La Cantatrice Chauve

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  • Eugne Ionesco

    La cantatrice chauveANTI-PICE

    Ionesco entour des interprtes de sa pice le soir de la premire. Lipnitzki - Viollet

  • Prsentationpar Nicolas Bataille, metteur en scne

    Un soir, Monica Lovinesco, qui tait depuis peu notre assistante la mise en scne, m'apporta un manuscrit : "J'ai un ami qui a crit unepetite pice. Tout le monde lui dit que c'est injouable. J'aimerais savoir ce que tu en penses." - "Comment s'appelle ton ami ?" -"Ionesco."

    Lorsque je lus le manuscrit de L'anglais sans peine, le premier titre de La Cantatrice chauve, ce fut pour moi, jeune comdien, unedcouverte : ce texte ne ressemblait en rien ce que j'avais vu ou lu jusque-l. On y reprsentait des personnages anglais qui utilisaient entreeux un langage surprenant, paraissant sans suite, mais ayant tout de mme une logique. Quelques jours plus tard, je rencontrai Ionesco quim'expliqua : "Je voulais apprendre l'anglais, j'ai ouvert une mthode Assimil et j'ai dcouvert tout un monde qui s'exprimait d'une maniretonnante. J'ai donc fait parler mes personnages anglais comme des Franais apprenant l'anglais". Et par le sous-titre de L'anglais sans peine,"Anti-pice", il prcisait que c'tait une critique du thtre bourgeois du dbut du sicle.

    "Alors, c'est vrai ? Vous voulez jouer ma pice ? Mais tout le monde me dit que ce n'est pas jouable !" Pour nous, elle l'tait et correspondaittout fait ce que nous cherchions pour notre petite troupe. Nous avons donc dcid de monter la pice sans tarder. Le seul problme ( partcelui de trouver un thtre pour la jouer) c'tait de changer de titre : L'anglais sans peine nous faisait penser la pice de Tristan BernardL'anglais tel qu'on le parle. Or, un jour, pendant une rptition, le capitaine des pompiers rcitant l'histoire du "rhume", eut un trou demmoire, sauta trois lignes et au lieu de parler d'une cantatrice trs blonde, nous prsenta une cantatrice chauve. Ionesco s'exclama : "Letitre est trouv ! Ce sera La Cantatrice chauve ! Pour justifier ce titre, j'ajouterai quelques rpliques".

    Et La Cantatrice chauve fut cre le 16 mai 1950 au Thtre des Noctambules grce Jean-Claude et Pierre Leuris, les directeurs, quicrurent tout de suite la pice. Elle est devenue un cas unique dans l'histoire du thtre franais, car aprs les Noctambules, nous l'avonsreprise en 1957 au Thtre de la Huchette, o elle se joue sans interruption depuis cette date !

    Nicolas Bataille (2000)

  • PERSONNAGES

    M. SMITHMme. SMITHM. MARTINMme. MARTINMARY, la bonneLE CAPITAINE DES POMPIERS La Cantatrice chauve a t reprsente pour la premire fois au Thtre des Noctambules, le 11 mai 1950, par la Compagnie Nicolas Bataille.La mise en scne tait de Nicolas Bataille.

  • SCNE I

    Intrieur bourgeois anglais, avec des fauteuils anglais. Soire anglaise. M. SMITH, Anglais, dans son fauteuil et ses pantoufles anglais, fumesa pipe anglaise et lit un journal anglais, prs dun feu anglais. Il a des lunettes anglaises, une petite moustache grise, anglaise. ct de lui,dans un autre fauteuil anglais, Mme SMITH, Anglaise, raccommode des chaussettes anglaises. Un long moment de silence anglais. Lapendule anglaise frappe dix-sept coups anglais. Mme. SMITHTiens, il est neuf heures. Nous avons mang de la soupe, du poisson, des pommes de terre au lard, de la salade anglaise. Les enfants ont bu deleau anglaise. Nous avons bien mang, ce soir. Cest parce que nous habitons dans les environs de Londres et que notre nom est SMITH. M. SMITH, (continuant sa lecture, fait claquer sa langue.) Mme. SMITHLes pommes de terre sont trs bonnes avec le lard, lhuile de la salade ntait pas rance. Lhuile de lpicier du coin est de bien meilleure qualitque lhuile de lpicier den face, elle est mme meilleure que lhuile de lpicier du bas de la cte. Mais je ne veux pas dire que leur huile euxsoit mauvaise. M. SMITH, (continuant sa lecture, fait claquer sa langue.) Mme. SMITHPourtant, cest toujours lhuile de lpicier du coin qui est la meilleure M. SMITH, (continuant sa lecture, fait claquer sa langue.) Mme. SMITHMary a bien cuit les pommes de terre, cette fois-ci. La dernire fois elle ne les avait pas bien fait cuire. Je ne les aime que lorsquelles sont biencuites. M. SMITH, (continuant sa lecture, fait claquer sa langue.) Mme. SMITHLe poisson tait frais. Je men suis lch les babines. Jen ai pris deux fois. Non, trois fois. a me fait aller aux cabinets. Toi aussi tu en as pristrois fois. Cependant la troisime fois, tu en as pris moins qu e les deu x premires fois, tandis qu e moi jen a i pris beaucoup plus. Jai mieuxmang que toi, ce soir. Comment a se fait ? Dhabitude, cest toi qui manges le plus. Ce nest pas lapptit qui te manque. M. SMITH, (fait claquer sa langue.) Mme SMITHCependant, la soupe tait peut-tre un peu trop sale. Elle avait plus de sel que toi. Ah, ah, ah. Elle avait aussi trop de poireaux et pas assezdoignons. Je regrette de ne pas avoir conseill Mary dy ajouter un peu danis toil. La prochaine fois, je saurai my prendre. M. SMITH, (continuant sa lecture, fait claquer sa langue.) Mme. SMITHNotre petit garon aurait bien voulu boire de la bire, il aimera sen mettre plein la lampe, il te ressemble. Tu as vu table, comme il visait labouteille ? Mais moi, jai vers dans son verre de leau de la carafe. Il avait soif et il la bue. Hlne me ressemble : elle est bonne mnagre,conome, joue du piano. Elle ne demande jamais boire de la bire anglaise. Cest comme notre petite fille qui ne boit que du lait et ne mangeque de la bouillie. a se voit quelle na que deux ans. Elle sappelle Peggy.La tarte aux coings et aux haricots a t formidable. On aurait bien fait peut-tre de prendre, au dessert, un petit verre de vin de Bourgogneaustralien mais je nai pas apport le vin table afin de ne pas donner aux enfants une mauvais e preuve de gourmandise. Il faut leurapprendre tre sobre et mesur dans la vie. M. SMITH, (continuant sa lecture, fait claquer sa langue.) Mme. SMITHMrs Parker connat un picier roumain, nomm Popesco Rosenfeld, qui vient darriver de Constantinople. Cest un grand spcialiste en yaourt.Il est diplm de lcole des fabricants de yaourt dAndrinople. Jirai demain lui acheter une grande marmite de yaourt roumain folklorique.On na pas souvent des choses pareilles ici, dans les environs de Londres. M. SMITH, (continuant sa lecture, fait claquer sa langue.) Mme. SMITHLe yaourt est excellent pour lestomac, les reins, lappendicit e et lapothose. Cest ce que ma dit le docteur Mackenzie-King qui soigne lesenfants de nos voisins, les Johns. Cest un bon mdecin. On peut avoir confiance en lui. Il ne recommande jamais dautres mdicaments queceux dont il a fait lexprience sur lui-mme. Avant de faire oprer Parker, cest lui dabord qui sest fait oprer du foie, sans tre aucunement

  • malade. M. SMITHMais alors comment se fait-il que le docteur sen soit tir et que Parker en soit mort ? Mme SMITHParce que lopration a russi chez le docteur et na pas russi chez Parker. M. SMITHAlors Mackenzie nest pas un bon docteur. Lopration aurait d russir chez tous les deux ou alors tous les deux auraient d succomber. Mme. SMITHPourquoi ? M. SMITHUn mdecin consciencieux doit mourir avec le malade sils ne peuvent pas gurir ensemble. Le commandant dun bateau prit avec le bateau,dans les vagues. Il ne lui survit pas. Mme. SMITHOn ne peut comparer un malade un bateau. M. SMITHPourquoi pas ? Le bateau a aussi ses maladies ; dailleurs ton docteur est aussi sain quun vaisseau ; voil pourquoi encore il devait prir enmme temps que le malade comme le docteur et son bateau. Mme. SMITHAh ! Je ny avais pas pens Cest peut-tre juste et alors, quelle conclusion en tires-tu ? M. SMITHCest que tous les docteurs ne sont que des charlatans. Et tous les malades aussi.Seule la marine est honnte en Angleterre. Mme. SMITHMais pas les marins. M. SMITHNaturellement. Pause. M. SMITH, (toujours avec son journal.)Il y a une chose que je ne comprends pas. Pourquoi la rubrique de ltat civil, dans le journal, donne-t-on toujours lge des personnesdcdes et jamais celui des nouveau-ns ? Cest un non-sens. Mme. SMITHJe ne me le suis jamais demand ! Un autre moment de silence. La pendule sonne sept fois. Silence. La pendule sonne trois fois. Silence. La pendule ne sonne aucune fois. M. SMITH, (toujours dans son journal.)Tiens, cest crit que Bobby Watson est mort. Mme. SMITHMon Dieu, le pauvre, quand est-ce quil est mort ? M. SMITHPourquoi prends-tu cet air tonn ? Tu le savais bien. Il est mort il y a deux ans. Tu te rappelles, on a t son enterrement, il y a un an etdemi. Mme. SMITHBien sr que je me rappelle. Je me suis rappel tout de suite, mais je ne comprends pas pourquoi toi-mme tu as t si tonn de voir a surle journal. M. SMITHa ny tait pas sur le journal. Il y a dj trois ans quon a parl de son dcs. Je men suis souvenu par associations dides ! Mme. SMITHDommage ! Il tait si bien conserv. M. SMITHCtait le plus joli cadavre de Grande-Bretagne ! Il ne paraissait pas son ge. Pauvre Bobby, il y avait quatre ans quil tait mort et il tait

  • encore chaud. Un vritable cadavre vivant. Et comme il tait gai ! Mme. SMITHLa pauvre Bobby. M. SMITHTu veux dire le pauvre Bobby. Mme. SMITHNon, cest sa femme que je pense. Elle sappelait comme lui, Bobby , Bobby Watson. Comme ils avaient le mme nom, on ne pouvait pas lesdistinguer lun de lautre quand on les voyait ensemble. Ce nest quaprs sa mort lui, quon a pu vraiment savoir qui tait lun et qui taitlautre. Pourtant, aujourdhui encore, il y a des gens qui la confondent avec le mort et lui prsentent des condolances. Tu la connais ? M. SMITHJe ne lai vue quune fois, par hasard, lenterrement de Bobby. Mme. SMITHJe ne lai jamais vue. Est-ce quelle est belle ? M. SMITHElle a des traits rguliers et pourtant on ne peut pas dire quelle est belle. Elle est trop grande et trop forte. Ses traits ne sont pas rguliers etpourtant on peut dire quelle est trs belle. Elle est un peu trop petite et trop maigre. Elle est professeur de chant. La pendule sonne cinq fois. Un long temps. Mme. SMITHEt quand pensent-ils se marier, tous les deux ? M. SMITHLe printemps prochain, au plus tard. Mme. SMITHIl faudra sans doute aller leur mariage. M. SMITHIl faudra leur faire un cadeau de noces. Je me demande lequel ? Mme. SMITHPourquoi ne leur offririons-nous pas un des sept plateaux dargent dont on nous a fait don notre mariage nous et qui ne nous ont jamaisservi rien ? Court silence. La pendule sonne deux fois. Mme. SMITHCest triste pour elle dtre demeure veuve si jeune. M. SMITHHeureusement quils nont pas eu denfants. Mme. SMITHIl ne leur manquait plus que cela ! Des enfants ! Pauvre femme, quest-ce quelle en aurait fait ! M. SMITHElle est encore jeune. Elle peut trs bien se remarier. Le deuil lui va si bien. Mme. SMITHMais qui prendra soin des enfants ? Tu sais bien quils ont un garon et une fille. Comment sappellent-ils ? M. SMITHBobby et Bobby comme leurs parents. Loncle de Bobby Watson, le vieux Bobby Watson est riche et il aime le garon. Il pourrait trs bien secharger de lducation de Bobby. Mme. SMITHCe serait naturel. Et la tante de Bobby Watson, la vieille Bobby Watson pourrait trs bien, son tour, se charger de lducation de BobbyWatson, la fille de Bobby Watson. Comme a, la maman de Bobby Watson, Bobby, pourrait se remarier. Elle a quelquun en vue ? M. SMITHOui, un cousin de Bobby Watson. Mme. SMITH

  • Qui ? Bobby Watson ? M. SMITHDe quel Bobby Watson parles-tu ? Mme. SMITHDe Bobby Watson, le fils du vieux Bobby Watson lautre oncle de Bobby Watson, le mort. M. SMITHNon, ce nest pas celui-l, cest un autre. Cest Bobby Watson, le fils de la vieilleBobby Watson la tante de Bobby Watson, le mort. Mme. SMITHTu veux parler de Bobby Watson, le commis-voyageur ? M. SMITHTous les Bobby Watson sont commis-voyageurs. Mme. SMITHQuel dur mtier ! Pourtant, on y fait de bonnes affaires. M. SMITHOui, quand il ny a pas de concurrence. Mme. SMITHEt quand ny a-t-il pas de concurrence ? M. SMITHLe mardi, le jeudi et le mardi. Mme. SMITHAh ! trois jours par semaine ? Et que fait Bobby Watson pendant ce temps-l ? M. SMITHIl se repose, il dort. Mme. SMITHMais pourquoi ne travaille-t-il pas pendant ces trois jours sil ny a pas de concurrence ? M. SMITHJe ne peux pas tout savoir. Je ne peux pas rpondre toutes tes questions idiotes ! Mme SMITH, (offense.)Tu dis a pour mhumilier ? M. SMITH, (tout souriant.)Tu sais bien que non. Mme. SMITHLes hommes sont tous pareils ! Vous restez l, toute la journe, la cigarette la bouche ou bien vous vous mettez de la poudre et vous fardez voslvres, cinquante fois par jour, si vous ntes pas en train de boire sans arrt ! M. SMITHMais quest-ce que tu dirais si tu voyais les hommes faire comme les femmes, fumer toute la journe, se poudrer, se mettre du rouge auxlvres, boire du whisky ? Mme. SMITHQuant moi, je men fiche ! Mais si tu dis a pour membter, alors je naime pas ce genre de plaisanterie, tu le sais bien ! Elle jette les chaussettes trs loin et montre ses dents1. Elle se lve. M. SMITH, (se lve son tour et va vers sa femme, tendrement.)Oh ! mon petit poulet rti, pourquoi craches-tu du feu ! tu sais bien que je dis a pour rire ! (Il la prend par la taille et lembrasse.) Quel ridiculecouple de vieux amoureux nous faisons ! Viens, nous allons teindre et nous allons faire dodo !

    SCNE II

  • LES MMES ET MARY MARY, (entrant.)Je suis la bonne. Jai pass un aprs-midi trs agrable. Jai t au cinma avec un homme et jai vu un film avec des femmes. la sortie ducinma, nous sommes alls boire de leau-de-vie et du lait et puis on a lu le journal. Mme. SMITHJespre que vous avez pass un aprs-midi trs agrable, que vous tes alle au cinma avec un homme et que vous avez bu de leau-de-vieet du lait. M. SMITHEt le journal ! MARYMme et M. MARTIN, vos invits, sont la porte. Ils mattendaient. Ils nosaient pas entrer tout seuls. Ils devaient dner avec vous, ce soir. Mme. SMITHAh oui. Nous les attendions. Et on avait faim. Comme on ne les voyait plus venir, on allait manger sans eux. On na rien mang, de toute lajourne. Vous nauriez pas d vous absenter ! MARYCest vous qui mavez donn la permission. M. SMITHOn ne la pas fait exprs ! Mary clate de rire. Puis, elle pleure. Elle sourit. MARYJe me suis achet un pot de chambre. Mme. SMITHMa chre Mary, veuillez ouvrir la porte et faites entrer M. et Mme MARTIN, sil vous plat. Nous allons vite nous habiller. Mme et M. SMITH sortent droite. Mary ouvre la porte gauche par laquelle entrent M. et Mme MARTIN.

    SCNE III

    MARY, LES POUX MARTIN MARYPourquoi tes-vous venus si tard ! Vous ntes pas polis. Il faut venir lheure. Compris ? asseyez-vous quand mme l, et attendez,maintenant.Elle sort.

    SCNE IV

    LES MMES, MOINS MARY Mme et M. MARTIN sassoient lun en face de lautre, sans se parler. Ils se sourient, avec timidit. M. MARTIN (le dialogue qui suit doit tre dit dune voix tranante, monotone, un peu chantante, nullement nuance)2.Mes excuses. Madame, mais il me semble, si je ne me trompe, que je vous ai dj rencontre quelque part. Mme. MARTIN moi aussi, Monsieur, il me semble que je vous ai dj rencontr quelque part. M. MARTINNe vous aurais-je pas dj aperue, Madame, Manchester, par hasard ?

  • Mme. MARTINCest trs possible. Moi, je suis originaire de la ville de Manchester ! Mais je ne me souviens pas trs bien, Monsieur, je ne pourrais pas dire si jevous y ai aperu, ou non ! M. MARTINMon Dieu, comme cest curieux ! Moi aussi je suis originaire de la ville de Manchester, Madame ! Mme. MARTINComme cest curieux ! M. MARTINComme cest curieux ! Seulement, moi, Madame, jai quitt la ville de Manchester, il y a cinq semaines, environ3. Mme. MARTINComme cest curieux ! quelle bizarre concidence ! Moi aussi, Monsieur, jai quitt la ville de Manchester, il y a cinq semaines, environ. M. MARTINJai pris le train dune demie aprs huit le matin, qui arrive Londres un quart avant cinq, Madame. Mme. MARTINComme cest curieux ! comme cest bizarre ! et quelle concidence ! Jai pris le mme train, Monsieur, moi aussi ! M. MARTINMon Dieu, comme cest curieux ! peut-tre bien alors, Madame, que je vous ai vue dans le train ? Mme. MARTINCest bien possible, ce nest pas exclu, cest plausible et, aprs tout, pourquoi pas !Mais je nen ai aucun souvenir, Monsieur ! M. MARTINJe voyageais en deuxime classe, Madame. Il ny a pas de deuxime classe en Angleterre, mais je voyage quand mme en deuxime classe. Mme. MARTINComme cest bizarre, que cest curieux, et quelle concidence ! moi aussi. Monsieur, je voyageais en deuxime classe ! M. MARTINComme cest curieux ! Nous nous sommes peut-tre bien rencontrs en deuxime classe, chre Madame ! Mme. MARTINLa chose est bien possible et ce nest pas du tout exclu. Mais je ne men souviens pas trs bien, cher Monsieur ! M. MARTINMa place tait dans le wagon n 8, sixime compartiment, Madame ! Mme. MARTINComme cest curieux ! ma place aussi tait dans le wagon n 8, sixime compartiment, cher Monsieur ! M. MARTINComme cest curieux et quelle concidence bizarre ! Peut-tre nous sommes-nous rencontrs dans le sixime compartiment, chre Madame ? Mme. MARTINCest bien possible, aprs tout ! Mais je ne men souviens pas, cher Monsieur ! M. MARTIN vrai dire, chre Madame, moi non plus je ne men souviens pas, mais il est possible que nous nous soyons aperus l, et si jy pense bien, lachose me semble mme trs possible ! Mme. MARTINOh ! vraiment, bien sr, vraiment, Monsieur ! M. MARTINComme cest curieux ! Javais la place n 3, prs de la fentre, chre Madame. Mme. MARTINOh, mon Dieu, comme cest curieux et comme cest bizarre, javais la place n 6, prs de la fentre, en face de vous, cher Monsieur. M. MARTINOh, mon Dieu, comme cest curieux et quelle concidence ! Nous tions donc vis--vis, chre Madame ! Cest l que nous avons d nousvoir !

  • Mme. MARTINComme cest curieux ! Cest possible mais je ne men souviens pas, Monsieur ! M. MARTIN vrai dire, chre Madame, moi non plus je ne men souviens pas. Cependant, il est trs possible que nous nous soyons vus cette occasion. Mme. MARTINCest vrai, mais je nen suis pas sre du tout, Monsieur. M. MARTINCe ntait pas vous, chre Madame, la dame qui mavait pri de mettre sa valise dans le filet et qui ensuite ma remerci e t ma permis defumer ? Mme. MARTINMais si, a devait tre moi, Monsieur ! Comme cest curieux, comme cest curieux, et quelle concidence ! M. MARTINComme cest curieux, comme cest bizarre, quelle concidence ! Eh bien alors, alors, nous nous sommes peut-tre connus ce moment-l,Madame ? Mme. MARTINComme cest curieux et quelle concidence ! cest bien possible, cher Monsieur ! Cependant, je ne crois pas men souvenir. M. MARTINMoi non plus, Madame. Un moment de silence. La pendule sonne 2 1. M. MARTINDepuis que je suis arriv Londres, jhabite rue Bromfield, chre Madame. Mme MARTINComme cest curieux, comme cest bizarre ! moi aussi, depuis mon arrive Londres jhabite rue Bromfield, cher Monsieur. M. MARTINComme cest curieux, mais alors, mais alors, nous nous sommes peut-tre rencontrs rue Bromfield, chre Madame. Mme. MARTINComme cest curieux ; comme cest bizarre ! cest bien possible, aprs tout ! Mais je ne men souviens pas, cher Monsieur. M. MARTINJe demeure au n 19, chre Madame. Mme. MARTINComme cest curieux, moi aussi jhabite au n 19, cher Monsieur. M. MARTINMais alors, mais alors, mais alors, mais alors, mais alors, nous nous sommes peut- tre vus dans cette maison, chre Madame ? Mme. MARTINCest bien possible, mais je ne men souviens pas, cher Monsieur. M. MARTINMon appartement est au cinquime tage, cest le n 8, chre Madame. Mme. MARTINComme cest curieux, mon Dieu, comme cest bizarre ! et quelle concidence ! moi aussi jhabite au cinquime tage, dans lappartement n 8,cher Monsieur ! M. MARTIN, (songeur.)Comme cest curieux, comme cest curieux, comme cest curieux et quelle concidence ! Vous savez, dans ma chambre coucher jai un lit . Monlit est couv ert dun dredon vert. Cette chambre, avec ce lit et son dredon vert, se trouve au fond du corridor, entre les water et labibliothque, chre Madame ! Mme. MARTINQuelle concidence, ah mon Dieu, quelle concidence ! Ma chambre coucher a, elle aussi, un lit avec un dredon vert et se trouve au fond ducorridor, entre les water, cher Monsieur, et la bibliothque ! M. MARTIN

  • Comme cest bizarre, curieux, trange ! alors, Madame, nous habitons dans la mme chambre et nous dormons dans le mme lit, chreMadame. Cest peut-tre l que nous nous sommes rencontrs ! Mme. MARTINComme cest curieux et quelle concidence ! Cest bien possible que nous nous y soyons rencontrs, et peut-tre mme la nuit dernire. Mais jene men souviens pas, cher Monsieur ! M. MARTINJai une petite fille, ma petite fille, elle habite avec moi, chre Madame. Elle a deux ans, elle est blonde, elle a un il blanc et un il rouge,elle est trs jolie, elle sappelle Alice, chre Madame. Mme. MARTINQuelle bizarre concidence ! moi aussi jai une petite fille, elle a deux ans, un il blanc et un il rouge, elle est trs jolie et sappelle aussi Alice,cher Monsieur ! M. MARTIN, mme voix tranante, monotone.Comme cest curieux et quelle concidence ! et bizarre ! cest peut-tre la mme, chre Madame ! Mme. MARTINComme cest curieux ! cest bien possible cher Monsieur. Un assez long moment de silence La pendule sonne vingt-neuf fois. M. MARTIN, aprs avoir longuement rflchi, se lve lentement et sans se presser, se dirige vers Mme MARTIN qui, surprise par lairsolennel de M. MARTIN, sest leve, elle aussi, tout doucement ; M. MARTIN, ( la mme voix rare, monotone, vaguement chantante.) Alors, chre Madame, je crois quil ny a pas de doute, nous nous sommes dj vus et vous tes ma propre pouse Elisabeth, je tai retrouve ! Mme MARTIN sapproche de M. MARTIN sans se presser. Ils sembrassent sans expression. La pendule sonne une fois, trs fort. Le coup dela pendule doit tre si fort quil doit faire sursauter les spectateurs. Les poux MARTIN ne lentendent pas. Mme. MARTINDonald, cest toi, darling ! Ils sassoient dans le mme fauteuil, se tiennent embrasss et sendorment. La pendule sonne encore plusieurs fois. Mary, sur la pointe despieds, un doigt sur ses lvres, entre doucement en scne et sadresse au public.

    SCNE V

    LES MMES ET MARY MARYElisabeth et Donald sont, maintenant, trop heureux pour pouvoir mentendre. Je puis donc vou s rvler un secret. Elisabeth nest pasElisabeth, Donald nest pas Donald. En voici la preuve : lenfant dont parle Donald nest pas la fille dElisabeth, ce nest pas la mme personne.La fillette de Donald a un il blanc et un autre rouge tout comme la fillette dElisabeth. Mais tandis que lenfant de Donald a lil blanc droiteet lil rouge gauche, lenfant dElisabeth, lui, a lil rouge droite et le blanc gauche ! Ainsi tout le systme dargumentation de Donaldscroule en se heurtant ce dernier obstacle qui anantit toute sa thorie. Malgr les concidences extraordinaires qui semblent tre despreuves dfinitives, Donald et Elisabeth ntant pas les parents du mme enfant ne sont pas Donald et Elisabeth. Il a beau croire quil estDonald, elle a beau se croire Elisabeth. Il a beau croire quelle est Elisabeth. Elle a beau croire quil est Donald : ils se trompent amrement.Mais qu i est le vritable Donald ? Quelle est la vritable Elisabeth ? Qui donc a intrt faire durer cette confusion ? Je nen sais rien. Netchons pas de le savoir. Laissons les choses comme elles sont. (Elle fait quelques pas vers la porte, puis revient et sadresse au public.)Mon vrai nom est Sherlock Holmes. Elle sort.

    SCNE VI

    LES MMES SANS MARY

  • La pendule sonne tant quelle veut. Aprs de nombreux instants, Mme et M. MARTIN se sparent et reprennent les places quils avaient audbut. M. MARTINOublions, darling, tout ce qui ne sest pas pass entre nous et, maintenant que nous nous sommes retrouvs, tchons de ne plus nous perdre etvivons comme avant. Mme. MARTIN Oui, darling.

    SCNE VII

    LES MMES ET LES SMITH Mme et M. SMITH entrent droite, sans aucun changement dans leursvtements. Mme. SMITHBonsoir, chers amis ! Excusez-nous de vous avoir fait attendre si longtemps. Nous avons pens quon devait vous rendre les honneurs auxquelsvous avez droit et, ds que nous avons appris que vous vouliez bien nous faire le plaisir de venir nous voir sans annoncer votre visite, nous noussommes dpchs daller revtir nos habits de gala. M. SMITH, (furieux.)Nous navons rien mang toute la journe. Il y a quatre heures que nous vous attendons. Pourquoi tes-vous venus en retard ? Mme et M. SMITH sassoient en face des visiteurs. La pendule souligne les rpliques, avec plus ou moins de force, selon le cas.Les MARTIN, elle surtout, ont lair embarrass et timide. Cest pourquoi la conversation samorce difficilement e t les mots viennent, audbut, avec peine. Un long silence gn au dbut, puis dautres silences et hsitations par la suite. M. SMITHHm.Silence. Mme SMITHHm, hm.Silence. Mme. MARTINHm, hm, hm.Silence. M. MARTINHm, hm, hm, hm.Silence. Mme. MARTINOh, dcidment.Silence. M. MARTINNous sommes tous enrhums. M. SMITHPourtant il ne fait pas froid. Mme. SMITHIl ny a pas de courant dair. M. MARTINOh non, heureusement.Silence.Silence.Silence. Silence.

  • M. SMITHAh, la la la la.Silence. M. MARTINVous avez du chagrin ?Silence. Mme. SMITHNon. Il semmerde.Silence. Mme. MARTINOh, Monsieur, votre ge, vous ne devriez pas.Silence. M. SMITHLe cur na pas dge.Silence. M. MARTINCest vrai.Silence. Mme. SMITHOn le dit.Silence. Mme. MARTINOn dit aussi le contraire.Silence. M. SMITHLa vrit est entre les deux.Silence. M. MARTINCest juste.Silence. Mme SMITH, (aux poux MARTIN.)Vous qui voyagez beaucoup, vous devriez pourtant avoir des choses intressantes nous raconter. M. MARTIN, ( sa femme.)Dis, chrie, quest-ce que tu as vu aujourdhui ? Mme. MARTINCe nest pas la peine, on ne me croirait pas. M. SMITHNous nallons pas mettre en doute votre bonne foi ! Mme. SMITHVous nous offenseriez si vous le pensiez. M. MARTIN, ( sa femme.)Tu les offenserais, chrie, si tu le pensais Mme MARTIN, (gracieuse.)Eh bien, jai assist aujourdhui une chose extraordinaire. Une chose incroyable. M. MARTINDis vite, chrie. M. SMITHAh, on va samuser. Mme. SMITHEnfin.

  • Mme. MARTINEh bien, aujourdhui, en allant au march pour acheter des lgumes qui sont de plus en plus chers Mme. SMITHQuest-ce que a va devenir ! M. SMITHIl ne faut pas interrompre, chrie, vilaine. Mme. MARTINJai vu, dans la rue, ct dun caf, un Monsieur, convenablement vtu, g dune cinquantaine dannes, mme pas, qui M. SMITHQui, quoi ? Mme. SMITHQui, quoi ? M. SMITH, ( sa femme.)Faut pas interrompre, chrie, tu es dgotante. Mme. SMITHChri, cest toi, qui as interrompu le premier, mufle. M. MARTINChut. ( sa femme.) Quest-ce quil faisait, le Monsieur ? Mme. MARTINEh bien, vous allez dire que jinvente, il avait mis un genou par terre et se tenait pench. M. MARTIN, M. SMITH, Mme. SMITHOh ! Mme. MARTINOui, pench. M. SMITHPas possible. Mme. MARTINSi, pench. Je me suis approche de lui pour voir ce quil faisait M. SMITHEh bien ? Mme. MARTINIl nouait les lacets de sa chaussure qui staient dfaits. LES TROIS AUTRESFantastique ! M. SMITHSi ce ntait pas vous, je ne le croirais pas. M. MARTINPourquoi pas ? On voit des choses encore plus extraordinaires, quand on circule. Ainsi, aujourdhui moi-mme, jai vu dans le mtro, assis surune banquette, un monsieur qui lisait tranquillement son journal. Mme. SMITHQuel original ! M. SMITHCtait peut-tre le mme ! On entend sonner la porte dentre. M. SMITHTiens, on sonne. Mme. SMITHIl doit y avoir quelquun. Je vais voir. (Elle va voir. Elle ouvre et revient.) Personne.

  • Elle se rassoit. M. MARTINJe vais vous donner un autre exempleSonnette. M. SMITHTiens, on sonne. Mme. SMITHa doit tre quelquun. Je vais voir. (Elle va voir. Elle ouvre et revient.) Personne.Elle revient sa place. M. MARTIN, (qui a oubli o il en est.)Euh ! Mme. MARTINTu disais que tu allais donner un autre exemple. M. MARTIN Ah ouiSonnette. M. SMITHTiens, on sonne. Mme. SMITHJe ne vais plus ouvrir. M. SMITHOui, mais il doit y avoir quelquun ! Mme. SMITHLa premire fois, il ny avait personne. La deuxime fois, non plus. Pourquoi crois-tu quil y aura quelquun maintenant ? M. SMITHParce quon a sonn ! Mme. MARTINCe nest pas une raison. M. MARTINComment ? Quand on entend sonner la porte, cest quil y a quelquun la porte, qui sonne pour quon lui ouvre la porte. Mme. MARTINPas toujours. Vous avez vu tout lheure ! M. MARTINLa plupart du temps, si. M. SMITHMoi, quand je vais chez quelquun, je sonne pour entrer. Je pense que tout le monde fait pareil et que chaque fois quon sonne cest quil y aquelquun. Mme SMITHCela est vrai en thorie. Mais dans la ralit les choses se passent autrement. Tu as bien vu tout lheure. Mme. MARTINVotre femme a raison. M. MARTINOh ! vous, les femmes, vous vous dfendez toujours lune lautre. Mme. SMITHEh bien, je vais aller voir. Tu ne diras pas que je suis entte, mais tu verras quil ny a personne ! (Elle va voir. Elle ouvre la port e et lareferme.)Tu vois, il ny a personne.Elle revient sa place. Mme. SMITHAh ! ces hommes qui veulent toujours avoir raison et qui ont toujours tort !

  • On entend de nouveau sonner. M. SMITHTiens, on sonne. Il doit y avoir quelquun. Mme SMITH, (qui fait une crise de colre.)Ne menvoie plus ouvrir la porte. Tu as vu que ctait inutile. Lexprience nous apprend que lorsquon entend sonner la porte, cest quilny a jamais personne. Mme. MARTINJamais. M. MARTINCe nest pas sr. M. SMITHCest mme faux. La plupart du temps, quand on entend sonner la porte, cest quil y a quelquun. Mme. SMITHIl ne veut pas en dmordre. Mme. MARTINMon mari aussi est trs ttu. M. SMITHIl y a quelquun. M. MARTINCe nest pas impossible. Mme SMITH, ( son mari.)Non. M. SMITHSi. Mme. SMITHJe te dis que non. En tout cas, tu ne me drangeras plus pour rien. Si tu veux aller voir, vas-y toi-mme ! M. SMITHJy vais. Mme SMITH (hausse les paules.) Mme MARTIN (hoche la tte.) M. SMITH, (va ouvrir.)Ah ! how do you do ! (Il jette un regard Mme SMITH et aux poux MARTIN qui sont tous surpris.) Cest le Capitaine des Pompiers !

    SCNE VIII

    LES MMES, LE CAPITAINE DES POMPIERS LE POMPIER (Il a, bien entendu, un norme casque qui brille et un uniforme).Bonjour, Mesdames et Messieurs. (Les gens sont encore un peu tonns. Mme SMITH, fche, tourne la tte et ne rpond pas son salut.)Bonjour, Madame SMITH. Vous avez lair fch. Mme SMITHOh ! M. SMITHCest que, voyez-vous ma femme est un peu humilie de ne pas avoir eu raison. M. MARTIN

  • Il y a eu, Monsieur le Capitaine des Pompiers, une controverse entre Madame et Monsieur SMITH. Mme SMITH, ( M. MARTIN.)a ne vous regarde pas ! ( M. SMITH.) Je te prie de ne pas mler les trangers nos querelles familiales. M. SMITHOh, chrie, ce nest pas bien grave. Le Capitaine est un vieil ami de la maison. Sa mre me faisait la cour, son pre, je le connaissais. Il mavaitdemand de lui donner ma fille en mariage quand jen aurais une. Il est mort en attendant. M. MARTINCe nest ni sa faute lui ni la vtre. LE POMPIEREnfin, de quoi sagit-il ? Mme. SMITHMon mari prtendait M. SMITHNon, cest toi qui prtendais. M. MARTINOui, cest elle. Mme. MARTINNon, cest lui. LE POMPIERNe vous nervez pas. Racontez-moi a, Madame SMITH. Mme. SMITHEh bien, voil. a me gne beaucoup de vous parler franchement, mais un pompier est aussi un confesseur. LE POMPIEREh bien ? Mme. SMITHOn se disputait parce que mon mari disait que lorsquon entend sonner la porte, il y a toujours quelquun. M. MARTINLa chose est plausible. Mme. SMITHEt moi, je disais que chaque fois que lon sonne, cest quil ny a personne. Mme. MARTINLa chose peut paratre trange. Mme. SMITHMais elle est prouve, non point par des dmonstrations thoriques, mais par des faits. M. SMITHCest faux, puisque le pompier est l. Il a sonn, jai ouvert, il tait l. Mme. MARTINQuand ? M. MARTINMais tout de suite. Mme. SMITHOui, mais ce nest quaprs avoir entendu sonner une quatrime fois que lon a trouv quelquun. Et la quatrime fois ne compte pas. Mme. MARTINToujours. Il ny a que les trois premires qui comptent. M. SMITHMonsieur le Capitaine, laissez-moi vous poser, mon tour, quelques questions. LE POMPIER

  • Allez-y. M. SMITHQuand jai ouvert et que je vous ai vu, ctait bien vous qui aviez sonn ? LE POMPIEROui, ctait moi. M. MARTINVous tiez la porte ? Vous sonniez pour entrer ? LE POMPIERJe ne le nie pas. M. SMITH, ( sa femme, victorieusement.)Tu vois ? javais raison. Quand on entend sonner, cest que quelquun sonne. Tu ne peux pas dire que le Capitaine nest pas quelquun. Mme. SMITHCertainement pas. Je te rpte que je te parle seulement des trois premires fois puisque la quatrime ne compte pas. Mme. MARTINEt quand on a sonn la premire fois, ctait vous ? LE POMPIERNon, ce ntait pas moi. Mme. MARTINVous voyez ? On sonnait et il ny avait personne. M. MARTINCtait peut-tre quelquun dautre ? M. SMITHIl y avait longtemps que vous tiez la porte ? LE POMPIERTrois quarts dheure. M. SMITHEt vous navez vu personne ? LE POMPIERPersonne. Jen suis sr. Mme. MARTINEst-ce que vous avez entendu sonner la deuxime fois ? LE POMPIEROui, ce ntait pas moi non plus. Et il ny avait toujours personne. Mme. SMITHVictoire ! Jai eu raison. M. SMITH, ( sa femme.)Pas si vite. (Au Pompier.) Et quest-ce que vous faisiez la porte ? LE POMPIERRien. Je restais l. Je pensais des tas de choses. M. MARTIN, (au pompier.)Mais la troisime fois ce nest pas vous qui aviez sonn ? LE POMPIERSi, ctait moi. M. SMITHMais quand on a ouvert, on ne vous a pas vu. LE POMPIERCest parce que je me suis cach pour rire.

  • Mme. SMITHNe riez pas, Monsieur le Capitaine. Laffaire est trop triste. M. MARTINEn somme, nous ne savons toujours pas si, lorsquon sonne la porte, il y a quelquun ou non ! Mme. SMITHJamais personne. M. SMITHToujours quelquun. LE POMPIERJe vais vous mettre daccord. Vous avez un peu raison tous les deux. Lorsquon sonne la porte, des fois il y a quelquun, dautres fois il ny apersonne. M. MARTINa me parat logique. Mme. MARTINJe le crois aussi. LE POMPIERLes choses sont simples, en ralit. (Aux poux SMITH.) Embrassez-vous. Mme. SMITHOn sest dj embrass tout lheure. M. MARTINIls sembrasseront demain. Ils ont tout le temps. Mme. SMITHMonsieur le Capitaine, puisque vous nous avez aids mettre tout cela au clair, mettez-vous laise, enlevez votre casque et asseyez-vous uninstant. LE POMPIERExcusez-moi, mais je ne peux pas rester longtemps. Je veux bien enlever mon casque, mais je nai pas le temps de masseoir. (Il sassoit,sans enlever son casque.) Je vous avoue que je suis venu chez vous pour tout fait autre chose. Je suis en mission de service. Mme. SMITHEt quest-ce quil y a pour votre service, Monsieur le Capitaine ? LE POMPIERJe vais vous prier de vouloir bien excuser mon indiscrtion (trs embarrass) ; euh (il montre du doigt les poux MARTIN) puis-je devanteux Mme. MARTINNe vous gnez pas. M. MARTINNous sommes de vieux amis. Ils nous racontent tout. M. SMITHDites. LE POMPIEREh bien, voil. Est-ce quil y a le feu chez vous ? Mme. SMITHPourquoi nous demandez-vous a ? LE POMPIERCest parce que excusez-moi, jai lordre dteindre tous les incendies dans la ville. Mme. MARTINTous ? LE POMPIEROui, tous. Mme SMITH, (confuse.)

  • Je ne sais pas je ne crois pas, voulez-vous que jaille voir ? M. SMITH, (reniflant.)Il ne doit rien y avoir. a ne sent pas le roussi.4 LE POMPIER, (dsol.)Rien du tout ? Vous nauriez pas un petit feu de chemine, quelque chose qui brle dans le grenier ou dans la cave ? Un petit dbut dincendie,au moins ? Mme. SMITHcoutez, je ne veux pas vous faire de la peine mais je pense quil ny a rien chez nous pour le moment. Je vous promets de vous avertir dsquil y aura quelque chose. LE POMPIERNy manquez pas, vous me rendriez service. Mme. SMITHCest promis. LE POMPIER, (aux poux MARTIN.)Et chez vous, a ne brle pas non plus ? Mme. MARTINNon, malheureusement. M. MARTIN, (au Pompier.)Les affaires vont plutt mal, en ce moment ! LE POMPIERTrs mal. Il ny a presque rien, quelques bricoles, une chemine, une grange. Rien de srieux. a ne rapporte pas. Et comme il ny a pas derendement, la prime la production est trs maigre. M. SMITHRien ne va. Cest partout pareil. Le commerce, lagriculture, cette anne cest comme pour le feu, a ne marche pas. M. MARTINPas de bl, pas de feu. LE POMPIERPas dinondation non plus. Mme. SMITHMais il y a du sucre. M. SMITHCest parce quon le fait venir de ltranger. Mme. MARTINPour les incendies, cest plus difficile. Trop de taxes ! LE POMPIERIl y a tout de mme, mais cest assez rare aussi, une asphyxie au gaz, ou deux. Ainsi, une jeune femme sest asphyxie, la semaine dernire, elleavait laiss le gaz ouvert. Mme. MARTINElle lavait oubli ? LE POMPIERNon, mais elle a cru que ctait son peigne. M. SMITHCes confusions sont toujours dangereuses ! Mme. SMITHEst-ce que vous tes all voir chez le marchand dallumettes ? LE POMPIERRien faire. Il est assur contre lincendie. M. MARTIN

  • Allez donc voir, de ma part, le vicaire de Wakefield ! LE POMPIERJe nai pas le droit dteindre le feu chez les prtres. LEvque se fcherait. Ils teignent leurs feux tout seuls ou bien ils le font teindre par desvestales. M. SMITHEssayez voir chez Durand. LE POMPIERJe ne peux pas non plus. Il nest pas Anglais. Il est naturalis seulement. Les naturaliss ont le droit davoir des maisons mais pas celui de lesfaire teindre si elles brlent. Mme SMITHPourtant, quand le feu sy est mis lanne dernire, on la bien teint quand mme ! LE POMPIERIl a fait a tout seul. Clandestinement. Oh, cest pas moi qui irais le dnoncer. M. SMITHMoi non plus. Mme. SMITHPuisque vous ntes pas trop press, Monsieur le Capitaine, restez encore un peu. Vous nous feriez plaisir. LE POMPIERVoulez-vous que je vous raconte des anecdotes ? Mme. SMITHOh, bien sr, vous tes charmant. (Elle lembrasse.) M. SMITH, Mme. MARTIN, M. MARTINOui, oui, des anecdotes, bravo !(Ils applaudissent.) M. SMITHEt ce qui est encore plus intressant, cest que les histoires de pompier sont vraies, toutes, et vcues. LE POMPIERJe parle de choses que jai exprimentes moi-mme. La nature, rien que la nature. Pas les livres. M. MARTINCest exact, la vrit ne se trouve dailleurs pas dans les livres, mais dans la vie. Mme. SMITHCommencez ! M. MARTINCommencez ! Mme. MARTINSilence, il commence. LE POMPIER, (toussote plusieurs fois.)Excusez-moi, ne me regardez pas comme a. Vous me gnez. Vous savez que je suis timide. Mme SMITHIl est charmant ! Elle lembrasse. LE POMPIERJe vais tcher de commencer quand mme. Mais promettez-moi de ne pas couter. Mme. MARTINMais, si on ncoutait pas, on ne vous entendrait pas. LE POMPIERJe ny avais pas pens ! Mme. SMITHJe vous lavais dit : cest un gosse.

  • M. MARTIN, M. SMITHOh, le cher enfant !(Ils lembrassent.) 5 Mme. MARTINCourage. LE POMPIEREh bien, voil. (Il toussote encore, puis commence dune voix que lmotion fait trembler.) Le Chien e t le buf , fable exprimentale :une fois, un autre buf demandait un autre chien : pourquoi nas-tu pas aval ta trompe ? Pardon, rpondit le chien, cest parce que javaiscru que jtais lphant. Mme. MARTINQuelle est la morale ? LE POMPIERCest vous de la trouver. M. SMITHIl a raison. Mme SMITH, (furieuse.)Une autre. LE POMPIERUn jeune veau avait mang trop de verre pil. En consquence, il fut oblig daccoucher. Il mit au monde une vache.Cependant, comme le veau tait un garon, la vache ne pouvait pas lappeler maman . Elle ne pouvait pas lui dire papa non plus, parceque le veau tait trop petit. Le veau fut alors oblig de se marier avec une personne et la mairie prit alors toutes les mesures dictes par lescirconstances la mode. M. SMITH la mode de Caen. M. MARTINComme les tripes. LE POMPIERVous la connaissiez donc ? Mme. SMITHElle tait dans tous les journaux. Mme. MARTINa sest pass pas loin de chez nous. LE POMPIERJe vais vous en dire une autre. Le Coq. Une fois, un coq voulut faire le chien. Mais il neut pas de chance, car on le reconnut tout de suite. Mme. SMITHPar contre, le chien qui voulut faire le coq na jamais t reconnu. M. SMITHJe vais vous en dire une, mon tour : Le Serpent et le renard. Une fois, un serpent sapprochant dun renard lui dit : Il me semble que jevous connais ! Le renard lui rpondit : Moi aussi. Alors, dit le serpent, donnez-moi de largent. Un renard ne donne pas dargent ,rpondit le rus animal qui, pour schapper, sauta dans une valle profonde pleine de fraisiers et de miel de poule. Le serpent ly attendaitdj, en riant dun rire mphistophlique. Le renard sortit son couteau en hurlant : Je vais tapprendre vivre ! puis senfuit, en tournant ledos. Il neut pas de chance. Le serpent fut plus vif. Dun cou p de poing bien choisi, il frappa le renard en plein front, qui se brisa en millemorceaux, tout en scriant : Non ! Non ! Quatre fois non ! Je ne suis pas ta fille ! Mme. MARTINCest intressant. Mme. SMITHCest pas mal. M. MARTIN (il serre la main M. SMITH).Mes flicitations. LE POMPIER, (jaloux.)Pas fameuse. Et puis, je la connaissais.

  • M. SMITHCest terrible. Mme. SMITHMais a na pas t vrai. Mme. MARTINSi. Malheureusement. M. MARTIN, ( Mme SMITH.)Cest votre tour, Madame. Mme. SMITHJen connais une seule. Je vais vous la dire. Elle sintitule : Le Bouquet. 6 M. SMITHMa femme a toujours t romantique. M. MARTINCest une vritable Anglaise. Mme. SMITHVoil : Une fois, un fianc avait apport un bouquet de fleurs sa fiance qui lui dit merci ; mais avant quelle lui et dit merci, lui, sans dire unseu l mot , lu i prit les fleurs quil lu i avait donnes pou r lu i donner une bonne leon et , lu i disant je les reprends, il lu i dit au revoir en lesreprenant et sloigna par-ci, par-l. M. MARTINOh, charmant ! (Embrasse ou nembrasse pas Mme SMITH.) Mme. MARTINVous avez une femme, Monsieur SMITH, dont tout le monde est jaloux. M. SMITHCest vrai. Ma femme est lintelligence mme. Elle est mme plus intelligente que moi. En tout cas, elle est beaucoup plus fminine. On le dit. Mme SMITH, (au Pompier.)Encore une, Capitaine. LE POMPIEROh non, il est trop tard.M. MARTINDites quand mme. LE POMPIERJe suis trop fatigu. M. SMITHRendez-nous ce service. M. MARTINJe vous en prie. LE POMPIERNon. Mme. MARTINVous avez un cur de glace. Nous sommes sur des charbons ardents. Mme. SMITH, (tombe ses genoux, en sanglotant, ou ne le fait pas.)Je vous en supplie. LE POMPIERSoit. M. SMITH, ( loreille de Mme MARTIN.)Il accepte ! Il va encore nous embter. Mme. MARTINZut. Mme. SMITH

  • Pas de chance. Jai t trop polie. LE POMPIER Le Rhume : Mon beau-frre avait, du ct paternel, un cousin germain dont un oncle maternel avait un beau-pre dont le grand-prepaternel avait pous en secondes noces une jeune indigne dont le frre avait rencontr, dans un de ses voyages, une fille dont il stait priset avec laquelle il eut un fils qui se maria avec une pharmacienne intrpide qui ntait autre que la nice dun quartier-matre inconnu de laMarine britannique et dont le pre adoptif avait une tante parlant couramment lespagnol et qui tait, peut-tre, une des petites-filles duningnieur, mort jeune, petit-fils lui-mme dun propritaire de vignes dont on tirait un vin mdiocre, mais qui avait un petit-cousin, casanier,adjudant, dont le fils avait pous une bien jolie jeune femme, divorce, dont le premier mari tait le fils dun sincre patriote qui avait sulever dans le dsir de faire fortune une de ses filles qui put se marier avec un chasseur qui avait connu Rothschild et dont le frre, aprs avoirchang plusieurs fois de mtier, se maria et eut une fille dont le bisaeul, chtif, portait des lunettes que lui avait donnes un sien cousin, beau-frre dun Portugais, fils naturel dun meunier, pas trop pauvre, dont le frre de lait avait pris pour femme la fille dun ancien mdecin decampagne, lui-mme frre de lait du fils dun laitier, lui-mme fils naturel dun autre mdecin de campagne, mari trois fois de suite dont latroisime femme M. MARTINJai connu cette troisime femme, si je ne me trompe. Elle mangeait du poulet dans un gupier. LE POMPIERCtait pas la mme. Mme. SMITHChut ! LE POMPIERJe dis : dont la troisime femme tait la fille de la meilleure sage-femme de la rgion et qui, veuve de bonne heure M. SMITHComme ma femme. LE POMPIER stait remarie avec un vitrier, plein dentrain, qui avait fait, la fille dun chef de gare, un enfant qui avait su faire son chemin dans la vie Mme. SMITHSon chemin de fer M. MARTINComme aux cartes. LE POMPIEREt avait pous une marchande de neuf saisons, dont le pre avait un frre, maire dune petite ville, qui avait pris pour femme une institutriceblonde dont le cousin, pcheur la ligne M. MARTIN la ligne morte ? LE POMPIER avait pris pour femme une autre institutrice blonde, nomme elle aussi Marie, dont le frre stait mari une autre Marie, toujoursinstitutrice blonde M. SMITHPuisquelle est blonde, elle ne peut tre que Marie. LE POMPIER et dont le pre avait t lev au Canada par une vieille femme qui tait la nice dun cur dont la grand-mre attrapait, parfois, en hiver,comme tout le monde, un rhume. Mme. SMITHCurieuse histoire. Presque incroyable. M. MARTINQuand on senrhume, il faut prendre des rubans. M. SMITHCest une prcaution inutile, mais absolument ncessaire. Mme. MARTINExcusez-moi, Monsieur le Capitaine, mais je nai pas trs bien compris votre histoire. la fin, quand on arrive la grand-mre du prtre, onsemptre.

  • M. SMITHToujours, on semptre entre les pattes du prtre. Mme. SMITHOh oui, Capitaine, recommencez ! tout le monde vous le demande. LE POMPIERAh ! je ne sais pas si je vais pouvoir. Je suis en mission de service. a dpend de lheure quil est. Mme. SMITHNous navons pas lheure, chez nous. LE POMPIERMais la pendule ? M. SMITHElle marche mal. Elle a lesprit de contradiction. Elle indique toujours le contraire de lheure quil est.

    SCNE IX

    LES MMES, AVEC MARY MARYMadame Monsieur Mme. SMITHQue voulez-vous ? M. SMITHQue venez-vous faire ici ? MARYQue Madame et Monsieur mexcusent et ces Dames et Messieurs aussi je voudrais je voudrais mon tour vous dire une anecdote. Mme. MARTINQuest-ce quelle dit ? M. MARTINJe crois que la bonne de nos amis devient folle Elle veut dire elle aussi une anecdote. LE POMPIERPour qui se prend-elle ? (Il la regarde.) Oh ! Mme. SMITHDe quoi vous mlez-vous ? M. SMITHVous tes vraiment dplace, Mary LE POMPIEROh ! mais cest elle ! Pas possible. M. SMITHEt vous ? MARYPas possible ! ici ? Mme. SMITHQuest-ce que a veut dire, tout a ! M. SMITHVous tes amis ?

  • LE POMPIEREt comment donc !(Mary se jette au cou du Pompier.) MARYHeureuse de vous revoir enfin ! M. et Mme SMITHOh ! M. SMITHCest trop fort, ici, chez nous, dans les environs de Londres. Mme. SMITHCe nest pas convenable ! LE POMPIERCest elle qui a teint mes premiers feux. MARYJe suis son petit jet deau. M. MARTINSil en est ainsi chers amis ces sentiments sont explicables, humains,honorables Mme. MARTINTout ce qui est humain est honorable. Mme. SMITHJe naime quand mme pas la voir l parmi nous M. SMITHElle na pas lducation ncessaire LE POMPIEROh, vous avez trop de prjugs. Mme. MARTINMoi je pense quune bonne, en somme, bien que cela ne me regarde pas, nest jamais quune bonne M. MARTINMme si elle peut faire, parfois, un assez bon dtective. LE POMPIERLche-moi. MARYNe vous en faites pas ! Ils ne sont pas si mchants que a. M. SMITHHum hum vous tes attendrissants, tous les deux, mais aussi un peu un peu M. MARTINOui, cest bien le mot. M. SMITH Un peu trop voyants M. MARTINIl y a une pudeur britannique, excusez-moi encore une fois de prciser ma pense, incomprise des trangers, mme spcialistes, grce laquelle, pour mexprimer ainsi enfin, je ne dis pas a pour vous MARYJe voulais vous raconter M. SMITHNe racontez rien MARYOh si !

  • Mme. SMITHAllez, ma petite Mary, allez gentiment la cuisine y lire vos pomes, devant la glace M. MARTINTiens, sans tre bonne, moi aussi je lis des pomes devant la glace. Mme. MARTINCe matin, quand tu tes regard dans la glace tu ne tes pas vu. M. MARTINCest parce que je ntais pas encore l MARYJe pourrais, peut-tre, quand mme vous rciter un petit pome. Mme. SMITHMa petite Mary, vous tes pouvantablement ttue. MARYJe vais vous rciter un pome, alors, cest entendu ? Cest un pome qui sintitule Le Feu en lhonneur du Capitaine.LE FEULes polycandres brillaient dans les boisUne pierre prit feuLe chteau prit feuLa fort prit feuLes hommes prirent feuLes femmes prirent feuLes oiseaux prirent feuLes poissons prirent feuLeau prit feuLe ciel prit feuLa cendre prit feuLa fume prit feuLe feu prit feuTout prit feuPrit feu, prit feu. Elle dit le pome pousse par les SMITH hors de la pice.

    SCNE X

    LES MMES, SANS MARY Mme. MARTINa ma donn froid dans le dos M. MARTINIl y a pourtant une certaine chaleur dans ces vers. LE POMPIERJai trouv a merveilleux. Mme. SMITHTout de mme M. SMITHVous exagrez LE POMPIERcoutez, cest vrai tout a cest trs subjectif mais a cest ma conception du monde. Mon rve. Mon idal et puis a me rappelle que jedois partir. Puisque vous navez pas lheure, moi, dans trois quarts dheure et seize minutes exactement jai un incendie, lautre bou t de laville. Il faut que je me dpche. Bien que ce ne soit pas grand-chose.

  • Mme. SMITHQuest-ce que ce sera ? Un petit feu de chemine ? LE POMPIEROh mme pas. Un feu de paille et une petite brlure destomac. M. SMITHAlors, nous regrettons votre dpart. Mme. SMITHVous avez t trs amusant. Mme. MARTINGrce vous, nous avons pass un vrai quart dheure cartsien. LE POMPIER (se dirige vers la sortie, puis sarrte.) propos, et la Cantatrice chauve ?(Silence gnral, gne.) Mme. SMITHElle se coiffe toujours de la mme faon. LE POMPIERAh ! Alors au revoir, Messieurs, Dames. M. MARTINBonne chance, et bon feu ! LE POMPIEREsprons-le. Pour tout le monde. Le Pompier sen va. Tous le conduisent jusqu la porte et reviennent leurs places.

    SCNE XI

    LES MMES, SANS LE POMPIER Mme. MARTINJe peux acheter un couteau de poche pour mon frre, mais vous ne pouvez acheter lIrlande pour votre grand-pre. M. SMITHOn marche avec les pieds, mais on se rchauffe llectricit ou au charbon. M. MARTINCelui qui vend aujourdhui un buf, demain aura un uf. Mme. SMITHDans la vie, il faut regarder par la fentre. Mme. MARTINOn peut sasseoir sur la chaise, lorsque la chaise nen a pas. M. SMITHIl faut toujours penser tout. M. MARTINLe plafond est en haut, le plancher est en bas. Mme. SMITHQuand je dis oui, cest une faon de parler. Mme. MARTIN

  • chacun son destin. M. SMITHPrenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux ! Mme. SMITHLe matre dcole apprend lire aux enfants, mais la chatte allaite ses petits quand ils sont petits. Mme. MARTINCependant que la vache nous donne ses queues. M. SMITHQuand je suis la campagne, jaime la solitude et le calme. M. MARTINVous ntes pas encore assez vieux pour cela. Mme. SMITHBenjamin Franklin avait raison : vous tes moins tranquille que lui. Mme. MARTINQuels sont les sept jours de la semaine ? M. SMITHMonday, Tuesday, Wednesday, Thursday, Friday, Saturday, Sunday. M. MARTINEdward is a clerk ; his sister Nancy is a typist, and his brother William a shop-assistant. Mme. SMITHDrle de famille ! Mme. MARTINJaime mieux un oiseau dans un champ quune chaussette dans une brouette. M. SMITHPlutt un filet dans un chalet, que du lait dans un palais. M. MARTINLa maison dun Anglais est son vrai palais. Mme SMITHJe ne sais pas assez despagnol pour me faire comprendre. Mme. MARTINJe te donnerai les pantoufles de ma belle-mre si tu me donnes le cercueil de ton mari. M. SMITHJe cherche un prtre monophysite pour le marier avec notre bonne. M. MARTINLe pain est un arbre tandis que le pain est aussi un arbre, et du chne nat un chne, tous les matins laube. Mme SMITHMon oncle vit la campagne mais a ne regarde pas la sage-femme. M. MARTINLe papier cest pour crire, le chat cest pour le rat. Le fromage cest pour griffer. Mme. SMITHLautomobile va trs vite, mais la cuisinire prpare mieux les plats. M. SMITHNe soyez pas dindons, embrassez plutt le conspirateur. M. MARTINCharity begins at home. Mme. SMITHJattends que laqueduc vienne me voir mon moulin.

  • M. MARTINOn peut prouver que le progrs social est bien meilleur avec du sucre. M. SMITH bas le cirage ! la suite de cette dernire rplique de M. SMITH, les autres se taisent un instant, stupfaits. On sent quil y a un certain nervement. Lescoups que frappe la pendule sont plus nerveu x aussi. Les rpliques qu i suiven t doivent tre dites, dabord, sur un ton glacial, hostile.Lhostilit et lnervement iront en grandissant. la fin de cette scne, les quatre personnages devront se trouver debout, tout prs les unsdes autres, criant leurs rpliques, levant les poings, prts se jeter les uns sur les autres. M. MARTINOn ne fait pas briller ses lunettes avec du cirage noir. Mme. SMITHOui, mais avec largent on peut acheter tout ce quon veut. M. MARTINJaime mieux tuer un lapin que de chanter dans le jardin. M. SMITHKakatos, kakatos, kakatos, kakatos, kakatos, kakatos, kakatos, kakatos, kakatos, kakatos. Mme. SMITHQuelle cacade, quelle cacade, quelle cacade, quelle cacade, quelle cacade, quelle cacade, quelle cacade, quelle cacade, quelle cacade. M. MARTINQuelle cascade de cacades, quelle cascade de cacades, quelle cascade de cacades, quelle cascade de cacades, quelle cascade de cacades, quellecascade de cacades, quelle cascade de cacades, quelle cascade de cacades. M. SMITHLes chiens ont des puces, les chiens ont des puces. Mme. MARTINCactus, Coccyx ! coccus ! cocardard ! cochon ! Mme. SMITHEncaqueur, tu nous encaques. M. MARTINJaime mieux pondre un uf que voler un buf. Mme MARTIN, (ouvrant tout grand la bouche.)Ah ! oh ! ah ! oh ! laissez-moi grincer des dents. M. SMITHCaman ! M. MARTINAllons gifler Ulysse. M. SMITHJe men vais habiter ma Cagna dans mes cacaoyers. Mme. MARTINLes cacaoyers des cacaoyres donnent pas des cacahutes, donnent du cacao ! Les cacaoyers des cacaoyres donnent pas des cacahutes,donnent du cacao ! Les cacaoyers des cacaoyres donnent pas des cacahutes, donnent du cacao. Mme. SMITHLes souris ont des sourcils, les sourcils nont pas de souris. Mme. MARTINTouche pas ma babouche ! M. MARTINBouge pas la babouche ! M. SMITHTouche la mouche, mouche pas la touche.

  • Mme. MARTINLa mouche bouge. Mme. SMITHMouche ta bouche. M. MARTINMouche le chasse-mouche, mouche le chasse-mouche. M. SMITHEscarmoucheur escarmouche ! Mme. MARTINScaramouche ! Mme. SMITHSainte-Nitouche ! M. MARTINTen as une couche ! M. SMITHTu membouches. Mme. MARTINSainte Nitouche touche ma cartouche. Mme. SMITHNy touchez pas, elle est brise. M. MARTINSully ! M. SMITHPrudhomme ! Mme. MARTIN, M. SMITHFranois. Mme SMITH, M. MARTINCoppe. Mme. MARTIN, M. SMITHCoppe Sully ! Mme SMITH, M. MARTINPrudhomme Franois. Mme. MARTINEspces de glouglouteurs, espces de glouglouteuses. M. MARTINMariette, cul de marmite ! Mme. SMITHKhrishnamourti, Khrishnamourti, Khrishnamourti ! M. SMITHLe pape drape ! Le pape na pas de soupape. La soupape a un pape. Mme. MARTINBazar, Balzac, Bazaine ! M. MARTINBizarre, beaux-arts, baisers ! M. SMITHA, c, i, o, u, a, c, i, o, u, a, c, i, o, u, i ! Mme. MARTINB, c, d, f, g, 1, m, n, p, r, s, t, v, w, x, z !

  • M. MARTINDe lail leau, du lait lail ! Mme SMITH, (imitant le train.)Teuff, teuff, teuff, teuff, teuff, teuff, teuff, teuff, teuff, teuff, teuff ! M. SMITHCest ! Mme. MARTINPas ! M. MARTINPar ! Mme. SMITHL ! M. SMITHCest ! Mme. MARTINPar ! M. MARTINI ! Mme. SMITHCi ! Tous ensembles, au comble de la fureur, hurlent les uns aux oreilles des autres. La lumire sest teinte. Dans lobscurit on entend sur unrythme de plus en plus rapide : TOUS ENSEMBLECest pas par l, cest par ici, cest pas par l, cest par ici, cest pas par l, cest par ici, cest pas par l, cest par ici, cest pas par l, cest par ici,cest pas par l, cest par ici 7 ! Les paroles cessent brusquement. De nouveau, lumire. M. et Mme MARTIN sont assis comme les SMITH au dbut de la pice. La picerecommence avec les MARTIN, qui disent exactement les rpliques des SMITH dans la premire scne, tandis que le rideau se fermedoucement.

    RIDEAU

  • NOTES

    1. Dans la mise en scne de Nicolas Bataille, Mme SMITH ne montrait pas ses dents, ne jetait pas trs loin les chaussettes. 2. Dans la mise en scne de Nicolas Bataille, ce dialogue tait dit et jou sur un ton et dans un style sincrement tragiques. 3. Lexpression environ tait remplace, la reprsentation, par en ballon , malgr une trs vive opposition de lauteur. 4. Dans la mise en scne de M. Nicolas Bataille, M. et Mme MARTIN reniflent aussi. 5. Dans la mise en scne de M. Nicolas Bataille, on nembrasse pas le Pompier. 6. Cette anecdote a t supprime la reprsentation. Mme. SMITH faisait seulement les gestes, sans sortir aucun son de sa bouche. 7. Note : la reprsentation certaines des rpliques de cette dernire scne ont t supprimes ou interchanges. Dautre part lerecommencement final peut-on dire se faisait toujours avec les SMITH, lauteur nayant eu lide lumineuse de substituer les MARTIN auxSMITH quaprs la centime reprsentation.