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IGOR STRAVINSKY Israel Galván Sylvie Courvoisier LA CONSAGRACIÓN de la PrimaverA

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est par hasard, et au détour d’un courbe, qu’a été plantée la graine. Sylvie Courvoisier et Israel Galván travaillaient alors à un spec-tacle nommé La Curva – où la pianiste s’aven-turait sur des chemins inconnus : “Israel et les musiciens flamencos inventaient la musique, et je rentrais dans leur monde.” Lors d’une pause dans les répétitions, sans autre projet que les plaisirs de la musique et des contrastes, elle joue au piano un bref passage du Sacre du printemps. Une découverte et un flash pour Israel Galván, qui s’en entiche et s’en toque. Quelques mois plus tard, la graine germe : elle devient un bref duo entre la pianiste et le danseur – qui est aussi un musicien, un maître du compás et des rythmiques com-plexes du flamenco. Ils mettent ainsi sur pied huit minutes éclatantes, présentées dans le cadre d’une soirée à numéros proposée par le journal Le Monde à l’Opéra Bastille. Un moment percussif de complicité musicale et frappante où s’exprimaient ensemble l’en-vergure de l’orchestre et l’intimité du duo. Une graine, un germe : on est encore loin de la plante, mais l’idée, rampante, s’enracine. Quatre ans après, elle a pris corps.

Folie à deuxÀ ces deux artistes intrépides, amou-

reux de l’inédit, le Sacre du printemps offre les dangers les plus séducteurs. C’est ce que les Anglo-Saxons nomment, en fran-çais, “une folie à deux”. Pour l’une, Sylvie Courvoisier, il s’agit d’interpréter, avec le très éclectique Cory Smythe, la version pour

quatre mains tout en suivant les pulsations rythmiques insufflées par Israel Galván – la folie à deux devenant folie à trois –, mais aussi de livrer, dans un deuxième temps, une composition originale librement inspi-rée à partir du Sacre. Car le projet est avant tout de retrouver l’essence, la musique avant le papier, “revenir au squelette, à Stravinsky dans sa chambre.” Mais le défi ne s’arrête pas à la page… encore faut-il tenir le rythme. Autre obstacle à enjamber : Israel Galván est un musicien qui ne lit pas la musique, et Sylvie Courvoisier doit lui transmettre et lui apprendre la partition des percus-sions qu’il frappe aux pieds. Élevé “dans la dictature du rythme”, expert des combinai-sons et des développements, des imprévus et des rigueurs des rythmiques flamencas, Galván s’amuse de partir, dans le labyrinthe de Stravinsky “avec un certain avantage” et imagine déjà des micros-développements rythmiques, des mondes minuscules taqui-nant le monde immense, secousses, syn-copes et répliques. Depuis toujours, il est à la fois danseur et percussion : “J’aime dan-ser la musique qui sort de moi, me transformer en instrument. Cette percussion, résonnance, vibration, émane de l’intérieur. Parfois, je suis en scène comme un instrument, pas comme un corps qui danse. C’est très libérateur de ne pas être seulement un danseur.”

Reste que le colosse musical qu’est le Sacre dissimule une ossature démente, qui défie toutes les lois de l’anatomie musicale.

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Ier millénaire avant l’ère chrétienne, donne à cette expression. Avant et ailleurs, il était déjà question de printemps : “Une herbe ren-contre un obstacle dans son effort pour sortir de terre. Cela indique la manière dont le ciel et la terre produisent les êtres individuels. C’est leur première rencontre qui s’accompagne de diffi-culté. La situation décrit une profusion dense et chaotique. Le tonnerre et la pluie remplissent l’air. Mais le chaos s’éclaire : le mouvement qui est dirigé vers le haut tandis que l’insondable s’enfonce, se dégage finalement du danger. Les tensions se déchargent dans l’orage et tous les êtres respirent, allégés.”

Pugilat Pas mieux lotis que les musiciens, les dan-seurs ont eu, eux aussi, l’occasion de se frot-ter au Sacre du Printemps, avec des bonheurs variés. On sait le scandale que fut la première interprétée sur scène par les Ballets Russes au Théâtre des Champs-Elysées, bataille rangée d’abord, puis plus rangée du tout. “J’ai quitté la salle dès les premières mesures du prélude, qui tout de suite soulevèrent des rires et des moqueries. J’en fus révolté, écrit Stravinsky dans ses mémoires. D’abord isolées, ces manifestations, devinrent bientôt générales et, provoquant des contre-manifesta-tions, se transformèrent très vite en un vacarme épouvantable.” Pugilat dans la salle, confu-sion en coulisses : debout sur une chaise, Nijinski hurle les indications aux danseurs qui n’entendent plus l’orchestre, pendant que Diaghilev fait allumer et éteindre les

difficulté initialeDe son ami Stravinsky, Debussy disait : “C’est un barbare doté de toutes les commo-dités.” Et c’est bien dans cet entre-deux, dans ce mélange de science et de sauvage-rie, que repose l’une des grandes difficultés du Sacre. “En 1913, l’œuvre était considérée comme injouable. Et on a continué de le pen-ser tout au long des années 1920 et jusqu’aux années 1930”, résume Leonard Bernstein. En effet, comment se colleter à ce mélange de force brute et de raffinement, d’ébranle-ments telluriques et de mélodies ? Par quel bout prendre ces rythmes, inhabituels pour la musique occidentale, et ces hommages (parfois grinçants) à la musique folklorique slave ? Même Pierre Boulez évoque sa dif-ficulté initiale à battre la mesure du Sacre. “Habituellement, vous battez la mesure – 1,2,3 etc. –, mais il n’y a pas de changements excep-tionnels tout le temps, or, et notamment dans la dernière partie, Le Sacrifice, vous avez des métriques comme 2-3-5, 2-3-4, et il faut constamment s’adapter à ces changements. C’est une musique entièrement basée sur la dis-continuité, puis, peu à peu, on prend la mesure de sa continuité.”

Réputée difficile, cette musique fait pourtant écho à une pulsation si profonde, si primaire, que, les décennies passant, elle est devenue une pièce incontournable du réper-toire. Quant à la “difficulté initiale” dont se fait l’écho Pierre Boulez, elle évoque immé-diatement le sens que le célèbre Yi-King, Traité chinois des Mutations datant du

lumières par les techniciens du théâtre pour signifier la fin du match… Ce sera l’un des plus grands scandales de l’histoire du spec-tacle. Mais y a-t-il de grands scandales sans grandes œuvres ?

Peu amène comme à son habitude, Stravinsky ne fait pas grand cas de la cho-régraphie : “L’impression générale que j’ai eue alors et que je garde de cette chorégraphie, c’est l’inconscience avec laquelle elle a été faite par Nijinski. On y voyait nettement son incapacité à assimiler et à s’approprier les idées révolution-naires qui constituaient le credo de Diaghilev, et qui lui étaient obstinément et laborieusement inculquées par celui-ci. On discernait plutôt un très pénible effort sans aboutissement qu’une réa-lisation plastique, simple et naturelle, découlant des commandements de la musique.” Et pan.

Reste que le Sacre, dont on a bien vu qu’il est assez difficile de l’aborder selon le seul naturel “des commandements de la musique”, a continué de passionner les chorégraphes : Martha Graham, Maurice Béjart, Pina Bausch, Angelin Preljocaj, Emanuel Gat…

On ne sait ce qu’aurait pensé Stravinsky de leurs différentes créations, mais la diffi-culté initiale reste entière : la pulsation n’est pas le mouvement. “Quand on regarde les dif-férents spectacles, on s’aperçoit que les danseurs ne jouent pas la musique. Et puisque la ryth-mique change à chaque mesure, les danseurs flottent. La musique, très terrienne, est toujours plus forte qu’eux”, observe Sylvie Courvoisier. Ici, le danseur est musicien, il est créateur et instrumentiste. Alors que, dialoguant avec

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le piano, Israel Galván frappe aux pieds les percussions de l’orchestre, le cadre serré des mesures devient l’écrin d’une interpré-tation, et, toutes libertés dehors, il s’agit bien de Stravinsky – des “commandements” de sa musique.

Liberté ingénueLors du passage à Paris du spectacle La Fiesta en juin 2018, le critique de France Info écrivit ceci : “Durant 1h30, Israel Galván a libéré des forces primaires, comme pouvait le faire Stravinski avec son révolutionnaire Sacre du printemps. On n’était pas loin d’un scan-dale similaire lors de la création à Avignon, vu la réaction d’une partie du public ulcérée par tant de débauches paroxystiques.” Curieuse coïncidence, ou plutôt non. Car ni Galván ni Stravinsky n’avaient pour intention de choquer. Ils n’ont fait que laisser libre cours à une liberté aussi inspirée qu’ingénue. Chef d’inculpation au pénal : spectacle ayant entraîné le scandale sans intention de le créer.

Bien avant la goyesque Fiesta, les spectacles d’Israel Galván se sont tou-jours avancés, dès leur titre, sous le signe de la rupture et de la sortie de route : La Metamorfosis, El Final de este estado de cosas, La Curva… En solo, en duo, en chef d’une bande déglinguée, Israel Galván travaille toujours simultanément la fin d’un moment et sa suite, peut-être une façon, pour ce maître du compás de débuter à chaque fois sur le dernier temps.

On l’a vu ainsi croiser les cornes avec Akram Khan dans TOROBAKA, spectacle qui reposait sur les oppositions et les com-plémentarités – l’Andalousie et l’Inde, le tau-reau (lâché) et la vache (sacrée). Puis dans un Solo promené partout dans le monde, qui l’exposait à nu, à cru, à vif, sans aucun autre accompagnement que les sons d’une pièce ou d’une ville et la présence d’un public tout proche. A suivi FLA.CO.MEN, un jeu de chamboule-tout débridé et jouissif, un ter-rain de fredaines partagées où il faisait aussi bon déchaîner sa virtuosité irrépressible que d’écouter dans le noir la radio des voisins. La Fiesta était une autre suite, ni solitude, ni clan, ni commencement ni fin.

Spectacles déstabilisants, revigorants, à la fois joyeux et austères, provoquant sans provoc toutes sortes d’ébranlements. Des terrains mouvants, on se demande où on a mis les pieds.

Passant là où on ne l’attendait pas, Israel Galván poursuit en toute logique sa trajec-toire avec Stravinsky. “Le plus difficile, c’est le début, disait encore Léonard Berstein. Le do si haut perché du basson, qui sonne comme tout sauf un basson.”

Après les libertés de La Fiesta, il embarque dans une nouvelle aventure en trio, reposant pour la première fois sur une partition – ce qui ne saurait dire que tout est déjà écrit : trouver l’inédit, tout en respec-tant le texte sera la folie nouvelle. Folie déjà transformée, transformée en rêverie.

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une nouvelle composition : Songe du Sacre

Au pied du monument Stravinsky, Sylvie Courvoisier et Israel Galván dépo-seront Songe du Sacre (titre provisoire), issu lui aussi, d’un impromptu. Tout comme la graine du Sacre avait été plantée, ce Songe a pris corps un jour où la pianiste a joué sur un autre tempo. Incubation, floraison, méta-morphose : “En conservant les rythmiques du Sacre, en jouant avec une infinie lenteur, on s’aperçoit que les harmonies deviennent tout autres”, dit Sylvie Courvoisier, qui, à partir de cette improvisation d’un moment, com-pose cette nouvelle pièce, qui n’est plus le Sacre mais son émanation, un rêve issu d’un rêve… ou d’un cauchemar. Éclosion, compo-sition puis décomposition : les cycles de la nature ne font pas autre chose.

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ans doute danse-t-on pour être ensemble. Sans doute danser n’est isolable d’aucun moment humain. Même la mort se danse, non seulement dans la chorégraphie des vivants qui se lamentent, mais encore dans le fait que les plus beaux mouvements de la danse se trouvèrent, dans l’Antiquité, juste-ment sculptés sur les parois des sarcophages. Et pourtant, il y a presque une année de cela, un soir, à Séville, en voyant apparaître Israel Galván sur la scène de la Maestranza, j’ai eu l’impression souveraine de quelqu’un qui, devant son audience médusée – que ce fût en bonne ou en mauvaise part, émerveillée, scandalisée ou, tout simplement, privée de son jugement –, déplaçait magistralement toutes ces évidences. Il dansait, seul. Ce n’est pas qu’il s’avançait devant d’autres moins virtuoses que lui pour faire un solo, non. Ce n’est pas simplement qu’il évoluait sans partenaires de danse. Il semblait, plu-tôt, danser avec sa solitude, comme si elle lui était, fondamentalement, une « solitude partenaire », c’est-à-dire une solitude com-plexe toute peuplée d’images, de rêves, de fantômes, de mémoire. Et, donc, il dansait ses solitudes, créant par là une multiplicité d’un genre nouveau.

Le Danseur des solitudes, éditions de Minuit, 2006

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de John Zorn), Sylvie Courvoisier impose dans tous ces contextes une vraie signature sonore et compositionnelle faite de rigueur formelle et de spontanéité expressive. développant dans sa musique à la fois sensualiste et abstraite une poé-tique sophistiquée articulant de façon per-sonnelle les techniques et idiomatismes d’une certaine “avant-garde” dans tous ses états, Sylvie Courvoisier invente un univers hybride et volontiers paradoxal, fondé essentiellement sur tout un jeu de tensions contradictoires — entre puissance et retenue, énergie et fragilité, tumulte et douceur, impulsion gestuelle et céré-bralité, sensualité et austérité — rendant ainsi parfaitement compte d’une certaine forme d’instabilité identitaire propre à notre monde contemporain dont la scène new-yorkaise est en quelque sorte le reflet ou la métaphore. Grande spécialiste dans l’art d’arranger et “préparer” son piano, la musicienne n’aime rien tant au final qu’ex-plorer toujours plus intimement le cœur de la matière sonore, plongeant même parfois littéralement dans le ventre de son instru-ment pour en frotter, pincer, frapper, cares-ser les cordes — et ramener à la surface, à la manière de bribes de rêves éveillés, comme le relief ou la crête d’un discours souterrain inconscient violemment pulsionnel. C’est parce qu’elle sonde ainsi au plus intime que sa musique allusive, toute de mouvement et de métamorphoses, sonne à ce point de manière universelle.

ée à Lausanne en Suisse, mais installée à Brooklyn aux États-Unis depuis 1998, Sylvie Courvoisier est fondamentalement une artiste de l’“entre-deux mondes”, pro-posant sa musique à la fois comme l’espace et l’outil d’un authentique dialogue toujours “réengagé” entre l’Europe et l’Amérique, l’improvisation et la composition, la tradi-tion et la modernité. assumant parfaitement son ancrage dans l’héritage de la musique savante occidentale qu’elle ne cesse dans son jeu d’évoquer/resonger/chahuter en citations fugaces et autres déconstructions savantes aussi amoureuses qu’iconoclastes, la pia-niste trouve par ailleurs l’essentiel de son originalité et le moteur de sa créativité dans une sorte de nomadisme esthétique revendiqué dont le jazz est en quelque sorte la matrice et le modèle. Navigant naturel-lement au fil des rencontres et des projets entre musique de chambre improvisée et composition contemporaine (ses duos télé-pathiques et ultra raffinés avec son com-pagnon, le violoniste Mark Feldman), free music d’inspiration européenne (aux côtés de légendes vivantes comme Evan Parker, Joëlle Léandre, Fred Frith), post et free jazz s’inscrivant dans la continuité du geste cho-régraphique de Cecil Taylor (à la tête de son trio avec Kenny Wollesen et Drew Gress), musique expérimentale électronique (avec la compositrice de musique électro-acous-tique Ikue Mori) ou tradition Klezmer revi-sitée (en tant qu’interprète des pièces écrites

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n ne sait ce qu’aurait pensé Stravinsky de leurs différentes créations, mais la difficulté initiale reste entière : la pulsation n’est pas le mouvement. “Quand on regarde les différents spectacles, on s’aperçoit que les danseurs ne jouent pas musique. Et puisque la rythmique change à chaque mesure, les danseurs flottent. La musique, très terrienne, est toujours plus forte qu’eux”, observe Sylvie Courvoisier. Ici, le danseur est musicien, il est créateur et instrumentiste. Alors que, dialoguant avec les deux pianos, Israel Galván frappe aux pieds les percussions de l’orchestre, le cadre serré des mesures devient l’écrin d’une interprétation, et, toutes libertés dehors, il s’agit bien de Stravinsky – des “commande-ments” de sa musique.

Nous pensons bien sûr à la pièce de Stravinsky, mais nous pensons aussi immé-diatement au roman que lui consacra Alejo Carpentier. Sa structure, mue par le souffle de la musique du grand composi-teur russe, est capable de rendre tangible la tourmente sonore de l’orchestre. Autre transcription : celle faite de concert avec Sylvie Courvoisier, si complice de l’écri-ture musicale d’Israel Galván ces dernières années. Pour elle, ce n’est pas seulement une version pour deux pianos, il y a un corps qui sert de filtre, comme une prépa-ration à insérer dans les cordes : le sujet “danseur flamenco”. Pensons à cela , et à ce qu’il y avait déjà dans le piano préparé de John Cage. Rappelons-nous aussi que son maître, Henry Cowell, modifia pour la

première fois un piano pour le Deep Song de Martha Graham, et que cela n’a rien d’une coïncidence. Nous comprenons ainsi que Courvoisier mette un flamenco entre les cordes de son piano. Voilà qui est plus exact que toutes les contraintes de timbre ou de rythmique.

revenons-en un moment à Carpentier, à la façon dont il utilise la violence rituelle de la musique de Stravinsky chaque fois qu’il parle, dans son roman, de la guerre civile espagnole, du f lamenco, des Gitans. On verra alors que c’est cette même expression atavique dont se sert Israel Galván pour s’aventurer dans les monstruosités d’une violence expressive – rites anciens, oui, mais aussi violences de la guerre moderne, le criminel qui traque comme une bête les enfants innocents, la violence sexuelle qui nous entoure et nous façonne, et jusque dans certains des gestes les plus bienveillants. Une simple invitation à s’asseoir, et là aussi, la bête surgit.

S’attaquer au Sacre du Printemps d’Igor Stravinsky, pure mythologie dans les ver-sions de Nijinsky, de Millicent Hodson et Kenneth Archer, dans celles de Maurice Béjart, Pina Bausch, Xavier Le Roi ?

Ce n’est pas un geste d’orgueil – comme Galván le dit lui-même, c’est l’âge. C’est une impulsion invisible qui le pousse à cela, à interpréter, réinterpréter, se situer face à la danse, face aux ballets anciens et modernes, face à la chorégraphie. Loin d’une quel-

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conque prétention, c’est la façon qu’a trouvé Galván de se situer dans le monde, de mesu-rer son propre espace, de dessiner son che-min dans un jardin de sentiers tortueux. Finalement, ce n’est qu’un modeste dessin dans le sol, qui semble dire : “Hé, ce sont mes pieds, cela a été mon chemin, les traces poussiéreuses d’une chanson.”

Com me le d it l ’ex press ion popu -laire italienne  : Traduttore, traditore ! (Traducteur, traître !). Et comme l’affirme plus avant le chanteur Enrique Morente – une référence pour Israel Galván – la tra-duction de la tradition exige sa trahison. Ainsi, nous pourrions dire que l’expérience à laquelle s’essaie Israel Galván avec une pièce classique du canon contemporain n’est ni une déclinaison, ni une rénovation ni une actualisation, mais une traduction – version et thème, thème et version.

or la traduction dans un jargon – le flamenco – des langages de la modern dance, de la danse espagnole, du ballet ou de n’importe quel processus chorégraphique post-moderne, s’établit loin de tout ordre académique comme un nouveau jargon, un argot. L’identité flamenco d’Israel Galván est univoque : parce que c’est la danse qui l’accueille depuis son enfance, le langage qui l’habite depuis ses premiers mots. Un corps fait de cette façon, eh bien, il ne peut s’affranchir de sa propre matière, faite de demi-mots, de bégaiements, de confusions,

des sens cachés et des lignes rythmiques de son dialecte. Les pieds, les mains, le corps suivent ce langage singulier, onoma-topéique, aussi naturel qu’artificiel.

Le flamenco, entre les mains d’Israel Galván, ou plutôt entre ses pieds, est un exercice inégalable de terreur et de rhé-torique. Jean Paulhan parlait de la terreur comme d’une présence inaltérable de la nature ; rhétorique qui fait d’une pierre ou d’un arbre des éléments créés ex nihilo et soudain apparus. C’est au creux de ce paradoxe que Galván tente sa traduction du Sacre du Printemps. Le poids d’un corps. Une façon de parler. Le vent distingué.

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Ce n’est qu’un modeste dessin dans le sol, qui

semble dire : “Hé, ce sont mes pieds, cela a été

mon chemin, les traces

poussiéreuses d’une chanson.”

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Cory Smytheinterprète rigoureux, improvisateur inspiré, chambriste célébré, complice musical préféré de la violoniste Hillary Hahn (avec qui il a récolté une paire de Grammy awards) ou du saxophoniste steve Lehman, interprète choisi par John adams ou Mathias pintsher,… Le pianiste américain Cory smythe aime la diversité, les plaisirs multiples et les aventures inédites. passé par l’université d’été internationale pour la musique nouvelle de Darmstadt, les Marathon Concerts de l’ensemble bang on a Can à new York, membre de l’international Contemporary ensemble, invité aussi bien au newport Jazz festival, qu’au Lincoln Center’s Mostly Mozart festival, il est également porté aux nues par la critique dès son premier album en tant qu’improvisateur/compositeur. pianiste tout-terrain, cascadeur des cordes, grand fan de prince, il se soucie peu des catégories et des genres. “Le langage associé à chaque catégorie est toujours remis en cause par les artistes que j’admire. C’est dans leur lignée que j’essaye de m’inscrire.”

Israel galvánFils des danseurs José Galván et eugenia de los reyes, israel Galván, né en en 1973 à séville, grandit dans l’atmosphère, des tablaos, des académies de danse amenco et des fetes. en 1994, il intègre la Compania Andaluza de Danza de Mario Maya. en 1998, il crée son premier spectacle, ¡Mira! / Los zapatos rojos, immédiatement salué par la critique spécialisée. suivent notamment La  Metamorfosis (2000), Arena (2004), La Edad de oro (2005), El Final de este estado de cosas (présenté au Festival d’avignon en 2009), La Curva (2010), Lo Real/Le Réel/The Real (2012), FLA.CO.MEN (2013), La Fiesta (2017 - présenté dans la Cour d’Honneur

du Festival d’avignon). il se forge une stature internationale grace à des créations audacieuses nées d’une parfaite maitrise de la culture chorégraphique flamenca, composées à partir de ses états intérieurs. ouvert à toutes les audaces stylistiques, le chorégraphe alterne formes intimistes, grands spectacles et collaborations avec des artistes contemporains tels qu’enrique Morente, pat Metheny, sylvie Courvoisier, et akram Khan (TOROBAKA, 2015). De nombreux prix honorent son travail dont le prix national de Danse (espagne), le new York bessie performance award, le national Dance award for exceptional artistry (uK). en 2016, il est promu Chevalier dans l’ordre des arts et des Lettres en France.

israel Galván est artiste associé au théatre de la ville, paris, et au teatros del Canal, Madrid.

Sylvie Courvoisierpianiste, compositrice et improvisatrice, sylvie Courvoisier est née en suisse en 1968, et réside à brooklyn depuis 1998. au cours des dernières années, elle a mené de nombreux groupes et projets musicaux, enregistrant 8 albums, en solo, en trio avec Kenny Wollesen et Drew Gress ou à la tete d’autres ensembles (Lonelyville, abaton, ocre), et on la retrouve également en tant que co-leader ou musicienne invitée dans une cinquantaine d’albums pour différents labels, notamment eCM, tzadik et intakt records.

sylvie Courvoisier s’est produite et a enregistré avec – entre autres – John Zorn, Yusef Lateef,

Mark Feldman, erik Friedlander, tim berne, nate Wooley, susie ibarra, Wadada, Leo smith et avec le danseur flamenco israel Galván (pour le spectacle La Curva). parallèlement au trio qu’elle a formé avec Kenny Wollesen, et Drew Gress, elle co-dirige, le Miller’s tale Quartet with evan parker, ikue Mori et Mark Feldman, le quintet Cast-a-net avec israel Galván, et participe au groupe Mephista. Depuis 1997, elle se produit régulièrement en solo, ou en duo avec le violoniste Mark Feldman.

sylvie Courvoisier a été notamment distinguée du prix suisse de la Musique, du Foundation, for Contemporary arts Grants to artist : Music/sound et du Chamber Music america’s new Jazz Works aux u.s.a.

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Le Sacre du printempsCompositeur : igor stravinsky réduction pour piano à quatre mainsDirection musicale : sylvie Courvoisierinterprétation : sylvie Courvoisier et Cory smytheChorégraphie et danse : israel Galván

Spectre d’un SacreComposition, direction musicale et interprétation : sylvie Courvoisier Cory smytheChorégraphie et danse : israel Galván

Création lumière : erik Zollikoferscénographie  et direction technique : pablo pujolDesign sonore : pedro LeónCostumes : alice Leau

durée approximative du programme : 60 minutes

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ProductionassoCiation MÛ et israeL GaLvan CoMpanY Coordination de production : pilar Lopezproductrice déléguée : Carole Fierzaadministratrice :   Jeanne-Lucie schmutz

en collaboration avec Mondigromax - Dietrich Grosse

Coproducteurs : théatre de la ville, paris, théatre de nimes, scène conventionnée pour la danse, teatros del Canal, Madrid.Ma scène nationale – pays de Montbéliard avec Le Granit, teatro della pergola, Fondazione teatro della toscana

autres coproducteurs europe et usa et soutiens en cours.

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La Consagración de la

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diffusion exclusive France : Israel galván Company – Carole Fierz

tél. : + 33 (0)6 80 61 94 [email protected]

diffusion exclusive espagne : Israel galván Company – Pilar Lopez

tél. : + 34 608 452 [email protected]

diffusion hors France et espagne : Mondigromax – dietrich grosse

tél. : +34 93 454 18 [email protected]

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