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A PRÈS M ME HONEY , diabétique, qui a encore pris quelques kilos, et M. Brûlé, fumeur invétéré dont la maladie respiratoire évolue inexorablement, la pa- nique de Claire et les quelques boutons de Benjamin vous semblent bien futiles. Cependant, toutes les me- sures de l’indice de qualité de vie ont montré que l’acné est associée à un taux plus élevé de problèmes émotifs et psychosociaux que les maladies chroniques comme l’asthme, l’épilepsie, le diabète ou l’arthrite. Les patients ayant des cicatrices d’acné et ceux de plus de 40 ans qui en souffrent encore sont davantage affectés indépen- damment de la gravité de leur état 1 . Le processus normal de cicatrisation : révision La peau est une barrière protectrice qui doit abso- lument se réparer sitôt lésée. La cicatrisation s’amorce donc au moment de la lésion du derme et se divise en trois phases qui se chevauchent : inflammatoire, pro- liférative et de remodelage. La première commence par l’activation de la cascade de coagulation. Les pla- quettes y exercent un rôle clé en libérant les cytokines responsables de la migration et de l’activation des ma- crophages et des neutrophiles nécessaires à l’élimina- tion des débris et des bactéries. Après 48 heures, c’est la phase proliférative d’une durée de dix à quinze jours. Les fibroblastes synthétisent alors une nouvelle matrice extracellulaire (collagène, élastine, protéo- glycanes, fibronectine) permettant la prolifération vasculaire et la réépithélialisation. La troisième phase, dite de maturation ou de remodelage, se prolonge jusqu’à deux ans. Ce phénomène complexe est régi par une multitude de cytokines dont les facteurs de croissance cellulaire (facteur de transformation cel- lulaire [TGF-], facteur de croissance dérivé des pla- quettes [ PDGF] , facteur de croissance endothélial vas- culaire [VEGF], etc.), les protéines kinases ainsi que les métalloprotéinases et leurs inhibiteurs (tableau I). Quand tout ce processus évolue normalement, il y a formation d’une cicatrice permanente se confondant plutôt bien avec la peau péricicatricielle, mais visible- ment différente du fait qu’elle n’est pas striée et qu’elle est dépourvue d’annexes (poils, glandes sébacées et su- doripares). De plus, les cicatrices sont souvent hypo- ou hyperpigmentées. Pourquoi les cicatrices de Gérald sont-elles si visibles ? Gérald se souvient d’avoir déjà eu des boutons dans le dos et d’avoir fait vider des kystes à quelques reprises par une esthéticienne. En l’examinant, vous constatez que son dos est parsemé de nodules de différents dia- mètres de couleur chair aux contours plutôt réguliers, Le Médecin du Québec, volume 46, numéro 10, octobre 2011 La cicatrisation indispensable à la survie… ou une affection à vie ? Andrée Mathieu-Serra Claire vous amène son conjoint Gérald et son fils Benjamin. Elle veut que vous examiniez Gérald qui a de vilaines lésions dans le dos, dont une apparue il y a quelques mois dans la région présternale. Elle aimerait savoir s’il est possible d’en enlever certaines. Par ailleurs, elle est paniquée parce que Benjamin fait de l’acné : « J’ai fait de l’acné à son âge, je sais ce que c’est. J’en ai souffert toute ma vie à cause de mes cicatrices au visage. » Elle voudrait aussi que vous lui donniez des conseils et votre opinion sur le traitement de ses cicatrices d’acné. La dermatologie et la médecine esthétique 4 49 La D re Andrée Mathieu-Serra, dermatologue, exerce en pratique privée à Montréal.

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A PRÈS MME HONEY, diabétique, qui a encore prisquel ques kilos, et M. Brûlé, fumeur invétéré dont

la maladie respiratoire évolue inexorablement, la pa-nique de Claire et les quelques boutons de Benjaminvous semblent bien futiles. Cependant, toutes les me-sures de l’indice de qualité de vie ont montré que l’acnéest associée à un taux plus élevé de problèmes émotifset psychosociaux que les maladies chroni ques commel’asthme, l’épilepsie, le diabète ou l’arthrite. Les patientsayant des cicatrices d’acné et ceux de plus de 40 ans quien souffrent encore sont davantage affectés indépen-damment de la gravité de leur état1.

Le processus normal de cicatrisation : révision

La peau est une barrière protectrice qui doit abso-lument se réparer sitôt lésée. La cicatrisation s’amorcedonc au moment de la lésion du derme et se divise entrois phases qui se chevauchent : inflammatoire, pro-liférative et de remodelage. La première commencepar l’activation de la cascade de coagulation. Les pla-quettes y exercent un rôle clé en libérant les cytokinesresponsables de la migration et de l’activation des ma-crophages et des neutrophiles nécessaires à l’élimina-tion des débris et des bactéries. Après 48 heures, c’est

la phase proliférative d’une durée de dix à quinzejours. Les fibroblastes synthétisent alors une nouvellematrice extracellulaire (collagène, élastine, protéo-glycanes, fibronectine) permettant la proliférationvasculaire et la réépithélialisation. La troisième phase,dite de maturation ou de remodelage, se prolongejusqu’à deux ans. Ce phénomène complexe est régipar une multitude de cytokines dont les facteurs decroissance cellulaire (facteur de transformation cel-lulaire [TGF-�], facteur de croissance dérivé des pla-quettes [PDGF], facteur de croissance endothélial vas-culaire [VEGF], etc.), les protéines kinases ainsi queles métalloprotéinases et leurs inhibiteurs (tableau I).Quand tout ce processus évolue normalement, il y aformation d’une cicatrice permanente se confondantplutôt bien avec la peau péricicatricielle, mais visible-ment différente du fait qu’elle n’est pas striée et qu’elleest dépourvue d’annexes (poils, glandes sébacées et su-doripares). De plus, les cicatrices sont souvent hypo-ou hyperpigmentées.

Pourquoi les cicatrices de Gérald sont-elles si visibles ?

Gérald se souvient d’avoir déjà eu des boutons dansle dos et d’avoir fait vider des kystes à quelques reprisespar une esthéticienne. En l’examinant, vous constatezque son dos est parsemé de nodules de différents dia-mètres de couleur chair aux contours plutôt réguliers,

Le Médecin du Québec, volume 46, numéro 10, octobre 2011

La cicatrisationindispensable à la survie…

ou une affection à vie ?Andrée Mathieu-Serra

Claire vous amène son conjoint Gérald et son fils Benjamin. Elle veut que vous examiniez Gérald qui ade vilaines lésions dans le dos, dont une apparue il y a quelques mois dans la région présternale. Elleaimerait savoir s’il est possible d’en enlever certaines. Par ailleurs, elle est paniquée parce que Benjaminfait de l’acné : « J’ai fait de l’acné à son âge, je sais ce que c’est. J’en ai souffert toute ma vie à cause demes cicatrices au visage. » Elle voudrait aussi que vous lui donniez des conseils et votre opinion sur letraitement de ses cicatrices d’acné.

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La Dre Andrée Mathieu-Serra, dermatologue, exerce enpratique privée à Montréal.

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caractéristiques de cicatrices hypertrophiques (photo 1).Près du sternum, vous diagnostiquez plutôt un polyped’aspect tout à fait bénin. Pourquoi ces cicatrices sont-elles si visibles ? Pourrait-on les enlever ? Et ce polype,qu’en est-il ?

Les maladies de la cicatrisationUne vilaine cicatrice est causée par une anomalie

du processus complexe de cicatrisation et peut êtreinhérente au type de traumatisme initial (brûlure,coupure, morsure, plaie par balle, etc.). L’évo lu tion

en sera différente selon la profondeur de la brûlureou de la coupure ou encore le degré de contaminationde la morsure, par exemple. L’anomalie de cicatrisa-tion peut aussi être le résultat d’une mauvaise tech-nique chirurgicale. Ainsi, s’il y a trop de tension ou pasassez d’éversion des marges lors de la pose des sutures,la cicatrice sera trop large ou trop profonde. Si la fer-meture ne respecte pas l’unité anatomique du visageou le parallélisme avec les lignes de relaxation de lapeau ou si elle cause une distorsion des structures ad-jacentes comme les lèvres, la cicatrice sera évidente etinesthétique. Une anomalie de cicatrisation peut aussiêtre la conséquence d’une complication survenue àune des étapes de la cicatrisation, comme une infec-tion ou une nécrose. Il peut aussi s’agir d’une maladiede la cicatrisation2 (tableau II), comme les cicatriceshypertrophiques, les chéloïdes, l’acné et les infectionsherpétiques (varicelle et zona) qui laissent souvent descicatrices atrophiques, principalement lorsqu’elles sesurinfectent. C’est pourquoi une prise en charge pré-coce est importante.

Les cicatrices hypertrophiques et les chéloïdesLes cicatrices hypertrophiques et les chéloïdes ap-

paraissent chez les personnes ayant une prédisposi-tion génétique. Elles sont causées par des anomaliesintrinsèques des fibroblastes et des kératinocytes et

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Photo 1. Cicatrices hypertrophiques

Processus normal de cicatrisation2,3

Phase inflammatoire – de 24 à 48 heures

O Fibrine O Migration des neutrophiles O DébridementO Activation des plaquettes, cytokines (PDGF, TGF-�)* O Migration des macrophages

Phase de prolifération – de 10 à 14 jours

O Prolifération vasculaire O Synthèse de la matrice extracellulaire O Formation de tissus O Prolifération des fibroblastes O Organisation du réseau vasculaire de granulation

O Réépithélialisation

Phase de remodelage – 2 ans

O TGF-�, PDGF, VEGF* O Maturation de la matrice O Contraction et maturationO Métalloprotéinases extracellulaire de la cicatriceO Inhibiteurs des métalloprotéinasesO Protéine kinase

* PDGF : facteur de croissance dérivé des plaquettes ; TGF-� : facteur de transformation cellulaire ; VEGF : facteur de croissance endothélial vasculaire

Tableau I

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par des altérations des facteurs de croissance, dontune augmentation du TGF-�, responsables de la for-mation excessive de collagène3. Par ailleurs, certainsendroits sont plus propices à la formation des cica-trices hypertrophiques et chéloïdiennes (cou, thoraxantérieur et dos). L’incidence de telles cicatrices estaussi plus élevée chez les personnes à la peau foncée,soit de 4 % à 16 % chez les Noirs, et chez les personnesd’origine hispanique. Les cicatrices hypertrophiquesou chéloïdiennes sont plus susceptibles de se formerentre 10 et 30 ans ou durant la grossesse4.Nous pou-vons les prévenir en conseillant aux patients à risqued’éviter le piercing, le tatouage et l’exérèse de lésionsbénignes. Enfin, il est important de différencier cli-niquement une cicatrice hypertrophique d’une ché-loïde, deux entités distinctes. Les premières apparais-sent généralement à partir de la quatrième semainesuivant le traumatisme et ne dépassent pas la bor-dure de la cicatrice originelle. Elles sont nodulaires,surélevées, érythémateuses et parfois prurigineuses,mais se stabilisent après la première année et peuventrégresser spontanément. Les chéloïdes (du Grec chelesignifiant « pince de crabe ») peuvent apparaître long-temps après le traumatisme. Elles s’étendent au-delàdes limites de la lésion initiale et peuvent proliférerindéfiniment. Elles sont réfractaires aux traitementset récidivent souvent de façon plus importante aprèsl’excision chirurgicale (photo 2).

Le traitement des cicatrices Sans être anormale, une cicatrice est toujours bien

présente. Pour certains patients, elle peut être cosmé-tiquement inacceptable ou encore source de souf-france psychologique, entre autres parce qu’elle consti-tue un rappel permanent de la cause du traumatisme.Lorsque la cicatrice est le résultat d’une mauvaisetechnique chirurgicale, on peut orienter le patient enplastie pour une révision de cicatrice : la réexcisionavec une meilleure technique de fermeture ou bienun bandeau en Z ou en W pour diminuer la longueurapparente ou permettre une meilleure intégrationavec les structures anatomiques normales. Dans le casde cicatrices érythémateuses ou pigmentées, la der-matologie esthétique a recours aux lasers non abla-tifs, comme le laser YAG à longue pulsion ou le laserà colorant pulsé (photo 3) dont l’énergie lumineuseest absorbée par la mélanine et l’oxyhémoglobine.

Par leur effet thermique sur la contraction et le re-maniement du collagène, ces lasers réduisent aussila largeur des cicatrices et en équilibrent l’épaisseur.Dans le cas de cicatrices texturées ou surélevées, onutilise plutôt les lasers ablatifs comme celui à CO2 et

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Photo 2. Chéloïdes

Anomalies de la cicatrisation

Exemples

Anomalies inhérentes O Brûlureau type de traumatisme O Morsureet à sa localisation O Coupure

Mauvaise technique O Non-parallélisme avec chirurgicale les lignes de relaxation

O Distorsion des structures adjacentes

O Éversion insuffisante

Complications durant une O Infectiondes étapes de la cicatrisation O Nécrose

Maladies de la cicatrisation

O Cicatrices hypertrophiquesO Chéloïdes

O Acné O Cicatrices érythémateuses pigmentées ou atrophiques

O Infection herpétique O VaricelleO Zona

Source : Batra RS. Surgical techniques for scar revision. Skin Therapy Lett 2005 ;10 (4) : 4-7. Reproduction autorisée.

Tableau II

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à l’erbium-YAG dont l’énergie thermique est absor-bée par l’eau intracellulaire. L’ablation du tissu cica-triciel et la réépithélialisation permettent d’améliorerla texture de la peau et de diminuer l’hyperpigmen-tation (photo 4). Pour les cicatrices atrophiques, laphotothermolyse fractionnée assure une meilleurecontraction du collagène. En effet, en ne traitant quedes microzones, on peut atteindre sans risque uneprofondeur de 400 à 700 microns, soit le derme ré-ticulaire profond, comparativement à 200 micronspour le laser ablatif à CO2. Ces techniques sont of-

fertes par les dermatologues spécialisés en esthétique,qui ne participent généralement pas à la RAMQ, oudans les centres hospitaliers universitaires disposantde l’équipement nécessaire.

Le traitement des cicatrices hypertrophiques

Le traitement de première ligne des cicatrices hy-pertrophiques consiste en l’injection intralésionnelled’une dose de 5 mg/l à 10 mg/l d’acétonide de triam-cinolone toutes les quatre à six semaines. On peutaussi y ajouter le laser à colorant pulsé qui diminuel’érythème et améliore la texture de la peau5.

Les feuilles de silicone (Cica-Care, Scar Fix) peu-vent prévenir la formation des cicatrices hyper tro phi -ques. Elles doivent être appliquées quotidiennementdès l’enlèvement des sutures ou dès la réépithéli ali sa-tion et laissées en place au moins douze heures chaquejour. Des gels ou des crèmes topiques de silicone (Der -ma tix) plus faciles d’utilisation sont commercialisées,mais leur efficacité réelle est remise en question. Ilexiste aussi des crèmes à base d’extraits d’oignon. Lemécanisme d’action de tous ces produits est lié à l’oc-clusion et à l’hydratation accrue de l’épiderme qui al-tèrent la sécrétion des facteurs de croissance, toutcomme le massage avec de la simple gelée de pétrole.

Le traitement des chéloïdesL’excision chirurgicale simple est contre-indiquée

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Photo 4. Cicatrice traumatique (agression). Résultat après trois séances de trai-tement par le laser à CO2 fractionné.

Avant Après

Certains endroits sont plus propices à la formation de cicatrices hypertrophiques et chéloï-diennes, comme le cou, le thorax antérieur et le dos.

Repère

Photo 3. Cicatrice chirurgicale sur le front. Résultat après quatre séances de traitement au laser à colorant pulsé.

Avant Après

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dans le cas des chéloïdes, car elle stimule davantagela synthèse de collagène et entraîne donc une récidiveet, le plus souvent, une aggravation6.

Le traitement de première ligne consiste en injec-tions intralésionnelles de corticostéroïdes (acétonidede triamcinolone) et de 5-fluoro-uracile (5-FU) ainsiqu’à la compression continue pendant de huit à vingt-quatre heures par un vêtement compressif ou unepince (pour les chéloïdes des lobes d’oreille). Vouspouvez orienter votre patient vers un centre d’or-thèses et d’appareils médicaux pour la confection surmesure de tels vêtements. La compression agirait endiminuant le flot sanguin, l’hypoxie locale entraînantla dégénérescence des fibroblastes et la dégradationdu collagène7. En l’absence de réponse aux cortico-stéroïdes, la bléomycine (1,5 UI/ml) peut être utili-sée en injections multiples toutes les quatre semaines.La cryothérapie préalable aux injections intralésion-nelles facilite l’injection du tissu très fibreux et contri-bue au traitement des chéloïdes par son action di-recte sur la microcirculation qui favorise l’anoxie etla nécrose du tissu cicatriciel. En cas d’échec, l’exci-sion chirurgicale peut être planifiée avec utilisationperopératoire de corticostéroïdes intralésionnels, sui-vie de cinq à six séances de radiothérapie locale enl’absence de contre-indications ou d’application lo-cale de crème d’imiquinod à 5 % qui stimule l’inter-féron alpha et réduit la formation du collagène et dela matrice extracellulaire.

Les interférons et l’application locale de divers im-munomodulateurs (comme la crème d’imiquinod à5 % et le tacrolimus) qui agissent à divers degrés surl’inflammation et la régulation cellulaire font l’objetd’études.

Doit-on s’inquiéter des cicatrices d’acné ?

Comme l’acné vulgaire touche 80 % de la populationentre 11 et 30 ans, elle est souvent considérée commeun problème bénin d’importance très secondairecomparativement à d’autres maladies. Ce pen dant,l’acné est une affection inflammatoire dermique sus-ceptible de laisser des séquelles esthétiques perma-nentes qui nuisent irrémédiablement à la qualité devie du patient. Par ailleurs, elle est associée à un tauxplus élevé de problèmes émotifs et psychosociaux queles maladies chroniques8. Le traitement des cicatricesd’acné n’est pas toujours simple et demande souvent

plusieurs interventions qui peuvent être trop oné-reuses pour une majorité de patients. L’acné doit doncêtre prise en charge et traitée rapidement et de façonvigoureuse, d’autant plus que l’intensité et la durée del’inflammation constituent des facteurs prédictifs durisque de cicatrices. Des données récentes soulignentl’importance d’un traitement anti-inflammatoire dansla prévention des cicatrices d’acné, les rétinoïdes to-piques ayant une place de choix en raison de leur rôledans l’inflammation et le remodelage9. La tétracycline,la doxycycline et la minocycline sont prescrites aussipour leur action anti-inflammatoire. Quant à l’isotré-tinoïne, elle a une action anti-inflammatoire, maispeut aussi paradoxalement exacerber initialementl’acné et l’inflammation. De plus, elle peut fragiliserla peau et ralentir le processus normal de réépithé-lialisation. Aucun traitement chirurgical ablatif oumicroablatif des cicatrices d’acné ne peut être entre-pris pendant un traitement par l’isotrétinoïne ni dansles six mois suivant l’arrêt.

Il existe trois types de cicatrices d’acné. Les cicatricesmaculeuses érythémateuses ou pigmentées se présen-tent comme des taches rouges ou foncées. Les cicatricesatrophiques par perte de substance, les plus fréquentes,sont caractérisées par des dépressions. Elles peuventêtre souples et disparaissent lorsque vous les étirezentre vos doigts. Elles peuvent aussi être fibreuses, se-mirigides et attachées à la base et persistent mêmelorsque vous tenterez de les distendre. Les cicatrices

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Photo 5. Cicatrices d’acné. La flèche indique une cicatrice en picà glace.

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en pic à glace (photo 5) en sont une variante me su rantmoins de 2 mm de diamètre. Elles peuvent être trèsprofondes. Le troisième type est la cicatrice hypertro-phique et chéloïdienne, plus fréquente dans le dosdes hommes, et dont l’aspect clinique et la physiopa-thologie sont celles des cicatrices hypertrophiques etchéloïdiennes que nous avons mentionnées dans lesprécédents paragraphes. Un même patient aura sou-vent plusieurs types de cicatrices qui varient aussi se-lon la région atteinte.

Comment peut-on traiter les cicatrices d’acné ?

Plusieurs traitements permettent d’atténuer les ci-catrices d’acné, mais aucun ne peut malheureusementles faire disparaître complètement10. L’asso ciation deplusieurs traitements s’avère souvent nécessaire parceque ces derniers varient en fonction du type morpho-logique de la cicatrice. Dans le cas des cicatrices éry-thémateuses ou hyperpigmentées, on peut rassurer lepatient quant à une évolution favorable, car elles peu-vent régresser avec le temps et l’usage régulier d’écransolaire (préférablement sans huile afin de ne pas sti-muler l’acné) et d’adapalène (Differin, un rétinoïdede synthèse moins irritant que la trétinoïne) ou detrétinoïne topique (Retin-A, Renova, Stieva-A) pourleur action anti-inflammatoire et éclaircissante. Les

peelings doux à base d’acide glycolique ou d’acide sa-licylique (NeoStrata, GlyDerm, Pro-Derm) accélére-ront l’éclaircissement des lésions hyperpigmentées,tout en favorisant la maîtrise de l’acné.

Pour les cicatrices très fibreuses attachées à leurbase, on aura recours à la subcision qui consiste à dé-tacher les bandes fibreuses à l’aide d’une aiguille hypo -dermique. Les cicatrices en pic à glace et les cicatricesprofondes peuvent être excisées au poinçon. Quantaux cicatrices souples, il est possible d’y injecter un pro-duit de comblement dermique. L’acide hyaluroniqueréticulé donne d’excellents résultats, mais les effets s’at-ténuent graduellement. Des injections annuelles sontdonc nécessaires (photo 6).

L’injection de collagène bovin contenant des micro -sphères de polyméthylmétacrylate est durable en rai-son de la stimulation de la néoformation de collagène.Certains médecins délaissent ce type de produits in-jectables, qui comporte des risques de réactions gra-nulomateuses retardées difficilement traitables, auprofit des injections d’acide L-polylactique éventuel-lement biorésorbée ou encore d’injections autologuesde plasma riche en plaquettes dans le but de stimulernaturellement la prolifération cellulaire et la synthèsede collagène11.

Pour traiter l’ensemble de la région portant des ci-catrices ou pour compléter le traitement des cicatrices

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L’acné est associée à un taux plus élevé de problèmes émotifs et psychosociaux que les ma la -dies chroniques.

Repère

Photo 6. Cicatrices d’acné et laxité secondaire au vieillissement. Résultat après l’injection d’acide hyaluronique.

Avant Après

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profondes isolées, le recours à des techniques de re-lissage pour régulariser la surface cutanée et repro-duire la néocollagenèse s’impose. Sur ce point, la der-mabrasion traditionnelle a d’abord été remplacée parl’ablation au laser, technique non sanglante nécessi-tant tout de même une éviction sociale d’une dizainede jours en raison des rougeurs prolongées. Ce typede laser entraîne aussi un risque d’hypopigmentationpermanente, ce pourquoi on utilise plutôt actuelle-ment la photothermolyse fractionnée ou les lasersmicroablatifs qui n’exigent qu’une anesthésie topiqueet un temps de récupération de quelques jours sanséviction sociale ni soins spécialisés. Ces traitementsdoivent toutefois être répétés de quatre à six fois àun intervalle de quatre à six semaines (photo 7).

V OUS POUVEZ MAINTENANT informer vos patients queles lésions dans le dos de Gérald sont des cicatrices

hypertrophiques attribuables à une anomalie génétiquedu processus de cicatrisation. Comme l’exérèse chirur-gicale stimulera de nouvelles cicatrices hypertrophiques,vous suggérez plutôt des injections intralésionnelles detriamcinolone afin de diminuer le relief des cicatrices.Vous déconseillez également l’exérèse chirurgicale du

polype bénin situé dans la région présternale en raisondu risque élevé de cicatrices hypertrophiques plus ap-parentes que la lésion actuelle.Vous considérez l’acné de Benjamin comme un pro-

blème aussi sérieux que toute autre maladie, d’autantplus que ses antécédents familiaux accroissent sonrisque de cicatrices. Vous appliquez les recommanda-tions thérapeutiques pour l’acné vulgaire12 et suivez ré-gulièrement Benjamin pour vous assurer d’une évolu-tion favorable. Quant à Claire, vous lui expliquez quedifférents traitements sont possibles pour ses cicatricesd’acné et vous la dirigez en dermatologie esthétique envérifiant au préalable qu’elle est motivée et que ses at-tentes sont réalistes. 9

Date de réception : le 17 avril 2011Date d’acceptation : le 10 mai 2011

La Dre Andrée Mathieu-Serra n’a déclaré aucun intérêt conflictuel.

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Photo 7. Cicatrices d’acné. Résultat après trois séances de laser à CO2 fractionné.

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Plusieurs traitements permettent d’atténuer les cicatrices d’acné, mais aucun ne peut mal-heureusement les faire disparaître complètement.

Repère

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La cicatrisation : indispensable à la survie… ou une affection à vie ?56

Cicatrization: essential to survival or a lifelong afflic-tion? Cicatrization is a normal healing process, essen-tial to survival. Of genetic origin, hypertrophic scarsand keloids are abnormalities of this complex process,but they can be treated in various ways. Some commoncutaneous disorders, mainly acne, must be consideredas an inflammatory disease and treated aggressively asprevention. Acne scars being generally of several mor-phological types, they require a combination of thera-peutic approaches, divided in several steps. Thus, treat-ment can be too expensive for many patients, eventhough they are as greatly or even more affected psycho -socially than if they suffered from a chronic illness suchas asthma or arthritis.

Summary