La faillite de l’imaginaire. Micropolitiques de Sayeh …2014/04/18  · Détail de la murale...

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31 PARTAGES Tweeter 5 0 En juin 2009, la population iranienne se mobilise pour dénoncer la réélection de Mahmood Amadinejad dans ce qu’on appellera le «mouvement vert». Face à l’oppression politique et médiatique, le peuple se sert des médias sociaux et des nouvelles technologies de communication pour dénoncer la violence commise par les gardes de la révolution. Pendant plusieurs semaines, les yeux du monde entier seront rivés sur l’Iran. Au Québec comme ailleurs, le mouvement vert sera vécu à travers ces images brutales qui nous parviennent depuis le front. Exilée de son Iran natal, l’artiste Sayeh Sarfaraz tente de recomposer ces mêmes évènements à travers le filtre de l’imaginaire. Détail de l’exposition. Crédits photographiques: Fanny Gravel-Patry L’exposition Micropolitiques, commissariée par Claire Moeder, est avant tout le lieu d’un récit personnel où se déploient dessins colorés et jeux d’enfant. Dans l’univers de Sarfaraz, les images violentes qui ont inondé nos écrans sont remplacées par des figures anonymes et des personnages Lego dispersés dans l’espace d’exposition pour créer une «œuvre d’art totale» dans laquelle sera immergé le spectateur. Dès son entrée, ce dernier est accueilli par une gigantesque murale. Composée de formes géométriques simples et épurées, celle-ci met en scène deux groupes d’individus distincts, les uns vêtus de bleu, les yeux bandés, et les autres de vert. Les verts, qui affichent aussi de longues barbes et de grands chapeaux[1], tiennent les bleus qui sont pendus ou violentés. On comprend vite que ce qui semble être une parade loufoque de bouffons et de lutins est en fait une confrontation tragique entre des manifestants et la bassidji, la garde de l’État islamique. Par la simplicité des formes et des couleurs, l’artiste recompose à sa manière les confrontations de 2009 tout en laissant place à l’interprétation et à l’imagination du Accueil » Critiques » Arts visuels » La faillite de l’imaginaire. Micropolitiques de Sayeh Sarfaraz La faillite de l’imaginaire. Micropolitiques de Sayeh Sarfaraz Arts visuels Critiques LES PLUS LUS LE CONTACT [email protected] www.fb.com/artichautmag twitter.com/artichautmag Artichaut magazine LE MAGAZINE DES ÉTUDIANTES EN ART DE L'UQAM Recherche Publié par Fanny Gravel-Patry le 18 avril 2014 30 J’aime Share 0 Le masculin l'emporte toujours sur le féminin. Elles XXx de Mylène Mackay et Marie-Pier Labrecque La faillite de l’imaginaire. Micropolitiques de Sayeh Sarfaraz Une brèche au coeur de l'humanité. Le trou d'Eugénie Beaudry Un brin de fiction pour souffler sur les braises mourantes de la révolte. Besbouss, autopsie d'un révolté de Stéphane Brulotte Jouer le JEU? Lancement de la nouvelle mouture de la revue de théâtre Dépasser les traumatismes, les doutes et les préjugés par le dire. Soirée des manifestes «La francophonie est en feu» Exit le personnage, voyage aux confins de l'onirisme. Villes du Théâtre de la Pire Espèce Écrire son imaginaire. Entretien avec Eugénie Beaudry ACCUEIL CRITIQUES ENTREVUES CHRONIQUES DOSSIERS CARNETS MAGAZINE PAPIER À PROPOS DE L’ARTICHAUT

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Page 1: La faillite de l’imaginaire. Micropolitiques de Sayeh …2014/04/18  · Détail de la murale située devant l’entrée de la salle Alfred-Pellan. Crédits photographiques: Fanny

31 PARTAGES Tweeter 5 0

En juin 2009, la population iranienne se mobilise pour dénoncer la réélection de Mahmood

Amadinejad dans ce qu’on appellera le «mouvement vert». Face à l’oppression politique et

médiatique, le peuple se sert des médias sociaux et des nouvelles technologies de

communication pour dénoncer la violence commise par les gardes de la révolution.

Pendant plusieurs semaines, les yeux du monde entier seront rivés sur l’Iran. Au Québec

comme ailleurs, le mouvement vert sera vécu à travers ces images brutales qui nous

parviennent depuis le front. Exilée de son Iran natal, l’artiste Sayeh Sarfaraz tente de

recomposer ces mêmes évènements à travers le filtre de l’imaginaire.

Détail de l’exposition. Crédits photographiques: Fanny Gravel-Patry

L’exposition Micropolitiques, commissariée par Claire Moeder, est avant tout le lieu d’un récit

personnel où se déploient dessins colorés et jeux d’enfant. Dans l’univers de Sarfaraz, les

images violentes qui ont inondé nos écrans sont remplacées par des figures anonymes et

des personnages Lego dispersés dans l’espace d’exposition pour créer une «œuvre d’art

totale» dans laquelle sera immergé le spectateur. Dès son entrée, ce dernier est accueilli par

une gigantesque murale. Composée de formes géométriques simples et épurées, celle-ci met

en scène deux groupes d’individus distincts, les uns vêtus de bleu, les yeux bandés, et les

autres de vert. Les verts, qui affichent aussi de longues barbes et de grands chapeaux[1],

tiennent les bleus qui sont pendus ou violentés. On comprend vite que ce qui semble être

une parade loufoque de bouffons et de lutins est en fait une confrontation tragique entre

des manifestants et la bassidji, la garde de l’État islamique.

Par la simplicité des formes et des couleurs, l’artiste recompose à sa manière les

confrontations de 2009 tout en laissant place à l’interprétation et à l’imagination du

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Publié par Fanny Gravel-Patry le 18 avril 2014

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Le masculin l'emporte toujours

sur le féminin. Elles XXx de

Mylène Mackay et Marie-Pier

Labrecque

La faillite de l’imaginaire.

Micropolitiques de Sayeh

Sarfaraz

Une brèche au coeur de

l'humanité. Le trou d'Eugénie

Beaudry

Un brin de fiction pour souffler

sur les braises mourantes de la

révolte. Besbouss, autopsie d'un

révolté de Stéphane Brulotte

Jouer le JEU? Lancement de la

nouvelle mouture de la revue de

théâtre

Dépasser les traumatismes, les

doutes et les préjugés par le dire.

Soirée des manifestes «La

francophonie est en feu»

Exit le personnage, voyage aux

confins de l'onirisme. Villes du

Théâtre de la Pire Espèce

Écrire son imaginaire. Entretien

avec Eugénie Beaudry

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Détail de la murale située devant l’entrée de la salle

Alfred-Pellan. Crédits photographiques: Fanny Gravel-

Patry

spectateur. L’objectif serait ici de

«transcender des réalités qui nous auraient

peut être laissés indifférents», pour

reprendre les mots de Béatrice Vaugrante

d’Amnistie internationale, partenaire de

l’exposition.

À travers la galerie, de petites fenêtres se

découpent dans les murs érigés le temps de

l’exposition, laissant place à des scènes

miniatures composées de Legos: une

manifestation, des soldats, une exécution…

L’utilisation de ces figurines fait directement

appel à l’univers ludique de l’enfance; on

peut facilement reconnaître les différents

personnages qui jadis peuplaient notre imaginaire. À la manière d’un enfant qui crée son

propre univers, l’artiste reconstitue les évènements de 2009 à partir d’un langage à la fois

intime et universel.

Les murs flottants de la galerie sont transformés en bâtiments, et l’espace d’exposition en

labyrinthe urbain dans lequel déambule le spectateur. Au sol, on peut observer ce qui

semble être la commémoration d’un martyr du mouvement vert[2], incarné par des Legos.

Un personnage taché de sang est disposé à l’intérieur d’un lit de roses autour duquel sont

venus se recueillir les activistes. Malgré l’aspect respectueux et pacifiste de la cérémonie,

nous pouvons observer la présence de la Bassidji qui encercle le regroupement. Le

spectateur est également invité à entrer, à sa discrétion, dans une petite pièce blanche qui

tient lieu de prison. Nous pouvons y observer des cubes blancs sur lesquels se poursuivent

les confrontations qui figurent sur la murale de l’entrée, suggérant l’arrestation massive des

manifestants. Ces mises en scène contrastent avec les figures ludiques utilisées, nous

rappelant les horreurs commises par le gouvernement d’Amadinejad et le désillusionnement

politique de la population iranienne. Ici, le Lego symbolise la conformité de la masse sous la

menace de la censure et des arrestations aléatoires.

Détail de l’exposition.

Crédits photographiques: Fanny Gravel-Patry

Le destin des figurines est désormais entre les mains de l’artiste, traduisant l’anxiété

quotidienne de la vie sous un régime dictatorial. Pour d’autres, ces pions de plastique font

plutôt appel à l’industrialisation de la culture de masse. En s’appropriant ces objets, Sarfaraz

ne commente par seulement la situation politique iranienne, mais l’état général des relations

de pouvoir qui structurent nos sociétés.

Le jeu d’échelle entre les figurines miniatures et le vaste espace de la galerie désoriente

notre regard qui devient rapidement étranger aux scènes observées. À la manière du

panoptique, le spectateur a un point de vue privilégié sur ce qui ce passe, renforçant le jeu

de pouvoir illustré et nous excluant émotionnellement des évènements politiques

Université du Québec à Montréal

405 rue Sainte‐Catherine Est

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Extrait d’une installation

Lego.

Crédits photographiques:

Fanny Gravel-Patry

représentés. Ce sentiment d’étrangeté est consolidé par un manque de médiation entourantles œuvres.

Outre le texte de présentation et le document disponible à l’entréede l’exposition[3], on possède peu d’information sur lespersonnages représentés, ce qui peut porter à confusion. Parexemple, un Lego habillé en ayatollah et braquant un fusil vers lespectateur peut facilement être confondu avec les terroristes oules talibans trop souvent représentés dans les médias de masseoccidentaux. Un manque de précision peut alimenter certainsstéréotypes sur l’Islam et l’Iran alors que, rappelons-le, lemouvement vert était également un mouvement pour l’affirmationd’une identité iranienne, au-delà du contrôle étatique et desstéréotypes qui lui sont associés dans la culture visuelleoccidentale[4].

Les Micropolitiques de Sayeh Sarfaraz demeurent un témoignage rafraichissant dumouvement vert qui fait perdurer sa mémoire dans l’imaginaire de l’artiste comme dans celuidu spectateur. Malgré que l’efficacité des œuvres soit minée par un manque d’explication, letravail de Sarfaraz nous rappelle l’importance de la mobilisation sociale pour la justice,l’égalité et un meilleur vivre ensemble.

——Vous avez juqu’au 27 avril prochain pour aller visiter les Micropolitiques de Sayeh Sarfarazà la salle Alfred-Pellan de la Maison des arts de Laval, au 1395 boulevard de la ConcordeOuest.

[1] Il s’agit ici d’une exagération des traits caractéristiques de l’ayatollah, expert de lathéologie islamique et leader spirituel de l’État islamique, qui porte la barbe et le turban. Cedernier possède le plein pouvoir politique et religieux en tant que « guide de la révolution »,au-delà des membres élus du gouvernement. Il est à la tête des forces armées, dont labassidji, mais aussi du pouvoir législatif, exécutif et judiciaire.

[2] La tradition du martyr remonte à la naissance même du shiisme, une des branchesprincipales de l’Islam et la religion officielle de la République Islamique d’Iran. Le shiismenaît d’un trauma collectif survenu lors de la bataille de Karbala en 680. Deux conceptsémergent de cet événement : l’innocence (mazlumiyyat) et le martyre (shahadat). L’innocentest celui qui est sujet à la tyrannie et qui souffre d’injustice ; une condition jugée« prédestinée ». Sa mort est nécessaire pour assouvir ses maux et ceux de son entourage. Lamort de l’Imam Hossein (le petit fils du prophète Mohammed) et de sa famille lors de labataille de Karbala est commémorée comme l’événement tragique qui aurait libérél’humanité. Voir: DABASHI, Hamid (2011). Shi’ism: A religion of protest, Belknap press ofHarvard University Press.

[3] Le document définit quelques noms et termes essentiels à la compréhension dumouvement vert : Mahmood Ahmadinejad, Mir Hossein Moussavi, Procès, Révolution twitter,Ayatollah, etc. Ceci dit, lorsqu’on ne connaît pas le sujet, il est difficile d’associer les termesaux éléments représentés.

[4] Pour plus d’information, lire DABASHI, Hamid (2012). The Arab Spring : The end ofpostcolonialism, New York, Zed Books.

Tags de l'article: Amnistie internationale, bassidji, Béatrice Vaugrante, Claire Moeder, Iran,Lego, Mahmood Amadinejad, Maison des arts de Laval, Micropolitiques, salle Alfred-Pellan dela Maison des arts de Laval, Sayeh Sarfaraz

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Fanny Gravel-Patry Outre son amour inconditionnel pour les félins, Fanny est

aussi passionnée de culture visuelle et elle complète actuellement une

maîtrise en histoire de l'art à l'Université de Montréal. Ses recherches portent

sur l’incidence des questions identitaires sur la représentation de l’altérité

dans la culture visuelle, plus particulièrement dans le contexte actuel des

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