La comptabilité d’analyse des coûts au sein de l’État

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58 GFP N° 6-2016 / Novembre-Décembre 2016 La comptabilité d’analyse des coûts (CAC) a constitué la première tentative de l’État pour calculer le coût complet d’une politique publique. Afin de développer les utilisations opérationnelles, le développement d’une comptabilité analytique des services de l’État est en projet. La comptabilité d’analyse des coûts au sein de l’État Un outil précurseur qu’il faut continuer de faire évoluer L a CAC est une innovation issue de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1 er août 2001 dont l’article 27-2 dispose que l’État « met en œuvre une comptabilité destinée à analyser les coûts des différentes actions engagées dans le cadre des programmes ». Cette restitution à disposition des parlementaires et des citoyens permet ainsi d’estimer le coût consolidé des actions de politiques publiques financées par l’État. Un outil répondant à des attentes nouvelles Sous l’ordonnance de 1959, l’État tenait essentiel- lement une comptabilité de caisse qui présentait deux lacunes en termes de lisibilité. D’une part, structurée par nature de dépenses, elle ne donnait pas d’indication sur la destination de la dépense (« à quoi sert-elle ? »). D’autre part, elle ne permettait pas de connaître les coûts annuels d’exercice des politiques publiques. Mise en œuvre en 2006, la LOLF a introduit deux inno- vations majeures. Le budget de l’État a, en premier lieu, été structuré par destination en missions (Enseignement scolaire, Défense, Justice…), programmes au sein d’une mission (Ensei- gnement public du premier degré…) et actions rassemblant les crédits correspondant à une composante d’un programme (Pilotage et enca- drement pédagogique…). En second lieu, la Véronique FOUQUE Chef du bureau de la performance de la dépense publique et de la fonction financière Direction du budget Augustin de VREGILLE Chargé de mission comptabilité analytique des coûts Direction du budget Mots-clés : finances publiques - budget - LOLF - comptabilité - comptabilité d’analyse des coûts - comptabilité analytique > LOLF et comptabilités de l’État La LOLF, 10 ans après… Cet article diffuse par Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-gfp.revuesonline.com

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La comptabilité d’analyse des coûts (CAC) a constitué la première tentativede l’État pour calculer le coût complet d’une politique publique. Afin dedévelopper les utilisations opérationnelles, le développement d’unecomptabilité analytique des services de l’État est en projet.

La comptabilité d’analyse des coûts au sein de l’ÉtatUn outil précurseur qu’il faut continuer de faire évoluer

La CAC est une innovation issue de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF)du 1er août 2001 dont l’article 27-2 dispose

que l’État « met en œuvre une comptabilité destinée à analyser les coûts des différentes actions engagées dans le cadre des programmes ».Cette restitution à disposition des parlementaireset des citoyens permet ainsi d’estimer le coûtconsolidé des actions de politiques publiques financées par l’État.

Un outil répondant à des attentesnouvelles

Sous l’ordonnance de 1959, l’État tenait essentiel-lement une comptabilité de caisse qui présentait

deux lacunes en termes de lisibilité. D’une part,structurée par nature de dépenses, elle ne donnait pas d’indication sur la destination de ladépense (« à quoi sert-elle ? »). D’autre part, ellene permettait pas de connaître les coûts annuelsd’exercice des politiques publiques. Mise enœuvre en 2006, la LOLF a introduit deux inno -vations majeures. Le budget de l’État a, en premier lieu, été structuré par destination en missions (Enseignement scolaire, Défense, Justice…),programmes au sein d’une mission (Ensei -gnement public du premier degré…) et actionsrassemblant les crédits correspondant à une composante d’un programme (Pilotage et enca-drement pédagogique…). En second lieu, la

Véronique FOUQUEChef du bureau de la performance de la dépense publique et de la fonction financièreDirection du budget

Augustin de VREGILLEChargé de mission comptabilitéanalytique des coûtsDirection du budget

Mots-clés : finances publiques - budget - LOLF - comptabilité - comptabilité d’analysedes coûts - comptabilité analytique

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comptabilité en droits constatés a été introduiteen complément de la comptabilité budgétaire.Toutefois, ces outils ne répondaient pas tota -lement au besoin exprimé par les parlementairesde connaître le « coût complet » des politiquespubliques. En effet, les dépenses portées par lesactions de soutien ou de services polyvalents decertains programmes concourent dans les faits à plusieurs programmes, ce qui n’apparait pas en lecture directe dans les deux comptabilitésprécitées. Dès lors, le législateur organique a introduit un troisième outil pour effectuer ce travail de consolidation : la comptabilité d’analysedes coûts. Son principe consiste à réaffecter, encomptabilité budgétaire, les crédits et dépensesaux actions qui en bénéficient in fine.

Un processus largement industrialiséaujourd’hui

La CAC a connu une phase de maturation dansdes services peu familiers avec l’analyse des coûtset devant par ailleurs assimiler les autres nouveautésde la LOLF. Suite aux efforts menés conjointementpar les ministères, la direction générale des finances publiques (DGFiP) et la direction du budget (DB), le processus d’élaboration de la CAC, qui se déploie depuis 2014 dans le SIcomptable et financier de l’État (Chorus), est aujourd’hui harmonisé, stabilisé et pleinementmaîtrisé par les équipes ministérielles. Il se déclineen trois temps qui suivent le cycle budgétaire.

Dans le cadre de la préparation du projet de loide finances, les crédits prévisionnels sont ré -alloués, sur la base de clés de ventilation, entreactions d’un même programme (déversements internes) ou de programmes différents appar -tenant à une même mission (déversements externes) ou à une mission différente (déver -sements extérieurs). Les projets annuels de performances (PAP) présentent les résultats deces déversements ainsi que leur mode de calcul(valorisation des ventilations en poids financier,ETPT, m2…).

Après le vote de la loi de finances initiale, unemise à jour est effectuée dans le système d’infor-mation pour recalculer les déversements sur labase des crédits issus du vote parlementaire.

Enfin, au moment de l’élaboration du projet deloi de règlement, les données réelles d’exécutionsont présentées dans les rapports annuels de performance (RAP), en regard des données prévisionnelles. Une comparaison entre les données issues de la comptabilité budgétaireavec celles issues de la comptabilité généralecomplète l’analyse.

Un éclairage utile pour mieuxconnaître le poids des actions depolitiques publiques

L’exemple de la mission « Défense » permet d’il-lustrer l’éclairage spécifique apporté par la CAC.

Cette mission contient 4 programmes :

Programme 144 : « Environnement et prospec-tive de la politique de défense » ;

Programme 146 : « Équipement des forces » ;

Programme 178 : « Préparation et emploi desforces » ;

Programme 212 : « Soutien de la politique de défense ».

Dans les faits, seuls les 3 programmes 144, 146 et178 relèvent de politiques publiques Défense. Leprogramme 212 est quant à lui un programme desoutien qui a la particularité de porter l’ensemblede la masse salariale du ministère de la Défense.Ce choix – éloigné des prescriptions de la LOLF –a été fait en 2015 par certains ministères pourmieux maîtriser la gestion des crédits de personnel.Le programme 212 mutualise également des crédits de support de la mission « Défense » ainsique des actions bénéficiant aux missions « Ancienscombattants, mémoire et liens avec la Nation » et« Sécurités », cette dernière mission relevant entièrement du ministère de l’intérieur. La CACpermet de déverser, grâce aux clés de répartition,l’ensemble des dépenses du programme soutienvers les programmes bénéficiaires (cf. schémas ci-après). La CAC se révèle également très perti-nente pour ventiler les dépenses des actions à vocation interministérielle des programmes 309 « Entretien des bâtiments de l’État » et 333 « Moyens mutualisés des administrations déconcentrées » dont un très grand nombre d’actions dans d’autres programmes de plusieursministères bénéficient.

Après avoir effectué les ventilations de toutes natures, il devient possible de connaître le coûtconsolidé des différentes politiques publiques financées par l’État. Le graphique ci-après illustrel’apport de la CAC pour le cas de la Défense : leprogramme 178 « Préparation et emploi desforces » bénéficie de crédits directs de 8,1 Md€

mais, après ventilation de la masse salariale portée par le programme 212, son budget complet s’élève à 27,3 Md€. À l’inverse, le programme 212 se déverse presque entièrementau profit d’autres actions de politique publique.

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Ainsi, les parlementaires disposent d’une informationplus juste sur l’emploi des crédits de l’État.

Un éclairage sur la soutenabilitéfinancière apporté par lacomptabilité générale

Il est également intéressant de comparer les résultats issus de la comptabilité budgétaire, qui sert au débat sur la loi de finances, avec lacomptabilité en droits constatés, certifiée par laCour des comptes.

Le rapport annuel de performances (RAP) permetde comparer les dépenses directes de la compta-bilité budgétaire aux charges directes issues de lacomptabilité générale, après prise en compte desopérations de rattachement des charges à l’exer-cice, la comptabilisation des amortissements, ouencore les dotations et reprises sur provisions. Lesécarts entre ces deux comptabilités peuvents’avérer importants. La comptabilité générale apporte un éclairage sur la soutenabilité des politiques publiques à moyen terme que la seulecomptabilité budgétaire ne permet pas toujoursd’appréhender, en raison du principe d’annualité.

Par exemple en 2015, dans le cas de la mission« Économie », les coûts directs du program -me 134 « Développement des entreprises et dutourisme » s’élèvent à 1,6 Md€ et sont supérieursde 67,9 % aux dépenses directes, qui s’élèvent à0.9 Md€. La différence s’explique principalementpar une dotation de 758 M€ au titre de la dépré-ciation du spectre hertzien qui ne se traduit qu’encomptabilité générale.

La restitution du volet « coûts » permet donc derefléter le niveau de risque des engagements prispar l’État à un horizon dépassant l’année bud -gétaire et d’avoir une information sur les engage-ments de crédits à venir grâce à la prise encompte de l’amortissement des immobilisations.Les commentaires qui sont associés à la présen-tation du volet « coûts » permettent de décrypterles écarts observés entre les deux comptabilités,ainsi que leur évolution dans le temps.

Un premier pas vers une comptabilitéanalytique au sein de l’État

Dans un premier temps, la CAC a été assez complexe à mettre en place, mais le processus estaujourd’hui simplifié et le travail allégé pour leséquipes ministérielles et du contrôle budgétaireet comptable. La Cour des comptes fait réguliè-rement l’observation que la CAC, par son mode

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Graphique illustrant les apports de la CAC pour la mission Défense au RAP 2015

Schéma des déversements pour le programme 178 de la mission « Défense »

Tableau des écarts entre comptabilités budgétaire et générale pour la mission « Économie » au RAP 2015

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de construction très « macro », n’apporte pas delevier pour connaître et piloter la dépense au niveau opérationnel, c’est-à-dire par service, parproduit ou par structure. Enfin, les parlementairesne se sont que rarement approprié cette compta-bilité jugée trop complexe à appréhender. Cesconstats sont exacts.

Néanmoins, les apports de la CAC ne doivent pasêtre sous-estimés. D’une part, la nécessité d’affecter chaque dépense par action (au sens de la LOLF) a permis de fiabiliser la saisie etd’améliorer la qualité comptable. D’autre part, laCAC a favorisé la diffusion d’une culture de l’analyse des coûts dans le réseau des agents dela fonction financière de l’État, ouvrant la voie audéveloppement de la comptabilité analytique(CAN), prévue à l’article 153 du décret sur la gestion budgétaire et comptable publique(GBCP) du 7 novembre 2012 et par ailleurs régu-lièrement mise en avant par la Cour des comptes.Le développement de clés de déversement (en effectifs, en m2, etc.) utilisées dans la CACpourrait constituer un premier pas vers l’identifi-cation des inducteurs de coût nécessaires à lamise en œuvre d’une comptabilité analytiquedans les services où cela aurait un sens.

Aujourd’hui, très peu d’États dans le monde ontune démarche centralisée de comptabilité analy-tique publique. Si son utilité théorique ne fait pasde doute pour le pilotage des administrations,l’outillage de sa mise en œuvre en termes de système d’information est rendu complexe par lagrande variété des situations et des objets decoûts à analyser. L’approche partagée fait sens en matière de doctrine, de coordination, d’ani -mation, ainsi que pour l’analyse de certains coûtsinterministériels comme les coûts informatiquesou bâtimentaires, par exemple. Mais pour desprocessus métier qui ont chacun leurs spécificitéspropres, les projets doivent être portés par les responsables de programmes concernés et leurscorrespondants financiers au niveau ministérielafin de garantir le développement de modèlesanalytiques bien ciblés.

Des projets ont déjà été initiés, parfois avec succès. Au ministère de l’agriculture, la compta-bilité analytique est utilisée pour calculer le coûtdes inspections sanitaires ou de la gestion desaides de la PAC ; d’autres administrations suivent,dans le cadre des indicateurs de performance deslois de finances, le coût de collecte de certains impôts ou le coût de gestion de subventions. De manière plus systémique, le ministère de ladéfense a engagé avec l’appui de l’Agence pour

l’informatique financière de l’État (AIFE) un impor-tant chantier visant à évaluer les coûts par activitéde certaines entités, avec une première appli -cation fin 2016 dans un service d’entretien du matériel de l’armée de terre. La direction du budget pilote une réflexion, avec les ministères,pour définir des options de développement (niveau d’ambition, coût, faisabilité) et les condi-tions de réalisation d’une telle comptabilité.

Le développement de lacomptabilité analytique va-t-il signerl’arrêt de mort de la CAC ?

Ce n'est pas certain car cela supposerait d'amenderla LOLF et les objectifs portés par la CAC restentd’actualité dans le cadre par exemple des évalua-tions de politique publique. De plus, les deuxmodes d’analyse des coûts ont vocation à s’enri-chir mutuellement. Le développement de lacomptabilité analytique nécessitera de fiabiliserla saisie des imputations comptables dans Chorus. La meilleure connaissance des coûts parles services gestionnaires permettra en outre d’affiner les déversements réalisés dans le cadrede la CAC et les analyses fournies.

Dès lors, les agents ministériels, les parlemen-taires et les citoyens pourront s’approprier defaçon plus volontariste cet outil et de façon plusgénérale les analyses de coûts issues des servicesdes ministères, qui valorisent les apports de la comptabilité générale, aujourd’hui sous- exploitée. C’est au demeurant l’un des axes qui aété mis en avant dans le récent rapport de la Courdes comptes sur la valorisation de la comptabilitéde l’État en droits constatés, publié en juin 2016dans le cadre des dix ans de mise en œuvre de laLOLF. ■

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Source : étude DB - Kurt Salmon.

Les différents niveaux d’exploitation de la comptabilité analytique de l’État

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Société du Groupe Matmutdédiée aux agents publics

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