LA FORMATION DES JEUNES TRAVAILLEURS DOMESTIQUES, LE RENFORCEMENT DU SECTEUR TERTIAIRE EN AFRIQUE

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POSITION PAPER LA FORMATION DES JEUNES TRAVAILLEURS DOMESTIQUES, LE RENFORCEMENT DU SECTEUR TERTIAIRE EN AFRIQUE INTRODUCTION Le 16 juin 2012 marque le 1 er anniversaire de la Convenon n°189 de l’OIT concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domesques, adoptée par les 183 Etats membres de l’OIT. C’est aussi la date à laquelle est célébrée la Journée Internaonale de l’Enfant Africain, en commémoraon du massacre, par l’armée de l’Apartheid, d’étudiants sud-africains noirs qui revendiquaient pacifiquement une éducaon respectueuse de leur identé, en 1976 à Soweto. Chaque année, le réseau IDAY profite de cee journée et du symbole qu’elle représente – celui d’une jeunesse africaine mobilisée pour ses droits fondamentaux – pour porter un plaidoyer en faveur de l’éducaon pour tous en Afrique. S’il est un groupe de jeunes en Afrique dont le droit à l’éducaon n’est pas ou peu respecté, c’est bien celui des jeunes travailleurs domesques. Dans la plupart des pays africains, la législaon du travail ne couvre pas cee catégorie de travailleurs qui ne bénéficient par conséquent pas de cadre protecteur quant à leurs condions de travail et de vie. Parmi les abus que subissent nombre d’entre eux, la privaon du droit à l’éducaon en est un parculièrement néfaste. La formaon des jeunes travailleurs domesques est un enjeu social, économique et polique essenel pour les pays africains soumis à une pression démographique croissante et à une économie en mutaon. Les membres du réseau IDAY demandent donc : d’une part, l’instauraon par les Etats africains d’un cadre légal approprié pour assurer des condions de travail décentes et respectueuses des droits de tous les jeunes travailleurs domesques sur leur territoire ; d’autre part, l’engagement des Etats africains et de tous les acteurs de la coopéraon au développement à prendre les mesures nécessaires pour favoriser leur formaon en tenant compte de leurs besoins spécifiques et de ceux du marché du travail. I. STATUT LÉGAL DES TRAVAILLEURS DOMESTIQUES Tous les Etats d’Afrique disposent de lois qui réglementent les condions de travail en général, le travail des enfants ainsi que l’accès à l’éducaon et la formaon professionnelle. Ces réglementaons ne traitent toutefois pas spécifiquement du cas du travail domesque, qui de par sa nature n’est souvent pas un travail reconnu comme tel. A l’heure actuelle, seuls 15 Etats africains sur 54 disposent d’instruments législafs ou réglementaires spécifiques relafs au travail domesque 1 . Ces instruments ne couvrent pas nécessaiement tous les aspects de cee acvité, et force est de constater que leur mise en applicaon est défaillante dans de nombreux pays. Au plan internaonal, les Etats membres de l’Organisaon Internaonale du Travail (OIT) ont adopté le 16 juin 2011 la Convenon concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domesques. Un an après, seul un Etat, l’Uruguay, l’a rafiée. Cee convenon n’entrera en vigueur qu’un an après qu’une 2 e raficaon ne soit enregistrée par l’OIT. Le cas spécifque des travailleurs domesques de moins de 18 ans relève des convenons n°138 (concernant l’âge d’admission des enfants aux travaux, 1976) et n°182 (concernant les pires formes de travail des enfants, 1999). La première interdit le travail des enfants de moins de 15 ans. La seconde peut quant à elle s’appliquer au travail domesque des mineurs dans la mesure où les condions dans lesquelles ils exercent cee acvité relèveraient d’une forme d’esclavage ou de travail forcé ou que les travaux qu’ils effectuent nuisent à leur santé ou leur sécurité. Ainsi, en dépit des instruments existants, les droits des jeunes travailleurs domesques dans bien des pays ne sont pas respectés. Deux raisons principales à cela : soit cee acvité n’est pas reconnue comme une catégorie de travail à part enère, soit elle l’est mais les disposions en vigueur ne sont pas appliquées. Il y a donc non seulement un vide juridique à combler, mais pour les pays déjà dotés d’instruments législafs ou réglementaires à ce sujet, des mesures urgentes à prendre pour garanr leur mise en œuvre. 1 Source: NATLEX, Organisaon Internaonale du Travail (OIT). Voir hp://www.ilo.org/dyn/natlex/natlex_browse. Subject?p_lang=fr&p_classificaon=22.15 IDAY-Internaonal aisbl - Rue des Jambes 19 - 1420 Braine-l’Alleud - Belgium - T. +32 (0)2 385 44 13 - F. +32 (0)2 385 44 12 [email protected] - IBAN - BE 93 5230 8026 6767 - BIC - TRIOBEBB (TRIODOS) - 0895.443.325 - www.iday.org IDAY (Internaonal Day of African the Child and Youth) - Porte-voix pour l’éducaon en Afrique POSITION PAPER - JUIN 2012 - 1/5

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Véritable fait social en Afrique, le travail domestique concerne encore aujourd’hui un grand nombre d’enfants et de jeunes. Certains d’entre eux jouissent de conditions de vie et de travail décentes et y trouvent un moyen de subvenir à leurs besoins et la possibilité d’un avenir meilleur. Néanmoins, la majorité est confrontée à de longues heures de travail, sans salaire ou presque, sans protection ni reconnaissance sociales.

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POSITION PAPERLA FORMATION DES JEUNES TRAVAILLEURS DOMESTIQUES,

LE RENFORCEMENT DU SECTEUR TERTIAIRE EN AFRIQUE

INTRODUCTION

Le 16 juin 2012 marque le 1er anniversaire de la Convention n°189 de l’OIT concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques, adoptée par les 183 Etats membres de l’OIT.

C’est aussi la date à laquelle est célébrée la Journée Internationale de l’Enfant Africain, en commémoration du massacre, par l’armée de l’Apartheid, d’étudiants sud-africains noirs qui revendiquaient pacifiquement une éducation respectueuse de leur identité, en 1976 à Soweto. Chaque année, le réseau IDAY profite de cette journée et du symbole qu’elle représente – celui d’une jeunesse africaine mobilisée pour ses droits fondamentaux

– pour porter un plaidoyer en faveur de l’éducation pour tous en Afrique.S’il est un groupe de jeunes en Afrique dont le droit à l’éducation n’est pas ou peu respecté, c’est bien celui des jeunes travailleurs domestiques. Dans la plupart des pays africains, la législation du travail ne couvre pas cette catégorie de travailleurs qui ne bénéficient par conséquent pas de cadre protecteur quant à leurs conditions de travail et de vie. Parmi les abus que subissent nombre d’entre eux, la privation du droit à l’éducation en est un particulièrement néfaste.

La formation des jeunes travailleurs domestiques est un enjeu social, économique

et politique essentiel pour les pays africains soumis à une pression démographique croissante et à une économie en mutation. Les membres du réseau IDAY demandent donc : d’une part, l’instauration par les Etats africains d’un cadre légal approprié pour assurer des conditions de travail décentes et respectueuses des droits de tous les jeunes travailleurs domestiques sur leur territoire ; d’autre part, l’engagement des Etats africains et de tous les acteurs de la coopération au développement à prendre les mesures nécessaires pour favoriser leur formation en tenant compte de leurs besoins spécifiques et de ceux du marché du travail.

I. STATUT LÉGAL DES TRAVAILLEURS DOMESTIQUES

Tous les Etats d’Afrique disposent de lois qui réglementent les conditions de travail en général, le travail des enfants ainsi que l’accès à l’éducation et la formation professionnelle. Ces réglementations ne traitent toutefois pas spécifiquement du cas du travail domestique, qui de par sa nature n’est souvent pas un travail reconnu comme tel. A l’heure actuelle, seuls 15 Etats africains sur 54 disposent d’instruments législatifs ou réglementaires spécifiques relatifs au travail domestique1. Ces instruments ne couvrent pas nécessaiement tous les aspects de cette activité, et force est de constater que leur mise en application est défaillante dans de nombreux pays.

Au plan international, les Etats membres de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) ont adopté le 16 juin 2011 la Convention

concernant le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques. Un an après, seul un Etat, l’Uruguay, l’a ratifiée. Cette convention n’entrera en vigueur qu’un an après qu’une 2e ratification ne soit enregistrée par l’OIT. Le cas spécifque des travailleurs domestiques de moins de 18 ans relève des conventions n°138 (concernant l’âge d’admission des enfants aux travaux, 1976) et n°182 (concernant les pires formes de travail des enfants, 1999). La première interdit le travail des enfants de moins de 15 ans. La seconde peut quant à elle s’appliquer au travail domestique des mineurs dans la mesure où les conditions dans lesquelles ils exercent cette activité relèveraient d’une forme d’esclavage ou de travail forcé ou que les travaux qu’ils effectuent nuisent à leur

santé ou leur sécurité.

Ainsi, en dépit des instruments existants, les droits des jeunes travailleurs domestiques dans bien des pays ne sont pas respectés. Deux raisons principales à cela : soit cette activité n’est pas reconnue comme une catégorie de travail à part entière, soit elle l’est mais les dispositions en vigueur ne sont pas appliquées. Il y a donc non seulement un vide juridique à combler, mais pour les pays déjà dotés d’instruments législatifs ou réglementaires à ce sujet, des mesures urgentes à prendre pour garantir leur mise en œuvre.

1 Source: NATLEX, Organisation Internationale du Travail (OIT). Voir http://www.ilo.org/dyn/natlex/natlex_browse.Subject?p_lang=fr&p_classification=22.15

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II. LES TRAVAILLEURS DOMESTIQUES EN AFRIQUE

A. Qui sont-ils ?Le profil type des jeunes travaillant comme domestiques renvoie à des personnes qui proviennent de milieux défavorisés, dont la famille est trop pauvre pour pouvoir les prendre en charge, orphelins ou exclus. Dans la majorité des cas, ce sont des jeunes filles issues de zones rurales2. D’après l’Organisation Internationale du Travail (OIT), le nombre de jeunes âgés de 5 à 17 ans employés comme domestiques au niveau mondial était estimé à 15,5 millions en 20083. Si l’on prend le cas de l’Afrique, les chiffres connus sont effrayants. Dans la région de Bamenda au Cameroun par exemple, une enquête réalisée en 2009 par l’Organisation internationale pour les Migrations4 estimait que près de 68.4 % des jeunes de moins de 19 ans étaient employés comme domestiques. Selon les organisations de terrain, le nombre de travailleurs domestiques s’élèverait à 300 000 au Burundi, 750 000 en Ouganda, 800 000 au Rwanda et 1 million au Kenya. Il n’existe par contre aucune donnée pour la République Démocratique du Congo.

Ces estimations sont vraisemblablement largement inférieures à la réalité étant donné que dans de nombreux pays, « le nombre de travailleurs domestiques est une question controversée et les sources non officielles varient souvent beaucoup5 ». Ce phénomène est d’autant plus difficile à quantifier qu’il est hétérogène dans ses formes et ses activités : cuisine, jardinage, nettoyage ou encore garde d’enfants … ou une combinaison de tout cela6. C’est également un travail effectué non seulement dans des industries ou entreprises, mais surtout chez les particuliers, souvent dans l’isolement, raison pour laquelle il est fréquemment qualifié d’invisible7. Les études ne révèlent pas forcément les vrais chiffres car nombre de ces jeunes domestiques, « adoptés » par le foyer où ils travaillent, sont présentés

comme des membres de la famille afin d’éviter toute poursuites légales s’ils sont mineurs.

Il est donc urgent de mener des enquêtes précises dans les différents pays concernés afin d’obtenir des données plus précises sur l’ampleur et les caractéristiques du travail domestique aujourd’hui.

B. Les conditions de travailLes conditions d’emploi domestique varient d’un endroit à l’autre. Il convient donc d’être nuancé : tous les travailleurs domestiques ne travaillent pas nécessairement dans de mauvaises conditions.

Cependant, dans la majorité des cas, des abus ont lieu et les droits des travailleurs sont bafoués. Certains employeurs profitent de l’absence de législation en la matière pour ne pas respecter les travailleurs. Ainsi, dans la plupart des pays africains, le travail domestique est souvent caractérisé par de longues journées, un salaire très faible voire inexistant, l’absence de protection sociale et juridique. Les conditions et termes de leur travail sont rarement discutées ni écrites, ce qui les laisse à la merci de leur employeur qui peut dicter ses propres termes. En milieu rural, certaines familles utilisent les enfants de leurs proches comme garde d’enfants, garde de troupeaux en contrepartie d’un pagne offert chaque année à la mère des enfants – lesquels ne toucheront pas de rémunération. Dans certains cas, les jeunes travailleurs domestiques sont victimes de mauvais traitements physiques ou d’abus sexuels. Beaucoup de jeunes optent pour le travail domestique pour subvenir à leurs besoins sans pour autant gagner décemment leur vie.

Le travail domestique non réglementé mène à des abus qu’aucun mécanisme de sanction à l’encontre des employeurs ne permet de pénaliser. Certains travailleurs domestiques

n’hésitent pas à dire, lorsqu’ils en ont l’opportunité, qu’ils sont traités comme des « sous-hommes ». Dans ces conditions, ce travail contribue davantage à l’appauvrissement de la population et à la perpétuation de l’analphabétisme. Il y a donc un besoin urgent de mettre en place un cadre légal qui règlemente ce métier afin d’améliorer les conditions de travail de ces travailleurs « invisibles ».

C. Un accès à l’éducation limité et pourtant indispensableEn l’absence de réglementation, le travail domestique conduit souvent à un déni du droit fondamental à l’instruction et à la formation. Les jeunes travailleurs sont souvent dans l’incapacité de poursuivre leur scolarité ou de suivre une formation professionnelle : soit ils quittent l’école pour exercer leur métier, soit leur employeur ne leur donne pas la possibilité de continuer leur formation. L’illetrisme concerne ainsi un grand nombre d’entre eux et rares sont ceux qui ont reçu une formation pour exercer leur métier.

De fait, beaucoup d’employeurs ne semblent pas conscients de la nécessité pour leurs « employés » de recevoir une éducation de base de qualité … alors même qu’ils n’hésitent pas à exiger du travailleur domestique qu’il emmène les enfants de la famille à l’école. Pourtant, employés comme employeurs gagneraient à ce que ces jeunes puissent non seulement savoir lire, écrire et compter, mais aussi se former dans divers domaines liés aux tâches qu’ils exécutent tels que l’art culinaire, la gestion d’un budget, mais aussi plus généralement l’hygiène, la santé, les langues, les droits de l’Homme, etc. Il est évident que des travailleurs qualifiés exercent mieux les tâches qui leurs sont confiées et ont une meilleure estime d’eux-mêmes. Des travailleurs qualifiés pourront également prétendre à un salaire

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plus élevé pour des services à domicile. En ce qui concerne les jeunes femmes, majoritaires parmi les travailleurs domestiques, elles pourront transmettre leurs connaissances à leurs futures enfants. Conscients de leurs droits, les travailleurs domestiques seront enfin mieux armés pour se défendre en cas d’abus tout en ayant une meilleure connaissance de leurs obligations.

L’éducation est la condition sine qua non du développement individuel et de la croissance économique d’un pays. Une formation professionnelle adaptée permettra d’améliorer les qualifications des jeunes travailleurs domestiques pour le métier qu’ils exercent déjà et ainsi de mieux répondre aux besoins des employeurs. Plus généralement, la mise en adéquation d’une demande en service à domicile croissante avec une offre de travail qualifiée bénéficiera à la fois au développement d’un secteur tertiaire performant en Afrique et à la résorbtion du chômage des jeunes. Cela ne manquera pas non plus d’avoir un impact positif sur les conditions de travail.

Il est par conséquent indispensable que les employeurs aménagent les horaires de travail de leurs employés pour que ceux-ci puissent suivre les formations qu’ils souhaitent. Les gouvernements africains doivent quant à eux prendre les dispositions qui favoriseront ces formations à travers la création de centres de formation socio-professionnelle et en appuyant les organisations œuvrant dans ce domaine.

D. Une question délicate à aborder La question des travailleurs domestiques est complexe car elle touche un fait social ancré dans la tradition africaine. Il correspond le plus souvent aux tâches non rémunérées qui sont exécutées traditionnellement par les femmes

chez elles, ce qui fait qu’il est souvent effectué de manière informelle et qu’il n’est pas perçu comme un emploi « normal »8. De leurs côtés, nombreux sont les parents qui le valorisent car il serait synonyme de développement personnel pour leur enfant et un moyen de les conscientiser à la nécessité de travailler pour se nourrir. Il est courant d’envoyer son enfant chez une tante éloignée pour aller l’aider dans ses tâches quotidiennes. Il n’est ainsi pas choquant d’employer un proche pour les corvées ménagères. De cette manière, de nombreux enfants de moins de 14 ans travaillent. On constate aussi qu’en milieux urbains, la demande en services à domicile augmente. Ceci s’explique par l’intégration croissante des femmes dans le monde du travail qui, dès lors, ne peuvent plus assurer toutes les tâches qui leur étaient traditionnellement dévolues tandis que l’offre publique de services à domiciles et de prise en charge des enfants reste très limitée. Par ailleurs, pour beaucoup, il n’y a pas de frontière claire entre ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Certains employeurs ne sont dès lors même pas conscients des abus qu’ils commettent.

Aujourd’hui, les travailleurs domestiques représentent une large proportion de la main-d’œuvre, particulièrement dans les pays en développement, et leur effectif augmente. La question de leur condition touche donc la société dans son ensemble. Elle représente aussi un enjeu de pouvoir social et politique (non exploité) qui génère certaines résistances.

E. Réglementer pour protéger et valoriser la professionLes services à la personne exercés dans des conditions décentes sont nécessaires au fonctionnement de l’économie. Il est dès lors indispensable que chaque Etat mette en place une législation du travail domestique pour

protéger les travailleurs mal traités, fixer leurs obligations professionnelles mais aussi pour interdire le travail des enfants de moins de 15 ans. Un cadre légal est aussi indispensable non seulement pour la reconnaissance mais aussi la protection des droits des travailleurs en tenant compte de la spécificité de leur emploi : un contrat écrit, un salaire minimum compatible avec les revenus de l’employeur, une protection sociale et juridique, des jours de congés ainsi que des horaires plus raisonnables qui permettent à ceux qui en ont besoin de se former.

Pour veiller au respect de ces mesures, la législation devrait également prévoir des mécanismes de sanctions. Dès lors, les employeurs seraient moins tentés d’abuser des droits des travailleurs sachant qu’ils peuvent être traduits en justice. L’exploitation du cadre juridique nécessite tout autant d’éveiller la conscience de travailleurs domestiques, notamment à la possibilité de créer des groupes communautaires afin de plaider pour leurs droits fondamentaux.

Au final, une règlementation en la matière permettrait de faire évoluer les relations employeur-domestique vers une relation employeur-travailleur domestique.

2 Guide de la Confédération syndicale internationale (CSI) sur les travailleurs domestiques, novembre 2010, Un travail décent, une vie décente pour les travailleurs et les travailleuses domestiques, p.16 (80 pp.)3 Estimations mondiales et régionales concernant les travailleurs domestiques, Travail domestique, Note d’information 4, Organisation Internationale du Travail, 2010, p.10 (pp.12)4 FOUDA Yolanda, Etude sur les travailleurs domestiques au Cameroun, Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), Yaoundé, Mai 2010, p.9 (pp.42) 5 Ibid., p.46 Conférence régionale pour la régularisation professionnelle et la formation des travailleurs domestiques en Afrique orientale et en République démocratique du Congo. Compte-rendu et recommandations, Bujumbura, 22-23 Novembre 2010, p.1 (pp.5)7 Rapport IV du Bureau International du Travail, Travail décent pour les travailleurs domestiques, Conférence internationale du Travail, 99e session, 2010, p.1 (pp.144)8 Ibidem

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III. CAS D’ÉTUDE : FORMATION ET RECONNAISSANCE DES TRAVAILLEURS DOMESTIQUES EN AFRIQUE DE L’EST

A. Le cas du Burundi et du RwandaDes organisations non gouvernementales burundaises et rwandaises en collaboration avec une ONG belge9 ont lancé il y a plusieurs années des programmes d’alphabétisation et de formation professionnelle des travailleurs domestiques dans ces deux pays.

Ces initiatives reposent sur différents principes : tout d’abord faire en sorte que les travailleurs domestiques aient une meilleure estime d’eux-mêmes et de leur métier. Ensuite, en adaptant les horaires de formation aux heures de travail, permettre aux jeunes travailleurs de suivre une éducation fonctionnelle mais aussi des cours de puériculture, de cuisine ou encore de jardinage avec à la clé l’obtention d’un diplôme reconnu par l’Etat. Ces programmes visent également à sensibiliser la société rwandaise et burundaise au problème du travail des enfants et au respect de leur droit à l’éducation. Enfin, il s’agit de mener une campagne de plaidoyer pour que le parlement burundais vote une loi reconnaissant le travail domestique et garantissant les droits et obligations des employés comme des employeurs.

Ainsi, les centres du Burundi et du Rwanda ont permis de former chaque année respectivement 450 et 150 jeunes domestiques10. Depuis leur création, environs 3000 travailleurs domestiques y ont suivi une formation.

B. Le cas de la République démocratique du CongoLe Centre de Formation et de Promotion Féminine Bokolisi (CFPFB), association sans but lucratif congolaise basé à Kinshasa, offre une formation aux jeunes filles dites vulnérables parmi lesquelles les travailleuses domestiques. Pendant 3 ans, les jeunes filles suivent une formation qui combine alphabétisation, formation aux droits de la femme et à l’hygiène ainsi qu’une formation professionnelle. En 2010, le Centre Bokolisi a également initié un programme de formation professionnelle en coiffure et en esthétique des jeunes travailleuses domestiques analphabètes et déscolarisées âgées de 14 à 25 ans11, en vue de diversifier l’offre de formation. À Uvira, Sud Kivu, l’association Women and Children Protection (WCP RD Congo) a initié une enquête d’identification des jeunes et enfants domestiques. Ces

données ont permis d’élaborer un projet d’appui à l’alphabétisation, l’éducation de base et la formation professionnelle des enfants et jeunes domestiques à Uvira – une première dans la région.

En 2010, ces associations ont fait partie des 6 coalitions nationales IDAY en Afrique de l’Est qui ont lancé un programme régional pour la reconnaissance professionnelle et la formation des travailleurs domestiques. Cette initiative comprend notamment la conduite d’enquêtes indispensables pour obtenir une idée plus précise du nombre de travailleurs domestiques, leur âge, leur niveau d’instruction et les conditions dans lesquels ils travaillent. Ces données permettront également de mieux cerner les attentes et les besoins de travailleurs domestiques et des employeurs.9 Collectif des Ligues et Associations de Défense des Droits de l’Homme (Cladho, Rwnada), Convergence pour l’auto-développement des domestiques (CAD, Burundi), Solidarité pour Aider les Sinistrés Burundais ( SASB, Burundi), Action Développement Parrainages Mondiaux (ADPM, Belgique).10 « L’Info. Action Développement-Parrainages Mondiaux », Newsletter 1er semestre 2010, n°31, p.4 (pp.8)11 Centre de formation et de promotion féminine à Bokolisi, Bourse à projets,Projet N°13, IDAY-International, voir http://www.iday.org/FR/06getinvolved/docs/RDCBokolisiprojet14.pdf

IV. DIX RECOMMANDATIONS PRIORITAIRES

1. Les gouvernements africains doivent garantir l’interdiction du travail des enfants de moins de 15 ans, âge minimum légal pour l’emploi des enfants dans les pays en voie de développement12. Le cas échéant, ils doivent mettre en œuvre les sanctions pénales prévues par la loi.

2. Mener des enquêtes dans chaque pays afin de mieux cerner le nombre de jeunes employés comme travailleurs domestiques, leur profil socio-

économique, leurs conditions de travail, leur niveau d’instruction et de qualification professionnelle. Ces enquêtes doivent également s’intéresser au point de vue et aux besoins des employeurs. Elles doivent, dans une première phase, rester neutres pour garantir leur acceptation par les gouvernements, employeurs et employés.

3. La société civile africaine doit avoir la possibilité de participer aux concertations relatives à la protection des droits

des travailleurs domestiques. Elle doit également se mobiliser et être soutenue dans des campagnes de plaidoyer visant en priorité :

a. La valorisation du travail domestique

b. La légalisation de cette forme de travail et l’obligation d’établir des contrats écrits

c. L’élimination du travail des enfants de moins de 15 ans.

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d. La défense du droit à une éducation de base de qualité.

Pour l’amélioration des conditions des travailleurs domestiques :

4. Les 183 Etats parties à l’OIT signataires de la Convention n°189 de l’OIT relative au travail décent pour les travailleurs domestiques doivent ratifier cet instrument et le transposer dans leur législation nationale. A l’heure actuelle, seul l’Uruguay l’a ratifiée. Elle n’a donc aucun effet contraignant.

5. Les gouvernements africains doivent reconnaître officiellement le travail domestique comme une profession à part entière, et les travailleurs domestiques comme une catégorie bénéficiant des mêmes protections sociales et professionnelles que les autres catégories.

6. L’instauration d’un cadre légal doit permettre de réglementer les droits et obligations des deux parties qui seront notifiés dans un contrat de travail.

7. Diffuser et vulgariser les lois nationales

existantes relatives au travail et la Convention de l’OIT, surtout dans les langues nationales comprises des domestiques.

8. La mise en place d’instances chargées de vérifier l’application des conventions internationales notamment la Convention sur le travail décent pour les travailleurs domestiques (C189), la Convention sur les pires formes de travail pour les enfants (C182) ainsi que la Convention concernant l’âge minimum d’admission à l’emploi (C138).

Pour la formation des jeunes travailleurs domestiques :

9. Les gouvernements doivent intégrer l’alphabétisation et la formation technique professionnelle des travailleurs domestiques dans leur programme national d’éducation pour tous, et reconnaitre officiellement les certificats de formation délivrés par des structures privées.

10.Établir un code de conduite pour les employeurs et employés domestiques

qui intègre explicitement le droit à une formation appropriée, mais aussi l’interdiction du travail des enfants de moins de 15 ans. Cela doit favoriser l’aménagement des horaires de travail des employés de maison pour leur permettre de poursuivre leur scolarité et/ou une formation professionnelle, si besoin sur des emplois du temps adaptés.

12 Article 2, § 4, Convention concernant l’âge minimum d’admission à l’emploi, adoptée le 26 juin 1973 à Genève, entrée en vigueur le 19 juin 1976.

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Le réseau IDAY, composé de quelques 250 associations de la société civile africaine et européenne, est actif dans 18 pays africains et 8 européens. Le réseau mène un plaidoyer en vue de réaliser, par un dialogue constructif avec les autorités, le droit à une éducation de base de qualité pour tous. Depuis plusieurs années, des membres du réseau sont impliqués dans des actions en faveur de la formation et de la reconnaissance des travailleurs domestiques.

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