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BELGIE-BELGIQUE P.B. 1/9352 BUREAU DE DÉPÔT BRUXELES 7 P006555 JUILLET-AOÛT 2014 prix 1,50 euro | 58e année | juillet - août 2014 # 68

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La Gauche est le journal bimestriel de la Ligue Communiste Révolutionnaire LCR, section belge de la Quatrième Internationale. www.lcr-lagauche.org

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BELGIE-BELGIQUEP.B. 1/9352BUREAU DE DÉPÔTBRUXELES 7P006555JUILLET-AOÛT 2014

prix 1,50 euro | 58e année | juillet-août 2014#68

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Ont contribué à ce numéro: Sébastien Brulez, Céline Caudron, Florent Gallois, Denis Horman, Marc Lancharro Rodriguez, Freddy Mathieu, Little Shiva, Daniel Tanuro, Guy Van Sinoy

La Gauche est le journal bimestriel de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), section belge de la Quatrième Internationale.

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prix 1,50 euro | 58e année

juillet-août 2014#68

3 Edito par La Gauche

4 Elections 2014: Sept paradoxes et une contradiction par Daniel Tanuro

6 Repli régional ou fausse sortie? Le mouvement syndical face à la manœuvre du PS par Daniel Tanuro

8 Magnifique succès des listes PTB-Gauche d’Ouverture! par Florent Gallois

10 Les candidat-e-s LCR/SAP sur les listes PTB-PVDA-GO!: des voix qui ne sont pas tombées du ciel! par Denis Horman

12 Comment mettre en mouvement l'ensemble du peuple de gauche? Entretien avec Raoul Hedebouw propos recueillis par Guy Van Sinoy

14 Jean-François Tamellini: Le changement de société auquel nous aspirons viendra de la rue! propos recueillis par Freddy Mathieu

17 Delhaize: langue de bois des managers, combativité du personnel par Correspondant

18 Crise d'Etat au royaume d'Espagne par Marc Lancharro Rodriguez

19 Vague brune aux européennes par Céline Caudron

21 Ukraine : Le nationalisme, la meilleure arme des classes dominantes par Ilia Boudraïtskis

22 Mettre en échec le traité transatlantique de commerce et d’investissement par Henry Wilno

24 Aux femmes, la majeure partie des tâches familiales et les horaires atypiques… par Marianne De Troyer

26 Août 1914: La grande boucherie commence… par Guy Van Sinoy

30 Brésil: Sorry Seleção! par Julien Terrié

31 Lectures

cover Action des travailleurs de Delhaize pendant le Conseil d'Entreprise à Molenbeek - 18/06/2014 © Krasnyi / Karim Brikci

back cover photomontage: Little Shiva

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Un premier pas réussi! ✒ par La Gauche

Les scores obtenus par les listes PTB-Gauche d’Ouverture lors des élections du 25 mai ont permis l’entrée d’élus de la gauche radicale dans les parlements wallon, bruxellois et fédéral. Cette percée constitue un remarquable succès.

Un succès pour le PTB, d’abord. Longtemps bloqué dans son dével-oppement par son maximalisme, son stalinisme et ses pratiques sectaires, le PTB a eu l’intelligence, à partir de 2008, de commencer à réviser son discours et ses pratiques. De ce fait, l’implantation socio-professionnelle de ses militant-e-s de terrain, notamment de ses médecins du peuple, a pu être convertie en implantation politique-électorale. Grâce à une politique de communication professionnelle et à un bureau d’étude pointu, celle-ci s’est ensuite transformée en percée politique et médiatique au niveau du pays tout entier.

L’élection de Raoul Hedebouw, Marco Van Hees, Fred Gillot et leurs camarades vient ainsi récompenser les longs efforts de deux générations de militant-e-s qui, malgré d’innombrables zigzags politiques, ont eu le mérite de maintenir le cap sur la construction d’un parti anticapitaliste, quand d’autres abandonnaient le combat.

Mais la percée du 25 mai n’aurait pas été possible sans quatre autres facteurs: l’irruption d’une partie de la gauche syndicale sur le terrain politique, l’engagement de personnalités indépen-dantes, la décision de la LCR et du PC de miser réalistement sur un rassemblement autour du PTB plutôt que sur d’autres formules unitaires… et le ralliement du PTB lui-même à cette forme d’ouverture et de collaboration. C’est la combinaison de tous ces éléments qui a permis le succès.

Un sociologue flamand a écrit que, par son appel du Premier Mai 2012, Daniel Piron avait donné la victoire au PTB-GO! La formule est excessive, mais la gauche syndicale de Charleroi et ses appuis dans quelques autres régions (surtout hennuyères) ont vraiment joué un rôle décisif. En plaidant pour un rassemblement des forces afin de présenter une alternative politique anticapitaliste à gauche du PS et d’Ecolo, les carolos ont créé un terrain propice et donné une

légitimité large à PTB-GO! Cet impact a été encore accentué par les prises de position courageuses d’autres responsables syndicaux, notamment à la CNE.

En s’engageant sur le terrain poli-tique sans abandonner son indépendance, la gauche syndicale a mis les organisa-tions devant leurs responsabilités. La LCR a tiré très vite les conclusions de la situ-ation: au terme d’un débat interne approfondi, elle a décidé de favoriser le rassemblement le plus large pos-sible autour du PTB et de son sigle, dans le respect mutuel et l’autonomie des composantes. Le PTB s’est inscrit dans cette perspective, et le PC a fait de même par la suite. L’appui d’une série de personnalités académiques, culturelles et journalistique est venu compléter le dispositif. Ainsi, les listes PTB-GO! sont devenues bien plus qu’une opération d’élargissement et de dédiabolisation du PTB: la seule réponse réellement existante à l’appel lancé par la FGTB de Charleroi.

Un espoir est né. Il s’agit maintenant de le faire vivre et de le renforcer dans les luttes. Ce n’est pas une simple "crise" que nous vivons mais une impasse très profonde du système capitaliste basé sur la pré-dation du travail et des ressources naturelles. Quel que soit le gou-vernement, la politique d’austérité continuera et s’approfondira. Des luttes importantes s’annoncent déjà. Face à la dégradation des rapports de force entre capital et travail, et à la gangrène d’extrême-droite, le besoin d’une alternative politique anticapi-taliste large se fera sentir de façon de plus en plus insistante.

Dans ce contexte, les partenaires qui ont eu l’intelligence d’ouvrir la voie au rassemblement PTB-Gauche d’Ouverture et de le soutenir auraient tort de tourner la page. Ils devront au contraire redoubler d’efforts pour donner aux revendications un prolongement politique digne de ce nom. "PTB-GO! est un premier pas en direction de notre appel  au rassemblement," déclarait Daniel Piron en janvier dernier. Préparons les suivants, ensemble! ■

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✒ par Daniel Tanuro

Le scrutin du 25 mai 2014 a livré son verdict: recul de la gauche de gouverne-ment – partiellement compensé par la percée de la gauche radicale; progrès de la droite – et durcissement, du fait du score record de la N-VA; effondrement du Vlaams Belang fasciste… Mais ces résultats glo-baux recouvrent des réalités régionales assez différentes. Pour la première fois depuis de longues années, la gauche – toutes tendances confondues – progresse légèrement en Flandre. Elle recule par contre sensiblement en Wallonie et à Brux-elles. Ce n’est pas le seul paradoxe de ces élections, dont le dépouillement a révélé des dysfonctionnements graves, inaccepta-bles du point de vue démocratique.

Dans le nouveau parlement fédéral sorti des urnes, le PS perd trois sièges, Ecolo en perd deux, Groen! en gagne un et le PTB-GO! deux. La N-VA en gagne six, le MR et le FDF chacun deux, le CD&V et l’Open VLD chacun un; le Vlaams Belang en perd neuf et la Lijst De Decker un (la LDD disparaît ainsi des radars). Globalement, par rapport à 2010, "la gauche" (au sens large et entre guillemets) cède donc deux sièges à la droite (sans guillemets).

La semi-victoire de la N-VAL’image est sensiblement différente

lorsqu’on examine les résultats par région. C’est le premier paradoxe de ces élections: par rapport à 2009, "la gauche" gagne deux sièges au parlement flamand (-1 pour le sp.a +3 pour Groen! = +2), tandis qu’elle en perd sept au parlement wallon (-10 pour Ecolo +1 pour le PS +2 pour le PTB-GO! = -7) et quatre au parlement bruxellois (-8 pour Ecolo -1 pour le sp.a +1 pour Groen +4 pour le PTB-PVDA-GO! = -4).

Les résultats en voix (par rapport aux élections fédérales de 2010) permettent de préciser l’ampleur du petit glissement plus "à gauche" – moins à droite – en Flandre: le Vlaams Belang et la LDD perdent respectivement environ 260.000 et 120.000  voix (soit -4,09% et -1,09% des votes au niveau national), et le sp.a

7.000 (-0,41%); la N-VA en gagne plus de 230.000 (+2,86%), le CD&V 76.000 (+0,76%), l’Open VLD 95.000 (+1,14%), Groen! 74.000 (+0,94%) et le PVDA+ (PTB) 65.000 (1).

Le déplacement vers la gauche ne doit pas être surestimé non plus du point de vue qualitatif. D’une part, Groen! est bien converti au néolibéralisme, au point de n’avoir d’exclusive que contre le Vlaams Belang… D’autre part, les socialistes flamands ne perdent qu’une poignée de voix parce que le sp.a progresse de 2,5% en Flandre occidentale, dans le fief de Johan Vande Lanotte… qui est LE ministre social-libéral par excellence. Ils reculent, et parfois sévèrement, dans toutes les autres provinces. C’est dire que ce scrutin ne marque ni une prise de distance du sp.a par rapport à la ligne gestionnaire ni le début de la fin du recul continu de la social-démocratie au Nord du pays…

Les chiffres concernant la Flandre font apparaître un deuxième paradoxe. Au lieu de progresser aux dépens des partis traditionnels, mouillés par leur participation au gouvernement Di Rupo, comme elle l’espérait, la N-VA siphonne les voix de l’extrême-droite et de la droite populiste. Bart De Wever voulait surtout punir le CD&V et l’Open VLD pour renforcer son hégémonie sur ses possibles partenaires de droite dans un gouvernement. C’est raté, le CD&V est incontournable. N’empêche que la N-VA est amenée à jouer un rôle de premier plan dans les discussions pour la formation des coalitions, parce qu’elle a recueilli les suffrages d’un Flamand sur trois!

La dégelée d’EcoloVoyons maintenant les partis franco-

phones. Au parlement fédéral, par rapport à 2010, le PS perd environ 105.000 voix (-2,03%), Ecolo 90.000 (-1,50%) et le CdH 24.000  (-0,54%); le MR progresse de 45.000 (+0,36%), le FDF de 121.000, le Parti Populaire (PP) de 18.000 et le PTB-GO! (PTB*PVDA-GO! à Bruxelles) de 88.000 voix.

Mais l’image qui se dégage est assez différente lorsqu’on compare les élections

régionales d’aujourd’hui à celles de 2009. En effet, le MR perd 27.000 voix à Bruxelles (-6,76%) et en gagne 76.000 (+3,28%) en Wallonie; le CdH perd environ 13.000 voix à chacun de ces deux niveaux  (-3,07% et -0,98% respectivement); le PTB-GO! perce (+8.000 à Bruxelles et +93.000 en Wallonie par rapport à PTB+)  ; menacé sur sa gauche, le PS s’en tire sans trop de casse: il gagne 1.000 voix dans la capitale, en perd 25.000 au Sud (-1,87%) et reste le premier parti dans les deux régions; par contre, Ecolo subit une très grave dégelée: perte de 196.000 voix en Wallonie (-9,92%) et de 41.000 à Bruxelles (-10,11%), ce qui permet au FDF (14,80% de l’électorat) de se hisser sur la troisième marche du podium dans la capitale, derrière le PS et le MR!

C’est le troisième paradoxe du scrutin: globalement, en Belgique francophone, la "gauche de gouvernement" est punie assez nettement, mais ce sont principalement les Verts qui essuient les plâtres. Alors qu’elle est en première ligne de l’austérité imposée à sa propre base sociale traditionnelle, la social-démocratie est relativement épargnée. Comme De Wever, Di Rupo a en fait partiellement raté son pari: sa politique néolibérale n’a pas fait reculer la N-VA. Cependant, en dépit de cet échec, le PS reste aussi incontournable en Wallonie et à Bruxelles que la N-VA en Flandre… ce qui implique notamment que la polarisation Nord-Sud ne diminue pas, au contraire.

Le diable communautaire resurgit de sa boîte

Du coup surgit un quatrième paradoxe: on n’a pas parlé de BHV pendant la campagne, la question communautaire

Sept paradoxes et une contradiction

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n’a été abordée que sous l’angle de la soi-disant opposition irréconciliable entre le "modèle socio-économique" du PS et celui de la N-VA, mais voilà que le diable (qui n’est pas rouge) ressort tout à coup de sa boîte. Et c’est Di Rupo qui soulève le couvercle: alors qu’il nous a saoulés pendant des mois avec ses courbettes devant la monarchie-ciment-de-l’unité-nationale et ses discours triomphants sur le sauvetage du pays et de la Sécu, réalisé prétendument grâce à son action, voilà que le patron du PS ouvre sans attendre des négociations pour la formation de coalitions régionales avec le CdH… et le FDF (à Bruxelles). C’est bien joué du point de vue de l’appareil de pouvoir social-démocrate et de son clientélisme… Mais c’est à l’exact opposé des intérêts du monde du travail, dont l’unité sera décisive face à l’austérité qui se prépare [voir notre article et notre édito par ailleurs].

On n’a guère parlé non plus de l’Union européenne, dont les décisions déterminent pourtant plus de 70% des lois votées par les parlements nationaux et régionaux. La campagne s’est focalisée quasi exclusivement sur les enjeux nationaux: le bilan de l’équipe Di Rupo, sa reconduction et les alternatives – de droite ou de gauche. Ceci pourrait expliquer le cinquième paradoxe: alors que les "listes  alternatives" ont généralement plus de chances aux européennes (la pression pour le vote utile est moins forte), il semble que le désintérêt pour cette élection ait joué cette fois dans le sens de la stabilité. Les résultats sont plutôt en phase avec ceux des régionales et des fédérales: le MR gagne un siège que perd Ecolo, le PS et le CdH gardent leurs strapontins. Il y a un peu plus de mouvement du côté flamand (parce que le CD&V perd ici par rapport à 2009, tandis qu’il progresse à la Chambre par rapport à 2010), mais tout se passe comme si l’immense majorité des électeurs, après s’être concentrés sur les fédérales et les régionales, avaient reproduit le même vote pour le parlement européen. C’est ainsi par exemple que le PVDA+ réalise à peine plus de voix aux européennes qu’aux fédérales.

Percée de la gauche radicaleEt ceci nous amène à la gauche de

gauche. Elle réalise une véritable percée, dans tout le pays. Raoul Hedebouw et Marco Van Hees sont élus au parlement fédéral, le sidérurgiste Frédéric Gillot entre au parlement wallon avec un autre élu du PTB-GO! et quatre candidat-e-s

PTB-GO! accèdent au Parlement de la Région de Bruxelles capitale. Eclipsant les autres formations radicales, les listes PTB-GO! et PVDA+ obtiennent certains résultats tout à fait remarquables, que nous analysons ailleurs dans ce journal. Mais voici le sixième paradoxe: en dépit de sa position de quatrième parti à Anvers (devant le Vlaams Belang, le CD&V et l’Open VLD), des 4,52% décrochés au niveau de la province et des gros efforts qu’il a consentis, le PVDA échoue – de peu – à faire élire son président Peter Mertens dans son bastion historique. Même le plus unitariste des partis est impacté par les forces centrifuges qui font de la Belgique un casse-tête pour les politologues et un défi pour les militants internationalistes…

Ce survol serait incomplet s’il ne mentionnait pas un septième paradoxe: l’extrême-droite fasciste et populiste subit un sévère échec au Nord du pays et le troll Laurent Louis perd son siège au Sud. Mais ne nous réjouissons pas trop vite. Globalement, les multiples listes fascistoïdes sont loin d’être négligeables. Au parlement wallon, par exemple, elles regroupent plus de 170.000 électeurs, ce qui est davantage que le PTB-GO! Le ventre est plus que jamais fécond d’où est sortie la bête immonde…

Enfin, outre ces sept paradoxes, la "mère de toutes les élections" a été marquée par une contradiction  inacceptable, scandaleuse du point de vue démocratique: deux jours après le vote, on attendait toujours les résultats définitifs. Le Parlement de la Région bruxelloise a été jusqu’à entériner la disparition de deux mille votes de préférence. Si une telle décision était prise à Caracas, les médias du monde entier la dénonceraient virulemment. Mais, dans la ville qui abrite les institutions technocratiques et semi-despotiques de l’Union européenne, les agences de presse regardent ailleurs. Un paradoxe se définit comme une fausse contradiction. Dans une certaine mesure, le scandale du vote électronique n’est qu’un paradoxe de plus de la Belgique néolibérale capitaliste… ■

http://elections2014.belgium.be/fr/cha/results/results_tab_CKR00000.html. Les chiffres absolus sont arrondis. Les pourcentages sont donnés par rapport à l’électorat national. La raison pour laquelle des écarts absolus analogues (par exemple pour le CD&V et Groen !) donnent des pourcentages très différents échappe à l’auteur. Un bug de plus?

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✒ par Daniel Tanuro

Moins de deux semaines après les élections, le PS a entamé des négociations pour la formation des gouvernements régionaux avec le CdH et le FDF (à Bruxelles). Cette décision marque un tournant à 180° par rapport aux discours d’Homme d’Etat de Di Rupo depuis 2010 sur la nécessité de consolider l’unité du pays. Elle déclenche en effet des réactions en cascade: la N-VA et le CD&V ont entamé à leur tour des négociations pour former un gouvernement flamand de droite, sans le sp.a (ni l’Open VLD). Quant aux partis flamands dans la capitale, c’est peu dire qu’ils n’apprécient guère la participation au pouvoir du parti d’Olivier Maingain…

La mise à l’écart du MR dément tous les pronostics. Pourquoi ce tournant? Parce qu’un repli tactique sur les bases régionales est nécessaire afin de stabiliser le PS… et de montrer qu’il reste indispensable au système belge de collaboration de classe. En d’autres termes: le tournant n’a rien à voir avec la défense des travailleurs, et tout à voir avec les intérêts de la nomenklatura social-démocrate.

Le PS a limité la casse le 25 mai par des promesses telles que la révision des mesures contre les chômeur-euse-s et des intérêts notionnels. Il doit se garder sur sa gauche. Comme les résultats électoraux donnent la main à la N-VA pour tenter un gouvernement de choc, et qu’il n’est pas sûr que ce projet n’aboutira pas, Di Rupo occupe le terrain régional, met Reynders (et Lutgen) au défi de s’unir à Bart De Wever et attend la suite… en espérant qu’on fera appel à lui.

Plans A et BEn effet, deux possibilités restent

ouvertes: soit De Wever échoue et on prend le PS pour reformer la coalition sortante au niveau fédéral – c’est le plan A; soit De Wever réussit et le PS, de Namur, prendra une posture régionaliste pour dénoncer verbalement les attaques contre les

pensions, l’index et les allocations sociales (des matières fédérales). En disant: "C’est la faute aux Flamands, à la droite et au PTB-GO!" Et en attendant que les électeurs lui permettent de retourner aux affaires. C’est le plan B.

Dans le plan A, le spectre de De Wever Premier ministre aidera après quelques semaines à faire oublier les promesses électorales de la social-démocratie. Di Rupo pourra se présenter en sauveur et rafraîchir son refrain "sans nous ce serait pire" – ce sera bien utile avant d’approfondir l’austérité… Dans le plan B, le PS tentera de récupérer une partie de son électorat en faisant comme s’il était opposé au néolibéralisme (alors qu’il sera en train de l’appliquer – mais à un autre niveau: les transferts de compétences de la 6e réforme de l’Etat impliquent 760 millions d’Euros d’austérité!) Dans les deux cas, A et B, on aura des coalitions asymétriques, sources d’instabilité. C’est pour ainsi dire le prix que la classe dominante devra payer pour continuer à bénéficier des services d’un PS affaibli dans le contexte d’une instabilité politique croissante…

Impasse de l’aiguillonCe cynisme de la social-démocratie

repose la question du rôle du mouvement syndical dans la lutte pour une alternative.

Thierry Bodson a commenté les accords PS-CdH(-FDF) en disant que "le PS doit aussi monter au fédéral", sans quoi ce serait "une catastrophe pour les travailleurs". Cette déclaration du Secrétaire général de l’Interrégionale wallonne de la FGTB est dans la droite ligne de son soutien à la pseudo réforme des mesures contre les chômeurs, avant les élections. Elle plaît certainement à Elio Di Rupo, dont elle renforce le plan A (tout en convenant bien au régionalisme du plan B). Mais les militant-e-s, à la base, sont en droit de demander où reste l’alternative au capitalisme qui "nuit gravement à la santé"… La "catastrophe" n’est-elle pas en marche depuis vingt-cinq ans, malgré

la présence du PS au fédéral? Serait-ce autre chose que l’austérité que le PS applique à la Région?

La prise de position de Thierry Bodson remet en lumière l’impasse de la stratégie syndicale traditionnelle, celle de "l’aiguillon" sur les "amis politiques". Pour rappel, cette stratégie vise à obtenir des améliorations sociales dans le cadre des coalitions gouvernementales avec la droite, du système de concertation et de la plomberie institutionnelle pseudo-fédérale. Elle est dans l’impasse pour la simple raison qu’il n’est plus possible, dans ce cadre, d’obtenir autre chose que des reculs sociaux.

L’alternative des CarolosLa FGTB de Charleroi-Sud Hainaut

a dressé le constat de cette situation dans sa brochure Huit questions  sur l’indépendance syndicale et la politique. Elle a proposé une alternative: le mouvement syndical doit élaborer son propre programme de revendications, en fonction des intérêts de la base, et contribuer, par la lutte et la mobilisation des travailleur-euse-s, à l’émergence d’une force anticapitaliste, à gauche du PS et d’ECOLO. C’est le seul moyen de générer un changement politique conforme aux besoins du monde du travail.

Le PS redoute cette stratégie, car elle menace le "rôle dirigeant du parti". Ce que Di Rupo est en train de faire avec ses plans A et B n’est pas tout à fait

Repli régional ou fausse sortie? Le mouvement syndical face à la manœuvre du PS

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étranger à cette crainte, en particulier en Wallonie. En effet, en formant son gouvernement régional avec le CdH, le PS dit en substance à la FGTB wallonne: "Travaillons ensemble à développer la Wallonie, gérons ensemble les transferts de compétences". Ce discours trouve un écho dans le syndicat, où certains responsables défendent un cours régionaliste qui reste dans le cadre de l’aiguillon. Ce n’est pas ainsi qu’on arrêtera les trains d’austérité du gouvernement fédéral.

L’austérité dans tous les casOr, une nouvelle et vaste offensive

anti-sociale est en préparation. Le FMI demande 13 milliards d’économies sur la prochaine législature, "pour être à même de payer les pensions, dans le cadre du vieillissement". Le Traité budgétaire européen interdit toute alternative à l’austérité. Au nom de la Banque Nationale, Luc Coene demande de raboter les retraites, notamment celles du secteur public: cela incitera les gens à travailler plus longtemps, dit-il, et permettra de faire pression sur les salaires en augmentant l’offre de main-d’oeuvre sur le marché de l’emploi. Coene évoque aussi une autre piste: réduire les allocations de chômage et les subventions…

Q u e l q u ’ i l s o i t , l e p r o c h a i n gouvernement tentera de forcer les syndicats à choisir entre la peste et le choléra (pour lui filer les deux en fin de compte). Di Rupo ne sait pas s’il pourra réaliser son plan A mais il reste prêt à assumer le sale boulot. C’est pourquoi le PS se tait sur les attaques qui se préparent. C’est pourquoi aussi on peut être sûr que, dans le plan B, face à une coalition NVA-CD&V-MR-CdH, le PS se contentera d’observer la réaction syndicale depuis le balcon de l’Elysette. Dans les deux cas de figure, les syndicats seront perdants.

FGTB et CSC, Flandre et WallonieIl ne s’agit pas seulement de la

FGTB, et pas seulement de la Belgique francophone. Dans sa brochure, la FGTB carolo attirait l’attention sur le fait que le syndicat socialiste n’est pas le seul à être confronté à l’impasse stratégique de l’aiguillon. C’est ainsi qu’elle a pu nouer un dialogue et une collaboration avec la CNE. Aujourd’hui, la situation montre on ne peut plus clairement que la CSC tout entière est concernée. En Wallonie mais aussi, et surtout, en Flandre.

La représentation politique de la CSC est censée se faire par le biais du Mouvement Ouvrier Chrétien. En

Belgique francophone, le MOC applique la stratégie de l’aiguillon à travers ses contacts tripartites avec le PS, le CdH et Ecolo. En Flandre, l’ACW (MOC flamand) l’applique au sein du CD&V, via certains parlementaires.

C’est peu dire que cette variante chrétienne de l’aiguillon est aussi caduque que la variante socialiste! On s’en apercevra tout particulièrement si les "amis politiques" de l’ACW décident de participer à un gouvernement avec la N-VA. Car l’objectif de la N-VA est celui du VOKA (les patrons flamands): mettre le mouvement syndical complètement hors-jeu…

C’est pourquoi des voix s’élèvent au sein du monde ouvrier chrétien. Le MOC francophone s’est prononcé contre la participation à un gouvernement avec la N-VA. Plus important  sans doute: le secrétaire général de la LBC, Ferre Wyckmans, s’oppose à une coalition CD&V-NVA. Equivalent flamand de la CNE, mais totalement indépendante de celle-ci, la LBC est la plus importante centrale de la CSC.

Faire émerger le "Plan AA"Il est clair que Di Rupo compte utiliser

ces prises de position du MOC et de l’ACW à l’appui de son plan A. Mais les syndicalistes chrétiens peuvent comprendre que le "moindre mal" est un leurre. Les plans de Di Rupo ne leur donnent aucune garantie. La stratégie du VOKA pour mettre les syndicats hors-jeu? Le gouvernement papillon a bien commencé à la mettre en œuvre entre 2011 et 2014! Le "moindre mal" n’a fait qu’aggraver le danger d’un mal plus grand encore, et il n’y a pas de raison que ça change.

L’alternative prônée par la FGTB de Charleroi est plus urgente que jamais. Un premier pas a été franchi avec le succès des listes PTB-GO!, mais ce n’est qu’un début, un porte-voix dans l’arène des assemblées élues. Un levier. Pour aller plus loin en utilisant ce levier, les syndicalistes de combat portent une responsabilité particulière: face aux plans A et B de la social-démocratie, leur rôle pour faire émerger le plan AA sera décisif. AA comme "Alternative Anticapitaliste". La question "comment faire pour élargir la brèche politique ouverte le 25 mai?" se ramène en fin de compte à cette autre: "Comment élargir la gauche syndicale?" A chacun-e de prendre ses responsabilités! ■

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✒ par Florent Gallois

Avant le 25 mai, il y avait des élus de la gauche dite "radicale" dans la plupart des pays d’Europe, pas en Belgique. Cette anomalie est désormais corrigée. Les listes PTB-GO! envoient en effet deux députés à la Chambre (Raoul Hedebouw à Liège et Marco Van Hees dans le Hainaut), deux autres au Parlement wallon (dont le sidérurgiste Frédéric Gillot) et quatre au Parlement de la Région de Bruxelles capitale. A l’exception de Vincent Decroly et de Bernard Wesphael, élus Ecolo qui avaient continué à siéger après avoir démissionné de leur parti (l’un au fédéral, l’autre à la Région wallonne), il n’y avait plus eu de député à gauche du PS et des Verts depuis le début des années quatre-vingts…

Liège et le HainautLes listes PTB-GO! recueillent environ

133.000 voix à la chambre, 118.000 au parlement wallon (5,76%) et 15.800 au parlement bruxellois (3,86%)1. Les scores les plus élevés sont atteints dans la région de Liège: 50.600 voix, soit 8,08% à la Chambre (sur toute la province). Des pointes spectaculaires sont observées dans les cantons de Herstal (20,67%, deuxième parti après le PS), Seraing (15,66%, troisième parti après le PS et le MR), Liège (11,49%), Grâce-Hollogne (11,70%) et Saint-Nicolas (10,32%).

Le deuxième siège à la chambre est décroché dans le Hainaut grâce à 38.000 électeurs représentant 5,17% des votes valablement exprimés. Les cantons hennuyers ne peuvent pas rivaliser avec Herstal ou Seraing, mais les scores dans certains d’entre eux sont loin d’être négligeables: 8,7% à Charleroi, 8,63% à La Louvière, 6,67% à Châtelet et des scores entre 5 et 6% à Mons, Binche, Boussu et Fontaine-L’Evêque.

La province de Namur crée la surprise avec un score de 4,86%. Tiré vers le haut par les résultats des cantons ouvriers du sillon industriel (5,06% à Fosses-la-Ville), il n’est pas très loin du seuil d’éligibilité. Dans les autres circonscriptions, les

résultats sont plus modestes. C’est le cas dans le Brabant wallon et au Luxembourg, évidemment, mais aussi à Bruxelles. Dans la capitale, la liste pour la Chambre recueille 19.000 voix (3,84%)  ; la barre des 5% n’est franchie que dans le canton de Saint Gilles (7,96%). La liste décroche quatre élus grâce à l’accord technique avec Pirate et ProBruxel.

Les raisons d’un progrèsLa progression des listes PTB-GO!

par rapport aux listes PTB+ des élections de 2010 est nette et importante. Lors des élections fédérales de 2010, le PTB+ avait recueilli 39.000 voix dans les circonscriptions wallonnes, auxquelles on pouvait ajouter quelques 9.000 voix de la liste PTB-PVDA+ à Bruxelles. Globalement, le progrès est de plus de 270%. Il est le plus vigoureux dans la province de Namur et à Bruxelles, deux régions où PTB-GO! fait plus de trois fois le résultat du PTB en 2010.

Ce bond en avant est le résultat de plusieurs facteurs. Le plus important est sans conteste le mécontentement suscité par la politique d’austérité du gouvernement d’Elio Di Rupo. Au cours de la campagne, sur le terrain, les militant-e-s s’en sont rendu compte: une partie de la base sociale traditionnelle du PS a voulu punir celui-ci et exprimer son désir d’une alternative sociale.

Le deuxième facteur est le ton général de la campagne PTB-GO!, tel qu’il a été donné notamment lors des interventions médiatiques du porte-parole, Raoul Hedebouw. Le discours tenu, les arguments avancés, les revendications proposées à ces occasions, la manière de s’exprimer devant la masse des gens: tout cela était assez bien adapté au niveau actuel de radicalisation.

Le troisième facteur est l’image de rassemblement créée par la "Gauche d’Ouverture"  (la LCR, le PC, les personnalités) et accentuée par la déclaration de la FGTB de Charleroi: "Nous nous réjouissons de ce premier pas dans le sens de notre appel du premier mai 2012". Grâce au "GO", l’électeur/trice de gauche a eu le sentiment que les vieilles

querelles étaient en train d’être dépassées, de sorte que le vote pour les listes PTB-GO! lui permettrait d’exprimer simplement son adhésion à des mots d’ordre, des principes et des valeurs fondamentaux de toute la (vraie) gauche tels que la justice sociale, la justice fiscale et la solidarité.

Le facteur "Ouverture"Il est évidemment impossible de

donner un poids exact à ces différents éléments. Vu le score atteint en province de Liège, il est probable que Raoul Hedebouw aurait été élu même sur une liste PTB+, sans l’appoint du rassemblement concrétisé dans la "Gauche d’Ouverture". Mais les sondages ont décollé tour de suite après la conférence de presse de présentation du GO, fin janvier. Une chose semble certaine: sans le GO, Raoul Hedebouw n’aurait pas été rejoint par Marco Van Hees. En effet, la liste PTB-GO! pour la Chambre dans le Hainaut ne dépasse le seuil d’éligibilité que de 1300 voix environ. Or, les deux candidat-e-s de la LCR amènent 2500 voix à la liste, et celui du PC près de mille en plus. De plus, c’est dans cette province que la gauche syndicale s’est mouillée le plus explicitement, et elle l’a fait parce qu’il y avait ouverture.

Echec des autres listes de gauche

Le succès des listes PTB-Gauche d’Ouverture n’a laissé aucune chance aux autres formations qui sollicitaient les suffrages des électeurs en quête d’alternative à gauche du PS et d’Ecolo.

Emmenée par Vincent Decroly, la liste des Verts de Gauche (VEGA) pour le parlement européen recueille à peine plus de 15.000 voix (0,68%), en dépit de la notoriété de sa tête de liste. La liste pour le parlement wallon dans la circonscription de Liège – le bastion de VEGA – en fait 3.500 (1,02%) et la liste pour le parlement bruxellois 2.500 (0,57%). Quoique VEGA ait bénéficié d’une couverture médiatique non négligeable pour une formation toute neuve, on est très loin des espoirs exprimés par Decroly dans son interview au Soir à l’automne dernier, et encore plus loin du

Magnifique succès des listes PTB-Gauche d’Ouverture

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souhait de "trois élus" formulé par un autre porte-parole du mouvement.

Le constat est encore plus cruel pour le Mouvement de Gauche (MG): présent à tous les niveaux, il ne fait que 4  .700 voix à l’Europe, 4500 au fédéral et 4900 à la Région wallonne. Des scores plus que confidentiels, partout bien inférieurs au pour cent…

Pour être complet, il faut encore mentionner la tentative de Gauches Communes: 839 voix pour le parlement bruxellois, 1445 pour la chambre dans la capitale (0,29%). En dépit d’un gros effort de propagande, le front entre le Parti Socialiste de Lutte (PSL) et le Parti Humaniste n’a pas convaincu les électeurs. A Saint-Gilles, le nombre de voix n’est même pas le tiers de ce qu’il était aux communales.

Répondre à l’appel de CharleroiIl est clair que les électeurs n’ont pas

vu l’intérêt de ces listes. Ayant mal apprécié la situation, les responsables de VEGA et du MG ont cru qu’une dénonciation du "stalinisme" du PTB suffirait à justifier leur existence et que la référence à l’écosocialisme à la façon du Parti de Gauche français leur apporterait une plus-value électorale. Mais ce n’est pas sur ce genre de démarcations très idéologiques que le scrutin pouvait se jouer.

Quant au PSL, après avoir contribué aux communales à mettre sur pied des "fronts de gauche", et avoir tenté de les coordonner par la suite, il aurait souhaité participer au rassemblement PTB-GO! mais n’a pas su s’y prendre de façon crédible. Sa "lettre ouverte" pour des listes "PTB-unité" est apparue comme un ulti-matum. Dommage qu’il ait ensuite essayé de dissimuler son dépit en lançant des attaques déplacées contre le PC et la LCR.

D’une manière générale, le succès pour la gauche de la gauche dans ces élections ne pouvait aller qu’aux formations capables de se placer dans le courant ascendant provoqué par l’appel de la FGTB de Charleroi. A partir du moment où le PTB s’était ouvert quelque peu au principe d’un rassemblement, la LCR a estimé que c’était autour de cette organisation qu’il s’agissait de se regrouper, parce que c’était le seul moyen d’avoir une chance de décrocher un succès et qu’un succès était décisif pour que la polarisation anticapitaliste de la gauche syndicale puisse se poursuivre. Les faits nous ont donné raison et il y a eu un effet "vote utile" à gauche de la gauche.

En FlandreEn Flandre, il n’y a eu aucun

regroupement comparable au PTB-Gauche d’Ouverture. Le PTB s’y est présenté sous le sigle PVDA+, comme lors des scrutins précédents, et a accueilli des candidat-e-s d’ouverture – notamment des membres de la LCR-SAP. Il n’y avait aucune autre liste à gauche du sp.a et des Verts.

Faire élire son président Peter Mertens à la Chambre était un objectif prioritaire du PTB-PVDA. Il échoue de peu. 52.000 électeurs ont voté PVDA+ dans la province d’Anvers. Un très beau score (4,52%), mais, hélas, légèrement inférieur au seuil d’éligibilité. C’est une déception, d’autant plus vive que les militant-e-s ont beaucoup donné et que le PVDA recueille 8,85% des voix dans le canton d’Anvers (plus que le Vlaams Belang, le CD&V et l’Open VLD).

Dans les autres circonscriptions du Nord du pays, les scores du PVDA+, quoiqu’en progrès par rapport à 2010, restent plus modestes: 2,67% en Flandre orientale, 2,57% dans le Limbourg, 1,86% dans le Brabant flamand, 1,66% en Flandre occidentale. De plus, ils progressent proportionnellement moins que dans l’autre partie du pays.

Il va de soi que la différence de niveau entre les résultats du PTB-GO! et ceux du PVDA+ s’expliquent avant tout par la différence de contexte politique et social entre les deux régions. Face à une droite ultra-majoritaire, de nombreux électeurs de gauche ont préféré continuer à voter pour la social-démocratie et, surtout, pour Groen! [voir notre article par ailleurs]. Il n’est même pas impossible que certains, sur base des sondages, aient cru que le siège de Mertens était dans la poche et qu’ils pouvaient donc donner leur voix à la gauche de gouvernement, afin que celle-ci ne perde pas trop de plumes.

On peut néanmoins se demander si la question de l’ouverture ne se pose pas en Flandre également. Le PVDA n’a pas été capable d’assumer franchement et publiquement la présence sur ses listes de candidat-e-s d’ouverture, et a même commis certaines maladresses. Qui sait si un peu plus de culture du rassemblement n’aurait pas mis Peter Mertens dans la même situation que Marco Van Hees dans le Hainaut? ■

(1) Chiffres arrondis. D’une manière générale, les différences de résultats entre les listes fédérales, régionales et européennes ne sont guère significatives.

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✒ par Denis Horman

Pour les élections européennes, lég-islatives et régionales du 25 mai 2014, la LCR-SAP a présenté 31 candidat-e-s à Bruxelles, en Wallonie et en Flandre: 19 hommes et 12 femmes. Nos candidat-e-s (militant-e-s et sympathisant-e-s LCR/SAP) figuraient sur les listes PTB-GO! en Wallonie, PTB/PVDA-GO en Région brux-elloise et PVDA+ en Flandre.

Il est des rendez-vous qu’il ne fallait pas manquer

Notre organisation politique, implan-tée dans les trois régions du pays, n’a pas hésité à mener campagne avec le PTB/PVDA, tout en maintenant sa complète indépendance politique vis-à-vis de celui-ci. Du côté francophone (en Wallonie et à Bruxelles), la campagne électorale avec le PTB s’est concrétisée par des listes PTB-GO! (Gauche d’Ouverture), regroupant autour du PTB des personnalités indépen-dantes, des militant-e-s du monde syndical et associatif ainsi que la LCR et le PC.

Dans notre matériel de campagne, présenté avec le leitmotiv "Nos vies valent plus que leurs profits", nous avons expliqué pourquoi notre parti s’est impliqué à fond dans la construction de ce rassemblement autour du PTB: "Pour dénoncer les injustices, refuser l’austérité, donner un relais à vos luttes et vos revendications, il est temps de voter 100% à gauche pour les listes de rassemblement PTB-GO!" L’Appel du comité de soutien aux listes PTB-GO!, que nous avons activement impulsé et soutenu, allait mettre l’accent sur ce "vote utile à gauche": "Le 25 mai 2014, pour la première fois depuis longtemps, la gauche de gauche aura la possibilité de faire élire des représentant-e-s au Parlement fédéral et dans les Régions". Cet Appel, intitulé "Il est des rendez-vous

qu’il ne faut pas manquer", était lancé par des personnalités du monde universitaire, médiatique, culturel, syndical (plus deux membres des directions politiques du PC – François D’Agostino – et de la LCR – Daniel Tanuro). Il allait avoir un grand retentissement, dynamisant la démarche de Gauche d’Ouverture, mettant en évidence les intérêts du mouvement ouvrier dans son ensemble avant les critiques, les réticences voire les blocages justifiés ou non par rapport au PTB.

Des voix qui ne tombent pas du ciel!

Tout en menant une franche collaboration pour l’élection de candidat-e-s du PTB/PVDA, la LCR/SAP a également appelé à voter pour ses candidat-e-s. C’est que le programme, le débat politique, les stratégies pour un changement de société ont une place centrale dans une campagne électorale.

Ainsi, notre appel à voter pour les candidat-e-s de notre organisation – SAP (Socialistisch Arbeiders Partij) sur les listes PVDA+ en Flandre et la LCR (Ligue Communiste Révolutionnaire) sur les listes PTB-GO! en Wallonie et PTB-PVDA-GO à Bruxelles – reposait sur trois points essentiels de notre "profil":

– La mise en avant d’un plan d’urgence anticapitaliste à porter dans la rue, les mobilisations, la lutte, comme dans les urnes.

– Le soutien d’une stratégie basée sur un syndicalisme de combat et démocra-tique (à l’exemple de L’épopée des verriers du Pays Noir, relatée dans un livre paru quelques mois avant les élections1 par notre camarade André Henry, délégué principal FGTB-Centrale Générale à Glaverbel-Gilly dans les années 1970). Une stratégie basée également sur le féminisme, l’antiracisme, l’internationalisme, le contrôle par en bas

et la démocratie directe.– Le militantisme pour un projet de

société écosocialiste.Un autre profil de notre organisation:

sa démarche unitaire pour la construction d’un rassemblement et d’une alternative anticapitaliste, en écho à l’appel de la FGTB de Charleroi (1er mai 2012). Nous savons que cette démarche, entreprise depuis des années par la LCR-SAP et plantant un jalon important dans cette campagne avec le PTB-PVDA, fut saluée par bien des personnes.

Ces différentes facettes du "profil" de la LCR/SAP,  la bonne trentaine de candi-dat-e-s LCR/SAP ne les a pas seulement avancées en paroles dans la campagne, mais les a ancrées, bien avant, dans le militantisme syndical, associatif, dans les interventions et activités politiques… [voir l’article "Qui sont les candidat-e-s de la LCR-SAP pour le 25 mai?", dans La Gauche n°67, avril-mai 2014].

Les voix de préférence récoltées par nos candidat-e-s ne sont pas tombées du ciel. D’autant que les places qui leur étaient accordées sur les listes n’étaient pas des plus en vue! Elles expriment selon nous une adhésion à ces différents aspects de la "ligne politique" portée par notre organ-isation. Certain-e-s candidat-e-s réalisent même des scores impressionnants.

Pas de féminisme sans socialisme, pas de socialisme sans féminisme!

Cinq candidates féministes de la LCR/SAP ou proposées comme candidates d’ouverture réalisent des scores plus qu’honorables:

Céline Caudron, 4ème effective au Parlement européen (qui avait mené la liste LCR-PSL aux dernières élections européennes de 2009),   obtient 8.168 voix. Pauline Forges, enseignante et

Les candidat-e-s LCR/SAP sur les listes PTB-PVDA-GO!: des voix qui ne sont pas tombées du ciel!

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8ème effective au Parlement bruxellois, recueille 900 voix. Anne-Marie Obbiet, 4ème effective à la Chambre pour le Brabant wallon, récolte 409 voix.

Ida Dequeecker , candidate d’ouverture, personnalité importante du mouvement féministe-socialiste depuis les années 1970, 17ème sur la liste PVDA+ à Anvers pour le Parlement flamand, obtient 1.301 voix. Evie Embrecht, candidate d’ouverture, 4ème sur la liste PVDA+ en Flandre orientale (Gand) pour le Parlement flamand, recueille 1.026 voix.

Des syndicalistes de combat et des militant-e-s de la solidarité

Véronique Blaze, qui défend sans concession la Sécurité sociale et les services publics, 4ème effective à la Chambre pour le Hainaut, recueille 1.243 voix. Freddy Mathieu, ancien responsable syndical FGTB, 18ème effectif à la Chambre pour le Hainaut, obtient 814 voix. Freddy Bouchez, candidat d’ouverture, militant syndical et associatif, 3ème suppléant au Parlement wallon (Soignies), réalise 502 voix. Freddy Dewille, délégué syndical, conseillé communal à Anderlues, 3ème effectif au Parlement wallon (Thuin), obtient 354 voix. Serge Alvarez, postier, délégué CSC Transcom, 24ème effectif au Parlement bruxellois, obtient 362 voix.   Guy Van Sinoy, ex-délégué syndical (CGSP, SPF Finances) récolte 313 voix. Antoinette Becq, qui se bat "contre la marchandisation de la société", 4ème effective au Parlement wallon (Tournai-Ath-Mouscron), obtient 294 voix. Sébastien Brulez, militant de la solidarité internationale, 5ème suppléant au Parlement wallon (Mons), obtient 242 voix. Denis Horman, journaliste à La Gauche, abordant surtout les questions

syndicales et sociales, 5ème suppléant au Parlement wallon (Liège), obtient 697 voix.

Plusieurs candidat-e-s SAP, délégués et militants syndicaux, étaient présents sur les listes PVDA+ dans la partie flamande du pays: Peter Veltmans (CGSP SPF Finances), 8ème suppléant à la Chambre à Anvers: 812 voix; Els Goeman (CGSP), Chambre à Anvers: 1.264 voix; Bruno de Wit (Setca  non marchand), Parlement flamand à Anvers: 753 voix; Raoul Flies (délégué SETCa), Chambre-Flandre orientale: 676 voix; Jean-Claude Vannieuwenhuyze (CSC Bruxelles), à la Chambre-Vlaams-Brabant: 248 voix.

Thomas Weyts, porte-parole LCR-SAP, actif dans le droit au logement, sur la liste PVDA+ au Parlement européen, obtient 3.844 voix.

Des candidatures de la jeunesse, de l’antiracisme, de la solidarité avec les sans- papiers

France Arets, enseignante, déléguée syndicale CGSP-Enseignement, animatrice du CRACPE (Collectif de Résistance aux Centres pour Etrangers), active dans le collectif de soutien aux sans-papiers, était 10 effective à la Chambre pour la province de Liège. Elle obtient 1.616 voix. Hamel Puissant, militant antiraciste et syndical SETCa, 8ème eff. à la Chambre pour Bruxelles obtient 1.054  voix.  Pierre Reynaert, fonctionnaire au SPF Justice, militant pour "moins de pénal, moins de prisons, plus de social", 5ème suppléant à la Chambre pour le Luxembourg, obtient 286 voix.

Axel Farkas, membre des JAC ( Jeunes anticapitalistes), actif dans la solidarité avec les demandeurs d’asile afghans, 3ème effectif au Parlement wallon (Brabant wallon), obtient 316 voix.

Charlotte Fichefet, militante JAC, active dans la solidarité avec les demandeurs d’asile afghans, 43ème effective au Parlement bruxellois, obtient 316 voix. Neal Michiels, membres des JAC, actif dans la campagne contre les sanctions administratives, 7ème supp. à la Chambre pour Bruxelles, obtient 545 voix. Esteban Rozenwajn, JAC, 12ème suppléant au Parlement bruxellois, récolte 238 voix. Alexandra Ooms, Parlement-Vlaams-Brabant: 587 voix.

Des candidatures écosocialistesDaniel Tanuro, fondateur de Climat

et Justice sociale, auteur de L’impossible capitalisme vert, dernier effectif à la Chambre pour Namur, obtient 805 voix. Léo Tubbax, porte-parole de Nucléaire Stop, actif dans "Climat et Justice sociale", délégué syndical CGSP-AMIO/IRB-BIG, 2ème suppléant au Parlement Wallon (Huy-Waremme), recueille 226 voix. Fabienne Raindorf, enseignante, ancienne candidate Ecolo, 5ème effective au Parlement wallon (Namur), récolte 556 voix.

GO, GO, GO!Robert Sénéchal, secrétaire des

Métallurgistes FGTB-MWB du Hainaut occidental, interviewé pour notre site www.lcr-lagauche.org avant les élections, s’exprimait ainsi: "Je ne compte pas du tout laisser tomber les réunions PTB-GO! telles que nous les faisons actuellement. On va, toutes et tous, se revoir afin de mettre en place une structure commune qui puisse durer bien au-delà du 25 mai. Tout reste à faire afin de construire le relais politique que nous avons appelé". Nous ne pouvons qu’adhérer à cette volonté et à cet appel. ■

(1) Il toujours possible de commander ce livre en écrivant à [email protected]

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✒ propos recueillis par Guy Van Sinoy

Je retrouve Raoul Hedebouw à la terrasse d'un café du quartier St-Léonard à Liège. Il fait beau et, de temps à autre, des gens du voisinage viennent gentiment nous interrompre pour saluer Raoul et le féliciter de son élection au parlement fédéral le 25 mai dernier.

La Gauche: Quel bilan tires-tu, selon les régions, des résultats des listes PTB-GO! et PVDA+ aux élections du 25 mai?

Raoul Hedebouw: Je pense que nous pouvons parler d'une percée historique. Ces listes voient arriver dans les parlements plusieurs candidats: 2 à la Chambre, 4 au parlement bruxellois et 2 au parlement wallon. La percée est réelle sur l'ensemble du territoire, même si elle est plus forte en Wallonie. A Anvers, avec 4,52 % de moyenne dans toute la province, on loupe de peu l'élection de Peter Mertens à la Chambre. A titre de comparaison, notre élu du Hainaut, Marco Van Hees, a été élu avec 5,17 %. Quelques décimales de pourcentage font qu'on est élu ou pas.

J'en profite pour rappeler que les élus du PTB-GO! ont coûté 4 fois plus cher, en terme de voix, qu'un élu MR. Le système électoral belge est très défavorable aux formations politiques émergentes et très favorables à celles qui sont en place. Donc, sur le plan électoral, nous tirons un bilan positif même s'il y a un petit re gret de la non élection de Peter à Anvers.

Malgré plus de 51.000 voix (4,52%) dans la province d'Anvers et près de 25.000 voix dans la ville d'Anvers (9,04%), Peter Mertens n'est pas élu. Est-ce que ce n'est pas ressenti au PTB en Flandre comme un coup dur?

Ce n'est pas ressenti comme ça. Car historiquement nous n'avons jamais eu jusqu'à présent de dé putés fédéraux ou

régionaux. De plus, nos élus à la Chambre seront des élus nationaux, même s'ils ont été élus dans des circonscriptions électo-rales wallonnes. Nous avions prévu cette éventualité, même si le soir des élections c'était quand même une déception de rater de si près une élection quand on voit aussi nos très bons résultats dans des villes comme Malines ou Gand.

Il est bon de rappeler que le PTB est le premier parti en croissance absolue dans la province d'Anvers. II y a trois vain queurs en Flandre: la N-VA, Groen et le PTB. De plus en Flandre, la campagne n'était pas facile car Groen était dans l'opposition, contrairement à Ecolo dans les régions, et la N-VA était considérée par une partie de l'électorat comme un parti anti-establishment. La campagne n'était pas du tout la même qu'en Wal lonie car nous partions aussi d'un niveau beaucoup plus bas. Il fallait plus que doubler le score pour avoir un élu à Anvers alors nous partions déjà de 4,6 % en province de Liège en 2012.

Dans la province d'Anvers, le résultat de PVDA+ (4,52%) est d'ailleurs supérieur à celui de PTB-GO! à Bruxelles (3,84%)...

Oui, c'est tout à fait pertinent comme comparaison. A Anvers, c'est vraiment le seuil de 5% qui ne permet pas de marquer l'essai. C'est un peu comme l'Atletico Madrid qui, à la 94e minute du match, se fait voler la victoire. La ville d'Anvers est la plus grande localité du pays. Elle regroupe 500.000 habitants. Le PTB fait près de 9%, est le quatrième parti (devant le Vlaams Belang, le CD&V, l'Open VLD) mais n'a pas d'élu. Il y a vraiment quelque chose qui ne va pas. Mais passons à autre chose. Je suis très content de ne pas être tout seul à la Chambre et d'y être avec mon camarade Marco Van Hees.

Dans l'interview que tu as donné à Solidaire le 5 juin

dernier, tu insistes fortement sur l'importance du "GO!" dans la dynamique PTB-GO! du côté francophone. Est-ce que tu peux expli quer pourquoi?

Je crois que cela a été une dynamique très enrichissante. Il faut remettre cela dans le cadre où en Wallonie certaines centrales ou régionales syndicales ont appelé à une alternative électorale à la gauche du PS et d'Ecolo. Cet appel a été entendu. Il y a eu de plus une chouette dynamique chez des per sonnalités (Hugues Lepaige, Josy Dubié, Isabelle Stengers et d'autres) de même que de la part de partis tels que le PC et la LCR. Sur le plan syndical il y a eu pas mal d'ouvertures, même si on voit que le débat a été très pluriel dans les organisations syndicales, c'est le moins qu'on puisse dire... Indiscutablement cette ouverture a créé une dynamique dans la campagne électorale.

De notre côté nos tirons un bilan positif de la collaboration de ces différentes composantes. Je parle no tamment des meetings, du travail sur le terrain.

Jean-François Tamellini, secrétaire fédéral de la FGTB, estime que la tâche essentielle après le 25 mai est déjà de se préparer à la résistance contre les nouvelles mesures d'austérité qui vont frap per la population laborieuse.

Comment mettre en mouvement l'ensemble du peuple de gauche?

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A ton avis, comment le PTB-GO! devrait-il se positionner par rapport à cela en sachant que les états-majors syndicaux ne vont pas nécessairement réagir sur le même tem po (FGTB/CSC, Flandre/Wallonie/Bruxelles, Centrales, etc.)?

Je pense que nous allons faire ce que nous avons dit pendant la campagne électorale. A savoir que les élus PTB-GO! auront pour vocation de relayer dans les assemblées parlementaires les luttes contre l'austérité qui se déroulent dans la rue et dans les entreprises. Ils seront le relais de l'opposition à la politique néolibérale de l'Europe et des autorités belges. Mais ce relais à lui seul ne suffit pas. Le plus important est que le monde du travail reprenne confiance en lui-même, reprenne conscience de sa force collective capable de faire barrage à l'austérité. Et fatalement ce n'est pas quelques députés qui vont changer cela. Ne tournons pas autour du pot. Il y a un travail militant à faire qui incombe à tous les militants anticapitali-stes dans le pays.

Il incombe aussi que chacun – personnalités, syndicalistes, partis – a pu garder sa dynamique car il y a une gauche de gauche qui est plurielle. La formule PTB-GO! a permis à chacun de garder vraiment ses spécificités et ses divergences, comme l'appel le dit lui-même.

Le 25 mai ouvre une nouvelle période politique: celle où un groupe de gauche d'opposi-tion parlementaire va pouvoir servir de haut-parleur des luttes sociales. A moyen terme, selon toi, quelles perspectives est-ce que cela ouvre: celle d'un gonflement numérique du PTB ou bien celle d'une recomposition politique plus large à gauche?

Je pense que cela ne se pose pas dans ces termes. Personnellement j'ai toujours dit que dans la si tuation politique actuelle en Belgique, l'addition des gauches de gauche ne peut pas changer la donne et ne permettait pas de passer à une étape supérieure. Le 25 mai ne change rien à cela. La campagne électorale a été bonne et je pense que personne ne contestera que le PTB a été un élément central dans cette dynamique. L'addition des organisations de gauche, je dirais même l'addition des sigles, n'apportera rien de plus. Le PTB

continuera à exister sous sa forme PTB.Nous n'avons jamais dit que nous

allions transformer le PTB en autre chose et nous ne l'avons d'ailleurs promis à personne. Idem je pense aussi pour la LCR. Le confort de la campagne électorale PTB-GO! était justement que la fusion des sigles n'était pas l'objectif de cette campagne. Aucune des composantes partidaires, parce que je rappelle qu'il y avait aussi une composante de personnalités, n'a mis cette question sur la table. Par contre, pour ce qui est de savoir comment nous allons continuer, nous entrons dans une nouvelle séquence politique et sociale pour les prochaines années qui dépendra d'ailleurs aussi de la composition du nouveau gouvernement. Je pense que nous devons prendre le temps et d'abord en parler avec les différents acteurs syndicaux et politiques qui veulent une résistance à cette austérité annoncée. ■

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✒ Entretien réalisé début juin 2014 par Freddy Mathieu (Jean-François Tamellini est Secrétaire fédéral de la FGTB)

A la veille des élections on a pu lire une de tes contributions sur les réseaux sociaux. Tu dresses un bilan très négatif de l’action des derniers gouvernements dans lesquels le PS nous dit pourtant avoir "préservé l’essentiel": "...la sécu? Elle est déjà largement fracturée". Tu parles aussi des attaques contre l’Index. Selon toi, qu’est-ce qui nous attend?

Sans même discuter de la composition des coalitions (toujours inconnues au moment de l'interview), les différents gouvernements devront désormais tenir compte du cadre du TSCG pour déterminer leurs budgets respectifs.

Le niveau de la dette publique fédérale représente à ce jour plus de 100% du PIB (s'expliquant notamment, rappelons-le, par les milliards qui ont du être réinjectés par l'Etat belge, sur le dos des citoyens, pour "sauver" les actionnaires des banques). Ce niveau devrait encore s'aggraver compte tenu des nouvelles règles comptables obligeant notamment les Etats à intégrer les dettes des sociétés de logements sociaux (16 milliards supplémentaires).

Pour atteindre le ratio fixé par le TSCG, à savoir 60%, ce sont à nouveau des dizaines de milliards que les gouverne-ments qui ont ratifié le Traité austéritaire vont devoir aller chercher. L'application de la règle d'or, qui sanctionnera désormais les Etats qui dépasseront 0,5% de déficit budgétaire (au lieu des 3% autorisés précédemment), obligera mécaniquement les gouvernements respectifs à devoir opérer des choix dans la constitution de leurs budgets.

Le sursis "offert" par la Commission européenne, qui vient de sortir la Belgique de la procédure de déficit excessif, sera assorti de conditions de réformes pires que celles déjà appliquées.

Sur le plan fédéral, rappelons-le, le gouvernement sortant est déjà allé cher-cher 22 milliards, un niveau historique, en grande partie dans la poche des travail-leurs et des citoyens:  gel des salaires des travailleurs (contrairement aux dividendes des actionnaires), coupes dans les services publics ou encore sérieuses mises à mal de la Sécurité sociale. Ainsi pour ne citer que ce volet, compte tenu de la scission des allocations familiales, faute de moyens, des régions pourraient être obligées de les diminuer. Dans quelques mois, un enfant ne "vaudra" plus qu’un autre enfant selon l'endroit où il réside.

Il est clair que si la N-VA entre dans la danse, la chute pour les travailleurs sera extrêmement violente et rapide, avec notamment la fin immédiate de l'indexation automatique des salaires et la mise à mort de la Sécurité sociale fédérale.

Mais même si le PS et le SPa entrent dans la coalition fédérale, l'érosion pour les travailleurs se poursuivra. D’ailleurs certains tabous fixés avant les élections commencent déjà à vaciller (cfr. les décla-rations de Charles Picqué parlant d'une adaptation possible de l'index). Les partis socialistes, plutôt que de se positionner sur un changement de cap en refusant d'appliquer les recettes libérales d'une technocratie européenne, reconnaissent de facto que la situation va continuer à se dégrader pour les travailleurs. Cela constitue un aveu de faiblesse significatif. Se fixer comme objectifs de maintenir un index déjà largement amputé ou une Sécurité sociale agonisante ne constitue en rien une victoire sociale.

À court terme, il est fort probable qu'au delà de la chasse aux chômeurs, une nouvelle chasse soit cette fois organisée sur les malades et les invalides (en forte progression suite à la fin des prépensions). Mais aussi contre les travailleurs de la fonction publique qui continueront à faire les frais des lignes politiques actuelles:

Jean-François Tamellini:

Le changement de société auquel nous aspirons viendra de la rue!

Quelle que soit la coalition qui constituera le prochain gouvernement fédéral, compte tenu du TSCG, les travailleurs vont continuer à trinquer!

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non remplacement des agents (mettant en péril la poursuite des missions publiques); nouveaux plans de restructurations (notamment au niveau des communes); nouvelles attaques relatives à leur statut. Ainsi, les libéraux, qui sortent renforcés du scrutin, ont déjà annoncé clairement leur intention de sabrer dans les pensions des fonctionnaires.

Tu disais aussi: "Le seul moyen de revenir à des conquêtes sociales, de redonner aux travailleurs ce qui leur revient de droit (...) ce sera de préparer dès demain ce vaste mouvement social qui nous permettra de mettre au pas le monde politique et celui de la finance (intimement liés)".

Le changement de société auquel nous aspirons ne viendra ni du Parlement, ni encore moins du gouvernement. Le changement viendra de la rue! Les syn-dicats ont un rôle majeur à jouer dans ce cadre. À eux deux, la FGTB et la CSC représentent plus de 3,2 millions d'affiliés. Le nombre de militants anticapitalistes convaincus est (pour l'instant) évidem-ment bien plus restreint, mais le nombre d'affiliés dénonçant le système est quant à lui de plus en plus élevé. Que ce soit dans les rangs des jeunes, des femmes, des pensionnés, des travailleurs avec et sans emplois, salariés et fonctionnaires, la colère n'en finit pas de monter. À juste titre.

Le résultat des élections au niveau européen nous montre le danger de voir les déçus du système se tourner vers l'extrême droite. La montée historique des fascistes en France en est la désastreuse illustration, et est malheureusement loin d'être isolée. Il est particulièrement inquiétant de constater que plus de 40% des ouvriers et plus de 30% des jeunes se tournent vers ces "non solutions".

La soumission vis-à-vis des acteurs financiers et des intérêts du capital

renforce cette situation.Des débordements sociaux sont

également à prévoir. Les économistes de droite, de Colmant aux experts du FMI, soulignent les dangers de continuer à creuser l'écart entre riches et pauvres. Non pas sur base d'un revirement de conscience à gauche, mais parce qu'ils craignent les réactions de basculement en provenance d'un peuple poussé dans ses retranchements.

Si nous voulons revenir sur le terrain des conquêtes sociales, nous devons en effet créer le rapport de force nécessaire. Nous devons parvenir à fédérer en nos rangs (syndicaux), mais également au-delà, au niveau de l'associatif et des citoyens, sur base d'objectifs anticapitalistes. En démontrant que des alternatives sont non seulement possibles mais indispensables. Et que ces alternatives passent non pas par un repli sur soi mais au contraire par un renforcement des solidarités.

Mon appel à un vaste mouvement social, lancé avant les élections, s'inscrit dans ce sens. Nous y travaillons...

Le chemin est ardu et nous partons de loin. Il suffit de constater notre inca-pacité à mobiliser contre le TSCG. Il faut donc renforcer nos positions, élargir notre champ d'action au delà de nos rangs et probablement réfléchir à la forme des actions nécessaires pour peser sur les auto-rités et le patronat. Ce qui se met en place pour tenter de contrer le TTIP [lire en pages 22 et 23] est à ce titre intéressant. La victoire obtenue à l'époque contre l'Accord multilatéral sur l'Investissement (AMI) peut servir de base. Le renforcement de dynamiques organisant le combat au delà de nos frontières, telle que l'Alter Summit, doit par ailleurs nous permettre de créer les convergences nécessaires au niveau euro-péen, en fédérant les acteurs défendant une alternative au système capitaliste. C’est également un axe essentiel.

Dans quelques mois la FGTB tiendra son congrès. On a vu de nombreux militants syndicaux s’intéresser, voire participer activement, dans la lutte électorale. On verra même un ouvrier, ancien délégué syndical, entrer au Parlement wallon.

Comment vois-tu les rapports entre le syndical et le politique?

Au niveau de la FGTB fédérale, le prochain Congrès qui se tiendra en octobre devra être une étape importante pour consolider notre projet anticapitaliste et renforcer nos positions. L'indépendance syndicale reste pour moi un élément essentiel qui conditionne notre action en tant que contre-pouvoir. Il est indispensable de faire la part des choses:

Le rôle des syndicats est de défendre au mieux les intérêts des travailleurs et des allocataires sociaux, sur base d'un projet de société défini démocratiquement par leurs instances.

Le rôle des politiciens est d'organiser le fonctionnement de l'Etat. Pour ce faire, ils doivent constituer un gouvernement, en tenant compte des lignes définies par leurs partis, mais en sachant pertinemment qu'ils devront trouver des compromis pour constituer ce gouvernement.

Le projet de société défini par les instances de la FGTB est résolument anti-capitaliste. Nous partons du constat que ce sont les travailleurs qui créent la richesse, pas le capital, et qu'il est donc légitime que la répartition des richesses soit organisée en conséquence. Si le gouvernement fixe un cadre dans lequel il n'existe aucune marge pour redistribuer les richesses en faveur des travailleurs ni organiser la solidarité à travers la Sécurité sociale et les services publics, nous avons un sérieux problème. Et c'est le cas pour l'instant. Nous devons donc peser sur les partis qui participent aux gouvernements pour que les intérêts des travailleurs soient respectés, sur base de notre projet de société.

Je me réjouis que les positions anticapitalistes réintègrent les Parlements. Je pense que ceux qui portent ces idées peuvent faire pression sur les élus des partis de centre-gauche qui entreraient dans les gouvernements, en poussant les lignes à gauche, en osant remettre sur la table des thèmes comme la nationalisation de secteurs stratégiques, en déposant des projets de loi visant à s'attaquer à la spéculation, en replaçant le débat capital/travail au centre de débats ou en revenant sur des sujets tels que la réduction collective du temps de travail...

Les déclarations de Frédéric Daerden à la sortie des élections, appelant le PS à se repositionner plus à gauche et à ne pas accepter de rentrer dans un gouvernement

Fédérer, sur base d'objectifs anticapitalistes.

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à tout prix me semble aller dans ce sens. Il reviendra à la FGTB de s'assurer que cela ne se limite pas à des déclarations de bonnes intentions et que cela se concrétise dans les programmes de gouvernements.

Si maintenant nous devions être confrontés à des coalitions totalement de droite ou face à de nouveaux reculs sociaux majeurs, il conviendra alors de trouver les convergences politiques, syn-dicales et citoyennes pour contrer l'axe qui serait constitué. Constituer un véri-table front rassemblant toutes les forces de gauche autour d'un projet dans lequel les travailleurs se retrouveront et pour lequel ils se mobiliseront. Chacun devra alors prendre ses responsabilités. ■

✒ par Correspondant

Environ 150 personnes ont participé, le dimanche 08 juin, à une manifestation joyeuse à travers la Belgique, l’Allemagne et les Pays-Bas. C’était aussi une très courte manifestation: elle n’a duré qu’un quart d’heure, autour des trois bornes à Plombières/Vaast/Gemmenich. Le Aktions-bündnis gegen Atomenergie Aachen (AAA – Association d’Aix contre l’Energie nuclé-aire) a pris cette initiative pour déjà fêter, Sekt à l’appui, la fermeture définitive des réacteurs défectueux Doel 3 et Tihange 2.

Entre les concerts, dont celui de Rou-doudou du GAM, Jörg Schellenberg, Walter Schumacher (du AAA) et Léo Tubbax (Nucléaire Stop Kernenergie) ont pris la parole. Les premiers ont mis l’accent sur le travail scientifique qui a été produit par des experts internationaux en sciences nucléaires et des matériaux pour démon-trer qu’il serait et qu’il était tout à fait irresponsable de redémarrer des réacteurs dont les cuves présentent un tel nombre de failles, qui s’aggraveront avec le temps.

Léo Tubbax a mis l’accent sur l’incapacité du gouvernement en affaires courantes de décider le redémarrage des

deux réacteurs. Electrabel, mais aussi Lampiris, un producteur d’énergie "verte", menacent les ménages d’une hausse de prix et d’un black-out, une interruption de la fourniture d’électricité. C’est de la pure démagogie: des centrales à gaz et à cogénération en parfait état de marche ont été arrêtés parce que le charbon est un peu moins cher au kilowatt que le gaz. La pénurie est donc construite de toute pièce et n’a aucun rapport avec l’arrêt des réacteurs défaillants.

Il appartient au mouvement antinu-cléaire belge, dans toutes ses nuances, de se manifester sur le terrain politique pour empêcher le redémarrage de ces deux réacteurs qui sont mille à dix-mille fois plus dangereux qu’un réacteur ordinaire. Alors que Fukushima, qui se trouve heu-reusement à 240 km de Tokyo, continue à polluer l’océan et l’atmosphère de notre planète, il serait irresponsable, voire crimi-nel, de risquer le redémarrage du réacteur de Doel 3, situé en zone SEVESO à 12 km de la Grand-Place d’Anvers. Un accident grave à Doel nécessiterait l’évacuation de plus de neuf millions de personnes et du port d’Anvers dans un rayon de 75km, dont des millions ne pourront plus jamais retourner chez eux. ■

Manif antinucléaire dans trois pays

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n!Delhaize: langue de bois des managers, combativité du personnel ✒ par Correspondant

Tout comme des dizaines d’autres magasins, le Delhaize Chazal à Schaer-beek était en grève suite à l’annonce faite le 12 juin de la restructuration qui vise la fermeture de 14 magasins, le licenciement collectif de 2.500 travailleurs, une dimi-nution des salaires et une régression des conditions de travail.

Nous y avons passé une partie de la journée du jeudi 12 et du vendredi 13 juin, en solidarité. Une majorité du personnel était en grève et occupait le parking. Les grévistes y discutaient des enjeux de la restructuration, l’avenir de leur emploi et de l’utilité de la grève.

Dans cet article, nous faisons un compte-rendu de la visite d’un manager de Delhaize Bruxelles, avec les questions posées par les travailleurs/euses et les réponses données par ce gestionnaire.

Quand le manager arrive, il impose immédiatement ses conditions: "Nous allons faire une réunion à l’intérieur avec tous les travailleurs qui veulent participer". Pas question! La réunion se fera dehors. Une première victoire qui montre que le rapport de force est du côté des travailleurs en grève. Ensuite, les travailleurs posent des questions et le manager prétend répon-dre. Il répète à plusieurs reprises qu’il est quand-même sympa de venir discuter. Nous présentons ici quelques questions marquantes avec des réponses frappantes, avec nos commentaires.

Delhaize fait 190 millions de bénéfices

Une travailleuse pose une question sur les bénéfices de Delhaize: "L’entreprise fait des centaines de millions de bénéfices, pourriez-vous expliquer pourquoi il faut alors faire des coupes sur le dos des petits travailleurs?"

La réponse parle surtout de Colruyt et de… Albert Heijn! Cette dernière entre-prise serait en train de s’implémenter en

Belgique et pratique des prix beaucoup plus bas que Delhaize. La restructuration est donc une mesure clairvoyante qui s’adapte déjà à une future implantation de ce nouveau magasin…

Albert Heijn va donc conquérir la Belgique? Ça sent fort le foutage de gueule! Delhaize fait bel et bien des bénéfices. Une réponse plus honnête serait selon nous: "Delhaize fait des bénéfices mais veut en faire encore plus pour satisfaire les actionnaires. Et ce sont les travailleurs qui en payeront le prix".

Le choix de l’été n’est pas innocent

Une autre travailleuse pose la question: "Pourquoi passez-vous à l’action en été, au moment où une bonne partie des travailleuses syndiquées seront en vacances? Pourquoi ne voulez-vous pas attendre jusqu’en septembre? Le manager: "Ce n’est jamais le bon moment. Si c’est en période de fêtes de fin d’année vous ne serez pas contentes non plus". Commentaire: comme la question le dit très clairement, la direction choisit une période de l’année où la résistance est affaiblie. Et elle se moque des travailleurs en mentionnant la période du nouvel an. Le patronat et les travailleurs savent très bien ce qu’est la force d’une grève en grande surface en décembre!

La procédure Renault pour une entreprise qui fait des bénéfices?

Encore une autre travail leuse demande: "Vous dites que ce ne sont pour l’instant que des “intentions” et que vous allez suivre la procédure Renault mais Delhaize n’est pas en faillite! Le manager: "La procédure Renault est la voie légale à suivre". Commentaire: donc tapis rouge de l’État belge pour les entreprises pour faire des licenciements collectifs? ■

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✒ par Marc Lancharro Rodriguez

Quatre mois seulement après sa fondation, Podemos a réussi à devenir la 4e force politique de l'Etat Espagnol avec un résultat de 7,97% et 1,2 millions de voix. La formation est même la 3e force politique, après le Parti Populaire (PP) et le Parti Socialiste (PSOE) et dépassant ainsi Izquierda Unida (IU), dans la communauté de Madrid avec 11,58% mais aussi en Aragon, aux Baléares, en Asturies et en Cantabria.

Ce beau succès est principalement dû à la fois à la campagne menée à travers plus de 300 "circulos", les groupes de base qui se sont répandus sur tout le territoire espagnol et au-delà avec les émigrés à Londres, Paris, Bruxelles 1, Buenos Aires… et à la capacité de communication de la figure publique la plus connue de Podemos, Pablo Iglesias, professeur de communication politique à l'université de

Madrid, présentateur d'un programme de débat politique sur internet (La Tuerka) et participant régulier de débats sur d'autres chaines. C'était une campagne très populaire, qui a atteint les petits villages et tous les quartiers, financée exclusivement par les dons des participant.e.s et qui a coûté au total 150.000 €.

Toutes les formations de gauche (ce qui exclut le PSOE que nous considérons comme un parti de la Troïka) totalisent 26% des voix. C'est le plus important score de l'histoire. Parmi ces formations, Podemos est aujourd'hui devenu un acteur majeur de la politique espagnole. Son apparition soudaine est un vrai tsunami qui a su gagner en force grâce aux vagues du mouvement des Indigné.e.s et des "mareas", les mouvements contre les privatisations, de la santé et de l’éducation principalement. Malgré cela, pendant la soirée électorale, Pablo Iglesia était le seul leader à déclarer que "nous n'avons pas

gagné, nous voulions gagner mais nous n'avons pas réussi parce que, demain, il y aura encore six millions de chômeurs en Espagne, des familles expulsées de leur logement et la "caste" toujours bien en place (...) mais nous allons être vigilants, nous ne voulons pas être un parti marginal, nous voulons gagner et expulser la caste!" Mais la rage des médias mainstream ne s'est pas fait attendre et, dès le lendemain, Podemos était qualifié sur un ton méprisant de formation "d'extrême gauche", de "parti qui veut imposer le régime vénézuélien en Espagne", de "parti de freakys", de "populistes sans programme" et sa tête de liste était traitée de tous les noms.

L'effondrement du bipartisme en Espagne est possible!

Ces élections ont aussi démontré que l'effondrement du bipartisme classique en Espagne est possible. Pour la première fois, le PP et le PSOE n'atteignent ensemble que 50% des voix (contre 80% aux dernières élections européennes) en accusant une perte de plus de cinq millions de votes. Le lendemain des élections, le secrétaire général du PSOE a démissionné, promettant un Congrès extraordinaire. Quelques heures plus tard, c'était au tour du secrétaire du PSOE au Pays basque, qui demandait des élections primaires, tout comme la moitié de la direction du parti en Castilla y la Mancha. Il y a même eu des appels à viser un gouvernement de coalition nationale PP-PSOE pour les prochaines élections. La crise du PSOE est telle que des déclarations contradictoires se sont succédées pendant plusieurs jours.

Au lendemain des élections, le manque de légitimité du gouvernement espagnol était lui aussi tout de suite évident. Mais, du côté du PP, il n'y a eu aucune réaction immédiate. Il a fallu attendre une semaine pour que le roi d'Espagne annonce son abdication au profit de son fils, le prince Felipe. Le soir même de l'annonce de l'abdication, des dizaines de milliers de personnes sont spontanément descendues dans les rues pour revendiquer un référendum sur la monarchie... Il n'en

Crise d'Etat au royaume d'Espagne

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faut pas plus pour démontrer la profondeur de la crise d'Etat que traverse l'Espagne. Evidemment, les télés n'ont presque rien dit sur ces mobilisations républicaines inédites depuis plus de 80 ans. Et le PSOE continue à s'enfoncer dans un puits sans fin avec la déclaration de son leader, le lendemain de l'annonce de l'abdication: "Nous sommes à la base républicains mais nous avons un compromis avec la monarchie". La proclamation du nouveau roi, Felipe VI, devrait donc être accompagnée de grandes mobilisations populaires contre la monarchie et la revendication d'un referendum.

Nous voulons tout! Les élites politiques en Espagne

sont pressées. Elles savent que, après ces élections européennes et l'effondrement du bipartisme, le régime issu de 1978 n'est plus stable politiquement. Pour stopper au plus vite l'hémorragie, le PP va sûrement vouloir avancer les élections générales prévues dans deux ans pour les coupler aux élections communales et régionales de l'an prochain. Mais, si les mauvais résultats du PP et du PSOE se confirment aux prochaines élections, les forces de gauche républicaine et indépendantistes de gauche auront la possibilité d’être majoritaires. Dans ce cas, l'instauration du nouveau roi risque d'être compromise puisque le Parlement espagnol doit rassembler une majorité absolue pour y parvenir. C'est pour ça qu'ils veulent avoir tout arrangé en une quinzaine de jours. D'autant plus que, le 9 novembre prochain, la Catalogne va voter sur son indépendance, ce qui va provoquera sans doute encore une nouvelle crise.

Dans l'Etat espagnol, une crise d'Etat majeure vient de s'ouvrir. C'est un de ces moments particuliers où la mobilisation populaire peut tout faire basculer. Le gouvernement du PP n'a aucune autre échappatoire que la fuite en avant pour résister au mieux aux vagues de mobilisations et attendre que les choses se calment jusqu'aux élections de l'an prochain pour pas perdre encore des millions de voix. La campagne a donc déjà commencé. Mais, pour nous, l'enjeu n'est pas seulement électoral. Nous voulons tout: la république, l'indépendance de la Catalogne et le début d'un vrai processus constituant qui nous permette de devenir de vrais citoyen.ne.s et pas de simples sujets dans un pays libéré de la monarchie, du fascisme et de la Troika. ■

(1) www.facebook.com/pages/Podemos-Belgica

Vague brune aux européennes ✒ par Céline Caudron

Parmi les résultats marquants des élections européennes, il y en a qui font froid dans le dos. Si on pouvait s'y attendre dans une certaine mesure, l'ampleur de la vague brune qui déferle dans plusieurs pays est impressionnante. C'est d'autant plus inquiétant que les idées puantes de l'extrême droite contaminent allègrement des partis dits politiquement corrects qui défendent des politiques sécuritaires, l'"immigration choisie" ou encore les valeurs sexistes et hétérocentristes. Les antifascistes sont désormais on ne peut plus clairement face à une responsabilité d'ampleur: coordonner les résistances au niveau européen pour barrer la route aux fachos.

Pour la première fois, en France, en Grande Bretagne et au Danemark, des partis d'extrême droite se hissent sur la première marche du podium avec 25% et 24 sièges pour le FN Français (contre 6% et 3 sièges en 2009); 26,6% et 4 sièges pour le Folkeparti danois (contre 14,8% et 2 sièges en 2009) et 26,7% et 24 sièges pour l'Ukip anglais (contre 16% et 13 sièges en 2009).

Dans d'autres pays, les résultats de l'extrême droite progressent ou se maintiennent. C'est le cas en Autriche, où le FPÖ est deuxième avec 20% et 4 sièges (soit 7 points et 2 sièges de plus qu'en 2009). En Hongrie, le parti xénophobe Jobbik, l'Alliance des Jeunes de Droite-Mouvement pour une meilleure Hongrie, maintien son résultat de 2009 avec 14,68% et 3 sièges mais se classe désormais deuxième. Le PVV hollandais perd quant à lui 4 points avec 13% mais garde ses 4 sièges. En Finlande, Les Vrais Finlandais, donnés en tête dans les sondages, ne sont que troisièmes mais récoltent tout de même près de 13% et un 2e siège.

Ailleurs, heureusement, les résultats sont moins "bons" que prévu – tout est relatif! – comme en Grèce, en Italie et en Belgique, avec les néonazis d'Aube Dorée en-dessous de 10% (9,3% et trois sièges); 6% et 5 sièges (soit 3 points et 4 sièges de moins) pour la Lega Nord et 5 points de

moins pour le Vlaams Belang avec 4,3% et un siège.

Si elle s'accorde sur certains points cruciaux–comme le chauvinisme, le racisme ou encore l'anti-communisme – l'extrême droite européenne reste contrastée, allant des partis ouvertement néonazis jusqu'aux formations les mieux adaptées aux démocraties parlementaires bourgeoises. Les convergences et diver-gences apparaissent mieux tandis que le FN français, fort de ses 24 députés, peine à rassembler le quorum de sept pays pour constituer un groupe parlementaire qui permettrait de peser davantage dans le cénacle européen et, surtout, de récolter des moyens considérables de l'ordre de deux à trois millions d'euros par an.

Comment comprendre ces résultats?

Réduire le vote d'extrême droite à un repli identitaire et nationaliste en réaction aux mesures d'austérité ne suffit évidemment pas. Si on peut constater une meilleure progression de l'extrême droite par rapport à la gauche radicale dans plusieurs pays depuis 2009, là où les populations souffrent le plus de la Troïka, l'extrême droite ne perce pas – comme au Portugal ou dans l'Etat espagnol – voire perd des plumes comme en Italie. Au contraire, en Grèce et dans l'Etat espagnol, c'est la gauche anti-austéritaire qui l'emporte brillamment avec les bons scores de Syriza et Podemos.

Si, bien sûr, la gauche doit occuper le terrain des luttes sociales anti-austérité en défendant un plan de mesures d'urgence sociale, ce n'est pas la solution toute faite pour enrayer la montée en puissance de l'extrême droite qui, avec des recettes faciles et simplistes, largement relayées par les médias comme c'était le cas en France, bénéficie du désespoir et/ou de la colère de celles et ceux qui sont broyé.e.s par le capitalisme sans pouvoir envisager d'autre voie de sortie. Il est tout aussi crucial de gagner la bataille des idées, en défendant ouvertement une alternative politique à plus log terme, crédible, solidaire et démocratique, tout en

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combattant fermement, dès maintenant et en tant que tel, le danger que représentent les partis d'extrême droite et l'idéologie qu'ils propagent.

Cela signifie concrètement que les enjeux qui se cristallisent actuellement autour des politiques migratoires et des offensives réactionnaires contre les droits des femmes et des LGBT+, par exemple, ne peuvent pas passer au second plan par rapport aux violentes attaques contre nos droits économiques et sociaux. Le féminisme, l'antiracisme, la défense des droits LGBT+ et des libertés démocratiques doivent systématiquement se retrouver au cœur de nos combats, y compris à travers les mesures d'urgence sociale qui s'imposent dans l'immédiat.

L’internationalisme comme fer de lance

La bataille des idées doit aussi se gagner en clarifiant les termes ambi-gus et discréditants qui cataloguent indistinctement sous la même étiquette d'eurosceptiques des formations de gauche radicale et d'extrême droite. A nous de démontrer à la fois que les projets de société que nous défendons sont diamé-tralement opposés mais aussi que ce terme tant décrié ne correspond pas toujours à la définition péjorative qu'en donnent leurs initiateurs, les partis traditionnels et les médias mainstream qui cherchent à défendre le système qu'ils entretiennent.

"L ' eur oscep t i c i sme" ne r ime pas systématiquement avec le repli nationaliste, identitaire, égoïste et chauvin que prône l'extrême droite. La construction européenne, depuis le début, n'est en rien le beau projet solidaire qu'elle prétend être. C'est une Europe du fric qui défend les intérêts des plus riches au détriment de nos vies et de notre planète. Mais le rejet de cette Europe doit aller de pair avec le renforcement des convergences entre les mouvements sociaux de tous les pays pour défendre et faire avancer nos droits ensemble, du nord au sud du continent et même au-delà. Le seul euroscepticisme viable est celui de la solidarité internationale, qui vise à construire une autre Europe, par en-bas, une Europe solidaire, démocratique, féministe et écosocialiste. Plus que jamais, face à la Troïka, face aux fachos, cet internationalisme doit être notre fer de lance. ■

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ineLe nationalisme, la meilleure

arme des classes dominantes ✒ par Ilia Boudraïtskis, traduit du russe par Pauline Stockman et Benoît Van Gaver. Titre et intertitre de la rédaction.

L e s r é s u l t a t s d e s é l e c t i o n s présidentielles ukrainiennes du 25 mai étaient extrêmement prévisibles: le milliardaire et éminent représentant de la vieille élite politique Piotr Porochenko a été élu sur un score triomphal de 53,4 %. Toutefois, si cette victoire était prévisible, elle ne représente que la face cachée du caractère totalement imprévisible, lui, de la crise politique et sociale dans laquelle l’Ukraine moderne s’embourbe chaque jour un peu plus. La campagne électorale de Porochenko s’apparentait davantage à une invitation à un référendum qu’à des élections démocratiques alternatives: tous les grands médias, ou presque, ont répété inlassablement que si le président n’était pas élu avec une avance écrasante au premier tour des élections, le pays pourrait ne pas avoir d’autre chance de se doter d’un pouvoir légitime pour se défendre face à la menace extérieure.

En soi, le profil de Piotr Porochenko – oligarque et conformiste – est un concentré de tout ce contre quoi le mouvement Maïdan s’était insurgé. Vitali Klitschko, nouveau maire de Kiev élu au même moment que Porochenko et qui a bénéficié de son soutien, a déclaré juste après sa victoire qu’il fallait démonter les barricades érigées sur la place Maïdan. Toutes les revendications d’ordre intérieur soulevées par le mouvement – épuration radicale de la police et de l’appareil d’État, lutte contre la corruption, retrait du pouvoir politique direct des mains du grand capital  – ont purement et simplement été oubliées.

Jamais dans l’histoire contemporaine de l’Ukraine le monde des affaires n’avait été aussi directement impliqué dans la gestion du pays

Aujourd’hui, presque tous les ind iv idus f igurant dans la l i s t e ukrainienne de Forbes exercent non seulement une influence politique, mais

occupent aussi des postes très haut placés du pouvoir exécutif. Cette dictature du grand capital, qui a abouti dans le courant de la dernière décennie  – sur les instructions du FMI, cela va sans dire – aux réformes antisociales les plus virulentes, ne doit son existence qu’à la mobilisation de la nation face à la menace extérieure, qu’elle soit avérée ou imaginaire. La fulgurante mutation oligarchique du Maïdan ukrainien est un parfait exemple des dangers extrêmes qui peuvent naître des actions entreprises par le nationalisme en tant qu’idéologie. Ce danger ne réside pas seulement dans l’ascension des groupes d’extrême droite; les 2% qu’ont pu récolter ensemble les deux candidats nationalistes aux élections ukrainiennes, Oleg Tiagnibok et Dmitri Iaroch, donnent d’ailleurs une idée de leur influence réelle sur la société ukrainienne. Le principal résultat du nationalisme en Ukraine aujourd’hui, c’est cette spectaculaire disposition, qu’elle soit passive ou active, à se regrouper autour de l’élite.

La véri table guerre civi le qui frappe le sud-est du pays, l'"opération antiterroriste" criminelle menée par le gouvernement de Kiev à Donetsk qui a déjà fait des dizaines de victimes parmi la population, le règlement de comptes sanglant du 2 mai à Odessa, les affrontements violents des partisans de la "fédéralisation" et de "l'Ukraine unie" dans les villes; tout cela n'a eu pour effet que de faire naître de nouvelles frontières trompeuses entre "eux" et "nous", utiles aux seules élites. La victoire triomphale de Porochenko est à cet égard le reflet de la cote de popularité de Vladimir Poutine qui, d’après les derniers sondages, est soutenu par 83% des citoyens russes.

Il faut reconnaître que jamais aupara-vant dans l’histoire post-soviétique, les individus n’avaient été soumis à une telle manipulation venue d’en haut. Jamais ils n’ont été à tel point privés d’initiative et de la capacité à percevoir leur propre position de dominés. Le nationalisme, unissant les citoyens autour de "leur" gouvernement, est l’outil le plus fort et le plus efficace des

classes dominantes. Celles-ci y recourent donc régulièrement en période de crise. Ainsi, alors que l’Ukraine est en proie à une catastrophe économique et que la Russie entre sérieusement en période de stagnation, les questions relatives à la chute du niveau de vie et à la croissance du chômage semblent définitivement effa-cées de l’ordre du jour.

Dans cette situation dramatique, la gauche radicale ne doit pas se concentrer sur la recherche du "moindre mal" ou d’éléments auxquels elle apporterait un "soutien critique". Si le gouvernement ukrainien est aujourd’hui entièrement dépendant des impérialismes européens et américains, les rebelles au sud-est de l’Ukraine, quant à eux, dépendent politiquement et militairement de Moscou. Dans cette guerre, les vraies victimes sont les simples citoyens qui souffrent et meurent dans ce conflit d’intérêts opposant les classes dirigeantes.

Nos exigences communes, partagées par les socialistes russes et ukrainiens, doivent être les suivantes: que le gouverne-ment de Kiev cesse immédiatement l’"opération antiterroriste" dans le sud-est  du pays et que la Russie mette fin à toute escalade dans ce conflit. ■

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✒ par Henri Wilno

Depuis le 8 juillet 2013, l’Union euro-péenne et les États-Unis ont entamé des négociations en vue de conclure un accord commercial bilatéral, le traité transatlan-tique de commerce et d’investissement (appelé aussi TTIP). Ce traité serait un des accords de libre-échange et de libéralisa-tion de l’investissement les plus importants jamais conclus, représentant la moitié du PIB mondial et le tiers des échanges commerciaux. Au-delà des douanes, il con-cernera les normes de qualité des produits, les services publics et l’environnement. Il correspond à une étape supplémentaire dans la soumission de la politique des États aux intérêts capitalistes.

Les discussions entre négociateurs américains et européens visent à satis-faire le mieux possible les intérêts des capitalistes des deux rives de l’Atlantique. Pour nous, s’opposer au traité, ce n’est pas du protectionnisme, une défense de la "bonne Europe" contre les "méchants Américains". D’ailleurs, des syndicalistes américains dénoncent aussi le fait que les négociateurs ne se soucient que des inté-rêts du "business".

Ces négociations se déroulent dans le secret: les mauvais coups se préparent mieux dans l’ombre. D’après les infor-mations les plus récentes, le texte ne sera rendu public qu’une fois signé. Dans ces conditions, son adoption définitive par les parlements européens et nationaux

se fera à la va vite. Il faut donc jeter le maximum de lumière sur ce projet, pour pouvoir le renvoyer aux oubliettes. C’est ce que la mobilisation a réussi à faire en 1998 pour l’AMI (accord multinational sur l’investissement). C’est ce qui est encore à l’ordre du jour.

Les enjeux de la négociationCelle-ci porte sur les droits de

douanes mais, aussi et surtout, sur les normes... Les droits de douane portant sur les produits industriels sont en moyenne faibles même si des disparités sectorielles existent: les droits pesant sur le matériel de transport (dont l’automobile) sont en moyenne plus élevés en Europe qu’aux USA. Pour ce qui est de l’agriculture, les droits de douane européens sont bien supérieurs pour la viande, les produits laitiers, la minoterie, les sucres et sucreries. Et on sait que le dossier agricole n’est pas purement économique, mais social et

environnemental.Mais l’enjeu essentiel de l’accord

transatlantique concerne les normes. Ces normes sont juridiques, culturelles, finan-cières, environnementales, sanitaires... En schématisant, on peut dire qu’elles fixent les caractéristiques des produits et les conditions de leur mise en vente. Elles correspondent d’une certaine façon à des choix de modes de vie. Il ne s’agit pas de les idéaliser car les lobbys patronaux ont toujours pesé dans leur définition. Elles sont essentielles car, même avec des droits de douane abaissés, il n’y a aucune possi-bilité de créer un "grand marché intérieur" entre les États-Unis et l’UE sans que ces normes soient standardisées.

Derrière les normes...Elles concernent de nombreux

domaines. Quelques exemples:• Pour ce qui est de l’alimentation,

le bœuf aux hormones, les poulets lavés avec des solutions chlorées sont autorisés aux États-Unis mais interdits en Europe. Qui s’alignera sur l’autre? Et même s’il y a "compromis", pourquoi reculer sur la qualité, les risques pour la santé? Par ailleurs, les USA ne connaissent pas les "indications géographiques protégées". Ils considèrent les appellations "bourgogne" ou "champagne" comme des noms généri-ques dont l’usage commercial doit être libre... Bonjour, la traçabilité des produits.

• Les organismes génétiquement modifiés. Aux États-Unis, la liste des OGM autorisés à la culture, à l’élevage et à la consommation animale et humaine est beaucoup plus large que dans l’Union européenne. Il existe des risques importants d’affaiblissement des procédures d’autorisation des OGM importés en Europe. Ces risques pèsent également sur les variétés autorisées à la culture sur le sol européen et sur les interdictions pures et simples des cultures d’OGM émises par certains États membres, dont la France. Tous ces risques sont d’autant plus importants que les industries de biotechnologie américaines

Mettre en échec le traité transatlantique de commerce et d’investissement"La diplomatie secrète est un outil nécessaire pour la minorité possédante qui est obligée de tromper la majorité afin de la soumettre à ses intérêts." (Léon Trotski)

A lire Guide de navigation pour affronter

le grand marché transatlantique Disponible sur: france.attac.org/nos-publications/brochures/articles/guide-de-navigation-pour-affronter-le-grand-marche-transatlantique

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en ont fait clairement leur objectif dans les négociations. Enfin, les lobbys industriels comptent affaiblir l’obligation européenne d’étiqueter tout produit OGM (mais également annihiler les progrès réalisés localement en la matière aux USA).

• Les services publics sont directement visés: "L’accord concernera les monopoles publics, les entreprises publiques et les entreprises à droits spécifiques ou exclu-sifs". L’accord vise ainsi "l’ouverture des marchés publics à tous les niveaux admi-nistratifs, national, régional et local". Et il devra lutter contre l’impact négatif de bar-rières comme les "critères de localisation". Impossible de promouvoir par exemple les circuits courts dans la fourniture des collectivités locales. L’enseignement et la santé? Ce sont de grands marchés à étendre, dans un contexte dominé aux États-Unis par la puissance des hôpitaux et de l’enseignement privés à but lucratif.

• Assurances et mutuelles. La con-frontation et la concurrence agressive avec le secteur des assurances des États-Unis seraient périlleuses pour les mutuelles et les contrats où la tarification ne dépend pas de l’état de santé.

• L’environnement. Qu’en sera-t-il de l’avenir des réglementations plus ou moins restrictives selon les pays européens sur l’extraction de gaz de schiste, autorisée aux États-Unis? Même question à propos des normes plus contraignante en Europe en matière de limitation de la production automobile.

• Les finances et investissement. La mise en place de réglementations européennes spécifiques pour encadrer la finance sera encore plus difficile alors que, jour après jour, des scandales illustrent les turpitudes des banques.

En matière d’investissement, le mandat donné aux négociateurs européens vise à atteindre le "plus haut niveau de libéralisation existant dans les accords de libre-échange"...

• En matière culturelle, le gouverne-ment français s’est vanté d’avoir préservé la fameuse "exception culturelle", qui permet de subventionner en partie la créa-tion artistique, audiovisuelle notamment. Mais, dans le cadre des marchandages globaux, on verra ce qu’il en subsistera exactement.

Un tribunal aux pouvoirs exorbitants

Pour imposer ses règles, l’accord transatlantique prévoit, comme d’autres accords déjà conclus par les États-Unis, et même l’accord UE-Canada pas encore ratifié, un tribunal dit "de règlement des différends" entre acteurs économiques privés et gouvernements. Ce mécanisme permettrait à des arbitres décidant indépendamment des jur idic t ions nationales de condamner des États à la demande des transnationales, au prétexte que les normes représenteraient des entraves aux investissements étrangers. Des entreprises pourraient ainsi porter plainte contre un État qui aurait fait évoluer sa législation, réduisant certains avantages concédés aux investisseurs.

Exemples théoriques (pour l’instant): un géant de l’énergie pourrait contester un moratoire sur l’extraction de gaz de schiste ou bien une réglementation sanitaire (limitation de la teneur en sucres) d’une boisson pourrait aussi être contestée...■

Diplomatie secrète versus contrôle de la population ✒ par Gaston Lefranc

La Commission européenne théorise la nécessité du secret dans les négociations commerciales. Dans son Guide pour la transparence dans la politique commer-ciale, elle dit: "Pour que des négociations commerciales fonctionnent et réussissent, un certain niveau de confidentialité est nécessaire, sinon ce serait comme montrer ses propres cartes à l’autre joueur dans un jeu". Les textes discutés doivent être secrets "pour protéger les intérêts de l’UE" et pour garantir un "climat de confiance". Les capitalistes doivent ainsi pouvoir s’arranger entre eux sans que les peuples aient leur mot à dire. Dans un courrier du 25 mars dernier, la vice-ministre polonaise de l’Économie va jusqu’à écrire: "En accord avec les pratiques de l’Union euro-péenne, le texte du traité sera rendu public seulement au dernier stade de la négocia-tion, après que le document ait été signé par les deux parties".

WikiLeaks a percé le mur des secrets bien gardés de la bourgeoisie, s’attirant les foudres des gouvernements "démocra-tiques". Bien avant cette association, après la révolution russe, le gouvernement révolutionnaire avait rompu immédiate-ment avec les méthodes de la bourgeoisie. Ainsi, le décret sur la paix de 1917 abolis-sait la diplomatie secrète, et Trotski (alors commissaire du peuple aux affaires étrangères) avait rendu public les traités secrets entre grandes puissances. L’opacité des discussions entre bourgeoisies est consubstantielle au capitalisme. Nous ne pourrons y mettre fin qu’en construisant une société fondée sur le contrôle de la majorité de la population (les travailleurs) sur son propre destin. ■

Extrait d’un dossier réalisé par le groupe de travail économique du NPA et publié dans l’hebdo L’Anticapitaliste - 236 (03/04/2014).

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✒ par Marianne De Troyer

Chargée de recherche à l'Institut syndical européen en santé et en sécurité au travail (ETUI), Marianne De Troyer était l'une de nos invitées lors des dernières rencontres anticapitalistes de printemps or ganisées en mars 2014 par la Formation Léon Lesoil, où elle participait à un atelier sur la dégradation des conditions de travail. Nous publions dans ce nu méro une étude qu'elle a publiée dans la revue HesaMag (1er semestre 2012) publiée par l'ETUI. – La rédaction

En 2010, en France, les femmes sala-riées consacraient en moyenne 24 heures par semaine aux acti vités ménagères et domestiques alors que les hommes salariés, même si c'était plus qu'avant, n'y consacraient en moyenne que 15 heures.

La nature des horaires de travail (horaires réguliers ou atypiques) pratiqués par les travailleuses est-elle un déterminant de la répartition des temps professionnels et des temps familiaux? L'examen de cette ques tion au travers de diverses professions exercées par des femmes et mères de jeunes en fants, montre que l'équilibre entre la sphère du travail rémunéré et la sphère domestique et familiale n'est jamais un long fleuve tranquille quel que soit l'horaire de travail considéré.

Communes à toutes ces études, les stratégies développées par les travailleuses pour faire face aux contraintes profes-sionnelles et familiales ont cependant des conséquences sur leur santé, leur car-rière pro fessionnelle et leurs décisions en matière de départ à la préretraite, comme l'illustrent différentes re cherches.

Les enseignantesEn France, l'organisation spatio-

temporelle des enseignantes dans l'enseignement secondaire est mar quée par la coexistence de temps de travail au sein de l'école et au domicile (préparation des cours, correc tion des copies, suivi des élèves, etc.). Cette flexibilité est appréciée

par les mères de jeunes enfants car elle permettrait une organisation plus facile des sphères professionnelles et privées. Cependant, l'analyse des carnets d'emploi du temps de ces travailleuses montre que leur vie profes sionnelle se prolonge bien souvent sur les six ou sept jours de la semaine. On y découvre aussi l'en-chevêtrement des activités professionnelles et familiales: conduire son enfant à une activité, l'y at tendre et travailler dans la voiture pendant cet inter mède. Ainsi, la flexibilité que permet cette profession est utilisée par les enseignantes pour mettre en place des stratégies qui évitent de perturber la vie des enfants et du conjoint. Le travail "hors établissement sco laire" est structuré d'abord par les contraintes familiales et domestiques.

Ces contraintes entravent également leur carrière professionnelle: l'hypothèse d'une progression ou d'une reconversion professionnelle est différée dans le temps ou sera réalisée par étapes successives, vers le mo ment où "les enfants seront autonomes et où les charges familiales auxquelles elles sont assignées dimi nueront". Ces stratégies temporelles sont exclusivement féminines ; on ne les constate pas chez les ensei gnants masculins, pères de jeunes enfants et vivant en couple. Ces derniers ont passé les concours pour devenir agrégés ou chefs d'établissements et concèdent volontiers avoir bé néficié de la prise en charge ex clusive des activités domestiques et familiales par leur conjointe, car ces concours demandent un investissement important.

Une étude réalisée auprès des ensei-gnantes en école maternelle qui ont demandé l'accès à la prére traite évoque également les difficultés à équilibrer les temps professionnels et les temps sociaux. Ces difficultés s'insèrent dans des exigences professionnelles différentes de celles des enseignantes du se condaire. La charge de travail à l'école maternelle déborde dans la vie personnelle des enseignantes et génère

parfois une confusion des rôles, qui est vécue comme une source d'insatisfaction. Deux rôles se combinent et se renforcent mutuellement: le rôle d'une femme dans le couple et la famille et la simi litude entre le rôle d'une mère et d'une enseignante à l'école maternelle. Les entretiens mettent en évi dence que certains enfants ont des demandes affectives équivalentes à celles de leurs propres en fants. Ceci induit, chez les enseignantes, le sentiment qu'elles ne pourront jamais s'évader de leur fonction et donc, de leur activité de travail: "Vous y pensez tout le temps, même le week-end et en vacances".

Elles expliquent aussi les effets sur leur santé qu'elles ont ressentis après coup, notamment une immense fatigue (physique et mentale)

"A l'âge de 30 ans, il m'était difficile de faire face aux exigences de mon tra-vail et de mes obligations familiales en même temps. J'ai eu plusieurs années difficiles avec mes trois filles… En périodes scolaires, je me demandais toujours: ‘Comment vais-je tenir le coup jusqu'aux prochaines va cances?’ Je pense que la fatigue que j'ai ressentie vers 45 ans était due à cette période où je me sentais vraiment brisée."

La cinquantaine at te inte , ces enseignantes perçoivent qu'elles paient le prix d'avoir travaillé tout en assu-mant pendant de nombreuses années les responsabilités familiales (grossesses, gestion et éducation de leurs propres enfants, entretien de la maison et, parfois, soins à des parents âgés) sans s'être accordées du temps pour elles-mêmes. Les conditions stressantes de l'articulation de leurs vies professionnelle et fami liale, les difficultés inhérentes à la profession, la fatigue récurrente en fin de carrière ne sont pas perceptibles par des tiers, même au sein de la sphère familiale. Pourtant ces facteurs jouent un rôle non négligeable dans leurs décisions en matière de départ anticipé à la retraite.

Aux femmes, la majeure partie des tâches familiales et les horaires atypiques…

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Il ressort également des entretiens que l'implication des enseignants masculins dans la garde leurs jeunes enfants est différente de celle des enseignantes. Ainsi, en dehors des heures de contact en face à face avec les élèves, les enseignants masculins restent à l'école plus longtemps pour corriger les travaux des élèves et préparer leurs leçons alors que les enseignantes utilisent leurs soirées et leurs week-ends à la maison pour préparer leurs leçons et corriger les travaux des élèves quand leurs enfants sont endormis.

Les téléphonistesLa conciliation vie professionnelle

et vie familiale se révèle plus complexe encore lorsque les horaires de travail sont atypiques (travail de nuit, travail à pause, etc.), varient régulièrement ou – à fortiori – sont imprévisibles.

Ainsi, une étude menée à la demande de la Fédération des Travailleurs et Tra-vailleuses du Québec (FTQ) auprès de 30 téléphonistes, mères de jeunes enfants travaillant en horaire variable et imprévis-ible, a analysé les stratégies déployées par ces travailleuses pour maintenir une disponibilité à la fois pour l'employeur et leurs enfants.

La variabilité horaire de ces télé-phonistes est très contraignante: une travailleuse peut commencer à 8h le lundi, 16h le mardi et 6h le mercredi et les jours de congé hebdomadaires varient autant. Elle reçoit cet horaire trois jours avant son début et elle se trouve donc contrainte à assurer la garde de son enfant dans de très brefs délais.

Organiser la routine des membres de la famille (organisation des repas, des rendez-vous médicaux, des loisirs des enfants, des obligations scolaires, contraintes horaires des conjoints) s'avère d'autant plus difficile que ces téléphonistes ne peuvent donner ou recevoir des appels téléphoniques privés durant leur temps de travail!

De multiples stratégies sont mises en œuvre par ces travailleuses en vue de remplir leurs obligations professionnelles et familiales: faire des démarches pour modifier leur horaire de travail, soigner sa relation avec le supérieur hiérarchique, mettre du temps en réserve, créer un réseau de garde (qui, dans certains cas, comprend jusqu’à huit personnes), déplacer leur horaire de travail pour qu'il ne recouvre pas celui du conjoint ou prester le soir. Tout ceci leur demande du temps, de la détermination et de l'inventivité. Les

incidences sur la santé physique, psychique et mentale des travailleuses de ces interpénétrations ne sont pas négligeables.

L ' a u t e u r e m e t e n évidence une dif férence de t rai tement entre les problèmes "personnels" communs aux deux sexes: prendre des pauses, prendre un repas, etc., souvent régis par des dispositions r é g l e m e n t a i r e s o u j u r i d i q u e s ; e t l e s problèmes de la garde d e s e n fa n t s o u d e s so ins aux a înés qui s o n t d e s p r o b l è m e s relevant uniquement de la travailleuse. Au fond, l e s d i f f i cul té s liées à l'équilibre vie professionnelle-vie familiale apparaissent comme des problèmes i n d i v i d u e l s a l o r s q u ' e l l e s d é c o u l e n t d i r e c t e m e n t d e s conditions de travail. ■

A consulter Faute de place, nous avons dû réduire

la longueur de cet article qui comprend un

dernier chapitre consacré aux infirmières.

Cette partie peut être consultée à l'adresse

suivante: www.etui.org/fr/content/

download/6199/59325/file/HESAmag_05_

FR_p22-24.pdfLe numéro 5 de HesaMag, dont est

issu cet article, est consacré au temps

de travail (la durée du temps de travail,

l'intensification du rythme de travail, le

travail de nuit et celui sur les plates-formes

de forage pétrolier en mer du Nord, la flexi-

bilité du temps de travail chez les cadres).

Le HesaMag  est envoyé gratuitement

par la poste à raison d'un exemplaire par

abonné. ETUI, Blvd. du Roi Albert II #5, 1210

Bruxelles. www.etui.org – [email protected]

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✒ par Guy Van Sinoy

Depuis le mois de mai 2014, dossiers de presse, émissions spéciales de télé et commémoration diverses se succèdent pour évoquer le 100e anniversaire du déclenchement de la Première Guerre Mondiale. Et cela ne fait que commencer! Il y a gros à parier que la plupart de ces manifestations seront organisées dans un esprit patriotard et chauvin. Les émissions diffusées sur les chaînes belges évoquent "la petite Belgique neutre forcée de se défendre face à la violation de sa neutralité". Nous allons, à travers ce dossier, tenter de nous dégager de ce bourbier patriotique et rappeler les véritables causes de cette guerre, les tragédies qu'elle a provoquées, les trahisons dans le camp du mouvement ouvrier et le courage de la petite minorité internationaliste qui, au sein du mouvement ouvrier, a lutté contre cette guerre impérialiste.

Le monde en 1914En 1914, l'Europe domine le monde:

économiquement, commercialement et politiquement. La Grande-Bretagne, berceau du capitalisme, est la plus grande puissance impérialiste mondiale. La Grande-Bretagne et la France do minent un immense empire colonial, essentiellement en Afrique et en Asie. L'Allemagne, qui a connu un dévelop-pement capitaliste plus tardivement, rattrape ses concurrents, mais elle dispose de peu de colonies car elle est ar rivée trop tard pour participer avec fruit au pillage colonial. Les gouvernements entretiennent un nationalisme exa cerbé renforçant le racisme qui a présidé le colonialisme. L'impérialisme allemand a besoin d'élargir son espace pour conquérir de nouveaux marchés et la guerre, qui est la continuation de la politique par d'autres moyens, semble à la bourgeoisie allemande une solution de "moindre mal". Le 1er août 1914, l'Allemagne déclare la guer re à la Rus sie. Le lendemain, elle adresse un ultimatum à la Belgique pour laisser le libre passage de ses troupes vers la France.

En 1916, Lénine décrira dans une brochure (L'impérialisme, stade suprême du capitalisme) les principaux carac-tères de l'impérialisme: concentration de la production, rôle des monopoles, rôle central du capitalisme financier, exportation de capitaux, partage du monde entre les principaux groupes capitalistes et les grandes puissances.

Voilà les véritables causes de ce premier grand conflit mondial. Evidemment, les livres d'histoire fourmillent d'anecdotes, de récits abondamment imagés et de faits soudains censés provoquer de grands cataclysmes. La conquête coloniale de l'Algérie par l'armée française aurait été la conséquence d'un coup d'éventail du Dey d'Alger sur le Consul de France. De même la Première Guerre Mondiale aurait résulté de l'assassinat de l'héritier du trône de l'Empire austro-hongrois, François-Ferdinand, par un nationaliste serbe à Sarajevo. Raisonner de la sorte, c'est confondre l'étincelle avec l'explosion. L'étincelle a certes eu lieu, mais elle n'a pu provoquer une explosion destruc trice que parce que des matériaux hautement explosifs avaient été accumulés en grande quantité. Et ces maté riaux explosifs, ce sont les contradictions du capitalisme qui s'est développé de façon anarchique.

Le mouvement ouvrier en 1914Berceau du capitalisme, l'Europe a

par conséquent été le berceau du mouve-ment ouvrier. Là où les usines sortent de terre et concentrent des masses d'ouvriers surexploités, la résistance s'organise malgré la répression et les grands partis ouvriers apparaissent en Europe de l'Ouest à la fin du XIXe siècle. Ces partis fondent la Deuxième Internationale en 1899 (la Première Internationale a été dissoute après l'échec de la Commune de Paris). En 1911, la Deuxième Internationale, appelée Internationale Ouvrière, a des sections dans plus de 20 pays et regroupe près de 3 millions de membres.

Au congrès international de Bâle en 1912 un manifeste, qui met les peuples en garde contre le danger imminent de guerre impérialiste et qui appelle les socialistes

de tous les pays à lutter énergiquement pour la paix, est adopté à l'unanimité. Ce manifeste reprend, en les atténuant, les thèses défendues par Lénine au congrès de Stuttgart de 1907 et qui appelait à la transformation de la guerre impérialiste en lutte pour le renversement du capitalisme. Mais l'unanimité du congrès de Bâle est une façade  et masque un abîme entre d'une part l'aile opportuniste et réfor-miste qui a gangrené bon nombre de partis (Bernstein en Allemagne, Millerand en France) et l'aile révolutionnaire (Lénine en Russie, Rosa Luxemburg en Allemagne). Ainsi, le manifeste de Bâle ne cite pas la grève générale comme moyen de lutte contre la guerre car il y a désaccord sur ce point.

Le siège de l'Internationale est situé à Bruxelles, dans les locaux de la Maison du Peuple construite par Horta, près de la Place de la Chapelle. "Emile Vandervelde était le personnage le plus insignifiant du groupe dirigeant de l'Internationale. Il n'en était le président que parce qu'il avait été impossible d'élire un Allemand ou un Français"1. Une réunion du Bureau de l'Internationale socialiste se tient à Bruxelles les 29 et 30 juillet 1914. Elle ne perçoit pas l'imminence de la guerre et se contente de recommandations verbeuses: "A l'unanimité, le Bureau fait une recommandation aux prolétaires de toutes les nations intéressées, non seulement de poursuivre, mais encore d'intensifier leurs démons trations contre la guerre". Le 29 juillet au soir, au meeting contre la guerre au Cirque Royal, Jean Jaurès (France), Pablo Iglesias (PSOE) et quelques orateurs de moindre envergure prennent la parole. Rosa Luxembourg est dans la salle, mais elle ne peut prendre la parole. Le lendemain, Jaurès rentre à Paris où il se fait assassiner.

La social-démocratie allemande en 1914

En 40 ans, malgré les persécutions et les poursuites, les sociaux-démocrates alle-mands sont parvenus à organi ser la classe ouvrière dans tous les domaines, en vue de l'action politique sous toutes ses formes,

Août 1914: La grande boucherie commence…

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mais aussi sur le plan de ses revendica-tions immédiates, de l'organisation de ses loisirs, de son éducation et de sa culture. En 1914, le SPD compte plus d'un million de membres. Ses candidats aux élections législatives de 1912 ont remporté plus de 4.250.000 voix. Il compte 110 députés au Reichstag, 220 députés dans les différents Landtag et 2.886 élus municipaux. Il est à la tête d'un immense appareil: 90 jour-naux quotidiens, plus de 250 journalistes permanents, 3.000 ouvriers et employés, gérants, directeurs commerciaux, représen- tants.2 Le SPD possède certes des person-nalités brillantes (Karl Liebknecht, Franz Mehring, Clara Zetkin, Rosa Luxembourg) mais celles-ci sont relativement margin-ales dans le parti et ne pèsent pas sur les leviers du pouvoir.

Coup de tonnerre le 3 août 1914 lors de la réunion de la fraction social-démocrate; 78 députés contre 14 se pro noncent pour le vote des crédits de guerre. Le lendemain, au Reichstag, l'ensemble des députés SPD votent les crédits de guerre, y compris la minorité par discipline de parti. C'est une véritable trahison des résolutions interna-tionalistes. Lorsqu'il apprend avec stupeur et incrédulité la nouvelle du ralliement des socialistes allemands à l'Union sacrée, Lénine, qui se trouve en exil, croit d'abord à une fausse nouvelle de journalistes. De leur côté, Frie drich Ebert, président du SPD, et Otto Braun se rendent en Suisse non pas pour y rencontrer Lénine et les interna tionalistes adversaires de l'Union sacrée mais pour y mettre à l'abri la caisse-or du SPD!

La social-démocratie allemande opère un tournant à droite et passe un accord avec le patronat pour prolonger les conventions collectives durant toute la durée du conflit. Les manifestations et grèves sont interdites. La direction syndicale met toute activité oppositionnelle de côté et se range aux côté de l'État en guerre. L’argument idéologique clé de la direction du SPD pour justifier son tournant social-impérialiste, c’est la barba rie du tsa risme russe.

La capitulation des dirigeants du POB

En Belgique, la situation n'est guère meilleure. Il suffit de parcourir les premières pages du quotidien Le Peuple pour s'en rendre compte. Le mercredi 29 juillet 1914, Le Peuple titre: "Contre la Guerre! Tous au Cirque Royal!". Le mardi 4 août, il titre: "Préparons-nous à nous défendre!!". Que s'est-il passé entre-temps?

Une vague de chauvinisme balaie les capitales

Une frénésie patriotique s'empare de la population. A Paris se déroulent des manifestations spontanées au cri de "A Berlin!" A Berlin se déroulent de sem-blables cortèges au cri de "Nach Paris!". Léon Trotsky se trouve à Vienne début août 1914, en tant que citoyen de nationalité russe il va se faire expulser. Il a juste le temps de témoigner:

"L'élan patriotique des masses en Autriche-Hongrie fut, de tous, le plus inat-tendu. Qu'est-ce qui pouvait bien pousser l'ouvrier cordonnier de Vienne, Pospezil, moitié Allemand, moitié Tchèque, ou notre marchande de légumes, Frau Maresch, ou le cocher Frankl, à manifester devant le ministère de la Guerre? Une idée natio-nale? Laquelle. L'Autriche-Hongrie était la négation même de l'idée de nationalité. (…) La guerre s'emparait de tous, et, par suite, les opprimés, ceux que la vie a trom-pés, se sentent alors comme à un niveau d'égalité avec les riches et les puissants". 4

Au moment de la déclaration de guerre, Lénine se trouve en Galicie, une région située entre la Pologne et l'Ukraine. Il doit se réfugier en Suisse. A peine arrivé à Berne, il réunit le groupe bolchevik local et soumet au vote une résolution5 qui condamne fermement la trahison de la social-démocratie:

– La guerre mondiale présente toutes les caractéristiques d'une guerre impérialiste;– L'attitude des chefs du SPD, le plus fort et le plus influent parti de la IIe Internatio-nale, est une trahison pure et simple;– L'attitude des chefs sociaux-démocrates belges et français ne vaut guère mieux;– La trahison du socialisme par les chefs de la IIe Internationale signifie la faillite idéologique et politique de cette dernière;

– La social-démocratie de Russie a pour tâche essentielle et primordiale de mener un combat impitoyable contre le chauvinisme grand-russe et monarcho-tsariste, et contre les sophismes qu'invoquent pour le défendre les libéraux, les cadets, une partie des populistes et les autres partis bourgeois. Du point de vue de la classe ouvrière et des masses laborieuses des peuples de Russie, le moindre mal serait la défaite de la monarchie tsariste.

– Les mots d'ordre de la social-démocratie doivent être actuellement: vaste propagande, dans l'armée comme sur le théâtre des opérations, en faveur de la révolution socialiste et de la nécessité de tourner les armes non pas contre ses frères, les esclaves salariés des autres pays, mais contre les gouvernements et les partis réactionnaires et bourgeois de tous les pays. Nécessité absolue d'organiser des cellules et des groupes illégaux dans les armées de toutes les nations afin d'y mener cette propagande dans toutes les langues. Lutte impitoyable contre le chauvinisme et le "patriotisme" des petits bourgeois et des bourgeois de tous les pays, sans exception. ■

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lle"Le 4 août 1914, au premier matin,

comme j'étais venu aux nouvelles chez M. de Brocqueville, Ministre de la Guerre et Chef de Cabinet [comme on disait alors], l'on m'apprit que les avant-gardes allemandes venaient de passer la frontière. A ce moment, un journaliste anversois s'approcha de moi et me dit: ‘Vous allez être nommé Ministre d'État’. Je haussai, fort incrédulement les épaules, tant la nouvelle semblait peu vraisemblable, étant données les relations antérieures des socialistes avec le monde gouvernemental. Une heure après, cependant, au cours de la séance extraordinaire du Parlement, M. de Brocqueville vint à mon banc et me dit: 'Vandervelde, nous venons de vous nommer Ministre d'État. Cela ne se refuse point’. Puis, sans attendre ma réponse, il monta à la tribune et donna lecture de l'arrêté royal de nomination. Une fois la lecture terminée, des applaudissements unanimes éclatèrent. Je répondis: 'Je n'ai qu'un mot à dire, Monsieur le Président! J'accepte!'" 3

Ainsi, en une heure de temps, Vandervelde acceptait de devenir ministre d'État et de soutenir la guerre… sans même avoir eu le temps de réunir le Bureau du POB et de le consulter.

Une tuerie industrielleLe développement capitaliste permet

désormais la production massive d'armes modernes infiniment plus destructrices que celles utilisée au moment de la guerre franco-prussienne de 1870. Cette "modernisation" de la guerre bouleverse la stratégie et la tactique militaire. Considérée jusqu'alors comme l'élément offensif des forces armées, la cavalerie se révèle vulnérable face à l'artillerie, aux armes lourdes et surtout face aux mitrailleuses. Les chevaux serviront désormais à tirer les canons.

Les fusils ont une puissance et une rapidité de tir supérieures aux fusils du XIXe siècle. Les armes automatiques font leur apparition (mitrailleuse, fusil-mitrailleur), de même que les mines, les gaz de combat, les tanks, l'aviation, les sous-marins, l'artillerie lourde, les lance-flammes. La guerre de 1914 sera particulièrement meurtrière, ce qui la rend singulièrement terrifiante. Il est difficile d'imaginer aujourd’hui quel pouvait être le niveau d’horreur et le degré de torture psychologique que des millions de soldats vont subir pendant quatre ans.

La guerre et la révolution La Première Guerre Mondiale

enfantera deux révolutions en Russie, celle de Février 1917 et celle d'Octobre 1917. En Allemagne, elle aboutira à une révolution, en novembre 1918, qui mettra fin à la guerre et chassera l'empereur. Mais en 1914, ces perspectives révolutionnaires apparaissaient comme lointaines et illusoires. Car pendant des années, la boucherie impérialiste allait continuer. ■

1. Ma Vie, Léon Trotsky, Ed. NRF Gallimard, Paris, 1953, p. 293

2. Révolution en Allemagne, Pierre Broué, Ed. De Minuit, Paris, 1971, p. 25-26

3. Souvenirs d'un militant socialiste, Emile Vandervelde, Ed. Denoël, Paris, 1939, p.178

4. Ma Vie, Léon Trotsky, op. cit., p. 242-243

5. Les tâches de la social-démocratie révolutionnaire dans la guerre européenne, Lénine, Œuvres complètes, Moscou, 1960, t21, p.9

6. Histoire de la Révolution russe, Léon Trotsky, Ed. Seuil, 1967, t1. p. 53

7. Ibid. p. 55

8. Ibid. p. 56

9. Ibid. p. 58

"Le 8 novembre 1914, à huit heures du matin nous arrivâmes au terme de notre voyage par voie ferrée, en provenance de Narbonne. La gare où nous débarquâmes par une ironie du sort s'appelait Barlin. Sur les wagons de notre train, entre autres inscriptions, on lisait écrit à la craie: 'Mort à Guillaume! À Berlin!' Hélas c'était presque à Berlin que nous arrivions, à une lettre près et à un millier de kilomètres loin. Ce fut à Barlin où j'entendis pour la première fois le bruit du canon du front, je tournai la tête de ce côté, comme instinc-tivement une bête se tourne du côté où elle flaire un danger. (…)

On nous conduisit dans la salle de l'école où l'on s'endormit aussitôt sur un peu de paille humide; dans la nuit nous fûmes réveillés en sursaut par des détona-tions proches qui ébranlèrent l'école. Nous fûmes épouvantés d'entendre un tel fracas. Il n'y avait cependant pas de quoi. C'était une batterie de 75 qui, la nuit, venait près de l’école sur la place tirer quelques obus. Terrifiés, certains s'enfuirent dans la nuit noire, d'autres en rampant se faufilèrent sous les bancs et les tables empilés sur un côté de la salle. Le jour nous apparut comme une délivrance, comme la fin d'un cauchemar. Dans la matinée on nous affecta aux compagnies et nous montèrent en première ligne. (…)

Nous arrivâmes aux confins de la civilisation, à deux kilomètres les hommes étaient replongés vingt siècles en arrière au milieu de la barbarie qui régnait en ces temps reculés. L'esprit abîmé par ces pensées, j'allais retourner sur mes pas lorsque je vis arriver venant des lignes trois habitants des tranchées. Je les regar-dai avec effroi; ils étaient couverts de boue de la pointe de leurs souliers à la calotte de leur képi, comme s'ils venaient de traverser un lac de vase. Leurs mains, leur visage, moustaches, cils, cheveux étaient également couverts de boue vis-queuse. Mais voilà qui est bizarre, ces trois revenants de l'âge des cavernes me font des signes! Ils m'appellent par mon nom. Je suis stupéfait, ils me serrent les mains, m’embrassent. Alors seulement je reconnais trois camarades: Gabriel Gils, François Maizonnave et Louis Jordy. Ils étaient partis de Narbonne cinq jours à peine avant moi, et déjà ils étaient mécon-naissables! Dans un tel état!" ■

Les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914-1918, Louis Barthas, Ed. Maspero, Paris 1979, pp. 41-43

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Sur le front russe

"La participation de la Russie à la guerre comportait des contradictions dans les motifs et dans les buts. La lutte sang-lante avait pour objet une domination mondiale. En ce sens, elle dépassait les possibilités de la Russie. (…) En même temps, la Russie, en qualité de grande puissance, ne pouvait s'abstenir de parti-ciper à la mêlée des pays capitalistes plus avancés. (…) L'Inde, en fait et dans la forme, a participé à la guerre en tant que colonie de l'Angleterre. Son intervention était en réalité l'intervention d'un esclave dans une rixe entre maîtres. La partici-pation de la Russie à la guerre avait un caractère mal défini, intermédiaire entre la participation de la France et celle de l'Inde. La Russie payait ainsi le droit d'être l'alliée de pays avancés, d'importer des capitaux et d'en verser les intérêts, c'est-à-dire, en somme, le droit d'être une colonie privilégiée de ses alliés; mais en même temps, elle acquérait le droit d'opprimer la Turquie, la Perse, la Galicie, et en général les pays plus faibles, plus arriérés qu'elle-même. L'impérialisme équivoque de la bourgeoisie russe avait, au fond, le caractère d'une agence au service de plus grandes puissances mondiales." 6

"Dans la mythologie nationaliste, l'armée russe était réputée invincible. En réalité, cette armée ne constituait pas une force sérieuse contre une armée moderne. (…) La demi-abolition du servage et l'institution du service militaire obligatoire

modernisèrent l'armée russe tout autant que le pays – autrement dit, introduisi-rent dans l'armée tous les antagonismes d'une nation qui avait encore à faire sa révolution bourgeoise. (...) Dans le corps des officiers se manifestaient l'ignorance crasse, la paresse et la fourberie des classes dominantes. L'industrie et les transports se montraient incapables de faire face aux exigences concentrées du temps de guerre. Au premier jour des hostilités, les troupes se trouvèrent bientôt dépourvues non seulement d'armes, mais même de bottes. A l'égard des fournitures de guerre et des finances, la Russie se trouva du premier coup dans une dépendance servile devant ses alliés". 7

La seule chose à laquelle les généraux russes s'entendaient largement, c'était de se procurer de la chair à canon dans le pays. On économisa beaucoup plus sur le bœuf et le porc. (...) Environ 16 millions d'hommes furent mobilisés. Si pour le front, cette masse humaine fut une valeur illusoire, elle fut, à l'arrière, un facteur très actif de désarroi. Il y eut environ 5.500.000 victimes, morts, blessés et prisonniers. Le nombre des déserteurs augmenta. (...)" 8

"Les éléments révolutionnaires, disséminés au début, s'étaient noyés dans l'armée sans laisser presque aucune trace. Mais, à mesure que s'affirmait le mécontente-ment général, ils remontèrent à la surface. Quand on expédia au front, par mesure disciplinaire, les ouvriers qui s'étaient mis en grève, les rangs des agitateurs s'en trouvèrent renforcés, et les mouvements de recul de l'armée disposèrent en leur faveur des auditoires." 9 ■

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llep28: Emile Vandervelde, 1919; soldats en route "nach Paris"; p28-29: canon

p29: Rosa Luxemburg;masque à gaz pour cheval

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✒ par Julien Terrié

Le 12 juin, contre la Croatie, l’équipe de foot du Brésil a ouvert à São Paulo une Coupe du monde à 10 milliards d’euros marquée par de nombreuses polémiques. L’un des tournois sportifs les plus suivis du monde s'est fait dans la douleur, au rythme de controverses successives et sur-tout dans le contexte d’un réveil politique de la jeunesse brésilienne contre les con-séquences des mégas évènements prévus au Brésil (Coupe et J.O.).

Un réveil inattenduEn juin 2013, des millions de brésil-

iens sont descendus dans la rue à l’appel du mouvement "Passe livre" (liberté de circulation) contre l’augmentation de 20 centavos du prix du bus et pour les transports gratuits. Ce réveil spontané a surpris les puissants mouvements sociaux brésiliens qui perdaient de plus en plus d’influence du fait de l'illusion de crois-sance économique redistributive que partageaient jusque-là les Brésiliens.

Il y a quelques mois, les professeurs de l’État de Rio ont mené une lutte très dure et victorieuse malgré une répression très violente. Autre énorme surprise au Brésil, la Coupe des confédérations a été forte-ment perturbée par les manifestants, le pays du foot serait-il en train de basculer? A l’approche de la coupe du monde les observateurs s’affolaient: selon un sond-age publié début avril, seulement 48% des Brésiliens seraient favorables à la tenue du Mondial dans leur pays, contre près de 80% en 2008, lorsque le Brésil venait d’être désigné par la FIFA.

Au cœur du problème réside le sentiment que le gouvernement brésilien a privilégié la construction de stades et la rénovation d’aéroports au détriment des programmes sociaux (éducation, santé, transports, etc.). À elle seule, la facture des stades s’élèverait à huit milliards de réaux brésiliens (près de 2,6 milliards d’euros), soit des dépenses quatre fois supérieures à ce qu’on avait estimé en 2007. "Nous souhaiterions voir les mêmes investissements dans les hôpitaux, les écoles ou le logement que dans les stades", explique dans O Globo un membre du mouvement Não Vai Ter Copa (Il n’y aura pas de Coupe), installé à Rio de Janeiro, qui

critique les méthodes du gouvernement fédéral et de la FIFA.

Autour de la "Copa", de graves bouleversements

Renato Cinco, conseiller municipal d'opposition, membre du Parti du Social-isme et des Libertés à Rio a déclaré dans le journal O Globo: "La coupe du monde et les jeux olympiques ont été utilisés pour favoriser les entreprises qui travaillent dans la construction des stades (...) Il s'agit d'argent public, de l'argent du peuple brésilien qui est dépensé pour un évène-ment qui va seulement profiter à certains groupes d'entrepreneurs". Le déplacement de familles pauvres a été durement vécu par la population, 170.000 personnes sont concernées, certaines familles ont été déplacées à plus de 50 km de leur travail. Des incendies suspects dans les favelas ont eu lieu exactement à l’endroit où des pro-jets de "super hôtel" étaient prévus. Aussi, le processus de "pacification" des favelas est devenu à certains endroits un processus d’extermination pure et simple des dealers avec son lot de bavures et notamment la mort du danseur et DJ de la favela Pavao-Pavaozinho, Douglas Rafael da Silva, meurtre policier qui a embrasé la favela en avril dernier. A ceci s’ajoute le prix de l’immobilier qui explose! La situation est plus que tendue.

Les accidents mortels sur les chantiers de construction ont alimenté l’indignation populaire. Le 8 mai 2014, le Brésil a enreg-istré sa huitième victime sur les chantiers du Mondial, lorsqu’un technicien de 32 ans est mort électrocuté alors qu’il tra-vaillait à l’installation d’un réseau de télécommunications à l’aréna Pantanal, à Cuiabá, capitale de l’État du Mato Grosso. L’aréna Corinthians, à São Paulo, a été le théâtre de deux accidents majeurs, qui ont coûté la vie à trois ouvriers.

D’innombrables mobilisations naissantes et à venir

À quatre kilomètres de l’aréna Corin-thians, où s’est ouverte la compétition, le Mouvement des sans-terre (MST) avec le mouvement des sans toit ont installé un camp regroupant plus de 2.500 familles sur un terrain abandonné. Surnommé "la Coupe du monde du peuple", le campe-ment a pour objectif de "démontrer que les investissements de la Coupe du monde ne répondent pas aux demandes de ceux qui sont le plus dans le besoin".

Les mobilisations populaires ont explosé à l’approche du jour d’ouverture. Les grèves ont éclaté comme le pop-corn que va ingurgiter la planète entière. Fin mai plusieurs manifestations se sont croisées, celles des conducteurs de bus, des profs de l’université, des conducteurs de métro en même temps qu’une nouvelle marche contre le Mondial.

Tout porte à croire que les protestations vont continuer car beaucoup de travailleurs n’ont plus peur. La liste est innombrable des secteurs en lutte et le paysage politique va considérablement changer au Brésil à quelques mois des futures élections présidentielles.

Pour finir en chanson, voici le refrain du dernier tube brésilien: "Je jure que je ne vais pas vous supporter, Sorry Seleção! Je suis brésilienne, je veux un nouveau Brésil… Sorry Seleção!" ■

Julien Terrié est syndicaliste, auteur du documentaire Comuna sur une occupation urbaine liée aux expulsions dues aux grands travaux a Fortaleza (à voir sur http://vimeo.com/m/21040885). Cet article a été publié sur son blog http://oziel1996.blogspot.fr/

Brésil: Sorry Seleção!

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A lire✒ par Guy Van Sinoy

Sur la plage, au parc sur un banc, au bord de l'étang ou au jardin, profitez de l'été pour découvrir et savourer des auteurs/ses qui vous captivent et à la fois vous plongent dans la jungle de la lutte sociale.

Meurtres exquisErnest Mandel

L’histoire du roman policier est une histoire sociale, car elle apparaît comme inextricablement liée à l’histoire de la société bourgeoise. A la question de savoir pourquoi l’histoire de la bourgeoisie se reflète dans celle de ce genre littéraire bien particulier, la réponse est celle-ci: l’histoire de la société bourgeoise est aussi celle de la propriété; l’histoire de la pro priété implique celle de sa négation, c’est-à-dire l’histoire du crime.

La société bourgeoise, née de la violence, la re produit constamment et en est saturée. Elle provient du crime et elle conduit au crime, commis à une échelle de plus en plus industrielle. En définitive, l’essor du roman policier s’explique peut-être par le fait que la société bourgeoise, considérée dans son ensemble, est une société criminelle.

Editions La Brèche, Paris, 1986, 191 pages, 14 euros

Retrouvez une critique de ce livre d’Ernest Mandel sur le blog de Pips Patroons: www.lcr-lagauche.org/le-polar-ou-la-fascination-innocente-du-mal

Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin! Éliane Viennot

Le long effort des grammairiens et des académiciens pour masculiniser le français a suscité de vives résistances chez celles et ceux qui, longtemps, ont parlé et écrit cette langue sans appliquer des règles contraires à sa logique. La domination du genre masculin sur le genre féminin initiée au XVIIe siècle ne s’est en effet imposée qu’à la fin du XIXe avec l’instruction obligatoire. Depuis, des générations d’écolières et d’écoliers répètent inlassablement que "le masculin l’emporte sur le féminin", se préparant ainsi à occuper des places différentes et hiérarchisées dans la société.

Editions iXe, 2014, 128 pages, 14 euros

Notre part des ténèbresGérard Mordillat

La nuit du 31 décembre, Gary et les autres membres de l'atelier de recherche mécanique de Mondial Laser, une entreprise de pointe vendue à l'Inde par un fonds spéculatif américain, prennent possession d'un navire de

luxe, le Nausicaa. A bord, les actionnaires du fonds et leurs invités célèbrent au champagne une année de bénéfices records. Tandis que la fête bat

son plein – bal masqué, orchestre, caviar – le Nausicaa est dé tourné. Il met cap au nord, vers la mer de Norvège, le Spitzberg, à la quête des grandes tempêtes d'hiver. Gary, Suz, Dargone, Doc... et cent autres de Mondial Laser veulent contraindre ceux pour qui ils n'étaient que des chiffres à connaître eux aussi le froid, les vagues en furie, la solitude, l'abandon...

Editions Le Livre de poche, 2008, 7,50 euros

L'homme qui aimait les chiensLeonardo Padura

En 2004, à la mort de sa femme, Iván, écrivain frustré et responsable d'un misérable cabinet vétérinaire de La

Havane, revient sur sa rencontre en 1977 avec un homme mystérieux qui promenait sur la plage deux lé vriers barzoï. Après quelques conversations, "l'homme qui aimait les chiens" lui fait des confidences sur Ra món Mercader, l'assassin de Trotsky qu'il semble connaître intimement. Iván reconstruit les trajectoires de Lev Davidovitch Bronstein, dit Trotsky, et de Ramón Mercader, connu aussi comme Jacques Mornard; la fa çon dont ils sont devenus les acteurs de l'un des crimes les plus révélateurs du XXe siècle. Un très grand roman cubain et universel.

Leonardo Padura est né à La Havane en 1955, diplômé de littéra ture hispano-américaine, il est romancier, essayiste, journaliste et auteur de scenarii pour le cinéma.

Editions Métailié, 2011, 14 euros (édition de poche)

Sans patrie, ni frontièresJan Valtin

A dix-huit ans, j'avais eu l'impression d'être un géant; à vingt et un, c'était encore plus simple: il suffisait de lancer des grenades à la gueule de la contre-révolution; à vingt-deux, j'avais fait le tour du monde au service du Komintern – maigre, affamé, féroce – et j'en étais fier; à vingt-neuf, les polices d'une demi-douzaine de pays européens me recherchaient en tant que principal agitateur des Fronts de mer du Ko mintern. A trente et un, j’œuvrais à transformer les prisons hitlériennes en écoles du prolétariat internationaliste. Et maintenant, à trente-trois ans, je me posais cette question: "Tout cela n'a-t-il jamais été que mensonge, imposture, et utopie san glante?"

La GaucheOù trouver La Gauche? En vente dans les librairies suivantes:

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Publié en 1941, Sans patrie ni frontières est un puissant témoignage de l'immense courage et de l'esprit d'abnégation de toute une génération de militants ouvriers face au nazisme. Avec les écrits de Koestler et d'Orwell, il s'agit d'une des premières dénonciations "grand public" du stalinisme, avant la fameuse affaire Krav chenko, qui ébranlera la propagande mensongère du stalinisme sur la réalité du régime soviétique.

Ed. Babel, 2005, 896 pages, 13,70 euros ■

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