La Commission centrale de l'enfance

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LA COMMISSION CENTRALE DE L’ENFANCE

description

David Lescot se souvient de ses séjours dans les colonies de vacances de la CCE, association créée après la fin de la Seconde Guerre mondiale par les Juifs communistes français pour accueillir les enfants orphelins et qui a perduré jusqu'à la fin des années 80. Un tabouret de bistrot, une guitare électrique. Avec pudeur et drôlerie, David Lescot nous fait partager ses émerveillements, ses peurs et ses questionnements d'enfant. Un cabaret du souvenir évoquant les bouleversements et les anecdotes à partir desquels chaque être se construit.

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Rencontre• Audiodescription Mardi 3 avril

Rencontre• Théâtre en pensées avec David Lescot, rencontre animée par Olivier Neveux (département des Arts du spectacle de l’Université de Strasbourg)Lundi 16 avril à 20h - salle Gignoux

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Directrice de la publicationJulie brochenRéalisation du programmeFanny Mentré avec la collaboration de éric de La Cruz, Quentin bonnell et Lorraine WissCréditsphotos du spectacle : béatrice Logeaisillustrations  :  p.5 Jean Dubuffet La Route aux hommes, 1944 • p.6 Menno baars • p.9 pieter bruegel l'AncienLes jeux d'enfants • p.12 Constant À Nous la liberté, 1949.

Graphisme tania Giemza

édité par le théâtre National de StrasbourgKehler Druck/Kehl – Mars 2012

Abonnements / Location03 88 24 88 24

1, avenue de la Marseillaisebp 40184 F-67005 Strasbourg Cédextéléphone : 03 88 24 88 00télécopie : 03 88 37 37 71

[email protected]

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LA CoMMiSSion CEnTRALEDE L’EnFAnCEtexte et interprétation David Lescot

Lumières Laïs Foulc • Collaboration artistique Michel Didym

Équipes techniquesCompagnie du KaïrosRégie lumière Victor Egéa

du TNSRégie générale Bruno Bléger • Régie plateau Charles Ganzer et Alain Meilhac (en alternance) • Régie lumière Christophe Leflo de Kerleau • Lingère Charlotte Pinard-Bertelletto

Du mardi 27 mars au mercredi 4 avril 2012 Horaires : du mardi au samedi à 20h, dimanche 1er avril à 16hRelâche : lundi 2 avrilSalle Hubert GignouxDurée : 1 heure

Production Compagnie du KaïrosAdministratrice Véronique Felenbok Chargée de production Clara prigent

> Le texte La Commission centrale de l’enfance est publié par les éditions Actes Sud-papiers, 2008.il a fait l’objet d’une commande de la SACD et a été enregistré par France Culture pour le festival Nîmes Culture 2005.

Spectacle créé à la Maison de la poésie de paris le 14 mai 2008Côté pUbLiC

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Enfant, je passais mes vacances d’été dans les colonies de vacances de la Commission Centrale de l’Enfance (CCE), cette association créée par les Juifs Communistes français après la Seconde Guerre mondiale, à l’origine pour les enfants des disparus. Elles existèrent jusqu’à la fin des années 80. Mon père y était allé aussi. J'ai voulu m'en souvenir, sans nostalgie, et raconter par bribes cette histoire, qui me revient par flashes de souvenirs inconscients, parfois confus, parfois étonnamment distincts : il y est question de conscience politique, de l’usure d’un espoir, de règles strictes, d’idéologie tenace, de transgressions en tous genres, d’éveil des sens. J’en ai fait une sorte de petit poème épique, scandé, chanté, qui fait le va-et-vient entre les temps de l’origine et ceux de l’extinction, entre la petite et la grande histoire.

J’ai pensé que le moment était venu d’écrire à la première personne, à tous les sens du terme, ce que je n’avais jamais fait auparavant. J’ai vite ressenti le regard des anciens par-dessus mon épaule, une sorte de res-ponsabilité intimidante. Puis des voix se sont mêlées à la mienne, le texte se faisait tantôt subjectif, tantôt choral, tantôt dialogique. La vérité des sensations et des souvenirs ne devait rien céder à la justesse historique. Il m’a semblé que seule la musique pourrait donner à ce texte son unité, et comme j’étais seul, j’ai décidé de m’accompagner. Je suis tombé sur une magnifique guitare électrique tchécoslovaque rouge des années 60 (autant dire rare), et je me suis dit qu’elle ferait l’affaire.

Ce sera donc un cabaret minimaliste. Pour une voix, porteuse d’autres voix. Une sorte de ballade, ou de rhapsodie, de revue parlée-chantée. Parce qu'on chantait beaucoup à la Commission centrale de l'enfance. Des choses comme « nous bâtirons des lendemains qui chantent », ou « nous voulons chasser la guerre pour toujours », ou encore « nous marchons dans la nuit profonde… ».

David Lescot

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Cette réalité de l’enfance, réalité grave, héroïque, mystérieuse, que d’humbles détails alimentent et dont l’interroga-toire des grandes personnes dérange brutalement la féérie.Jean Cocteau

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OFF : En matière de guitare électrique, vous avez deux catégories : la hollowbody et la solidbody.La hollowbody n’est ni plus ni moins qu’une guitare acoustique qu’on a amplifiée en y ajoutant des micros.C’est une guitare creuse.Vide.La solidbody est une planche ornée d’un manche de guitare. C’est une guitare sans caisse.Pleine.Plate.La première solidbody, construite dans les années quarante (1940), a été surnommée « la bûche ».À l’origine les hollowbody ont été fabriquées et diffusées par la firme Gibson.De leur côté les solidbody ont été popularisées par la firme Fender.Gibson/Fender.Hollow/Solid.Creuse/Plate.Riche/Pauvre.Urbaine/Rurale.Les adeptes de Gibson ont reproché à ceux de Fender d’être des bouseux qui ne connaissaient rien à la musique. Et c’est vrai que Léo Fender, le père fondateur, avait de bonnes intuitions avec les aimants et les bobines de fil électrique, mais pas grand-chose d’un luthier.En face, les sectateurs de Fender accusaient les gibsoniens d’être des aristocrates hautains et passéistes. Des dinosaures. Des momies.Par la suite, voyant que certaines des vedettes qui lui servaient d’image de marque passaient chez Fender, Gibson s’est mis à fabriquer des solidbody.Pour autant la solidbody n’a pas fait disparaître la hollowbody. Elle a simplement colonisé un espace plus vaste. Il faut croire qu’il y avait en elle un principe démocratique. Lorsque tout le monde a voulu sa guitare, elle est devenue la guitare de tout le monde.Et c’est elle, la solidbody, qui a fini par incarner le rock quand il a arrêté de s’appeler « n’roll » – c'est-à-dire quand il a prétendu s’occuper d’autre chose que de filles, de voitures et de samedis soir –, ce qu’il n’aurait probablement jamais dû cesser de faire.

David LescotLes Jeunes. Éd. Actes Sud – Papiers, 2011, pp. 9-10

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Les maisons d’enfants en France après la Seconde Guerre Mondiale

Au lendemain de la guerre, les organisations juives de France se retrouvèrent face au désarroi de nombreux orphelins, fils et filles de déportés juifs, la plupart d'origine polonaise, russe, roumaine mais également salonicienne ou apatride (Allemands du Reich). Diverses associations, actives depuis l'entre-deux-guerres, organisèrent des structures afin de les recueillir, de leur donner une éducation et une formation pratique, de les insérer dans la société française tout en leur offrant la possibilité de se rattacher au judaïsme. Elles étaient financées majoritairement par les associations juives américaines (en particulier le Joint) avec l'aide de l'État. Il y eut une cinquantaine de ces maisons d'accueil en France, pour environ 3 000 orphelins de la Shoah. L'histoire de ces « maisons de l'espoir » débute pendant la guerre après les rafles de 1942, lorsque les associations juives et non juives prennent conscience de l'urgence de cacher les enfants. En zone occupée, des réseaux se constituent sous l'impulsion du Comité de la rue Amelot, des Éclaireurs israélites, des groupes Solidarité proches des Juifs communistes, et grâce à la mobilisation de la population non juive. En zone sud, seule l'OSE (Œuvre de Secours à l'Enfance) et dans une moindre mesure les EIF ont la capacité d'ouvrir des maisons.Pendant la guerre, ces lieux ont accueilli jusqu'à 1 000 enfants jusqu'à leur fermeture à la fin de l'année 1943, et l'on considère en outre que plus de 10 000 enfants en France ont pu être cachés chez des particuliers ou dans des institutions religieuses, ou encore passés en Suisse et sauvés ainsi des griffes du nazisme et de leurs auxiliaires français. Mais on compte également 9 600 enfants juifs de moins de 16 ans déportés vers les camps de la mort.À la fin de la guerre, l'objectif de ces associations fut de rassembler les enfants éparpillés dans les campagnes, dont beaucoup d'orphelins désormais. Ces enfants, qui représentaient après la Shoah l'avenir et l'espoir de la survie du peuple juif en France, seraient élevés et éduqués en collectivités. Chacune a son projet, en fonction des grandes orientations qui ont toujours uni et divisé le peuple juif : traditionalistes ou laïques, inscrites dans un mouvement politique ou simples œuvres d'assistance. Elles sont pluralistes à l'OSE (Œuvre de Secours à l'Enfance) implantée en France depuis les années trente, sionisantes à l'OPEJ (Œuvre de Protection de l'Enfance juive) rattachée, de même que la Colonie scolaire, à la Fédération des Sociétés Juives de France représentant les juifs immigrés non communistes. Les maisons communistes regroupées dans la Commission Centrale de l'Enfance (CCE) sont une émanation de l'Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide (UJRE), très implantée dans le monde yiddishophone, lecteur de la Naïe Presse. Le petit Cercle amical bundiste revendique également une appartenance politique socialiste, mais se rattache au judaïsme par le biais de la langue et de la culture yiddish. Ces lieux de vie, avec leurs ambiguïtés, leurs échecs et leurs réussites, ont tous eu la même volonté : rendre aux orphelins sortis de leurs cachettes après la guerre une identité qui leur fût propre, leur donner un cadre de vie spécifiquement juif et les élever dans un défi commun à la Shoah.

Kathy Hazan Les Orphelins de la Shoah, Éd. Les Belles Lettres, 2000

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Une seule espéranceNous rassemble et nous dicte sa loiEt sur cette espéranceNous avons établi notre foiTous les pays du mondeDans leur langue répondentPar la jeunesseVient la promesseD’un avenir meilleur

Nous voulons chasser la haine pour toujoursPour toujours pour toujoursEt bannir la peur la guerre sans retourSans retour sans retourOui nous voulonsDonner au peuple le bonheurEt bannir la peur la guerre sans retourSans retour sans retour

Hymne de la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique, 1950

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LES TROIS ÉTUDIANTS : Il a dit non. (À l’enfant :) Pourquoi refuses-tu de t’incliner devant la Coutume ? Qui fait le premier pas doit aussi faire le second. Lorsqu’en son temps on t’a demandé si tu serais d’accord avec tout ce qui pourrait résulter de ce voyage, tu as répondu oui.

L’ENFANT : Ma réponse était mauvaise, mais votre question plus mauvaise encore. Qui fait le premier pas ne doit pas forcément faire aussi le second. On peut aussi reconnaître que le premier était une erreur. Je voulais chercher des remèdes pour ma mère, mais je suis moi-même tombé malade, et ce n’est plus possible. Ainsi, je vais immédiatement faire demi-tour, eu égard à la nouvelle situation. Et je vous demande vous aussi de faire demi-tour et de me ramener chez moi. Vos études peuvent fort bien attendre. Et si, comme je l’espère, vous aviez quelque chose à apprendre là-bas, ce ne peut être que ceci : dans une situation comme la nôtre il faut faire demi-tour. Pour ce qui concerne la Grande Coutume, je n’y vois pas le moindre bon sens. Ce dont j’ai besoin, c’est d’une nouvelle Grande Coutume, que nous allons immédiatement instituer : la coutume de réfléchir à neuf dans une situation nouvelle.

Bertolt BrechtExtrait de Celui qui dit oui, celui qui dit non,Trad. Édouard Pfrimmer

dans Théâtre Complet tome 2, L’Arche Éditeur, 1960, p. 207

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C’est la fièvre de la jeunesse qui main-tient le reste du monde à la température normale. Quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents.Georges Bernanos

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Je sais on dit que les Juifs sont forts avec l’argent, qu’ils ont le sens du commerce, qu’ils n’ont pas leur pareil dans les affaires.Eh ben c’est pas vrai.Ceux qui disent ça ils sont jamais allés à la CCE.J’ai pas les chiffres. Mais je me suis bien rendu compte qu’au bout d’un moment, à partir d’une certaine époque, ça marchait plus du tout, ça tournait plus. Après le milieu des années 1980, ça sentait la ruine économique cette histoire. Le temps que durait la colonie se rétrécissait chaque année tandis que le prix augmentait en proportion inverse.Quand même les parents payaient à chaque fois ils n’avaient pas le choix autrement les gosses leur faisaient une crise de nerfs.Et puis c’est devenu intenable. Il a fallu se séparer du château.Ça se termine toujours comme ça. Dans la vie. Dans les pièces de théâtre.On s’amuse, on s’amuse. Pendant ce temps le monde change. On se réveille sur la paille. On doit partir on doit vendre. D’autres arrivent. Ils font des lotissements. Ils construisent.Qu’est-ce que vous voulez faire contre ça ?

David LescotLa Commission centrale de l'enfance, Éd. Actes Sud – Papiers, 2008, p. 92

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BioGRApHiE David Lescot

Auteur, metteur en scène et musicien. Son écriture comme son travail scénique cherchent à mêler au théâtre des formes non-dramatiques, en particulier la musique. Il met en scène ses pièces Les Conspirateurs (1999, TILF), L’Association (2002, Aquarium) et L’Amélioration (2004, Rond-Point). En 2003 Anne Torrès crée sa pièce Mariage à la MC93-Bobigny, avec Anne Alvaro et Agoumi. Sa pièce Un homme en faillite qu’il met en scène à la Comédie de Reims et au Théâtre de la Ville à Paris en 2007, obtient le Prix du Syndicat national de la critique de la meilleure création en langue française. L'année suivante, la SACD lui décerne le prix Nouveau Talent Théâtre. David Lescot est artiste associé au Théâtre de la Ville. Il y met en scène L’Européenne, dont le texte obtient le Grand Prix de littérature dramatique en 2008, et qui tourne en France et en Italie en 2009 et 2010.C’est en 2008 qu’il crée La Commission centrale de l’enfance, récit parlé, chanté, scandé des colonies de vacances créées par les juifs communistes en France, qu’il interprète seul accompagné d’une guitare électrique tchécoslovaque de 1964. Le spectacle débute à la Maison de la Poésie à Paris, puis est au Théâtre de la Ville en 2009, et en tournée en France et à l’étranger (Argentine, Espagne, Italie, Russie, République tchèque…) durant quatre saisons. David Lescot remporte pour ce spectacle en 2009 le Molière de la révélation théâtrale. En 2010 est repris au Théâtre de la Ville L'Instrument à pression, concert théâtral dont il est auteur et interprète aux côtés de Médéric Collignon, Jacques Bonnaffé, Odja Llorca, Philippe Gleizes, dans une mise en scène de Véronique Bellegarde. Sa dernière pièce, Le Système de Ponzi, est une œuvre chorale et musicale consacrée aux démesures de la finance. Elle est créée lors de la saison 2011-2012 à Limoges puis se joue au Théâtre de la Ville à Paris, à Blois, Nancy, Saint-Etienne, et au Théâtre National de Strasbourg.Il met en scène en 2011 l'opéra de Stravinsky The Rake's Progress à l'Opéra de Lille. Ses pièces sont publiées aux Éditions Actes Sud – Papiers, elles sont traduites publiées et jouées en différentes langues (anglais, allemand, portugais, roumain, polonais, italien, espagnol, russe, japonais).