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II y a de multiples [aeon: de ne pas ressembler a tout Ie monde, meme dans un pays qui prone Uegalitarisme dans sa devise. Beaucoup de Fran~ais aspirent a eire differents, a etre distingues, que ce soU par la naissance, lafortune ou encore par I'esprit, Ie charme au Ia personnalite. Toutes les differences ne sont pourtant pas facHes a vivre ... LA DISTINCTION BOURGEOIS O'HIER ET O'AUJOURO'HUI On presente souvent la Revolution Irancaise comme une revolution « bour- geoise )}.La bourgeoisie avait acquis un pouvoir economique au XVII' et au XVUl' steeles. La Revolution, en supprimant les privileges dus a la naissance, lui a permis de [aire valoir ses droits poli- tiques. Le XIX' steele est l'age d'or de « la France bourgeoise» :les bourgeois sont de veritables notables, qui controlent Ie pouvoir economique, politique et sociaL. Pendant tout Ie XIX' steele, un grand nombre de bourgeois cherchent en fait a copier les attributs* de la noblesse. Certains essayent d'obtenir un tilre de noblesse (altribue par Ie souverain jusqu'en 1870, puis par Ie pape) ou prennent l'habitude de faire preceder leur nom de la particule « de)}, dans l'es- poir de faire oubher leur origine rotu- riere". D'autres achetent un chateau ou «un domaine » (le fait de posseder des terres les ancre dans la tradition Ieodale). II est aussi assez frequent que des families de bourgeois et d'saristo- crates» s'unissent par mariage (en gene- ral une jeune fille bourgoise, mais riche, epouse unjeune noble sans Ie sou i). En fail, par l'unification des compor- tements, des styles de vie, des valeurs, la Irontiere entre la noblesse et la bour- geoisie s'est peu a peu estompee, jusqu'a pratiquement disparaitre au cours du XX' steele. Quand on parle de « la bourgeoisie», on englobe l'ensemble de la elasse sociale privilegiee, celle que Ie sociologue Pierre Bourdieu appelle « les heritiers ». On appartient aux «hen- tiers )}par la naissance, si on dispose (par heritage) non seulement d'une fortune (un capital economique), mais aussi d'un capital culturel qui VOtiS distingue des classes populaires, des classes ••••••••••••••••••••• BON GOUT ET PRATIQUES CULTURELLES « Dans La Distinction, critique soc/ale du jugement, Pierre Bourdieu oppose a la vision courante, qui tient les goUts pour un don de la nature, l'obser- vation scientlfique qui montre que ceux- cl sont determines et organises entre eux par notre position dans la societe. La distinction est donc une entreprise de deconstruction de I'ldee recue selon laquelle -tes goUts et les couleurs, c;ane se dlscute pas •. [ ... ] L'acces a certaines pratiques cultu- relies (theatre, masee, galerie) est inega! selon les classes sociales. Alors que les plus diplomas rejettent comme cuculs les photographies de premiere communion, les classes populaires reaglssent negatlvement a I'egard de photographles esthetisantes. II exlste des domaines culturels nobles (musique classique, peinture, sculpture, IIttera. ture, theatre) et des pratlques en voie de legitimation (cinema, photo, chan- son...). A I'interieur de chacun de ces

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II y a de multiples [aeon: de ne pas ressembler a tout Ie monde,

meme dans un pays qui prone Uegalitarisme dans sa devise.

Beaucoup de Fran~ais aspirent a eire differents,

a etre distingues, que ce soU par la naissance, la fortune

ou encore par I'esprit, Ie charme au Ia personnalite.

Toutes les differences ne sont pourtant pas facHes a vivre ...

LA DISTINCTION

BOURGEOIS O'HIER ET O'AUJOURO'HUI

On presente souvent la RevolutionIrancaise comme une revolution « bour-geoise )}.La bourgeoisie avait acquis unpouvoir economique au XVII' et au XVUl'

steeles. La Revolution, en supprimantles privileges dus a la naissance, lui apermis de [aire valoir ses droits poli-tiques. Le XIX' steele est l'age d'or de « laFrance bourgeoise» : les bourgeois sontde veritables notables, qui controlent Iepouvoir economique, politique et sociaL.

Pendant tout Ie XIX' steele, un grandnombre de bourgeois cherchent en fait acopier les attributs* de la noblesse.Certains essayent d'obtenir un tilre denoblesse (altribue par Ie souverainjusqu'en 1870, puis par Ie pape) ouprennent l'habitude de faire precederleur nom de la particule « de)}, dans l'es-poir de faire oubher leur origine rotu-

riere". D'autres achetent un chateau ou«un domaine » (le fait de posseder desterres les ancre dans la traditionIeodale). II est aussi assez frequent quedes families de bourgeois et d'saristo-crates» s'unissent par mariage (en gene-ral une jeune fille bourgoise, mais riche,epouse unjeune noble sans Ie sou i).

En fail, par l'unification des compor-tements, des styles de vie, des valeurs,la Irontiere entre la noblesse et la bour-geoisie s'est peu a peu estompee,jusqu'a pratiquement disparaitre aucours du XX' steele. Quand on parle de« la bourgeoisie», on englobe l'ensemblede la elasse sociale privilegiee, celle queIe sociologue Pierre Bourdieu appelle« les heritiers ». On appartient aux «hen-tiers )}par la naissance, si on dispose (parheritage) non seulement d'une fortune(un capital economique), mais aussid'un capital culturel qui VOtiS distinguedes classes populaires, des classes

•••••••••••••••••••••BON GOUT

ET PRATIQUES CULTURELLES

« Dans La Distinction, critiquesoc/ale du jugement, Pierre Bourdieuoppose a la vision courante, qui tient lesgoUts pour un don de la nature, l'obser-vation scientlfique qui montre que ceux-cl sont determines et organises entreeux par notre position dans la societe.La distinction est donc une entreprisede deconstruction de I'ldee recue selonlaquelle -tes goUts et les couleurs, c;anese dlscute pas •. [ ... ]

L'acces a certaines pratiques cultu-relies (theatre, masee, galerie) estinega! selon les classes sociales. Alorsque les plus diplomas rejettent commecuculs les photographies de premierecommunion, les classes populairesreaglssent negatlvement a I'egard dephotographles esthetisantes. II exlstedes domaines culturels nobles (musiqueclassique, peinture, sculpture, IIttera.ture, theatre) et des pratlques en voiede legitimation (cinema, photo, chan-son... ). A I'interieur de chacun de ces

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secteurs, on trouve dlffilrents niveauxde distinction. Au seln de la musiqueclasslque, par ex4;tmple,on peut repererun goUt populalre (Le Beau DanubebJeu), un goUt moyen (Rhapsody InBlue), un goUt distingue (Le Claveclnbien tempere).

Les classes moyennes cherchent illse distlnguer des categories Inffirieures etaspirent aux pratiques des classes su~rieures. Ne poss8cIant pas toes Ies codes,elies vont "singer" Ies pratiques nobles ouse livrer a des pratiques de substitution.Alnsi, 18 photographie esthirtisante dansiaquelle Ies classes moyennestrouvent Iesubstltut ill leur portee ill des pratlquesnobles InaccessIbies. Ces aspirationsInduisent une dynamique: certaines prati.ques et <2UVre5 se dlwlguent, passant du"distingue" au "vuIgaire" (par exemplel'AdagIo d'A1b1non1), poussant Ies classessuperieures a trouver d'autres signesdlstlnctifs.

Les occasions de mettre en scenela distinction sont inepulsables, memedans les pratiques les plus banales:vetement, decoration, tourlsme, lolslr,sport, cuisine... Les classes populalrespreterent la grande ..bouffe" au petitplat, la vlande au poisson, Ie gras auraffine. it I'ethlque de la sobiiete, lespaysans et les ouvrlers opposent lamorale du "bon vivant". Toutes cesdeterminations renvolent a une ethiquede la necessite ancree plus profonde-ment que les simples contralnteseconomlques. Elles revelent un rapportau corps privilegiant la force et I'utilitepar rapport a la fonne et I'esthetique.Ce qui montre ill quel point les nonnessoclales sont profondement interior!-sees.

On retrouve les memes principesen observant les pratiques sportlves.Les sports populaires (football, rugby,boxe) consacrent la force, I'esprlt desacrifice. Les sports des classes moyen-nes et superieures (golf, yachting, equi-tation, escrime) privileglent I'ampleur,la distance. lis se font seul ou avec despartenaires cholsls ••

-La Distinction- selon Pierre Bourdleu,Sciences HumaJnes nO30, julllet 1993 .

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7LA DlSnNCTlON

moyennes ou merne de ceux que l'onappelle les «parvenus». « Les heri-tiers» ce sont les gens «de la haute >I (lahaute societe), disent les petites gens,avec un certain respect (puisque c'est ledestin qui en a fait des privilegies).Traiter quelqu'un de « bourgeois» n'estpas ires [latteur - l'ideologie egalitaireet anti-elitiste est assez repandue enFrance - mais le qualifier de « parvenu»ou de « petit bourgeois» est quasimeruune insulte! Les parvenus, ce sont « lesnouveaux riches», qui essaient de copierles bourgeois; its sont rneprises autantpar les vrais bourgeois que par Ie milieud'ou ils viennent, car on leur reprochede pan et d'autre de « faire des manieres»et d'oublier leurs origines populaires. Sion ironise sur « les petits bourgeois >I,

c'est qu'ils se caracterisenr essentielle-ment par leur conformisme social etintellecmel. Le developpement desclasses moyennes pouvaillaisser penserqu'un grand nombre de Fran<;aisallaient «s'embourgeoiser». Mais labourgeoisie est tellement marquee par

un ensemble de traits, de signes dereconnaissance, que c'est un universdifficile a penetrer, Un certain nombred'expressions temoignent de ce senti-ment de difference: on est d'un «bonmilieu», d'une « bonne famille », on a« bon genre ». Pour rester entre gens dumerne monde, il faut recevoir la memeeducation, se marier avec quelqu'un dumerne milieu, habiter dans des quar-tiers particuliers.

La frequentation d'etablissernentsscolaires et universitaires reputes pourleur caractere elitiste permet de rece-voir, non seulement une bonne forma-tion, mais aussi une bonne educationentre jeunes gens du rnerne milieu. Ony attache beaucoup d'importance auxcodes de politesse, au langage, auxbonnes manieres. Ce sont souvent desetablissements religieux - Notre-Damedes Oiseaux, Sainte-Marie, Stanislas-parfois des etablissements publics. AParis, par exemple, Ie lyceeJeanson-de-Sailly et Ie Iycee Louis-Ie-Grand ont la

oK J~N ~IJD~J" (H~Z VoS rAR~Ts/LI15r~4t J~ MANq~AVeG LA rouR CHe.rre; eT /;£ {ouTtAU J MAiS EHSuiTe I {))i5-J"~LA KO~DiUERJ L'AVAt.£;~ oU I.A So~oTf.R1!

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reputation d'etre de «grands» lycees,accessibles seulement aux ires bonseleves, Parmi les etablissernents d'ensei-gnement superieur, certains sont plusprestigieux que d'autres. Les etudiantsd'origine bourgeoise y sont tres large-ment majoritaires: c'est notammerul'lnstitut d'etudes poliuques de Paris(« Sciences-Po»), l'Ecole nationaled'adrninistration (l'ENA), la Iaculte deDroit, l'Ecole polytechnique.

Dans la region parisienne, la bour-geoisie habite surtout dans « les beauxquartiers »: les 16', 8<et 7<arrondisse-ments, Neuilly, la banlieue Ouest. Envacances, die prelere certaines stationsbalneaires de Bretagne (Dinard, Saint-Malo) ou de Normandie (Cabourg) etl'incontoumable «villa de Iamille » auxplages et aux hotels de la Cote d'Azurqu'affectionnent les «nouveaux riches».

Les loisirs sont soigneusementselectionnes. On pratique des sportsdits « nobles» - l'equitation, l'escrime,Ie tennis dans des clubs prives. Lesfamilies organisent «des rallyes», cessoirees mondaines oil jeunes gens etjeunes fiUespeuvent se rencontrer et semarier, sans risque de «mesalliance» !

La distinction bourgeoise, c'est seconformer a un certain nombre de«manieres »: une fac;on de parler, derespecter les convenances. CeSl aussimarquer sa difference culturelle parI'apparence elle style vestimenlaire. 11ya un style «BCBG» (bon chic, bongenre): vetements de marque presti-gieuse, mais discrets. Cest un stylepasse-partoul, hors des modes, capablede traverser les generations, descouleurs neutres (beige, ivoire ou blanccasse, bleu marine). nmpenneableanglais. les mocassins a talons plats,l'indemodable « cam: Hermes» et Iecollier de perles completent l'uniforme.

7LA DlSnNCTlON

NE PAS ETRE((MONSIEUR TOUHE-MoNDE II

On peut « avoir l'air distingue »parce qu'on appartient a un milieuprivilegie, mais on peut aussi sortir del'ordinaire parce qu'on a su « se trouverun style». Ce qui compte, c'est de ne pasressembler a tout le monde, et surtoutde ne pas avoir l'air d'un « beauf >1 ! Lebeauf (qui vient de l'abreviation debeau-Irere), c'est un personnage inveniepar le dessinateur Cabu, la caricaturedu « Francais moyen II ayant des aspi-rations* de petit-bourgeois, des ideeschauvines et conservatrices «( franchouil-lardes»), souvent aussi un comporte-ment macho avec les femmes.

Entre les deux extremes - le grandbourgeois et « Ie beauf» - toutes Iesnuances sont possibles. Mais pour avoir« de la classe», il faut avoir un genrebien a soi! Dans la litleralure, les herossonl souvent des personnages qui sesont faits tout seuls. lis n'ont pas deprivileges de naissance, ils reussissent avaincre Ie handicap de leur originesociale par leurs qualites personnelles.Les plus celebres sontJuhen Sorel (chezStendhal) et Rastignac (chez Balzac):des «jeunes loups» qui veulent reussirleur vie a Paris. De grands artistescomme Van Gogh, Rimbaud, Verlaineou encore Genet se sont singularises parleur marginalite et leur destin tragique.

LA PEUR DES DIFFERENCES

Parmi les nombreuses contradic-tions a relever dans les mentalites [ran-c;aises,on peut noler que, s'il [aut savoirse distinguer, on constate par ailleursdans bien des cas un manque de tole-rance vis-a-visdes personnes qui ne sontpas conformes a une certaine norme.

•••••••••••••••••••••UNE DEFINITION

DE LA BOURGEOISIE

"Oepuls longtemps, les mots debourgeois et bourgeoisie paraissentdesigner des realltes sl typlquementfran~aises qu'lis n'ont pas d'equlvalentsexacts en anglais ou en allemand. [... ]Marc Bloch (hlstorien) a propose en1940 une definition de la bourgeoisie"qui garde aujourd'hul encore une eton-nante pertinence contemporalne" :

..J'appelle bourgeois de chez nousun Fran~als qui ne dolt pas sesressources au travail de ses mains;dont les revenus, quelles qu'en soientI'orlglne comme la tres varlableampieur, lui pennettent une aisance demoyens et lui procurent une securite,dans ce nlveau, tres sup{!rleure auxhasardeuses posslbllites du salalreouvrler; dont I'lnstructlon, tantot reeuedes I'enfance, slla famille est d'etablls-sement ancien, tantot acqulse au coursd'une ascension soclale exceptlonnelle,depasse par sa rlchesse, sa tonalite ouses pretentlons, la nonne de culturetout it fait commune; qui entln se sentou crolt appartenlr it une classe vouee ittenlr dans la nation un role directeur etpar mille details, du costume, de lalangue, de la blenseance*, marque plusou moins Instlnctlvement son attache-ment it cette orlglnallte du groupe et ace prestige collectlf •.

HIstoIre de France, t. 4, Les fonnesde Ia culture, sous Ia direction d'AndreBurguliIre at Jacques Revel, Seun, 1993.

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UN APPARTEMENT BOURGEOIS

«Tout appartement bourgeois sedolt d'avolr au molns deux pieces desti-nees speclalement a recevolr des vlsl-teurs. Une salle a manger d'abord [ •..1 .La specialisation d'une piece pour lesrepas est une pratique Insplree dumodele anglais qui s'est diffusee rapide-ment au cours de Ia premiere moltle duXIX' sleele. La famille s'y donne en spec-tacle it ses hotes:' tout en etalant sonargenterle et ses slgnas exterieurs derichesse, elle montre sa maitrlse desmanieres bourgeoises de se tenlr ittable et de consommer de la nourrlture.

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Ensuite Ie grand salon, qui existaitdeja dans les demeures aristocratiques,a ete adopte par la bourgeoisie, qui en afait une piece a part, unlquement consa-cree aux receptions [... l-

Le sol et les murs ne dolvent pasrester nus, comme chez les pauvres. Oneouvre les murs de tlssus ou de paplerspeints, des tapis cachent Ie parquet, delourdes draperies entourent les fenetres.Dans la piece, sont disposes un canapeet des sieges capitonnes* ou de lourdsfauteuils, souvent couverts de taplsse-rles [ ... j, Ie tout souvent enfoul sousdes housses qui ne sont enlevees queles lours de reception. II est aussl-Indispensable' qu'll y ait un piano dansIe salon. [ ... J Le salon expose entin toutce qu'une famllle bourgeoise possedede luxueux ou de decoratif: destableaux accrocnes aux murs, desvases sur les consoles * , une pendule asulet, en bronze dore pour les plusriches, sur la cheminee, et un peupartout des bibelots .•

Hfstofre de la France, t. 4, Les 'onnesde la culture, Seull, 1993.

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•••••••••••••••••••••"LESfAUFlI

-II appartlent au paysage fran9ais.[ ...j Cabu I'a Imagine a partir d'un cafe-tier de Chillons-sur-Marne qu'n avaitlongtemps observe derriere ses lunettesrondes. Le blstrotler ne s'est jamalsmafia de ce gamin qui allalt Ie falreentrer dans Ie Petit Larousse: " Beauf:type de Fran9ais moyen aux ideesatroites, bomees." [ ... J Cabu se seraitaussl Inspire du marl de sa smur. Desbeaufs, II y en a dans les mellleuresfamilies. Ce sont souvent des oncles.Des tontons rileurs qu'on va voir Iedlmanche. lis ont toute la panoplle, lacaravane pllante dans Ie Jardin, Ie grosrouge qui tache, en bouteilles plastlqueou en packs, la canne a peche ou Iefusll. Et Ie clebs*. Repulsion et nostal-gle. C'est difflclle de se debarrasser deses oncles ••

Le Nouvel Observateur,1G-16 juin 1993 .

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7lA DlSnNC'OON

Les personnes handicapees deran-gem les gens «normaux ». Au rnieux,on les ignore, on ne fait aucun effortpour leur faciliter la vie. Au pire, on lesrejeue, on peut meme faire descommentaires desobligearus sur leurinfirmite.jusqu'a une epoque recente, ily avait Ires peu de lieux publics - que cesoit des universites, des cinemas, desmusees, des restaurants - arnenagespour eire accessibles aux personnes enfauteuil roulant. Les passages pietonsdotes de systernes sonores pourpermeure aux aveugles de traverser lesrues sont encore rarissimes dans lesgrandes villes.

SOUSDESDEHORSBOUI\R.US ...JE suis UN

PeETE ...

Les gros inspirent du degout et atti-rent les sarcasmes*. [obese est considerecomme une sane de monstre physique,rnais aussi evenruellement de monstremoral On a en tete le personnage de l'Ogredans «Le Petit Poucet» (le come dePerrault), qui mange les petits enfarus.Lenorme Pere Ubu, dans la comedied'Alfred Jarry «Ubu Roi», incame la surpi-dite et la grossierete. Au siecle dernier, lesgros pouvaient jouir eventuellerneru d'uncertain prestige, leur poids etait Ie signede leur prosperite. De ce fait, dans larnentaliie populaire, les gros etaient lesriches. Les gros s'engraissaienr sur le dosdes petits ... Us etaient per0JS comme des

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profiteurs, des exploiieurs de la peine etdu travail des ouvriers.

Les normes ont change dans laseconde moitie du vingtierne steele. Des1955, on pouvait lire dans Ie magazineIeminin Marie-Claire: «Lennemi n? 1c'est l'embonpoint et la cellulile*». Leculte de la rninceur s'est impose de plusen plus dans la bourgeoisie et dans lesclasses moyermes. Cest dans les classespopulaires que l'on est encore le plustolerant a l'egard de l'exces de poids.Eire gros est aujourd'hui synonyme delaisser-aller, de maladie ou d'etat depres-sif et pent etre un handicap dans la vieprofessionnelle, On a pu lire dans lapresse plusieurs cas de licenciernents depersonnes tres grosses pour « inaptitudeau travail » •..

LA MONTEE DE L'INDIVIDUALISME

On parle beaucoup depuis quelquesannees de ce qu'on appelle « la monteede I'individualisme» dans les men tali-tes franc;aises. 11ne s'agil pas [orcementd'un plus grand egoisme, puisqu'on serend comple que les valeurs de solida-rite ou que les imperatifs humanitairesconlinuent a compter pour beaucoup.Mais il est certain qu'on accorde uneimportance de plus en plus grande al'individu, a son developpement person-nel ou a son epanouissement.

eet individualisme se manifeste parexemple dans les loisirs. Les loisirs sepratiquem de plus en plus individuelle-mem el non plus en equipe : Ie jogging,les seances de musculation et de « miseen forme », les traversees en solitaire,les jeux video. I.:individualisme, c'est Ierepti sur la vie privee, I'importanceaccordee a la vie familiale (<< Ie cocoo-ning»), (Out un mode de vie decrie parla generation qui avail 20 ans en 1968.

Dans le merne temps, on exalte" lesnotions d'excellence, d'herotsrne, d'aven-ture, amant dans le monde de l'entre-prise que dans celui du sport. Dans lesentreprises, on considere que les salairesdoivenl davantage tenir comple dumerite individuel. Les jeunes cadressont recrules pour leur temperament de( fonceurs». On organise pour les cadresen place des «stages de survie» - savoirse debrouiller pendant un certain tempsdans un end roil isole avec Ies moyensdu bord, en mangeant des racines, enpratiquant la cueillette - ou des « stages-risques» - affronter des epreuves stres-santes comme Ie saUl a I'elastique (sautdans Ie vide au bout d'un eJaslique) -ou l'escalade. II faUl savoir gerer Ierisque pour gerer une entreprise. Unbon cadre doil avoir l'esprit de concur-rence el de competition, U doit ((sedefoncer» pour etre Ie meilleur. En sport,la mode est am( expeditions a haUlrisque: les raids en montagne ou dansIe desert (Ie rallye Paris-Dakar, qUitraverse une partie de l'Afrique, est Ieplus connu), la descente de rapides enkayak..

•••••••••••••••••••••AVOIR DU GoOr

• Le S8volr s'habilier est une piecemaitresse du savolr-vivre fran~is. Sortlravec une femme qui salt s'habilier est unde ces plaisirs raffines que d'autrespeuples goUtent moins que les Fran~ls.Certes partout allieurs II est flatteur pourun homme d'exhiber* une belle femmeou de manlfester son standing social oueconomique a travers les dlamants quiparent la poltrine d'une femme chere imals c'est surtout en France qu'on s'en-orguellllt* de cette qualite parfols dlsso-clee de I'argent et meme de la beaute:Ie goUt I Savolr s'habilier fait partie deI'art de vlvre frall9alS et s'appllque prin-cipalement aux femmes, etant entenduqu'un homme occupe peut se permettreune faute de goflt, Inacceptable chezune femme, meme oecupee. [... J Qu'ellesolt lalde ou sotte ou antipathlque, uneFrall9alse peut toujours racheter sestravers, irreductlbles* aUieurs, en deve-loppant des techniques qui lui permet-tront d'assortlr Ie vert de sa Jupe a celuide ses yeux et de completer unensemble longuement porte par unaccessoire insollte .•

Michel Sarde,Regard sur les Franf8ises,Stock, 1983.

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•••••••••••••••••••••LOOK: LEs HOMMES

POUTIQUES AUSSI

• Etre contralnt de partlclper tousles jours a trois banquets au molns - unau petit dejeuner, un a midi et un Ie soir-est extremement stressant pourI'homme polltlque, quand on sait a quelpoint Ie Fran~alsest exlgeant sur I'ap-parence de ses representants. II ne lesveut nl trop malgres (~a fait pauvre,c'est inquietant), ni trop gros (on lesaccuseralt de voler), ni trop mous (Iepeuple d'Asterix ne pourralt toJerer d'etretralte de mollasson), nl trop fermes (~afait jeune) .•

Graffiti (Kriss), Dellacqua (Jacob),L'infreplde petit peuple, Presses de laCite, 1992.

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1LESGOOTS

ET LES COULEURS ...

2LEBON GOOT

7ACTlVrrEs

Annie Ernaux est romanciere et professeur de lettres dans la banlieue parisienne.Elle a passe sa jeunesse dans un bourg de Normandie OU ses parents etaient de petitscornmercants. Elle analyse les differences sociales et culturelles entre son milieufamilial (dans les annees 50) et la vie qu'elle rnene actuellement.

«On avait tout ce qu'it faut, c'est-a-dre qu'on mangeait a notre faim (preuve, I'achatde viande a la boucherie quatre fois par semaine), on avait chaud dans la cuisine et Iecafe, seules pieces ou l'on vivait Deux tenues, I'une pour Ie tous-les-jours, I'autre pour Iedimanche (Ia premiere usee, on depassait celie du dimanche au tous-Ies-jours). j'avaisdeux blouses d'ecole, La gasse nest privee de rien.Au pensionnat. on ne pouvait pas direque j'avais mains bien que les autres, j'avais outont que les filles de cultivateurs ou depharmaciens en poupees. gommes et taille-crayons, chaussures d'hiver fourrees, chape-let et missel vesperal rornam lis ont pu embellir la maison, supprimant ce qui rappelaitI'ancien temps, les poutres apparentes, la chernioee, les tables en bois et les chaises depaille. Avec son papter a fleurs, son comptoir peint et brillant, les tables et gueridons ensimili-marbre, Ie cafe est devenu pro pre et gai. Du balatum a grands damiers jaunes etbruns a recouvert Ie parquet des chambres. La seule contrariete longtemps, la facade encolombage, a raies blanches et noires, dont Ie ravaJement en crepi etait au-dessus deleurs moyens. En passant, I'une de mes institutrices a dit une fois que la maison etaitjolie, une vraie matson normande. Mon pere a cru qu'elle parlait ainsi par politesse.Ceux qui admiraient nos vieilles choses, la pompe a eau dans la cour, Ie colombagenormand, voulaient sOrement nous ernpecher de posseder ce qu'ils possedaient deja,eux, de mode me, l'eau sur levier et un pavilion blanc. II a ernprunte pour devenirproprietaire des murs et du terrain. Personne dans la famille ne l'avait jamais ete, »

Annie Emaux, La Place,GaJlimard, 1983.

Pourquoi certaines expressions sont-elles en italique dans Ie texte original 1

Montrez ce qui etait valorise par ses parents en ce qui concerne : Ie vetement,la nourriture, I'habitation. En quoi ces goOts etaient-lls differents de ceuxde la bourgeoisie 1

Pensez-vous qu'a l'epoque actuelle il ya toujours des differences tres nettesselon «Ia place» (Ie milieu social) que l'on occupe dans la societe 1

Quelles sont les qualites essentielles du bon goOt - et a I'inverse les marques demauvais goOt - enoncees ici par Proust, dans Ie domaine de la cuisine,de la musique, dans la facon de recevoir ?

«Sur les choses dont les regles et les principes lui avaient ete enseignes par sa mere,sur la rnaniere de faire certains plats, de jouer les sonates de Beethoven et de recevoiravec arnabilite, elle etait certaine d'avoir une idee juste de la perfection et de discerner siles autres s'en rapprochaient plus ou moms Pour les trois choses, d'ailleurs, la perfectionetait presque la me me : c'etait une sorte de simplicite dans les moyens, de sobriete etde charme. Elle repoussait avec horreur qu'on mft des epices dans les plats qui n'enexigent pas absolument qu'on Jouat avec affectation et abus de pedales, qu'en recevanton smut d'un naturel parfait et parlat de soi avec exageration. De la premiere bouchee

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7ACTlvnu

aux premieres notes, sur un simple billet, elle avait la pretention de savoir si elle avait afaire a une bonne cuisiniere, a un vrai musicien, a une femme bien elevee, « Elle peutavoir beau coup plus de doigts que moi, mais elle manque de goot en jouant avec tantd'emphase cet andante si simple». «Ce peut etre une femme tres brillante et rempliede qualites, rnais c'est un manque de tact de parler de soi en cette circonstance ». «Cepeut etre une cuisiniere tres savante mais elle ne sait pas faire Ie bifteck aux pommes ».Le bifteck aux pommes! morceau de concours ideal, difficile par sa simplicite rneme,sorte de "senate pathetique" la cuisine, equivalent gastronomique de ce qu'est dans lavie sociale la visite de la dame qui vient vous demander des renseignements sur undomestique et qui, dans un acte si simple, peut a tel point faire preuve ou manquer detact et d'education.»

Marcel Proust. Pastiches et melanges, Galilmard, 1992

Qu'est-ce qui paraTt dans cette description toujours actuel ou bien desuet !

3 Associez chacune des expressions suivantes a la definition qui lui correspond:

SE DISTINGUER I. tenir Ie haut du pave

2. avoir pignon sur rue

3. I'habit ne fait pas Ie moine

4. prendre des grands airs

5. etre collet monte

6. mener la grande vie

7. un hom me du monde

8. vivre sur un grand pied

9. avoir de la dasse

10. etre «rn'as-tu-vu»?

a une personne qui a des rnanieres raffinees

b. etre affecte et rigide dans ses manieres

c. il ne faut pas juger les gens sur leur apparence

d. se donner I'air important

e. etre bien place, occuper la meilleure place

f. depenser beaucoup d'argent (deux expressions ont ce sens)

g. avoir I'air distingue

h. etre pretentieuxvivre dans Ie luxe

J. etre honorablement connu dans un domaine d'artivites

Page 8: LA DISTINCTION - slps.org La... · «Dans La Distinction, critique soc/ale du jugement, Pierre Bourdieu opposealavisioncourante, quitient les goUtspour undon dela nature, l'obser-vation

4DES FACONS

DE SE FAIRE REMARQUER

5CARICATURESDE BOURGEOIS

7ACnvnEsBeaucoup d'expressions routes faites decrivent une personne - que ce soit son

physique ou sa maniere d'etre - a I'aide d'une comparaison.

Associez les termes qui conviennent:

Exemple: II jure comme un charretier.

I. II est haut com me a. Artaban

2. II est aimable comme b. un agneau

3. II est fier comme c. un arracheur de dents

4. II mange comme d. un bonnet de nuit

5. II est triste comme e. un cochon

6. II pleure comme f. Ie loup blanc

7. II est connu comme g. une madeleine

8. II est doux comme h. trois pommes

9. II est menteur comme une porte de prison

10. II est sale comme J. un pou

Les vrais bourgeois sont certainement moins conformistes qu'au steele dernier.lis restent cependant attaches a certaines valeurs ou a certains comportements.

Parmi les affirmations suivantes, quelles sont celles que I'on pourrait encoreentendre dans la bourgeoisie francaise ? Repondez par Vrai ou Faux.

I. Pour passer des vacances ideales, rien ne vaut la maison de famille en Bretagne.

2. La tradition veut qu'on offre a un jeune hom me de bonne famille, pour ses vingtans, une superbe voiture decapotable rouge.

3. Les jeunes filles dun bon milieu portent de preference des vetements de couleurneutre.

4. Donner une bonne education, c'est encourager les enfants a frequenter des leurplus jeune age des amis de tous les milieux.

5. Pour eviter les faux-pas, il n'est pas mauvais de s'appuyer sur des idees toutesfaites comme regles de conduite.

6. Les apparences sont rarement trompeuses.

7. A notre epoqoe, personne o'est surpris quand une ouvriere epouse un riche heritier,