La gazette de la lucarne no 34 - lucarnedesecrivains.free.frlucarnedesecrivains.free.fr/Lucarne...
Embed Size (px)
Transcript of La gazette de la lucarne no 34 - lucarnedesecrivains.free.frlucarnedesecrivains.free.fr/Lucarne...
La gazette de la lucarne no 34
La Lucarne des crivains, 115 rue de lOurcq, 75019 Paris tl./fax : 01 40 05 91 51 http://lucarnedesecrivains.free.fr
1,50
Morphe tait chez les anciens Grecs et chez les Latins le dieu du sommeil et du songe. ce titre important, Morpheus, fils dHypnos et de Nyx (le sommeil et la nuit), avertissait les rois de grands vnements venir par le moyen de rves prophtiques.Cependant, son rle le plus quotidien consistait endormir les mortels. Il tait dot dailes lgres comme des ailes de papillon qui lui permettaient de se dplacer en un instant dun point un autre de la Terre. Quelle commodit ! Do lexpression venue lpoque moderne tre dans les bras de Morphe , pour indiquer un sommeil calme et profond, une sorte de bonheur par loubli : Je nai rien entendu du vacarme, jtais dans les bras de Morphe. videmment la locution sest teinte dune petite connotation salace, surtout lorsquelle est employe par un homme, car au xviiie sicle, les peintres ont fminis Morphe ; il est parfois reprsent sous les traits dune jolie femme nue.Seulement a, ctait le pass. Il se trouve quau dbut du xixe sicle, lors du premier essor
de la chimie, de graves savants tudiant les vertus de lopium du pavot isolrent un alcalode soporiphique quils appelrent, pardi, morphine, cause de leur culture classique (Les bonnes gens crivent mort fine avec quelque bon sens puisquon ladministre charitablement aux moribonds.)Longtemps rserve aux cas extrmes, la morphine se trouve aujourdhui dispense tire-larigot auprs des malades pour leur viter toute douleur. Oui, mais le vieux Morpheus nen perd pas pour autant le nord ; il veille et frtille de ses petites ailes, distribuant tout un chacun ses surplus de rves, de songes catastrophiques trans-forms pour loccasion en cau-chemars dpouvante.Ayant moi-mme bnfici tout rcemment de ces douceurs dh-pital, jai pu mesurer lhorreur du produit antalgique au cours de plusieurs jours et plusieurs nuits de dlire qui mont rappel ce que mavait racont autrefois un camarade la suite dun mauvais voyage au LSD. Sauf que pour lui, ce fut une soire de drgle-ment et, pour moi, plus de cinq jours dhallucinations atroces,
tant visuelles quauditives.Imaginez les murs dune chambre dhpital qui ondulent et se chargent de portraits froces, de formes pouvantables ; le fauteuil qui grandit jusquau pla-fond, qui se dplace vers vous en fantme affreux et ricanant avec les bruits, les bribes de dialogues mystrieux au cur de la nuit, l, tout prs de votre oreille. Il y avait en particulier une sorte de claquement sur deux tons mtal-liques, ta-ta !, que javais identi-fis avec mes derniers restes de lucidit terrorise comme tant le rire de la mort.Jai vcu des heures tragiques au milieu des sorcires de Macbeth peuplant ma chambre et mon lit Plus jamais je nentendrai cette expression charmante les bras de Morphe sans frissonner ; jamais de ma vie je ne lemploie-rai. Cest que la mdecine fran-aise devrait y rflchir deux fois avant de confier ses patients aux soins du vieux dieu grec Morpheus jen viens, je lai vu : il a des mains dtrangleur.
15 fvrier 2011
Wik
imed
iacO
mm
On
s
Claude duneton
Les bras de Morphe
Texte publi sur le blog Le plaisir des mots , chronique de Claude Duneton sur le site du Figaro littraire du 6 janvier 2011.
la vie comme elle va
Morphe apparat Alcyone. Gravure de Virgil Solis pour les Mtamorphoses dOvide.
2
no 34 15 fvrier 2011
3
Soire Femmes et posie avec Angle Paoli,
Dany Moreuil et Sylvie Saliceti,
mercredi 2 mars 19 h 30.
ah ! tu verras, tu verras !
interview ralise par anne orsini
Anne Orsini : Pour vous, quest-ce qutre femme-pote aujourdhui ?
Angle Paoli : Pour moi, cest tre en prise avec le monde. Le monde mien, celui que jhabite et qui me fonde, celui des autres femmes avec lesquelles je suis en empathie et en partage. Ce nest que lorsque je me sens en adquation parfaite avec len-semble de ces donnes que je peux crire.
Dany Moreuil : Cest mani-fester sur le papier des rali-ts masques par lurgence du quotidien, dans une langue qui est la mienne, donc fortement empreinte de mon corps et de
mon exprience de femme. Je revendique la posie comme un travail sur la langue, et donc sur le tissu intime, corporel, social et universel. Mais je ne reven dique pas du tout le rle de femme-pote . Je suis tout btement une humaine passion-ne dcriture, tout de mme ter-riblement agace par le fait que la posie franaise soit entre les mains des hommes. Il me suffit de feuilleter une anthologie de posie contemporaine...
Sylvie Saliceti : Pour para-phraser Gertrude Stein : A wo-man is a woman is a woman is a woman. Jeu de poupes russes, il y a un sens inn de linfinitude chez les femmes, non ? Or cest captivant, linfinitude en posie. Dans cet esprit, je rve (et peut-tre my attellerai-je bientt) dun pome : toujours le mme, jamais le mme, rinvent selon le jour, selon le voyage, le che-min intrieur accompli, selon les rencontres aussiLa posie est une rsistance, douce, certes, mais une opposition face tous les enfer-
mements, la soumission, le ta-bou, le voile des talibans ou la pornographie impose (deux faces dune mme mdaille). Une rsistance qui dfend la vie. Historiquement, politique-ment, les femmes reprsentent un parmi les ultimes et plus em-blmatiques remparts contre les oppressions. Ne pas se lais-ser voiler, cest un devoir, cest dfendre une parole libre, sans provocation, pour mieux shar-moniser avec cette autre belle moiti de lhumanit que sont les hommes.
Pouvez-vous clairer des proc-cupations dans votre rapport au monde (quotidien, socit) travers votre existence de femmes potes ?
D. Moreuil : Je nexiste pas en tant que femme pote. Jessaie dexister en tant que moi-mme qui crit, et qui vit lordinaire, et parfois lextraordinaire tout simple. Et dont lcriture se nourrit. Ma proccupation est la difficult de faire comprendre et de partager ce travail avec dautres.
A. Paoli : Au village, je suis la marcheuse qui crit . Mais mon criture nest pas trs acces sible la majorit des personnes qui vivent en permanence au vil-lage. Du moulin qui est mon lieu de travail (hors du monde et de son agitation), jai ouver-ture sur le monde de la posie et des potes. Cest avec les potes
Femmes et potesTrois femmes, trois potes, et trois questions approfondir loccasion de la veille Posie en compagnie : de l'criture en solitaire au lien social organise par Anne Orsini et Micheline Zederman La Lucarne des crivains le 2 mars.
Lettres tibtaines, Sylvie Saliceti, d. Flammes Vives, 2009.
Opulences, Dany Moreuil, LArbre paroles, 2010.
Carnets de marche, Angle Paoli, Les d. du Petit Pois, 2010.
2
no 34 15 fvrier 2011
3
SOMMAIRE
page 1
Les bras de Morphe,
c. duneton.
page 2-3
Femmes et potes
interview de a. Orsini.
page 4
Mutilation,
d. meunier.
page 5
La joie des enterrements,
B. Testa.
et
Les soires de La Lucarne.
page 6-7
Vraie-fausse interview
de D. Noguez,
P. desalmand.
page 8-9
Pomes,
n. Gille.
page 10
Les guillemets,
P. desalmand.
page 11
La crme des krma.
page 12
Cher Dany Laferrire,
m. albert-Levin.
agendaExpositionPhilippe BarnoudDans le cadre du 100e anniversaire de lincendie du Triangle Shirtwaist Factory (New York City, le 25 mars 1911), Philippe Barnoud prsentera une photographie, Work kills, parmi dautres artistes internationaux. Lexposition dbutera le 26 mars et sera sans doute prolonge de deux semaines. Elle sera ensuite visible sur le site du Laborfest, sponsor de lvnement. http://www.laborfest.net/ - http://rememberthetrianglefire.org/
dailleurs en Italie et en France surtout, que je dialogue, quotidiennement.
S. Saliceti : Telles les paroles dune chanson de Reggiani : et si nous pou-vions dire la fin de la fte, quelque chose a chang le temps que nous pas-sions , la posie doit couler dans les actes, me semble t-il.
Parlez-nous un peu de votre engagement en posie.
A. Paoli : Mon engagement potique remonte dcembre 2004, priode de cration de Terres de femmes. La ru brique Posie dun jour me permet dac-cueillir des pomes de mon choix, aussi bien dans les uvres du pass que dans celles daujourdhui. En 2009-2010, jai cr une anthologie potique consacre aux femmes. Je les invite menvoyer un pome indit que je publie dans cette
anthologie. Par ailleurs, je travaille actuel-lement, avec trois autres femmes (lune Tel Aviv, lautre Istanbul, la troisime Ottawa) la ralisation dune antholo-gie papier : Pas dici pas dailleurs. Cette anthologie francophone est exclusive-ment rserve aux femmes.
S. Saliceti : Selon Byron, La posie est le sentiment dun ancien monde et celui dun monde venir . Jessaie de faire souffler ce vent de libert quapporte la posie. Une posie en acte, autant que je le peux, pour mon plaisir, suivi quelque-fois
D. Moreuil : Mon engagement en posie nest pas militant. Il est plutt de lordre de la passion. Il est un accord avec ce que je suis. Actuellement quitter lcriture se-rait donc de lordre du sacrifice. Mais jai lintuition, quun jour, ce moment de quit-ter la posie se fera tout naturellement.
l DAny MOrEuiL a dabord enseign la philosophie, puis elle a fond et dirig Paris criture et Chorgraphie , une compagnie de danse et dcriture. Elle a particip de nombreux projets avec artistes et plasticiens. Depuis cinq ans, elle vit en Aquitaine o elle a cr lassociation Lcriture Vive , o elle anime des ateliers dcriture et ralise des spectacles vivants. Ses pomes et nouvelles sont publis dans diverses revues.
l AnGLE PAOLi est ne en Corse. Elle a enseign la littrature franaise et litalien en Picardie pendant de nombreuses annes. Aujourdhui elle vit en Corse. Depuis 2004, elle anime la revue de posie, de critique et de littrature Terres de Femmes, cre avec son mari yves Thomas et le photographe et ingnieur, G. Antonietti di Cinarca. Auteure de nombreux ouvrages, pomes et articles, plusieurs livres sont en cours de prparation pour 2011.
l SyViE SALiCETi est ne en HauteSavoie. Juriste de formation, elle a dabord exerc en tant quavocat, mais naimant pas ce mtier, elle devint trs rapidement notaire. Elle na cess dcrire depuis ladolescence. Son inspiration est nourrie des popes antiques (sumriennes, indiennes, grecques...), puis de rimbaud, dluard, des surralistes Elle publie dabord dans des revues et obtient le prix potique 2007 de lAssociation internationale des Belles Lettres. Son premier roman, Sumer (d. Florent Massot) voit le jour en 2009.
4
no 34 15 fvrier 2011
5
rcits&nouvelles
Cela faisait maintenant quatre jours et trois nuits quil pleuvait sans discontinuer. Latmosphre tait moite et humide.La grande salle manger, silen-cieuse, dans une demie obscurit, tait vide. Au centre, un corps tendu, nu.Elle avait en-lev un un les petits vtements, prcautionneu-sement, sans hte, presque avec dlicatesse.
prsent, ceux-ci gisaient sur le sol, pars.Elle regarda le corps. Le fixa de ses yeux bleus. Elle rejeta la tte en arrire. Ses longs cheveux blonds formaient comme une cascade dore sur son dos.Elle se leva doucement. Quelquun dautre aurait t dans la pice, il aurait pu simaginer assister un tournage dun film au ralenti.Elle fit, du regard, le tour circulaire de la pice. Ses yeux stopprent sur la porte de la cuisine. Elle sen approcha, louvrit sans bruit.Elle ouvrit les tiroirs o taient rangs les usten-siles de vaisselle. Enfin elle trouva ceux qui cou-paient.Elle remua fourchettes et couteaux, ciseaux et petites cuillres.Dans sa main gauche elle prit le gros couteau scie, celui qui sert couper le pain en tranches fines et rgulires ; elle choisit aussi les ciseaux, pointus, un couteau trs effil. Et enfin la petite cuillre.Au milieu de la salle manger, le corps tait tou-jours l, nu et tendu.Elle se rassit par terre, jambes croises. Elle passa sa main sur le corps, rien ne bougea, pas un souffle.Alors ses yeux se firent lumineux.Dans sa main droite apparurent les ciseaux. Les cheveux commencrent tomber sur le sol.
Mutilationdaniel Meunier
Daniel Meunier a 62 ans, et depuis quil sait lire, il vit au milieu des livres. il est auteur de nouvelles et a publi Une ville appele libert aux ditions de lAgly et, aux ditions La Plume noire, Le Voyageur du hasard, un roman semi autobiographique, fantasticorotique. il a galement cr sa propre maison ddition La Plume Editions . il publie une petite revue de nouvelles bimensuelle Au Fil des pages. http://plumeeditions.overblog.com
ma
uri
ce e
rnze
n
Elle taillada dans la blonde crinire, nimporte comment, en tous sens. Les cheveux firent bientt un tapis jaune tout autour de la tte du petit corps.Au bout de quelques minutes elle se fatigua, alors la paire de ciseaux vola au travers de la pice et tomba, pointe fiche dans le parquet.Maintenant ce ntait plus un jeu : a devenait srieux !Elle tta les bras, les mains puis les jambes, jusquaux pieds. Elle sembla rflchir : Par o vais-je commencer ? Le manche du couteau pain tait froid dans sa main. Le pied droit eut le premier sa faveur. Elle commena par de larges zbrures, puis coupa franchement dans le membre.Ensuite ce fut au tour de la main gauche, du bras et de lautre jambe.Elle jetait les morceaux au fur et mesure de la dcoupe.Une main atterrit malencontreusement sur la tl. Un pied chuta sur la table au milieu dun bouquet de fleurs multicolores.Elle se mit rire, crier de joie, mme. Elle samu-sait follement, venant dinventer un jeu nouveau.Elle trancha, coupa, scia qui mieux mieux. Enfin, elle sennuyaPose prs delle sur le sol, elle vit la petite cuillre. Sa main sapprocha et sen saisit. Elle allait proc-der lultime mutilation.Le peu qui restait du corps tait l, devant elle !Elle enfona la petite cuillre, bien profondment, et dun coup sec, fit sauter le premier il. Celui-ci vint se coller juste sur le trou de la serrure de la porte du salon. Pour le second ce fut plus compli-qu. La tension tait extrme. Lil ne voulait pas sortir de son orbiteAprs maintes contorsions de la main, elle finit par ljecter et il fila sous le tapis.Elle regarda le petit corps mutil, vide. Elle se leva, fit deux ou trois pas, se retourna, regarda une dernire fois le sol et se dit voix basse : Demain, je dirai maman de me racheter une autre poupe, car celle-l, elle vaut plusrien ! , et elle donna un coup de pied sec dans ce qui restait du jouet. Oh, je me suis quand mme bien amuse Dehors le soleil fit son apparition : le printemps tait au rendez-vous
4
no 34 15 fvrier 2011
5
Soiresde la Lucarne
Vendredi 25 fvrier 19 h 30 Soire posie en rsistance Avec Bruno Doucey, pote, diteur libre et engag, hritier direct des valeurs des ditions Seghers, nes la fin de la Seconde Guerre mondiale. Des pomes qui tmoignent de la diversit, de la beaut et de la gnrosit du monde, et qui nous rassemblent autour dun combat, celui dtre humain.
Samedi 26 fvrier 19 h 30 Soire dbatAvec Virginie Lydie, auteure de Traverse interdite (ditions Le passager clandestin, une autre maison ddition citoyenne et engage). Que cherchent : Ces jeunes qui ne fuient ni la guerre ni les perscutions, pas mme la misre, mais qui ont pour leitmotiv Partir ou mourir ! ?
Mercredi 2 mars 19 h 30 Veille Posie en Compagnie : de lcriture solitaire au lien socialPropose par Anne Orsini, crivain et com-dienne, et Micheline Zederman, metteur en scne. En compagnie de Dany Moreuil, Angle Paoli et Sylvie Saliceti, trois potes.
Jeudi 3 mars 19 h 30 Vernissage : Jardins extraordinaires Laurence Charri nous propose une ballade potique en photo dans les jardins ouvriers du dpartement 93. Exposition du 1er au 31 mars.
Vendredi 4 mars 19 h 30 Soire Les mots dbloquent avec Bernard Chotil pour le Chotisier de Bernard et Alain Crhange pour Le pornithorynque est-il lustr ?
Vendredi 11 mars 19 h 30Soire lecturespectacleMarianne Auricoste interprtera les textes et pomes de femmes en rvolte, qui, par leur personnalit singulire, ont marqu leur temps.
Mercredi 16 mars 19 h 30 rencontre Limaginaire des langues de France et d'ailleurs en compagnie de Lise Gauvin, pour Limaginaire des langues, un entretien avec douard Glissant, du colloque Les littratures de langue franaise lheure de la mondialisation, et dAntoine de Gaudemar, de la revue Riveneuve Continents.
Plus de dtails sur : http://lucarnedesecrivains.free.fr La Lucarne des crivains, 115 rue de lOurcq, 75019 Paris
Tl. : 01 40 05 91 51.
Quand on lui demandait pourquoi il shabillait toujours en noir, il disait que ctait pour porter son deuil. Le deuil de sa propre mort, dont il savait quelle viendrait, bien sr, mais quil ne pourrait jamais pleurer comme il se doit. Cest peut-tre pour cela quil aimait frquenter les enterrements.
Sil navait jamais t trs laise en socit, il tait en revanche sa place lors des funrailles. Il sa-vait dinstinct trouver le mot juste, la bonne expression, la mesure. Il ne se forait pas. Ni dans le cha-grin affich, ni dans le sourire triste de la compassion. Il tait lhte parfait en somme. Dire quon le recherchait pour autant serait exagr. Mais il sefforait nanmoins, dans la limite du pos-sible, de ne pas rater un enter-rement. Quimporte que la cr-monie soit un peu loin, quil faille prendre le train, engager des frais. Il avait son budget enterre-ment comme dautres ont leur budget vacances , et un crdit de temps quasi inpuisable.
Il aimait cet instant o tout le monde est un peu crisp, raide, o les voix chuchotent, lidal tant que le corps du dfunt soit encore visible dans son cer-cueil. Il savait se tenir la tte un peu basse, les mains croises sur son ventre. Il savait aussi
serrer dans ses bras ceux qui venaient de perdre un proche, taper sur une paule, hocher de la tte pour faire comprendre quil comprenait et que cette comprhension ne ncessitait pas de mots.
Il aimait lglise, la voix grave du prtre qui ne manquait pas chaque fois de lmouvoir, la musique funbre. Cest pour cela quil gotait peu les crma-tions daujourdhui, sans proto-cole, sans sacr, o le cercueil sert de simple combustible.Il aimait larrive au cimetire, la lente et prilleuse plonge du cercueil dans la tombe ouverte, lodeur de la terre franchement remue, les dernires larmes. Et puis, plus tard, linstant o le corps se relche lors de lap-ritif, sort de sa chrysalide de douleur, papillonne dun groupe lautre... l'instant o les mots lgers senvolent tressant dinvi-sibles couronnes dans les airs.
Pour toutes ces raisons, les en-terrements lui apportaient une joie incomparable car empreinte dune certaine gravit, ce qui na rien voir avec la joie sur-joue et finalement vulgaire des mariages. Grce aux enterre-ments, il amadouait lentement, calmement, lide de sa propre mort.
La joie des enterrementsBruno testa
nouvelles&rcits
6
no 34 15 fvrier 2011
7
rcits&nouvelles
Dominique Noguez, si vous aviez un conseil donner de jeunes crivains, un principe suivre La seule rgle, cest quil ny a pas de rgle.IMM p. 78 Mais encore ? crire cest hsiter, trbucher, raturer, sen-gager dans le plus escarp des chemins. Rien ne donne moins lide de la fatalit. Cest la libert vif. GRA p. 96 Il semble quil y ait de moins en moins de gens qui lisent et de plus en plus qui crivent. Que pensez-vous de ce phnomne ? Les neuf diximes des gens qui publient croient pouvoir crire et ne connaissent pas leur langue, ils ne laiment pas. Ils saiment, eux, elle, cest diffrent. DER p. 102Combien dauteurs, si on leur disait : Vous serez aim, riche et clbre condition quon ne vous lise jamais prfreraient cela linverse (tre lus mais rester anonymes et pauvres) ? IMM p. 42 Constat pessimiste premire vue, mais sans doute juste, se reliant pourtant une conception leve que vous avez de lcriture. Quel dsir motive votre travail dcrivain ? La tentative assez dsespre de rendre quelques paralllpipdes de papier imprim plus intressants que les quatre-vingt-cinq kilos de chair humaine prissable qui leur servent actuel-lement de caution. GRA p. 105 Beau projet. Parlons un peu de la manire. On note chez vous un got pour la clart, la concision, le refus du jargon, un excs de thorie. Le B. A.-BA de lcriture : resserrer. liminer ce qui fait double emploi. Vaste programme (contre exemple : Pguy, vague sur vague). GRA p. 104La concision nest pas la simplicit. On peut tre on est souvent, voyez Thucydide, Tacite, Alain concis et complexe, concis parce que complexe et rciproquement.
La synthse des deux, concis et simple, cest le dpouillement. Avec un peu de raideur, cest laus-trit. Avec un commencement de sourire, cest la grce. IMM p. 87 Et laphorisme ? Souvent on a la vrit sans lesprit et, le plus souvent encore le mot desprit sans la vrit. Mais quelquefois cest la foudre la nuit. Lespace dune seconde, un aphorisme nous fait mieux voir
le monde quen plein jour. IMM p. 24 Comme Stendhal, que vous admi-rez, vous avez crit plusieurs livres sur vos prgrinations (Italie, Qubec, tats-Unis, France, Japon). Comment envisagez-vous le voyage ? Il y a entre le voyageur et le tou-riste la mme diffrence quentre le tournedos Rossini et le hamburger Le voyageur naspire qu une chose : passer inaperu, disparatre dans le paysage, devenir une sorte de double discret et attentif, fervent, des habi-
tants dun lieu un cousin en quelque sorte. Le touriste, en troupeau frileux, arrive au contraire partout comme le cheveu sur la soupe, ne renon-ant rien de son indiscrte et bruyante identit, estimant normal et mme imprieux de retrou-ver partout, hors de chez lui, ses petites ou ses grosses habitudes. DER p. 9-10 La question de lengagement nest plus aussi la mode quil y a encore une vingtaine dannes. Mais comment vous situez-vous sur ce point ? Nous autres, intellectuels petit-bourgeois lou-chant du ct du proltariat, avons le privilge insigne dtre la fois la conscience malheureuse de la bourgeoisie et la conscience heureuse du proltariat. OUV p. 35 Essayons dtre plus prcis. Vous aviez vingt-six ans en mai 68. Jai vcu lessentiel de notre rvolution man-que. peine manque. Enfin jy ai cru. [] Jy ai presque particip, jai presque fait une barricade
Vraie-Fausse interview de Dominique Noguez Paul desalMand
Pourquoi interviewer un auteur puisque ce quil a dire, il le dit dans son uvre ? La vraie-fausse interview tourne la difficult en allant chercher les rponses dans les diff-rentes uvres de lauteur. Pour les titres correspondant labrviation en marge se reporter la fin de lentretien.
6
no 34 15 fvrier 2011
7
(elle a t prise avant quon lait acheve !), presque reu des grenades, presque particip des commissions, etc. Nous sommes passs ct dune socit nouvelle socit pour laquelle je ne suis pas fait, mais que jestime immensment prfrable celle-ci : socit du cri, du plein vent, des coudes franches, de la nudit, de la res-piration pleins poumons, de la cration permanenteMai 68 fut mieux quun mouve-ment de libration : lexprience unique et fugitive de la libert ltat brut. [] Libert, muguet, soleil, sexe et mme un peu de hasch, dj ! Ce ntait pas grand chose, aprs tout. Mais ctait dj cela. ECR p. 38, 39, 42, 83, 85 Actuellement vous tes en-gag dans une lutte pour la survie de la langue franaise et contre ce que vous appelez la colonisation douce . Ce que nous vivons, cest peut-tre le processus inexorable, bien connu des historiens, de lcroulement dune culture au profit dune autre de lunifica-tion provisoire du monde par les tenants dune langue peu peu dominante. Mais peut-tre aussi que, forts dune des plus vives traditions littraires du monde, nous sommes le premier petit pays qui puisse changer cette triste loi de lHistoire et, au moins, rsister un peu. COL p. 32 Encore un trait que vous avez en commun avec Stendhal. Il semble que, pour vous, les deux choses qui comptent le plus dans la vie soient lamour et la littrature. Pouvez-vous en parler ? Aimer quelquun, cest beau-coup de choses. Cest tre dvo-rateur, cruel, humble, cest par-donner. Cest tre curieux, aussi, cest vouloir savoir. Jusqu la jalousie, jusqu la filature.
Mme chose avec un crivain quon estime. Sauf quon na que les textes filer. DUR p. 17 Parmi ces livres que vous aimez, Les Essais de Montaigne tiennent une place privilgie Cest mon viatique, ma friandise du soir, mon bton de jeunesse, ma potion. Jy trouve rponse tout, apaisement tout. Sagesse et sourire. Aprs cela, tous les autres [], Isherwood ou Lichtenberg, Keats ou Koyr, Musil ou Pierre La Police, viennent leur heure, comme daimables supplments. PLA 91-92 Revenons lcriture que nous navons pas vraiment quitte. Pourriez-vous dire quelques mots sur le travail, le trucage quelle suppose. crire (un rcit), cest au moins autant ne pas dire que dire. Par quoi lcriture est un art du silence. TOM p. 29La leon, sil en faut une, est dans cette ide qucrire, cest dcid-ment arranger les blancs, frustrer le lecteur et dissimuler. Larvatus prodeo . TOM p. 41 En dehors de luvre faire ou parfaire, une aspiration frquente chez vous ? Se semer ! Certains champi-gnons le permettent, quelques alcools, le rve. [] Plus simple encore : marcher le long dune rue que lon connat tant et plus que sa poche mais plus prs ou plus loin des faades que dordi naire. Alors, parfois, de cette avance hors sentier, de ce dpla ement rsulte ce miracle : je suis ce vieil homme assis sur son pas de porte, cette fillette frle, et je vois la rue, le ciel, les pas-sants par leurs yeux et cest une nouvelle rue, un nouveau ciel, de nouveaux passants. OUV p. 90 Encore un mot lintention de ceux qui, lancs dans un travail dcriture, sinterrogent.
Cest quand on est enfin arriv au dgot dcrire, la honte dajouter ne serait-ce quun mot lcurante quantit de ce qui a dj t publi quon a une petite chance de comprendre ce que cest que dtre un crivain. GRA p. 106 Quelques aphorismes pour terminer ? Il y a bien des faons de se suicider par exemple ? par exemple, tomber amoureux. TRE p. 49Lintellectuel claire, lcrivain restitue lobscur, le gnie fait les deux : il donne lobscur et lillu-mine. IMM p. 50Lamour, cest quand on attend des heures entires un coup de tlphone qui ne vient pas. IMM p. 146Il y a une volupt rater un train. DER p. 62La mort est un western muet dans les plaines du Nouveau Mexique. OUV p. 44--------------------------------------------Abrviations relatives aux ouvrages utiliss :COL : La Colonisation douce (Feu la langue franaise ?) 2e d., Arla poche, 1998.DER : Derniers voyages en France, Champ Vallon, 1994.DUR : Duras, Marguerite, Flammarion, 2001.ECR : crit en 68, Joca seria, 1999.GRA : Le Grantcrivain & autres textes, Gallimard, LInfini, 2000.IMM : Immoralits suivi dun Dictionnaire de lamour, Gallimard, LInfini, 1999.PLA : Les Plaisirs de la vie, Payot, 2000.OUV : Ouverture des veines et autres distractions, Robert Laffont, 1982, rdition aux PUF, 2002.TOM : Tombeau pour la littrature, La Diffrence, 1991.TRE : Les Trente-six photos que je croyais avoir prises Sville, Nadeau Maurice, 1993.
Ceux qui nont rien lu, sil en est, pourront commencer, pour le roman, par Amour noir (Folio), et pour la rflexion, notamment sur lcriture, par Le grantcrivain & autres textes, coll. Linfini, Gallimard.
8
no 34 15 fvrier 2011
9
pomes
niColas gille
Nicolas Gille est n en 1956. Il a voyag un peu, beaucoup, passionnment et a crit des pomes, uniquement, mais un peu, beaucoup Il a publi dans une cinquantaine de revues, et concoct quelques livres, voire des micro-livres, une dizaine, des livres-objets, des pomes-papillons, de simples penses voles . Il vit (en transit ?) Ltang-la-Ville, dans les Yvelines. Les pomes que nous publions ici sont indits. Ils feront lobjet dun livre dartiste paratre : Penses voles, illustr par Motoko Tachikawa, aux ditions ponymes.
dans la maison des mots, tu tobliges demeurer en cette souplessede la pense peine ondoyante,et paisible, l o tu inventes, fleur de sentiment pour que naissetout le contraire dun homme-lige
(dans la maison des mots)
(dans la mort, fire, des feuilles)
le jourdhui est fait de feuilles mortes,de pluie, damours enfuies et de marcheMonotone est la pense qui pousseet conduit vers o lespoir smousse,saccrot le chagrin Mais tu dmarches,fier, lenvers de la nuit, et lescortes
(dans le rapt du regard)
enchant par la fte des feuillesqui chutent en dansant tu cheminespour faire face tous les contraireset, lcart des penses austres,tu laisses les yeux leurs rapinesdimages cueillies sans quils le veuillent
tu tiens tes penses, leur panachesans lendemain, leurs imprvoyances,leur vagabondage salutaire,quoique sobre Seul le solitaire,en sa confrrie, retient lintensevie des songes vrais sans quil le sache
(panache de la pense)
8
no 34 15 fvrier 2011
9
(Ploponnse)
ta pense stablit, sous lombragede lolivier, en des parenthsesde paix, de rveries que confortentfermement fichs en terre, sortesde soutnement du jour que pse ici la peine ? des pieux sans ge
(penses denfance)
dans le crissement des feuilles mortessous tes pas, ce que tu entends nest-cepas, tout bonnement, un peu denfanceencore en veil Ta pense chanceet grce de linstant sait que naissentsoudain ces joies que le temps rapporte
(penses sans pesanteur)
petites penses, sitt qucloseshors les pesanteurs, le grenat, lombredes jours, lucioles aimantantes,vous nous emmenez quelle dtent ! vers votre ciel, route sans encombreo sestompent nos peurs des nvroses
(solitude dans la fort)
fragile fort de solitude,sentinelle de lme et domainedaccueil des aspirations profondes,tu nous entranes loin de lopprobre,de la noirceur et nous emmnesvers nos penses nues en leur prlude
poses bien plat sur le dallagequelques feuilles dorment du plus justesommeil de la couleur et emportentloin lil dans limmense ouvert de sortequen chaque forme pure sincrustetout un automne o la pense nage
(sommeil de la couleur)
10
no 34 15 fvrier 2011
11
mditons, mditons
Chaque mois, Paul Desalmand vous fait dcouvrir un point particulier concernant ldition. Aujourdhui, suite et fin de lpineux problme des guillemets.
Comment obtenir des guille-mets anglais sur le clavier ?Pour obtenir les guillemets de son choix (simples ou doubles) : Dans le menu, aller sur insertion, puis sur CaraCtres spCiaux. Cette procdure est complique, do la question : quand on a donn une instruction pour obte-nir automatiquement des guille-mets franais en appuyant sur la touche 3, comment faire pour obtenir, partir du clavier, des guillemets anglais ?
Guillemets anglais ouvrants : appuyer en mme temps sur et sur puis sur la touChe 3.
Guillemets anglais fermants : mme procdure mais en appu-yant sur la touche majuscule flottante ; donc et puis touChe 3.
Guillemets simples : mme manuvre, mais en utilisant la touChe 4 (et non la 3).
Rgle : pour les guillemets fran-ais, il faut prvoir une espace inscable aprs le guillemet ouvrant et avant le guillemet fermant. Ce nest pas le cas pour les autres catgories. En prin-cipe, cet espace sintgre automa-tiquement. Pour les cas o il est ncessaire de lajouter, se reporter EspacE. Les correcteurs lectro-niques signalent les endroits o cette espace inscable manque.
Ponctuation avec des guillemetsCette question de la ponctua-tion avec les guillemets est source de nombreuses erreurs. La rgle est pourtant simple. Le point final doit tre plac avant le guillemet fermant quand il sagit dune phrase complte. Et aprs quand llment cit est intgr dans la phrase.
Exemples ( partir dune formule de Yourcenar) : Son attitude pouvait se rsu-mer en une phrase : Lamour est un chtiment. Nous sommes punis de navoir pas su rester seul. (phrase complte, donc le point est situ avant) Tout se rsumait ses yeux par lide que lamour est un chtiment rsultant du fait que nous sommes punis de navoir pas su rester seul . (lment situ lintrieur dune phrase, donc le point est situ aprs)
On vitera la succession de deux points comme dans le cas suivant : Il me dit : Va ton chemin. . Et jobtemprai. On crira : Il me dit : Va ton che-min. Et jobtemprai.
lments cits en romain ou en italique ?Lorsque le texte est en romain, la partie entre guillemets doit-elle rester en romain ou passer en ita-lique ? En principe, llment cit (donc entre guillemets) reste en romain. Les puristes sont fermes sur ce point. Mais des journaux comme Le Monde mettent cet lment cit en italique, ce qui
permet de bien lidentifier. Nous aurions tendance aller dans ce sens. Cependant, comme la lisi-bilit de litalique est moindre, quand le texte cit est long, nous prfrons le mettre en dcal (donc sans guillemets et en romain).
Rgle : quand le passage cit est en italique, les guillemets qui lenserrent restent en romain.
Guillemets franais dans un message lectroniqueDans un message lectro nique (pas dans un fichier joint), quand jappuie sur la touche 3, cest un guillemet dactylo graphique qui apparat. Les manuvres effec-tuer pour obtenir des guillemets franais sont :
Guillemet franais ouvrant : appuyer sur et sur puis sur la touChe 3. Guillemet franais fermant : appuyer sur la touche et sur puis sur la touChe 3.
Pour les fignoleursConcernant les guillemets allemands, labsence despaces inscables chez les Suisses et autres particularits, se repor-ter larticle Guillemet de Wikipedia. On y signale un article de LInformation grammaticale sur la question. Les ultra-figno-leurs liront larticle Guillemet dans Orthotypographie par Jean-Pierre Lacroux : http://www.or-thotypographie.fr/ Voir ausi le livre : Orthotypo, di-tions Quintette.
Paul desalMand
Les guillemets
Guillemets dans les titres : on ne met plus les titres duvre entre guillemets comme autrefois. Un titre de livre, duvre ou de film est en italique sans guillemets. Les guillemets sont utiliss pour le titre dun pome ou dun chapitre lintrieur dune uvre, lesquels restent en romain.
Mise en vidence par des guillemets : lauteur peut mettre un mot entre guillemets pour prciser quil lemploie dans un sens particulier. Il faut viter dabuser du pro-cd. Le mme principe vaut pour la mise en vidence de mots par litalique.
Orthotypo, JeanPierre Lacroux, Quintette, 2008.
10
no 34 15 fvrier 2011
11
ah ! la crme des a.
La crme des Krema
Bulletin daBonnement retourner : Jean-Baptiste Fline : (La Lucarne des crivains), 27 rue des Bluets, 75011 Paris. [email protected] (pour toute question relative aux abonnements).
nom : ............................................................................................ Prnom : ..............................................................................................................
adresse : .............................................................................................................................................................................................................................
Ville : ............................................................................................................ code postal : .......................................................................................
Tl. : ........................................................................ courriel : .........................................................................................................................................
Je mabonne pour un an La Gazette, soit 25 . Je mabonne pour un an La Gazette + cotisation, soit 30 (dj adhrents lassociation). abonnement papier abonnement internet abonnement papier + internetci-joint un chque de ......................................... libell lordre de La Lucarne des crivains.
ISSN 2101-5201La Gazette de La Lucarne
mensuel de La Lucarne des crivains
Rdaction et administration :115 rue de LOurcq, 75019 Paris
[email protected] de la publication etcoordinatrice : Claire Ernzen
Maquettiste : Emmanuelle Sellal
Toutes les devinettes ont t inventes par le romancier Pierre-Marc Levergeois pour les bonbons Krema.
vos souris lucarniens !Pour tout envoi de textes, de suggestions, de ractions, merci dcrire Claire Ernzen, directrice de publication et coordinatrice : [email protected]
Quel est le comble pour un matelas ?
Quel est le comble pour unNormand ?
Quel est le comble pour un mto-
rologiste?
Quel est le comble pour
une blatte ?
Rponse : manquer de ressort.
Rponse : tomber dans les pommes.
Rponse : avoir le cafard.Rponse : subir la pression.
12
no 34 15 fvrier 2011Je vous cris
d. L
. Ped
rO r
uiz
, mO
nTr
aLM erci mille fois pour ce trs beau Tout bouge autour de moi. Jai t trs tou-ch par la retenue, la pudeur dont vous
avez fait preuve dans votre intervention, Paris, le 14 janvier 2011, un an, presque, jour pour jour aprs le sisme qui a dvast Hati. Vous disiez que vous aviez voulu viter toute grandiloquence devant lampleur du dsastre et aviez prfr rassembler des instantans, la manire dun photographe. Vous y avez parfaitement russi. Ainsi, dun vnement terrifiant vous avez fait un livre trs agrable lire, tendre, vrai, rflchi. Je trouve particulirement justes quantit des images que vous donnez voir. Par exemple le regard que vous portez sur la com-plicit profonde qui unit une grand-mre son petit fils, ces deux tres que le gouffre du temps spare quand vous lentendez lui chuchoter des histoires de lautre ct dun filet de tennis, sur ce terrain o, par peur dune rplique du tremblement de terre, tout le monde dort la belle toile. Cette grand-mre, pas loin de moi, est en train de substituer, dans la tte de son petit fils ces images horribles par des chansons et des mythologies quelle tire de sa mmoire vacillante. Vous vous dites incapable dcrire un roman sur le tremblement de terre, mais cest dune faon finale-ment trs romanesque quapparaissent les acteurs principaux de votre vie, mre, sur, neveu, pouse. Toutefois, vous les replacez dans cette ouverture, cette proccupation pour tous les autres que vous avez ressentie en ces circonstances ! Rpondant la question dune journaliste qui vous
demandait si vous aviez eu peur de mourir, vous par-lez en seulement quelques lignes de dix secondes qui, elles seules, vaudraient tout un livre ! Pendant ces dix secondes, jtais un arbre, une pierre, un nuage ou le sisme lui-mme Les plus prcieuses secondes de ma vie .De retour au Canada, et soumis aux mmes images diffuses en boucle par les mdias du monde entier, vous faites remarquer : En ralit, les gens ne pressent plus le pas parce quils nont plus de maison pour la plupart. Nayant plus de lieu dcent o vivre, ils habitent le moment .Enfin, jaime la faon dont vous remportez la vic-toire dans ce que vous appelez La guerre sman-tique : Je connais un pays qui a provoqu deux guerres mondiales en un sicle et propos une solution finale et on ne dit pas quil est maudit. Alors pourquoi Hati serait-il maudit ? Avant quon se mette parler de vaudou, de sauvagerie, de can-nibalisme, de peuple buveur de sang, je me sens assez dnergie pour contrer a. Encore une fois merci pour ce beau livre.
Marc Albert-Levin.
Cher Dany Laferrire,
Tout bouge autour de moi, ditions Grasset, 2011, 15 .
Dany Laferrire ne pouvait passer inaperu avec le titre de son premier roman Comment faire l'amour avec un ngre sans se fatiguer, et dont lpilogue est titr : On ne nat pas ngre, on le devient , ditions Le Serpent plumes, 2001. Ont suivi : Je suis un crivain japonais, paru chez Grasset en 2008 dans lequel il crit : Le problme didentit de ltranger cest quon lui refuse le droit dtre autre chose que du folklore et Vers le Sud, adapt au cinma par Laurent Cantet, interprt entre autres
n PortauPrince en 1953, Dany Laferrire vit actuellement Montral.
par Charlotte rampling. Lnigme du retour (Grasset) a reu le prix Mdicis 2009.Marc AlbertLevin, qui a vcu en Hati de 1970 1971, est lauteur de lun des tout premiers livres publis sur la peinture hatienne (Nader, 1971). il y est retourn pour quinze jours en octobre 2010. Ce voyage a raviv lintrt quil a toujours port ce pays, aussi riche culturellement que matriellement dmuni.