La dernière fugue de Jean Carmet

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Jean Carmet l!@d ll cultivait I'humour avec générosité et la nonchalance avec méticulosité. A 73 ans, Jeannot vient de nous faire une sale blague. fu ue dernière n a-t-il fait des fugues - des r fon.' das r, comme il disait I Bèbé, à Bour- gueil, il attendait patiemment que mère ouvre une porte pour se glisset dehon. Lycên, à Tours, il sechait les cours qui l'ennuyaient - el il y en ayait beaucoup !- pour aller se batader en ville. Figurant, â Pa- ris, il disparaissait des semaines, parfois des mois. Il devenâit forain, plongeur, employé des pompes funèbres... Pendânt ce lcmps-lià" ses copains le cherchaient. Justement, on lui avait déniché un rôle, un rrai rôle, le premier, dans Un ange passe, au Théâtre La BruYère. Ce fut son premier succès âux côtés de Pier- rs Brasseur. Le deuxième, touiouls au Théâtre La Bruyère, ce fut dans Zes Bra nquignoh : tl arrivait, armé d'un tambour, et intËrompait représentation pour raconter l'histoire du tambour à irave$ les siècles. On le virâit. Il revenait. Il reprenait sort historiqûe. Et, chaque fois, il jouait exactement le même air... Il reve- nait toujou$, enlêté, impassible, et le public, à quatrième entrée, s'étouffait de rire. Tout I'art de Jean Carmet était déjà Ià. ( ,le suis un scteur sqns couleur À disâit-il Sans couleur ? Muliicolore, au contraire, Il se vou- lait blânc, neutre, et soudain surgissâit une couleur inattendue. Il ûeusait en lui une sorte de vide n'importe quel personnage pou- it venil se blottir- En a-t-il joué, des ordures ! Râppelez-vous Dupont la joie, T\ênardrer des Misérubles, Le Crtme d'Ovide Plouff . Quand il l€s toumait, ces rôleslà des qu'il étâit rentre chez lui, il se douchait et se flottâit au gant de crin, comme pour se débanasser de toute cette pouritue. Car il étêit la bontê, la chaleur, la génêrosité. Et le public l'aimait. I était ( Jeannot ), l'un des demie$ reprcseDtants d'une espèce en voie de disparition : celle des Cârette, des Trssier, des Saturnin Fabre.-. Ces personnages mythiques qui pouvaient n'appamîfie que dans une seule scène - et I'on ne se souvenait que d'eux. Jeannot I'angoissé, Ie méticuleuq qui écri- vâit tout le scênado du film qu'il étâit en tlain de toumer sur de petits bristols qu il baladait conslamment dans ses poches. Pour se ras- surer. Jeannot qui pouvait tout jouer. Même les trayelos. Qui pourâit oublier Miss Mona" le film bouleversant de Mehdi Charef, et son plus beau rôle ? Mais qui pourmit oublier Jean Carmet ? Noffe ami Carmet. Lui qui avait le culte de l'amitié el que nous sommes nombreux à pleu- rer aujourd'hui. Aujourd'hui, où il â sautè dans le mauvais train, le hain fantôme qui ne revient pas. AujourdÏui, il a fait son der- nier < fondu r o claudeMatie Ttémols (Suite Page 44) : Télérâma N'23fl. - 2? av.ll ,1t94

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Télérama consacre un long article à la mort de Jean Carmet, acteur qui incarna souvent les salauds au cinéma, une vraie nature, avec aussi un entretien datant de 1991. Un régal.

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Page 1: La dernière fugue de Jean Carmet

Jean Carmetl!@d ll cultivait I'humour avec générosité et lanonchalance avec méticulosité. A 73 ans, Jeannotvient de nous faire une sale blague.

fu uedernière

n a-t-il fait des fugues - des r fon.'das r, comme il disait I Bèbé, à Bour-gueil, il attendait patiemment que sâ

mère ouvre une porte pour se glisset

dehon. Lycên, à Tours, il sechait les cours qui

l'ennuyaient - el il y en ayait beaucoup !-pour aller se batader en ville. Figurant, â Pa-

ris, il disparaissait des semaines, parfois des

mois. Il devenâit forain, plongeur, employédes pompes funèbres... Pendânt ce lcmps-lià" ses

copains le cherchaient. Justement, on lui avaitdéniché un rôle, un rrai rôle, le premier, dans

Un ange passe, au Théâtre La BruYère.

Ce fut son premier succès âux côtés de Pier-

rs Brasseur. Le deuxième, touiouls au ThéâtreLa Bruyère, ce fut dans Zes Bra nquignoh : tlarrivait, armé d'un tambour, et intËrompaitlâ représentation pour raconter l'histoire dutambour à irave$ les siècles. On le virâit. Ilrevenait. Il reprenait sort historiqûe. Et, chaque

fois, il jouait exactement le même air... Il reve-

nait toujou$, enlêté, impassible, et le public, à

sâ quatrième entrée, s'étouffait de rire.Tout I'art de Jean Carmet était déjà Ià. ( ,le

suis un scteur sqns couleur À disâit-il Sans

couleur ? Muliicolore, au contraire, Il se vou-

lait blânc, neutre, et soudain surgissâit unecouleur inattendue. Il ûeusait en lui une sortede vide où n'importe quel personnage pou-

it venil se blottir-En a-t-il joué, des ordures ! Râppelez-vous

Dupont la joie, T\ênardrer des Misérubles, LeCrtme d'Ovide Plouff . Quand il l€s toumait,ces rôleslà des qu'il étâit rentre chez lui, il se

douchait et se flottâit au gant de crin, commepour se débanasser de toute cette pouritue.Car il étêit la bontê, la chaleur, la génêrosité.

Et le public l'aimait. I était ( Jeannot ), l'undes demie$ reprcseDtants d'une espèce en voiede disparition : celle des Cârette, des Trssier, des

Saturnin Fabre.-. Ces personnages mythiquesqui pouvaient n'appamîfie que dans une seule

scène - et I'on ne se souvenait que d'eux.Jeannot I'angoissé, Ie méticuleuq qui écri-

vâit tout le scênado du film qu'il étâit en tlainde toumer sur de petits bristols qu il baladaitconslamment dans ses poches. Pour se ras-surer. Jeannot qui pouvait tout jouer. Mêmeles trayelos. Qui pourâit oublier Miss Mona"

le film bouleversant de Mehdi Charef, et sonplus beau rôle ?

Mais qui pourmit oublier Jean Carmet ?

Noffe ami Carmet. Lui qui avait le culte del'amitié el que nous sommes nombreux à pleu-

rer aujourd'hui. Aujourd'hui, où il â sautèdans le mauvais train, le hain fantôme quine revient pas. AujourdÏui, où il a fait son der-nier < fondu r o claudeMatie Ttémols

(Suite Page 44)

:

Télérâma N'23fl. - 2? av.ll ,1t94

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Jean GarmetE@ En 1991, pour notre série d'été, nous I'avions rencontré.Pendant des heures, il nous avait raconté Jean Ca?met. Extraits.

Carmet intimee suis né dans ta vigne. A Bour-gueil, tout le monde était viti-cglt€ur, y compris mon père, quiexerçait [e métler de bourelier.

Mes premières émotions toument âu-tour du vin. J'en âi entendu pader toutemon enfance. Très longtemps, j'ai cruque Bourgueil êtâi1 lâ capitâle mondia-le de la vinification.

Mon p€re, qui venait de la campagne,étaii extrêmement Dittoresque. On ledisait paresseux et c'était sûrement unpeu vrai, mais il êtâit très âimé. Il tdm-balait la même bande de copains depuisl'école, et partag€ait tout âvec eux : lepain, le fromage, la charcuterie et leprpduit de la vigne.

On dit quej'âi padé tlès tôt mais queje refusais de marcher ; et moi. je croisque, sije ne marchais pas, c'est que jevoulais être là en permanence pourregarder et ecouter. Je me souviens degrandes journées de soleil, allongésur une couverà[e. J'écoutais tout,

Un jour, évidemrnent, il â quand mê-me fallu marcher, aller à la rencontre deces bruits qui m'avaient tellement intiresse. Et 14 s'est pose un problème : mamère avait la manie de fermer les por-tes. Elle avait la haûtise qu'il m'arrivequelque chose ou que j'attrape mal.Bien avant l'heure, elle a it lâ notiondu amicrobe, :elle en voyait partout.

Ma mère étrait tlès différente de monpère. D'abord. elle venait de la vitle -mes grands-parents habit4ient Tours.Ensuite, elle était lres religieuse : jamais

elle ne se serait mêlée à la gaietéqu'engendraient les récits de mon père

Et puis, il y a\ait cette bisioire de portes

fermees. Dès que j'âi su mettre un pieddevânt ['autre, j'âi âttendu qu'elless'ouwent. Quand I'une d'elles s'entrou-vrail je filais... C'sst comme ça qu'unjoul je suis parti â la recherche dubruit du fiain.

Il nV avait pas de garc à Boûgueï.Mais certains jours de grand vent, oulorsqn'il allâit pleuvoir, on entendailpasser le Nantes-Lyon, à quatre kilo-mètres de là. "Tiens, voila le Nantes-Lyon. Il va pleuvoir", disait mon père.

Donc, un joû, lâ porte était entrouver-te et j'entends le tlain... Quând on m'arattrapé, j'avais déjà fait trois ou qua-

tre kilomètres et j'avais vu le train.C'étâit ma première fugue.

La seconde. je I'ai faite pour aller àl'école. Je voyais l€s autres enfants aveÆ

un cartable à la main traverser la placetous les matins poul s'y rendre et j'aidécidé d'y aller moi aussi. J'ai faussé

compagnie à mes parents. Je suis enfiédans une classe et j'ai dit à I'itrstitu-trice. qui s'appelait madame Millet :

"Madame, je m'appelle Carmet. J'ai

trois ans et demi. Je suis costâud et jevoudrais aller à fécole !"

Des fugues, j'en ai fait des centaines :

cerkins jous, po.ur m'en empêcher, onm'attachâit avec un brin de lâine auradiateur. Mais la plus belle, c'est celleque j'ai projeté de faire avec Emile.Emile élâit un ami de mon père : unenfant de Bourgueil qui s'était exilê àParis pour devenir chef de rang dansun grand magasin. Il revenâit chez nouslous les ans, à l'époque des vacarces,et se rattrapâit de tout ce qu'il n'avaitpu faire à Paris.

C'êtâit un type extrâordinaire, Emile,avec des hobbies élonnants. Une aDtré€,

c'était la cordonnerie. Alors, il disait âtout le monde : "Je vâis ressemeler voschâussures." Il coinmençait par retirerles semelles et puis... rien ne se passailparce qu'il avait déjà la tête â autrechose. On le regardail rentrer à Pariset nos chaussules êtaient inutilisables...

Il me racontait des choses incroya-bles, Emile. I padait de Vedaine. Il mecitait des vers. Un jour, il me dit : 'Onne peut pâs rester à Bourgueil toutenotre vie. L'avenfu, c'est l'Amérique."

A l'école, j'avais des copains, maistout m'étâit prêtexte à rêver. La classe.c'êtait sutout foccasion de rencontrerpittoresques.-. J'ai été douê juste l(temps d'apprendre l'orthographe, ltlecture et de savoir compter jusqu'rcent. Après, j'ai eu [e sentiment qu

ça suffisâit. J'âi quitté Mme MillerI'institutrice, et je suis allé au lycéa. Jdevrais dire "aux lycees". Parce que j'eâi fâit beâucoup : soit je partais, soon se séparait de moi.

Une fois, j'en ai uaiment eu mam€Je m'étais sauvé Dour Ia énième fois cmon lycée et je suis entré comrnmanæuvre chez Dunlop. Là ça a vrament failli barder. Mais mon granrpère paternel, qui était un Epe fomidable, a réussi à arrondir les anglerCétait un homme tTès haut en couleurIl ne mentait jamais. ne truquâit jamaMais je I'ai toujours soupçonné d'av(enlevé ma grand.mère quand il avi

'16 ans et codre le gié de ses parent

Avec Jean-Piere Câssel, Claude Rlch etClallde Bra$gur, Joan Carmet est Emllè,:rn dês p{sonn:ers du * Caporal éplnglé o.

1élérâma N"23rL - 27 avrll 1994

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oJOr

ôr

:r-*;-r:;,_:":it--Ài:,4:--:i,:.:,::-,iiiir_,rrttïâ\i>i_ r.ÉÉit:Rpé5r>\flÉ?ialiËrlËi{\srâT.:i,iiI avait toujours rêvé dè iouer un des deltx ldlots de " Bouvard et Pécuchet ",

on le dépensait aussitôt. C'était justeassez poul boire un coup, s'acheter unepaire de chaussettes, donner des espoirsà son hôtelier, et surtout, surtout, setaper un bon repas ! Ah, j'étais encoreloin du théâtre I

Je devais vraiment avoir un côtépique-assiette parce que je passais montemps à me faire virer par les femmesdes copains. Mais j'avais une vie per-sonnelle très riche. Je voyais énormé.ment d'écrivains - j'ai même fréquentéla bande à Boris Vian à Villed'Avmy -et des peintrËs complètement allumés.

Entre deux boulots. je continuais àfaire de Ia figuration. Le mileu me plai.sait, On y croisait de vieux acteurs quien étaient Éduits à ea pour gagner l€urvie. E1 puis des étèves du Conservatoireà qui on n'osait pas adresser la parole :

on avait quand même le sens de la hiéirarchie ! J'en êtais là quand i'ai fait laconnaissance d'un âmi de Marcel Her-rand, l'un des directeurs du Théâtre desMâthudns. "Tu ne peux pas continuetcomme ça, m'a-t-il dit. Si tu veux jet'organise un rendez-vous avec lui." Etc'est comme ça que je me suis retrouvèdans le bureau de Marcel Henand. Ilvenail d'ouwi! un couls et m'a accueil-li distraitement. Ce qui m'a frappé.c'étaient les bouleilles sur soD bureau :

elles etaient peinres dans un bleu dé[-cat, avec des oiseaux. Je me suis dit :

"Quelle idée de peindre des bouteil-les !" Beaucoup plus tard, j'ai décou-vert que c'étaient des bouteilles peintespar Magritte !

Herrand m'avait proposé une au-dition. Par chance, je connaissais unepièce de Guitry qui s'appelait Les DeuxCouvens, que j'avus jouée dans un spec-tacle de patronage à Tours. ll a trouvéque je parlâis juste :jâ êté pds dans soncouls. Je suis devenu une sorte d'hommede mâin. Je m'occupais du théâtre, desaffaires ménagères, du ravitaillem€nt etde la rêgie. Tres vite, j'ai même hâbitéune loge, parce qu'Herrand s'était renducompte que jéiais sowent sans domicilo.

Je continuais à faire un peu de ligu-ration. C'est encorc grâce à Marc€l >

Téléramâ '23f. - 27 avrll tlt94

L'épisode Dunlop n'a duré que troisnois : on m'a recollé dans un lycêe el'ai repris mes habitudes de vagabond,n attendant de fuguer à nouveau.Et ça a été Paris.Beaucoup de mes copains y étaient

éjâ, et la vérité. c'est que j en érais ja-,ux, La plupart étaient aux Beaux-rts et c'étaient de bons élèves. Ehùi ! J'avais beau êtle un cancre, j'é1ais

,ujows ami aYec les bons élèyes !

A la gare de Tours, j'ai acheté unlquet de Camel - je trouvais que çaisait chic - et j'ai sauté dans un train.avais 17 ans,Mes copains vivaient dans des con-tions matérielles très précaires, ilsrbitaienr un hôtel minable, à côrér Val-de-Grâce, et n'ayaient pas &oitrlus d'une heure d'èlechicité parjour.rand l'heure était écoulée, crac, lânutede s'éteignait !

La piaule êtait au nom d'un copainpeintre. mais on était six à dormirdedans. Evidemmenl on ne Jigurait passur les registres de police et tout I'artconsistait à entrer en douce, à la barbede I'hôtelier. Ensuite, on allait s'allon-ger, on dédoublait le lil qui n'étail pasgrand et on filait le lendemain avantsix heures du matin.

Pour viwe, enIin, pour se nounir, onallait décharger des cageots. Le reste dutemps. on se baladait. Moi. sunout. J'aimarché des journées entières sur leslraces de Rimbaud. J'allais dans les ruesqu'il fréquentail, devant des immeublesqu'il avait pu voir.. J'ai beaucoup raînèrue Campagne-Première, parce que jesavais qu'il y avait habité une chambrede bonne avec Vedaine. Peut-être que,

naivement, je pensais les rctlouver.La galère, quoi ! Mais c'étâit le bon

tomps. Le peu d'argent qu'on gagnait,

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Un air de bête humaine pour ce chêminot dr P.L.M. : Baptiste, le père borné de " Violette Noziè]e '.

>- Herrand, qui y jouait Lacenaire,que je dois d'être dans Les E fants duhrradir. Mais ça n allait jarnais loin :jene pouvais toumer que des films qui

ne nécessitaient aucun apport personnel

de garde-robe.

La providence d€ ma vie matédelle,ce lut les parcnts de Jean-Marc Thibault.

Ils habitaient Montreuil et monsieurThibault père était cuisinier à la canti-ne de l'école. Quand on y allait â I'heu-

re du dîler. on avait droit à un steak

et un coup de pinard. L'aubaine ! Ma-dame Thibault ne voyait pas d'un bonceil que son fils devienne acleur et meconsidérait comme son compagnon de

débauche. 'Tiens, voilà Feignant et Com-pagnie", disait-elle quand on arrivait.

Aux Mathurins. on m'â offert un rôlepar hasard I Herrand et Jean Marchat -avec qui il dirigeait le théâtre - mon-t^ient La Demoiselle de Panqtna, deMarcel Achard. et ils cherchaient untrès jeune Noir. Finalement, comme ils

n en lrouvaient pas. ils se sont decidès

à me confier le rôie. "On n'a qu'à lui bar-

bouiller le visage", onl-ils dit- Voilâ, j'aidébutê au théâtre dans un rôle de Noir !

Un petit rôle. hein. mais çr m a donne

l'envie de Çontinuer. Enfin. quelque

temps :Carje suis plni des Malhurins.Sur un coup de tête, éYidemment.

Je ne vivais plus nulle pan, Je sui-vais des traifls. Je montais dedans sans

billet ; quand j'avais très faim, il y avaittoujours des gens qui me payaient â

bouffer ! C'ètait la guere et je me plan-

quais au passage des lignes de démar-cation. A cette êpoque, j'ai même trâ-vaillé comme employé des pompes

funèbres à Nice .

J'ai eu plusieurs entmctes comme ç4.A Paris, on me cherchait. Et de tempsen temps, mes amis me retrouvaient.

Je connaissais bien Georyes Herbert,I'un des directeurs des toumées Kar-senty. A I'epoque. il s occupait aussi

du Théâtre La Bruyère et cherchait unacteur pour jouer le petit-fils de PierreBrasseur dans Un unge qui passe. llavait pensé à moi pour le rôle mais ne

savait pas ou me trouvet. Il s'entêtait."C'est un rôle pour Carmet", disait-

il à Brasseur. Brasseur m'avait w jouerchez Herrand. mais ne me connaissaitque par un de mes surnoms : onm'appelait souvent Bilbo. "Non, pas

Carmet, c'est Bilbo qu'il nous faut",rcpétait-il à Herben. Ils ont commencéà me chercher tous les deux. persua-

dés de ne pas parler du même homme.C'est ainsi que je suis r€venu au thêâ1re.

ApÈs Un .rnge qui pqsse, il y a eu Le

Brunquig ols. Je m'étais lié d'amitiavec Francis Blanche. Il avait cosignles dialogues du spectacle avec DhéIet faisait partie de la troup€ des débutC'est en partie à lui que je dois mon pa

sage dans La Fan lle D rqton. t-l radit

ça a èté un sacré événement : d'abor(pour la première fois de ma vie, j'ayaun frxe - oh, ttès petit - mais je vivaalors une période de famélisme intrgral !Ensuite, la F ance entière viva

à I'heure de ce feuilleton.Les Duraton, ça a durê des année

Ce qui me plaisait, c'est qu'on imprlvisait complètement. Je pouvais séchr

des mois durant, on trouvait toujoudes explications à mes absences rép

têes. C'était compiètement suûéalistton est même allé jusqu'à retrouvrGâston, mon personnage, au fond d'raquarium dans une fête foraine ! (me laissait du temps Iibre.

Souvent, un copain qui a une bagno

me demande ou je veux aller. Je I

dis : "Dêpose-moi là ! - Et après. - B(

après, tu fous le camp." Je sais que j'rcndez-vous avec quelque chose, maje ne sais pas exactement avec quoi.ressemble aux rats qui suivaientjoueur de flûte :je suis une musique.

suis un son, je suis une couleur.Lâ pensée de perdrc un joul ma mo

Télérâma N'2311- 27 avril ,994

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lité me terrifie. Mais je peux aussi res-ler immobile pendant des heures, assissul ùne piere, pour identifier un bruit.Je me dis : "Va-t-il se reproduire dansune heure, dans deux, dans trois ?

Sem-t-il modulè autrement ?" Et moiqui bouge tout le temps, ie reste lâ, dansun êtat de léthargie apparente. Tout ça,c'est ma façon de me "recharger", enoul'rant des porfes sur l'inconnu.

Le hasard... Il tient un grand rôledans ma vie. C'est par hasard que j'airencontré Jouvet, Dréville, Renoir...

Jouvet avait de l'affection poùr moi.

de faire lâ ! Vous m'avez parlê de votr€père, je crois le voir. Quel dommagequ'on se soit mis d'accord pour quevous ne portiez pas de moustache !

Prenez donc un peu l'âccent de volrepèrc." Et c'est comme ça que j'ai "com-posé" un persomage avec moustacheet accent.

C'était lout Renoir, cette façon depenuader les gens ! Pendant le tour-nage, il faisait pareil. Toujours dans ZeCoporal èpinglé, il y avair un plân quidurait quatre minutes.

A la fin de la première prise, Jean

nutes." Voilà : de prise en prise, j'avaisdémystifié mon plaisir, renoncé à mononanisme, oublié de pe vautrer dansune sensibilitè sirupeuse. Renoir m,avaitappris quelque chose,

A part les copains, à palt les intimes,personne ne sait comment je vis, Alors,quelquefois, je me demande si les gensse posent des questions a mon sujet :

"Est-ce qu'il est pédé ? Est-ce qu'il estmarié ? Est-ca qu'il a des eniants A Ehoui. j'ai des enfants : deux garçons quiont bien, rrés bien réussi. Er j'ai élevèles deux filles de ma deuxième femme.

oOr

!)

Je n'avais pas âvec lui les mêmes rap-ports que ses élèves. François périerou Bernard Blier. Pour lui, j'étais unmec un pelit peu à part, qu'on voyait lematin casset la croûte avec un coupde blanc, un coup de rouge, un boutde fromage. Ça I'amusait et il venaitboire un coup avec moi. Je l'ècoulais,je le "percevais"...

Mais celui que je rêvais de renmntrer,c'était Ronoir. Ça s'est fait en 196t,grâce à Lefranc. Dans un bistrot, ducôté de Latour-Maubourg, qui s'appelleLe Sancene. Renoir se prêparuit à tour-net Le Caporal épinglé, avec Jean-pier-ie Cassel, Claude Rich et Claude Brds-seur. Il me propose le rôle du taysar,Et je dècide - c'est une des rares foisoù j'ai décidé quelque chose - de nepas prendre l'âccent, de ne pas "com-poser". Renoir m'approuve. Puis, il mefait parler de mon père et, instinctive-ment, pour en parler, je prends sonaccent tourungeau.

On part pour Vienne, en Autriche,quelques jours avant le premier tourde manivelle, et Renoir me dit : "Vousallez vous mettre en costume, poutvous familiadser avec. Et puis, laissezpousser un peu votte barbe, puisquevous êtes dans un camp de prisonnien."

Je me balade comme ça dans le stu-dio, car c'était la grande êpoque desseâux d'eau. Chaque fois qu'un mecétait dans I'escalier, en dessous de nous,paf, on lui balançait un seau d'eau. Untournage, c'esl la suite de la vie depotache ! Un jour, on ayait bien bouffé,on avait bu un coup, j'entre dans lasalle de maquillage. Une moustâchetraînait sul la table. Je déhe quiconquevoyant une moustache de ne pas se laposer sur les lèwes. Naturellement, jefais le geste. Renoir était derière moi :"Oh, c'est miurant ce que vous venez :

Renoir remet son chapeau, me regardelonguement et me dit : "C est admi-râble. C'est tellement bien qu'on ne vapas la rcfaire." J'étais heureux commaun dieu. Mais il y avait trcis câméras etun cameftlman dit : "Ecoutez, MonsieurRenoir. il y a eu un moment...' Renoirse retoume yen moi : "C'est atlreu& ilsse prcnnent tous pour Rembrandt. Çam'ennuie, mais on va la refaire." Jerecornmence. Et incidemment, commeça mine de den, il y a eu douze prises.A la douziéme, Renoir dit : "On la tire."Avec une bonne humeur formidable."Ecoutez, Jean. on ne tire que celle-là ? Vous disiez que les autres êtaienttellement bonnes - Oui, oui, mais vousallez comprendre ? " II appelle la scdp-te. "Combien , la première ? - Quatreminutes. - La dernière ? - Deux mi-

tôt Jeannot. Ils disent à leur gosse :

"Embrasse Jeânnot." Ou bien : .,Oh.

Jeannol, viens... On t'a w à la telè-..On t'aime bien...'

Mais c'est rare qu'on m'identifie àmes rôles. Pourtant, j'en ai joué despersonnages troubles ! Ou même fran-chement dégueulasses comme dans ZeCrime d'Ovide Plouff où, pour tuer mafemme, je fais exploser un avion deligne. Quand je tiens ce genre de rôle,dès que je rentre chez mol je me dou-che. je me frotte au gant de crin et jeme mets ce que j'ai de plus... gracieuxsur le dos. J'irais jusqu'à me choisir desdessous en soie..,

Pour jouet une ordure, il ne faut pasen avoir I'air. Sinon, on est dans lepléonasme et ça annule tout, DansDupont Lajoie, je ne grasseyais pas, jene lançais pas de regards dange- >

ll pouvalt toût jouer, Carmet, perso[ne n'orbliera sa composltion de vieuxtravesti pathétiqre dans r Miss Mona ,, de Mebdi Charef.

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