La cucina italiana, naturellement Guy Lanoue Université de Montréal 2012-2014.

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La cucina italiana, naturellement

Guy LanoueUniversité de Montréal 2012-2014

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La patate, la tomate, le poivron et même le maïs (la base de la polenta) ne sont pas des aliments indigènes. Ils ont été introduits en Italie des Amériques plus ou moins dans les années 1700. À l’époque de Rome antique, le blé (farro, épeautre), le fromage, le vin, le miel, le lait, les olives, les lentilles (importées, et donc pour les riches), les pois chiches et les fèves (fava) étaient à la base de la diète. La viande était consommée en petites quantités (probablement elle était hors prix pour la majorité), et les salades étaient probablement à la base de déjeuner léger consommé vers 11h du matin (le sel était le condiment important, dont insalata, salade). Le pain était trempé dans l’huile d’olive ou dans le garum, une sorte de sauce Worcestershire à la base de poisson fermenté. Alternativement, la farine était bouillie pour faire un potage (puls) et accompagnée de gras animal ou de l’huile (pour les riches), sel, et quelques légumes.

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Les orgies accompagnées de plats somptueux ont été popularisées par Hollywood, mais n’étaient pas à la portée de la masse de personnes. À gauche, le potage.

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Le garum était préparé des intestins, des œufs, et le sang de poisson, surtout du thon, mélangés avec du sel (au moins 50%) et mariné et macéré au soleil pendant quelques semaines ou mois. Des herbes aromatiques étaient ajoutées, selon la recette et la qualité du produit, car le garum était consommé autant par les riches que les pauvres. Mélangé avec de l’eau, il est servi aux légionnaires pour accompagner leur puls; mélangé avec du vin, de l’huile ou du vinaigre, il est à la base de la haute cuisine romaine. Il avait de qualités médicinales, et donc était le Pepto Bismol de l’époque, doublant de ketchup. Le meilleur était importé, souvent de l’Espagne. Le garum contemporain, « l’eau d’anchois », est produit en Sicile.

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La cuisine médiévale était plus simple, au moins pour le vulgus, car il n’y avait plus d’importations ou de commerce interrégional, surtout du grain égyptien ou nord-africain qui avait alimenté l’empire. D’autre part, au sud les Arabes ont introduit des amandes (devenus très importants en Sicile), les épinards, le riz, les agrumes, certaines épices (le safran), possiblement les pâtes et, plus tard, le café et le sorbet (qui devient la base du gelato). Les Normands, colonisateurs de la Sicile pendant deux siècles (1000 à 1200), ont introduit le bacalà (la morue salée), qu’ils ont sans doute obtenu des Basques. Les personnes mangeaient de fèves, du chou, des œufs, du fromage, du pain, des olives. Le vin était toujours populaire, mais sans doute coupé avec de l’eau.

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À droite, le safran

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La cuisine italienne ne semble pas avoir évolué d’une manifestation simple à une expression complexe. Chaque époque avait ses livres de recettes, même au Moyen âge et à la Renaissance, p.e., au 17e apparait le livre de Giangiacomo Castelvetro, Breve Racconto di Tutte le Radici di Tutte l'Herbe et di Tutti i Frutti (un récit bref de toutes les racines, de toutes les herbes, et de tous les fruits). À la même époque, l’utilisation de la fourchette (inventée par les Italiens) devient populaire, ainsi que des assiettes pour substituer les bols; de nappes, de napperons, de verres (et non des coupes). Bref, le couvert contemporain. Il est recommandé que les personnes se lavent les mains et le visage avant de manger, comme les Romains de l’antiquité, qui se lavaient aussi les pieds. À l’époque médiévale émerge la préférence italienne pour les plats à base de légumes et de grains, avec une emphase sur une diète naturelle et simple.

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Après l’Unification, la famille royale et les autres élites « mangeaient français »; c.-à-d., les pâtes, légumineux et les vins italiens étaient considérés trop simples ou trop populaires pour être présentés à la table, surtout aux banquets où il y avait des invités étrangers. C’est seulement vers la Première Guerre mondiale que la famille royale, pour soutenir les industries nationales, a adopté une diète plus typique de l’Italie contemporaine, c.-à-d., avec quelques premiers plats de pâtes ou surtout le risotto (produit typique du Nord, et donc venant de terres considérées ancestrales à la famille royale qui insistait à se faire étiquetée « piémontais » quand en réalité leur titre de noblesse dérivait de la Sardaigne), accompagnés par quelques vins italiens. La viande (ou poisson) était toujours considérée le plat principal du repas, qui retenait donc un peu de sa qualité « française ». La cuisine « italienne » de l’époque n’inclut certainement pas des plats du Sud comme la lasagne, les pâtes avec sauce tomates, les artichauts ou aubergines (considérés trop « méridionale »).

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À gauche, non; à droite, oui

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La cuisine italienne est marquée par sa diversité, mais elle a quelques traits partagés: 1)une cuisine régionale qui utilise les produits locaux et en saison2)des plats simples normalement limités à 3 à 8 ingrédients3)une capacité d’incorporer de nouveaux composants et les « italianiser »4)Utiliser le soleil pour sécher plusieurs aliments afin de concentrer les saveurs5)un temps de préparation rapide; le secret de la cuisine italienne est de contrôler précisément la température de la cuisson; certains ingrédients de base exigent beaucoup de préparation antérieure, p.e, le vinaigre balsamique, le prosciutto. La cuisson rapide a la même fonction: sécher les aliments au soleil pour concentrer les saveurs; une cuisson rapide à feu haut va sceller les saveurs à l’intérieur de l’aliment. 6)le vin comme aliment et non comme breuvage alcoolique 7)un repas composé de 3 ou 4 plats8)la socialité comme « ingrédient » de la cuisine9)séparation des saveurs; les ingrédients retiennent leurs saveurs de base après la cuisson, et certaines combinaisons sont évitées (p.e., le sucré avec le salé pour les viandes, bien que ceci est permis avec le poisson)10)des noms descriptifs pour les plats (« ris et pois »)

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Aujourd’hui, un repas se construit: 1)Aperativo, pour ouvrir l’appétit: Campari, Cinzano, Analcolico, Prosecco ou autre vin léger2)Antipasto, « avant le repas (pâtes) »: des bouchées, des hors-d'œuvre; ceux-ci peuvent être substantiels3)Primo piatto (ou simplement primo): gnocchi, risotto, zuppa, ou les pâtes4)Secondo piatto (secondo): viande ou poisson (sans garniture)5)Contorno (garniture, souvent servie séparément): légumes (souvent ripassati, bouillis et sautés dans l’huile avec un peu d’ail et de piment), salade6)Fruits, fromages, noix: ceci, avec le café, est la fin d’un repas simple7)Dolce (désert), souvent réservé pour des repas festifs8)Café 9)Digestivo (amaro, grappa, Sambuca, nocino, limoncello): en général, offert avec un repas festif; le grand repas de midi (en fait, de 13h ou de 14h) saute cette étape

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Le Souper à Emmaus, Caravaggio, 1602

Étant donné le degré de variation régionale, cette structure est une matrice partagée qui définit la cuisine italienne plus que ses plats. La cuisine est une partie importante de la quotidienneté, et donc est à la base de la culture de la patrie.

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Impossible à catégoriser la cuisine italienne; il y a trop de variations régionales. Au nord: la morue, morue salée (baccalà), les patates, riz, mais (polenta), viande sous forme de saucisson (cotecchino), le porc (le jambon de Parme, le speck d’Alto Adige/sud Tyrol), et le beurre sont des ingrédients typiques. Certaines zones ont de pâtes, surtout des pâtes farcies, mais utilisent peu de tomates dans les sauces. Le fromage de Parme (parmegiano) est désormais universel, mais était à l’origine typique du nord; vins blancs du Veneto, vins rouges ailleurs (Chianti); gianduia (chocolat et noisette).

Au centre: carcioffi (artichaut), pecorino (fromage romano), huile d’olive, mais surtout le strutto (lard de porc) pour cuisiner, les tripes et d’autres organes ou parties moins désirable de l’animale (p.e., coda alla vaccinara), les spaghettis et les buccatini, sauce amatriciana (ou des variantes avec tomates); vins blancs des collines autour de Rome; gelato, tiramisu.

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Le sud: tomates et encore des tomates, thon, sardines (anchois), ricotta, olives, peperoncino (piment), capres, agrumes, zucchini, aubergines, huile d’olive pour saveur et pour cuisiner; grappa, limoncello, nocello, des vins assez denses et corsés; sorbetto, gelato, cassata.

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Où manger?

Ristorante: souvent un peu plus huppé que les autres établissements.Rosticceria: « rôtisserie », plats simples et déjà préparésOsteria: mets régionaux; souvent pas de menu écrit; cuisine maisonTavola Calda: « table chaude », des plats déjà prêts, favorisés par les étudiants; parfois ouvert tardPaninoteca: des sandwichs; fréquentés pour la collationTrattoria: restaurant de famille, cuisine maisonBar/Birreria: des paninis, tramezzini (petits sandwichs), spuntini (collation), alcool, bière, apéros; peuvent être ouverts du matin jusqu’à minuit; au nord, on les appelle parfois des birreriePizzeria/Spaghetteria: surtout au centre et au sudGelateria: glaces et café

La variété de ces lieux est significative, car ils indiquent que les Italiens mangent

souvent en dehors de la maison, et préfèrent donc des mets simples, familiers,

« maisons ».

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Le vin

La culture du vin, développée, on pense, il y a de milliers d’années dans les Caucase a été amenée au sud par les colons grecs qui ont commencé à s’établir dans le sud vers 600 a.J.-C. Le vin devient rapidement une partie intégrale de la culture romaine et, plus tard, italienne. Pour les premiers peuples qui l’ont adopté, le vin est une façon de magasiner les calories, comme la bière qui s’établit dans la partie nord de l’Europe. Pourquoi pas de bière au sud? Celle-ci est faite de grains, et la Grèce et l’Italie sont deux zones montagneuses où la terre fertile et facilement travaillée est relativement rare (les Romains, p.e., importaient le grain d’ailleurs). Produire de la bière veut dire manger moins de pain; le raisin, par contre, peut pousser sur les flancs de collines et de montagnes autant que dans les terres basses plus accessibles. Le vin a un autre avantage: il peut devenir vinaigre (« vin-aigre », justement), qui facilite la conservation de certains aliments.

À gauche, Castello Brolio au Toscane; lieu de production du vin du même nom depuis le 19e siècle. Notez que la vigne est sur une colline, qui aide la maturation de la plante, exposée davantage au soleil, qui concentre le sucre.

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Le vin, dès son adoption, donc n’est pas un accompagnement à un bon repas, comme il l’est devenu ailleurs en Occident. Il est un aliment, une partie intégrale du repas.

Deux, il est un aliment qui est fortement lié à la localité, à la région. Il est donc un symbole identitaire. En général, les Italiens sont fort fiers de leurs vins locaux, même quand il est de qualité discutable.

Trois, il est un aliment exportable. Non seulement une source importante de revenu pour l’Italie et pour la région, il est aussi une carte de visite pour le pays, pour son lieu d’origine et pour son producteur.

Travailler le raisin de façon traditionnelle.

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« La cuisine » n’est pas seulement un ensemble d’aliments, de lieux, et de techniques. Il y a aussi une sociologie normative, une psychologie de l’agir, du Soi, une dynamique communautaire, qui est incarnée dans les pratiques du quotidien: 1) les façons de faire les emplettes (horaire, lieu, etc.), 2) de « lire » et de choisir les aliments, 3) de mettre en scène une théorie d’alimentation et de santé, 4) de préparer les aliments pour la cuisson, et 5) de les servir.

1) Où? : Aujourd’hui, les Italiens sont aptes à faire les emplettes à un supermarché, mais des alimentari (petites épiceries locales) sont toujours importants pour le pain, le fromage, les viandes préparées. Les fruttivendoli (kiosque fruits et légumes) offrent leur marchandise aux coins de rue. Les mercati rionali (marché du quartier) sont paradoxalement fréquentés par les riches et les pauvres: les pauvres parce que les prix sont plus bas; les riches parce que les produits sont plus frais et plus variés. Mais c’est aussi une question de temps et d’horaire: les pauvres arrivent très tôt (les marchés ouvrent vers 6h), les riches, parce qu’ils envoient leurs bonnes ou parce qu’ils ont plus de temps libre.

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2) Le choix d’aliments: aujourd’hui, avec les contraintes de temps, le choix est surtout entre le frais et le préparé (surtout surgelé). À signaler que les aliments surgelés sont souvent sans produits de conservation: ils sont préparés en usines comme des mets maisons. Il y a un deuxième aspect: le profil sociologique de la consommation de produits locaux adhère à la même dynamique que celle qui caractérise l’utilisation des marchés: plus les personnes sont pauvres, plus choisissent-elles de produits locaux, car ils coutent moins cher. Plus les personnes ont-elles un statut haut, plus vont-elles faire le même choix, parce que servir de tels aliments est symbole d’un attachement à la région et surtout a la campagne de la région; or, ce sont les nobles qui mangeaient de leur terroir, car ils avaient des terres travaillées par « leurs » paysans. « Manger local » est devenu un signe

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puissant de statut dans la patrie. Bref, certains aliments « typiques » ont la même fonction et charge sémiotique des vins, qui sont toujours régionaux.

À gauche, ce n’est pas un jambon, mais un jambon de Parme.

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3) L’alimentation et la santé: la cuisine italienne cherche un équilibre entre nature et culture. Un plat doit conserver le plus possible les gouts naturels des aliments qui le composent (nature), mais peut être dominé par une saveur « forte »: la combinaison de gout dominant et de saveurs « faibles » ou secondaires est un miroir de la société (culture). Puisque le gout des composants est identifiable, chaque plat est catégorisé selon un des gouts primaires: salé ou sûr; sucré ou amère. Par exemple, on évite de mélanger, « comme font les Anglais », le sucré et le salé, qui est interprété comme le « savoureux », le gout primaire de la viande. Les plats de viande en croute (« pot-pie », etc.) sont donc évités, car la croute est typique de plats « sucrés ». Certes, le agrodolce (amère-sucré) existe en certaines cuisines régionales surtout dans le nord, mais c’est considéré une combinaison exotique; les agrumes ne sont pas « sucrés » mais « sûrs » et donc peuvent être utilisés avec la viande. On utilise aussi des herbes, qui sont « naturelles », « fraîches », et « légères ».

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À gauche, une assiette « santé », la caprese, car « légère », voulant dire, dominé par une seule saveur en équilibre avec les saveurs secondaires.

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On évite des aliments « lourds »: gras animal, des plats « denses » et concentrés. Un plat donc a généralement une saveur dominante « forte » et « concentrée », mais pas deux ou trois: on établit un équilibre entre le fort et le faible. Puisqu’on peut engraisser en mangeant « lourd », pour maigrir on doit manger léger, mais la majorité des plats sont définies comme « légers », car dominés par une seule saveur « forte », il faut aussi manger moins pour maigrir (théorie de bon sens, mais contrastez-le avec la théorie nord-américaine, que certains aliments « aident » à maigrir). Ces théories semblent fonctionner: les Italiens vivent le plus longtemps de tous les Européens (81 ans), à la grande perplexité des Anglais, qui accusent les Italiens de boire et de fumer. (http://www.repubblica.it/salute/alimentazione/2013/03/23/news/italiani_i_pi_longevi_in_europa_81_anni_gli_inglesi_fumate_e_bevete_inspiegabile-55168840/?ref=HREC1-3; 22-03-2012).

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À gauche, un plat « léger » car sans gras animal et surtout parce qu’il est dominé par une seule saveur; à droite, les tripes à la romana, très lourd, car c’est composé avec une viande « dense » et « forte » à laquelle on ajoute du peccorino, un fromage également « fort » et dense.

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4. La préparation: Les plats sont généralement préparés rapidement. Certains plats (les tripes a la romana) prennent un temps long de cuisson, mais la préparation est relativement rapide. Le « secret » pour certains plats est une cuisson assez rapide à haute température qui scelle les saveurs à l’intérieur (comme p.e., le pain romain traditionnel); les viandes au four sont au contraire cuites lentement à basse température, pour attendrir les coupes de viande un peu plus économique qui sont utilisées un peu partout sauf la Toscane (où le bœuf est comparativement abondant), comme pour le porc rôti au vin rouge (en bas). L’exception est l’utilisation de coupes très tendres, p.e., le cochon au lait,

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ou, paradoxalement, de coupes très fines, quand on désire conserver une apparence un peu crue à la viande. Souvent, on tente de séparer les produits laitiers de la viande; le lait est un aliment d’enfant et de petit déjeuner, alors pas de cappucino après 11h svp.

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5. Servir: les personnes portent attention à l’esthétique du plat: les couleurs doivent se concentrer, mais s’harmoniser (la Piazza Margarita, p,e., est nommée pour une reine du même nom, donc en son honneur on incorpore du fromage blanc, de la sauce tomate rouge, et du basilic vert: les couleurs du drapeau national. Au restaurant, les plats sont servis sur des assiettes séparées (légumes, patates, viande sur trois assiettes); à la maison, les personnes vont mettre le secondo (plat principal) et i contorni (plats d’accompagnement) sur la même assiette, mais les antipasti et pâtes (primo) exigent des assiettes séparées. Il n’existe pas la tradition de la maman qui prépare les assiettes en cuisine pour les amener à table. Chacun se sert des plats de service. Exception faite de certains plats, comme p.e., la minestrone, que la maman va servir à table avec une louche. Je n’ai pas vu la tradition nord-américaine de demander à un homme de couper ou dépecer un rôti ou oiseau à table; ces plats sont généralement tranchés ou préparés en cuisine et présentés sur un plat de service prêt à servir individuellement. Il y a toujours un sous texte de pouvoir quand on mange: même avec un service fait-de-soi, la maman va parfois rester debout pour quelques minutes avant de prendre place à la table pour signaler qu’elle contrôle le repas; c’est elle qui surveille le repas et s’assure que tout le monde mange en abondance (surtout les invités). Il est considéré poli, quand on est invité, de refuser 2 ou 3 fois une

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deuxième portion et se faire « convaincre » ou tordre le bras de « céder »; ceci fournit à l’invité (ou en famille) d’offrir de compliments, qu’il ne peut résister telle saveur, présentation, hospitalité, etc. À gauche, on prépare dans la cuisine et mange dans la salle à manger (classe moyenne); et, oui, ce sont les femmes qui préparent dans une famille « normale ».

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D’autres règles: 1)quand on s’assoit à table, les femmes en premier (exception de la hôtesse, comme j’ai dit); 2)ne touchez pas au pain sur la table avant de commencer le repas principal, et de préférence pas avant le primo; 3)pas de scarpetta (« petits souliers » - utiliser un morceau de pain pour nettoyer son assiette); 4)salade après le repas principal, pour « nettoyer » la bouche; 5)pas de parmesan sur les pizza ni sur les mets de la mer; en fait, attendez qu’on vous l’offre;6) ne demandez pas du sel, les plats sont considérés assez salés; le poivre, oui, si on vous l’offre, autrement, non; 7)l’eau minérale de rigueur (pas d’eau de robinet, qui est censée avoir trop de calcium et donc apte à former de pierres; demander de l’eau du robinet signifie ne pas connaitre les règles de santé; le repas est une pratique saine); 8)jamais mangé debout ou en marchant ou en lieu public, si possible (les italiens rient des Américains qui mangent en lieux publics comme un autobus; le repas est un rituel); 9)ne pas se lever de table immédiatement après avoir mangé (on attend le signal de l’hôte; dans un restaurant, on attend avant de demander l’addition; celle-ci n’est jamais présentée sans une demande); 10)au restaurant, ne jamais demander au garçon de vous servir: c’est le serveur/maitre d’hôtel/propriétaire qui prend votre commande (la personne qui amène les plats ne possède pas les connaissances pour vous servir; ognuno ha la sua dignità, et les personnes sont sensibles aux questions de statut); 11)dans un restaurant c’est parfaitement normal de demander des plats qui ne sont pas sur le menu (c’est même bien vu, pour indiquer que vous connaissez la nourriture); par contre, vous devez être guidé par le type d’établissement: on ne demande pas de pâtes au fruit de mer dans les montagnes, un filet dans une trattoria, etc.; ça, c’est capricieux et donc insultant au propriétaire;12)demander au serveur ses conseils pour les mets et pour les vins (la négociation est signe de convivialité; le repas est un espace rituel où les règles qui gouvernent la hiérarchie ne sont pas suspendues, mais réinterprétées; donc votre « serveur » est aussi votre guide et même patron); 13)dans un restaurant et surtout dans un osteria ou la trattoria du coin, l’addition souvent n’est pas détaillée; on ne la conteste jamais; si elle a de détails, on ne les regarde pas; question de confiance dans le patron.14)invité dans une maison, à la table on ne parle pas de la politique ni de sujets banals (le cout de la vie, problèmes de santé, etc.).

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La cuisine italienne, diverse et régionale, est néanmoins un symbole internationale de bien manger et de bien vivre. Aujourd’hui, les Européens raffolent de la cuisine italienne. On trouve de restos italiens partout en Europe, avec un nom stéreotypiquement italien (« Da Luigi »; en Italie, la même fonction est remplie par de bars possédant de noms américains « Joes », mais souvent on oublie l’apostrophe du possessif ou on met l’adjectif après le nom, comme est parfois le cas en italien). L’ironie: c’est une cuisine souvent générique, car elle doit répondre aux stéréotypes locaux de ce qui est italien, et c’est donc souvent la cuisine la plus pauvre: pâtes sauce tomate, pizza « la napoli », calzoni, caprese, servis avec du Coca-Cola. En fait,

À gauche, de pizzarie en Transylvanie, 2007

l’italianité du resto est plus souvent signalée par le décor « italien » que par le menu, surtout en des endroits où la culture locale ne partage pas la structure du repas (p.e., salade avant et pas après le plat principal).

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Une table « typiquement » italienne: spaghetti alla bolognese, foccaccia, caprese, pain. Normalement, on sert qu’un de ces plats à un repas. La bouteille de chianti recouverte de paille est quasiment inconnue en Italie contemporaine. Le tablier à carreaux rouge et blanc est signe que nous sommes dans un espace de l’imaginaire occidental mais pas italien, et la tresse d’ail sur la table serait, évidemment, bannie à la cuisine.

“The paintings on the wall and the overall interior designing should give you a feel of 17th century Italy and not modern plastic times. Then you know you are in the right place for exclusive Italian food.” http://globerove.com/italy/italian-food-names/1111, 28-03-2014

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Qu’est-ce qu’on peut conclure? 1) les saveurs des composants restent identifiables; 2) le repas a plusieurs plats, et ceux-ci sont souvent « décomposés » et servis sur des assiettes individuelles; 3) les règles qui entourent la dimension alimentaire soulignent que le dîneur doit être a) composé, donc sémiotiquement et surtout psychiquement isolé, et b) en rapport avec d’autres personnes, même si ces dernières ne sont pas présentes : le repas n’est pas pour s’alimenter, mais est plutôt une mise en scène allégorique (c.-à-d., un ensemble de métaphores et de métonymies cohérentes) du rapport individu-communauté. Comme pour la perspective centrale (voir PPT La Perspective), où le protagoniste sémiotique est le public qui regarde une composition visuelle, le vrai protagoniste du repas italien n’est pas le chef qui épate avec sa prouesse, mais la personne qui mange humblement, solitaire ou en groupe: avec ses choix, avec chaque bouchée, il « compose » une pièce symphonique de saveurs et de couleurs: le repas n’existe pas tant qu’elle ne prend pas une bouchée. Tandis que la haute cuisine française semble mettre l’accent sur la performance du repas, commençant avec son « réalisateur », le chef, la cuisine italienne, qui a autant de règles, transforme la personne assise à la table en vedette.

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À droite, une scène de Cinico TV, émission culte des années 1990s, grassone qui mangia i fagioli  (le gras qui mange les fèves); en fait, l’émission consistait entièrement de ce monsieur plutôt dégoutant qui mangeait sans parler, sans plaisir, et sans arrêter de péter: une vraie vision cynique du repas. Le message était: « voilà ce que nous sommes devenus grâce à la mal gouvernance » : manger comme ça, veut dire saboter la vie.