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LA FE AU CŒUR DE LA GUERRE CIVE ESPAGNOLE : UN OBJET LITTÉRAIRE CONVOITÉ PAR LES NATIONALISTES DIDIER CORDEROT Dijon C'est avec l'avènement de la Il e République, en avril 1931, que les droits de la fee espagnole sont enfin reconnus. L'égalité des sexes, inscrite dans la Constitution, lui donne la possibilité d'accéder à des charges publiques jusqu'alors réservées aux hommes. La loi sur le divorce, datant de février 1932, peut être considérée comme l'une des plus tardives en Europe, mais elle est aussi l'une des plus progressistes et entraîne un profond mécontentement des milieux catholiques. La République ne s'est-elle pas donné pour mission de contrôler le pouvoir de l'Église, dont elle envisage sa séparation de l'État en l'assortissant d'une série de mesures à l'encontre des congrégations religieuses ? Quant au droit de vote des mmes, il est acquis en octobre 1931, bien que les parlementaires de gauche craignent, à juste titre, les conséquences électorales du cléricalisme féminin. Force est de constater de fait que le conservatisme religieux de la société espagnole va sérieusement remettre en cause le succès de ces réformes. Les députés femmes aux Cortes ne sont qu'au nombre de trois à la fin de l'année 1931, sur un total de 476 sièges: Victoria Kent (Gauche républicaine), Clara Campoamor (Parti radical) et Margarita Nelken (Parti socialiste). Quant aux éventuelles conséquences du droit au divorce, on peut dire qu'elles sont neutralisées par les sermons réactionnaires de prêtres zélés qui brandissent la menace de l'excommunication f ace à des ouailles féminines que l'analphabétisme maintient souvent dans l'ignorance de leurs droits. Néanmoins, les bases d'une prise de HISP. XX - 17 - 1999 427

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LA FEMME AU CŒUR DE LA GUERRE CIVILE

ESPAGNOLE : UN OBJET LITTÉRAIRE CONVOITÉ PAR LES NATIONALISTES

DIDIER CORDEROT

Dijon

C'est avec l'avènement de la Ile République, en avril 1931, que les droits de la ferrune espagnole sont enfin reconnus. L'égalité des sexes, inscrite dans la Constitution, lui donne la possibilité d'accéder à des charges publiques jusqu'alors réservées aux hommes. La loi sur le divorce, datant de février 1932, peut être considérée comme l'une des plus tardives en Europe, mais elle est aussi l'une des plus progressistes et entraîne un profond mécontentement des milieux catholiques. La République ne s'est-elle pas donné pour mission de contrôler le pouvoir de l'Église, dont elle envisage sa séparation de l'État en l'assortissant d'une série de mesures à l'encontre des congrégations religieuses ? Quant au droit de vote des femmes, il est acquis en octobre 1931, bien que les parlementaires de gauche craignent, à juste titre, les conséquences électorales du cléricalisme féminin.

Force est de constater de fait que le conservatisme religieux de la société espagnole va sérieusement remettre en cause le succès de ces réformes. Les députés femmes aux Cortes ne sont qu'au nombre de trois à la fin de l'année 1931, sur un total de 476 sièges: Victoria Kent (Gauche républicaine), Clara Campoamor (Parti radical) et Margarita Nelken (Parti socialiste). Quant aux éventuelles conséquences du droit au divorce, on peut dire qu'elles sont neutralisées par les sermons réactionnaires de prêtres zélés qui brandissent la menace de l'excommunication face à des ouailles féminines que l'analphabétisme maintient souvent dans l'ignorance de leurs droits. Néanmoins, les bases d'une prise de

HISP. XX - 17 - 1999 427

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conscience sont jetées et la répression sanglante de la Révolution des

Asturies, où les femmes prennent une part active, consolide le processus

de leur politisation. Le Groupement des femmes antifascistes (Agrupaciôn

de Mujeres Antifascistas), qui bénéficie de l'appui des femmes

républicaines et socialistes de la classe moyenne, est créé en 1933 ; le

mouvement des Femmes contre la guerre et le fascisme (Mujeres contra

la Guerra y el Fascismo), proche du Parti communiste, apparaît un an

plus tard, coïncidant de ce fait avec la naissance de la très rétrograde

Section féminine de la Phalange. Les femmes anarchistes tardent

davantage à mettre en place une structure qui leur soit propre. C'est chose

faite en mai 1936, avec l'organisation Femmes libres (Mujeres Libres)

qui donnera toute sa mesure avec la guerre civile.

Le conflit de 1936 va en effet constituer un terrain d'expression

privilégié pour ces différents mouvements. Chez les républicaines, où

prévaut la diversité idéologique, les attitudes sont multiples : engagement

armé - citons le cas du bataillon Lina Odena, à la fois composé et dirigé

par des femmes-, soutien des soldats du front, participation aux tâches

de l'arrière afin de pallier l'absence des hommes, etc ... Unies par leur

volonté de faire triompher la cause, elles se divisent pourtant sur la

question de la révolution sociale que certaines entendent ajourner, alors

que d'autres souhaitent sa réalisation immédiate. Dans le camp

nationaliste, où le seul discours autorisé émane de la Phalange, Pilar

Primo de Rivera, responsable de sa Section féminine, prône une totale

soumission de la femme à l'homme et lui dénie toute possibilité de

participer au débat politique. Dolores Ibarruri (« La Pasionaria»),

Federica Montseny, Margarita Nelken sont quelques-unes des «rouges»

dont l'exemple est honni.

Aussi n'y a-t-il rien d'étonnant à ce que l'expression de cet

antagonisme radical soit omniprésente dans la presse de l'arrière et plus

particulièrement dans les revues culturelles, dont les lecteurs, en raison

des circonstances, sont avant tout des lectrices. La nouveauté tient, entre

autres, à la place qu'y occupe le double fictionnel de la femme dans de

fréquents récits narratifs brefs. Notre propos est de montrer comment, chez

les nationalistes, ce pan de la production littéraire, par ailleurs souvent

passé sous silence, sert à relayer le discours théorique concernant le rôle et

les attributions de la femme, voire à le fonder. Nous serons ainsi conduits

à nous demander si cette littérature a l'unique fonction de cristalliser les

oppositions et d'en rendre compte ou si elle est également un laboratoire

pour les idées « nouvelles ». Au-delà donc de la construction

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d'archétypes et de la récurrence d'axes fictionnels, dont on ne peut faire l'économie, il faut s'intéresser aux projets de société qui sous-tendent ces textes où la femme est plus que jamais une pierre angulaire. Pour ce faire, nous avons retenu deux publications du camp nationaliste destinées à un public féminin : Mujer et Y.

La première d'entre elles, Mujer, Revista mensual del hogar y de la

moda, prolonge une pratique de la revue féminine qui est antérieure à la guerre civile. Elle l'affirme ouvertement en reprenant un titre qui n'est pas nouveau: le plus proche dans Je temps est celui d'un hebdomadaire, destiné à la« femme moderne», qui paraît peu après la proclamation de la II0 République. Son contenu féministe et républicain est élaboré par des femmes de renom : Concha Espina - on la retrouve aux côtés des nationalistes pendant la guerre civile -, Margarita Nelken, Carmen de Burgos, Sara Insua, Matilde Mufioz, etc. Il n'est bien sûr pas question pour la revue publiée à Saint-Sébastien en juin 1937 de revendiquer cet héritage. Elle a d'entrée remis le« sexe faible» à la place qu'il doit tenir dans la société projetée par les nationalistes. Le territoire de la femme est en effet d'abord celui du foyer baigné dans une « quiétude spirituelle» -celle que souhaite apporter la revue. La femme n'est plus concernée par le débat politique et doit s'en remettre totalement à l'arbitrage masculin. Un article intitulé « La femme et les livres » résume parfaitement le rôle qui lui est désormais dévolu :

El principal placer que proporcionan los libros es el de su

lectura. Otro, también importante es el de clasificarlos, el de

colocarlos debidamente. Una mujer arreglando libros frente a la

estanteria parece que esta arreglando flores con los coloridos

distintos de las encuadernaciones que forman una gama que se

di ria tiene, a la par que tonalidades, perfumes 1•

Les rubriques proposées vont dans le sens de la passivité intellectuelle : actualités cinématographiques, chroniques de mode, patrons de couture, exercices de culture physique ... Les contes et nouvelles2, même si elle en est la principale héroïne, participent de cette

I Mujer, 11° 18, Xl/1938, p. 29. On notera que l'auteur anonyme de l'article prend le soin de

sélectionner les ouvrages puisque figurent en bonne place un livre de Pia Baroja, écrivain récupéré

par les nationalistes, et De Corte o checa d'Agustin de Foxà dont le parti pris est lui sans

équivoque. 2 Leur publication est très régulière puisque seul Je n° 6 n'en contient pas.

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mise en retrait de la femme. L'examen des textes qui ont un rapport avec la guerre civile, c'est-à-dire ceux où elle est censée être la plus autonome, ne laisse aucun doute à cet égard.

Dans les onze textes qui sont en phase avec l'affrontement, soit plus d'un tiers de la production narrative de Mujer, le personnage principal est généralement une femme 1

• Elle a entre dix-huit et vingt-cinq ans et appartient la plupart du temps à un milieu social privilégié, ainsi que le soulignent les dessins illustrant chacun des textes et qui la représentent dans une pose toujours très stylisée2

. Beauté sans égale, elle est à l'origine de ! 'héroïsme masculin dans le conte d 'A gus tin de Figueroa3

,

Yo sé por qué ... , dont l'« hérésie» idéologique est rapidement conjurée. Antonio Villalba, réfugié dans une ambassade étrangère, souhaite en effet que Madrid ne soit pas « libéré » par les troupes nationalistes, afin de pouvoir rester en compagnie de l'inaccessible Alicia. Amoureux transi, il ira mourir sur Je front.

Néanmoins, la guerre, traitée comme un élément romanesque à part entière, révèle avant tout une nature profondément compatissante de la femme. Celle-ci la met à profit dans les hôpitaux où on la retrouve fréquemment, revêtue de la blouse d'infirmière, aux côtés de soldats blessés. C'est Je cas dans pas moins de cinq textes dont les synopsis précisent l'intention édifiante : Margarita accueille dans une spacieuse villa, qu'elle a transformée en résidence pour aveugles de guerre, son fiancé qui vient de perdre la vue au combat; elle n'a de cesse de lui montrer que sa passion n'en est pas altérée pour autant. Une autre Margarita - ce nom n'est sans doute pas un hasard puisque c'est celui d'une organisation féminine carliste consacrée aux soins des blessés -dont la vie était jusqu'alors éloignée de J '« Espagne nouvelle, de

l'authentique Espagne Impériale qui se dresse sous la protection du joug

I Il convient de remarquer que les textes de Tomas Borras ou de José Maria Salaverria, auteurs qui

en d'autres endroits clament haut et fort leur appartenance au camp nationaliste, sont neutres. La

neutralité narrative de Pio Baroja est quant à elle sans surprise. 2 Les auteurs de ces dessins sont entre autres Baldrich et Teodoro Delgado. Carlos Saenz de Tejada

illustre un texte sans rapport avec la guerre civile : la seiiorita Cirano de Javier Machado (Mujer

n° 8, 1/1938). 3 Agustin de Figueroa y Alonso, Marquis de Santo Floro, fils du Comte de Romanones - ce dernier

fut chef du gouvernement et du Congrès avant la guerre et soutint les forces nationalistes durant

celle-ci - est l'auteur d'un livre sur sa captivité dans le camp républicain intitulé Memorias del

rec/uso Figueroa (Saragosse, Librerfa General, 1938). li est de plus un collaborateur assidu de la

presse nationaliste (Domingo, El Diario Vasco, Vértice, Horizonte ... ).

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et des flèches symboliques», donne un sens à son existence insouciante

en apportant le réconfort à un soldat grièvement atteint. Maria Isabel,

infirmière dévouée s'il en est, confie aimer un combattant de la « zone

rouge », auquel donne la mort un autre prétendant, légitimé par son

appartenance aux forces nationalistes. Après avoir abandonné son troupeau

de chèvres pour rejoindre un hôpital de fortune, Clara, « miracle

d'aristocratie paysanne», déclenche la passion amoureuse d'un capitaine

qu'elle sauve grâce au don de son sang ! Le dernier personnage de femme

auquel nous avons affaire - il est anonyme - quitte les intrigues de la

haute bourgeoisie de Saint-Sébastien pour un hôpital galicien ; elle met

ainsi à l'épreuve les sentiments de son mari volage dont le repentir passe

par la mort sur le front1

• • •

Alors que les rubriques habituelles restent très distantes par rapport

aux événements, les textes narratifs n'hésitent pas à relayer les messages

nationalistes. Sans oublier leurs destinataires, ils assurent une

indiscutable fonction idéologique. La nouvelle, Confesiones de Adela·

Maria, présentée comme un journal anonyme commencé en janvier et

interrompu au début de la « commotion espagnole », est construite selon

ce double principe2

• De nature à permettre l'identification, les confessions

légères de la jeune et riche Adela Marîa, dont la vie se partage entre les

sorties mondaines et les projets de mariage, sont encadrées par des

considérations pronationalistes. Le soldat qui met la main sur le journal,

ex-cadet de l'académie militaire de Tolède, ancien d'Afrique et lecteur

impénitent - ne doit-on pas y voir un émule de Franco? -, dit s'être

mis au service de la « Sainte Cause » pour « libérer » l'Espagne des

« rouges » dont la brutalité est suggérée par la disparition de l'héroïne.

Cette dernière, fidèle à l'image de la femme qui s'en remet à l'autorité

masculine, est une farouche contemptrice du féminisme. Elle amplifie les

thèses antirépublicaines en donnant à penser, sous le couvert d'une fausse

ingénuité, que le Front populaire est une création de l'Union soviétique:

Yo, realmente, no sé para qué sirven las elecciones, porque

nada me importa la politica, pero veo que aqui han servido para

desencadenar un desorden y una barbarie que yo nunca habia visto

1 Successivement Javier Machado, La tapia (Mujer n ° 2, Vll/1937); Maria Dolores Fernàndez,

Margarita (Mujer n° 11, IV/1938); M. Fernàndez Palacios, Maria Isabel (Mujer n° 4, IX/1937);

Josefina de la Maza, Licor de bodàs (Mujer n° 19, Xll/1938); P. Vila San-Juan, Una mujer

especial (Mujer n° 12, V/1938). 2 Sa publication dans Mujer occupe cinq numéros (du n° 17 au n° 21).

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en ningun s1t10. Pablo me dice que ese estado de cosas son unos

cuantos los que provocan y fomentan. Y son precisamente los que

han venido a gobernar a sus satélites que envenenan a las gentes

para que conviertan a Espafia en un pais como Rusia donde nadie

es feliz [ ... ].

La passivité de la femme est en fait à replacer dans une perspective idéologique dont les grandes lignes sont empruntées aux textes fondateurs de la Phalange. Elle apparaît dans les fictions comme sentimentalement et intellectuellement dépendante de l'individu masculin. Concha Espina, adepte d'une écriture moralisatrice sur fond de « costumbrismo » narratif, fait sienne cette conception. L'Amelia de sa courte nouvelle, La novia del

teniente1

, est la soumission faite femme. Après avoir perdu père et mère, elle ne trouve le réconfort ni chez sa sœur, elle-même victime d'un mari sans principe, ni chez un oncle tuteur où elle est critiquée de tous. La peinture « lacrymogène » de ses déboires, habituels dans les narrations feuilletonesques, sert à donner du relief à sa rencontre avec Luis Maria, ami d'enfance, devenu héroïque lieutenant de l'armée nationaliste. Leur union est célébrée dans le plus pur style du «roman» à l'eau de rose mais que l'auteur adapte aux circonstances:

Ahora la fidelidad de un alma salvaje los une de pronto en la

misma senda, cogidos del brazo, crédulos y sonrientes, llenos de

ilusi6n bajo el estandarte pavoroso de la noche y de la guerra.

Si le stoïcisme est l'apanage d'Amelia Vigil, la patience ne l'est pas moins. Elle devra s'en armer lorsque le lieutenant, rappelé sur le front, prend congé d'elle en lui confiant son chien en gage d'amour et de fidélité ...

À l'image d'Amelia, la plupart des femmes rencontrées dans les textes de la revue sont dépositaires des vertus traditionnelles consacrées par la pensée conservatrice du camp nationaliste. Elles n'existent que par la relation qui les subordonne à l'homme et par le regard qu'il pose sur elle. Rien d'étonnant par conséquent à ce que le jury du concours de contes, organisé par la revue en septembre 1938 et réservé à des auteurs féminins, soit composé de trois hommes : Francisco de Cossio, Manuel

I Mujer n° 13, Yl/1938; n° 14, Vll/1938; n° 15, Ylll/1938 et n° 16, IX/1938.

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La femme au cœur de la guerre civile espagnole

Gomez Domingo et Mariano Tomas, l'un des collaborateurs les plus

réguliers de Mujer. Le succès de ce concours est considérable puisque la

rédaction dit avoir retenu quatre-vingt-quatorze textes !

Le premier prix de deux cent cinquante pesetas revient à Maria Luisa

de Macanaz pour A la sombra de la catedral, publié au début de l'année

1939. Carmen, réfugiée en compagnie d'autres femmes dans un monastère

de province, apprend, à la lecture d'une revue - son titre nous est

familier. .. -, l'organisation d'un concours de contes auquel elle entend

participer. La symbolique du lieu, parfait contrepoint de la République

iconoclaste, s'accorde avec l'abnégation du personnage dont le

curriculum correspond en tout point à celui du stéréotype féminin de la

revue. L'état actuel dans lequel elle se trouve souligne l'anormalité de la

situation et plaide pour un retour à la « normale »

Y alla, en la soledad de su celda [du monastère], fueron

pasando su niiiez espléndida, su vida de colegiala en el

pensionado elegante; mas tarde, su entrada en el mundo, las fiestas,

los deportes, los viajes. Y mas tarde a(m, en aquella primavera

espléndida de Sevilla, el noviazgo con Luis. Y, ya en crescendo

magnifico de su felicidad, la boda en el otoiio madrileiio 1 •

Outre ce premier prix, la revue publie au cours des mois suivants trois

des cinq contes à avoir obtenu un accessit2. Exception faite de Los

disfraces del agua3, Matrimonio provisional et Polvorilla

4 ont la guerre

civile pour toile de fond. Le premier a la particularité rare d'être pris en

charge par un homme. Il s'agit d'un diplomate étranger qui propose à une

jeune femme, dont les proches parents ont été arrêtés, de fuir Barcelone où

règnent le crime et le chaos républicains. Le second met en scène le

personnage féminin de Polvorilla qui ne se contente pas d'être une

spectactrice des événements comme l'est celui d'lsabel, sa belle-sœur,

I Mujer n° 20, 1/1939. 2 Nous n'avons pas trouvé de traces de Soledad de Gracian Quijano ni de la madrina Jea de Nena

Agea Jorge Saiz de Bustamante. 3 Felicidad R. Serrano, Los disfi-aces del agua (Mujer n° 21, 11/1939). Faut-il voir cependant dans

l'allusion à une eau qui « marche d'un pas triomphal» une métaphore des victoires successives

des troupes nationalistes? Aucun autre élément du texte ne permet d'étayer ou d'infinner cette

proposition. 4 Juana de Collantes, Matrimonio provisional (Mujer n° 22, !Il ou IV/1939); Paz Ferreiros,

Polvoril/a (Mujer n° 23, V/1939).

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occupée à broder des flèches - c'est avec le joug l'insigne de la Phalange - sur les chemises bleues de son mari ... Après avoir donné des preuves mutiples de son courage, elle tente en vain de sauver son frère de l'exécution puis s'immole à la cause phalangiste dans une voiture lancée à toute allure, au cri d' « jÂrriba Es pana! » et en exécutant le salut fasciste. Ce texte d'exaltation doctrinaire - on y trouve plusieurs références à l'hymne Cara al sol - est cependant un cas à part dans la production de Mujer, à la fois par sa virulence idéologique peu habituelle, et parce que le modèle féminin qu'il propose est en décalage avec celui jusqu'à présent relevé. En réaction contre les mouvements d'émancipation féminine, dirigés par des femmes honnies dans le camp nationaliste (Victoria Kent, Margarita Nelken, Dolores Ibarruri, Federica Montseny ... ), les auteurs de Mujer sont partisans d'un statu quo dans la distribution des rôles. En ces temps de guerre, la femme se doit d'être une Pénélope entièrement dévouée au service de l'homme. Le régime franquiste ne fera qu'entériner ce statut:

Amamos a la mujer que nos espera pasiva, dulce, detras de una

cortina, junto a s_us labores y sus rezos1 •

Les textes brefs de Mujer - sans doute en raison de leur importance quantitative - possèdent l'avantage d'avoir clairement investi le cadre de ce que sera l'idéologie franquiste. La nature rétrograde de cette dernière est assumée par des personnages féminins qui, sans le savoir, dessinent la société espagnole de l'après-guerre : les textes narratifs de la revue participent d'un ample projet dont ils renforcent les fondements symboliques par une idéalisation de ses acteurs. Les formes brèves démontrent ainsi une capacité à être autre chose qu'un tribut à acquitter aux autorités nationalistes en échange de l'imprimatur ou un exercice littéraire anodin. Elles le prouvent à nouveau avec la revue Y.

À l'origine de Y, on trouve la Section féminine de la Phalange espagnole traditionaliste (F.E.T. y de las J.O.N.S.), laquelle dispose d'une relative indépendance dans le domaine de la presse et de la propagande. Y, dont le titre fait référence à la reine Isabelle de Castille2,

I Éditorial de la revue Medina (20/111/1941) cité par Carmen Martin Gaite, in Usas amorosos de la

postguerra espanola, Barcelone, Editorial Anagrama, 1994, pp. 71-72. 2 Le« Y» était au XV' siècle la première lettre du nom d'Isabelle de Castille. Les Rois Catholiques,auxquels la Phalange a emprunté son symbole du joug et des flèches, deviennent dans la rhétorique

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La femme au cœur de la guerre civile espagnole

devenue symbole de la section dirigée par Pilar Primo de Rivera, affiche

très tôt son ambition d'être la revue féminine de référence 1• Pour ce faire,

dès son troisième numéro, elle se dépouille d'un sous-titre qui pouvait

l'assimiler à une parution confidentielle (Revista de las Mujeres Nacional

Sindicalistas) pour devenir la Revista para la Mujer. Dans un même

esprit, le volume des articles réservés au Parti unique tend à s'amenuiser

au profit de rubriques traditionnelles, propres à lui attirer les sympathies

de lectrices qui lui étaient jusqu'alors étrangères. Le message idéologique

reste cependant omniprésent. Grâce à un habile parti pris féminin, les

collaborateurs de la revue, en majorité des hommes2, ne manquent pas de

reprendre les thèses officielles. C'est ainsi, qu'entre autres, Edgar Neville,

Felipe Ximénez de Sandoval ou Jacinto Miquelarena encensent la femme

nationaliste tout en rappelant les ambitions totalitaires de la Phalange.

Les hommages à son fondateur sont d'ailleurs multiples et favorisent un

ton intimiste en accord avec la ligne de la revue : José Maria Salaverria

évoque une entrevue chaleureuse avec José Antonio Primo de Rivera,

Agustin de Foxa en parle comme d'un ami et Samuel Ros se souvient de

ses rencontres avec lui dans le bar madrilène La Ballena Alegre, centre

névralgique de l'organisation avant la guerre3

. Quant à sa sœur, Pilar

Primo de Rivera, elle retrace au cours des seize premiers numéros

l'histoire de la Section féminine dont elle est, depuis juin 1934, la

première responsable 4.

politique le modèle politique incontournable et sont une constante dans les programmes d'éducation. Réalisateurs de l'unité nationale, ils permettent également de réaviver l'antisémitisme. Cf. Esther Martinez T6rtola, la ensenanza de la historia en el primer bachillerato franquista

(1938-1953), Madrid, Tecnos, 1996, p. 73. I Y est proche dans sa conception de Vértice, mais elle est d'un coût inférieur ; cf. Marie-Aline Barrachina, « De Y, Revista de las mujeres nacional sindicalistas à Y, Revis/a para la Mujer », in

Danièle Bussy Genevois (dir.), Typologie de la presse hispanique, Rennes, Presses Universitaires Rennes 2, 1986, pp. 141-149. L'auteur de l'article souligne l'emploi commun du papier glacé et du papier couché ainsi que l a similitude de l a composition typographique. 2 Journalistes, écrivains ou dessinateurs, ils sont presque tous issus de l'équipe de Vértice. 3

Y n° 10, Xl/1938, numéro spécial consacré à José Antonio Primo de Rivera. Selon Samuel Ros,qui manie l'emphase,« En el vientre de "la Ballena" seforjaba el gran estilo de la intransigencia

que hoy encontramos convertida en la espada de Franco. » Panni ses assidus on trouve Eugenio

Montes, Jacinto Miquelarena, Luis Bolarque, Luis Pelaez, Agustin de Foxâ, Dionisio Ridruejo, Victor et Luis de la Serna, Javier de Salas, Antonio de Obreg6n, Juan Cabanas ou Juan Antonio de Zunzunegui. 4 Le rôle de ces premières phalangistes consistait principalement à aider par des collectes les membres du parti en prison ou, le cas échéant, les familles de ceux qui étaient morts dans des affrontements de rue. Cf. Paul Preston, las Ires Espaiias del 36, Barcelone, Plaza Janés, 1998, pp. 143-176.

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Y prétend offrir des points de repère dans la formation des femmes en

mettant en œuvre les principes définis par José Antonio Primo de Rivera.

Celui-ci considère qu'étant donné « l'égoïsme torrentiel» de l'homme,

la femme doit se résoudre à« accepter une vie de soumission»'. Dans le

premier éditorial de la revue, il est clairement établi que la femme,

gardienne du foyer entourée de sa progéniture, doit « accomplir une mission de compagnie, d'amoureux complément et d'intégration de l'homme »2

. S'il est fait mention de ses préoccupations dans la rubrique

« ;,Qué duda tienes? », elles ne concernent que ses problèmes

sentimentaux, la tache d'encre rebelle sur le corsage, la température idéale

du four pour les desserts, les remèdes contre la chute des sourcils ou le

duvet inesthétique ...

La revue se donne clairement pour but de fournir aux femmes une

idéologie pratique, susceptible de les préparer à des temps d'austérité,

tout en les tenant éloignées de la politique. Pilar Primo de Rivera3

veille

donc jalousement sur l'héritage spirituel de son frère. Les reportages sur

les différentes activités de sa section (Auxilio Social, Frentes y

Hospitales ... ) insistent sur les qualités féminines de sacrifice, de charité,

d'humilité et de courage au service de l'homme 4.

Les récits brefs, principalement ceux qui traitent du conflit, servent à

renforcer une conception antiféministe du rôle de la femme. La casa muerta5

de la prolifique Concha Espina6

lui assigne une fonction

I Ce sont quelques-uns des termes qu'il emploie le 28 avril 1935 dans une déclaration à une

trentaine d'adeptes féminines: « El hombre -siento, muchachas, contribuir con esta confesi6n a

rebajar un poco el pedestal donde acaso le teniais puesto- es torrencialmente egoista; en

cambio, la mujer casi siempre acepta una vida de sumisi6n, de ofrenda abnegada a una tarea »,

in Paul Preston, Las tres Espaiias del 36, op. cit. 2

Y n° 1, 11/1938, p. 2. Les femmes qui font de la politique sont les « têtes de turc » de la revue. À

titre d'exemple, l'article d'Edgar Neville au sujet de Margarita Nelken s'intitule « Margarita Ne/ken

o la maldad » (Y n° 8, IX/1938). 3 Pilar Primo de Rivera conservera son poste de déléguée nationale de la Section féminine jusqu'à la

dissolution des organes du Mouvement en 1976. 4 N'apprend-t-on pas qu'un grand nombre d'entre elles ont été « poursuivies par la tyrannie rouge»

et qu'elles ont séjourné dans des cachots où elles ont appris à ne plus avoir peur des rats ou des

souris? (Luis de la Barga, « lntimidades de la guerra: ratas y ratones », in Y n° 1 1, XIl /1938). 5 Y n° 3, IV/1938. Ce texte est repris dans un recueil intitulé El fraile menor (Cuentos}, Madrid,

Gràfica lnformaciones, 1942. 6 Pendant la guerre, elle écrit dans de nombreuses revues nationalistes - quelques-unes de ses

nouvelles sont reprises dans Luna raja. Nove/as de la Revoluciàn, Valladolid, Libreria Santarén,

1939 - et publie plusieurs romans, ainsi qu'un journal, tous en prise avec le conflit: Retaguardia.

Jmcigenes de vivos y muertos, Saint-Sébastien, Libreria lntemacional, 1937; Las a/as invencibles.

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La femme au cœur de la guerre civile espagnole

d'épouse obéissante et soumise: Maria Luisa, qui s'apprête à abandonner sa maison pour se réfugier dans une ambassade, est incapable d'initiative personnelle ; elle s'en remet entièrement à son mari, un activiste phalangiste. Elle est aussi et surtout une mère attentive, comparée avec emphase à la Vierge, qui protège un fils symboliquement prénommé José Antonio ! Une fois en sûreté grâce aux autorités allemandes - l'auteur leur voue une profonde admiration -, elle devient une parfaite Pénélope qui brode l'insigne phalangiste sur les chemises bleues de son époux, devenu combattant sur le front d'Aragon. Dans Recuerdo de aquellas

horas1

- titre qui souligne la proximité de la victoire -, Ana Maria Tollastres fait de la femme une vestale de la religion catholique, capable d'improviser un confessionnal au moyen d'un dossier de chaise. Le texte laisse augurer un nouveau culte consacré aux valeurs domestiques dont la femme se doit aussi d'être la gardienne zélée:

Y aquella habitaci6n se transform6 en un templo y aquel tocador en un altar y una polvera chiquitita de sefiora fue el cop6n.

L'idéalisation de la femme, à laquelle ne sont pas étrangers les illustrateurs (Ar6ztegui, Maria Claret, «Usa», Carlos Saenz de Tejada ... ) qui la représentent toujours dans une mise impeccable, n'est pas démentie lorsqu'elle est infirmière. Cette fonction, l'une des rares qu'elle soit en droit d'exercer, n'est que transitoire et motivée par des circonstances exceptionnelles. La jeune phalangiste de Porque lo quiso

Dias de Gracian Quijano2 n'a renoncé aux plaisirs du cinéma, du tennis, de la natation, des concerts ou de la coquetterie, que parce que la situation l'exigeait - elle n'en oublie pas pour autant ses rêves de mariage. À la fois peintre, graveur3 et écrivain, Ricardo Baroja, le frère de Pio Baroja, semble même voir dans cet emploi le remède efficace pour lutter contre la vanité féminine. Palinodia

4 - la palinodie est adressée par un vieux

garçon à sa nièce sous la forme d'une lettre - montre comment une oie

Nove/a de amores, de aviaci6n y de liber/ad, Burgos, lmprenta Aldecoa, 1938 ; Princesas del

martirio, Barcelone, Ediciones Armitïo, 1939 ; Esclavitud y Libertad. Diario de una prisionera,

Valladolid, Ediciones Reconquista, 1938. I

Y n° 14, 111/1939. 2 Y n° 4, Y/1938. 3 Il est l'auteur de Croquis de guerre, qui ne sont pas sans rappeler les Désastres de la guerre de

Goya. 4

Y n° 6-7, VII-Ylll/1938.

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Didier CORDEROT

blanche (la nièce en question) est capable de se métamorphoser en une infirmière responsable.

Une autre activité exercée dans le cadre de la Section féminine trouve un écho narratif dans Y. Il s'agit de la participation des femmes et des filles de la bonne société aux œuvres sociales de l 'Auxilio de Invierno et plus particulièrement aux collectes qui sont faites en son nom 1•

Tomaduras de pela, le texte de Federico de Madrid2

, présente laparticularité de rompre avec la version « consensuelle » du don et avec l'image habituellement effacée de la femme. Dans ce récit, un «commando» de jeunes filles, qui œuvrent pour l'Auxilio de Jnvierno,

obtient par la menace un don considérable d'une riche veuve qui s'était jusqu'alors contentée d'aumônes ridicules. L'auteur ne manque pas de tirer de cette histoire une morale qui cautionne le procédé utilisé

Y he aqui c6mo la patri6tica y caritativa agresividad de

aquellas muchachitas obtuvo de un golpe muchas hogazas de pan

para los nifios hambrientos y por feliz carambola, muchas prendas

de abrigo para los hombres del frente.

Ce récit laisse affleurer une conception plus volontariste de la femme que défend au sein de la Phalange la veuve d'Onésimo Redondo3

,

Mercedes Sanz Bachiller. En s'inspirant de l'exemple nazi, elle revendique un embrigadement de la femme qui se concrétise par l'organisation, avec Javier Martinez Bedoya, de l'Auxilio de Invierno

4,

puis du Servicio Social de la Mujer. Sa rivale, Pilar Primo de Rivera, pense au contraire que la« régénération féminine» passe par un retour au foyer. Franco lui donnera raison5

.

I Cf. Maria Teresa Gallego Méndez, Mujer, Fa/ange y Franquismo, Madrid, Taurus, [983. 2

Y n° 15, IV/! 939. 3 li es! avec Ramiro Lcdesma Ramos le fondateur des J.O.N.S. 4 Fondé à la fin du mois d'octobre 1936, l'Auxi/io de /nvierno (orphelinats, centres d'accueil pour

les veuves, cantines ... ) est rebaptisé, en mai 1937, Auxilio Social. En octobre 1937, selon Hugh

Thomas (la Guerre d'Espagne, op. cil., p. 837), « Auxilio de Jnvierno comptait 711 maisons, en

octobre /938, J 265, et en octobre 1939, 2 887 ». L'exemple de l 'Auxi/io de Jnvierno est à

l'origine d'autres organismes dont les Cocinas de la Hermandad. Les Margaritas, organisation

carliste féminine, ne furent pas non plus en reste dans le domaine social.

5 Mercedes Sanz Bachiller tombera temporairement en disgrâce. Outre les raisons politiques, il

semble que son remariage avec Javier Martinez Bedoya ait fait définitivement pencher la balance en

faveur de Pilar Primo de Rivera. Elle fut destituée par Serrano Suiier de son poste de déléguée

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La femme au cœur de la guerre civile espagnole

La revue Y, à l'image du mouvement dont elle est l'expression,

prêche une soumission sociale des femmes qui va servir de base à la

société franquiste. En règle générale, ce que mettent en évidence les textes

narratifs, c'est que leur activisme social est avant tout dû aux

circonstances et doit prendre fin avec le retour de la paix : les récits brefs

participent à la mise en place d'un type féminin qui prend délibérément le

contre-pied de celui qu'avait esquissé la République. Les femmes qui ont

renoncé à s'émanciper n'aspireraient qu'à retrouver les joies du foyer, les

rires de leurs enfants et les conseils de leur mari ... Y constitue ainsi un

rouage important de l'appareil de presse et de propagande de la Phalange

unifiée qui répond à la volonté d'asseoir l'emprise des idées du parti

auprès d'un public féminin sciemment «ciblé» et susceptible d'en être

ensuite le vecteur.

Pour reprendre l'expression de l' écrivain Enrique Jardiel Poncela,

fervent défenseur de la cause nationaliste, on peut dire que les textes

narratifs présents dans Mujer et Y, érigent en modèle la « femme bleue »1

,

c'est-à-dire« celle qui est féminine sans être féministe; celle qui prie et

raisonne ; celle qui sait être à la maison et marcher dans la rue ; celle

qui connaît ses horizons mais n'ignore pas ses limites » ou encore

« celle qui a appris que la véritable indépendance c'est de dépendre de

tout» ! Pilar Primo de Rivera, leur chef de file, n'est-elle pas convaincue

que les femmes ne découvrent jamais rien car c'est aux hommes que Dieu

a réservé cette tâche ? Elles devront donc se contenter de procréer et de

veiller à la bonne marche de leur foyer. Après la victoire nationaliste, par

une ironie de l'histoire, le club Medina de la Phalange investit les locaux

du Lyceum club de Madrid. Là où toutes les questions concernant

nationale de l'Auxilio Social au motif de malversations .. Le même Serrano Sufier lui confie en 1942

un poste à l'Institut national de prévision qui s'occupe alors d'une fantomatique sécurité sociale. I Enrique Jardiel Poncela, « Mujeres verdes, mujeres rojas, mujeres lilas, mujcres grises, Mujeres

Azules », in Y n° 6-7, VII-Vlll/1938. L'article est reproduit dans sa totalité par Marie-Aline

Barrachina, Propagande et culture dans l'Espagne franquiste 1936-1945, Grenoble, Ellug, 1998,

pp. 23 7-241. Panni les « femmes vertes », on trouve entre autres des « voyageuses, blondes, de

transatlantiques et d'express», des << divorcées de maris inconnus», des « femmes de théâtre, de

cinéma», des « étoiles de variétés».. La catégorie des «femmes rouges» concerne évidemment

toutes les femmes qui ont une activté politique ou qui auraient l'intention de s'émanciper.. Le

groupe des «femmes lilas» est constitué d'« étudiantes universitaires de la F.U.E. » [syndicat

universitaire de gauche], de «féministes», de « pédantes et autres femmes savantes », de

« républicaines par admiration pour le talent et la beauté d'Azana » ! Le quatrième est celui des

« femmes grises», c'est-à-dire des « lectrices de romans à l'eau de rose», des «fatalistes», des

« femmes sans cervelle » .. Le dernier groupe étant celui des « femmes bleues » qui a toute la

sympathie de ! 'auteur.

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l'égalité des sexes avaient été abordées, et ce dès les années vingt, on donnera désormais des cours de religion, de morale, de national­syndicalisme, de confection, d'économie domestique, de gymnastique et de puériculture' !

I Cf. lsaias Lafuente, Tiempos de hambre. Viaje a la Espaiia de posguerra, Madrid, Ternas de Hoy,

1999, p. 86.

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