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La crise Otto Rühle – Karl Korsch – Paul Mattick 1931-1938 Brochure pdf mise en ligne gratuitement en 2014 par La Bataille socialiste http://bataillesocialiste.wordpress.com

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La criseOtto Rühle – Karl Korsch – Paul Mattick

1931-1938

Brochure pdf mise en ligne gratuitement en 2014

par La Bataille socialiste

http://bataillesocialiste.wordpress.com

Table des matièresLa crise.................................................................................................................................................1Otto Rühle – Karl Korsch – Paul Mattick...........................................................................................11933-1938.............................................................................................................................................1

Crise économique [extrait] ..............................................................................................................3De quelques prolégomènes à une discussion matérialiste de la théorie des crises..........................6Qu’y a t-il derrière le "New Deal" ? .............................................................................................11Salut à la crise ...............................................................................................................................16

Crise économique [extrait] (Rühle, 1931)

Extrait de La Crise mondiale, d’Otto Rühle, publié sous le pseudonyme de Carl Steuermann (Gallimard, 1932).

Pendant les crises précédentes, dès que le débit diminuait et que le marché ne pouvait plus se débarrasser du surplus des marchandises, une action se déclenchait aussitôt, dans le mécanisme capitaliste, dont le but était d’accélérer l’écoulement des marchandises. Cette action, c’est la baisse des prix. De même que l’augmentation de la demande fait monter les prix, de même l’affaiblissement de la demande produit presque automatiquement la baisse. Au moyen des bas prix, on réussissait toujours, pendant les crises précédentes, à triompher de la paralysie du marché et à rétablir la circulation des marchandises.

Il n’en est pas de même dans la crise actuelle. Elle semble suivre une voie différente. La demande baisse, mais non les prix; ou bien, ils baissent trop peu, beaucoup trop peu par rapport à la masse des marchandises superflues, trop peu aussi par rapport à la diminution profonde du pouvoir d’achat des masses. Dans certains cas, les prix ont même tendance à augmenter. Ainsi, la denrée alimentaire la plus importante, le pain, a subi, pendant la crise, une hausse de prix, malgré une récolte inouïe et des stocks considérables. Il y a là un élément nouveau, tout à fait incompréhensible. C’est comme un défi à la misère, mais le fait est réel. Il détermine l’aspect de cette crise. Nous reconnaissons encore en elle les traits traditionnels des crises précédentes. mais nous y trouvons en outre des traits nouveaux qui nous surprennent, des traits qui nous font conclure au caractère particulier de cette crise. Et un de ces traits les plus frappants est que, malgré la demande affaiblie et l’offre impétueusement accrue, les prix des marchandises ne baissent pas.

Ce fait étonnant mérite d’être examiné d’un peu plus près, non seulement parce qu’il est intéressant d’étudier des choses peu communes, mais avant tout parce que, de ce fait inconcevable, que malgré la crise et la surabondance des biens les prix demeurent élevés ou même montent, dépend le sort de millions d’hommes. Recherchons donc les liens, les causes patentes et dissimulées. Voici le blé. Sur le marché mondial, la tonne en vaut 60-70 marks. Mais à Berlin, elle coûte 2220-250 marks. Voici le seigle. Dans le monde entier, il y a surabondance de seigle. Son prix sur le marché mondial est de 40-50 marks la tonne. A Berlin, on le paie pourtant 210 marks. Un kilo de pain de seigle coûte en Allemagne 38 pfennings tandis que, dans d’autres, il ne coûte que 20 pfennings. Comment cela peut-il se faire?

C’est bien simple. Il existe bien du blé en abondance, mais le gouvernement des capitalistes agraires allemands ne le laisse pas entrer en Allemagne. Il établit des barrières douanières pour empêcher l’importation. Avant la guerre, des tarifs protecteurs existaient aussi, mais le droit sur le blé était de 7 marks 50 par tonne. Pendant des décades, les partis de l’opposition du Reichstag luttèrent furieusement contre ce droit. La social-démocratie surtout mena une agitation contre le "droit usurier", contre le "cadeau aux Junkers", contre le "tribut de la faim". C’était à juste titre, car les droits sur les céréales et sur le pain servaient exclusivement à enrichir une poignée de grands agrariens prussiens aux frais de la communauté. Avant la guerre mondiale le droit sur le seigle était de 5 marks par tonne. Autour de lui se déroulaient, surtout au moment des élections, des luttes violentes, et le droit sur le pain était l’atout le plus fort dont on jouait dans la propagande. Après la guerre mondiale, la social-démocratie prit le pouvoir, et en 1929 la crise éclata. Quelle fut la première mesure gouvernementale sous le chancelier social-démocrate Muller ? Le droit sur le blé qui était déjà de 9 mars 50 fut porté à 12 marks. Quelques semaines après, le gouvernement Brüning, qui succéda au gouvernement Muller, éleva ce droit à 15 marks, puis à 18 marks 50 et finalement à 20 marks. Il en fut de même du droit sur le seigle. Le gouvernement Muller le porta à 9 marks, le gouvernement Brüning l’augmenta et le porta à 15 et finalement à 20 marks. Politique d’alimentation en temps de crise!

Ainsi, des barrières douanières élevées nous isolent du marché mondial. La concurrence des fournisseurs de blé étrangers est paralysée. Les producteurs de céréales en Allemagne ont maintenant les mains libres pour demander, pour leur blé et leur seigle, des prix aussi élevés que s’ils venaient de l’étranger et devait acquitter un droit d’entrée. Prix mondial plus droit de douane, tel est le prix que l’acheteur intérieur doit payer et que le junker des céréales met dans sa poche. Il en est de même pour l’orge, pour la viande, pour les légumes et le fromage, pour des centaines, littéralement des centaines d’articles indispensables à la vie. Pour le sucre, le droit de douane est le triple de sa valeur à l’étranger. Oppenheimer a calculé que la charge supplémentaire du consommateur allemand est de 2 milliards de marks par an. Cela fait 35 marks par tête, 175 marks par famille, environ 10 % du revenu ouvrier. C’est une usure révoltante, c’est le ruine des plus pauvre. Mais cela se passe en Allemagne, c’est équitable, sanctionné par la loi, sanctifié comme mesure de sauvetage du régime de la propriété et du profit menacé dans son existence.

La statistique essaie de persuader au public que le prix ont subi une baisse générale. Il faut accepter cette affirmation avec la plus grande réserve. En règle générale, il s’agit, dans les baisses de prix effectuées par les commerçants, de machinations proches parentes de tromperies et d’escroqueries. On expose de la camelote qu’on présente comme article de qualité. Les autres cas de baisse de prix correspondent soit aux changement de saison, soit à l’époque des soldes. La vie des grandes masses ne s’aperçoit pas du tout de baisses de prix déterminées. Il faut donc corriger les indices officiels fournis par la statistique. On est justifié de soupçonner que les chiffres des indices servent, devant la misère économique grandissante, à l’œuvre de tranquillisation et d’apaisement plutôt qu’à une recherche et à un éclaircissement objectifs. Ainsi, tout au plus peut-on admettre une baisse de 5 %. Mais la diminution des salaires est d’au moins 20 % sans faire entrer en ligne de compte le travail partiel et le chômage, sans parler de l’armée immense de ceux qui ne reçoivent même pas de secours.

Plus que jamais, le capitalisme allemand serait actuellement en mesure de produire à bon marché et de lancer des marchandises à très bas prix. Les prix de gros des principales matières premières ont, en effet, énormément baissé depuis 1927. Comparons les chiffres du tableau suivant:

Sur le marché mondial où l’offre et la demande exercent encore leur fonction régulatrice des prix, on pouvait dès 1930 se procurer deux fois plus de matières premières à somme égale. L’industrie peut donc acheter à bon marché. En outre, elle a un surplus de machines à grand rendement dont la capacité n’est utilisée qu’à 50 % à peine. Enfin, il y a un surplus de forces de travail humain disponibles. Mais les matières premières pourrissent, les machines tournent à vide ou bien sont arrêtées, et des hommes affamés tombent dans les rues.

(…) Les rentrées d’impôts diminuent. Les budgets publics sont encore une fois en déficit. Il faut encore une fois augmenter les impôts, imposer des sacrifices, diminuer les traitements, élever les droits de

douane. En mai 1931, la somme totale des déficits dans l’Empire, les Etats et les communes, d’après une évaluation assez exacte, s’élevait à 2,4 milliards de marks. Depuis, le fardeau des dettes s’est encore accru. Les charges continuent de s’alourdir. La misère est de plus en plus grande. Chacun cherche à faire supporter le surcroît de dépenses aux autres, aux plus faibles. Le plus faible de tous est le prolétaire qui ne vit que grâce à sa force de travail, qui n’a pas de réserves, ni aucun autre appui. C’est pourquoi il s’en tire le moins bien. Tous les renforts qu’il s’était créés dans des temps meilleurs s’avèrent nuls; la politique sociale est réduite à néant, les syndicats ouvriers acceptent toutes les humiliations pour conserver au moins leur appareil, les caisses de secours sont à la veille de faire faillite, la social-démocratie se prête complaisamment à toute la sale besogne de sauver le capital. On a calculé l’augmentation du coût de la vie pour les masses depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement Brüning jusqu’à la quatrième ordonnance de détresse. Les chiffres sont terrifiants (…)

De quelques prolégomènes à une discussion matérialiste de la théorie des crises

(K. Korsch,1933)

Traduit par S. Bricianer.

1.

Un grave vice de forme a jusqu’à présent affecté la discussion du problème des crises, en particulier au sein de la gauche et de l’extrême gauche du mouvement ouvrier; ce vice de forme tient en ceci qu’on s’est mis à rechercher, dans ces milieux, une théorie "révolutionnaire" des crises un peu comme au Moyen Age on cherchait le secret de la pierre philosophale. Il est pourtant facile de montrer à l’aide d’exemples historiques que la possession d’une telle théorie suprêmement révolutionnaire n’a pas grand-chose à voir avec le degré de développement réel de la conscience de classe et de la volonté d’action révolutionnaire des groupes ou des individus professant cette théorie.

C’est ainsi que le parti social-démocrate d’Allemagne fut pendant trente ans, de 1891 à 1921, doté au paragraphe ad hoc du programme d’Erfurt d’une théorie des crises on ne peut plus révolutionnaire, d’une radicale limpidité guère égalable de nos jours. Le programme d’Erfurt ne se contentait pas de ramener l’origine des crises à l’« absence de plan », à l’« anarchie » du mode de production capitaliste contemporain, ce qu’Engels critiqua dans le projet de programme, et ce que continue de faire aussi le programme de Heidelberg adopté en 1925 par le parti social-démocrate. Il ne se contentait pas de déplorer « la ruine de vastes couches de la population » et l’aggravation des « souffrances » des prolétaires en chômage qui en résultait. Loin de là, il faisait des crises un phénomène « inhérent à la nature même du mode de production capitaliste » et avec lequel, par conséquent, seule l’abolition révolutionnaire de ce mode de production, et non de quelconques réformes « planificatrices », permettrait d’en finir. Selon le programme d’Erfurt, les crises avaient pour effet principal « d’élargir encore l’abîme existant entre les possédants et les non-possédants ». Malgré les velléités de « révisionnisme » qu’on pouvait déjà y déceler, il affirmait en outre, avec toute la netteté désirable, que les crises ainsi décrites « deviennent toujours plus étendues et dévastatrices, érigent en état normal de la société l’insécurité générale et administrent la preuve que les forces productives de la société actuelle commencent à se sentir à l’étroit dans son sein, que la propriété privée des moyens de production est devenue inconciliable avec la mise en œuvre efficace et le plein développement de ces derniers ».

Cette contradiction entre la théorie et la pratique apparaît plus frappante encore quand on considère le cas de quelques théoriciens notables des crises, fleurons de la social-démocratie d"avant-guerre. Ce fut Heinrich Cunow, le futur réformiste à outrance, qui, en 1898, formula dans la Neue Zeit la première théorie articulée de l’effondrement et de la catastrophe. Et ce fut Karl Kautsky en personne qui, en juillet 1906, dans la préface de la cinquième édition de Socialisme utopique et Socialisme scientifique d’Engels, prédit la « crise mortelle » imminente du système capitaliste, crise dans le cadre de laquelle il n’existait plus, « cette fois-ci, la moindre perspective que, sur des bases capitalistes, elle puisse se trouver atténuée par une nouvelle ère de prospérité » ! La controverse à laquelle donna lieu, à partir de 1912, la théorie des crises et de l’effondrement développée par Rosa Luxemburg dans l’Accumulation du capital mit d’emblée aux prises, des deux côtés, des réformistes et des révolutionnaires (ainsi Lensch1 figurait au nombre de ses partisans, Lénine et Pannekoek au nombre de ses adversaires), et, même avec la meilleure volonté du monde, on ne saurait prendre les deux principaux épigones actuels de la théorie luxembourgiste, Fritz Sternberg et Henryk Grossmann2, pour des représentants particulièrement intransigeants et actifs d’une politique révolutionnaire pratique.

Alors qu’aux lendemains de la guerre, l’effondrement du système capitaliste, paraissant inévitable et déjà amorcé, suscitait de vaines illusions chez une grande partie des révolutionnaires, et que le théoricien du « communisme de gauche » qu’était encore Boukharine avait déjà improvisé une nouvelle et délirante théorie de cette prétendue fin du monde capitaliste dans son célèbre ouvrage Œkonomik der Transformationsperiode, le praticien de la révolution Lénine déclarait pour sa part : « En général, il n’existe pas de situation dont le capitalisme ne puisse se tirer », formule répétée depuis sur tous les tons, dans des conditions toutes différentes, par ses disciples, mais qui, dans le contexte du moment, était révolutionnaire.

2.

En fait, les diverses théories des crises professées jusqu’à présent au sein du mouvement ouvrier témoignent du niveau de conscience de classe et de volonté d’action révolutionnaire de leurs auteurs et adeptes bien moins qu’elles ne sont un reflet passif a posteriori chez ces derniers de la propension générale à la crise, ou simplement d’une crise économique momentanée, se manifestant sur ces entrefaites dans la réalité objective du mode de production capitaliste. On pourrait présenter sous cet angle tout le développement historique des théories socialistes des crises, jusque dans leurs moindres détails, en partant de Fourier et de Sismondi, pour passer par les diverses phases successives de la théorie de Marx-Engels, et arriver enfin aux théories marxistes, ou dues à des épigones du marxisme, de Sternberg et de Grossmann, de Lederer et de Naphtali3, montrer que, dans chaque cas, elles n’ont jamais été que le reflet passif du stade antérieur du développement économique objectif. En débordant le cadre de la théorie des crises, on pourrait aussi, toujours dans cette optique, définir toutes les luttes majeures de tendances que le mouvement ouvrier a connues ces cinquante dernières années comme autant de résultantes et reflets purs et simples de la conjoncture qui les avait immédiatement précédées à l’intérieur du cycle des crises capitalistes.

Bien du tapage a été fait sur le point de savoir si les assertions du vieil Engels, dans la préface qu’il rédigea en 1895 pour les Luttes de classes en France de Marx, impliquaient un abandon partiel des principes politiques révolutionnaires du marxisme originaire. Il serait de beaucoup préférable d’examiner cette question à la lumière de certains passages d’Engels, et dans la préface de Misère de la philosophie (1884), et dans une note du livre troisième (chap. xxx) du Capital (1894). Engels y fait état des derniers changements survenus dans le cycle industriel, lesquels ont eu pour effet, dit-il, « de supprimer ou de réduire considérablement la plupart des anciens foyers de crise et occasions de formation de crises ». Tout semble indiquer que cette thèse servit de point de départ idéologique aux diverses théories «lui, après avoir été au tournant du siècle représentées en apparence par le seul révisionnisme à la Bernstein, le sont aujourd’hui ouvertement par tous les docteurs de la loi sociaux-démocrates. Selon ces théories, le mouvement ouvrier socialiste aurait pour tâche, non plus de tirer parti des crises en vue d’accentuer la lutte pour abolir le mode de production capitaliste, mais de les modérer et de les « vaincre » dans le cadre de ce mode de production. Friedrich Engels était assurément à cent lieues de tirer pareille conclusion : partant de l’acquis des vingt années précédentes, il présentait au contraire le remplacement, qu’il avait prévu, du cycle antérieur des crises par une « forme d’ajus tement nouvelle » comme une voie de passage vers « la stagnation chronique en tant qu’état normal de l’industrie moderne ». C’est en ce sens qu’il s’inscrit directement à l’origine non seulement de la théorie des crises figurant dans le programme d’Erfurt, mais aussi de l’idée de « crise mortelle » — déjà reprise par Wilhelm Liebknecht au congrès d’Erfurt (1891) et développée ensuite par Cunow, Kautsky et bien d’autres —, idée selon laquelle la société actuelle, en vertu d’une « logique implacable », devait courir à « une catastrophe, sa propre fin que rien ne saurait prévenir ».

Les choses tournèrent autrement, à mesure qu’à la stagnation du milieu des années 1890, qu’Engels déclarait déjà « chronique », succédait un nouvel et prodigieux essor de la production capi taliste. A cette

époque comme plus tard, Édouard Bernstein se plaisait à proclamer publiquement que c’était précisément les données économiques nouvelles qui justifiaient les attaques principielles qu’il lançait contre tous les éléments révolutionnaires que la politique sociale-démocrate ne laissait pas de comporter encore, et justifiaient plus particulièrement ce diagnostic catégorique qu’« il faut considérer comme improbable-avant longtemps l’apparition de crises généralisées des affaires semblables aux crises d’autrefois ».

Il y a filiation directe de ce diagnostic, et les conséquences théoriques et pratiques que son auteur en tirait déjà, à la théorie sociale-démocrate officielle défendue aujourd’hui par Hilferding et Lederer, Tarnow3 et Naphtali. Cette théorie-là, que je qualifierai d’option subjective pour la mettre en opposition avec les deux autres options de base examinées plus loin, pose en postulat qu’au stade moderne du « capitalisme organisé », la crise a cessé d’être nécessaire et inévitable, soit en fait, soit d’une manière seulement « tendancielle ». Le premier exposé « scientifique » de cette thèse, que Bernstein s’était borné à l’origine à présenter comme la simple constatation d’un état de fait, se trouve dans le fameux Capital financier de Hilferding, qui s’attendait à voir un « cartel général » capitaliste, se mettant en place avec l’approbation et le soutien actif de la classe ouvrière, vaincre les crises et régler selon un plan la production bourgeoise, fondée sur le capital et le travail salarié. Après la guerre (1927), Hilferding déclara derechef, en termes exprès, n’avoir jamais « admis aucune théorie de l’effondrement économique ». La chute du système capitaliste ne « proviendrait pas des lois internes de ce système » ; elle devrait être au contraire « l’acte de volonté conscient de la classe ouvrière ».

La « théorie » de Hilferding n’a pas seulement servi de base aux théoriciens sociaux-démocrates ; c’est sur elle, également, que la plupart des doctrinaires et faiseurs de plans bolcheviques soviétiques asseoient leurs théories subjectives et volontaristes des crises et des moyens d’en venir à bout. Il ne faudrait pas croire que ces théories, sur lesquelles la presse et le livre sociaux-démocrates brodaient, il y a quelques années encore, d’infinies variations, aient été « réfutées » aux yeux de leurs auteurs et adeptes par les flagrantes réalités actuelles. L’expérience enseigne qu’Édouard Bernstein, par exemple, ne renonça nullement à sa thèse de 1899 sur l’aptitude du capitalisme à juguler les crises quand, l’année suivante, une crise économique éclata malgré tout, et, de nouveau, sept ans plus tard, une crise plus grave encore, tandis que seule la guerre mondiale venait ajourner sept années après une nouvelle crise déjà nettement en gestation, et appelée d’ailleurs à resurgir à l’échelle mondiale en 1920-1921, une fois effectuée la première liquidation de la guerre et de ses effets immédiats. Aujourd’hui, comme hier et comme demain, les Hilferding et les Lederer, les Tarnow et les Naphtali se comportent de la même façon. Ce qui caractérise ces théories-là, c’est en effet qu’elles sont le reflet idéologique de la toute dernière phase du mouvement réel de l’économie capitaliste et qu’elles mesurent la réalité maintenant changée à l’aune d’une « théorie » fixe, sclérosée. Quant au reste, on dispose toujours d’échappatoires, du genre de l’explication qui fait de la crise mondiale actuelle une séquelle de la guerre, consécutive au paiement des réparations et dettes de guerre, et autres causes « extra-économie nies ». La conséquence pratique de toutes ces options « subjectives » sous-jacentes aux théories des crises est cette annihilation complète des bases objectives du mouvement de classe prolétarien, à laquelle le programme social-démocrate donnait une consécration déjà classique lorsqu’il ramenait la lutte pour l’émancipation du prolétariat à une simple « exigence morale ». Toutefois, l’autre option de base en la matière, qui devait trouver dans la théorie de l’accumulation de Rosa Luxemburg une forme pour ainsi dire classique, un degré de perfection qui n’existe chez aucun de ses multiples devanciers et continuateurs, ne saurait pas plus être considérée comme une manière réellement matérialiste, et révolutionnaire dans ses effets pratiques, d’aborder le problème des crises. Selon ses adeptes, cette théorie tire son importance du fait que Rosa Luxemburg, « s’inscrivant consciemment en faux contre les tentatives de dénaturation des néo-harmonistes, est restée fidèle à l’idée fondamentale du Capital, l’idée qu’il existe une limite économique absolue à la poursuite de la production capitaliste ». Il est donc permis de dire de l’option sous-jacente à cette théorie qu’elle

est au fond absolue. Par contraste avec l’option « subjective » ci-dessus évoquée, et avec l’option « matérialiste » encore à examiner, je la caractériserai comme une option de base objective, ou « objectiviste ». Ce qui est en cause ici, ce n’est pas le point de savoir de quelles lois régissant les mécanismes de la production capitaliste est censée découler la nécessité de son effondrement économique objectivement garanti. Et, par ailleurs, ces théories n’échappent pas à l’« objectivisme » lors même que leurs défenseurs protestent que, loin de recommander au prolétariat « une attente fataliste de l’effondrement automatique », ils soutiennent «seulement» (!) que l’action révolutionnaire de celui-ci «ne peut briser une fois pour toutes la résistance de la classe dominante qu’à condition que le système en place ait objectivement été ébranlé au préalable » (Grossmann). Poser en théorie l’exis tence d’une tendance économique objective au but ultime déterminé d’avance, en œuvrant avec des représentations métaphoriques bien plus qu’avec des concepts scientifiques tranchés, et, qui pis est, en extrapolant inévitablement à l’excès, ne me paraît guère de nature à contribuer sérieusement à l’apparition do l’action responsable et solidaire de la classe prolétarienne coin battant pour ses buts propres, action aussi nécessaire à la guerre de classe des ouvriers qu’elle l’est dans toute autre guerre.

Une troisième option de base me semble concevable et mériter seule, contrairement à celles qui viennent d’être retracées, le qualificatif de matérialiste au sens de Marx. Selon cette option, toute la question de la nécessité ou de l’inéluctabilite objective des crises capitalistes constitue, dans le cadre d’une théorie pratique de la révolution prolétarienne, une question vide de sens à l’intérieur de cette totalité. Cette option s’accorde avec le critique révolutionnaire de Marx, Georges Sorel, quand celui-ci refuse de tenir pour une prévision scientifique la tendance générale du capitalisme à une catastrophe engendrant le soulèvement de la classe ouvrière, dont Marx faisait état dans un langage fortement empreint d’idéalisme philosophique, pour y voir uniquement un mythe * n’ayant d’autre effet que d’influencer l’action présente du prolétariat. Mais elle se sépare de Sorel quand celui-ci entend réduire le plus généralement la fonction de toute théorie future de la révolution sociale à la formation d’un mythe de ce genre. Au contraire, l’option matérialiste juge possible de faire certaines prévisions, d’une portée toujours très restreinte

En tout état de cause, mais suffisante pour permettre l’action pratique, au moyen d’une investigation sans cesse plus poussée du mode de production capitaliste contemporain et des tendances que son développement met en lumière. Voilà pourquoi le matérialiste, cherchant à déterminer l’action, examine à fond la situation donnée de ce mode de production, y compris les contradictions qui lui sont inhérentes, notamment la condition, le niveau de conscience, le degré d’organisation, la volonté de lutte de la classe ouvrière et de ses diverses catégories. Les principes essentiels de cette option fondamentalement matérialiste en théorie et en pratique ont été formulés en termes classiques et sous une forme générale, sans référence spécifique au problème des crises, en 1894, par le jeune Lénine qui attaquait à la fois le subjectivisme de Mikhaïlovski, le révolutionnaire populiste, et l’objectivisme de Struve, alors encore un théoricien marxiste de premier plan, et leur opposait en même temps son optique propre, matérialiste et activiste : « L’objectiviste risque toujours, en démontrant la nécessité d’une suite de faits donnés, d’en devenir l’apologiste ; le matérialiste met en valeur les contradictions de classe et c’est ainsi qu’il détermine son propre point de vue. »

Notes de Bricianer:

[1] Paul Lensch, après avoir été jusqu’à la déclaration de guerre l’un des ténors de la gauche sociale-démocrate, se métamorphosa ensuite du jour au lendemain, en « social-patriote» à tous crins; en 1933, il se rallia avec enthousiasme au régime nazi.[2] Soutenant chacun une version opposée de la théorie de l’effondrement du système capitaliste, Sternberg, socialiste de gauche, et Grossmann, plutôt proche du KPD, se gardaient l’un comme l’autre, dans leurs travaux d’économistes, de prendre explicitement position politique.

[3] Emil Lederer, professeur et économiste lié à la social-démocratie ; Fritz Naphtali, expert économique du parti social-démocrate; Fritz Tarnow, expert économique des syndicats.

Note de Korsch:

[*] Comme peu d’ouvriers allemands, sans doute, se forment une idée claire de ce concept de « mythe », nous traduisons ci-dessous quelques passages des Réflexions sur la violence (6e éd., Paris, Marcel Rivière, 1925), le principal ouvrage de Sorel, qui permettent de saisir sa conception du caractère et de la fonction du mythe dans l’histoire :

p. 32-33 : « Les hommes qui participent aux grands mouvements sociaux se représentent leur action prochaine sous formes d’images de batailles assurant le triomphe de leur cause. Je proposais de nommer mythes ces constructions : la grève générale des syndicalistes et la révolution catastrophique de Marx sont des mythes (…) comme ceux qui furent construits par le christianisme primitif, par la Réforme (…). Je voulais montrer qu’il ne faut pas chercher à analyser de tels systèmes d’images, comme on décompose une chose en ses éléments, qu’il faut les prendre en bloc comme des forces historiques (…). »

p. 180 : « II faut juger les mythes comme des moyens d’agir sur le présent. »

p. 182 : « La grève générale est (…) le mythe dans lequel le socialisme s’enferme tout entier, une organisation d’images capables d’évoquer instinctivement tous les sentiments qui correspondent aux diverses manifestations de la guerre engagée par le socialisme contre la société moderne. Les grèves ont engendré dans le prolétariat les sentiments les plus nobles, les plus profonds et les plus moteurs qu’il possède ; lu grève générale les groupe tous dans un tableau d’ensemble et, par leur rapprochement, donne à chacun d’eux son maximum d’intensité. »

Qu’y a t-il derrière le "New Deal" ? (P. Mattick, 1934)

Article de Paul Mattick paru dans International Council Correspondence (I.C.C.) N° 3 (décembre 1934). [Traduit de l' anglais par Stéphane, relu par Thomas]

Le New Deal n’annonce pas un "nouvel ordre social", et son apôtre, Franklin Delano Roosevelt, auto-proclamé Messie pour "l’homme oublié", n’est pas cet individu altruiste dont on fait le portrait.

L’élection de Roosevelt a été arrangée, comme toutes les autres élections précédentes, par un groupe d’individus dont les intérêts économiques exigeaient une aide gouvernementale urgente.

L’automne 1932 a vu l’effondrement complet de l’industrie américaine et une marée montante de mécontentement paysan. L’occupant d’alors de la Maison Blanche, Herbert Hoover, qui avait été placé là par les intérêts financiers de Morgan et Mellon, est apparu comme étant complètement inconscient de l’impasse désespérée de ces deux groupes. Il n’était que naturel que ces groupes se préoccupassent aux élections d’un pouvoir politique qui leur permettrait de faire passer une législation qui leur soit favorable.

Pourquoi Roosevelt a-t-il été choisi pour "mener" le pays hors du chaos économique ? Non seulement parce qu’il avait attiré l’attention de la nation comme beaucoup de politicien affichés "libéraux", mais surtout parce que ses propres intérêts économiques étaient identiques à ceux du groupe poussant sa candidature.

James Roosevelt, le père de Franklin D., ancien vice-président de Delaware & Hudson R.R., a accumulé une fortune si immense dans l’organisation des chemins de fer, tant au Sud suite à la Guerre civile, qu’à l’Est, qu’il a été considéré comme l’un des cinq hommes les plus riches à New York. Le jeune Franklin D. ayant exprimé le désir d’entrer dans la Marine, le vieux Roosevelt le persuada d’étudier plutôt le droit et de mieux se préparer ainsi à diriger l’empire familial. Une fois diplômé en droit de Columbia et d’Harvard, Roosevelt est entré dans un des meilleurs cabinets d’avocats de New York. Il y a mené des affaires avec Astor, devenant un ami proche de Guillaume Vincent Astor, un des industriels et banquiers les plus influents du pays. Roosevelt est alors entré en politique par amusement [In a spirit of fun]. Candidat démocrate au Sénat, il a surpris tout le monde en emportant le siège. Sitôt fait, Roosevelt, relativement inconnu, a attiré l’attention en s’opposant aux nominations de Tammany au Sénat (…). Il a ainsi gagné une réputation sans fondement d’altruisme qui a perduré jusqu’aujourd’hui. Roosevelt a ensuite soutenu Woodrow Wilson comme candidat démocrate aux présidentielles. En récompense, Wilson l’a nommé secrétaire d’État à la Marine. Roosevelt a passé sept ans à ce poste.Il y a quelques mois, les agences de communication de l’Administration ont fait grand cas du départ de marines américains qui avaient été postés à San Domingo (Haïti). Elles ont juste négligé de dire en passant que c’était ce même Franklin D. Roosevelt qui les y avait envoyés en 1913, c’était même son premier acte officiel en tant que secrétaire d’État, officiellement pour protéger des vies américaines, mais en fait pour protéger des investissements américains, ceux d’Astor entre d’autres! A l’été et à l’automne 1915, notre pacifique secrétaire a commencé de préparer la Marine à une participation éventuelle à la Guerre mondiale, deux ans avant son entrée effective dans le conflit. De plus, il a développé un don pour l’éloquence et a commencé à préconiser publiquement une Marine bien plus grande. Son travail a largement contribué à faire du mandat du Président Wilson celui des plus grosses dépenses militaires de tous les temps, dépassant les 320 000 000$ en 1916.

Après que l’Amérique fût engagée dans la guerre, la propagande alliée étant financée avec l’aide offerte par les intérêts financiers américains, (J. P. Morgan & Co,) et soutenue par la prose des jeune jingoistes à

la Roosevelt, notre héros a montré ses capacités. Roosevelt a inventé le "Macy Board" le premier plan gouvernemental de la main-d’œuvre de guerre, qui a coordonné les salaires dans chaque partie du pays. L’office national de la main-d’œuvre de guerre s’est développé à partir de ce plan, lequel a montré son égard pour le Travail en interdisant toutes grèves jusqu’à la fin de la guerre. Roosevelt a aussi exercé les fonctions de représentant de la Marine au Conseil Politique de la main-d’œuvre de guerre, en charge d’établir des politiques de la main-d’œuvre. En sa qualité d’expert de la Marine pour la main-d’œuvre, Roosevelt a aidé à "arbitrer" des conflits du travail dans la construction navale. Ce travail l’a mis en contact avec les bureaucrates de la Fédération américaine du travail, qui ont affiché le plus grand patriotisme et l’attitude la plus raisonnable qui soit dans leurs relations.

Le plus grand de ces patriotes aux demandes les plus raisonnables était le vice-président de l’Association internationale des Machinistes. Roosevelt n’a jamais oublié les faveurs qu’il a reçues de ce bureaucrate et lorsque le C.C.C. a été institué l’année dernière, il y a placé à sa tête ce même patriote, Robert Fechner.Après avoir aidé à gagner la guerre pour "faire le Coffre-fort Mondial pour la Démocratie", Roosevelt est revenu à la société civile, reprenant son métier d’avocat. À la demande d’Alfred E. Smith, il est revenu en politique, remportant le poste de gouverneur de New York en 1928 et de nouveau dans les années 30. Pendant cette période, le Gouverneur a découvert qu’il avait une voix radiophonique. C’est de là que devait venir cette grande institution américaine des Conversations au coin du feu avec le Président (par les bonnes grâces des deux chaînes audiovisuelles).

Son mandat comme gouverneur, quoiqu’ait pu en dire la presse, n’a pas montré le moindre avantage pour les travailleurs. La législation que cite Roosevelt avec fierté comme une bénédiction pour les travailleurs, la retraite de l’État de New York, ne leur profite pas du tout. Non seulement les éligibles à cette retraite doivent avoir 70 ans (excluant la plupart des ouvriers qui n’atteignent jamais les 60 ans, sans parler des 70 ans, à cause des conditions de travail modernes) mais la procédure est si lourde en paperasserie que les personnes vraiment nécessiteuses, sans argent pour l’assistance judiciaire, peuvent à peine espérer faire valoir leurs maigres droits.

Roosevelt n’est pas le seul membre de sa famille à avoir d’importants capitaux dans les chemins de fer. Son cousin germain du côté de sa mère, Lyman Delano, est aujourd’hui Président du conseil d’administration de l’Atlantic Coast Line R.R. Co., de la Louisville & Nashville, et a des prises d’intérêt dans beaucoup d’autres. Ses autres parents sont J. J. Pelley, le président récemment démissionné de la New York, New Haven & Hartford R.R., et actionnaire d’autres sociétés; et M. Curry de l’Union Pacifique. Les trois amis les plus intimes de Roosevelt sont aussi des industriels avec d’énormes propriétés dans les chemins de fer. Vincent Astor, déjà cité, en plus d’importants intérêts dans l’industrie et le transport maritime, est un directeur de la Great Northern Ry. Co. et de l’Illinois Central. Wm. A. Harriman, l’héritier du vieux roi des chemins de fer, est un directeur tant de l’Illinois Central que de l’Union Pacific. Wm. K. Vanderbilt est aux conseils d’administration du New York Central, du Michigan Central et autres chemins de fer. En plus de ces parents et amis intimes, tous ayant soutenu la campagne présidentielle de Roosevelt avec des contributions financières substantielles, presque tous les autres magnats des chemins de fer du pays l’ont soutenu aussi : Robert Goelet, Arthur C. James, Edward S. Harkness, C. S. McCain, David Bruce, Howard Bruce, Wm. T. Kemper, et F. H. Rawson. Le groupe des chemin de fer derrière Roosevelt les a presque tous compté mais surtout, de manière assez significative, les représentants des transports contrôlés par les intérêts financiers de J.P. Morgan.

Les chemins de fer avaient subi en effet le pire repli parmi tous les secteurs capitalistes pendant la période de la crise et avaient eu besoin d’aide. Par exemple, en 1932, 150 chemins de fer sélectionnés ont affiché un déficit de 150.634.00$, à comparer à des profits de 896.807.000$ en 1929. L’industrie de l’équipement des chemin de fer dirigée par Wn. Woodin s’était aussi rassemblée derrière Roosevelt.

Un autre secteur de l’industrie qui s’est rallié à Franklin.D. était l’exploitation minière, particulièrement celui des métaux précieux – l’or et l’argent -. Le plus important d’entre eux était celui des intérêts de Guggenheim et Bernard M. Baruch, qui exerçaient un monopole virtuel sur l’argent via le contrôle de l’American Smelting & Refining Co., qui extrait ou raffine pour d’autres presque la moitié de l’argent produit chaque année au niveau mondial. On ajoutera aussi Wm. R. Hearst, magnat de la presse, propriétaire des mines d’or et d’argent de la Homestake Gold Mining Co. En préconisant la dévaluation de l’or et une plus grande utilisation de l’argent à des fins monétaires, ce groupe a capté le vote des grands fermiers qui demandaient que les prix des produits agricoles soient relevés par une législation monétaire.

Un parti politique qui a promis d’augmenter le pouvoir d’achat des fermiers (tombé en 1932 à presque la moitié de ce qu’il était en 1929) devait à coup sûr gagner le soutien des intérêts industriels dépendant de ces fermiers; et nous trouvons donc McCormicks, propriétaire de la International Harvester Co. (moissonneuses) et autres fabricants de matériels agricoles et d’engrais rejoignant le défilé musical derrière Roosevelt.

Dans les intérêts industriels secondaires on citera ceux préoccupés par l’alcool et leur demande d’abrogation de l’Amendement de Prohibition, et les nababs de l’industrie de la construction tels que C. R. Crane de Crane Co.; Jesse H. Jones (tête de la R.F.C.) et J.T. Jones de Jones Lumber Co., etc.

Derrière les deux partis politiques se menait aussi une lutte entre deux factions minoritaires pour le contrôle de la géante Chase National Bank. Les soutiens du républicain Hoover étaient en 1928 ses mentors, la Maison de Morgan. Opposé à J. P. Morgan, un autre groupe d’actionnaires était mené par John Rockefeller, comprenant Vincent Astor, les Vanderbilt et Guggenheim. Le conflit c’est centré sur la politique de J. P. Morgan, qui contrôlait la banque, et qui forçait la la Chase National [Bank] à se livrer à ses pratiques en dehors de son propre champ, des pratiques telles que le prêt d’argent à des fins spéculatives, la remise à flot de nouveaux stocks et les émissions d’obligations vendues à la Bourse. Rockefeller Jr. et ses alliés, qui sont avant tout des industriels, ont violemment désapprouvé cette politique, l’accusant d’être en bonne partie à l’origine du krach boursier de 29. Ils n’ont pas seulement voulu prendre le contrôle de la banque pour redonner à celle-ci sa pratique commerciale normale, qui doit fournir des fonds à l’industrie et aux affaires (…), mais ont aussi voulu un contrôle du gouvernement fédéral pour légiférer contre la politique de Morgan qui se répandait sous l’influence et à l’exemple de la Chase National. Les frères Lehman (dont le gouverneur H. H. Lehman de N.Y.) la deuxième société en valeur chez les banquiers d’investissement, et d’autres maisons d’investissement telles que Halsey Stuart, ont soutenu cette tentative de légiférer contre leurs concurrents.

Sitôt Roosevelt investi, il a commencé à se souvenir des "hommes oubliés". Les Rockefeller étaient évidemment les premiers sur la liste. Si bien que le 15 mars 1933, J.P. Morgan était convoqué devant l’enquête sur les opérations bancaires du Sénat. Ses révélations et celles d’Albert H. Wiggin, potiche nommée par Morgan à la tête de la Chase National, furent telles qu’on forçât Wiggin à démissionner et que la balance des votes pencha du côté des Rockfeller, leur permettant de faire élire leur homme, Withrop W. Aldrich, à la présidence de la Chase National Bank. Quand Aldrich s’est présenté devant la commission d’enquête bancaire, il a annoncé que la Chase National se séparerait de sa Chase Securities Corp. (société de placements) et plaidé en faveur d’une séparation complète des titres de placement d’avec la banque de dépôt. Cette proposition s’est concrétisée dans le Glass-Steagell Banking Act (16 juin 1933) où toutes les banques commerciales reçurent l’injonction de se séparer de leurs activités de placement dans les douze mois. Des restrictions furent par ailleurs apportées sur les prêts à finalités

spéculatives.

La dévaluation du dollar or, suivie ensuite par la nationalisation de l’argent, a enrichi immédiatement les producteurs d’or et d’argent. Cette politique monétaire ajoutée à la réduction de la production comme pratiquée par l’A.A.A. a relevé les prix fermiers à un certain niveau. L’administration s’est cependant heurtée à cette évidence que des prix plus élevés sur la nourriture aggravaient le coût de la vie pour l’ouvrier, ce qui est directement contre les intérêts industriels qui souhaitent des prix de production bas.

Le N.R.A. dont la première forme a été suggérée par Bernard M. Baruch comme fruit de son expérience pendant la guerre comme Président du conseil des industries de guerre, a été administré par Hugh Johnson (un ancien employé et disciple de Baruch) de manière à permettre la tendance naturelle vers le monopole inhérente au capitalisme de se développer sans limite. Les codes ont été établis par les plus grands industriels de chaque industrie et naturellement ils ont été établis dans leurs propres intérêts. Les salaires minimaux et les horaires de travail ont servi à éliminer les petits concurrents qui n’étaient capables de rester dans la course qu’en payant des salaires incroyablement bas et en travaillant de longues heures. La restriction gouvernementale, donc, a aidé à liquider le menu fretin et a encourager le monopole. Le N.R.A. ayant été écarté des restrictions anti-trusts, il est évident que cela va continuer.

En s’efforçant d’aider ces autres "hommes oubliés", cette colonne vertébrale de son soutien politique que constituent les chemins de fer et leurs intérêts annexes, le président a dû adopter une politique prudente et lente. Les chemins de fer présentent le problème délicat d’être soumis aux règlements fédéraux. Les tarifs ne peuvent pas être arbitrairement relevés sans consentement de l’ Interstate Commerce Commission (I.C.C. , Commission du Commerce entre États). La concurrence des bus, voies d’eau et avions a provoqué une forte baisse de la circulation ferroviaire. Par exemple : le volume de circulation de marchandises n’est aujourd’hui que de 60 % de celui de 1929; celle des passagers n’est aujourd’hui que 50 % de celle de 1929 et 33 % de celle de 1920. Un coordonnateur des chemins de fer a été mis en place après que Roosevelt soit arrivé aux commandes. Son travail était de développer un plan de rétablissement des lignes. Ses plans prévoient une meilleure consolidation des lignes concurrentielles en éliminant la concurrence entre elles, ce qui est une des exigences de l’I.C.C. De plus, il a été suggéré que l’I.C.C. soit réorganisée avec des divisions distinctes pour les chemins de fer, les routes, les lignes aériennes et autres transports dans un système coordonné de règlementation gouvernementale. Si ces plans viennent à exécution, ce qu’ils devraient en étant présentés aujourd’hui devant le Congrès avec le soutien de Roosevelt, les chemins de fer deviendraient un monopole comme ses forces rivales n’en ont jamais connu. Le gouvernement sera également forcé de subventionner les chemins de fer pour les moderniser Le capital privé pourrait à peine financer à peine les dépenses impliquées aujourd’hui.

Ayant défendu la plupart de ses véritables objets, ou étant sur le point de le faire, le "New Deal" peut désormais se permettre de laisser tomber son masque de "radicalisme". Des ouvertures ont été faites à la grande entreprise (big business) l’assurant que l’administration se consacre par nature à la préservation du système de profit. En raison du militantisme croissant des travailleurs (Labor) et de leur refus d’obéir et d’accepter docilement le leadership syndical traditionnel de l’A.F.L., face à la misère toujours croissante, un changement dans la politique gouvernementale de la main-d’œuvre peut être attendu sous peu. En échange de quelque concession comme l’assurance de chômage d’une sorte, on s’efforcera que les travailleurs renoncent à leur droit d’agir. Dès lors que la grève sera proscrite, sera rendue illégale, les réductions de salaire deviendront la règle. Évidemment, on demandera que ces réductions soient acceptés "temporairement jusqu’à ce que les affaires reprennent" .

Notre seule conclusion c’est que les travailleurs ne se doteront véritablement d’un New Deal qu’en

changeant complètement le système social et économique.

Eleanor Roosevelt sur une fresque de Lucien Labaudt, Coit Tower, San Francisco

Salut à la crise (P. Mattick, 1938)

Article non signé mais attribué à Paul Mattick paru en édito de Living marxism en mars 1938, et publié en français dans L’Internationale N°38 (août 1938).

Un des derniers tableaux de l’artiste Wortman montre un tailleur disant à ses employés:

"Ils disent que la crise est psychologique,mais moi, je la sens directement ici dans mon estomac."

Et c’est ainsi que sentent les capitalistes, même ceux qui , d’accord avec John L. Lewis , répandent des nouvelles sur la grève des "bras croisés" des capitaux, contre certaines mesures gouvernementales. C’est ce que sentent aussi les ouvriers qui sont débauchés en masse et qui trouvent leurs salaires réduits par suite de la diminution des heures de travail. Pour le m0ment sont oubliés les miséricordieuses "médications psychologiques" destinées à combattre la crise; l’optimisme artificiel s ‘est dépensé dans le vide, la gestion favorable de Roosevelt envers les patrons grands et petits.

Quel abrutissement partout ! Chaque article dans chaque journal financier dit tout juste une chose : "Nous savons qu’on ne peut rien savoir" .Beaucoup d’experts ayant donné des pronostics ridicules pour les perspectives d’avenir des capitaux s’en excusent maintenant, honteux, avec des lignes nécrologiques très embarrassées, et ces journalistes aux très courtes lignes nécrologiques se limitent eux-mêmes à ne citer que quelques faits et à mâcher des statistiques non-officielles.Pas d’explication réelle, absence de suggestions sérieuses; les lecteurs comprennent bien chaque mot, mais pas une seule phrase.

Les faits ne manquent pourtant pas. L’Economist de Londres, l’Annalist de New-York et d’ innombrables journaux économiques de moindre importance, sans parler de beaucoup de publications gouvernementales abattent 100.000 arbres dans la forêt canadienne pour raconter à leurs lecteurs ce qu’il en est. Élevons donc l a colère de Stuart Chase à son comble en participant nous aussi à cette exploitation des ressources naturelles.

De notre point de vue, il est presque impossible de parler d’une nouvelle crise,car nous sommes convaincus que l ‘ancienne durait encore lorsque la nouvelle dépression fit son apparition. Dans la mesure où les chiffres signifient quelque chose considérons ceux-ci: en été 1937, la production mondiale excédait de 15 % celle de 1929, si nous y incorporons la Russie,ce que nous faisons bien entendu. Toutefois,cette situation ne fut que de courte durée ; trois m0is plus tard, la production mondia le était de nouveau au-dessous du niveau de 1928.Le travail mondial n’a jamais retrouvé la position de 1929, et beaucoup de pays, y compris les États-Unis,n’ont jamais atteint le niveau de production d’avant la crise. La prospérité, c’est comme le "socialisme" de Staline: des inégalités plus grandes en vuede nouvelles réalisations .Les pays totalitaires ont été les plus actifs; les pays "démocratiques" n’ayant pas la possibilité d’obtenir du travail pour rien, furent m0ins atteints par le manque de matières premières. Mais maintenant, la crise peut redresser beaucoup d’injustices; et à défaut , la guerre peut y aider.

Quelle fut donc cette nouvelle prospérité,que nous n’avons pas enregistrée et qui se trouve de nouveau en souffrance? Arthur .D Gayer nous fournit une réponse dans The New Republic du 2 février 1938. Il dit:

« La prospérité qui a précédé cette crise extraordinaire était très particulière et à certains égards,elle n’était point en accord avec les règles des manuels. Normalement, la prospérité prend son point de départ dans un accroissement des investissements privés et dans une expansion accélérée des industries produisant des marchandises valeurs d’usage. Par ce temps de grande envergure, c’est le gouvernement par ses dépenses qui a pris sur lui le rôle d’ impulser la reprise. Mais l’espoir qu’après un court moment,

les demandes accrues des sources privées pourraient remplacer la "pompe d’amorçage" qui se soutient elle-même et donne naissance à une prospérité ferme, ne s’ est pas réalisé. Du moment où les dépenses publiques à cela destinées se sont arrêtées, la reprise elle aussi s ‘est arrêtée net ».

Cette réponse peut n’être pas entièrement satisfaisante mais elle met bien les choses à leur place. Dans quelques parties du m0nde, de nouveaux investissements ont eu lieu de la façon traditionnelle. Par la rationalisation et par des améliorations techniques, l’ industrie privée était en partie capable d’ élever la productivité des ouvriers assez haut pour, malgré la dépression, être en mesure de tirer des profits et d’élargir l’expansion. Mais, en général, la crise a été "surmontée " dans les différents pays par ce qu’on appelle "plans gouvernementaux" et qui impliquaient surtout des manipulations monétaires et de crédits. C’est à dire que le capital a été rendu profitable, et par conséquent productif, en rejetant le fardeau de la crise sur d’autres nations ou en puisant dans la masse générale pour donner aux capitalistes.

En admettant même que tous les facteurs agissant sur la prospérité jouaient déjà, sous une forme plus ou moins différente dans les années de dépression jusqu’en 1932, il reste toujours évident que les interventions des gouvernements étaient nécessaires pour créer une interruption dans la crise. Le stimulant qu’en a reçu la production ,exprimé matériellement dans les travaux publics et les armements, n’a pu changer le caractère aigu de la crise capitaliste, même dans la période de prospérité. Une reprise réelle ne peut avoir lieu que par une accumulation progressive de capital; une nouvelle reprise ne peut être reconnue que lorsque le nombre des ouvriers occupés augmente progressivement. L’absence de beaucoup de ces signes, même pendant la période de pleine "reprise", explique notre refus d’aider à célébrer la "nouvelle prospérité" .

En quoi donc a consisté cette prospérité? Le niveau de la production industrielle en Amérique a été en 1937 de 9,4 % inférieur au niveau normal. Celui du revenu national a même été inférieur au niveau de la production. D’après les chiffres du ministère du commerce, le revenu national distribué en 1937 approchait 67,5 milliards de dollars .Cette somme de 1937 était une fois et demi plus grande que celle de 1933 qui s’ élevait à 45 milliards de dollars,mais est restée de 14 % environ au-dessous de 1929 ( 78 ,2 milliards). Les salaires étaient en:

1929 …. 51.340 millions de dollars1933 …..29.349 " " 1937 …..44.983 " "

Les dividendes, intérêts, rentes, réserves industrielles,etc . étaient en:

1929 …..26.886 millions de dollars

1933 …..15.606 " "

1937 …..22 . 480 " "

En acceptant ces chiffres insuffisants, puisqu’on ne dispose pas de meilleurs, il devient clair qu’il n’y avait aucune raison de parler d’une fin de la crise en 1937, même si l’ on ne prend pas en considération l ‘effroyable armée de chômeurs que la reprise n’a pu réduire.

Mais "si la mort n’ est pas un prix par trop élevé pour passer une nuit au paradis", il paraît y avoir assez de raisons pour jubiler en 1937. Dans la American Economic Rewiew de juin 1936,Carl Snyder a déclaré:

« Le trait le plus frappant de cette dépression a peut être été l’arrêt complet pendant six ans de ce prodigieux développement industriel qui pendant plus d’un siècle a été la caractéristique la plus saillante du pays. Cet arrêt brusque du développement industriel n’ a pas son égal » .

Aussi, les nouvelles usines construites en 1937 en Amérique et s’ élevant à 500 millions de dollars, ont

fait naître de nouveaux espoirs pour l’ avenir, bien que la même activité en 1929 se chiffrant à 547 millions n’a pas été en mesure d’arrêter la dépression, car cette somme était à la fois trop grande et trop faible; trop petite pour l’accumulation et trop grande pour une situation stagnante. Suivant le Federal Reserve Index, le volume de la production industrielle est tombé, depuis, de plus de 117 en aout, à 84 en décembre, soit 33 points en quatre mois. La dépression de 1929 a eu besoin de plus de treize mois pour accomplir une telle baisse!

Depuis janvier, l’indice a continué à baisser, mais avec moins de rapidité. Un peut dire qu’en ce moment la marche vers le bas de la crise a été temporairement arrêtée, et que les affaires essaient de se stabiliser sur le nouveau bas niveau. Mais quel niveau! Avec plus de 13 millions de chômeurs, avec des prix agricoles qui baissent constamment, avec des profits qui disparaissent. Et il n’y a pas de perspectives pour une augmentation de nouveaux investissements dans les industries, d’autre part, depuis la fin de l’ année, les dépenses concernant le capital-marchandises ne montrent aucune possibilité d’ amélioration.

En attendant, la nouvelle crise s’est déjà emparée d’autres pays et tout particulièrement du Canada et de l ‘Angleterre. D’après les chiffres publiés récemment par le Ministère du Travail, le chômage en Angleterre s’ est accru entre la mi-décembre et le 17 janvier de 162.000 unités. A cette date , il s’élevait à 1. 827.607 – le plus haut niveau pendant les 21 derniers m0is. Et encore pis que cela ! La Business Week du 11 décembre 1937 écrit:

« D’ importants restaurants du quartier très animé de Londres, West-End, commencent déjà à sentir les effets de la dépression. Des endroits qui autrefois regorgeaient de monde chaque nuit, ne font plus que trois bonnes nuits par semaine».

Et cela peut n’être qu’un commencement. Ce que pourra être la fin ressort du récent rapport du professeur Voytinsky du B.I.T, qui estime que la dépression entre 1930 et 34, a causé une perte de 176 milliards de bons dollars d’or d’autrefois, somme égale aux dépenses de la Grande Guerre.

Le déclin actuel avec sa crise générale ont surgi brusquement, de la même manière que la dépression elle-même. Les prix des obligations ont baissé à la fin de 1936. Les prix des marchandises en stock les ont suivi en mars 37. Les intérêts à court terme ont augmenté, les prix de gros ont baissé. Tous les signes indiquant l’insuffisance de rentabilité ont réapparu. Ce qui ne fait aucun mystère ici. Seul un accroissement de la "pompe d’amorçage" aurait pu mitiger ce processus. Mais cette politique a aussi ses limites. Seul un renforcement plus grand des "tendances au capitalisme d’État", accompagné d’une plus grande misère du "secteur économique privé" aurait pu ajourner le dilemme actuel, et seulement ajourner.

Le nouveau déclin présentant tous les symptômes d’un début d’une longue période de dépression a, une fois de plus, fait surgir toutes les vieilles suggestions et propositions dont s’était montrée fertile la période précédente. On commence à redemander de nouveau un accroissement du "pouvoir d’ achat des masses", principalement dans la presse libérale et ouvrière. Et ceci malgré le fait si bien souligné par D. W. Ellsworth, dans l’ Annalist du 21 janvier 1938:

« La présente dépression a démontré une fois de plus, mais d’une façon encore plus impressionnante, la fausseté de la théorie du pouvoir d’achat sur le cycle d’affaires. Le pouvoir d’achat des masses de ce pays n’a jamais été aussi élevé qu’au moment où a commencé la présente dépression ».

Le pouvoir d’achat des masses a été créé en partie par une plus grande exploitation, et en partie par les mesures gouvernementales mentionnées plus avant. Puisque celles-ci se sont limitées à changer ou à créditer le pouvoir d’ achat existant elles n’ont servi qu’à étendre la misère d’ auparavant. Né en grande partie des mesures gouvernementales, le "pouvoir d’ achat des masses" fut donc un autre facteur empêchant le rétablissement de la rentabilité qui seule permet une expansion capitaliste réelle. La

nécessité de telles mesures ne change pas le fait que cette nécessite exclut cette autre nécessité, à savoir la rentabilité des entreprises d’ exploitation. Toutefois,le capital privé a combattu ces mesures par d’autres slogans comme: équilibre du budget, abolition de la réglementation, opposition à la législation ouvrière.

Le capital n’est pas quelque chose d’uniforme, s’accordant pour une simple nécessité. La simple nécessité ,c’est-à-dire le maintien du système d ‘exploitation capitaliste, n’est réalisée que par une lutte entre les capitalistes eux-mêmes, nationalement et internationalement, et entre capital et travail et les autres classes. Dans cette lutte générale, la demande pour un pouvoir d’ achat des masses accru n’ est qu’un élément agissant en vue de la nécessité finale de secourir le système capitaliste. Chaque fois qu’il a été appliqué,cil a servi des buts entièrement différents de ceux qu’invoquaient ses apôtres. Les "pertes" temporaires se sont soldées par des "gains" définitifs, et ainsi la formule du "pouvoir d’achat des masses" , employée par les libéraux, est devenue un instrument idéologique du capital favorisant le processus de diminution du pouvoir d’achat.

Nous ne prétendons pas affirmer par là que la lutte des ouvriers pour des salaires plus élevés et des conditions meilleures est, dans état actuel du capitalisme, sans issue. Toutefois, il est nécessaire de souligner que plus le pouvoir d’ achat des masses est élevé par rapport à la production totale plus grandes sont aussi les difficultés du capital pour surmonter sa dépression et maintenir sa société. C’est pour cela que précisément nous suggérons une lutte continue pour de meilleures conditions de vie. Les "réformistes" qui espèrent amener la prospérité par l’augmentation du pouvoir d’achat des masses montrent une fois de plus qu’ils visent simplement à réformer le capitalisme. Or, la seule réforme capitaliste objectivement possible aujourd’hui est la réforme fasciste.

Dans une brochure récente,"La stratégie socialiste sur le front économique" publiée à Londres, le Dr. H. Schneider écrit:

«La reconnaissance de l’importance fondamentale du pouvoir d’achat des masses comme moyen capable de surmonter la crise doit servir de point de départ au mouvement de la classe laborieuse.»

Ceci est évidemment une pure absurdité; le pouvoir d’achat des masses a une importance pour surmonter le capitalisme et non sa crise. Autrement, la question du pouvoir d’achat perd toute sa signification. Pour la vérité de la chose,il faut dire qu’il n’ y a que deux voies pour surmonter les crises et les dépressions. La première c’ est de surmonter le capitalisme en tant que tel; l’autre , (avec des résultats temporaires),c’ est de surmonter la résistance des ouvriers à l’abaissement continu de leur standard de vie. Celui qui veut opérer exclusivement dans les limites du capitalisme sera à la fois forcé de reconnaître cette vérité, et aidera à surmonter la résistance des ouvriers. C’est pour cette raison que John L. Lewis a maintenant capitulé devant l’industrie de l ‘ acier et qu’il prône, bien qu’avec une mauvaise grimace, un contrat qui a perdu tout droit pour une telle appellation.

Le renouvellement du contrat des ouvriers métallurgistes n’a été possible que parce que ses signataires ignoraient encore quel chemin prendrait la dépression et quelles seraient les mesures dont userait le gouvernement pour la combattre. Si ce sont des tendances déflationnistes qui s ‘affirment, le con trat pourra être résilié avec un préavis de dix jours. Si, par contre, ce sont des mesures d’inflation qui seront appliquées, le contrat consacrera l’aggravation des conditions de vie des ouvriers. Et Lewis était obligé de signer s’il ne voulait pas combattre le système en tant que tel, et appeler aux grèves pour les grèves. En réalité, tous les théoriciens du pouvoir d’ achat étaient toujours prêts à admettre, au moins dans beaucoup de cas comme par exemple dans le bâtiment, que les prix et les salaires étaient trop hauts. Et de la découverte que quelques salaires sont trop hauts, il n’y a qu’un pas pour reconnaître que tous les salaires ont besoin d’être rognés.

En effet,toutes les mesures pratiques prises en vertu de la théorie du pouvoir d’achat des masses ont toujours mené à une réduction de ce pouvoir d’achat. Avec le temps toutefois, la théorie économique du

pouvoir d’achat ne laisse pas longtemps attendre pour montrer son vrai contenu, car elle cesse d’être une théorie économique et n’exprime que la nécessité politique de demander des fusils à la place du beurre. Toutes les théories de la sous-consommation sont sacrifiées pour l’honneur de la nation.

En attendant, les arguments vont continuer, mais tous seront finalement d’ accord avec ce qu’exprimait la lettre de la "National City Bank" de New-York,en décembre 1937:

« Une des premières nécessités dans le. situation actuelle c’est d’encourager la formation de capital.»

La question est seulement de savoir comment le faire. Et la solution, si on en trouve une, pose immédiatement un autre problème, car la formation de capital a toujours conduit aux crises et dépressions. La "solution" attend une solution. C’est pour cette raison que tous ceux qui sont effrayés devant les perspectives de l’avenir se lamentent:

« Des entreprises de libre-concurrence ne peuvent persister dans une atmosphère de plans économiques nationaux – dès que le gouvernement s’est embarqué dans un contrôle partiel, il doit inévitablement procéder au plein contrôle.» ("The case for Freedom from Federal Control of wages and hours", Machinery and Allied products institute, 1938,p. 13)

Et ceux-là, plus craintifs encore pour l ‘avenir,ou acceptant ce "plein contrôle", ou désirant vivement revenir sur le passé. La New Republic du 16 février 1938 publie un article pour montrer que le progrès par la voie de la libre concurrence se serait soldé, rien que dans l ‘industrie de l’acier, par l’introduction de machines continues, par 85.000 victimes licenciées. Que va-t-on faire avec ces nouveaux chômeurs? Et le "Conseil pour le Progrès industriel" exprime ainsi son opinion paradoxale dans le New-York Times du 8 août 37 :

« La capacité toujours grandissante de notre appareil productif pose la question s’il nous est possible de donner une solution à la dépression future, si nous la faisons dépendre du jeu des forces économiques réelles. »

Oui, répond à cela l’industrie mécanique, dans la brochure déjà mentionnée:

« Ce dont l’Amérique a besoin, c’ est d'encourager la concurrence et les bas prix.»

Et M. Knudsen, de la General Motors (Christiam Science Monitor, du 1/2/37) le confirme:

« Quelqu’un doit réduire les prix si l’on veut que les affaires soient encouragées, . . . à l ‘ heure actuelle, ceci se manifeste d’ une façon éclatante, … faire des achats à New-York, c’est comme si l’on visitait un bazar oriental. »

« C ‘est vrai , fait remarquer Roosevelt dans son récent message consacré aux problèmes de reprise, certains prix sont très hauts, d’autres très bas. Mais la continuation de l’expansion et l’abondance plus grande dépendent de l’équilibre des prix. » Diminution des prix des marchandises signifie que le prix du travail doit baisser, et si les prix des autres marchandises augmentent, le prix du travail diminuera. De quelque côté que vous la preniez, la politique des prix ne peut refléter que ce qui constitue la base des prix et leur mouvement . C’est la question de savoir quelle part de la production sociale sous sa forme capitaliste ira aux travailleurs et quelle part ira aux non-travailleurs.

Ces derniers ont ici l’avantage, car ce sont eux qui la règlent. Équilibrer ne peut avoir autre chose pour objet que d’équilibrer l’exploitation des ouvriers avec les besoins du capital. Si certains "individualistes enragés" croient encore qu’ils peuvent le faire eux-mêmes et tirer profit par leur propre effort, d’autres groupes capitalistes et leur gouvernement considèrent comme nécessaire un règlement central de la distribution des richesses créées par les ouvriers et un contrôle suivi des investissements. Une exploitation "libre-pour tous" doit faire place à une exploitation soigneusement planifiée; le pouvoir du capital doit être augmenté grâce à la sagesse du gouvernement. Que dans les mêmes conditions la con-

currence procède ici de façon à se soutenir elle-même, et qu’ ailleurs ce soit la "sagesse" du gouvernement,comme actuellement en Allemagne, qui liquide des capitalistes juifs, ou comme en Amérique qui liquide les entreprises plus faibles, ceci est à la base de tous les arguments contre une réglementation centrale. Car ceux qui sont en faveur de l’encouragement de la concurrence savent fort bien que "l’ élimination" de la concurrence est une autre forme de concurrence qui fait d’eux des sacrifiés.

Contrairement à ce qui est arrivé au sage Ben Akiba, rien n’apparaît deux fois. Ceux qui croient que la nouvelle dépression va immédiatement réchauffer un peu plus les inconséquences du "New-Deal" se trompent. Ceux qui croient en une "seconde" révolution Roosevelt, "sans effusion de sang, en faveur des masses", seront désillusionnés comme l’a été Roehm quand Hitler le lui a fait croire. Car les mesures appliquées par l’administration de Roosevelt ont été dépensées jusqu’ici sans utilité. Des mesures plus rigoureuses doivent suivre, mais plus dans la vieille direction, car aussi longtemps qu’il est possible de "s’attaquer aux affaires", le gouvernement peut appliquer la formule: diviser pour régner. Mais quand affaires et gouvernement deviennent de plus en plus identiques, le gouvernement devrait s’attaquer lui-même. Il oubliera donc la division et saura seulement régner. Tristement le professeur L.Robbins de l’ "Ecole économique" de Londres déclare dans l’Annalist:

« Dans la plupart des cas, les vrais expédients qui ont été adoptés dans la dernière dépression, ont empiré la capacité de résister à une nouvelle dépression. Dépréciation de la monnaie, budgets déséquilibrés,vastes programmes de travaux publics, sont les mesures à l’aide desquelles le travail a été stimulé dans le passé récent. Et il est clair que ces mesures ne peuvent pas être appliquées indéfiniment. Par conséquent,la position actuelle n’est pas stable; et il faut s’attendre à un rebondissement d’une longue crise, avec des conséquences vraiment graves.Il n ‘ est pas exagéré d’ affirmer que le sort des insti -tutions démocratiques est dans les nains de ceux qui ont en leur pouvoir de faire revivre la confiance. » -ce qui veut dire dans les mains du gouvernement. Mais la réponse ne réside pas dans l a direction qu’espère le professeur Robbins. Comme l’a remarqué récemment Roosevelt, les forces démocratiques seront à la fin forcées de "prendre la place de dictature" .

Il existe deux avenirs, un lointain et un immédiat. Mais les deux dépendent du rétablissement de la rentabilité des capitaux en dépit de qui contrôle ces capitaux: individus, trusts, ou gouvernement. La différenciation qui existe entre le pouvoir économique et politique permet de dépouiller Pierre au profit de Paul. Mais à la fin, ce processus appauvrit les deux. Le problème ne consiste pas à savoir comment partager le butin, mais comment créer des profits plus grands, et toujours plus grands. Mais les nécessités immédiates de tous les capitalistes ne mènent qu’à une seule fin, à la destruction progressive pour le temps qui vient de toute base du système de profit. Sur la roue du capitalisme, sa fin mortelle est déjà en vue, tant en période de prospérité qu’en période de crises. Et nous nous en réjouissons.

UNE FIN DU CAPITALISME, MÊME PLEINE DE TERREUR, EST TOUJOURS PRÉFÉRABLE A UNE TERREUR SANS FIN. AUSSI, SALUONS-NOUS LA CRISE !