretagne Eau PureII » a donné lieu à un appel à candidature au niveau départemental pour faire valoir leprincipe du volontariat. Les territoires retenus présentaient tous des pollutions significativesaux nitrates et représentaient environ 33% de la production d’eau potable de la région,touchant plus de 60% de la population. Cependant, la sélection de différents territoiresempêche une approche globale du problème de la pollution des eaux au niveau régional :l’approche est fragmentaire, limitée à une portion du territoire breton. En effet, seules 28%des exploitations bretonnes sont concernées par le programme. Cette dispersion est peupertinente puisqu’il est très difficile d’appliquer des réglementations différenciées en matière

de pratiques agricoles 35 .Une maîtrise des pollutions diffuses insuffisanteLes travaux financés par les aides versées dans le cadre du programme PMPOA ont

permis de prévenir les pollutions accidentelles et d’assurer aux éleveurs des capacités destockage minimales, mais les épandages excessifs, qui constituent les pratiques les pluspolluantes, ne sont encore que faiblement contrôlés.

Ensuite, lors de la mise en œuvre du programme « Bretagne Eau Pure », dans certainsbassins versants ont été constatés des extensions d’élevages qui venaient contrecarrer les

actions engagées sur ces bassins. Ainsi, le syndicat mixte du Gouët 36 a ensuite expliquer

s’être heurté à l’inapplication par l’Etat de la réglementation en matière d’expansiond’élevages. Le syndicat a donc été amené à rendre des avis négatifs concernant des projetsd’extension d’élevages pour ne pas saper tous les efforts du programme Bretagne EauPure II, mais sans que leurs préoccupations ne soient relayées au niveau des décisionspréfectorales.

Des plans d’action dépourvus d’indicateurs et de calendrier précisL’ensemble des programmes de reconquête de la qualité de l’eau ont été mis en œuvre

sans que des objectifs déterminés leur soient assignés, ni que des liens soient établis entreindicateurs de réalisations et indicateurs d’effets sur le milieu. Les calendriers étaient soientflous, soit inexistants, et la plupart du temps ignorés. En effet, pour les programmes dotésd’un calendrier initial, le constat d’un retard n’a pas provoqué de mobilisation de moyenssupplémentaires.

Ainsi, le 1er avril 2001, un tableau de bord du PMPOA montre que seulement 21% destravaux prévus ont été achevés, alors qu’ils auraient dû tous l’être dès décembre 1999. Ces

34 Cour des Comptes, La préservation de la ressource en eau face aux pollutions d’origine agricole : le cas de la Bretagne,Paris : Cour des Comptes, février 2002, p. 7.

35 Conseil économique, social et environnemental de Bretagne, Les marées vertes en Bretagne : pour un diagnostic partagé,garant d’une action efficace, Rennes : Conseil régional, mai 2011, 32 p.

36 Le Gouët est un cours d’eau qui se jette directement dans la Baie de Saint-Brieuc.

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La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problèmepublic

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retards s’expliquent par la suppression progressive des mécanismes qui devaient inciterles éleveurs à tenir les délais. Ainsi, si la date d’achèvement des travaux prévue au contratn’était pas respectée, la subvention versée à l’éleveur était supposée faire l’objet d’uneréfaction de retard. Or, l’agence de l’eau et l’ensemble des financeurs ont systématiquementnégligé d’appliquer cette réfaction, dont le principe a été officiellement abandonné début

1998 37 .Les incitations aux éleveurs se sont avérées inefficaces, provoquant des retards

importants dans les travaux de rénovation des exploitations. Les contreparties du secteuragricole aux aides versées ont été extrêmement minces.

Des moyens administratifs insuffisantsA cette fragilité réglementaire s’ajoutent les conditions de mise en œuvre parfois

ambiguës du PMPOA, liées à la difficulté de gérer un programme lourd sans moyensadministratifs spécifiques. Ainsi, les DDAF ont rencontré de grandes difficultés pratiquespour mettre en œuvre le PMPOA : les quatre directeurs départementaux ont donc du recourirà des personnels vacataires pour pallier m’absence de créations d’emplois. Le nombred’éleveurs candidats au PMPOA, plus élevé que prévu, mais surtout l’absence de moyensadministratifs à la hauteur du programme (manque de personnels, …), ont entraîné lors despremières années un véritable engorgement. La mise en œuvre du programme PMPOA adonc été longue et difficile, en raison de la lourdeur des procédures administratives et dumanque de moyen.

La mobilisation insuffisante du secteur agricole et agro-alimentaireLes programmes d’accompagnement basés sur le volontariat n’ont pas eu les résultats

attendus. Par exemple, le programme BEP II, parvenu presque à son terme, n’a pas atteintles objectifs espérés : mobiliser les acteurs et réduire les concentrations en nitrates. Ainsi,les actions de ce programme devaient essentiellement aider les agriculteurs volontaires àmodifier leurs pratiques agricoles. Cependant, la participation des agriculteurs a été plusfaible que prévue et sur certains territoires, les ambitions initiales des contrats ont été revuesà la baisse, compromettant ainsi l’atteinte des objectifs initiaux du plan d’action.

Les quatre chambres départementales d’agriculture ont été associées au programmeBretagne Eau Pure en tant que conseillères des programmes de bassin-versant, mais aussicomme partenaires directes puisqu’elles sont rémunérées pour assurer les prestations deconseil, d’animation et d’évaluation du programme. Elles sont donc à la fois juge et partie.C’est pourquoi la Cour des Comptes se demande si les chambres d’agriculture n’ont pasbénéficié d’un « effet d’aubaine » pour réaliser, moyennant rémunérations, des prestations

relevant pourtant de leur statut d’établissement public 38 .Peu de mesures contraignantes sont donc imposées aux professionnels du secteur

agricole : l’idée qui prévaut largement est celle du volontariat.Le chargé de mission algues vertes à la Préfecture des Côtes-d’Armor déclarait

d’ailleurs que le principe maître dans le plan Algues vertes est celui de la pédagogie.

37 Conseil économique, social et environnemental de Bretagne, Les marées vertes en Bretagne : pour un diagnostic partagé,garant d’une action efficace,Rennes : Conseil régional, mai 2011, 32 p.

38 Cour des Comptes, La préservation de la ressource en eau face aux pollutions d’origine agricole : le cas de la Bretagne,Paris : Cour des Comptes, février 2002, 293 p.

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« Donc c’est vraiment un but pédagogique, on n’est pas du tout dans un exerciceréglementaire et répressif, on est vraiment dans une logique d’accompagnement

des agriculteurs dans leurs pratiques. » 39

Enfin, en ce qui concerne le programme PROLLITORAL, sept bassins versants ont étéretenus, mais pas celui de la Baie de Saint-Brieuc, où, pourtant, les quantités d’alguessont les plus importantes. Les contradictions dans les plans de lutte contre les algues sont

donc apparentes. « Tout le monde fuit » 40 . Financer des moyens d’action dans la Baie deSaint-Brieuc reviendrait à neutraliser l’ensemble des moyens disponibles uniquement surcette zone géographique. L’ampleur du phénomène est telle que le combat apparaît perdud’avance.

Il existe un arbitrage récurrent entre le choix d’actions efficaces permettant d’atteindreles objectifs environnementaux et la volonté de ne pas imposer de mesures tropcontraignantes pour les acteurs économiques. C’est essentiellement cet équilibre qui estdifficile à atteindre dans le cadre de la lutte contre les algues vertes : contourner le problèmeou l’attaquer directement tout en assumant les conséquences économiques au niveau local.

Cette absence d’arbitrage réel entre les intérêts divergents mobilisés autour de laquestion de l’eau explique en grande partie le faible impact écologique des mesures mises

en œuvre depuis les années 1990 41 .L’action des pouvoirs publics, essentiellement l’Etat, les collectivités locales et l’Agence

de l’eau est restée vaine et n’a eu aucun impact sur le phénomène des algues vertes dansla Baie de Saint-Brieuc. Les causes de cette inefficacité sont diverses. Ces programmesd’actions successifs illustrent la difficulté patente d’inscrire ce problème à l’agenda politique.Mais plus encore, l’inefficacité de ces programmes rend encore plus difficile la publicisationet la prise en charge durable du phénomène. Si, à chaque plan d’actions, la question de laqualité de l’eau apparaît, ce n’est que pour mieux disparaître dès que les résultats semblentêtre peu probants. Cette disparition de la question de l’eau potable de la scène publiqueocculte ainsi la prolifération persistante des algues vertes. Tout se passe comme si lesalgues vertes étaient un problème secondaire contre lequel il est inutile de se battre puisqu’ilest impossible d’en venir à bout. En effet, les objectifs en matière de qualité des eauxsemblent inatteignables.

Face à ce manque d’actions concrètes et aux résultats peu convaincants des politiquesde gestion des algues vertes, la société civile locale, citoyens et associations, va se mobiliseret dénoncer la prolifération des algues.

Une entreprise collective de protestation et de contestation va progressivementémerger au niveau local.

39 Entretien 4. Chargé de mission algues vertes à la Préfecture des Côtes-d’Armor.40 Entretien 3. Ancien président et fondateur de l’association Halte aux Marées Vertes.

41 Cour des Comptes, La préservation de la ressource en eau face aux pollutions d’origine agricole : le cas de la Bretagne,Paris : Cour des Comptes, février 2002, 293 p.

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C) Déchirer le voile du silence. La stratégie collectivedes associations de défense de l’environnement.

La gestion de la prolifération des algues vertes masque des controverses entre des acteursmultiples : les politiques publiques en la matière ne sont pas initiées uniquement par lapuissance publique. Elles font l’objet d’une définition à un niveau local, au plus près despopulations concernées. C’est notamment parce que ces dernières ont été directementconfrontées au phénomène des marées vertes qu’elles se sont mobilisées pour que ceproblème soit pris en charge. De plus, c’est parce qu’elles estiment qu’elles sont investiesd’une légitimité à agir qu’elles vont vouloir participer à l’élaboration des solutions et à la miseen œuvre des actions.

Se pose ainsi la question de la stratégie collective à établir pour permettre unereconnaissance et une prise en charge durable du phénomène.

Pour Sydney Tarrow, l’action collective est conduite par des individus solidaires, ayantdes objectifs communs, engagés dans une interaction soutenue et conflictuelle avec des

élites, des autorités et des opposants 42 .

Le tournant des années 2000 : une situation devenue insupportableLa situation du début des années 2000 va faire changer la donne. Il y a plus d’algues quejamais : les plages en sont infestées. Les alertes sanitaires font leur entrée sur le devant dela scène puisque des enfants sont incommodés alors qu’ils jouent sur les plages, notammentcelles de la commune d’Hillion. D’autre part, le traitement des algues est problématique :que faire des amas d’algues ramassées sur les plages alors que les structures ne sont pasadaptées ? Les riverains de la plateforme de stockage d’Hillion font d’ailleurs part de leurras-le-bol : la gêne olfactive devient insupportable. C’est dans ce cadre que la maire de lacommune fera fermer cette plateforme en octobre 2009 pour réduire les nuisances, et aunom du principe de précaution afin de préserver la santé publique.

On observe ici une brèche dans l’accord local qui existait jusqu’alors : certains acteursne peuvent plus se contenter de supporter en silence les conséquences néfastes des alguesvertes : il faut agir pour y mettre un terme. C’est tout l’enjeu de la mobilisation collective quiémerge au niveau de la commune d’Hillion.

La prolifération des algues vertes cesse d’être un phénomène naturel et est extrait

de son cadre familier 43 . Certaines incertitudes lui sont attribuées : les algues vertes

deviennent un objet d’interrogations et de doutes. Présentent-elles un risque pour la santédes enfants ? Sont-elles les indicateurs d’une eau polluée peu propice à la baignade ?Pourquoi prolifèrent-elles dans notre Baie et non pas ailleurs ?

Ainsi, le phénomène des algues vertes acquiert une certaine visibilité et commence àêtre présenté comme un véritable problème par les riverains, les « locaux » fréquentant lesplages et certains élus confrontés au phénomène.

42 TARROW Sidney, Power in movement, social movements, collective action and politics, Cambridge: Cambridge UniversityPress, 1994, 271 p.

43 BORRAZ Olivier, Les politiques du risque, Paris : Les Presses de Sciences Po, 2008, 294 p.

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A l’origine de cette mise en visibilité se trouve notamment une expérience sensorielle :la gêne olfactive est extrêmement importante et accroît la sensation de risque lié à laprolifération des algues. C’est à travers cette expérience que les conséquences néfastesdes algues vertes deviennent repérables et identifiables.

En outre, le problème des algues vertes acquiert une dimension locale : il concerne unnombre réduit d’acteurs rassemblés sur un même territoire.

La mise en visibilité du phénomène traduit ainsi le sentiment d’une certaine perte demaîtrise sur l’environnement. En effet, apparaît l’idée qu’il existe bel et bien une pollutionde l’eau, mais ses origines sont floues et difficiles à établir. De plus, l’ensemble des plansd’actions qui ont été mis en œuvre n’ont pas eu de résultats concluants, d’où la sensationd’être face à un problème incurable sur lequel personne n’a de prise, ni les citoyens ni lescollectivités locales.

En cessant d’être perçu comme un phénomène naturel et banal, le phénomène desmarées vertes perd son caractère familier. Il est désormais envisagé comme un véritableproblème public concernant l’ensemble des acteurs du territoire. Un problème public peut-être défini comme un problème qui appelle un débat public, voire l’intervention des autorités

politiques légitimes 44 . Ce phénomène suscite quelques interrogations mais n’est pasencore qualifié de risque. Le problème est ainsi posé en termes de nuisance (gêne olfactive,visuelle) et de protection de l’environnement (pollution de l’eau).

Cette perte de familiarité est semblable à un processus de stigmatisation puisque

l’existence des marées vertes ne peut plus être justifiée 45 . Cette étape est un préalable àl’action collective contre les algues vertes.

Ainsi, il y a une politisation du problème au niveau municipal. En 2001, unrassemblement contre les algues est organisé, mais il s’agit surtout d’un rassemblementcontre le maire en exercice. En effet, ce dernier est tenu responsable du non-ramassagedes algues sur les plages.

« Halte aux Marées Vertes, c’est une association, ils font ce qu’ils veulent...C’est pas nouveau, ils ont découvert ça pour les élections de 2001. C’est uneéquipe qui s’est mise en place 6 mois avant les élections et ont presque tous été

candidats. C’était un truc politique » 46 .Dénoncer la mauvaise gestion des algues vertes est une stratégie pour s’emparer de lamairie. Mais l’idée de l’époque est aussi que la bonne gestion des algues au niveau de lacommune passe par la victoire aux élections municipales de 2001.

Le Président de Halte aux marées vertes, originaire de la région, et revenu habiter àHillion pour sa retraite, prend rapidement conscience que le milieu naturel a changé depuisson départ pour la région parisienne plusieurs dizaines d’années auparavant. C’est pourquoiil créé son association, Halte aux marées vertes. Il s’agit de créer une association afin demettre en place un contre-pouvoir. Ainsi, il va utiliser ses acquis en communication pourattirer l’attention sur la problématique des algues vertes. Pour cela, il sera épaulé par des

44 PADIOLEAU Jean-Gustave, L’Etat au concret, Paris : Presses universitaires de France, 1982, p. 25.45 BORRAZ Olivier, Les politiques du risque, Paris : Les Presses de Sciences Po, 2008, 294 p.

46 Interview de l’ancien maire d’Hillion, Site des Archives audiovisuelles de la Recherche, « Enquête autour

de la critique de l’élevage porcin intensif en Bretagne » : http://www.archivesaudiovisuelles.fr/FR/_video.asp?

id=1555&ress=4741&video=7674&format=68 [consulté le 27 avril 2011].

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La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problèmepublic

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amis qui vont l’accompagner dans ce combat. De plus, son nom est porteur, au niveau dela commune, puisque sa famille y est implantée depuis des générations et que sa tantepossédait le principal hôtel du village.

Ainsi, des réseaux d’acteurs collectifs, ici des associations, vont intervenir dans lesprocessus de mise en visibilité des nuisances, dans la reformulation du problème à traiter

et dans le choix des modes de réponse publique 47 . Un élément important dans l’actioncollective dénonçant les marées vertes est la notion de médiatisation. Celle-ci « a pourparticularité de porter à la connaissance du public l’existence d’une situation plus ou moins

problématique qui, sans son intercession, resterait privée de publicité » 48 .Cette médiatisation va porter sur un enjeu dont la définition dans un environnement va

conditionner les attitudes et les choix qui seront adoptés à son égardL’objectif de cette mobilisation est donc avant tout de faire parler des algues vertes

en brisant le tabou qui entoure ce phénomène. Cette étape doit permettre d’impulser unvéritable changement dans les mentalités des acteurs en présence, notamment les élus.C’est un préalable à une prise en charge durable et effective du problème.

Marées vertes et naissance d’un mouvement socialL’étude de la gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc nécessite de s’intéresserau mouvement social qui s’est constitué au niveau local et qui a joué un rôle important dansle processus de mise à l’agenda de cette problématique.

Nous avons vu précédemment que le phénomène des algues vertes a progressivementperdu son caractère familier. Il est passé de la sphère privée à la sphère publique. Il y aainsi publicisation d’un problème lorsque « des conséquences indirectes sont reconnues et

qu’il y a un effort pour les réglementer » 49 .La mobilisation collective contre les algues vertes va se construire autour de certaines

caractéristiques liées au contexte local.Tout d’abord, les marées vertes ont un impact important sur certains aspects de la vie

auxquels les acteurs locaux accordent une grande importance. Il s’agit notamment du bien-être de leurs enfants mais aussi de leur lieu de vie.

D’autre part, la problématique des algues vertes touche de manière différente lesacteurs du territoire. Dès le départ, la gestion du phénomène n’est pas appréhendée dela même manière par les élus, les riverains ou le secteur agricole. Des tensions sontperceptibles entre différents groupes d’acteurs, impulsant ainsi une mobilisation de certainsd’entre eux.

Enfin, si les origines des algues vertes semblent être extérieures et difficiles à cerner,associations et riverains vont peu à peu prendre conscience que tout n’est pas fait pour

47 JOLY Pierre-Benoît et MARRIS Claire, « La trajectoire d’un problème public : une approche comparée du cas des OGM enFrance et aux Etats-Unis », dans Claude GILBERT (dir.), Risques collectifs et situations de crise. Apports de la recherche en scienceshumaines et sociales, Paris : L’Harmattan, 2002, p. 40-63.

48 BOUSSAGUET Laurie et al., Dictionnaire des politiques publiques, article « Effets d’information », Paris : Les Presses deSciences Po, 2010 : p. 219.

49 DEWEY John, Le Public et ses problèmes, Pau : Publications de l’université de Pau, 2003, p. 61.

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LORANS Bérengère - 2011 31

combattre durablement le phénomène. Ainsi, les habitants semblent avoir la capacité d’agirsur la prolifération des algues vertes, notamment en proposant des solutions nouvelles etjusque-là ignorées.

Ce court extrait d’entretien avec l’ancien président de Halte aux marées vertes entémoigne :

On m’avait répondu « mais si on devait s’occuper de la Baie de Saint-Brieuc, onmettrait tout notre argent là-dedans, on pourrait pas subventionner les autres ».Donc l’idée c’était bien de faire de la brume : on fait quelque chose, mais à la

limite on s’en fou un peu… 50

La quête d’alliés est ensuite un enjeu de la mobilisation puisqu’elle permet de nourrir la

dynamique protestataire 51 . Des efforts ont ainsi été entrepris pour élargir la base dumouvement social. En effet, la quête de ressources est importante : les marées vertesétant un problème localisé, seuls ceux qui habitent à proximité des cotes ont tendance àse mobiliser. C’est pourquoi le président de l’époque de l’association Halte aux maréesvertes va organiser de nombreux rassemblements pour dénoncer les algues vertes. Ilva notamment s’appuyer sur son expérience en théâtre pour attirer l’attention sur cetteproblématique. Il s’agit à la fois d’affirmer la volonté de lutter contre les algues vertes maiségalement d’agrandir le groupe afin d’intensifier la mobilisation.

« A chaque fois qu’on avait à dire quelque chose on imaginait des grands objetsroulants et on convoquait la presse. Parce que dans la communication y a troischoses : c’est la force, l’intelligence – c’est-à-dire avoir des projets, savoiroù on va – mais aussi de l’émotion. Donc à chaque fois faut travailler sur cestrois vecteurs là pour être percutants en quelque sorte. Ca je l’avais appris àdes stages de communication à EDF-GDF où je travaillais. Et puis quand jerelis l’histoire de France, c’est toujours quand y a ces trois ingrédients là quefinalement le monde avance. Ce qui fait que la première fois qu’on a fait unrassemblement ici, la toute première fois y avait eu une centaine de personnesqui avaient dit « on va adhérer à un groupement », et l’année suivante 4000

personnes, 4000 signatures. » 52

L’ensemble de ces actions vise donc à élargir le cercle des acteurs concernés, à identifierdes alliés et dénoncer des ennemis. Cette quête d’alliés permet de définir les frontièresdu groupe et de distinguer entre « eux », ceux qui restent à l’extérieur de la mobilisation,et « nous », ceux qui la soutiennent. Cette constitution d’un groupe porteur d’uneaction collective contribue également à l’identification de responsables. Ce processusd’identification des causes et des responsables des marées vertes sera détaillé un peu plusloin.

Il est à noter que cette recherche de soutien au sein de la communauté locale s’inscritdans des rapports de force préexistants, notamment des oppositions politiques. C’estnotamment le cas à Hillion où l’opposition municipale va porter la protestation contre lamauvaise gestion des algues vertes.

50 Entretien 3. Ancien président et fondateur de l’association Halte aux Marées Vertes.51 BORRAZ Olivier, Les politiques du risque, Paris : Les Presses de Sciences Po, 2008, 294 p.52 Entretien 3. Ancien président et fondateur de l’association Halte aux Marées Vertes.

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La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problèmepublic

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La quête d’alliés inscrit donc la mobilisation collective dans un contexte local,caractérisé par des rapports conflictuels entre différents groupes sociaux et des liensd’interconnaissance qui vont fournir des alliés ou des adversaires. Elle contribue à renforcerla visibilité du phénomène des algues vertes et à accroître les incertitudes qui y sont liées.

Dès lors qu’un mouvement social s’était constitué autour de la problématique desalgues vertes, il s’agissait d’intensifier la mobilisation afin de déclencher une véritable priseen charge du problème au niveau local, voire national.

D’où la volonté d’aller en justice pour identifier les responsables : la décision est priseen 2001 par le Conseil d’Administration de l’association Halte aux marées vertes. L’idée estque le règlement du problème relève d’une autorité publique censée agir pour le bien dela collectivité. Le problème des algues vertes appelle ainsi une prise en charge publiquepar l’Etat.

Il s’agit ici d’un usage du droit à des fins militantes, conformément à ce que Lilian

Mathieu nomme la « mobilisation tribunicienne » du procès 53 . Cela consiste à médiatiserune affaire au moment de son passage devant un tribunal pour la poser comme exemplaired’un problème plus général. Un procès se transforme alors en un débat de société. Onretrouve la nécessité de la publicisation du phénomène des marées vertes : faire passer ceproblème de la sphère publique à la sphère privée en parlant des algues.

La médiatisation de ce procès a été un élément-clé. En effet, la plupart des chaînesnationales l’ont couvert, provoquant une prise de conscience de l’ampleur du phénomèneet de ses conséquences au niveau de l’ensemble du pays. Dans ce cadre, les autorités nepouvaient pas rester longtemps inactives. L’ancien président de Halte aux marées vertesévoque d’ailleurs cet emballement médiatique :

alA« Alors on arrive devant le Tribunal Administratif à Nantes […] une nuée dejournalistes. D’ailleurs mon fils m’a dit que j’étais passé sur i-télé près d’un quart

d’heure » 54 .Mais ce recours en justice ne s’est pas improvisé : il a fallu acquérir des compétences endroit. C’est pour cela que le président de l’association Halte aux marées vertess’inscrit en2002 à la faculté de droit de Saint-Brieuc pour acquérir les connaissances nécessaires àl’ouverture d’un procès contre l’Etat. Cette recherche d’informations est indispensable afind’assurer le succès de la mobilisation collective, à savoir une reconnaissance juridique desresponsabilités de l’Etat dans le dossier, et donc une prise en charge du problème desalgues vertes par les autorités publiques.

De plus, l’avocat chargé d’accompagner Halte aux marées vertesdans ce périplejuridique conseille à son président de ne pas partir seul et de fédérer autour de lui d’autresassociations. En effet, cette action plus collective donnera davantage de poids à uneéventuelle victoire devant les tribunaux. Ainsi, ce sont quatre associations qui se lancentdans ce recours en justice contre l’Etat : Halte aux marées vertes, Eau et rivières deBretagne, Sauvegarde du Trégor et De la source à la mer.

53 MATHIEU Lillian, Comment lutter ?, Paris : Textuel, 2004, p. 150.54 Entretien 3. Ancien président et fondateur de l’association Halte aux Marées Vertes.

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I- De l’arrangement local à l’action collective : la reconnaissance tardive du phénomène desmarées vertes

LORANS Bérengère - 2011 33

« Nous étions quatre associations unies dans un combat qui a été notre moteur.

Cela a permis également de médiatiser et de mieux faire connaître notre lutte » 55 .La quête d’alliés a ici encore été primordiale, afin d’accroître les ressources et les chancesde succès de la mobilisation collective. Plus encore, l’élargissement de l’action en justicecontre l’Etat traduit l’ampleur régionale du phénomène. En effet, l’association Sauvegardedu Trégor lutte contre les algues vertes au niveau de la Baie de Lannion. C’est donc plusieursterritoires touchés par ce phénomène qui se mobilisent.

Le recours gracieux contre l’Etat est établi en 2002 : il attaque l’Etat pour non-respectdes directives sur l’eau établies par Bruxelles, reposant sur le constat de la dégradation dela qualité de l’eau dans un nombre important de sites.

Dans le cadre de ce recours gracieux contre l’Etat, chaque association envoie unelettre à un des quatre Préfets de département. L’objet de ces lettres était de souligner lesconséquences néfastes des algues vertes : par exemple, Halte aux marées vertes dénonçaitle fait que les riverains et les touristes ne puissent plus accéder à la plage de la Grandvilleet étaient obligés d’aller au Val-André.

L’objet de ce recours est d’être dédommagé en raison de la gêne olfactive et pour lesbaigneurs « déplacés ».

Seul le Préfet des Côtes-d’Armor répondra en affirmant que les marées vertes sont unproblème ponctuel, qu’elles n’ont pas de conséquences et qu’elles finiront par disparaître.

Cette première phase de recours gracieux a ensuite amené au dépôt, en septembre2003, de recours dit de « plein contentieux » au tribunal administratif de Rennes.

Les conclusions du Tribunal administratif de Rennes sont les suivantes : les maréesvertes existent parce que le taux de nitrates dans l’eau de la source à la mer est supérieurà 5 à 10 mg/L. De plus, la responsabilité de l’Etat est engagée. D’abord, pour avoirdifféré de plusieurs mois à plusieurs années la transposition en droit interne de la directiveeuropéenne relative à la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d’origineagricole. Enfin, l’Etat a fait preuve de négligences récurrentes dans l’application de laréglementation des installations classées pour la protection de l’environnement, en matière

agricole (autorisation d’élevage) 56 .

Cette reconnaissance d’un lien direct entre les carences fautives de l’Etat dansl’application de la réglementation sur les installations classées et la pollution par les algues

vertes a « redonné un petit coup de fouet » 57 .L’Etat courait ainsi le risque de se trouver confronté à de multiples contentieux internes

visant à rechercher sa responsabilité ou celles de ses représentants. Le juge se substituantalors à l’Etat dans ses fonctions d’arbitrage entre les intérêts divers liés à la question del’eau. Les autorités publiques ne pouvaient plus se contenter de banaliser et de négliger lephénomène des marées vertes.

55 Ibid.56 Arrêt n° 0400630 du Tribunal Administratif de Rennes du 25 octobre 2007.57 Entretien 3. Ancien président et fondateur de l’association Halte aux Marées Vertes.

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La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problèmepublic

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ConclusionLa prolifération des algues vertes a longtemps été passée sous silence, définie commeun évènement ponctuel et sans conséquence. Cependant, différents groupes d’acteursvont peu à peu dénoncer ce phénomène car il devient récurrent et a des conséquencesnéfastes sur l’économie locale et sur la vie quotidienne des riverains. Ainsi, les maréesvertes deviennent problématiques car elles sont perçues comme étant insupportables. Il ya donc une phase de problématisation, au cours de laquelle des acteurs ont identifié lesmarées vertes comme une situation anormale et vont tenter d’appeler l’attention d’un acteurpublic.

La mise sur agenda de ce phénomène est donc liée à la mobilisation d’acteurs(associations, élus, riverains…) qui perçoivent un écart entre ce qui est (des plages vertes)et ce qui devrait être (une région littorale protégée).

Mais la mobilisation collective ne permet pas, de fait, une prise en charge durable duphénomène. La constitution du problème public et sa mise sur agenda est aussi le résultatdes interactions concurrentielles entre les différents acteurs pour le cadrage et la définitiondu problème.

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II- Lutter contre les marées vertes : quand la pollution d’origine agricole devient dangereuse pourl’homme

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II- Lutter contre les marées vertes :quand la pollution d’origine agricoledevient dangereuse pour l’homme

L’émergence d’une mobilisation collective autour du phénomène des marées vertes ne suffitpas à une prise en charge durable de ce problème par les autorités publiques.

Les différents acteurs concernés par les marées vertes vont tenter d’imposer leur propredéfinition du problème.

On observe donc des changements de cadrage. Les opérations de cadrage consistentà présenter un enjeu en sélectionnant certaines considérations privilégiées qui vont leconfigurer et lui donner une forme propice aux objectifs et aux actions préconisées par les

entrepreneurs qui le soutiennent 58 .

La gestion des algues vertes se construit autour des définitions et des mises à l’agendasuccessives dont elle fait l’objet. Chaque définition va permettre de mobiliser des alliés etde proposer des politiques publiques particulières.

La prise en charge du problème public des algues vertes dépend des stratégiesdestinées à le définir et à le délimiter.

A) Du problème de l’eau à celui de l’agricultureLa problématique des algues vertes va connaître une première reconfiguration : d’unesimple pollution de l’eau on passe à une pollution de l’eau d’origine agricole.

Cette requalification pose la question de la causalité et de la responsabilité : il estpossible d’imputer le problème à un secteur identifiable.

Les marées vertes : un problème environnementalLa gestion des algues vertes est tout d’abord appréhendée sous l’angle de la pollution del’eau.

Une prise d’eau superficielle est conforme en matière de nitrates lorsqu’elle resteinférieure à la limite de 50 mg/l pendant plus de 95% du temps, et que pour les 5% restant,elle demeure sous le seuil de 75 mg/l. Or, entre 1982 et 1988, la progression des teneursen nitrates dans les cours d’eau du département est en moyenne de 1,8 mg/l par an. Cette

58 BORRAZ Olivier, Les politiques du risque, Paris : Les Presses de Sciences Po, 2008, 294 p.

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La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problèmepublic

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élévation du taux de nitrates dans les eaux brutes est ensuite constante durant les années

1990 59 .C’est dans ce cadre que s’inscrit l’action de l’association Eau et rivières de Bretagne.

Initialement, cette association de protection de la nature créée en 1969 se consacre à laprotection du saumon. Mais de la protection d’une espèce, elle s’est ensuite tournée versla protection du milieu. Elle va donc se pencher sur la qualité des eaux de consommation.Il s’agit d’initier une véritable politique territoriale en prenant en compte tous les tenants et

les aboutissants présents autour de la problématique de l’eau 60 .Ainsi, dès 1986, les premières interdictions de vente frappent les moules de la Baie en

raison d’une pollution bactérienne trop élevée. Ces interdictions provoquent la colère desmytiliculteurs qui élèvent le problème de la qualité des eaux littorales et continentales aurang de problème de société pour les territoires de la Baie de Saint-Brieuc. La populationse sent également concernée puisqu’elle perçoit dans cette pollution une menace pour sasanté.

La question de la pollution des eaux est donc un problème environnemental. En effet, ily a problème d’environnement lorsque des questions relatives au cadre de vie et à la gestionde l’espace sont tirées du champ de gestion technique pour être débattues et arbitrées dans

celui du politique 61 .Face à cette pollution de l’eau par les nitrates, il s’agit de mettre en œuvre une politique

de reconquête de la qualité des eaux car les actions préventives ont été ignorées.Dans les années 1990, l’idée qui prévaut est la suivante : les causes des marées vertes

ne sont pas agricoles. Il existe de forts doutes sur l’origine agricole des algues vertes. Onestime à l’époque que ce sont les rejets des stations d’épuration qui sont à la source duphénomène. Tant que le rôle des épandages dans la pollution des eaux n’a pas été dénoncé,la perception des agriculteurs n’évolue pas. Il n’y a pas de prise de conscience du rôle dusecteur agricole dans la prolifération des algues.

A deux reprises, en 2001 et en 2002, la Cour de justice des communautés européennesa condamné la France pour la mauvaise qualité des eaux destinées à la production d’eaualimentaire en raison des teneurs en nitrates d’origine agricole excessives. Ce sont ainsi lesnitrates d’origine agricole qui sont mis en cause. Les institutions européennes apparaissentici comme un véritable acteur dans la lutte contre la pollution des eaux. Surtout, la CJCEmet ici en évidence le rôle de l’agriculture dans ces pollutions.

Les excédents d’azote mis en cause ?Le colloque de l’IFREMER organisé en 1999 affirme la responsabilité de l’azote et duphosphore d’origines agricole dans le développement des marées vertes. La synthèse de ce

59 Cour des Comptes, La préservation de la ressource en eau face aux pollutions d’origine agricole : le cas de la Bretagne,Paris : Cour des Comptes, février 2002, 293 p.

60 MALLARD, Alexandre et REMY Elisabeth, « Comment les associations renouvellent le débat sur la qualité de l’eau ? »,Environnement et société, n°22, 1999, p. 69-85.

61 BODIGUEL Maryvonne, « La pollution agricole dans les Côtes d’Armor. Analyse d’une politique départementale relative àla pollution des eaux », dans Bernard BARRAQUE et Jacques THEYS, Les politiques d’environnement. Evaluation de la premièregénération : 1971-199, Paris : Editions Recherches, 1998, p. 331-346.

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colloque affirme que « l’azote est le principal facteur limitant des algues vertes » et que « son

origine est essentiellement l’agriculture intensive » 62 . Ainsi, pour aboutir à des résultatsconséquents en matière de lutte contre les algues vertes, il est indispensable de réorienterles pratiques agronomiques dans le sens d’une diminution des fuites d’azote. Cependant,les scientifiques s’interrogent sur l’efficacité de ces mesures en raison de l’inertie du milieunaturel et de la forte pollution des nappes phréatiques.

La responsabilité du phosphore dans les marées vertes est également soulignée. Ilest précisé que, dans l’origine du phosphore des cours d’eau, les rejets domestiques etindustriels tendent à diminuer alors que ceux de l’agriculture présentent la tendance inverse.

C’est dans ce cadre que le programme PROLLITORAL prévoit un axe majeurconcernant la prévention dans les bassins versants. Il s’agit de travailler avec les acteursdu territoire pour limiter les pollutions azotées en faisant évoluer les pratiques agricoles.

« L’évolution des apports azotés dans les eaux littorales contrôle ainsil’extension actuelle du phénomène des marées vertes. L’origine de ces apportsétant essentiellement agricole, la profession agricole détient, de fait, le levierde contrôle le plus efficace pour limiter de manière préventive le phénomène de

marées vertes sur les côtes bretonnes 63 ».Cependant, sans préciser davantage, ce plan d’actions évoque aussi « d’autres sourcesde pollution ».

Ainsi, la reconnaissance du problème agricole se heurte à la problématique despollutions diffuses. Ces dernières semblent ne jamais être avérées avant que lesnombreuses interactions avec les divers éléments du milieu naturel ne transforment dessources potentielles en pollutions réelles. Ce sont des entités évanescentes dont lesorigines restent impossibles à établir de manière précise et dont l’existence est difficile àprouver. Les agriculteurs peuvent donc s’appuyer sur leur caractère fuyant et instable. Onconstate ici la difficulté à inscrire le problème de la pollution des eaux à l’agenda politiqueet à le traiter efficacement. En effet, ce caractère instable et fuyant alimente l’idée qu’il estinutile de lutter contre la pollution des eaux puisque toute action est inefficace.

Mais le caractère diffus des pollutions agricoles est tout autant un objet politique et

social qu’un phénomène naturel 64 . L’idée de pollutions diffuses entraîne l’impossibilité

d’imputer des responsabilités individuelles. Ainsi, même lorsque le problème de la pollutiondes eaux est inscrit à l’agenda, les professionnels agricoles contestent leur responsabilitédans l’apparition de ce phénomène, avant d’en évoquer les origines multiples.

Ainsi, le chef du service aménagement et environnement à la Chambre d’Agriculturedes Côtes-d’Armor explique que certaines positions extrêmes subsistent. Ces dernièresconsistent à affirmer que ce n’est pas l’azote qui est responsable des algues vertes, mais

62 IFREMER, Synthèse scientifique. Pollutions diffuses : du bassin versant au littoral, Dinard : IFREMER, septembre 1999, p. 2.63 Centre d’Etude et de Valorisation des Algues, Programme régional et interdépartemental de lutte contre les marées

vertes en Bretagne, Pleubian : Centre d’Etude et de Valorisation des Algues, septembre 2007, 65 p.64 BOURBLANC Magalie et BRIVES Hélène, « La construction du caractère « diffus » des pollutions agricoles », Etudes

rurales, n°183, vol. 1, 2009, p. 161-176.

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La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problèmepublic

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le phosphore. Or, pour les responsables agricoles, le phosphore provient essentiellement

des rejets urbains, non de l’agriculture 65 .Les propos du chargé de mission algues vertes à la Préfecture des Côtes-d’Armor

traduisent l’aspect construit du caractère diffus des pollutions agricoles.« Donc en fait la question des algues vertes existe dans le département depuisde nombreuses années puisque en fait, dès les années 1970 on constataitdes arrivages d’algues vertes, notamment dans les baies de Saint-Brieuc enparticulier. Mais à l’époque on pensait que les raisons n’étaient pas liées ausecteur agricole. C’était davantage lié aux stations d’épuration qui n’étaient pas

aux normes » 66 .Des études ont par ailleurs prouvé que les problèmes d’assainissement ne

représentent que 5% des apports azotés dans la Baie de Saint-Brieuc 67 .

Cependant, lors de l’élaboration du projet territorial pour la Baie de Saint-Brieuc,dans le cadre du plan Algues vertes, les représentants de la profession agricole onttenu à ce que la coresponsabilité soit reconnue. S’il y a des algues vertes, c’est parcequ’il y a des fuites d’azote d’origine agricole, mais c’est aussi parce qu’il existe desrejets urbains mal traités par les stations d’épuration.

Si l’origine agricole des marées vertes ne semble plus faire de doute, laprofession agricole insiste sur l’idée qu’elle n’est pas la seule responsable de cefléau. La problématique du caractère diffus des pollutions à l’origine des alguesvertes ralentit une véritable prise en charge du phénomène puisque son origine estdifficile à établir précisément.

En 2009, le Préfet des Côtes-d’Armor adresse aux autorités ministérielles unrapport sur la problématique des algues vertes. Ce rapport secret est finalementrendu public (personne ne sait comment ni par qui).

« D’ailleurs on a eu un appui formidable, y a deux ans bientôt : le Préfet desCôtes-d’Armor de l’époque avait fait un rapport à son Ministre, qui devait restersecret, et qui disait ‘’nous ne sortirons pas des algues vertes parce qu’il faudraitchanger le modèle agricole, et la profession agricole n’y est pas prête‘’. Le

rapport finalement a été sorti du secret, la profession agricole était folle » 68 .Les onze pages du rapport n'étaient pas censées devenir publiques. Elles ont étérédigées en juin 2009 au terme d'une vingtaine de réunions entre les fonctionnairesdes administrations concernées par les algues vertes : préfecture, services vétérinaires,Direction départementale de l'agriculture. Un rapport d'abord expédié le 7 août à lasecrétaire d'État à l'Écologie, puis au Premier ministre, début septembre, après sa visite àSaint-Michel-en-Grève.

Dans ce rapport, le Préfet Jean-Louis Fargeas indique que « la diminution visible etnotable du phénomène ne pourra passer que par un changement profond des pratiques

65 Entretien 5. Chef du service aménagement et environnement à la Chambre d’Agriculture des Côtes-d’Armor.66 Entretien 4. Chargé de mission algues vertes à la Préfecture des Côtes-d’Armor.67 IFREMER, Synthèse scientifique. Pollutions diffuses : du bassin versant au littoral, Dinard : IFREMER, septembre 1999, 4 p.68 Entretien 6. Spécialiste de l’agriculture durable, fondateur du CEDAPA.

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agricoles, ce que la profession agricole n’est pas prête à accepter pour le moment. Il s'agitde révolutionner les pratiques agricoles et de changer complètement le modèle économique

existant. » 69

Pour le chargé de mission algues vertes à la Préfecture des Côtes-d’Armor, cetévènement marque la reconnaissance officielle de ce que tout le monde pensait mais queles autorités avaient du mal à affirmer haut et fort.

Ce rapport a inauguré une situation et un rapport de force différents au niveaulocal. Ainsi, l’Etat reconnaissait sa responsabilité dans la mauvaise application des textesréglementaires concernant les installations classées pour la protection de l’environnement.Surtout, la position du Préfet Fargeas reflète celle des hautes autorités de l’Etat. Il ne s’agitpas uniquement de l’initiative isolée d’un Préfet. Celui-ci affirme que le modèle agricolebreton est le principal responsable des marées vertes. Il s’agit donc d’un changementd’attitude qui permet d’envoyer un signal fort aux associations.

Le problème passe ainsi du secteur de l’eau à celui de l’agriculture. Il ne s’agit pasuniquement d’un problème de pollution des eaux mais bien celui d’un modèle agricoleproductiviste prépondérant en Bretagne. Ce changement de définition rejoint la position desassociations de protection de la nature, de certains riverains et de l’IFREMER qui espèrentimpulser un changement dans les pratiques agricoles. C’est pour eux le seul moyen degérer la prolifération des algues vertes.

Cette requalification traduit une montée en généralité du problème. Les algues vertesne sont alors que la partie émergée de l’iceberg : derrière se cache un modèle agricoleayant des impacts écologiques forts et basé sur une logique de production à bas prix. Maisse cache également un modèle de développement économique basé sur l’omniprésencede l’industrie agro-alimentaire.

La définition du problème a donc été élargie pour porter sur les problématiques dedéveloppement durable et de modèle d’agriculture. Il s’agit d’une montée en généralité :le problème des algues vertes est devenu une question complexe relevant à la fois depolitiques environnementales et agricoles.

Cette montée en généralité permet de dépasser le seul problème de la pollution deseaux, dont la prise en charge n’a été qu’épisodique et peu efficace. En se référant à laproblématique de la durabilité d’un modèle agricole et économique, les acteurs qui luttentcontre les algues vertes proposent des arguments publiquement défendables et reconnuspar les autorités publiques.

Les algues vertes ne sont plus une fatalité dont il faut s’accommoder : il existe desresponsables et donc des solutions. Ces dernières passent par une gestion préventive duproblème.

B) Impulser des changements dans le modèle dedéveloppement économique breton

69 FARGEAS Jean-Louis, Lettre destinée au Premier Ministre, Le phénomène des algues vertes dans les Côtes d’Armor, Saint-Brieuc : Préfecture des Côtes d’Armor, 4 septembre 2009, 17 p.

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La définition du problème est élargie pour porter sur les problématiques de développementdurable et de modèle d’agriculture. C’est l’ensemble du modèle agro-économique bretonqui est remis en question et repensé.

« C’est bien le développement économique de la Bretagne qui va faire la qualité

de l’eau de la Bretagne » 70 .Un modèle agricole conventionnel domine : l’économie du territoire en est largementdépendante. Mais les effets néfastes pour l’environnement sont importants.

Face à cela, ce sont des modèles parallèles qui vont se développer, prônant uneagriculture plus extensive, se ventant de polluer moins et d’apporter une solution définitiveaux pollutions agricoles et aux marées vertes. Il ne s’agit pas uniquement d’opposer unmodèle à un autre mais d’engager des réflexions sur le modèle agricole breton dans lecadre de la lutte collective contre les marées vertes afin de gérer le problème de manièrepréventive.

Le poids de l’industrie agroalimentaireLa Bretagne est la première région agricole française : elle se place notamment aupremier rang pour la production animale. Ainsi, 60,4% du territoire régional est occupé parl’agriculture.

Cette agriculture bretonne repose sur l’ensemble de la filière agro-alimentaire, del’amont à l’aval. Ainsi, 46% de l’industrie du département des Côtes-d’Armor travaille dansle secteur agricole ou agroalimentaire.

La Bretagne participe à 58% de la production nationale de porcs, les Côtes d’Armor20%. Il faut donc pouvoir gérer les déjections animales.

Ainsi, l’agriculture costarmoricaine emploie 10% de la population active

départementale, et la filière agroalimentaire représente 14,5% de l’emploi salarié total 71 .

En 2005, le secteur agro-alimentaire dans le département comptait 14 000 salariés.Une part importante des établissements agroalimentaires est spécialisée dans le traitementet la valorisation de la viande.

Surtout, l’industrie agroalimentaire représente le premier secteur exportateur dudépartement. Ainsi, entre 2000 et 2004, les exportations de produits agroalimentaires sesont élevées à 319 millions d’euros en moyenne annuelle, soit 35,3% de la valeur totale

des exportations 72 .Plus de 50% de la production de porcs et de volailles nationale a été concentrée sur

la région Bretagne.

70 Entretien 7. Vice-président de la Région Bretagne en charge de l’environnement.71 Conseil Général des Côtes d’Armor, Côtes d’Armor – Les nouveaux enjeux de l’agriculture et de l’agroalimentaire, Saint-

Brieuc : Conseil Général des Côtes d’Armor, 2007, 80 p.72 Ibid.

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« C’est comme toutes les concentrations, à un moment donné ça fait pire que

bien » 73 .Emerge immédiatement l’idée des conséquences de ce type d’agriculture sur le milieunaturel.

Dès les années 1960, la région a fait évoluer son agriculture pour répondre aux besoinsde qualité mais surtout de quantités exprimés par les marchés français et européens.

Ainsi, l’un des leaders breton de l’industrie agroalimentaire, Stalaven, se vante

régulièrement de pouvoir nourrir 24 millions de consommateurs en viande par an 74 .L’objectif est donc de produire des volumes importants à des coûts moindres, afin

de garantir une viande à bas-prix et d’exporter les productions. Les représentants desassociations de défense de l’environnement se désolent régulièrement de ce type dedéveloppement :

« Surtout, qu’on ne touche pas aux volumes, car le panier de la ménagère doit

rester bas » 75 .Il s’agit donc d’un modèle agro-économique car, au-delà du type d’agriculture pratiqué,c’est tout un modèle de développement qui se structure au niveau local. Ce modèle agro-économique est le garant de la bonne santé économique du territoire de la Baie de Saint-Brieuc et de l’ensemble du département. Les algues vertes ne sont alors que la partieémergée de l’iceberg : il s’agit ainsi d’impulser un changement dans les pratiques agricolespour parvenir à éradiquer le phénomène.

Les propos du vice-président de la Région Bretagne en charge de l’environnementtémoignent des réflexions qui ont été engagées autour du modèle de développementagricole :

« Ce n’est pas le tout de dire qu’il faut faire du bio, qu’il faut faire de l’extensif,encore faut-il qu’il y ait des chaines industrielles derrière et de l’agroalimentaire

pour transformer tout ça 76 ».

L’Etat et les élus locaux sont en quelque sorte dépendant de ce système : ils sontpris dans un dilemme. Le développement économique du territoire est lié à ce modèleagroalimentaire, ils ne peuvent que difficilement en critiquer les inconvénients. Il s’agit doncde protéger les perspectives d’emploi et les capacités de production au niveau de la région.On retrouve ici l’intérêt économique mais également électoral des élus locaux : la transitionvers un nouveau modèle agricole pourrait avoir des coûts et des conséquences politiquesimportantes. Le secteur agro-alimentaire dispose d’une influence considérable au niveaulocal, aussi bien auprès des élus mais aussi sur l’opinion publique. En effet, quelquesentreprises agro-alimentaires ont entre leurs mains une part importante des perspectivesd’emploi de la région : elles pèsent sur les négociations locales et peuvent même user duchantage. Elles n’ont aucun intérêt à ce que le modèle de production agricole breton nechange.

73 Entretien 1. Adjoint au maire de la commune d’Hillion chargé de la gestion curative des algues vertes.74 Entretien 2. Représentant d’Eaux et Rivières de Bretagne au SAGE de la Baie de Saint-Brieuc.

75 Ibid.76 Entretien 7. Vice-président de la Région Bretagne en charge de l’environnement.

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La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problèmepublic

42 LORANS Bérengère - 2011

« Monsieur, on n’est pas obligé de rester travailler dans ce pays », ça c’était

Stalaven ça. Donc ça frictionne tout de suite » 77 .Ainsi, il est extrêmement difficile, pour les populations et les élus vivant aux côtésde l’industrie agroalimentaire, pourvoyeuse d’emplois pour toute la région, de dénoncerpubliquement les impacts de l’élevage intensif au niveau local. Ceci explique en partie latrajectoire sinueuse du problème des algues vertes dans l’espace public. Dénoncer lesalgues revient à mettre en cause l’ensemble d’un modèle économique. Les enjeux et lesconséquences de la gestion des algues vertes sont donc importants et complexes.

Les algues vertes : conséquences directes des politiques agricolespassées et présentes

Il convient de revenir sur l’évolution du modèle agricole breton depuis le début des années1950.

Au lendemain de la guerre, la France est ruinée, l’agriculture est appauvrie parla pénurie totale d’engrais. Le nouveau pouvoir issu de la Résistance créé l’InstitutNational de la Recherche Agronomique (INRA). Les jeunes chercheurs de l’INRA vontpréconiser le développement de la prairie pour augmenter la productivité agricole. C’est lapremière révolution fourragère : avec l’herbe, le nombre de vaches à l’hectare est doublé.L’augmentation de la production laitière grâce à l’herbe permet de quintupler la productionporcine (le lait entier reste sur la ferme, seule la crème ou le beurre sont vendus). L’élevagelaitier et porcin fonctionnait en harmonie et était complètement lié au sol. L’équation élevage/culture n’entraînait pas de nuisances, tout en gardant un développement économiqueimportant. En effet, le revenu de l’exploitant augmente considérablement et la Bretagne sort

de la pauvreté 78 .A partir des années 1960, le modèle va se transformer : l’objectif est de produire

davantage et d’exporter vers le marché européen. Il s’agit de répondre aux besoinsnationaux tout en exportant à l’étranger. L’intensification de l’agriculture a permis à laBretagne d’augmenter sa part dans la production agricole nationale, en passant de 7 % en1950 à 11 % en 2008.On parle alors de « modernisation ». Une génération va développerl’agriculture : la mécanisation générant plus de frais, il va falloir augmenter les revenus enaccroissant les volumes de production.

« On a réussi notre coup, cela a créé des emplois en amont, et en aval avecles abattoirs. Y a qu’une chose à laquelle on n’a pas pensé : la production des

effluents » 79 .En effet, avec l’arrivée de la PAC en 1963, qui permet la collecte du lait entier et favorise lesimportations de soja au prix mondial, les élevages se spécialisent soit en lait, soit en porcs.Les porcs sont donc désormais nourris avec de l’aliment non plus produit, mais acheté. Onabandonne le système fourragé basé sur l’herbe pour le remplacer par le maïs fourrage,

77 Entretien 2. Représentant d’Eaux et Rivières de Bretagne au SAGE de la Baie de Saint-Brieuc.78 POCHON André, Agronomes et paysans. Un dialogue fructueux, Versailles : Editions QUAE, 2008, 72 p.

79 Interview de l’ancien maire d’Hillion, Site des Archives audiovisuelles de la Recherche, « Enquête autour

de la critique de l’élevage porcin intensif en Bretagne » : http://www.archivesaudiovisuelles.fr/FR/_video.asp?

id=1555&ress=4741&video=7674&format=68 [consulté le 27 avril 2011].

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complété par le soja que l’on importe (on ne peut pas nourrir les animaux uniquement avecdu maïs, faible en protéines). C’est la deuxième révolution fourragère.

Mais ces importations d’aliments sont des importations d’azote et de phosphore sanscommune mesure avec les besoins des plantes : l’équilibre sol, plantes, animaux est rompu :les excédents d’azote se retrouvent dans les nappes phréatiques et dans les cours d’eau.

D’autre part, l’élevage industriel s’installe et la porcherie hollandaise sur caillebotisintégral va remplacer la porcherie danoise sur litière. Le fumier est remplacé par le lisier,c’est-à-dire de l’azote minéral. Ce dernier, contrairement à l’azote organique, ne se stockepas dans le sol. Dès qu’on l’épand, s’il y a de la pluie, tout est enlevé et s’écoule dansles cours d’eaux. Dans le fumier est contenu l’azote organique qui, lui, se stocke dans lesol et minéralise quand la température s’élève, au printemps. Avec le lisier, il n’y a plus desynergie entre minéralisation de l’azote organique et besoins des plantes.

« Si, dans ces conditions, la Bretagne n’eut pas été polluée par les nitrates, c’estque la vierge Marie se serait déplacée de Lourdes pour faire un miracle. Y a pas

eu de miracle » 80 .Le modèle agricole a donc des conséquences néfastes pour l’environnement, notammentà travers les fuites d’azote vers les cours d’eau. Le passage du problème des algues vertesdu secteur de l’eau à celui de l’agriculture a mis en évidence la responsabilité principale desexcédents d’azote dans l’origine des marées vertes.

D’où la nécessité de faire évoluer le modèle agricole breton vers un système plusrespectueux de la nature.

Ainsi, le vice-président de la Région Bretagne en charge de l’environnement déclaraiten mai 2011 qu’il n’était plus acceptable que les techniciens dans les coopératives soientrémunérés au nombre de sacs d’ammonitrates vendus. En effet, quand on lutte contre les

marées vertes, on lutte contre les stocks d’azote 81 .C’est dans ce cadre que le Conseil Général des Côtes-d’Armor va encourager le

développement des systèmes alternatifs au modèle conventionnel. Le programme « Terreet Eau » puis l’élaboration du cahier des charges du CEDAPA a notamment permis dedévelopper les Systèmes fourragers à faible utilisation d’intrants, afin de limiter les fuitesd’azote dans le milieu naturel. L’idée n’est pas de condamner radicalement le modèleagricole existant mais de proposer des évolutions afin de concilier respect de la nature etdéveloppement économique.

Ainsi, André Pochon est le pionnier de la prairie à base de trèfles blancs, dont il vapublier la méthode en 1981, La prairie temporaire à base de trèfles blancs. Il crée égalementle CEDAPA (Centre d’Etude pour le Développement d’une Agriculture Plus Autonome),prônant la mise sur pieds d’une agriculture durable. Dans les années 1980, les Chambresd’Agriculture des Côtes d’Armor et du Finistère sont contraintes d’expérimenter cetteméthode. L’étude dure cinq ans sur une centaine de fermes dans les deux départements,suivies par des techniciens des Chambres. Le résultat est sans appel : avec le systèmeherbagé, les exploitants produisent autant de lait par vache, mais sans engrais azoté etsans importer d’aliments. Tout cela fait l’objet d’une publication.

80 Entretien 6. Spécialiste de l’agriculture durable, fondateur du CEDAPA.81 Déclaration du vice-président de la Région Bretagne au journal de France 2 du 6 mai 2011.

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Ensuite, le programme « Terre et Eau », signé entre le CEDAPA, l’INRA et leConseil Général, permet de suivre pendant cinq ans 27 fermes du CEDAPA pour évaluerl’évolution des revenus agricoles de ces exploitations. Cette étude fait l’objet d’une autrepublication : A la recherche de l’agriculture durable, qui affirme que les agriculteursappliquant cette méthode gagnent plus tout en travaillant et en polluant moins. L’agriculturedurable produit autant en dépensant moins. Ainsi, les considérations sont écologiques maisaussi économiques.

Il s’agit donc de rompre avec la monoculture enclenchée depuis 40 ans avec laspécialisation, et l’élevage industriel hors-sol : il faut revenir à la polyculture et à l’élevage.Les régions d’élevage intensif hors-sol doivent ainsi diminuer leur production animale, logerleurs animaux sur litière et nourrir leurs vaches à l’herbe.

L’ensemble de ces préconisations portent également sur un constat : la Bretagne

produit 58% des porcs français, 40% de la volaille, 20% du lait, et se classe 21ème régionsur 22 pour le revenu agricole.

Le socle de « l’agriculture durable » est l’équilibre sol-plantes-animaux. Le sol faitpousser les plantes, les plantes nourrissent les animaux et les déjections des animauxretournent nourrir le sol. Chaque fois que l’on s’éloigne de cette règle universelle, c’est quel’on est dans la mauvaise direction. Ainsi, les Bretons élèvent beaucoup trop d’animaux parrapport au sol.

Tous ces points-clés ont donné naissance au cahier des charges de l’agriculturedurable. Ce dernier repose sur un système fourrager basé sur l’herbe puisqu’il doit y avoirau minimum 75% de la surface fourragère principale en herbe. Les prairies sont cultivéessans engrais azoté, donc à base de trèfles blancs. La fertilisation organique comprendmoins de 140 unités d’azote organique en moyenne sur l’exploitation à l’hectare (et non 170comme en agriculture conventionnelle). L’épandage est interdit du 15 août au 15 février, ilest seulement toléré sur les prairies à faibles doses, et il ne doit pas y avoir de fertilisationminérale. Enfin, les terres humides drainées doivent être remises en herbe et il faut arrêterles cultures sur ces terres car elles constituent des filtres naturels pour les nitrates.

Ainsi, ce cahier des charges est en application dans 400 à 500 exploitations,

principalement situées dans l’Ouest de la France 82 .Certaines de ces préconisations commencent à être retenues au niveau local pour lutter

durablement et de manière préventive contre les algues vertes.Le projet territorial adopté par la Commission Locale de l’Eau afin de répondre au cahier

des charges du plan Algues vertes prévoit ainsi une évolution de 115 exploitations vers unsystème fourrager économe en intrants. De plus, un programme de reconquête des zoneshumides, véritables pièges à nitrates, est en cours d’élaboration.

Ce modèle d’agriculture est donc reconnu au niveau local : des solutions sontenvisageables mais elles sont difficiles à appliquer sans remettre en question lefonctionnement de l’économie basée sur l’agroalimentaire. Il ne s’agit pas d’imposerunilatéralement l’application de ce modèle mais d’engager des réflexions autour decertaines mesures à mettre en place progressivement.

Ainsi, les agriculteurs commencent à prendre conscience de l’ampleur du phénomèneet acceptent la part de responsabilité qui leur incombe. C’est dans ce cadre quedes organisations agricoles (Chambre régionale d’Agriculture, les Jeunes agriculteurs,

82 POCHON André, Agronomes et paysans. Un dialogue fructueux, Versailles : Editions QUAE, 2008, 72 p.

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Coopératives de France de l’Ouest…) ont été à l’origine de la création du comité pourl’agriculture positive (CAP). Il s’agit de marquer l’attachement des agriculteurs à leur métiertout en affirmant la volonté de prendre en charge la question des algues vertes. Cependant,ce comité refuse la seule responsabilité de la profession dans la prolifération des alguesvertes.

En effet, l’idée qui prévaut est que les agriculteurs ont appliqué les directivesqui émanaient des instances scientifiques. Ce sont ces dernières qui ont impulsé lamodernisation et l’intensification de l’agriculture bretonne. Cette position fut notammentrelayée par le Président de la République lors de son déplacement à Crozon le 7 juillet 2011.En effet, concernant la prolifération des algues vertes, il a affirmé que « les agriculteurs ne

sont pas coupables de choix faits il y a bien longtemps » 83 .La gestion des algues vertes au niveau local se traduit donc par des réflexions autour du

modèle agricole breton et de ses évolutions. Des oppositions existent à ce propos, certainspréconisant un retour à une agriculture basée sur l’herbe, d’autres proposant de moderniserdavantage les exploitations pour limiter les pollutions (notamment en développant laméthanisation).

Les agriculteurs sont face au mur et doivent s’adapter. La médiatisation du problèmeles pousse à limiter les pollutions à la source, d’autant plus que le modèle agricole enprésence semble s’essouffler. Ainsi, Thierry Thomas, responsable régional des dossiersenvironnement à la Confédération Paysanne, déclarait en 2009 :

« Le modèle agricole breton, basé sur une production de masse vendue à basprix est à bout de souffle, il ne correspond plus à aucun critère de durabilité au

plan social, économique et environnemental » 84 .L’objectif est d’envisager des solutions pragmatiques. Il ne s’agit pas de suiciderl’agriculture, et par là même, l’économie bretonne.

« Pour la première fois on demande aux territoires de réfléchir à leur

développement agricole. 85 »

Le problème des algues vertes est ainsi devenu une question complexe relevant depolitiques environnementales et agricoles. Cette requalification et les réflexions autour descaractéristiques de l’agriculture bretonne traduisent une montée en généralité. Mais n’y a-t-il pas un risque de « noyer » le problème, dans la mesure où il s’agit de remettre en causeun modèle de développement existant depuis les années 1970 ?

En effet, toute transformation de l’agriculture sera longue et difficile, les résultats serontdonc des résultats sur le long terme, peu visibles dans un premier temps. Ceci d’autantplus qu’il existe une certaine inertie du milieu naturel : même en diminuant les pollutionsà la source, les teneurs en nitrates des cours d’eaux ne diminueront que lentement. Cesdifférentes observations posent donc la question de l’efficacité de cette requalification et dela mise à l’agenda du phénomène des algues vertes en tant que problème agricole.

83 ATTARD Philippe, « Sarkozy prend un bain de Bretagne à Crozon », Ouest France, 8 juillet 2011.84 LOUEDEOC Jean-Paul, « Le modèle agricole breton lamine et écrase », Ouest France, 2 octobre 2009.85 Entretien 7. Vice-président de la Région Bretagne en charge de l’environnement.

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C) Vers une reconnaissance du risque sanitaire ?Si les marées vertes ne sont que gênantes, on peut prendre le temps pour les éradiquer.D’autant plus que les scientifiques insistent sur le temps de réaction du milieu naturel : lesrésultats des politiques agricoles ne seront pas visibles immédiatement.

Mais si les marées vertes sont toxiques, alors on ne peut plus attendre : des mesuresd’urgence s’imposent. Il en va de la santé, et même de la vie de tous les usagers du littoral.C’est tout l’enjeu de cette nouvelle qualification : insister sur la gravité de la situation.

Il s’agit d’ouvrir un processus de labellisation qui conduit à désigner le problème desalgues vertes comme étant un véritable risque. En effet, la notion de risque nous renvoie àune construction sociale, celle du vécu du risque et du refus de celui-ci. Ce terme recouvre à

la fois un danger potentiel et sa perception 86 . Le risque n’a pas de caractéristiques définies,il est construit et résulte de l’interaction entre des acteurs divers aux intérêts différents. Lesparties en jeu sont les mêmes que précédemment: l’agriculture, l’Etat via ses représentants,les riverains, les associations de protection de la nature et les élus locaux.

Ce processus de qualification est un enjeu important dans la lutte contre les maréesvertes puisque la mise à l’agenda du problème en dépend.

Faire face à une deuxième campagne de déniSuite à l’intense mobilisation autour des algues, destinée à en clamer l’existence et à enaffirmer les origines agricoles, c’est ensuite une nouvelle période de silence qui s’ouvre.Silence sur les éventuels risques sanitaires des marées vertes.

Le mot d’ordre officiel face à l’éventualité d’un risque sanitaire lié aux algues vertesétait d’affirmer que ces dernières ne sont pas dangereuses. Ce discours était principalementrelayé par les autorités publiques et les élus. Les intérêts économiques et politiques deces acteurs sont importants : il ne faut surtout pas être accusé de remettre en causele développement économique de la Bretagne. En effet, dire que les algues vertes sontdangereuses revient à transformer les responsables en « coupables » et risque de faire fuirles touristes.

« Ne pouvant plus passer sous silence l’existence des marées vertes, celles-ciont été réduites à des algues inoffensives, présentes en Bretagne depuis la nuit

des temps, gênantes mais jamais toxiques » 87 .Les autorités préfectorales, notamment, vont se positionner sur la question avec descontradictions. En effet, les représentants de l’Etat, en particulier le Préfet, vont rejetertout risque toxique alors que dans le même temps ils prennent des mesures de sécurité àdestination des professionnels côtoyant les algues et concernant l’accès aux plages.

Ainsi, en octobre 2007, le Préfet des Côtes-d’Armor adresse une lettre à l’ensemble desmaires des communes littorales du département, affirmant la dangerosité de l’hydrogènesulfuré dégagé par les algues en décomposition et la nécessité de protéger les riverains etles professionnels. Cependant, à la suite de la mort du cheval en juillet 2009, la Préfecture

86 VEYRET Yvette, Géographie des risques naturels en France, Paris : Hatier, 2004, 251 p87 OLLIVRO André, LE LAY Yves-Marie, Les marées vertes tuent aussi. Le scandale sanitaire, Nantes : Le Temps, 2011, p.

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expliquera que seuls deux incidents minimes ont provoqué la mort d’animaux. Pourtant, lesalertes sanitaires ont été plus nombreuses et certaines dramatiques. Mais les menaces,bien problématique du risque sanitaire.

Tout d’abord, en 1989, un jogger disparaît mystérieusement à Saint-Michel-en-Grèveet est retrouvé mort quelques jours plus tard dans un amas d’algues. Le docteur urgentistechargé d’établir la cause du décès à l’hôpital de Lannion, dans l’impossibilité d’examiner lecorps recouvert d’algues, le transfère à Saint-Brieuc pour une autopsie. Les résultats ne luiseront jamais communiqués : même à ce jour il est impossible de les récupérer.

En juillet 2008, deux chiens meurent sur la plage de la Grandville, à Hillion. L’autopsieprouve que les animaux ont bien été intoxiqués après inhalation d’hydrogène sulfuré. Onapprend alors que de nombreux chiens sont déjà morts sur les plages infestées d’alguesvertes, mais personne n’en parlait.

Le 22 juillet 2009, un chauffeur transportant des algues à l’usine de traitement deLantic meurt d’un arrêt cardiaque. Peu de temps avant, son collègue s’était rendu chez sonmédecin, souffrant de brulures aux pieds et de saignements du nez. Mais cette affaire estrestée relativement peu visible pendant un certain temps, étouffée par la mort du cheval.

Ainsi, le 28 juillet 2009, un cheval meurt sur la plage de Saint-Michel-en-Grève, engluédans les algues et asphyxié par les émanations de gaz toxique. Son cavalier n’échappe quede peu à la mort. En effet, le sable recouvrait alors les amas d’algues vertes, impossibles àrepérer. Ils ne se distinguent pas du reste de la plage, ni à l’odeur, puisque la putréfactions’effectue en milieu confiné, sous l’eau et le sable. Le cavalier affirmera ainsi être tombé

dans un « piège » 88 , entraînant son cheval avec lui.Le lendemain, la presse locale n’évoque pas la présence des algues vertes, titrant ainsi

qu’un cheval est mort envasé et étouffé sur une plage. Mais l’intoxication par le gaz toxiquedégagé par la putréfaction des algues n’est pas soulignée. Les associations écologistescontactent alors les grands quotidiens nationaux : Aujourd’hui en France et Le Mondepublient ainsi la nouvelle. Quelques jours plus tard, Le Télégramme titrera : « Mort d’un

cheval, les algues vertes en cause ? » 89 . Le docteur urgentiste à l’hôpital de Lannion,qui avait déjà été témoin de la première mort suspecte en 1989, affirme qu’il s’agit là d’unvéritable problème de santé publique.

Dès lors, l’emballement médiatique est lancé. De cette « affaire » émergera le planAlgues vertes : l’Etat ne pouvait pas rester inactif face à cet évènement dramatiquesusceptible de se reproduire.

C’est dans le cadre de l’éventualité d’un risque sanitaire qu’est organisée une gestioncurative des algues vertes. Il s’agit de faire face à l’urgence de la situation : ramasser ettraiter les algues. Certes, cela apparaît comme une solution de « dernier ressort », maiscette politique est indispensable en attendant que des mesures de long terme fassent leurseffets. Il faut mener des actions dans le sens d’un changement des pratiques agricoles, maisles algues vertes ne doivent pas être abandonnées sur les plages.

Cette gestion curative répond également à une préoccupation économique : éviter lafuite des touristes.

88 OLLIVRO André, LE LAY Yves-Marie, Les marées vertes tuent aussi. Le scandale sanitaire, Nantes : Le Temps, 2011, 188 p.89 CUDENNEC-RIOU Valérie, « Mort d’un cheval, les algues vertes en cause ? », Le Télégramme, 1er août 2009.

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Il s’agit ainsi d’éviter que les algues vertes ne se voient trop afin de limiter lamédiatisation du phénomène. Cette idée sera d’ailleurs présente, notamment chez lesagriculteurs, lors de l’élaboration du plan Algues vertes. En effet, ces derniers souhaitentque les algues soient ramassées pour éviter tout nouvel incident et pour ne pas que laprofession soit sans cesse pointée du doigt, jugée responsable du phénomène et de sesconséquences.

Certes, les algues sont ramassées et traitées, mais officiellement personne n’affirmehaut et fort qu’il existe un risque lié à leur toxicité.

La reconnaissance du risque sanitaire, « clé de voûte » ducombat associatif

La problématique des algues vertes n’existe pas sur la scène publique en tant que risque.Si l’existence des marées vertes et leurs origines ont été mises en évidence, il n’en va pasde même des éventuels dangers qui y sont liés. En Baie de Saint-Brieuc, c’est notammentl’association Halte aux marées vertes qui va se mobiliser afin de faire reconnaître le risquesanitaire lié aux marées vertes.

La requalification de la problématique des algues vertes en un risque sanitaire estun nouveau tournant dans la trajectoire discontinue de ce problème. En qualifiant laprolifération des algues vertes de risque, il s’agit d’imposer une véritable inscription duproblème à l’agenda public.

L’ « affaire » Morfoisse traduit le combat que l’association mène pour faire reconnaîtrele risque sanitaire des algues vertes.

Ainsi, lorsqu’un transporteur d’algues (Thierry Morfoisse) meurt d’un arrêt cardiaquealors qu’il venait de décharger sa troisième livraison à l’usine de compostage de Lantic,l’éventuelle responsabilité des algues vertes n’est pas évoquée. Mais le responsable del’usine où travaillait Thierry Morfoisse écrit au Préfet pour demander qu’une enquête soitouverte. Cependant, malgré la mise en évidence de la présence d’hydrogène sulfuré dansle sang du transporteur, la responsabilité des algues vertes est officiellement écartée. Leprocureur de la République affirme effectivement que les échantillons de sang n’ont pas étéconservés au frais. De plus, ce dernier insiste sur la mauvaise hygiène de vie de l’individu.

Face à cela, la famille se mobilise afin de rétablir la vérité sur la mort de leur proche.L’affaire ayant été classée « sans suite », en mars 2001, les parents de Thierry Morfoisseportent plainte contre X et contactent alors l’association Halte aux marées vertes afin de lesépauler dans leur combat judiciaire.

D’autre part, trois scientifiques (Claude Lesné, ingénieur de recherches au CNRS,Françoise Riou, chef du département de santé publique à l'université de Rennes 1 et AndréPicot, expert européen, créateur et ancien directeur de l'Unité de prévention du risquechimique au CNRS) affirment en mars 2010 la responsabilité de l’hydrogène sulfuré, doncdes algues vertes, dans la mort du transporteur :

«L'inhalation de sulfure d'hydrogène a, de manière quasi certaine, déclenchél'infarctus ayant entraîné le décès de M.Morfoisse, le 22 juillet 2009. Lescirconstances du décès de M.Morfoisse sont suffisamment explicites pour que

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les représentants de l'État admettent à présent les faits» et arrêtent «de faire

obstacle» 90 .Le dossier a été transféré au Pôle Santé à Paris, en attente de jugement. Mais deux ansaprès la mort du transporteur, en juillet 2011, Halte aux marées vertes et les proches dela victime regrettent qu’aucune avancée n’ait pour l’instant été observée sur ce dossier.En effet, aucune convocation ou audition n’a encore eu lieu. C’est pourquoi l’association,en collaboration avec les parents de la victime, décident de déposer symboliquement uneplaque en souvenir de Thierry Morfoisse à chaque fois qu’un rassemblement destiné àdénoncer le phénomène des algues vertes a lieu. Cette nouvelle mobilisation a pour objectifde rappeler le combat que mènent les associations de défense de l’environnement pourfaire reconnaître les risques sanitaires liés aux marées vertes.

D’autre part, la mort suspecte du transporteur ainsi que celles du cheval amènentd’autres individus à parler de leur expérience, alors que leur cas n’avait pas été évoquéjusque-là. C’est notamment un ramasseur d’algues qui témoigne, pour raconter ses troisjours de coma après avoir passé une journée entière à charger les algues. Ainsi, les autoritéspubliques et les citoyens prennent conscience de l’existence des « victimes » des alguesvertes. Il s’agit de déplacer la perception des décideurs politiques et aussi des journalistespar la manifestation publique de certaines visibilités : la preuve que des hommes ont déjàgravement subi les émanations toxiques des algues en putréfaction. Cela permet ainsi une

mise en évidence brutale du risque sanitaire lié à la prolifération des algues vertes 91 .Ainsi, ce combat juridique et scientifique pour la reconnaissance de la responsabilité

des algues vertes dans la mort de Thierry Morfoisse est le reflet de la mobilisation del’association ayant pour objectif de prouver l’existence d’un risque lié à la prolifération desalgues.

Ces quelques paroles du représentant d’Eau et rivières de Bretagne au SAGE de laBaie de Saint-Brieuc témoignent de ses préoccupations à propos du risque sanitaire et dela nécessité de le prendre en charge.

« Il y a quand même un problème sanitaire qui se greffe sur le problèmeenvironnemental aussi. Et celui-là on ne peut pas l’éliminer complètement. Le

scandale est là aussi » 92 .L’affaire Morfoisse reflète également la crainte des élus concernés par la prolifération desalgues vertes. Si certains préfèrent ignorer l’éventualité d’un risque au nom des intérêtséconomiques de leur commune, d’autres sont préoccupés par le risque d’être confrontés àun nouveau drame sanitaire. En effet, le maire est chargé d’assurer la sécurité et la salubritépublique dans sa commune. Cette mission passe donc par la gestion curative et préventivedes algues vertes au niveau local. Ainsi, si la responsabilité des algues vertes est reconnuedans la mort du transporteur de Lantic, le maire de Binic notamment serait tenu pénalementresponsable pour ne pas avoir appliqué les mesures de sécurité émanant de la Préfecturedes Côtes-d’Armor.

90 MORVAN Arnaud et VAILLANT Julien, « Décès suspect. Les algues incriminées par trois experts », Le Télégramme, 6

mars 2010.91 LEMIEUX Cyril et BARTHE Yannick, « Les risques collectifs sous le regard des sciences du politique. Nouveaux chantiers,

vieilles questions », Politix, n°44, 1998, 7-28.92 Entretien 2. Représentant d’Eaux et Rivières de Bretagne au SAGE de la Baie de Saint-Brieuc.

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Qualifier les algues vertes de risque sanitaire peut donc avoir des conséquencesnéfastes sur la fréquentation touristique du littoral. Cependant, cette reconnaissanceofficielle peut également permettre aux élus locaux d’être épaulés et assistés(techniquement et financièrement) afin d’assurer la sécurité des citoyens.

D’autre part, les riverains, dont certains sont déjà mobilisés pour lutter contre les algues,vont commencer à percevoir le problème autrement : il ne s’agit plus seulement d’unegêne visuelle mais d’un risque pour la santé. Ainsi, le nombre de personnes concernéespar la prolifération des algues augmente considérablement : il s’agit des riverains, desusagers des plages, de ceux dont les enfants fréquentent ces plages… Ce sont doncde nombreux individus qui vont brutalement s’intéresser aux algues, à leurs causes et àleurs conséquences. Il s’agit d’une nouvelle montée en généralité : les algues vertes sontdangereuses pour la santé, cela concerne tout le monde. Ainsi, les alliés se multiplient,soutenant cette cause qu’est la lutte contre les marées vertes et contre les pollutions quien sont à l’origine.

De leur côté, les agriculteurs commencent à prendre conscience de l’ampleur duphénomène et acceptent la part de responsabilité qui leur incombe. C’est notammentl’impact des drames sanitaires qui ont poussé la profession à mettre sur pieds le comitépour une agriculture positive. Cependant, le secteur agricole refuse d’endosser seul laresponsabilité des marées vertes.

Ainsi, la reconnaissance de l’existence d’un risque sanitaire lié aux algues vertes résultede l’interaction entre des acteurs divers : associations, riverains, élus, représentants del’Etat et agriculteurs.

Ce combat pour la reconnaissance de la toxicité des algues vertes passeégalement par des stratégies de médiatisation et de mise en scène publique. Onretrouve la même logique que pour la mobilisation collective des années 2000destinée à affirmer la présence massive et récurrente des algues sur les plages dela Baie de Saint-Brieuc.

Ainsi, en juillet 2008, l’équipe de Thalassa se rend à Hillion pour préparer uneémission sur les algues vertes. Les journalistes demandent alors au président del’association Halte aux marées vertes de se promener sur la plage de la Grandvilleavec un masque à gaz, afin de mettre en scène les risques d’intoxication liés auxalgues vertes.

Les plages en sont alors totalement recouvertes.Entre le tournage et la diffusion de l’émission, les deux chiens meurent sur la

plage de la Grandville, donnant alors un tout autre sens au port du masque à gaz : onpasse de la gêne olfactive au risque d’intoxication.

Cette médiatisation du risque sanitaire provoque la réaction de certains élus,notamment le maire de Perros-Guirec, qui s’insurgent contre les conséquencesqu’aura cette émission sur la fréquentation du littoral.

La force de cette image permet ainsi de rendre compte de façon explicitel’ampleur du phénomène des marées vertes, provoquant ainsi une prise deconscience collective du danger.

Enfin, suite à la décision du Tribunal Administratif de Rennes de 2007reconnaissant la responsabilité de l’Etat dans le phénomène des marées vertes, leMinistre de l’Ecologie décide de faire appel. C’est ainsi qu’une deuxième décision est

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rendue par la Cour Administrative d’Appel de Nantes en 2009. Entre 2007 et 2009,les associations rédigent un « mémoire en réplique » pour pouvoir aller en appel,insistant sur le préjudice moral subi depuis plusieurs années. Il s’agissait de montrerque l’action collective destinée à dénoncer publiquement les algues vertes avait euun coût important.

« Et ça a été un argument reconnu : à partir du moment où on était admis par lachose publique (les médias), eh bien on avait un préjudice moral de ne pas être

reconnu dans notre combat » 93 .Mais entre 2007 et 2009, les drames sanitaires occupent une place importantesur la scène publique locale, évènements que la justice ne peut ignorer. Ainsi, laCour d’Appel évoque la dangerosité des émanations d’hydrogène sulfuré lors de ladécomposition des algues.

Au regard du nombre de juges (trois au lieu d’un seul) présents lors du jugement,cette décision était sans appel. Ce jugement confirme la responsabilité de l’Etat, tenupour responsable du phénomène des marées vertes tout en affirmant officiellement

la toxicité des algues 94 .

Le risque sanitaire lié aux marées vertes impose une gestion curative des algues.Cependant, le volet ramassage et les progrès techniques permettant de le faciliterrisquent d’occulter la nécessité de s’attaquer préventivement à l’origine du problème.

ConclusionLes qualifications successives du problème des algues vertes traduisent les difficultés àprendre en charge durablement ce phénomène. Les acteurs impliqués vont faire évoluer leproblème et proposer des solutions de politiques publiques particulières.

Tout d’abord, la question de la pollution des eaux implique essentiellement desassociations locales, des élus et des professionnels responsables des stations d’épuration.

Ensuite, la mise en évidence du problème agricole est orchestrée par des associations,des instances scientifiques et quelques élus particulièrement préoccupés par le phénomèneet qui vont à l’encontre du secteur agricole et agroalimentaire local. L’origine agricole desmarées vertes impose une gestion préventive de ce problème afin de lutter à la sourcecontre les pollutions.

Enfin, face à la persistance des marées vertes et aux drames sanitaires qui semultiplient, ce sont essentiellement des associatifs et quelques élus concernés qui vont« tirer la sonnette d’alarme » et dénoncer un scandale sanitaire. La prise en charge duproblème par les pouvoirs publics devient urgente : il faut gérer les algues vertes en lesramassant et en limitant les fuites d’azote vers la mer.

93 Entretien 3. Ancien président et fondateur de l’association Halte aux Marées Vertes.94 Arrêt n° 07NT03775 de la Cour Administrative d’Appel de Nantes du 1er décembre 2009.

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La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problèmepublic

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Ainsi, le problème des algues vertes, situation jugée indésirable, n’est pasautomatiquement converti en problème. Cette transformation s’opère progressivementparce que le risque sanitaire, antérieurement ignoré, acquière une saillance nouvelle. Lesenjeux et le contenu du débat public sont redéfinis.

Surtout, les propriétés du problème sont utilisées comme des ressources par desacteurs qui cherchent à en élargir l’audience.

Le Plan algues vertes, décidé à la suite de la mort d’un cheval en Baie de Lannion,traduit la prise en compte par l’Etat du problème des marées vertes et de ses ramifications.

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III- Le plan Algues vertes, vers une prise en charge définitive et territorialisée du problème ?

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III- Le plan Algues vertes, vers une priseen charge définitive et territorialisée duproblème ?

En juillet 2009, la mort d’un cheval sur la plage de Saint-Michel-en-Grève puis la visite deFrançois Fillon inaugurent une nouvelle approche de la gestion des algues vertes. En effet,ce drame sanitaire traduisait les lacunes et les incohérences des actions mises en œuvredepuis des dizaines d’années pour faire face aux marées vertes.

Ainsi, le programme gouvernemental de lutte contre les algues vertes est mis en placeen février 2010. Les actions de l’Etat pour gérer les marées vertes en Bretagne s’organisentautour de ce plan. La problématique des marées vertes sur le littoral breton fait ainsi l’objetd’un traitement, en tant que problème public, qualifié de risque, par les services centraux

de l’Etat 95 .

La gestion des algues vertes dans la Baie de Saint-Brieuc consiste à faire face auphénomène des marées vertes, en limitant ses manifestations et ses impacts, dans le cadrede contraintes politiques, économiques et naturelles particulièrement importantes.

Dans le cadre de la mise en œuvre de ce plan, la définition collective du problème desalgues vertes va de nouveau être modulée en fonction des rapports de force qui existentlocalement entre les différents acteurs.

Le plan algues vertes n’est-il qu’un plan d’actions supplémentaire correspondant à uneapparition éphémère de la problématique des algues vertes sur l’agenda public, ou traduit-il au contraire une prise en charge durable de ce phénomène ?

A) Des initiatives conjointes pour lutter contre lesalgues vertes

L’objectif est de mettre sur pieds une approche territoriale afin de responsabiliser les acteursconcernés et d’élaborer des politiques adaptées à la situation locale. Ces derniers vont ainsiparticiper directement à la gestion des risques liés aux marées vertes.

La méthode retenue pour mettre en œuvre le plan Algues vertes au niveau local illustreparticulièrement son côté novateur.

Les origines du Plan algues vertes : la saillance du risque sanitaire

95 BORRAZ Olivier, Les politiques du risque, Paris : Les Presses de Sciences Po, 2008, 294 p.

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Le plan Algues vertes s’inspire des échecs du passé afin de mieux les contourner. En effet,de nombreux plans d’actions n’ont pas pris en compte les caractéristiques du milieu naturel(temps de réaction des écosystèmes), et le principe du volontariat a montré ses limites. Mais

« d’autres facteurs plaident également en faveur d’un véritable changement » 96 .Tout d’abord, une étude conduite à l’été 2009 par l’INERIS, à la demande de Nathalie

Kosciusko-Morizet, sur la plage de Saint-Michel-en-Grève, a confirmé le fait que les amasd’algues en décomposition émettent des gaz toxiques à forte concentration, notammentde l’hydrogène sulfuré. Les conséquences sanitaires de la prolifération des algues vertessur les plages bretonnes sont ainsi reconnues officiellement par l’Etat. L’étude préconise

d’ailleurs de limiter l’exposition aux algues 97 .D’autre part, le risque contentieux est constamment présent. La France a déjà été

condamnée à deux reprises par la Cour de Justice des Communautés Européennespour non-respect de la Directive cadre sur l’eau. L’Etat a également dû faire face àune procédure juridique initiée par les associations de défense de l’environnement. Lesjuridictions administratives françaises ont reconnu un lien entre les carences fautives del’Etat dans l’application du droit communautaire et de la réglementation sur les installationsclassées et la prolifération persistante des algues vertes sur les plages bretonnes.

Ainsi, l’Etat court le risque de se trouver confronté à une multitude de contentieuxinternes visant à rechercher sa responsabilité sur le plan administratif et pénal.

Les élus locaux, notamment les maires, sont également confrontés à ce risquepuisqu’ils sont responsables de la sécurité et de la salubrité publiques dans leur commune.

Enfin, il s’agit de prendre en compte les attentes de la société civile, se traduisant auniveau local par la mobilisation de plus en plus intense des associations et des riverains.

« Il semble bien que la mise en lumière des risques liés à la décomposition desalgues ait eu un effet mobilisateur sur une partie de l’opinion dont l’attitude se

fait de plus en plus critique 98 »C’est dans ce cadre qu’une mission interministérielle a mis sur pieds le plan d’actiongouvernemental dont il convient d’expliquer l’architecture et le fonctionnement.

Encadré 2 : Acteurs, fonctionnement et mise en œuvre du plan Algues vertesLe plan de lutte contre les algues vertes est un programme gouvernemental mis en

place en février 2010. Ce plan fait suite à la mort d’un cheval sur la plage de Saint-Michel-en-Grève durant l’été 2009 et à la visite de François Fillon dans les Côtes-d’Armor.

Le programme a été bâti sur les conclusions du rapport d’une mission interministérielle(Ministère de l’Intérieur, Ministère de l’Ecologie, Ministère de la Santé et Ministère del’Agriculture), qui, pendant quatre mois, a fait un état des lieux du phénomène et a évaluéles solutions envisageables.

96 Commission interministérielle chargée de bâtir un plan d’action contre la prolifération des algues vertes, Elaboration d’un plan delutte contre les algues vertes, Paris, janvier 2010, 144 p.

97 INERIS, Rapport d’étude. Résultats de mesures ponctuelles des émissions d’hydrogène sulfuré et autres composés gazeuxpotentiellement toxiques issues de la fermentation d’algues vertes, août 2009, 15 p.98 Commission interministérielle chargée de bâtir un plan d’action contre la prolifération des algues vertes, Elaboration

d’un plan de lutte contre les algues vertes, Paris, janvier 2010, 144 p.

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III- Le plan Algues vertes, vers une prise en charge définitive et territorialisée du problème ?

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Le plan concerne les huit baies « algues vertes » identifiées dans le SDAGE (schémadirecteur d’aménagement et de gestion des eaux) du bassin Loire-Bretagne : les baies dela Fresnaye, Saint-Brieuc, Douarnenez et Concarneau, les grèves de Saint-Michel et lesanses de Loquirec, l’Horn-Guillec et Guisseny.

La gouvernance du plan Algues vertes est assurée par un comité de pilotage, présidépar le Préfet de Région Bretagne, réunissant le Conseil Régional, l’agence de l’eau Loire-Bretagne et l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie) deBretagne.

Ce comité de pilotage s’appuie sur un comité régional de suivi, instance de dialogue etde concertation, associant les acteurs concernés, dont les représentants de la professionagricole, des collectivités locales, du monde associatif…

Enfin, un comité scientifique est chargé d’expertiser et d’évaluer la mise en œuvre desdifférents axes du plan. Il doit notamment évaluer, sur un plan scientifique et technique,les propositions faites dans le cadre du volet préventif et d’en évaluer l’efficacité. C’estdonc dans ce cadre qu’il donne son avis sur les projets d’actions territoriaux émanant desCommissions locales de l’eau.

Le plan se décline autour de quatre axes d’actions : améliorer les connaissancessur les causes de prolifération des algues, assurer la sécurité sanitaire des personnes,accompagner les collectivités dans le ramassage et le traitement des algues et mettreen place des actions préventives pour limiter les flux d’azote arrivant dans les huit baiestouchées par le phénomène. La clé de voûte du volet préventif est l’appel à projets deterritoires. Pour cela, le plan s’appuie sur l’organisation et le fonctionnement des structureslocales de gestion de bassins versants : les Schémas d’Aménagement et de Gestion desEaux (SAGE). Les Commissions locales de l’Eau sont ainsi les acteurs clés dans la misesur pieds de ces appels à projets. Le plan d’action territorial devra répondre à un cahier descharges fixant les objectifs de résultats à atteindre, notamment en matière de réductionschiffrées des flux de nitrates. Dans ce cadre, dès 2011, deux Baies pilotes, particulièrementtouchées par la prolifération des algues vertes, sont concernées par l’élaboration d’un telplan d’action territorial : la Lieue de Grève (Lannion) et la Baie de Saint-Brieuc. Ces deux

territoires doivent ensuite transmettre leur projet, pour avis, au Comité Scientifique 99 . Ainsi,l’objectif était de mettre en œuvre les mesures de réduction des flux de nitrates dès l’été2011.

Le plan Algues vertes est un programme gouvernemental de lutte contre les maréesvertes : c’est l’Etat qui se dote de moyens pour gérer les algues qui prolifèrent sur lelittoral breton. Si la coordination de ce plan se fait au niveau régional, en collaborationavec les services de l’Etat, le plan Algues vertes a pour particularité de s’appuyer sur lescaractéristiques propres aux territoires concernés par ce fléau.

Une démarche d’appels à projets territoriauxLa Commission locale de l’eau (CLE), et plus précisément le comité algues vertes, estl’acteur-clé dans la déclinaison du plan Algues vertes au niveau local. Le comité alguesvertes est en fait une version élargie de la CLE de la Baie de Saint-Brieuc. Ainsi, sacomposition de base est celle de la Commission locale de l’eau à laquelle ont été ajoutésdes acteurs directement concernés par la problématique des algues vertes.

99 Plan de lutte contre les algues vertes, Rennes, février 2010, 10 p

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La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problèmepublic

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Le Président de la CLE, lui-même Président du comité algues vertes, en a proposé lacomposition au préfet de département, qui l’a ensuite validée auprès du comité de pilotage.Ainsi, le comité intègre les membres de la CLE et s’appuie sur une organisation tripartite :élus, associations, acteurs économiques (organisations professionnelles et économiques

agricoles et agroalimentaires, autres socioprofessionnels dont ceux du tourisme) 100 . La

présence des représentants de la filière agricole, de l’amont à l’aval, répond ainsi ausouhait d’intégrer la dimension économique du projet. En effet, la mise en œuvre du planAlgues vertes nécessite de mener une véritable réflexion sur le modèle agricole breton etle développement économique de tout un territoire.

Encadré 3 : Bassin versant, Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE)et Commission Locale de l’Eau. Quelle articulation ?

Le bassin versant représente l'ensemble d'un territoire drainé par un cours d'eau et sesaffluents. Son contour est délimité par des frontières naturelles, les crêtes des sommets (la«ligne de partage des eaux »), qui déterminent la direction de l'écoulement des eaux depluie vers un cours d’eau.

Le SAGE a pour objet de créer une vision commune sur la gestion de l’eau à l’échelledu bassin versant entre les usagers et les collectivités. Ainsi, le SAGE est un document quifixe, pour la même période que le SDAGE (6 ans), mais sur le territoire du bassin versant,les objectifs d’utilisation, de mise en valeur et de protection des ressources en eaux et desmilieux associés (zones humides,…).

C’est la Commission Locale de l’Eau (CLE), le « Parlement de l’eau », qui élaborele SAGE en associant l’ensemble des collectivités et des services concernés ainsi quel’ensemble des usagers de l’eau présents sur le territoire.

Conformément au Guide méthodologique sur la communication et les concertationsdans les démarches de SAGE, il s’agit de mettre en place un édifice institutionnel solide,modulaire et ouvert. Ainsi, les membres de la CLE sont nommés par le Préfet et doiventêtre représentatifs du contexte politique local, associant les acteurs influents du territoire.D’autre part, il faut prévoir des groupes de travail de tailles variables adaptés à différentssujets. Enfin, il s’agit d’intégrer progressivement à la démarche et aux différents groupes de

travail les acteurs qui ont manifesté leur intérêt 101 .

Selon le cahier des charges du plan Algues vertes, c’est dans le cadre du comitéthématique « algues vertes » de la CLE du SAGE de la Baie de Saint-Brieuc qu’est réaliséle plan territorial de lutte contre les marées vertes. Le programme adopté doit prévoir troisdomaines d’actions : un volet assainissement, un volet agricole et agro-alimentaire et unvolet reconquête des zones naturelles (notamment les zones humides).

Le projet territorial est ensuite transmis au préfet de région puis fait l’objet d’uneexpertise par le comité scientifique. Les propositions et réserves de ce dernier sont prises

100 Commission interministérielle chargée de bâtir un plan d’action contre la prolifération des algues vertes, Cahier des chargesde l’appel à projets pour les baies de la Lieue de Grève et de Saint-Brieuc. Pour des projets de territoire à très basses fuites d’azote,Paris, juillet 2010, 14 p.

101 Agence de l’Eau Loire-Bretagne, Pour le SAGE, animer la concertation et la communication. Guide méthodologique,Ploufragan : Agence de l’Eau Loire-Bretagne, août 2001, 74 p.

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III- Le plan Algues vertes, vers une prise en charge définitive et territorialisée du problème ?

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en compte par le comité de pilotage régional lorsqu’il statue sur la validation du programme

d’action 102 .C’est dans le cadre de ce comité algues vertes de la Baie de Saint-Brieuc qu’est adopté

le projet de territoire à très basses fuites d’azote.Ce projet permet de construire de nouveaux compromis et peut être défini comme

« l’ensemble des négociations se concluant par un accord, entre des autorités publiques etdes personnes privées et publiques, sur le contenu d’actes finalisés à réaliser par l’une et/

ou l’autre des parties engagées 103 ». Il s’agit ainsi d’impliquer tous les acteurs concernéset de les mettre autour de la table. Un réel dialogue a ainsi pu être mis en place : l’ensembledes acteurs ont joué le jeu afin de proposer des solutions efficaces au problème des maréesvertes.

« Donc une approche territoriale des choses, et pour la première fois, on

considère que la problématique des algues vertes est un problème territorial 104 ».

Cette démarche territoriale s’explique notamment par les caractéristiques physiques etgéographiques du milieu naturel. La Bretagne étant une péninsule, l’ensemble de l’eauqui tombe en Bretagne s’infiltre en Bretagne, s’y écoule et s’y jette. Or, si cette eau estpolluée en sortie des cours d’eaux, cela signifie que la pollution se fait sur le territoirebreton. Il est donc nécessaire d’associer l’ensemble des acteurs économiques, politiqueset environnementaux concernés par la problématique de l’eau. L’ensemble de ces acteurssont donc représentés au comité algues vertes de la Baie de Saint-Brieuc.

Etant donné le faible taux de nitrates dans les cours d’eaux qu’il convient d’atteindre(entre 5 et 10 mg par litre), la solution ne peut être envisagée qu’au niveau local, l’objectifétant de parvenir à un territoire à basses fuites d’azote.

Le comité de pilotage du plan algues vertes a lancé des appels à projets territoriauxpour définir les évolutions des systèmes de production vers des systèmes garantissant detrès basses fuites d’azote.

« On a renvoyé ça sur des appels à projet territoriaux, en demandant aux acteursdes baies de mieux s’organiser, et de faire sur la base d’un cahier des charges,que nous avions nous même définis, de faire un certain nombre de propositionspour éviter, limiter les fuites d’azote, donc éviter qu’on rajoute trop de nitratesdans les champs quoi. On en est là aujourd’hui, on est en train de dérouler ce

plan gouvernemental 105 ».

Ainsi, ces projets territoriaux sont décidés et rédigés dans le cadre du comité algues vertes.Le plan d’action territorial doit répondre à un cahier des charges fixant les objectifs derésultats à atteindre.

102 Commission interministérielle chargée de bâtir un plan d’action contre la prolifération des algues vertes, Cahier des chargesde l’appel à projets pour les baies de la Lieue de Grève et de Saint-Brieuc. Pour des projets de territoire à très basses fuites d’azote,Paris, juillet 2010, 14 p.

103 LASCOUMES Pierre et VALLUY Jérôme, « Les activités publiques conventionnelles : un nouvel instrument de politiquepublique. L’exemple de la protection de l’environnement », Sociologie du travail, n°39, vol. 4, 1996, p.559.104 Entretien 7. Vice-président de la Région Bretagne en charge de l’environnement.105 Entretien 4. Chargé de mission algues vertes à la Préfecture des Côtes-d’Armor.

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La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problèmepublic

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Le 26 juillet 2010, l’Etat a fait parvenir à la Commission locale de l’eau de la Baie deSaint-Brieuc le cahier des charges de l’appel à projet pour des territoires à très basses fuitesd’azote. Ce cahier des charges met l’accent sur une logique de résultats. Il ne s’agit pasuniquement de mettre en œuvre des moyens d’action : des résultats concrets en matièrede réduction des sources de pollution sont attendus.

Le projet de territoire négocié et adopté dans le cadre du comité algues vertescorrespond au volet préventif identifiant les actions à mettre en œuvre pour limiter les fluxd’azote vers les côtes tout en préservant les capacités de production d’un territoire à forte

capacité agricole 106 .La mise en œuvre du programme repose sur un engagement collectif volontaire pour

une période de trois ans (2011-2013) : les agriculteurs décident d’engager ou non lesmesures définies par le projet de territoire. Cependant, le volontariat a montré ses limitesdans les plans d’actions précédents puisque les objectifs prévus n’étaient pas atteintsdans les délais attendus. C’est pourquoi des mesures réglementaires seront envisagées sil’adhésion au projet est inférieure aux objectifs indiqués dans le programme d’action, afinde rendre certaines mesures obligatoires.

Les agriculteurs ont ainsi accepté de mettre en œuvre deux dispositifs : le calcul desreliquats d’azote et les déclarations annuelles de flux. Les explications du chef du serviceaménagement et environnement à la Chambre d’agriculture permettent de comprendre lalogique de ces nouvelles mesures.

« Les propositions étaient les suivantes : obligation de résultat, on a proposéd’expérimenter un dispositif déjà mis en œuvre dans d’autres Etats membres,en Wallonie, sur les reliquats d’azote. Les agriculteurs en ont marre du papier. »« Il y a toujours des polémiques sur la réalité des pratiques des agriculteurs, etnotamment sur l’engrais qu’ils utilisent, l’engrais minéral. Là il a été proposé desortir de cette logique et de jouer la transparence totale. Il s’agit de déclarer, tousles ans, ce qu’on utilise. Ce qui revient quasiment à offrir à l’Etat une possibilitéde contrôle à 100% au moins des flux. Donc on a proposé ce qu’on appelle la

déclaration des flux 107 ».Ainsi, ce sont de nouvelles pratiques qui ont été proposées au niveau local. Les mesures sefont toujours dans le cadre du volontariat mais les représentants de la profession agricoleinsistent cependant sur la forte implication des agriculteurs. En effet, selon la Chambred’Agriculture des Côtes d’Armor, les déclarations de flux ont été réalisées par 95% desexploitations et le calcul des reliquats dans 1500 exploitations.

Malgré le processus de concertation et de la négociation, les acteurs concernés etdésormais impliqués dans la gestion des algues vertes ont progressivement dû prendre desdécisions afin de définir des moyens d’action. Les conflits d’intérêt sont alors constammentprésents. De la résolution de ces derniers dépend une fois de plus la gestion efficace etdurable de la problématique des marées vertes.

106 Commission interministérielle chargée de bâtir un plan d’action contre la prolifération des algues vertes, Cahier des chargesde l’appel à projets pour les baies de la Lieue de Grève et de Saint-Brieuc. Pour des projets de territoire à très basses fuites d’azote,Paris, juillet 2010, 14 p.107 Entretien 5. Chef du service aménagement et environnement à la Chambre d’Agriculture des Côtes-d’Armor.

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III- Le plan Algues vertes, vers une prise en charge définitive et territorialisée du problème ?

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B) Le retour des blocages récurrents et del’immobilisme ?

Au-delà des intentions et des objectifs officiellement affichés, les éternels blocages liés auxintérêts et aux perceptions différentes des acteurs impliqués n’ont pas disparu. Au niveau dela Baie de Saint-Brieuc, la mise en œuvre du plan algues vertes a été chaotique. La réussitedu projet à été menacée à plusieurs reprises. Un échec aurait une fois de plus remis encause la mise à l’agenda durable du phénomène des algues vertes. Cette période critiques’est étendue de février à juin 2011.

L’avis du Comité Scientifique face à une ambition jugée insuffisante.Véritable « coup d’arrêt » pour la profession agricole.

Le Comité scientifique est chargé d’expertiser et d’évaluer la mise en œuvre des différentsaxes du plan. Cette expertise passe notamment par l’évaluation des projets territoriauxdéfinis dans le cadre des commissions locales de l’eau. L’avis du Comité scientifique estextrêmement important et doit être respecté par les acteurs sur le terrain. Le comité régionalde suivi et le comité de pilotage doivent tenir compte de l’avis du Comité scientifique avantd’avaliser tout projet de territoire.

Ainsi, le premier projet de territoire de la Baie de Saint-Brieuc a reçu un avis négatifde la part du Comité scientifique le 7 février 2011. Les raisons de ce refus sont diverses ettraduisent les tensions qui existent entre les acteurs au niveau local.

Le projet de territoire a été considéré comme étant insuffisant. Tout d’abord, ce planprévoyait près de 80 millions d’euros pour améliorer l’assainissement des eaux usées etpour développer la filière « méthanisation ». L’ampleur du volet assainissement traduisait lavolonté du monde agricole de ne pas apparaître comme le seul responsable de la pollutiondes eaux. Le Comité scientifique a donc refusé de consacrer des sommes astronomiques(35 millions d’euros)à l’assainissement des eaux usées.

« On travaille ainsi sur d’autres pollutions, c’est pas inintéressant, mais dans le

plan Algues vertes ça n’avait pas de sens 108 ».D’autre part, la méthanisation avait été présentée par les agriculteurs comme le projet pharede la Baie de Saint-Brieuc. Mais le Comité scientifique a considéré que « l’utilité n’est pasavérée de développer cette technique qui ne va traiter que le carbone, sans apporter de

contribution à la résorption des excédents d’azote ou de phosphore 109 ».Le projet de territoire avait d’ailleurs été qualifié de projet « agro-énergétique ». Ainsi,

ce projet avait pour ambition de lutter contre les pollutions par les nitrates tout en permettantaux exploitants d’acquérir une autonomie énergétique.

Encadré 4 : La méthanisation en agricultureLe principe général de la méthanisation agricole consiste en la récupération de déchets

organiques (notamment le lisier de porc) pour les valoriser dans un réacteur où ils seront

108 Entretien 7. Vice-président de la Région Bretagne en charge de l’environnement.109 Comité scientifique, Avis du comité scientifique, Rennes, février 2011, 23 p.

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La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problèmepublic

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transformés en biogaz. Voici en quelques mots, et de façon simplifiée, comment se déroulele processus de la méthanisation du lisier.

Tout d’abord, la dégradation de la matière organique est effectuée dans une cuveappelée le digesteur. Cette réaction permet la production d’un produit humide, le « digestat »,riche en matière organique, ainsi que du biogaz qui peut être valorisé sous différentesformes (électricité, chaleur, carburant).

Le digestat obtenu peut ainsi être utilisé comme engrais sur l’exploitation parce que trèsriche en matière organique. Surtout, ce digestat va être exporté à l’extérieur des territoiresconcernés par la problématique des algues vertes afin d’alimenter des exploitations quimanquent de matière organique (par exemple dans la Beauce).

Cependant, lorsqu’il y a méthanisation, la quantité d’azote au début du processus detransformation est la même que celle qui en ressort. La méthanisation peut donc permettrede limiter les pollutions à la source si le processus va jusqu’à sa phase finale, c’est-à-dire la minéralisation de l’effluent traité. Les agriculteurs obtiennent ainsi un produit secqui peut être commercialisé dans les régions qui ont besoin d’engrais : une partie del’azote traitée est ainsi transportée à l’extérieur du territoire concerné par les marées vertes.Cependant, pour le Comité scientifique, ce processus final n’intervient qu’à la marge dansle contexte de la Baie de Saint-Brieuc puisque seules les grandes unités de méthanisationpermettent d’envisager une exportation hors zone de l’effluent traité. La méthanisationest donc considérée comme une technique relativement coûteuse qui peine à trouver les

conditions de sa rentabilité 110 . D’ailleurs, le plan Algues vertes n’envisage pas de faire dela méthanisation du lisier une véritable solution au problème des algues vertes :

« La méthanisation n’élimine pas l’azote. Le traitement biologique desexploitations porcines, lui, élimine l’azote. L’objectif est ici de transformer l’azote

et de rendre les exploitations plus efficaces et plus autonomes. 111 »

Pourtant, le 24 juin 2011, la Chambre d’Agriculture des Côtes d’Armor organise, encollaboration avec les exploitants, des portes-ouvertes dans plusieurs exploitationsagricoles. L’objectif était de faire découvrir l’agriculture « écologiquement intensive » dans lecontexte des contraintes imposées par la gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc.La logique de l’agriculture écologiquement intensive est de « produire plus, mieux et avecmoins ». C’est une démarche de progrès visant à optimiser le système d’exploitation. Cesportes-ouvertes permettaient de montrer comment produire autant en polluant moins. Deuxexploitations s’étant dotées d’une unité de méthanisation étaient notamment à l’honneur.

Cependant, si l’efficacité du processus de méthanisation sur les marées vertes n’estpas prouvée, c’est aussi la question du coût d’un tel dispositif qui est mis en question.En effet, la visite d’un élevage porcin relativement important ayant mis en place une unitéde méthanisation afin de traiter les effluents de lisier permet de prendre conscience del’ampleur des travaux et des investissements à réaliser. Ce type de projet semble être encontradiction avec la volonté de maintenir une agriculture familiale et de petites exploitationssur le territoire. Ainsi on retrouve ici les interrogations récurrentes sur la meilleure façon deconcilier respect de l’environnement et durabilité économique. Interrogations qui ont été au

110 Comité scientifique, Avis du comité scientifique, Rennes, février 2011, 23 p.111 Commission locale de l’eau, Projet de territoire à très basses fuites d’azote, Saint-Brieuc : Pays de Saint-Brieuc,

novembre 2010, 71 p.

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III- Le plan Algues vertes, vers une prise en charge définitive et territorialisée du problème ?

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cœur des négociations précédant l’adoption d’un nouveau projet de territoire pour la Baiede Saint-Brieuc.

D’autre part, pour le fondateur du CEDAPA, l’agriculture écologiquement intensive aun tout autre sens :

« Les méthaniseurs ne rentrent pas dans l’agriculture écologiquement intensive.Ecologiquement intensif veut dire que l’on respecte les assolements, etc. doncde l’agronomie, pour produire au maximum à partir de son sol, et non pas à partir

des intrants 112 . »On retrouve ainsi les réflexions liées au système de développement « idéal » à mettreen œuvre sur le territoire de la Baie de Saint-Brieuc. Les opinions et les intérêts diffèrent,traduisant la difficulté à organiser collectivement les évolutions du modèle agricole local, etpar là, la difficulté à apporter des solutions durables à la problématique des algues vertes.

Ce sont l’ensemble des propositions émanant du Comité scientifique et du terrain quidoivent finir par être conciliées au sein d’un unique projet de territoire accepté par tous.

De leur côté, les représentants des associations au comité algues vertes n’avaient pasvoté ce projet et s’étaient abstenus. Pour eux, le postulat de départ de ce projet était de nepas remettre en question le système de production agricole au niveau de la Baie de Saint-Brieuc, ni les volumes de production :

« Le premier projet que la Chambre d’agriculture avait transformé enméthanisation, auquel on ne croit pas beaucoup puisqu’il y a de l’azote quirentre, y a de l’azote qui sort… y en a plutôt plus qui sort une fois fait le procédé

de méthanisation. Les scientifiques l’ont dénoncé 113 ».Les représentants associatifs et les élus déploraient ainsi le manque de réflexion autour dumodèle de développement économique breton et de ses évolutions.

Le fondateur du CEDAPA expliquait ainsi qu’il avait fait des propositions au comitéalgues vertes en vue d’une amélioration des pratiques agricoles, permettant de limiter lespollutions à la source. Cependant, le comité n’avait pas pris en compte les projets quiémanaient de l’ensemble de la société civile, se contentant de retenir les propositions deses membres permanents. C’est également pour cette raison que le Comité scientifique arejeté le projet de la Baie de Saint-Brieuc.

La réaction de la profession agricole a été immédiate puisqu’elle a quitté lesnégociations. Les agriculteurs ont ainsi souligné que le comité algues vertes avait invité leComité scientifique pour lui expliquer ses propositions, mais ce dernier avait refusé. Pour laprofession agricole, le refus du Comité scientifique est incompréhensible et inacceptable.

« Alors certains ont aussi raillé le truc, tel le Comité scientifique…qui estcomplètement partial et dénué de fondements sur un certain nombre de points,

notamment la méthanisation. 114 »

L’adoption du projet territorial de lutte contre les algues vertes a été difficile et s’est heurtéeaux différends traditionnels qui existent entre les acteurs concernés par cette problématique.

112 Entretien 6. Spécialiste de l’agriculture durable, fondateur du CEDAPA.113 Entretien 2. Représentant d’Eaux et Rivières de Bretagne au SAGE de la Baie de Saint-Brieuc.114 Entretien 5. Chef du service aménagement et environnement à la Chambre d’Agriculture des Côtes-d’Armor.

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La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problèmepublic

62 LORANS Bérengère - 2011

La mise en œuvre d’une gestion préventive des marées vertes freinéepar le poids des tensions locales

Suite à l’avis négatif du Comité scientifique concernant le projet de territoire de laBaie de Saint-Brieuc, la profession agricole a réaffirmé sa propre position et sesambitions. L’objectif du secteur agricole est de continuer à produire autant en faisant del’excellence environnementale. Ainsi, pour l’ensemble de la profession, la décision duComité scientifique est plus politique que technique.

« En fait nous nos problèmes ce sont les extrémistes : certaines associationset certaines personnes du Comité scientifique qui poussent le truc trop loin, etdu côté profession certains négationnistes, on va dire ça comme ça, qui disent« ce n’est pas nous c’est les autres ». Et nous c’est vrai qu’on est au milieu, mais

globalement les agriculteurs étaient plutôt dans un esprit constructif 115 ».

L’idée qui prévalait alors était que la profession agricole proposait des méthodes et dessolutions nouvelles, innovantes, pour rompre avec la « tradition bureaucratique » desannées précédentes. L’avis du Comité scientifique et les modifications proposées n’étaientqu’un retour en arrière et aux anciennes mesures déjà été expérimentées et n’ayant riendonné.

« Les pouvoirs publics au niveau régional, Etat-Région, ont voulu intégrer l’avisdu Comité scientifique et apporter des inflexions au projet. Les inflexions ontété mal vécues parce qu’en fait les inflexions avaient tendance à rajouter de la

technocratisation au dispositif 116 ».

Ainsi, la profession agricole avait le sentiment de faire des efforts importants en proposantdes solutions innovantes et efficaces, les autres acteurs du territoire se contentant pour leurpart de reprendre des vieilles recettes dépassées. L’avis du Comité scientifique a donc étévécu comme une véritable sanction, sans aucun échange avec la profession, et semblantignorer les difficultés du secteur agricole en affirmant des objectifs jugés utopiques.

« S’ils avaient été uniquement techniques, ils auraient accepté d’entendre lesacteurs du terrain, ils auraient accepté que c’est un jeu qui n’est pas facile, qu’onest déjà très ambitieux, nous quand on voit un Comité scientifique réaffirmer un 5

mg, ça rime à rien, c’est complètement contreproductif 117 ».

C’est pour cette raison que les représentants agricoles ont décidé de quitter la salle lorsdu comité régional de suivi, ce dernier souhaitant intégrer les propositions du Comitéscientifique au projet de territoire de la Baie de Saint-Brieuc. Ils ont ainsi manifesté leur refusde poursuive les négociations avec les autres acteurs du territoire.

Ce fut notamment l’occasion, pour la profession agricole, de réaffirmer les principesqu’elle défendait depuis le début des négociations et sur lesquels se basait son action :une logique de résultats en mettant en place la technique des reliquats d’azote, unelogique de transparence avec une déclaration annuelle des flux, et la reconnaissance de lacoresponsabilité (l’agriculture n’est pas seule responsable de la prolifération des algues).

115 Ibid.116 Ibid.117 Entretien 5. Chef du service aménagement et environnement à la Chambre d’Agriculture des Côtes-d’Armor.

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III- Le plan Algues vertes, vers une prise en charge définitive et territorialisée du problème ?

LORANS Bérengère - 2011 63

Ces principes avaient été honorés par le projet de territoire initial : il n’y avait aucune raisonde revenir dessus.

C’est donc dans le cadre d’un climat déjà tendu entre les différents acteurs que survientl’affaire des affiches de France Nature Environnement. En effet, alors que les négociationsont été engagées au niveau local et que chacun tente de parvenir à un compromis,France Nature Environnement lance une campagne d’affichage destinée aux couloirs dumétro parisien, dénonçant l’élevage agricole intensif et les conséquences sanitaires desalgues vertes. Immédiatement, le Président de la Région Bretagne porte plainte contreFrance Nature Environnement, accusée de nuire à l’image de la Bretagne et à son activitétouristique.

Pour les associations écologistes, ce sont davantage les pratiques agricoles intensivesqui nuisent à l’image de la Bretagne puisqu’à l’origine des marées vertes.

Elles estiment également que si des mesures avaient été prises avant, la situation seraitpeut-être différente.

Et même par rapport au FNE, enfin les fameuses affiches, France NatureEnvironnement… Pourquoi ces affiches arrivent là ? Ben c’est parce que si onavait fait le travail avant et qu’il n’y avait pas d’algues, je pense qu’il n’y aurait

pas ça 118 .Mais la plupart des militants écologistes, y compris ceux adhérant à France NatureEnvironnement, ont découvert par surprise les affiches. C’est pourquoi cette campagneest apparue comme « téléguidée » depuis Paris et totalement déconnectée des réalitésdu terrain. Ainsi, cet évènement a provoqué des crispations supplémentaires entre lesdifférents acteurs, notamment du côté des agriculteurs. Dans un souci d’apaisement,les représentants associatifs ont exprimé leur désaccord vis-à-vis de cette campagned’affichage afin de permettre un retour rapide aux négociations.

Les affiches ont ainsi eu un impact important dans la gestion locale des algues vertesen ravivant des tensions qui commençaient à être dépassées grâce aux négociations. Ellestraduisent toute la complexité de ce dossier et la difficulté de le gérer collectivement en Baiede Saint-Brieuc. Elles sont également le reflet des tensions qui existent entre des acteursaux intérêts différents et qui expliquent la lente émergence des algues vertes en tant queproblème public ainsi que sa difficile mise à l’agenda.

Le Préfet de Région est donc revenu vers les agriculteurs afin de tenter de lesréintroduire dans la discussion au niveau local. Son intervention lors de la réunion du comitéalgues vertes du 24 juin 2011 témoigne de sa volonté d’aboutir à un projet accepté par tous.Il tente également d’apaiser le malaise qui existe au sein de la profession agricole depuisl’avis négatif du Comité scientifique. En voici un court extrait :

« Le plan Algues vertes repose sur des décisions qui doivent être prises auniveau des territoires. Le projet de territoire a été élaboré dans le cadre d’uncahier des charges, lui-même défini par le Comité de suivi au niveau régional. De son côté, le Comité scientifique a une vision idéalisée du problème, commes’il évoluait dans un roman, en dehors des réalités du territoire. Désormais, il estnécessaire d’aboutir à un véritable projet de territoire, acceptable par tous ».

Pour les associations de défense de l’environnement, il est indispensable d’apporterdes modifications au projet de territoire et de suivre certaines préconisations du Comité

118 Entretien 1. Adjoint au maire de la commune d’Hillion chargé de la gestion curative des algues vertes.

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La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problèmepublic

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scientifique. C’est dans ce cadre que le comité algues vertes va commencer à étudier lespropositions émanant de la société civile.

Ainsi, en juin 2011, deux semaines avant l’adoption définitive du nouveau projet deterritoire, les agriculteurs étaient sur la « tangente ». Ils étaient sceptiques et commençaientà manquer de confiance envers les institutions du plan Algues vertes. Ils estimaient alors quel’action curative était insuffisante alors qu’ils avaient demandé à ce que les pouvoirs publicsassument leurs responsabilités dans ce domaine. Cette gestion curative leur permettantainsi d’échapper à une pression médiatique trop importante rappelant sans cesse lesresponsabilités du monde agricole dans la prolifération des algues vertes.

« Ils ne peuvent pas proposer ces changements tout en ayant tous les ans des

caméras qui viennent accuser la profession 119 ».Durant cette période s’étalant de février au début de l’été 2011, ce sont des discoursrelativisant le rôle du secteur agricole dans les marées vertes qui refont peu à peu surface.Tout d’abord réapparaît l’idée selon laquelle le lien entre activité agricole et marées vertesn’a jamais été scientifiquement prouvé. La recherche devant notamment se poursuivre surd'autres facteurs explicatifs que l'azote : par exemple l'accumulation de phosphore due audéfaut de traitement dans les stations d'épuration.

D’autre part, Nicolas Sarkozy, lors de sa visite en Bretagne à Crozon le 7 juillet2011, évoque le dossier des algues vertes. Il défend ainsi les agriculteurs contre les« intégristes »de l'écologie en affirmant qu'ils ne sont en rien « coupables » de la proliférationdes algues vertes sur les plages bretonnes car des « choix économiques ont été faits il y a

bien longtemps » 120 . Le Président de la République a également appelé les agriculteurs àmettre le cap sur la méthanisation afin de réduire les rejets de nitrates dans l’environnement.

Il a affirmé sa volonté de faire du ramassage des algues une priorité dans la gestiondes marées vertes. Ce sont surement des considérations électorales qui étaient à l’originedes déclarations du Président de la République.

Mais les déclarations de Nicolas Sarkozy ont provoqué la réaction immédiate d’un despremiers scientifiques de l’IFREMER à avoir démontré le rôle des épandages agricolesdans la prolifération des algues vertes. Il s’étonne ainsi du discours du Président : en effet,la reconnaissance du problème agricole se cachant derrière la problématique des alguessemblait acquise depuis plusieurs années. Les travaux scientifiques ont montré qu’il fauttrois conditions pour que les algues se développent : de la lumière, donc des eaux peuprofondes; des courants faibles et enfin, beaucoup d'azote. Seule une infime partie de laprofession agricole reste dans le déni, affirmant le mauvais assainissement des eaux uséesou s’appuyant sur des explications irréalistes (les marées noires, comme celle de l'AmocoCadiz, en 1978, auraient créé les marées vertes en détruisant les bigorneaux mangeursd'algues).

Le scientifique de l’IFREMER rejette un tel discours minimisant le rôle de l’agriculturedans la prolifération des algues. Il ne s’agit pas de montrer du doigt la profession agricole,ni de la « faire payer ». L’objectif est de s’attaquer à la source des pollutions afin de lutterefficacement contre le phénomène. En effet, la gestion des algues par le seul ramassage

119 Entretien 5. Chef du service aménagement et environnement à la Chambre d’Agriculture des Côtes-d’Armor.120 ATTARD Philippe, « Sarkozy prend un bain de Bretagne à Crozon », Ouest France,8 juillet 2011.

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III- Le plan Algues vertes, vers une prise en charge définitive et territorialisée du problème ?

LORANS Bérengère - 2011 65

ne peut être une solution à long terme : « c’est une fuite en avant qui ne s’attaque pas à

l’origine du mal » 121 .Ainsi, la qualification du problème des algues vertes connaît de nouvelles évolutions. En

effet, l’origine agricole des algues est de nouveau relativisée, et l’accent semble davantageêtre mis sur la gestion curative des algues. Cette évolution peut aussi être expliquée parla mobilisation collective des associations pour faire reconnaître l’existence d’un risquesanitaire.

Face aux piétinements des négociations concernant le plan Algues vertes, la gestioncurative semble ainsi devenir primordiale : l’objectif est de traiter les conséquences directesdes marées vertes.

C) L’été 2011 : un tournant pour la Baie de Saint-Brieuc ?

La réunion du comité algues vertes du 24 juin semble être une « victoire ». L’adoptiondu projet de territoire à très basses fuites d’azote pour la Baie de Saint-Brieuc initie uneère nouvelle dans la gestion locale des algues vertes. Ce projet de territoire est issude procédures d’accords formalisées et porte sur des objectifs à moyen et long termes,

impliquant pour leur réalisation des contributions conjointes 122 .Il ne s’agit pas de faire des prédictions sur ce qui se passera dans le futur, mais

d’analyser les mesures proposées en tenant compte des caractéristiques du territoire et despréconisations qui ont été faites dans le passé. Les innovations de ce plan seront-elles àmême de résoudre les marées vertes, ou les mesures ne sont-elles qu’un duplicata deserreurs passées ?

L’adoption du nouveau projet de territoire à très basses fuites d’azoteet l’émergence d’un compromis

Conformément au cahier des charges de l’appel à projet territorial, le président du comitéalgues vertes est chargé de recueillir les propositions « susceptibles de faire l’objet d’une

mobilisation collective 123 » afin de retenir celles qui sont conformes.Cependant, certains acteurs du territoire ont déploré le manque d’écoute de la part du

comité algues vertes lors des négociations concernant le premier projet de territoire. C’estnotamment le cas du fondateur du CEDAPA qui estime que le comité n’a pas suffisammentretenu les propositions émanant de la société civile.

121 GREGOIRE Allix, « Algues vertes : Une fuite en avant qui ne s'attaque pas à l'origine du mal », Le Monde, 15 juillet 2011.122 BORRAZ Olivier, Les politiques du risque, Paris : Les Presses de Sciences Po, 2008, 294 p.123 Commission interministérielle chargée de bâtir un plan d’action contre la prolifération des algues vertes, Cahier des charges del’appel à projets pour les baies de la Lieue de Grève et de Saint-Brieuc. Pour des projets de territoire à très basses fuites d’azote,Paris, juillet 2010, 14 p.

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La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problèmepublic

66 LORANS Bérengère - 2011

« La commission interministérielle, quand elle a rendu son rapport, elle avaitprévu des projets, non pas présentés par les bassins-versants, mais projetsprésentés par les associations, les syndicats…enfin toute structure organiséepouvait présenter un projet. Curieusement, ces projets qui devaient remonter àRennes au Comité scientifique, ne sont pas remontés. Ils ont été bloqués ici, àla Commission locale de l’eau, qui a présenté un truc global, mais ne sachantplus trop qui fait quoi. C’est là que le Comité scientifique a dit que nos affaires

n’étaient pas claires. 124 »

C’est pourquoi de nouvelles propositions ont ensuite été faites en vue de les intégrer aunouveau projet de territoire, afin de se conformer à la méthode définie dans le cahier descharges émanant de la commission interministérielle à l’origine du plan Algues vertes.

L’adoption du projet de territoire à très basses fuites d’azote se fait sur la basede négociations entre les acteurs représentés au comité algues vertes (représentantsagricoles et des autres secteurs économiques, élus, services de l’Etat, associations). Cesnégociations permettent de discuter des objectifs recherchés et des moyens correspondant.La négociation consisteen la recherche d'un accord dans un temps limité. Elle est centréesur des intérêts matériels ou des enjeux quantifiables entre deux ou plusieurs interlocuteurs125 .

Ainsi, les réunions de travail sont nombreuses et extrêmement importantes afinde discuter en petits groupes des propositions de chaque catégorie d’acteurs et desmodifications à y apporter. L’essentiel de la négociation se fait en dehors des séancesplénières du comité algues vertes, ces dernières consistant essentiellement à valider desdécisions prises antérieurement et à discuter de grands thèmes : évaluation des excédentsd’azote sur le territoire, état des lieux sur l’avancement des négociations… La plupart desdécisions sont prises dans le cadre des relations interpersonnelles entre les différentsmembres du comité algues vertes. Les propos du président du comité algues vertes rendentcompte de la logique de ce processus de négociation.

- Ah ben moi je peux vous dire que, pour l’anecdote, l’après-midi où on s’estvu à l’occasion du comité algues vertes, à 13h30, la chambre d’agriculture nevotait pas, ou votait contre. Et à 16 heures ils ont voté pour. - D’accord, donc ils’est passé des choses entre temps. - Ben, ça c’est le principe quand il y a desnégociations un peu tendues. - Donc vous les appeliez ? - Ah j’ai passé mon

temps au téléphone 126 .D’autre part, la personnalité du président du comité a joué un rôle important dansl’aboutissement de ces négociations. En effet, celui-ci s’est personnellement investi dans ceprojet, et a su utiliser ses qualités pour convaincre les différents acteurs et les faire parvenirà un accord.

Ce dernier se prononce en faveur des négociations en petits groupes afin d’aboutir àdes consensus. En effet, lors de la réunion du comité algues vertes en mai 2011, le Président

124 Entretien 6. Spécialiste de l’agriculture durable, fondateur du CEDAPA.125 BORRAZ Olivier, Les politiques du risque, Paris : Les Presses de Sciences Po, 2008, 294 p.

126 Entretien 8. Président de la Commission Locale de l’Eau et du Comité algues vertes du SAGE de la Baie de Saint-

Brieuc.

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III- Le plan Algues vertes, vers une prise en charge définitive et territorialisée du problème ?

LORANS Bérengère - 2011 67

suspend la séance car il se trouve confronté à une situation d’opposition indépassable entreprofession agricole et services de l’Etat.

« Ca servait à rien : quand vous avez deux murs qui s’affrontent, ça reste desmurs. Donc il valait mieux arrêter, remettre ça sur la table tranquillement, revoirun petit peu les points où ça coinçait et se retrouver après, c’est ce qu’on a fait.

Et voilà 127 ».Les concertations en petit groupe, non publiques, sont ainsi préférées afin de réglerles tensions qui peuvent exister entre les différents acteurs.

Ainsi, lors de l’adoption du nouveau projet de territoire à très basses fuites d’azote le 24juin 2011, la situation est presque surréaliste : les différents acteurs semblent relativementd’accords. Seuls quelques individus monopolisent la parole, il s’agit de deux associatifs etdes représentants de la chambre d’agriculture, sous l’arbitrage du président. Les autresmembres du comité sont plutôt passifs, écoutant simplement les différents interventions. Lesdébats sont lisses, il n’y a presque aucun désaccord. Lors des explications de vote, exceptéEau et rivières de Bretagne, l’ensemble des acteurs de poids (agriculture, agglomération deSaint-Brieuc, Conseil-Général) vote le projet, émettant très peu de réserves. Il n’y a aucunconflit : le consensus était déjà acquis avant le début de la réunion.

Selon le président du comité, le projet de territoire a été validé à l’unanimité, malgré

l’abstention de l’association Eau et rivières de Bretagne 128 .Ainsi, s’il est clair que les différents membres du comité algues vertes se réunissent

et discutent lors de réunions de travail et de rencontres informelles pour parvenir à desaccords, la procédure de négociation demeure occulte. Il n’est pas possible de savoirprécisément qui est présent à ces réunions, quel en est le thème ni comment se forment lesaccords : est-ce que le consensus se fait par « échange de bons procédés », par promessed’aides financières ? Peu d’informations ressortent de ce processus de négociation àl’origine de l’adoption d’un plan Algues vertes en Baie de Saint-Brieuc.

A l’issue de cette phase de négociation, des engagements réciproques sur un calendrierd’action et de réalisation sont définis.

Ainsi, le plan adopté par le comité algues vertes et qui doit servir de trame à l’ensembledes actions destinées à lutter contre les marées vertes en Baie de Saint-Brieuc est presqueexclusivement basé sur des mesures agricoles.

« Par contre, là on s’est attaqué à la racine du problème, et pour la première foison a réussi à dire les choses et à les accepter… et à s’écouter… ce qui n’est pas

toujours facile 129 ».La prolifération des algues vertes est ainsi abordée sous l’angle du problème agricole.Même s’il existe un volet assainissement, l’essentiel des efforts est demandé à la professionagricole, reconnaissant ainsi son rôle clé dans le développement des algues mais aussidans la résolution du problème.

127 Ibid.128 Entretien 8. Président de la Commission Locale de l’Eau et du Comité algues vertes du SAGE de la Baie de Saint-Brieuc.

129 Entretien 8. Président de la Commission Locale de l’Eau et du Comité algues vertes du SAGE de la Baie de Saint-

Brieuc.

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La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problèmepublic

68 LORANS Bérengère - 2011

Ce plan initie une véritable réflexion sur les caractéristiques du modèle agricole bretonet les modifications qu’il convient d’y apporter. Ainsi, le projet de territoire permet d’impulserdes premiers changements à l’agriculture du territoire. Le projet prévoit notamment de« changer de système » agricole sur 15 à 20% de la surface agricole utile du territoire.Cette mesure est d’ailleurs qualifiée de « pas de géant » par le Président du comité algues

vertes 130 . Ce changement de système passe par une évolution des surfaces vers lescultures pérennes, par la reconversion des zones humides en prairies permanentes et parl’adoption de pratiques agricoles moins polluantes telle que l’agriculture biologique ou lesystème fourrager économe en intrants.

Ce sont notamment certaines préconisations du fondateur du CEDAPA qui ont étéadoptées. Ainsi, le projet de territoire prévoit de favoriser le développement de l’herbe touten limitant la présence du maïs. De plus, le calcul de la balance globale azotée a été imposéaux agriculteurs.

Les objectifs du projet sont à atteindre d’ici 2027, avec des objectifs de court termepour 2015.

D’autre part, des contributions financières de la part des quatre financeurs (Etat, Conseilrégional, Conseil général des Côtes-d’Armor et Agence de l’Environnement et de la Maîtrisede l’Energie) de ce plan sont prévues afin de réaliser les objectifs attendus. Ainsi, le projetde territoire prévoit une enveloppe globale de 35,7 millions d’euros, principalement sous laforme d’aides au secteur agricole afin d’accompagner son évolution.

Pour l’ensemble des acteurs ayant avalisé le projet territorial, ce dernier est considérécomme un véritable « pas de géant » dans la gestion locale des algues vertes. Il ne restequ’à le mettre en œuvre afin d’enrayer, à long terme, le phénomène.

Mais des limites à ce projet de territoire émergent dès son adoption lors de la réuniondu 24 juin 2011.

Pour l’association Eau et rivières de Bretagne, ce projet de territoire accorde beaucouptrop d’importance au volet méthanisation, peu efficace, alors que les reconversions versdes systèmes fourragers économes en intrants sont insuffisantes. Pourtant, ce type dereconversion serait plus efficace que la méthanisation pour lutter à la source contre lesalgues vertes.

Pour les associations, ce plan constituerait une troisième campagne de déni, eninsistant beaucoup trop sur le ramassage, couplé à une autre action : la méthanisation dulisier. Le ramassage et le traitement sont ainsi présentés comme les remèdes au danger,ce qui donne du temps pour remédier aux causes. D’ailleurs, les objectifs du plan sont àatteindre en 2027…

De leur côté, les représentants de la profession agricole rappellent à la fin de laréunion que l’ensemble des mesures imposées aux agriculteurs ne doivent pas entraînerdes déséquilibres économiques trop importants pour la profession. L’avenir du plan Alguesvertes en Baie de Saint-Brieuc dépend ainsi du développement économique de la professionagricole.

D’autre part, le plan Algues vertes est présenté comme la véritable solution face auphénomène des marées vertes. Cependant, les acteurs impliqués dans sa négociationinsistent sur le fait que les résultats ne seront pas visibles immédiatement. Les propos duprésident du comité algues vertes traduisent cette précaution :

130 Ibid.

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III- Le plan Algues vertes, vers une prise en charge définitive et territorialisée du problème ?

LORANS Bérengère - 2011 69

« Et fallait quand même avoir à l’esprit qu’on ne règlerait pas le problème en six

mois, un an, deux ans quoi. C’était un point de départ, un principe de base 131

».Il s’agit de tempérer les attentes et les espoirs qui peuvent émerger à la suite de l’adoption duprojet et éviter de nouvelles frustrations, et donc des nouveaux blocages. Mais la questionde l’efficacité des mesures envisagées revient alors avec force.

Le projet de territoire adopté lors de la réunion du 24 juin 2011 à Saint-Brieucest le résultat d’un compromis qui a émergé entre les différents acteurs impliquésdans les négociations. Le plan d’action est le produit d’arbitrages constants entre desconsidérations d’ordre économique et la nécessité d’assurer l’efficacité environnementaledes mesures envisagées. Ainsi, le processus de négociation a donné lieu à la mobilisationet l’affrontement d’intérêts particulier et à des logiques de marchandages et de compromis.

Mais l’adoption du projet de territoire traduit un véritable changement dans la gestiondes algues vertes en Baie de Saint-Brieuc. En effet, les oppositions entre les différentsacteurs concernés par cette problématique ont été dépassées grâce à un processus denégociation dans le cadre du comité algues vertes.

L’adoption du projet de territoire de la Baie de Saint-Brieuc est à la fois le pointd’aboutissement des négociations mais aussi le point de départ d’un cycle de l’action

publique 132 . En effet, le plan a été adopté, mais il doit désormais être mis en œuvre afinde lutter efficacement contre la prolifération des algues.

« Tout le travail va désormais être de faire vivre ce plan».En cas d’échec, le plan Algues vertes n’aura été qu’une nouvelle apparition de laproblématique sur l’agenda politique. Avec cette seule différence que la prise en charge duproblème aura été faite au niveau local sous la tutelle et la responsabilité de l’Etat.

Si l’adoption du projet de territoire signifie la mise en œuvre de moyens dans les moisqui viennent, elle n’a pas permis d’éviter de nouveaux désagréments pour les riverains etles communes touchées par les marées vertes tout au long de l’été.

Au-delà du volet préventif, une gestion curative toujours difficile faceà la prolifération massive des algues vertes

L’été 2011 a été marqué par les nouveaux rebondissements de la problématique des maréesvertes en Baie de Saint-Brieuc. La prolifération massive d’algues sur le littoral breton dès lemois de mai présageait ainsi une saison difficile, tant sur le plan technique que politique.

Les évènements de juin-juillet 2011 sont révélateurs de l’ampleur du problème etincitent à un traitement rapide et efficace de ce dernier. Ils traduisent également toutel’attention qui sera portée au plan Algues vertes de la Baie de Saint-Brieuc durant lesprochaines saisons, puisque chacun espère que ce projet pourra apporter une réponse auxmarées vertes.

« Le plan Algues vertes, j’espère, va répondre à l’attente de tous… ».

131 Entretien 8. Président de la Commission Locale de l’Eau et du Comité algues vertes du SAGE de la Baie de Saint-

Brieuc.132 BOUSSAGUET Laurie et al., Dictionnaire des politiques publiques, article « Décision », Paris : Les Presses de Sciences

Po, 2010, p. 201-210.

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La gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc, ou la trajectoire non-linéaire d’un problèmepublic

70 LORANS Bérengère - 2011

La gestion curative des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc demeure problématique. Or,ces difficultés, davantage d’ordres techniques, peuvent avoir des répercussions importantessur l’équilibre précaire qui existe actuellement entre les différents acteurs impliqués dansla gestion des algues.

Le plan Algues vertes prévoit un axe relatif aux actions curatives, portant notamment surl’amélioration du ramassage et le développement des capacités de traitement des algues

échouées 133 . C’est dans ce cadre que deux projets ont été achevés dans l’objectif de gérerau mieux les algues à l’été 2011 : une usine de traitement à Launay-Lantic permettant detraiter 20 000 tonnes d’algues, et une station à ciel ouvert aux Châtelets, à Ploufragan, d’unecapacité de 10 000 tonnes.

Ces infrastructures devaient permettre de faire face aux arrivages massifs d’alguesvertes et ainsi de s’assurer que les plages soient propres tout au long de la saisontouristique.

Pourtant, le 30 juin 2011, la commune d’Hillion annonce qu’elle n’assurera plus leramassage des algues sur ses plages. En effet, la plateforme de compostage de Launay-Lantic est saturée, alors qu’un arrivage massif sur les plages d’Hillion et Morieux a eulieu. De plus, l’usine de traitement à ciel ouvert située aux Châtelet est momentanémentfermée car l’odeur qui s’en dégage engendre des désagréments pour les autres travailleursde la zone des Châtelets. Des agents de la communauté d'agglomération travaillant dansun bâtiment voisin se sont ainsi plaints de picotements aux yeux. Les responsables duSmictom des Châtelets ont décidé de ne pas accueillir les algues d'Hillion en attendant desexpertises supplémentaires afin de s’assurer qu’aucun gaz toxique ne s’échappe de l’usine

de traitement 134 .

Les algues n’ont pas pu être ramassées entre le 30 juin et le 7 juillet. Cependant, le6 juillet, la Baie de Saint-Brieuc, de Binic au Cap-Fréhel, allait être le théâtre d’une étapeclé du Tour de France, troisième évènement international le plus médiatisé après les JeuxOlympiques et le Mondial de Football. L’arrêt du ramassage a alors provoqué l’inquiétudedes élus du territoire et de tous les acteurs concernés par cette question. En effet, les imagesdes plages bretonnes recouvertes d’algues vertes risquaient d’être diffusées dans le mondeentier, d’autant plus que la mer serait basse au moment du passage des coureurs.

On retrouve ici le thème de la non-publicisation de la problématique des algues vertes.Surtout, il faut éviter de montrer les algues, au risque de faire peur et d’entraîner une fuitedes touristes. Le monde agricole avait également insisté sur la nécessité d’assurer la gestioncurative des algues afin d’éviter une médiatisation trop importante du phénomène. Avecl’arrêt du ramassage sur les plages d’Hillion, réapparaissait la peur des caméras et le risqueque la responsabilité des agriculteurs soit une fois de plus pointée du doigt. Cette mise encause aurait pu provoquer davantage de crispations dans les négociations locales autourde la gestion des marées vertes.

Les propos du maire d’Hillion rendent compte du « dilemme » qui habite l’ensembledes acteurs concernés par la gestion des marées vertes :

133 Plan de lutte contre les algues vertes, Rennes, février 2010, 10 p.134 ALVAREZ Bruno, « Hillion stoppe le ramassage des algues vertes », Ouest France, 1er juillet 2011.

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III- Le plan Algues vertes, vers une prise en charge définitive et territorialisée du problème ?

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«Si les algues sont là la semaine prochaine, ça m'ennuie sur le plan touristique.Mais pour la prise de conscience, ça permet de montrer une réalité: il ne faut pas

oublier qu'elles sont là 135 ».Cependant, lors du passage du Tour de France en Baie de Saint-Brieuc, la plage d’Hillion n’aété montrée que furtivement, le journaliste insistant davantage sur les multiples châteauxsitués sur le territoire de la commune.

D’autre part, le 8 juillet 2011, le maire de Morieux décide d’interdire l’accès à la plageSaint-Maurice, située sur le territoire de la commune. En effet, un banc de sable s’est formé àcertains endroits, recouvrant ainsi des amas d’algues en putréfaction et des poches de gaz.

Les agents chargés du ramassage ont ainsi détecté la présence d’hydrogène sulfuré 136 .Le maire de la commune a insisté sur le fait que les algues ne sont pas plus nombreuses

que les autres années et que cette mesure est préventive, tout en insistant sur la nécessitéde vivre avec les marées vertes. Ainsi, certains élus locaux font parfois preuve d’une certainefatalité, exprimant notamment l’idée que le problème des algues vertes ne pourra être résoluà court terme et qu’il faut donc s’en accommoder…presque l’accepter.

Cependant, le 13 juillet, la Préfecture annonce que deux marcassins ont été retrouvésmorts sur cette même plage le 7 juillet, soit la veille de la fermeture de cette dernière. Lesreprésentants de l’Etat insistent sur le fait qu’il n’existe aucun lien entre les algues vertes

et la mort des animaux 137 . Cette situation prend une toute autre ampleur lorsque 8 autres

cadavres sont découverts sur la même plage le 24 juillet 2011 138 . Au total, ce sont plus de30 sangliers qui seront retrouvés morts sur la plage de Morieux.

Plusieurs associations, Halte aux marées vertes, Eau et rivières de Bretagne etSauvegarde du Trégor (cette dernière représentant la Baie de Lannion), adressent alors unelettre au Préfet des Côtes d’Armor, indiquant notamment que leurs adhérents ne sont pasconvaincus des explications officielles concernant la mort des deux marcassins sur la plagede Morieux. Elles rappellent également le manque de transparence dont ont fait preuve lesautorités publiques dans les précédentes alertes sanitaires liées aux algues vertes.

Le risque sanitaire lié aux algues vertes a été reconnu par l’Etat et est à l’originedu plan Algues vertes. Les élus locaux, notamment les maires, prennent de nombreusesprécautions afin d’éviter un nouveau drame sanitaire. Cependant, il semble que des tensionsexistent encore actuellement autour d’un éventuel étouffement de ce risque sanitaire de lapart des autorités publiques.

Ainsi, les usines de traitement se sont avérées insuffisantes face aux arrivages massifsdes algues sur les plages de la Baie. La gestion curative des algues vertes connaît donctoujours des difficultés malgré les mesures mises en œuvre dans le cadre du plan Alguesvertes. Le ramassage ne pouvant suffire à combattre les marées vertes, l’attente vis-à-visdu projet territorial, symbolisant le volet préventif de lutte contre les marées vertes, n’en estque plus grande.

135 Le Télégramme, « Ploufragan : des salariés dérangés par l’odeur des algues », 2 juillet 2011.136 HINAULT Jean-Yves, « Algues vertes : une plage fermée à Morieux », Ouest France, 12 juillet 2011.137 Libération, « Décès de deux marcassins sur une plage bretonne », 13 juillet 2011.138 GOYET Angélique et GREGOIRE François, « A Morieux, huit cadavres de sangliers sur la plage », Ouest France, 25

juillet 2011.

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Malgré l’adoption à la quasi-unanimité du plan Algues vertes de la Baie de Saint-Brieuc,les problèmes de ramassage entraînent une médiatisation accrue des marées vertes. Cettedernière rappelle à tous l’ampleur du problème et du chemin qu’il reste encore à parcouriravant que les plages bretonnes ne soient propres.

Chaque évènement de ce type est susceptible de créer de nouvelles tensions au niveaulocal entre les différents acteurs concernés par les algues vertes. Si chacun d’entre eux peutaccélérer la prise de conscience collective de l’urgence de la situation, il peut égalementêtre à l’origine de nouveaux blocages remettant en cause la gestion efficace des maréesvertes en Baie de Saint-Brieuc. Comme il n’existe pas de réponse simple et rapide à unproblème si complexe, des frustrations peuvent émerger et aboutir au blocage du dossier.

ConclusionLa gestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc se trouve, à l’été 2011, à un nouveautournant. Suite aux scandales sanitaires de 2008 et 2009, l’Etat a effectivement pris encharge cette problématique afin d’y apporter une réponse collective efficace. Cette réponsecorrespond au plan Algues vertes.

Ce dernier reflète la reconnaissance, par l’Etat, de l’origine agricole des marées verteset du risque sanitaire qui y est lié. C’est l’aboutissement d’un processus de qualificationcomplexe qui a impliqué des acteurs aux intérêts divers et qui explique la trajectoiresinueuse de la problématique des algues vertes sur l’agenda politique.

Le plan Algues vertes comprend un volet curatif mais également une action préventivepour lutter à la source contre les marées vertes. Ce volet préventif se traduit par le projetde territoire à très basses fuites d’azote discuté et approuvé par l’ensemble des acteursconcernés par le sujet dans le cadre du comité algues vertes.

Les négociations collectives qui ont précédé l’adoption du projet de territoire ontété marquées par la persistance des oppositions qui existent entre les différents acteursconcernés par la problématique. Ces tensions ont provoqué de nouveaux débats concernantla définition du problème des algues vertes. En effet, son origine agricole a été relativisée,tandis que ses conséquences sanitaires semblent de nouveau discutées à la suite de lamort suspecte de sangliers.

Présenté comme révolutionnaire par ceux qui l’ont adopté, ce plan se heurte déjà auscepticisme des associations de défense de l’environnement et aux délais lointains qui luisont imposés (les objectifs sont à atteindre en 2027). D’autre part, de nouvelles difficultésdans le ramassage émergent face à la prolifération massive des algues à l’été 2011. Leprojet de territoire de la Baie de Saint-Brieuc suscite donc des attentes importantes auniveau local, puisqu’il doit permettre de lutter à la source contre les algues vertes. En casd’échec, les frustrations seront à la hauteur de ces attentes.

De l’avenir du plan Algues vertes dépend donc l’évolution de la problématique desmarées vertes en Baie de Saint-Brieuc.

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Conclusion

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Conclusion

La gestion chaotique des algues vertes L’objet « algues vertes » est géré différemment en fonction des caractéristiques et desdélimitations qui lui sont attribuées. De la définition de cet objet dépend sa prise encharge par les autorités publiques et son traitement. Les reconfigurations successives dece problème traduisent ainsi sa difficile mise à l’agenda. En effet, l’ensemble des acteursimpliqués dans la qualification du problème des marées vertes ont pour objectif d’imposerleur propre définition afin de faciliter son inscription sur tel agenda et de promouvoir tel typede politique publique.

Dans un premier temps, et ce jusqu’aux années 2000, la gestion des algues vertes enBaie de Saint-Brieuc consiste en une banalisation et une négation du phénomène. Cettesituation s’explique par une convergence d’intérêts entre des acteurs divers. Il y a alors unaccord sur la non-publicisation du problème.

Puis, cet accord local va se fissurer à mesure que la prolifération des alguess’intensifie et que les désagréments liés aux marées vertes s’accentuent. Riverains, élusdes communes les plus touchées et associations de défense de l’environnement vontinitier un mouvement de protestation collectif afin de dénoncer la non-prise en charge duphénomène. Les marées vertes deviennent plus visibles. La problématique des alguesvertes alterne alors entre publicisation et oubli.

Tout d’abord présentées comme la conséquence d’une pollution des eaux, et face àl’absence de résultats concrets en la matière, la visibilité des marées vertes et leur priseen charge fluctuent en fonction des différents plans d’actions mis en œuvre (Bretagne EauPure, PMPOA, …).

C’est alors que les associations et les instances scientifiques telle l’IFREMER semobilisent afin de démontrer l’origine agricole des algues vertes. Il s’agit en effet des’attaquer à la source du problème et de montrer que des solutions sont envisageables.Cette qualification oppose notamment les associations écologistes et une partie du secteuragricole rejetant toute responsabilité dans ce phénomène. Cependant, la mise en évidencedes origines agricoles des marées vertes ne suffit pas à une prise en charge durable etefficace du problème. En effet, les enjeux économiques liés au développement du secteuragricole et agroalimentaire sont extrêmement importants : la santé économique de la régionen dépend. Il ne s’agit donc pas uniquement de lutter contre les algues vertes mais derepenser l’ensemble du système économique local. Cette nouvelle définition traduit unemontée en généralité du problème des algues vertes mais permet dans le même tempsd’expliquer l’absence de résultats immédiats. Le problème est ainsi noyé au sein d’autresconsidérations économiques et agronomiques, et tend à disparaître de la scène publiqueparce qu’extrêmement complexe.

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Le problème des marées vertes ressurgit alors de façon brutale suite à plusieursincidents sanitaires en 2008 et 2009. La prise en charge durable du problème dépend alorsde la reconnaissance d’un risque sanitaire lié à la prolifération des algues. C’est dans cecadre que s’inscrit le combat des associations de défense de l’environnement à partir de2008. Cependant, l’imposition de cette nouvelle définition est longue et difficile : l’ampleurdu problème, s’il est qualifié de risque, est alors décuplée. Cette radicalisation provoqueun raidissement chez les agriculteurs qui refusent d’être tenus pour seuls responsablesdes drames sanitaires. Il en va de même pour les élus qui redoutent un nouvel accidentet craignent une fuite massive des touristes. L’enjeu de cette requalification est de fairereconnaître l’existence d’un danger mortel lié aux marées vertes et d’impulser une politiquede long terme pour lutter contre les algues.

Le plan Algues vertes s’inscrit dans cette évolution de la problématique : il traduitla reconnaissance par l’Etat et les acteurs locaux du risque sanitaire, tout en affirmantla nécessité de s’attaquer aux origines agricoles du problème. Cependant, les tensionsexistant entre les différents acteurs locaux concernés par la problématique refont surfacelors de la négociation du projet de territoire à très basses fuites d’azote. La problématiquedes algues vertes, ses caractéristiques et donc sa qualification sont en constante évolution.

L’objet « algues vertes », devenu problème public de par la mobilisation collectiveinitiée au niveau local, est progressivement qualifié de risque sanitaire et nécessite unegestion durable et efficace. Il est soumis à des qualifications successives au cours du tempsen fonction des acteurs impliqués. Cette problématique est donc en constante évolution.Ce cheminement difficile empêche une mise à l’agenda et un traitement permanent dela problématique. Les ajustements entre les acteurs sont constants mais des blocagesdemeurent.

Cette trajectoire chaotique s’explique notamment par les tensions existant entre lesacteurs concernés et l’évolution du rapport de force au niveau local. En fonction descoalitions d’acteurs impliqués et de leurs intérêts respectifs, la gestion des algues vertes vaêtre différente : tantôt il ne faut pas en parler, tantôt il s’agit de ramasser les algues, tantôtdes mesures préventives sont indispensables.

Le plan Algues vertes ne peut être considéré comme la configuration définitive de lagestion des algues vertes en Baie de Saint-Brieuc. Ainsi, si un accord a été trouvé et s’esttraduit par l’adoption du projet de territoire à très basses fuites d’azote, cet équilibre précaireest soumis à des contraintes économiques et politiques. La mise en œuvre de ce plandépendra ainsi de la bonne volonté des acteurs qui l’ont voté et de l’évolution de leur intérêt.

Malgré la reconnaissance officielle de l’origine agricole et des conséquences sanitairesdes marées vertes, cette problématique subit toujours des évolutions. En fonction desacteurs impliqués localement, de la situation économique et politique sur le territoire et desprises de position au niveau national, les conceptions de la problématique des algues vertespeuvent évoluer. C’est notamment le cas lorsque le Président de la République affirme lanécessité de s’intéresser aux sources de pollution non-agricoles. De même, lors de la mortde sangliers sur une plage de Morieux, la reconnaissance du risque sanitaire semble remiseen question. Les évènements récents montrent que les frontières du problème sont encoremouvantes : elles évoluent en fonction de la situation locale et des acteurs impliqués.

De ce fait, notre travail n’est qu’un état des lieux, à un moment « t », de l’évolution dela problématique des algues vertes et de sa gestion. Cette dernière, consistant à faire faceau phénomène, en limitant ses manifestations et ses impacts, évoluera parallèlement auxcontraintes politiques, économiques et naturelles du territoire.

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Conclusion

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Les limites inhérentes à l’enquête de terrainLors de nos premiers contacts avec le terrain, notre démarche a pu susciter desinterrogations, voire de l’incompréhension chez les acteurs sollicités. En effet, peu d’acteursextérieurs semblaient alors s’intéresser au sujet. De plus, la complexité du dossier lesrendait souvent sceptique quant à la réussite de notre entreprise. Et ce d’autant plus qu’illeur était souvent difficile, malgré nos explications, de comprendre l’objet de notre rechercheet la méthode employée. A plusieurs reprises, il semble que nous ayons été considéréscomme le porteur de tel ou tel message que nous allions ensuite pouvoir relayer. En fait,le mot « sociologie » posait problème.

D’autre part, la plupart des acteurs rencontrés nous ont renvoyé l’idée d’un sujetcomplexe et extrêmement difficile à aborder. D’ailleurs, ce sentiment a été renforcé parla suite, notamment lors des négociations précédant l’adoption du plan Algues vertes dela Baie de Saint-Brieuc. D’autre part, il nous est apparu que les différentes catégoriesd’acteurs impliqués ne formaient pas toujours des blocs homogènes. En effet, le terrainnous est peu à peu apparu de manière plus distincte, mais surtout avec toutes ses nuanceset ses aspérités. Notre recherche ne pouvait se contenter d’une catégorisation simplisteet grossière des différents acteurs. Ainsi, la position des élus locaux a particulièrementposé problème, puisque présentés tantôt comme les victimes des pollutions agricoles,tantôt comme les défenseurs d’un modèle économique dépassé. De même, les divergencesentre les différentes associations ont peu à peu émergé à mesure que nos recherchess’intensifiaient. Cette complexité du terrain a été extrêmement difficile à traduire dans notretravail. D’où parfois une certaine frustration : la nécessité d’être clair et de coller au plusprès à notre enquête nous obligeait parfois à gommer certaines aspérités afin d’éviter detomber dans un récit flou et peu lisible. Mais nous estimons qu’un travail beaucoup plusprofond et mené sur une période de temps plus longue permettrait de rendre compte del’ensemble des nuances et des arrangements locaux qui se cachent derrière les discoursdes acteurs rencontrés.

Tout au long de notre enquête, nous avons été confrontés à un univers très particulier.En effet, la gestion locale des algues vertes laissait apparaître un certain manichéisme.Lorsque nous avons rencontré les représentants associatifs ou agricoles, leur position étaitextrêmement partiale. Ils défendaient leur point de vue, fustigeant l’action de ceux qu’ilsconsidèrent comme des opposants. Ainsi, il semble que nous fûmes parfois considéréscomme des « relais » pour leur propre cause. Sans doute espéraient-ils que leur discoursallait être transmis à un public plus large puisque nous allions en faire part dans notre travail.Ainsi, cette situation fut difficile à gérer. Il s’agissait de conserver notre neutralité axiologique,puisque l’objet de ce mémoire n’était en aucun cas d’exposer nos opinions, ni de juger lespropos de tel ou tel acteur.

Outre cette nécessaire objectivité, il fut également délicat d’exploiter le discours desacteurs que nous avons rencontré. En effet, si nous comparions différents entretiens, il enressortait tout et son contraire : pour l’un les agriculteurs étaient un mur tandis que lesassociations innovaient, pour l’autre les agriculteurs proposaient des solutions nouvellesalors que les associations campaient sur leur position. Certes, ce type de situation étaitprévisible et inhérent au terrain. Cependant, lorsque nous y fûmes confrontés, il fallutl’exploiter et en tirer les éléments permettant de nourrir notre travail. Là encore, il nousa fallu apporter des nuances afin de ne pas faire état d’une opposition frontale entre desacteurs irréconciliables. Surtout, il s’agissait de ne pas prendre part aux débats opposant

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les différents acteurs et se contenter d’en expliciter les tenants, les aboutissants, et lesconséquences sur la gestion locale des algues vertes.

Enfin, l’objet « algues vertes » se caractérise localement par son importantemédiatisation puisqu’il s’agit encore d’un sujet « sensible » car sa gestion collective peine àfaire l’unanimité. Dans ce cadre, le moindre évènement en rapport avec les marées vertessuscite la réaction des associations, des élus ou encore du secteur agricole, le tout sousl’œil attentif des médias locaux. La question des algues vertes évolue donc extrêmementrapidement en fonction de la situation locale. Cette dynamique participe à la richesse dusujet mais a aussi pu être une source de difficulté. En effet, il s’agissait de ne pas s’égarerdu cœur de notre recherche en essayant notamment d’accorder de l’importance à tous lesévénements qui ont jalonné la problématique des algues vertes au cours de l’été 2011.Surtout, il est frustrant de devoir mettre un point final à ce travail alors que la problématiqueest en constante évolution.

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