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La Chapelle Gonaguet, Août 2016 Paioh, véronaise chic Paioh, véronaise chic entreprit le voyage jusqu'à La Chapelle Gonaguet. Quitter Vérone pour six mois lui sembla osé et ardu. Cette femme toute en harmonie avec la terre s'illuminait chaque fois qu'elle voyait des pierres. Son boulot de maçonne lui convenait peu, elle aurait aimé être sculptrice sur pierres. Son pays regorgeait de merveilles architecturales et elle avait beaucoup entendu parler de la Dordogne comme une contrée sauvage. Par contre de La Chapelle Gonaguet, jamais elle n'avait lu ni vu le moindre mot, la moindre image. Son voisin lui avait sincèrement décrit ce bled comme un paradis, alors elle irait au paradis montrer sa collection de chaussures. Il n'est jamais simple de choisir sa route. De Vérone à La Chapelle Gonaguet, Paioh usa 43 paires de chaussures. Elle traversa des rideaux de pluie qui parfois se muaient en goutellettes fines et pénétrantes. Le jour où elle entra dans cette forêt, elle sut qu'en suivant les petits points jaunes, elle arriverait à cette clairière. Celle là même où le carrosse se transforma en mille chevaux vigoureux. Elle s'allongea dans les sous-bois chauds et humides. Elle s'endormit, mais avait-elle vraiment trouvé sa route ? La bonne, celle qui lui apporterait cet état...de recueillement. Saint Godillot, merci de nous avoir permis de cheminer sans pluie ! Pascale La Chapelle Gonaguet, Août 2016 Les aventures d’Axel

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La Chapelle Gonaguet, Août 2016

Paioh, véronaise chic

Paioh, véronaise chic entreprit le voyage jusqu'à La Chapelle Gonaguet. Quitter Vérone pour six mois lui sembla osé et ardu. Cette femme toute en harmonie avec la terre s'illuminait chaque fois qu'elle voyait des pierres. Son boulot de maçonne lui convenait peu, elle aurait aimé être sculptrice sur pierres. Son pays regorgeait de merveilles architecturales et elle avait beaucoup entendu parler de la Dordogne comme une contrée sauvage. Par contre de La Chapelle Gonaguet, jamais elle n'avait lu ni vu le moindre mot, la moindre image. Son voisin lui avait sincèrement décrit ce bled comme un paradis, alors elle irait au paradis montrer sa collection de chaussures. Il n'est jamais simple de choisir sa route. De Vérone à La Chapelle Gonaguet, Paioh usa 43 paires de chaussures. Elle traversa des rideaux de pluie qui parfois se muaient en goutellettes fines et pénétrantes. Le jour où elle entra dans cette forêt, elle sut qu'en suivant les petits points jaunes, elle arriverait à cette clairière. Celle là même où le carrosse se transforma en mille chevaux vigoureux. Elle s'allongea dans les sous-bois chauds et humides. Elle s'endormit, mais avait-elle vraiment trouvé sa route ? La bonne, celle qui lui apporterait cet état...de recueillement. Saint Godillot, merci de nous avoir permis de cheminer sans pluie !

Pascale

La Chapelle Gonaguet, Août 2016

Les aventures d’Axel

« Tiens, vlà la pluie ! » Et tous de se tasser sous la halle sans perdre une goutte de bonne humeur. Ah ça, non. Bon, on est là, tous serré.e.s. C’est la halte sous la halle.

1 - Axel est né à Verdun en 1916. Bien sûr, c’était un pays chaud à cette époque-là. On lui a dit qu’il était né dans une tranchée. Longtemps il n’a pas su ce que cela voulait dire. Sa mère s’appelait Madelon. Ils disaient : « Pas question de lui prendre le menton ». Rien compris.

Enfant, il portait un casque, toujours. Adolescent, il ne le quittait encore qu’à regret. Il n’a pas connu son père dont on lui a parlé dans un curieux langage, à la fois trivial et respectueux. Ainsi, on lui a dit souvent que son père était une « gueule cassée ». Après, quand il se faisait respecter à la récrée, et qu’il étalait un indélicat, il était fier de lui avoir

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cassé la gueule, puis, il devenait son ami, pour la vie. Assez impulsif, il connut beaucoup d’histoires comme celle-ci.

Il croit qu’il n’y aura plus jamais la guerre, Axel, et c’est pourquoi il poursuit une quête vers l’impossible. Il recherche inlassablement deux personnes qui, quand il les aura trouvées, changeront le sens de sa vie. Il le sait. La première personne dont il a toujours besoin, c’est le Commandant Che Guevara. Cet homme-là incarne absolument et définitivement sa soif de justice. C’est son modèle depuis toujours et, même Nelson Mandela, n’a pas réussi à détrôner le Che dans le cœur d’Axel. La seconde personne recherchée, celle dont il a toujours envie, c’est Marilyn. C’est une obsession. Axel sait que tant qu’il ne l’aura pas vue, touchée, même, il ne saura pas ce qu’est la beauté et il ne pourra rien comprendre aux femmes, ce qui lui manque beaucoup (évidemment) !

Et on lui a dit que Marilyn devait participer à une randonnée aujourd’hui même à « Lâche-à-peine Gros navet ».

Sous la halle, il scrute toutes les femmes. Ah il y en a de jolies ! Mais pas de blonde platine. Ah, mais si, là-bas au fond, cette belle femme, sans âge, aux traits réguliers, et aux formes pleines et voluptueuses…C’est elle. Oh, mais non. Mais si, c’est elle. Il faut qu’il l’aborde, ce serait trop bête…

2 – Mais voilà que la cloche sonne. « Ils partirent quinze cents »…Près de la mare aux grenouilles, trois sont tombé.e.s et ont sombré. On ne les a pas revu.e.s. La dame à la cloche ne cessait de le dire : « La cloche, c’est moi ! » Mais on suivait et ne disait mot.Un vote fut organisé, un consensus espéré. Mais j’t’en fous ! Il y en a un qui veut la droite et crie très fort, avec son pull bleu (marine). D’aucuns se reconnaissent et se sentent en sécurité à l’extrême Centre. Axel aperçoit Bayrou, là-bas, tassé sur son tabouret. Il a voté. Axel choisit la gauche, bien entendu mais, comme d’habitude, il perd. Toujours à la recherche du Che, bien sûr, mais il n’est pas là. Et Marilyn aussi a disparu.

Axel se sent seul, perdu au milieu du groupe qui marche. C’est l’exode, c’est certain. On a fait un bond dans le temps : 1916 – 1940, rien ne change, c’est toujours pareil…

3 - « Fermez les yeux, a dit la cheffe, regardez l’Emaüs » ; ça sent le maïs, mais avec quoi faire rimer cela, pense Axel. L’une d’entre nous a perdu son chien. Elle siffle. Une autre est tombée, le nez dans le ruisseau. Immédiatement, elle incrimine Rousseau, et tandis que son sang pisse, Axel a trouvé sa rime, il est content, cela suffit pour l’instant à lui remonter le moral. Plus loin on voit une vieille deux-chevaux. C’est ma vieille carcasse, dit la chef-à-la-cloche, qui décide, et qui a raison. Elle a raison, c’est une vieille carcasse.

4 – Maintenant on voit une maison moderne au fond d’un écrin de verdure. Axel s’est retourné. Il en a le droit, il s’est assis sur un fauteuil pliant qui traînait par là. C’est étrange, non ? Du coup, il ne voit plus rien : écran de verdure. Et cran, et cric et crac, comme dit notre copine Huguette qui est philosophe. C’est qui qui fait losoeuf ? (On dit pas c’est kiki). C’est la

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poule qui fait losoeuf. Anna Chronique, dit Axel, philosophe de comptoir, de hall de gare. Cette fois, il est hagard… du Nord. Allez, il faut repartir. De toute manière, on ne voit plus rien, tout est vert. Allez, les verts ! Tous écolos, quoi…

5 – On écoute un sketch, genre : Jeanne Sourza et Raymond Souplex. « Sur le banc », ça s’appelait. C’était dans les années 50. Oh là là, ça ne nous rajeunit pas. Deux clodos devisaient gaiement et philosophaient (Encore !) à propos de tout et de rien, assis sur le banc d’un square parisien, façon chansonniers.nières. Axel écoute le sketch. C’est drôle. Il sourit, puis il rit. Il s’agit d’histoires de chiliens, Chili, chienlit. Tout le monde rigole. Mais c’est déjà fini. La meneuse à la cloche, bien sympa, au demeurant, n’est-elle pas un peu planifiée, platinée, platine, Platini ?!! Tout s’embrouille dans la tête d’Axel. Ahhh, ne serait-ce pas elle ? Oh, non, mais si c’est elle ! MARILYN !!!! (Il court vers elle et saute dans ses bras, le cœur battant à tout rompre. Il la serre fort.

D’un seul coup, Axel, ici, en pleine nature, a senti que son cœur allait se mettre à battre plus vite. De ce fait, retrouvant son calme, malgré ces événements euphorisants, il se demande quelles sont les circonstances qui le mettent dans un état tel que les battements de son cœur s’accélèrent et prennent un tempo de galop d’enfer, jusqu’à peut-être s’arrêter et ne jamais repartir. Va savoir. Ci-dessous les réflexions d’Axel à propos de son cœur qui bat…

a) Apercevoir la chevelure de Marilyn dans la verdure, près de la mare aux grenouilles, ou plutôt la deviner dans la brume un soir qu’on se sera aventuré jusqu’ici.

b) Développer le papier d’un bonbon à la menthe. Ecouter son crissement juste avant de le glisser sous ma langue et de faire exploser le goût de menthe au fond de ma bouche, dans la pente qui mène à ma gorge…profonde.

c) Le moment où la lumière s’éteint. La salle obscure est silencieuse. La musique enfle et envahit ma tête. Déjà le générique défile, pompeux, prétentieux. Le film a commencé ; c’est déjà du bonheur.

d) Ils ont fait tout leur tralala, dans leur costard noir. Les godasses des hommes luisent de mille feux, les décolletés des femmes brillent, leurs colliers se perdent entre leur seins généreux. Le chef arrive, cabot comme pas deux. Il a serré une main ou deux. Tonnerre d’applaudissements. Tout le monde et son frère s’applaudissent, fiers comme des paons de déguster ce privilège.

e) La marche a repris, mais le groupe a disparu. Axel marche seul dans une large allée herbue, bordée de grands arbres. Une petite brise agréable s’infiltre dans le col ouvert de sa chemise. Il est bien. Soudain, face à lui, à environ vingt mètres à peine, il les voit. Les deux hommes portent leur habituel treillis militaire. Fidel, le plus grand, imposant, semble avoir trente ans. Axel, furtivement, pense qu’il est immortel. A ses côtés, le Che, plus petit, plus jeune, l’écoute humblement. Axel en a les larmes aux yeux. Dans sa poitrine il entend son cœur qui exprime son émotion. Quelques secondes ont passé… Axel a croisé les deux héros.

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Ils ne l’ont pas vu. Il ne leur a rien dit. Il ne se souvient déjà plus s’il les a regardés. L’Histoire a passé…

f) Nous sommes à la montagne : blanche. Dans la neige, tous glissent sur les skis de fonds. Dans la pente pour monter, on en a bavé. Maintenant, on descend. C’est cool.

Merde, un virage, un arbre… Il y en a une à terre, Axel ne peut l’éviter. Patatras ! Voilà qu’on s’enlace… dans la neige.

C’est froid. Non c’est chaud…

Le cœur d’Axel bat de plus en plus fort. Le mien aussi…

Jean-Claude Martin