La cuvée belge des Ameriques

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D’ici et D’ailleurs — La cuvée beLge des amériques

En Amérique du Nord, les micro-brasseries se multiplient à grande vitesse. Adieu la Budweiser,

cette blonde sans goût ! Désormais, les Américains trempent leurs lèvres dans des stouts, des triples ou des blanches fabriquées maison qui se revendiquent

de la tradition belge. Et ils font ça tellement bien que, selon certains, nos célèbres trappistes risquent bientôt d’être « has been ». Reportage au Michigan,

dans la région des grands lacs, où le coq wallon sert carrément d’emblème à une bière locale.

améLie mOuTONPhotographiesdOug cOOmbe des

amériques

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D’ici et D’ailleurs — La cuvée beLge des amériques

En Amérique du Nord, les micro-brasseries se multiplient à grande vitesse. Adieu la Budweiser,

cette blonde sans goût ! Désormais, les Américains trempent leurs lèvres dans des stouts, des triples ou des blanches fabriquées maison qui se revendiquent

de la tradition belge. Et ils font ça tellement bien que, selon certains, nos célèbres trappistes risquent bientôt d’être « has been ». Reportage au Michigan,

dans la région des grands lacs, où le coq wallon sert carrément d’emblème à une bière locale.

améLie mOuTONPhotographiesdOug cOOmbe des

amériques

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D’ici et D’ailleurs — La cuvée beLge des amériques

quelques jours plus tard, en mettant le cap sur grand rapids, deuxième plus grande ville de l’état, le patron tout en moustache, Jason spaulding, donne l’explica-

tion. il a fait, il y a quelques années, un voyage inoubliable au sud de la belgique. c’était avant d’ouvrir sa propre brasserie-restaurant, aménagée dans cet ancien funé-rarium dont le décor, avec ses vi-traux et ses boiseries, évoque celui d’une abbaye. un anglais installé en allemagne lui avait concocté, à lui et à son épouse, une petite tour-née. Jason se souvient bien d’Or-

val et « de villages où on brasse la bière de manière artisanale, mais où on n’a jamais goûté celle qu’on fabrique à 30 kilomètres de là ». une carte gravée sur la paroi vitrée de la brasserie lui sert d’aide-mémoire : achouffe, à Houffalize, grain d’Orge à Hombourg, du côté de Liège, et puis tout au sud, entre arlon et vir-ton, la brasserie millevertus. Jason a même traversé la frontière française pour découvrir une ferme brasserie à rarecourt, entre metz et reims.

De l’eau à la bière, on le sait, il n’y a qu’un peu de chimie : du malt, du houblon et des levures, dosés par le grand alambiqueur en chef, le brasseur. est-ce pour cela qu’au

michigan, cette main de terre posée au milieu des grands lacs d’amérique du Nord, les micro-brasse-ries se sont mises à pousser comme des champi-gnons ? Toujours est-il que cet état de dix millions d’habitants, planté à mi-chemin entre New York et chicago, en compte aujourd’hui plus de 130. un chiffre spectaculaire si on songe que voici 25 ans, il n’y en avait que trois. « On ne peut plus rouler vingt kilomètres sans boire une bière », plaisante un gars du coin. La budweiser n’a qu’à bien se tenir. Les habitants des grandes plaines trempent désor-

mais leurs lèvres dans des triples, des blanches, des stouts, des blondes houblonnées, des saison, des ale à la pêche ou au potiron ; on trouve même des bières acidulées, style gueuze. La créativité est telle que des petits farceurs, dans un fanzine étudiant, délirent sur une bière à la couleur orange.

« La meilleure bière, c’est celle du Michigan ! »boire de la bière artisanale, ici, est une ode au réveil des papilles, au retour au goût, après des années à subir d’insipides mets industriels. c’est aussi un acte de soutien au petit commerce local, créateur d’emplois dans une région ravagée par les délocalisations. Le secteur ne cesse d’embaucher, au point qu’il devient difficile de trouver de bons candidats pour surveiller

les brassages. alors, les occasions de célébrer la formi-dable générosité du dieu houblon ne manquent pas. comme lors de ce festival de la bière artisanale, un samedi d’octobre, à detroit.

La capitale mythique de l’automo-bile et de la techno a beau être rongée par la crise industrielle, l’ambiance est surchauffée, à mi-chemin entre l’Oktoberfest de munich et le Festival du film fan-tastique de bruxelles. Le public, souvent déguisé, se balade avec des colliers de bretzel et rugit dès que quelqu’un se met à pousser un cri guttural. un groupe joue du rock des années 1990. On se sent loin de la ville en ruines et de sa population à 80 % afro-américaine. ici, l’amateur de bière est souvent un homme blanc, la trentaine, avec un goût prononcé pour les tatouages. un type rougeaud s’empare du micro : « On n’est pas ici pour la bière du Colorado ou de Californie, hurle-t-il. La meilleure bière, c’est celle du Michigan ! » il faut dire que la région natale d’iggy Pop a quelques rivaux de taille. L’association des brasseurs américains tient les comptes. Leader incontestable : la californie, avec ses 381 brasseries artisanales. elle est suivie par Washington, Oregon et colorado. Le michigan caracole en cinquième posi-tion, ce qui n’est pas mal sur 51 états et explique sans doute cette crise de chauvinisme aigu.

Un coq rouge dans le ventdans le ciel limpide d’automne, un détail incongru retient soudain l’attention. un drapeau wallon, coq rouge sur fond jaune, se balance dans le vent. Ça fait quelque chose de le voir là, à plus de 6 000 km de son terroir natal. et ce n’est pas tout : le volatile écar-late s’est aussi installé sur les casquettes, tee-shirts et chemises en coton noir d’une armée de types barbus et souriants. Jamais l’emblème régional n’a paru si décontracté. « brasserie vivant : belgian tradition, local mission », peut-on lire sur une banderole. ben, chargé des relations publiques, ne sait pas très bien comment le gallinacé a atterri là. La Wallonie a l’air d’être pour lui un concept un peu vague. Par contre, il peut parler des bières, « des interprétations très libres de la tradi-tion belge », avance-t-il avec prudence. Les noms à eux seuls valent le détour : la « big red coq », la « hoppy belgo-american red ale », ou encore une toute nou-velle création : la « tart side of the moon », une bière foncée « inspirée par les fermes brasseries belges ».

autour de la bière artisanale, tout un monde s’est développé, avec des festivals, des chroniqueurs spécialisés, des chaînes sur YouTube. et un personnage incontournable : le beer geek. marc deNote, auteur spécialisé sur les bières de Floride, le décrit comme un insatiable curieux qui goûte toutes les nouveautés et dont la principale préoccupation se résume à « et maintenant, on invente quoi ? ». Pour lui, le beer geek joue un rôle essentiel dans l’expansion du marché de la bière artisanale, car il pousse constamment les brasseurs à innover. ce passionné est aussi un passeur. il commande les dernières nouveautés sur internet ou voyage pour visiter des micro-brasseries, avant de revenir chez lui pour partager ses découvertes. Les beer geeks font ainsi circuler et découvrir de nombreuses bières artisanales à travers le monde.

Les « beer geeks »

Un drapeau wallon se balance dans le vent. Ça fait quelque chose

de le voir là, à plus de 6 000 kilomètres de son terroir natal.

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D’ici et D’ailleurs — La cuvée beLge des amériques

quelques jours plus tard, en mettant le cap sur grand rapids, deuxième plus grande ville de l’état, le patron tout en moustache, Jason spaulding, donne l’explica-

tion. il a fait, il y a quelques années, un voyage inoubliable au sud de la belgique. c’était avant d’ouvrir sa propre brasserie-restaurant, aménagée dans cet ancien funé-rarium dont le décor, avec ses vi-traux et ses boiseries, évoque celui d’une abbaye. un anglais installé en allemagne lui avait concocté, à lui et à son épouse, une petite tour-née. Jason se souvient bien d’Or-

val et « de villages où on brasse la bière de manière artisanale, mais où on n’a jamais goûté celle qu’on fabrique à 30 kilomètres de là ». une carte gravée sur la paroi vitrée de la brasserie lui sert d’aide-mémoire : achouffe, à Houffalize, grain d’Orge à Hombourg, du côté de Liège, et puis tout au sud, entre arlon et vir-ton, la brasserie millevertus. Jason a même traversé la frontière française pour découvrir une ferme brasserie à rarecourt, entre metz et reims.

De l’eau à la bière, on le sait, il n’y a qu’un peu de chimie : du malt, du houblon et des levures, dosés par le grand alambiqueur en chef, le brasseur. est-ce pour cela qu’au

michigan, cette main de terre posée au milieu des grands lacs d’amérique du Nord, les micro-brasse-ries se sont mises à pousser comme des champi-gnons ? Toujours est-il que cet état de dix millions d’habitants, planté à mi-chemin entre New York et chicago, en compte aujourd’hui plus de 130. un chiffre spectaculaire si on songe que voici 25 ans, il n’y en avait que trois. «  On ne peut plus rouler vingt kilomètres sans boire une bière », plaisante un gars du coin. La budweiser n’a qu’à bien se tenir. Les habitants des grandes plaines trempent désor-

mais leurs lèvres dans des triples, des blanches, des stouts, des blondes houblonnées, des saison, des ale à la pêche ou au potiron ; on trouve même des bières acidulées, style gueuze. La créativité est telle que des petits farceurs, dans un fanzine étudiant, délirent sur une bière à la couleur orange.

« La meilleure bière, c’est celle du Michigan ! »boire de la bière artisanale, ici, est une ode au réveil des papilles, au retour au goût, après des années à subir d’insipides mets industriels. c’est aussi un acte de soutien au petit commerce local, créateur d’emplois dans une région ravagée par les délocalisations. Le secteur ne cesse d’embaucher, au point qu’il devient difficile de trouver de bons candidats pour surveiller

les brassages. alors, les occasions de célébrer la formi-dable générosité du dieu houblon ne manquent pas. comme lors de ce festival de la bière artisanale, un samedi d’octobre, à detroit.

La capitale mythique de l’automo-bile et de la techno a beau être rongée par la crise industrielle, l’ambiance est surchauffée, à mi-chemin entre l’Oktoberfest de munich et le Festival du film fan-tastique de bruxelles. Le public, souvent déguisé, se balade avec des colliers de bretzel et rugit dès que quelqu’un se met à pousser un cri guttural. un groupe joue du rock des années 1990. On se sent loin de la ville en ruines et de sa population à 80 % afro-américaine. ici, l’amateur de bière est souvent un homme blanc, la trentaine, avec un goût prononcé pour les tatouages. un type rougeaud s’empare du micro : « On n’est pas ici pour la bière du Colorado ou de Californie, hurle-t-il. La meilleure bière, c’est celle du Michigan ! » il faut dire que la région natale d’iggy Pop a quelques rivaux de taille. L’association des brasseurs américains tient les comptes. Leader incontestable : la californie, avec ses 381 brasseries artisanales. elle est suivie par Washington, Oregon et colorado. Le michigan caracole en cinquième posi-tion, ce qui n’est pas mal sur 51 états et explique sans doute cette crise de chauvinisme aigu.

Un coq rouge dans le ventdans le ciel limpide d’automne, un détail incongru retient soudain l’attention. un drapeau wallon, coq rouge sur fond jaune, se balance dans le vent. Ça fait quelque chose de le voir là, à plus de 6 000 km de son terroir natal. et ce n’est pas tout : le volatile écar-late s’est aussi installé sur les casquettes, tee-shirts et chemises en coton noir d’une armée de types barbus et souriants. Jamais l’emblème régional n’a paru si décontracté. « brasserie vivant : belgian tradition, local mission », peut-on lire sur une banderole. ben, chargé des relations publiques, ne sait pas très bien comment le gallinacé a atterri là. La Wallonie a l’air d’être pour lui un concept un peu vague. Par contre, il peut parler des bières, « des interprétations très libres de la tradi-tion belge », avance-t-il avec prudence. Les noms à eux seuls valent le détour : la « big red coq », la « hoppy belgo-american red ale », ou encore une toute nou-velle création : la « tart side of the moon », une bière foncée « inspirée par les fermes brasseries belges ».

autour de la bière artisanale, tout un monde s’est développé, avec des festivals, des chroniqueurs spécialisés, des chaînes sur YouTube. et un personnage incontournable : le beer geek. marc deNote, auteur spécialisé sur les bières de Floride, le décrit comme un insatiable curieux qui goûte toutes les nouveautés et dont la principale préoccupation se résume à « et maintenant, on invente quoi ? ». Pour lui, le beer geek joue un rôle essentiel dans l’expansion du marché de la bière artisanale, car il pousse constamment les brasseurs à innover. ce passionné est aussi un passeur. il commande les dernières nouveautés sur internet ou voyage pour visiter des micro-brasseries, avant de revenir chez lui pour partager ses découvertes. Les beer geeks font ainsi circuler et découvrir de nombreuses bières artisanales à travers le monde.

Les « beer geeks »

Un drapeau wallon se balance dans le vent. Ça fait quelque chose

de le voir là, à plus de 6 000 kilomètres de son terroir natal.

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D’ici et D’ailleurs — La cuvée beLge des amériques

à bastogne, cett e ville belge où se sont égarés tant de chars américains. demandez à un anglophone de prononcer un mot se terminant par « gne », vous verrez. L’établissement a pris ses quartiers à royal Oak, une banlieue aisée de detroit, dans un ancien supermarché qui, détail surprenant, était doté d’une superbe voûte en bois. une des sections de bastone, le monk, est tout entière dédiée à la gastronomie belge. On peut y manger des moules frites accompagnées de chimay, d’Orval ou de gol-den draak, une bière de la brasserie fl amande van steenberge, qu’on a souvent vue de ce côté de l’at-lantique. Ou des bières de rockne, qui se défendent bien. ces dernières sont des raretés : impossible de les goûter ailleurs qu’entre ces murs. elles ne sortent que pour les concours, où elles ont rafl é plus d’une cen-taine de prix, dont deux médailles d’or récentes dans une grande rencontre annuelle de la bière aux états-unis. c’est une consécration pour le modeste rockne qui a tout appris sur le tas en lisant des dizaines de

celui qui répond à l’aff ectueux surnom de « duckfat » se remémore avec gourmandise les festins de saison

dupont, de baguett es et de pâté. c’est son meil-leur souvenir : boire de la bière en mangeant, « une chose qu’on ne fait jamais aux États-Unis ». il est revenu en amérique avec ce concept, qu’il a reproduit ici, à la bras-serie vivant. mais bien sûr, sans sacrifi er aux exi-gences de la gastrono-

mie locale. ainsi parle-t-il fi èrement de son best-seller, le canard confi t. « Que j’ai mixé avec des Nachos », ajoute-t-il avec un petit air content. une énorme as-siett e arrive un peu plus tard et les serveurs en ra-joutent : « Mangez-les vite, autrement je m’en charge-rai pour vous ! » ces chips de maïs nappés de sauce blanche, dans lesquels se promènent des morceaux de canard, évoquent un lointain vol-au-vent.

L’école artistique belgeet le drapeau, alors ? Jason l’aimait bien, alors il l’a emporté dans ses bagages. un peu embarrassé, il précise que la copie n’est pas tout à fait identique à l’original : la queue de son coq compte plus de plumes. s’il est là, aujourd’hui, à aff ronter les bour-rasques glaciales du lac michigan, c’est pour rendre hommage à la créativité des brasseurs belges. Pour appuyer ses propos, il se lance dans une comparai-son. « Les Allemands sont très précis, ils font de la bière comme des ingénieurs. Les Belges ont une approche plus artistique, ils osent tenter des choses, changer un peu le dosage pour obtenir un goût diff érent ». Pré-

il fallait bien que ça arrive. depuis décembre 2013, les états-unis ont leur propre trappiste, la spencer ale, brassée par des moines de l’abbaye saint-Joseph, dans le massachusett s. si cett e communauté cistercienne est l’héritière de moines trappistes venus aux états-unis au début du XiXe siècle, elle s’est longtemps contentée de faire des confi tures et des gelées. elle avait pourtant reçu des renforts en 1857 : onze moines de sint sixtus de Westvleteren qui, pour de nombreux

amateurs, produit la meilleure bière du monde. sentant la nécessité de développer une activité supplémentaire, les moines sont fi nalement passés à l’acte, en commençant par un voyage de deux ans pour « visiter chaque brasserie trappiste et apprendre tout ce qu’ils pouvaient de leurs frères européens ». spencer ale est la première bière trappiste non européenne, et la dixième au monde aux côtés de six belges, deux néerlandaises et une autrichienne.

Une traPPiste aMéricaine

C’est son meilleur souvenir de Belgique : boire de la bière en mangeant, « une chose qu’on ne fait jamais aux États-Unis »DUckFat

l’indique la chemise rouge qu’il a lui-même customi-sée : sur la manche gauche, l’étendard noir-jaune-rouge et sur la droite, la bannière étoilée de l’amé-rique. rockne passe ses journées dans une cave, à brasser des doubles, des triples et des blanches. il fait aussi des bières plus houblonnées, saveur incontour-nable en amérique. mais c’est le style belge qu’il pré-fère et c’est d’ailleurs de là que viennent ses levures et ses grains. rockne est amoureux de son travail, même si la lumière du jour lui manque et qu’il a souvent rêvé de déplacer la brasserie à l’étage. comme ce n’est pas lui le patron, il se contente de son royaume exigu, où il guett e avec bonheur la montée de la mousse dans les grands baquets de fermentation. ces écumes, dit-il, lui rappellent la consistance des nuages qu’on survole en avion.

bastogne en amériquedes dizaines de tuyaux courent sur le plafond pour transporter ses préparations à l’étage. Là, derrière un long bar en bois, des pompes déversent la main street Pilsner, la monumental blonde, la double vision et la triple Nectar des dieux. Le pub restaurant s’appelle bastone. un g s’est perdu dans la bataille, « par souci de simplifi cation », mais oui, le nom fait bien référence

cisons tout de suite qu’en belgique, les amateurs de bière sont loin de tous partager cet avis, soupirant au contraire sur le manque d’innovation. mais Jason se considère membre de cett e école, et ses brassages sont des traductions pour le moins audacieuses de recett es typiques de chez nous.

chaque année, la brasserie vivant produit 5 800 hectolitres de bières. une grande partie est écou-lée ici, dans le restaurant qui ne désemplit pas. une cinquantaine d’employés et leur coq rouge s’activent pour servir les clients, vendre des tee-shirts ou surveil-ler la fermentation de la bière. Jason, 42 ans, est le plus âgé. son entreprise est à l’image d’une géné-ration préoccupée par l’environnement et la qualité de vie : on vient autant que possible travailler en vélo, ce qui lui a valu une médaille décernée par la Ligue des cyclistes américains. elle est aussi la première à avoir reçu un label pour son effi cacité énergétique. « Lorsque nous avons rénové le bâtiment, nous avons recyclé 72 % des matériaux », ajoute Jason. il paie 400 heures supplémentaires par an pour que ses employés fassent du volontariat dans la communauté locale. « Ce n’est pas qu’on cherche à donner des leçons aux politiciens de Grand Rapids, mais en tout cas nous voulons être une entreprise modèle. »

que le coq wallon soit recyclé comme argument marketing par une petite brasserie du michigan n’est fi nalement pas si surprenant. La belgique représente, pour bien des brasseurs américains, une des terres promises de la bière, avec l’allemagne et l’angleterre. un voyage dans nos contrées pluvieuses a souvent les allures d’un pèlerinage. rockne van meter, grand gaillard blond, en rêve depuis longtemps. ce bras-seur autodidacte est fou des bières belges, comme

« Je crains que la gare d’arrivée des brasseurs

américains ne soit le continent européen. »

jean Van roy

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D’ici et D’ailleurs — La cuvée beLge des amériques

à bastogne, cett e ville belge où se sont égarés tant de chars américains. demandez à un anglophone de prononcer un mot se terminant par « gne », vous verrez. L’établissement a pris ses quartiers à royal Oak, une banlieue aisée de detroit, dans un ancien supermarché qui, détail surprenant, était doté d’une superbe voûte en bois. une des sections de bastone, le monk, est tout entière dédiée à la gastronomie belge. On peut y manger des moules frites accompagnées de chimay, d’Orval ou de gol-den draak, une bière de la brasserie fl amande van steenberge, qu’on a souvent vue de ce côté de l’at-lantique. Ou des bières de rockne, qui se défendent bien. ces dernières sont des raretés : impossible de les goûter ailleurs qu’entre ces murs. elles ne sortent que pour les concours, où elles ont rafl é plus d’une cen-taine de prix, dont deux médailles d’or récentes dans une grande rencontre annuelle de la bière aux états-unis. c’est une consécration pour le modeste rockne qui a tout appris sur le tas en lisant des dizaines de

celui qui répond à l’aff ectueux surnom de « duckfat » se remémore avec gourmandise les festins de saison

dupont, de baguett es et de pâté. c’est son meil-leur souvenir : boire de la bière en mangeant, « une chose qu’on ne fait jamais aux États-Unis ». il est revenu en amérique avec ce concept, qu’il a reproduit ici, à la bras-serie vivant. mais bien sûr, sans sacrifi er aux exi-gences de la gastrono-

mie locale. ainsi parle-t-il fi èrement de son best-seller, le canard confi t. « Que j’ai mixé avec des Nachos », ajoute-t-il avec un petit air content. une énorme as-siett e arrive un peu plus tard et les serveurs en ra-joutent : « Mangez-les vite, autrement je m’en charge-rai pour vous ! » ces chips de maïs nappés de sauce blanche, dans lesquels se promènent des morceaux de canard, évoquent un lointain vol-au-vent.

L’école artistique belgeet le drapeau, alors ? Jason l’aimait bien, alors il l’a emporté dans ses bagages. un peu embarrassé, il précise que la copie n’est pas tout à fait identique à l’original : la queue de son coq compte plus de plumes. s’il est là, aujourd’hui, à aff ronter les bour-rasques glaciales du lac michigan, c’est pour rendre hommage à la créativité des brasseurs belges. Pour appuyer ses propos, il se lance dans une comparai-son. « Les Allemands sont très précis, ils font de la bière comme des ingénieurs. Les Belges ont une approche plus artistique, ils osent tenter des choses, changer un peu le dosage pour obtenir un goût diff érent ». Pré-

il fallait bien que ça arrive. depuis décembre 2013, les états-unis ont leur propre trappiste, la spencer ale, brassée par des moines de l’abbaye saint-Joseph, dans le massachusett s. si cett e communauté cistercienne est l’héritière de moines trappistes venus aux états-unis au début du XiXe siècle, elle s’est longtemps contentée de faire des confi tures et des gelées. elle avait pourtant reçu des renforts en 1857 : onze moines de sint sixtus de Westvleteren qui, pour de nombreux

amateurs, produit la meilleure bière du monde. sentant la nécessité de développer une activité supplémentaire, les moines sont fi nalement passés à l’acte, en commençant par un voyage de deux ans pour « visiter chaque brasserie trappiste et apprendre tout ce qu’ils pouvaient de leurs frères européens ». spencer ale est la première bière trappiste non européenne, et la dixième au monde aux côtés de six belges, deux néerlandaises et une autrichienne.

Une traPPiste aMéricaine

C’est son meilleur souvenir de Belgique : boire de la bière en mangeant, « une chose qu’on ne fait jamais aux États-Unis »DUckFat

l’indique la chemise rouge qu’il a lui-même customi-sée : sur la manche gauche, l’étendard noir-jaune-rouge et sur la droite, la bannière étoilée de l’amé-rique. rockne passe ses journées dans une cave, à brasser des doubles, des triples et des blanches. il fait aussi des bières plus houblonnées, saveur incontour-nable en amérique. mais c’est le style belge qu’il pré-fère et c’est d’ailleurs de là que viennent ses levures et ses grains. rockne est amoureux de son travail, même si la lumière du jour lui manque et qu’il a souvent rêvé de déplacer la brasserie à l’étage. comme ce n’est pas lui le patron, il se contente de son royaume exigu, où il guett e avec bonheur la montée de la mousse dans les grands baquets de fermentation. ces écumes, dit-il, lui rappellent la consistance des nuages qu’on survole en avion.

bastogne en amériquedes dizaines de tuyaux courent sur le plafond pour transporter ses préparations à l’étage. Là, derrière un long bar en bois, des pompes déversent la main street Pilsner, la monumental blonde, la double vision et la triple Nectar des dieux. Le pub restaurant s’appelle bastone. un g s’est perdu dans la bataille, « par souci de simplifi cation », mais oui, le nom fait bien référence

cisons tout de suite qu’en belgique, les amateurs de bière sont loin de tous partager cet avis, soupirant au contraire sur le manque d’innovation. mais Jason se considère membre de cett e école, et ses brassages sont des traductions pour le moins audacieuses de recett es typiques de chez nous.

chaque année, la brasserie vivant produit 5 800 hectolitres de bières. une grande partie est écou-lée ici, dans le restaurant qui ne désemplit pas. une cinquantaine d’employés et leur coq rouge s’activent pour servir les clients, vendre des tee-shirts ou surveil-ler la fermentation de la bière. Jason, 42 ans, est le plus âgé. son entreprise est à l’image d’une géné-ration préoccupée par l’environnement et la qualité de vie : on vient autant que possible travailler en vélo, ce qui lui a valu une médaille décernée par la Ligue des cyclistes américains. elle est aussi la première à avoir reçu un label pour son effi cacité énergétique. « Lorsque nous avons rénové le bâtiment, nous avons recyclé 72 % des matériaux », ajoute Jason. il paie 400 heures supplémentaires par an pour que ses employés fassent du volontariat dans la communauté locale. « Ce n’est pas qu’on cherche à donner des leçons aux politiciens de Grand Rapids, mais en tout cas nous voulons être une entreprise modèle. »

que le coq wallon soit recyclé comme argument marketing par une petite brasserie du michigan n’est fi nalement pas si surprenant. La belgique représente, pour bien des brasseurs américains, une des terres promises de la bière, avec l’allemagne et l’angleterre. un voyage dans nos contrées pluvieuses a souvent les allures d’un pèlerinage. rockne van meter, grand gaillard blond, en rêve depuis longtemps. ce bras-seur autodidacte est fou des bières belges, comme

« Je crains que la gare d’arrivée des brasseurs

américains ne soit le continent européen. »

jean Van roy

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D’ici et D’ailleurs — La cuvée beLge des amériques prolongements

3PLUs + Sur le Net : James et Martin, les

patrons de Brewdog, une brasserie anglaise qui connaît un succès fou-droyant, sillonnent les États-Unis à la rencontre de brasseurs américains. Reportages à voir sur http ://tv.es-quire.com/shows/brew-dogs.

+ L’histoire du mouvement craft aux États-Unis et les derniers chiffres : brewersassociation.org.

Côté belge, connectez-vous au site bierebel.com où officie notamment un fin connaisseur des scènes américaine et

belge (et bien au-delà, de l’Afrique à la Suède), Sébastien Jadot. Il contribue aussi au site qui établit le classement des meilleures bières du monde : ratebeer.com. Ou faites connaissance avec Kevin, quincaillier le jour et beer geek la nuit belgianbeergeek.be/

+ Des livres : Il y en a beaucoup ! En français, citons Les meilleures bières du monde de Ben MacFarland, le carnet d’un voyage à la découverte de brasserie dans trente pays du monde. Ainsi que le récent Bières d’Artisans en Wallonie et à Bruxelles de Michel Verlinden et Alexandre Bibaut.

ce que l’in-dustrie de la bière

artisanale a rapporté à l’économie améri-caine en 2012.

approximati-vement le volume de production de bière

artisanale américaine en 2013, soit plus de 17 millions d’hecto-litres.

4 les États-Unis sont le

quatrième plus gros importateur de bières belges derrière la France, les Pays-Bas et l’Allemagne. Ils ont importé 1,5 million d’hectolitres en 2013.

c’est ce qu’un Belge consomme

comme bière annuel-lement. Un chiffre qui ne cesse de diminuer, la consommation ayant enregistré un recul de 26,12 % depuis le début des années 1990. Les brasseurs belges ont lancé la campagne « Fiers de nos bières » pour tenter d’enrayer le phénomène.

72 litres

in nUMeros

La joUrnaListe raconte

« Jamais je n’aurai autant utilisé mes papilles gustatives pour faire un reportage. C’est un sens que je mobilise rarement dans mon travail, où j’utilise plutôt la vue et l’ouïe, parfois l’odorat. Dommage, parce que c’est bien agréable. »Pour lire l’intégralité du making-of d’amélie mouton, rendez-vous sur notre site (http://www.24h01.be/?p=2166) ou directement ici :

stout : À l’origine, cet adjectif désignait quelque chose de « brave », mais dans son contexte il désigne quelque chose de « fort ». aujourd’hui, c’est une bière de fermentation haute brassée à partir d’un moût caractérisé par sa teneur en grains hautement torréfiés. Moût : mixture obtenue après pression ou cuisson de fruits ou autres produits destinés à la fermentation. il est caractérisé par sa teneur en sucres et par sa densité (facteur qui conditionne la production d’alcool). Pour le brassage de la bière, un moût de céréales est utilisé.

étyMotslivres. en octobre prochain, il aura sa récompense : un voyage en belgique. il est déjà sûr qu’il ira à la bras-serie cantillon, à anderlecht, qui n’est pas loin d’être le saint-graal pour les américains. La famille van roy n’a jamais succombé aux sirènes de l’industrie et des additifs. depuis un siècle, ses lambics et gueuzes ont pour seuls alliés l’amour, le temps et la nature. Jean van roy, qui a pris la succession de son père, ne brasse qu’en hiver, dans de grandes cuves en cuivre rouge. La fermentation s’ef-fectue sous un toit ouvert aux quatre vents, question de dosage des levures et des bactéries qui se chargent spontanément du travail. Puis vient le lent vieillissement dans des fûts de chêne. « Nous recevons près de 28 000 visiteurs chaque année, et parmi eux, il y a plus d’Américains que n’importe quelle autre nationa-lité », témoigne Jean van roy. Le continent, qui lui a déjà sauvé la mise en des temps plus durs, représente entre 15 et 20 % de ses ventes. il pense qu’il pourrait multiplier par vingt le volume de ce qu’il expédie outre-atlantique : tout se vendrait.

Un train lancé à toute vitesseces hommages appuyés à notre patrimoine bras-sicole ne doivent cependant pas nous tromper. comme le dit en substance ron Jeffries, le boss de Jolly Pumpkin, une autre brasserie star de la région, « c’est en Amérique que ça se passe aujourd’hui ». avec son bonnet sur la tête et sa boucle d’oreille, le capitaine spooky n’éprouve pas de vénération par-ticulière pour la belgique. même si ses bières, accla-mées par le New York Times et la critique spécialisée, ont un parfum de plat pays : elles font partie de la grande famille des bières acidulées. Fermentées avec des levures sauvages ajoutées manuellement, elles vieillissent dans d’immenses fûts de bourbon. voici deux ans, confrontés à une demande exponentielle, ron et sa femme Laurie ont déménagé leur brasse-rie du centre de dexter, joli petit village américain avec une gare vert pistache du XiXe siècle, vers un zo-ning où ils occupent un immense hangar de plus de 6 000 m2. c’était nécessaire. en 2013, Jolly Pumpkin a vendu environ 5 000 hectolitres de bières, un bond vertigineux au regard des 187 hectolitres écoulés la première année de son existence, en 2004.

Jolly Pumpkin et le michigan ne sont pas des cas uniques. Partout aux états-unis, les brasseries arti-

sanales connaissent une folle expansion. il en naî-trait au moins une chaque jour. en 2000, elles étaient 1 500. aujourd’hui, 2 768, un chiffre qui n’est plus très éloigné des 4 000 brasseries que comptaient les états-unis à la fin du XiXe siècle. au point que les géants brassicoles commencent à voir leurs ventes

reculer. ils contre-attaquent en ten-tant de racheter leurs petits concur-rents. Ou, comme budweiser, en diffusant à prix d’or une pub lors du dernier superbowl, la mythique finale du championnat de football américain. La marque s’est fendue d’un spot très controversé qui se moque des buveurs de bières arti-sanales, représentés comme des intellos coincés. « Fier d’être une

bière macro. Laissons-les siroter leur ale à la pêche et au potiron. »

Le boom est tel que plusieurs observateurs prédisent que le marché sera bientôt à saturation. Pour Jean van roy, de la brasserie cantillon, la belgique a du souci à se faire, car les bières américaines sont d’ex-cellente qualité. « Ils reproduisent des bières de tradi-tion belge, et ils le font mieux que chez nous, où elles sont souvent produites de manière industrielle. Ils font même désormais de très bonnes bières à fermenta-tion spontanée. » il compare le mouvement craft beer à un train lancé à toute vitesse. « Je crains que sa gare d’arrivée ne soit le continent européen. » signe qui ne trompe pas, la brasserie californienne stone, une des pionnières, va bientôt ouvrir un bistrot-brasse-rie à berlin. d’autres pays commencent aussi à déve-lopper leur propre production, comme le danemark, l’espagne ou l’italie (cette dernière compterait déjà 200 micro-brasseries). On trouve aussi des scènes très dynamiques en angleterre ou au québec, qui régale les palais avec ses dieu du ciel et ses Fin du monde. Pendant ce temps, la belgique, un peu figée dans ses habitudes, commence à peine à se réveiller.

amélie Mouton

« Les Américains repro-duisent des bières de

tradition belge, mais ils le font mieux

que chez nous. »jean Van roy

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D’ici et D’ailleurs — La cuvée beLge des amériques prolongements

3PLUs + Sur le Net : James et Martin, les

patrons de Brewdog, une brasserie anglaise qui connaît un succès fou-droyant, sillonnent les États-Unis à la rencontre de brasseurs américains. Reportages à voir sur http ://tv.es-quire.com/shows/brew-dogs.

+ L’histoire du mouvement craft aux États-Unis et les derniers chiffres : brewersassociation.org.

Côté belge, connectez-vous au site bierebel.com où officie notamment un fin connaisseur des scènes américaine et

belge (et bien au-delà, de l’Afrique à la Suède), Sébastien Jadot. Il contribue aussi au site qui établit le classement des meilleures bières du monde : ratebeer.com. Ou faites connaissance avec Kevin, quincaillier le jour et beer geek la nuit belgianbeergeek.be/

+ Des livres : Il y en a beaucoup ! En français, citons Les meilleures bières du monde de Ben MacFarland, le carnet d’un voyage à la découverte de brasserie dans trente pays du monde. Ainsi que le récent Bières d’Artisans en Wallonie et à Bruxelles de Michel Verlinden et Alexandre Bibaut.

ce que l’in-dustrie de la bière

artisanale a rapporté à l’économie améri-caine en 2012.

approximati-vement le volume de production de bière

artisanale américaine en 2013, soit plus de 17 millions d’hecto-litres.

4 les États-Unis sont le

quatrième plus gros importateur de bières belges derrière la France, les Pays-Bas et l’Allemagne. Ils ont importé 1,5 million d’hectolitres en 2013.

c’est ce qu’un Belge consomme

comme bière annuel-lement. Un chiffre qui ne cesse de diminuer, la consommation ayant enregistré un recul de 26,12 % depuis le début des années 1990. Les brasseurs belges ont lancé la campagne « Fiers de nos bières » pour tenter d’enrayer le phénomène.

72 litres

in nUMeros

La joUrnaListe raconte

« Jamais je n’aurai autant utilisé mes papilles gustatives pour faire un reportage. C’est un sens que je mobilise rarement dans mon travail, où j’utilise plutôt la vue et l’ouïe, parfois l’odorat. Dommage, parce que c’est bien agréable. »Pour lire l’intégralité du making-of d’amélie mouton, rendez-vous sur notre site (http://www.24h01.be/?p=2166) ou directement ici :

stout : À l’origine, cet adjectif désignait quelque chose de « brave », mais dans son contexte il désigne quelque chose de « fort ». aujourd’hui, c’est une bière de fermentation haute brassée à partir d’un moût caractérisé par sa teneur en grains hautement torréfiés. Moût : mixture obtenue après pression ou cuisson de fruits ou autres produits destinés à la fermentation. il est caractérisé par sa teneur en sucres et par sa densité (facteur qui conditionne la production d’alcool). Pour le brassage de la bière, un moût de céréales est utilisé.

étyMotslivres. en octobre prochain, il aura sa récompense : un voyage en belgique. il est déjà sûr qu’il ira à la bras-serie cantillon, à anderlecht, qui n’est pas loin d’être le saint-graal pour les américains. La famille van roy n’a jamais succombé aux sirènes de l’industrie et des additifs. depuis un siècle, ses lambics et gueuzes ont pour seuls alliés l’amour, le temps et la nature. Jean van roy, qui a pris la succession de son père, ne brasse qu’en hiver, dans de grandes cuves en cuivre rouge. La fermentation s’ef-fectue sous un toit ouvert aux quatre vents, question de dosage des levures et des bactéries qui se chargent spontanément du travail. Puis vient le lent vieillissement dans des fûts de chêne. « Nous recevons près de 28 000 visiteurs chaque année, et parmi eux, il y a plus d’Américains que n’importe quelle autre nationa-lité », témoigne Jean van roy. Le continent, qui lui a déjà sauvé la mise en des temps plus durs, représente entre 15 et 20 % de ses ventes. il pense qu’il pourrait multiplier par vingt le volume de ce qu’il expédie outre-atlantique : tout se vendrait.

Un train lancé à toute vitesseces hommages appuyés à notre patrimoine bras-sicole ne doivent cependant pas nous tromper. comme le dit en substance ron Jeffries, le boss de Jolly Pumpkin, une autre brasserie star de la région, « c’est en Amérique que ça se passe aujourd’hui ». avec son bonnet sur la tête et sa boucle d’oreille, le capitaine spooky n’éprouve pas de vénération par-ticulière pour la belgique. même si ses bières, accla-mées par le New York Times et la critique spécialisée, ont un parfum de plat pays : elles font partie de la grande famille des bières acidulées. Fermentées avec des levures sauvages ajoutées manuellement, elles vieillissent dans d’immenses fûts de bourbon. voici deux ans, confrontés à une demande exponentielle, ron et sa femme Laurie ont déménagé leur brasse-rie du centre de dexter, joli petit village américain avec une gare vert pistache du XiXe siècle, vers un zo-ning où ils occupent un immense hangar de plus de 6 000 m2. c’était nécessaire. en 2013, Jolly Pumpkin a vendu environ 5 000 hectolitres de bières, un bond vertigineux au regard des 187 hectolitres écoulés la première année de son existence, en 2004.

Jolly Pumpkin et le michigan ne sont pas des cas uniques. Partout aux états-unis, les brasseries arti-

sanales connaissent une folle expansion. il en naî-trait au moins une chaque jour. en 2000, elles étaient 1 500. aujourd’hui, 2 768, un chiffre qui n’est plus très éloigné des 4 000 brasseries que comptaient les états-unis à la fin du XiXe siècle. au point que les géants brassicoles commencent à voir leurs ventes

reculer. ils contre-attaquent en ten-tant de racheter leurs petits concur-rents. Ou, comme budweiser, en diffusant à prix d’or une pub lors du dernier superbowl, la mythique finale du championnat de football américain. La marque s’est fendue d’un spot très controversé qui se moque des buveurs de bières arti-sanales, représentés comme des intellos coincés. « Fier d’être une

bière macro. Laissons-les siroter leur ale à la pêche et au potiron. »

Le boom est tel que plusieurs observateurs prédisent que le marché sera bientôt à saturation. Pour Jean van roy, de la brasserie cantillon, la belgique a du souci à se faire, car les bières américaines sont d’ex-cellente qualité. « Ils reproduisent des bières de tradi-tion belge, et ils le font mieux que chez nous, où elles sont souvent produites de manière industrielle. Ils font même désormais de très bonnes bières à fermenta-tion spontanée. » il compare le mouvement craft beer à un train lancé à toute vitesse. « Je crains que sa gare d’arrivée ne soit le continent européen. » signe qui ne trompe pas, la brasserie californienne stone, une des pionnières, va bientôt ouvrir un bistrot-brasse-rie à berlin. d’autres pays commencent aussi à déve-lopper leur propre production, comme le danemark, l’espagne ou l’italie (cette dernière compterait déjà 200 micro-brasseries). On trouve aussi des scènes très dynamiques en angleterre ou au québec, qui régale les palais avec ses dieu du ciel et ses Fin du monde. Pendant ce temps, la belgique, un peu figée dans ses habitudes, commence à peine à se réveiller.

amélie Mouton

« Les Américains repro-duisent des bières de

tradition belge, mais ils le font mieux

que chez nous. »jean Van roy

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