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La brunante Scénario de long métrage Par Fernand Dansereau

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La brunante

Scénario de long métrage

Par Fernand Dansereau

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Distribution

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RÔLES PRINCIPAUX:

MADELEINE GARNEAU, 73 ans, une grande dame énergique de tenue soignée et de parler franc.

ZOÉE JOLICOEUR, 35 ans, une jeune femme aux traits engageants qui affiche pourtant une expression d'accueil réservée.

ROLES SECONDAIRES:

HUGUETTE MELANÇON: 69 ans, retraitée, la meilleure amie de Madeleine.

GENEVIEVE GARNEAU: 48 ans, artiste graphique, la fille de Madeleine.

ANTOINE MORENCY,: 36 ans, pianiste, l'ex de ZOÉE.

MARTIN GARNEAU: 45 ans, actuaire, le plus âgé des deux fils de Madeleine.

NICOLE GARNEAU: 37 ans, comptable, épouse de Martin.

PHILIPPE GARNEAU: 32 ans, informaticien, le plus jeune fils de Madeleine.

DANIELLE GARNEAU: 28 ans, médecin, la plus jeune fille de Madeleine.

GISÈLE DUMOULIN: 74 ans, retraitée alzheimer, amie d'enfance de Madeleine.

RICHARD HETU: 38 ans, médecin, beau-fils de Madeleine.

REJEANNE: 32 ans, écologiste, mère (décédée) de ZOÉE.

ZOÉE JOLICOEUR: 4 ans.

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Normalement la lecture de ce scénario devrait s'accompagner du visionnement du film Ce n'est pas le temps des romans de Fernand Dansereau, 30 min. , production ONF 1966. Nous y puiserons quelques extraits pour nourrir les flash-backs proposés.

INT./AUBE. (1 MIN.15) CHAMBRE DE MADELEINE.

Madeleine est assise à sa table de vanité. Elle entreprend de se maquiller bien qu'elle soit en pyjama de coton. La caméra observe méticuleusement. On peut constater l'âge de la peau, les rides, les lourdeurs. Mais une certaine grâce encore. La procédure est lente (Fond de teint, mascara, fard discret, rouge à lèvre) . Le générique de début se déroule. A la fin, le résultat du maquillage est quand même encourageant. Madeleine a réussi à se faire belle. La caméra qui observait sa réflexion dans le miroir avec l'arrière de sa chevelure en amorce, entreprend un lent mouvement pour venir occuper la place exacte du miroir. C'est directement dans la lentille que Madeleine se regarde désormais. Une sorte de bonté émane de son visage. Mais une grande angoisse flotte dans ses yeux. On entend sa voix intérieure qui murmure alors qu'elle s'adresse au spectateur:

MADELEINE: (OFF) Je vivrai pas cela. C'est assez. Non...non. Ca suffit maintenant

La scène commençait dans la lumière blafarde du jour naissant. Le soleil levant entre par la fenêtre à la fin et vient dorer le visage de Madeleine. FONDU AU BLANC.

EXT./JOUR. (45 SEC.) RUE COMMERCIALE-MONTREAL

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La ville surgit grandiose, chaotique et tonitruante. Parmi ces images, Madeleine apparaît toute petite. La circulation intense semble la désorienter. Elle hésite près d'un coin de la rue. Nous profitons du tohu-bohu naturel des lieux pour la montrer perdue et vulnérable. La téléphoto l'isole dans le flot des passants.

EXT./ FIN DE PM. (30 SEC.) PORT DE MONTREAL (QUAI BICKERDIEKE).

Madeleine semble s'être égarée dans une promenade jusqu'au port de Montréal. A la brunante, elle s'avance vers un quai, farouche et vulnérable, parmi les grues et les machineries lourdes au repos. Elle arrive à l'extrémité, s'avance dangereusement jusqu'au rebord en même temps que la trame sonore s'éteint graduellement pour faire face au silence. La pollution crée un voile irisé sur l'eau du fleuve qu'elle contemple dans un contrebas vertigineux. En face d'elle, la ville commence à allumer ses lumières contre le soleil couchant. A son visage, le désarroi devient peu à peu distance. Le fil de l'eau introduit le flash-back.

FLASH-BACK. EXT./SOIR. (1 MIN.40) BORD DE LAC. (EXTRAIT DU FILM : "CA N'EST PAS LE TEMPS DES ROMANS".)

Assise sur le bord d'un lac, dans la splendeur d'un soir d'été, entourée d'une ribambelle d'enfants, Madeleine regarde tomber la nuit. Sa beauté de jeune femme est grave déjà. Elle se prend à soupirer puis à chanter:

MADELEINE: (chantant) Que faire? L'amour me laisse. Nuit et jour ne peut dormir. Quand je suis la nuit couchée, me souviens de mon ami. (Paroles de Georges Dor.)

Les enfants réclament une petite virée sur le lac, en chaloupe, et se disputent un peu pour savoir qui va ramer. La caméra les suit quelques instants sur l'eau. En trame sonore, la chanson s'est transformée:

MADELEINE: (Chantant) Si tu venais dans ma maison tu verrais l'envers de ma vie et tu en aurais le frisson. Le mot amour, c'est abandon.

EXT./ FIN DE PM. (45 SEC.) PORT DE MONTREAL (QUAI BICKERDIEKE).

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Retour au quai. Des larmes de rage scintillent, discrètes, au bord des yeux de Madeleine. Elle ne les laisse pas couler, maîtrisant son émotion . Puis elle hausse les épaules imperceptiblement, se retourne. Elle marche vers la ville. Mais elle est étonnée car de grandes feuilles de papier blanc volent au vent devant elle et la dépassent pour aller se perdre au dessus du fleuve. Elle essaie d'en saisir une ou deux, se penche finalement pour en cueillir quelques-unes que le vent fait tourner à ses pieds. Elle s'aperçoit (et la caméra avec elle) qu'il s'agit de feuilles de musique.

Une voix la surprend:

ZOÉE: Vous donnez pas la peine!

Elle se relève pour apercevoir une jeune femme qui s'est approchée:

MADELEINE: C'est de la musique!

ZOÉE: Je l'ai échappée là-bas. (Elle indique loin derrière) Je voulais la mettre à la poubelle.

MADELEINE: (Etonnée, protestant) De la musique?

ZOÉE: C'est un brouillon que je préfère oublier.

Les deux femmes se mesurent. Une grande curiosité dans le visage de Madeleine. Une candeur nue et désemparée dans celui de Zée. Mais qui se ferme tout de suite. Madeleine est intriguée.

INT/NUIT. (20 SEC.) SALON CHEZ MADELEINE.

Deux mains sur un clavier de piano égrènent une mélodie. Celle-ci est lyrique, étrangement séduisante. La caméra tarde à lever vers le visage de la pianiste. Finalement on découvre qu'il s'agit de Madeleine qui essaie, curieuse, de déchiffrer une des feuilles recueillies sur le quai.

Elle remarque finalement le nom, l'adresse et les coordonnées téléphonique qu'on a étampés au dos d'une page: Zoée Jolicoeur, 4387 Boilard, Montréal, 514. 279.8653.

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EXT./NUIT. (2 MIN.) QUAI DU VIEUX MONTREAL

Zoée est accoudée au parapet d'un quai, regardant vers le sud. Les lumières de la rue De La Commune clignotent derrière elle. Elle écoute, bientôt sans plus d'espoir, la sonnerie à laquelle personne ne répond à l'autre bout de la communication. Puis finalement elle raccroche et se met à marcher vers la nuit moins éclairée à l'ouesté Une voiture automobile s'est approchée doucement derrière la jeune fille qui marche dans la rue. La fenêtre de la portière glisse et un gros homme qu'on aperçoit confusément à l'intérieur, lance:

AUTOMOBILISTE: T'es occupée bébé?

Vivement, Zoée s'est retournée et se met à marcher plus vite sur le trottoir pour fuir la situation. Sans s'occuper de l'automobiliste. Ce dernier a mis son véhicule en marche et accompagne la jeune fille.

AUTOMOBILISTE: Ce serait combien pour que tu sois gentille avec moi?

Il rit. Zoée presse le pas.

AUTOMOBILISTE: Pourquoi tu ne réponds pas? ....Quand on me fait plaisir... Je payegros. (Il rit)

Zoée aperçoit deux poubelles de métal vides contre le trottoir plus loing.. D'un élan brusque, elle s'empare de l'une d'elle et se retournant, se précipite vers l'automobile. Elle crie:

ZOÉE: Oh! Toi! Tu peux pas t'imaginer combien tu t'es trompé, espèce de gros cave!

Elle s'est mise à taper avec la poubelle sur le capot de la voiture, faisant presque tout de suite voler en éclats la vitre d'un des phares.

ZOÉE: Moi je suis pas gentille. Jamais, jamais!

Le gros automobiliste est sorti de sa voiture:

AUTOMOBILISTE: Veux-tu bien arrêter! Maudite folle!

Il contourne sa voiture pour essayer de saisir Zoée qui tape maintenant sur la toiture de l'auto et sur le pare-brise.

AUTOMOBILISTE:

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Tu vas manger une claque ma salope! Arrête ça! Tout de suite!

Zoée s'est tournée et lui fait face, la poubelle aux bouts des bras dressés sur sa tête:

ZOÉE: Ok! Approche et puis tu vas voir.

Elle crie vers deux passants qui sont apparus, venant du quai.

ZOÉE: Venez voir mesdames et messieurs. Venez voir une grosse coquerelle! Une grosse coquerelle puante que je vais écraser.

AUTOMOBILISTE: Calvaire de folle!

Hésitant, il recule, puis brusquement retourne vers sa voiture et démarre en faisant crisser les pneus. Les passants se sont approchés de Zoée qui rit maintenant, triomphante:

ZOÉE: C'est rien, c'est rien. J'avais juste une petite mauvaise humeur à passer.

Elle rayonne.

FONDU AU NOIR:

EXT./ FIN DE PM. (2 MIN.30) JARDIN DE LA MAISON DE MADELEINE.

Il s'agit d'une petite maison bourgeoise avec des volets jaunes, entourée, vers l'arrière, d'un grand jardin. Madeleine est accroupie sur le sol et s'occupe de ses fleurs, arrachant des mauvaises herbes, taillant quelques branches folles, renchaussant de ses mains gantées certaines tiges. On sent l'énergie, l'expertise; mais elle s'étonne tout à coup devant une hémérocalle fauve qui pousse au beau milieu des delphiniums bleus contre un fond de grandes feuilles vertes.

MADELEINE: Mais qu'est-ce que tu fais là toi?

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Elle écarte un peu les plantes avoisinantes pour contempler l'intruse. Elle commence à dégager les environs, pris d'une sorte de tendresse pour sa découverte.

Une voix sourde arrive soudain, suppliant Madeleine:

HUGUETTE: Madeleine!

Madeleine se retourne, reconnaissant une amie malgré le contre-jour.

MADELEINE: (Quotidienne, familière) Je me rappelle même plus le nom de mes

FLEURS. HUGUETTE: On brise pas une amitié de cinquante ans

sur un coup de tête.

MADELEINE S'EST REDRESSÉE, RAMASSANT SES OUTILS DE JARDINAGE: MADELEINE: Cinquante ans à m'écornifler

TU TROUVES PAS QUE C'EST ASSEZ? HUGUETTE: Tu vas avoir besoin d'aide. Je suis là pour t'accompagner.

MADELEINE: Tu m'as conduite chez le médecin de force. Paie les conséquences. Je te donnerai pas le plaisir de me torcher. Surtout pas toi!

Le visage de l'amie est plein de chagrin.

HUGUETTE: Pourquoi tu es si dure avec moi?

Madeleine retire ses gants, avec impatience, comme pour se libérer d'une contrainte:

MADELEINE:l Là où je m'en vais, tu peux pas venir. Fait que fait ton deuil. Je veux plus te voir.

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Elle a passé outre à la visiteuse qui tente de la retenir au passage. HUGUETTE:

Madeleine!

MAIS À L'ENTRÉE DU JARDIN, SE PROFILE LA SILHOUETTE D'UNE JEUNE FEMME QUI ARRIVE. MADELEINE SE DIRIGE VERS ELLE, IGNORANT L'AUTRE COMPLÈTEMENT. MADELEINE A TENDU LES MAINS, FAUSSEMENT ENJOUÉE: MADELEINE:

Ah! Je suis contente que vous soyez venue. On reconnaît la jeune femme du port qui s'avance, le visage inquiet malgré l'accueil de Madeleine:

ZOÉE: Votre téléphone m'a surprise.

Elles se regardent quelques instants en silence, pleine d'interrogations mutuelles. Puis Madeleine entraîne la nouvelle venue vers l'intérieur de sa maison, passant brusquement du vous au tu comme pour une prise en charge de la situation:

MADELEINE: J'espérais que tu viennes. C'est curieux ta musique. Tu m'intrigues.

DERRIÈRE, L'AUTRE VISITEUSE A HÉSITÉ PUIS S'EST EFFACÉE VERS UNE SORTIE DU JARDIN, CRIANT: HUGUETTE:

JE T'APPELLE. MADELEINE: Ca sert à rien.

Mon répondeur en peut plus de brailler. Madeleine déjà ouvre la porte de sa maison:

MADELEINE: (A la jeune femme) C'est très particulier ce que tu fais. Tu es douée...Oui, je crois. Qu'est-ce qui va pas?

La jeune femme hausse les épaules avec un air de profond désintérêt.

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INT/JOUR. (1 MIN.) SALON CHEZ MADELEINE.

Elles pénètrent dans le salon. Zoée aperçoit le piano. Elle s'est approchée tout naturellement de l'instrument qui trône au coin du salon, tandis que Madeleine s'éloignait vers la cuisine pour déposer ses gants.

ZOÉE: Vous faites de la musique aussi?

MADELEINE: En amateur. Du piano de couvent.

La jeune femme s'est approchée, reconnaissant les feuilles de partition. Elle jette un bref coup d'oeil pour reconnaître la page.

Mais Madeleine revient dans la pièce s'essuyant les mains:

MADELEINE: Qu'est-ce que t'aime pas?

Une émotion monte au visage de la jeune fille.. Elle passe la main en brusque crescendo sur le clavier, puis ferme celui-ci. Elle a pris un air buté:

ZOÉE: C'est tellement inutile!

Madeleine s'est approchée et l'interroge du regard. L'autre ne flanche pas. même si de soudaines larmes scintillent au bord des yeux. Elles se toisent ainsi quelques instants.

MADELEINE: J'aurais peut-être quelque chose pour toi. ZOÉE: Quelque chose? MADELEINE: As-tu besoin d'argent?

ZOÉE: (Haussant les épaules) C'est pas la musique qui me ferait vivre. MADELEINE:

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J'ai besoin d'un chauffeur.

D'une compagne de voyage. Es-tu libre?

La jeune fille est étonnée:

ZOÉE: Pour aller où?

MADELEINE: Je veux revoir quelques personnes, ...des endroits, faire le tour de tout ce que j'aime. Mais ca me fatigue trop de conduire. Ce sera pas long.

Quelques semaines?

IL Y A UNE SORTE DE PRIÈRE DANS LE VISAGE DE LA VIEILLE FEMME.

MADELEINE: Je paye bien.

ZOÉE: L'argent, c'est pas tout.

MADELEINE: Ca m'intrigue moi, une fille qui n'aime pas sa musique.

ZOÉE: Il y a tellement rien là

EXT./INT. (45 SEC.) RUE COMMERCIALE-MONTREAL

Madeleine est assise dans son automobile auprès de la jeune fille. Celle-ci conduit. La circulation est intense mais fluide. Le soleil est revenu. Manifestement en joie, un peu nerveuse, Madeleine explique:

MADELEINE: Ma vision baisse.

Mon impatience grimpe.

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ELLE RIT DOUCEMENT: MADELEINE: Tu comprends? On s'habitue pas à l'âge.

Elle rit doucement:

ZOÉE: Je comprends! MADELEINE: Vraiment?

Elle a tourné un visage plein d'interrogation vers la jeune fille, l'auscultant de l'oeil comme pour tout en deviner. L'autre fuit du regard pour s'occuper de conduire.

ZOÉE: Cherchez moi pas. Il n'y a aucun mystère. Juste de l'ordinaire.

Madeleine s'exclame:

MADELEINE: Mon Dieu! Nous sommes rendues beaucoup trop loin. Je me perds à tout coup. Je pense que la boutique c'était derrière nous. A gauche peut-être? J'aurais dû te le dire.

INT./AM. (1 MIN.45) BOUTIQUE DE VETEMENTS POUR DAMES.

Madeleine fouille dans un râtelier de beaux vêtements. Soudain elle en tire une jolie robe d'été qu'elle tend vers ZOÉE.

MADELEINE: Ca t'irait tellement bien!

ZOÉE: J'ai tout ce qu'il faut.

Madeleine sourit, s'attardant à essayer de draper la robe sur la jeune fille: MADELEINE: Je t'emmène en voyage. Il faut que je t'équipe.

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ZOÉE s'écarte, repoussant la robe, de nouveau défensive. ZOÉE: J'ai passé l'âge de me faire catiner.

On sent chez la jeune fille, l'émotion à fleur de peau.

MADELEINE: Je peux plus porter des choses comme celle-là. Ca me ferait plaisir de la voir sur toi.

La jeune fille hésite, comme séduite malgré tout par le tissu. MADELEINE: Essaye-là au moins. Pour l'amusement. ZOÉE:

Ok! MAIS SI JE LA PRENDS, VOUS LA DÉDUISEZ DE MA PAYE.

Madeleine bat des mains alors que ZOÉE a pris la robe et la drape sur elle, se tournant vers le miroir.

MADELEINE:

Moitié, moitié!

DIALOGUE MUET DES YEUX. LA JOIE DE LA VIEILLE DAME EST SI VRAIE ET SI CANDIDE QUE LA JEUNE FILLE SE TROUVE DÉMUNIE. ELLE TOURNE SOUDAIN SUR ELLE-MÊME DANS UNE IMPULSION FUGACE DE PLAISIR JUVÉNILE. MADELEINE: Ravissante! ZOÉE:

Vous trouvez vraiment?

IL Y A QUELQUE CHOSE D'ENFANTIN QUI APPARAÎT BRIÈVEMENT DANS LE VISAGE DE LA JEUNE FILLE. MADELEINE: Tu vois, je suis en train de m'oublier un peu. C'est le plus grand service que tu peux me rendre. Essaye-là. ZOÉE cède. Un sourire gagne son visage. ZOÉE:

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Si je pouvais dire pareil! Elle se tourne vers un cubicule emportant la robe. Madeleine commente, alors qu'elle disparaît:

MADELEINE: C'est le même bleu que ton fameux costume de bain deux pièces. Tu te rappelles? Mon Dieu que Georges était scandalisé! C'était quand déjà? L'été 60 ou 61..?

Cette fois la méfiance revient dans les yeux étonnés de ZOÉE alors que celle-ci tire le rideau.

EXT./JOUR. (1 MIN.30) ETANG DU LAC DES CASTORS.

Madeleine marche rapidement autour de l'étang du Lac des Castors sur le Mont-Royal dans la lumière irisée d'un contre-jour. ZOÉE éprouve un peu de difficulté à suivre sa nervosité. Tout à coup Madeleine s'arrête et se penche sur un massif de fleurs:

MADELEINE: Hon! Des acidantheras! Tu n'as pas idée du soin qu'il faut donner à ces fleurs-là. C'est comme des rosiers...

Elle s'est tournée vers ZOÉE et explique :

MADELEINE: Très difficile à cultiver. J'ai tellement aimé les fleurs!

Son regard pourtant a flanché devant celui de la jeune fille. ZOÉE en effet s'est plantée debout devant elle, les jambes bien écartées, décidée à la confrontation:

ZOÉE: Vous m'avez pas tout dit.

Vous jouez avec moi.

LE REGARD DE MADELEINE ERRE UN TEMPS SUR LES CANARDS DE L'ÉTANG, LES ENFANTS QUI JOUENT NON LOIN AVEC DE FRAIS PETITS RIRES, L'OISEAU-MOUCHE QUI BAT FRÉNÉTIQUEMENT DE L'AILE PRÈS D'UN ARBRE EN FLEURS. MADELEINE: Peut-être que je fais de l'Alzheimer.

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ZOÉE:

PEUT-ÊTRE?! MADELEINE: Pour tout de suite ça ne paraît pas. Des petites difficultés de mémoire, d'organisation.

T'as vu, non?

UNE HÉSITATION: MADELEINE:

Mais bientôt je ne pourrai plus me fier à moi. La jeune fille la toise, prise entre la méfiance et la sympathie. Elle cherche un banc pour s'asseoir avec la vieille dame: ZOÉE: Vous êtes certaine? Vous avez vu un médecin?

Un petit rire, assez amer de Madeleine: MADELEINE: Ils se risquent jamais à dire la vérité, ceux-là. ZOÉE: Vous avez pas de diagnostic ferme?! Madeleine se tourne vers ZOÉE: MADELEINE:

Moi je le sais!

Puis quasi suppliante:

MADELEINE: C'est pour ça que je veux refaire le tour de mon jardin. Avant qu'il soit trop tard.

ZOÉE est décontenancée. Elle observe le visage de Madeleine comme pour deviner au-delà de ce que l'autre raconte. Le reproche se fait doux:

ZOÉE: Quand même! Faut me dire les choses en partant

...Autrement moi je capote.

MADELEINE SE FAIT MODESTE, IMMÉDIATEMENT PATHÉTIQUE: MADELEINE: C'est une saloperie ce qui m'arrive.

Aide-moi, s'il te plaît.

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COMME POUR EMPORTER LE MORCEAU: MADELEINE: Je t'embarrasserai pas longtemps! ZOÉE: (Apitoyée)

JE POURRAIS PAS LONGTEMPS.

MADELEINE: Donne-moi quelques jours... Une semaine ou deux.

INT./JOUR. ( 1MIN) CUISINE CHEZ MADELEINE.

Seule dans sa cuisine, Madeleine en robe de chambre, colle des étiquettes sur les tiroirs et les armoires: couteaux, tasses, verres, etc. La caméra la suit lentement, alors qu'il lui faut beaucoup de courage pour continuer et qu'à tout moment, le désarroi l'arrête. Puis elle trouve dans un tiroir une bouteille d'iode marquée d'un signe de danger. Elle est surprise. Elle ouvre la bouteille, la porte à son nez pour en humer l'odeur. Elle hésite puis finalement elle rebouche la bouteille, la met dans sa poche de robe de chambre. Elle ramasse un tas de photos encadrées qu'elle avait laissées sur la table. La caméra reconnaît des visages d'enfants (voir séquence 4).Elle les caresse du doigt avec une détresse évidente. Puis elle les range dans un tiroir qu'elle ferme brusquement.

INT/NUIT. (20 SEC.) BAR

Dans un bar enfumé, ZOÉE est au micro et au piano. Un batteur et un bassiste derrière soutiennent un rock plutôt discret. La jeune fille chante d'une voix âpre tout en s'accompagnant:

ZOÉE: (Chantant) Ne me parle pas d'amour! Je réclame ce qui m'est dû. Prends garde! Plus que garde! Ne me parle pas d'amour, quand ma rage est mise à nu.

La conviction de l'interprète est grande mais elle n'arrive pas à faire taire tous les clients. Certains pourtant la regardent avec étonnement.

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Elle entame alors un mouvement endiablé sur le clavier, que le batteur suit en haussant tous les niveaux. Quelques clients ont levé la tête.

FONDU AU NOIR.

INT./JOUR. (2 min.15) ATELIER CHEZ GENEVIEVE.

Une série d'images représentant divers corps masculins nus défilent sous un panoramique de la caméra. Quand celle-ci recule, on découvre qu'il s'agit de photos accrochées sur un mur. A l'entrée de la pièce, une belle et forte femme enserre Madeleine et la fait tourner dans ses bras, alors que souriante elle explique à ZOÉE:

GENEVIEVE: Vous avez apprivoisé ma mère! Vous devez être championne olympique de la finesse ou de l'amabilité.

MADELEINE: Pose-moi, pose-moi. J'étouffe!

Elle dépose enfin la vieille dame, gardant toutefois l'une de ses mains dans les siennes. Modeste, ZOÉE répond en entrant dans le grand atelier:

ZOÉE: J'y suis vraiment pour rien. Votre mère a eu la gentillesse de s'intéresser à moi.

Elle découvre une grande table de travail, un énorme chevalet, tous couverts de photos de nus masculins enchevêtrés les uns sur les autres. C'est osé, quelque fois provocateur, souvent au delà du sensuel. Une sorte d'épaisseur grandiose de la chair.

MADELEINE: T'as jamais rien vu comme ça!

ZOÉE EN EFFET EST ÉTONNÉE. GENEVIÈVE QUI SE DIRIGE VERS LA VASTE TABLE AU CENTRE DE LA PIÈCE, S'AMUSE: GENEVIEVE:

MAMAN EST PLEINE DE COMPLAISANCE QUANT IL S'AGIT DE SES ENFANTS. ...DEVANT LES ÉTRANGERS! PARCE QU'EN PRIVÉ ELLE PEUT ÊTRE TRÈS CRITIQUE.

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MADELEINE: J'arrive pas à comprendre comment tu fais pour photographier des hommes comme ça.

ELLE A SOULEVÉ UN COLLAGE PARTICULIÈREMENT AUSTÈRE: DES FORMES CORPORELLES AGENCÉES DE FAÇON HEURTÉE. GENEVIÈVE LA PREND PAR LE COU, LA SERRE AVEC UNE EFFUSION MOQUEUSE: GENEVIEVE:

C'EST TOI QUI M'A MONTRÉ! MADELEINE: (Offusquée) Des hommes tout nus!? Geneviève se tourne vers ZOÉE: GENEVIEVE: J'avais cinq ans et maman me disait (Il y a une sorte de triomphe dans sa voix) que le beau, le laid c'est juste des barrières dans notre tête! Qu'il faut apprendre à tout voir.

ESSAYEZ DE COMPRENDRE ÇA À CINQ ANS! MADELEINE: Quand même! C'est pas de ça qu'on parle!

COMMENT TU FAIS? GENEVIEVE: J'essaie juste de regarder! Madeleine étreint sa fille avec une passion sourde, un peu frénétique. Geneviève se prélasse dans l'étreinte et lance avec un petit rire moqueur, un peu timide en direction de ZOÉE:

GenEVIEVE:

Il faut savoir en profiter. Parce que les coups de colère viennent aussi facilement! Et alors, là, attention!

Le téléphone cellulaire sonne à la taille de ZOÉE: ZOÉE:

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Oh! Excusez-moi.

Elle fait quelques pas pour s'écarter vers le fond de l'atelier:

ZOÉE:

Allo? Oui!

RESTÉE PRÈS DE MADELEINE CONTRE LA GRANDE TABLE, GENEVIÈVE INTERROGE À VOIX BASSE TOUT EN AJUSTANT QUELQUES PHOTOS COMME POUR CHERCHER UNE COMPOSITION POSSIBLE: GENEVIEVE:

QU'EST-CE QU'IL A DIT, TON MÉDECIN? MADELEINE:

UNE SANTÉ DE JEUNE FILLE. GENEVIEVE:

TA MÉMOIRE? MADELEINE: Ce serait une affaire de sucre. A mon âge, c'est fréquent paraît-il. Si on fait des excès. Mais autrement tout est normal. ZOÉE pendant ce temps murmure au téléphone à l'autre bout de la pièce. ZOÉE: (Tout bas, émue) Tu peux tout emporter. Je veux rien garder. ................ C'était à nous deux. Ca ne veut plus rien dire pour moi.

MADELEINE A JETÉ UN COUP D'OEIL INQUIET VERS ZOÉE COMME SI ELLE DEVINAIT À LA TENSION SOUDAINE DANS LE CORPS DE LA JEUNE FEMME QUE QUELQUE CHOSE DE GRAVE S'AMORCE. GENEVIÈVE LUI DEMANDE: GENEVIEVE: Comment tu l'as trouvée?

Madeleine ment effrontément: MADELEINE:

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A la porte du médecin. C'est une fille qui a besoin de gagner un peu. ZOÉE qui a perçu le mouvement de Madeleine, veut se hâter de mettre un terme à sa conversation téléphonique. Sa voix et sa posture se durcissent: ZOÉE: (AU TÉLÉPHONE) Ne rappelle plus!

C'est ça que je voulais te dire. Fais attention ....J'ai acheté un couteau.

ZOÉE A RACCROCHÉ BRUSQUEMENT ET S'APPROCHE DE LA TABLE, RÉPRIMANT VISIBLEMENT UNE FORTE ÉMOTION. MADELEINE: (A Geneviève) Il fallait que je me gâte un peu. C'est pour ça que je l'ai engagée.

ELLE S'INTERROMPT POUR ACCUEILLIR ZOÉE QUI ARRIVE:

MADELEINE: Ca va ZOÉE?

ZOÉE: Ok! Ok!

PAS DE PROBLÈME.

MADELEINE:

Ah! Bon! Tant mieux. J'avais peur que t'aies un embêtement.

EXT./INT./JOUR. (30 SEC.) RUE RESIDENTIELLE-MONTREAL

ZOÉE pilote la voiture de Madeleine. Elles s'observent toutes les deux à la dérobée. Quand les regards finissent par se croiser, ZOÉE demande:

ZOÉE: Vous lui avez rien dit sur l'alzheimer?

MADELEINE: Je voulais. J'ai pas été capable. Elle l'apprendra toujours assez tôt!

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ZOÉE hoche la tête comme pour exprimer un vague reproche:

ZOÉE: Si j'étais votre fille, je voudrais savoir. Tout de suite!

Madeleine la regarde curieuse:

MADELEINE: T'es pas ma fille. Heureusement. Heureusement pour toi!

EXT/JOUR. (1 MIN.20) FLASH-BACK. EN FORÊT SUR LE BORD D'UN LAC. (EXTRAIT DU FILM CA N'EST PAS LE TEMPS DES ROMANS.

Madeleine, à trente-cinq ans, en shorts courts très seyants, se promène dans le bois avec ses enfants. Les garçons surprennent un couple d'amoureux qui s'étreignent cachés dans le fourré, au loin. Ils en ricanent. Madeleine les entraîne plus loin, fermant la marche avec sa fille de onze ans. On reconnaît Geneviève, la dame de la séquence 16. L'adolescente interroge sur l'amour.

GENEVIEVE: Maman,,,..Est-ce que tu crois ça toi? Est-ce qu'il y a vraiment quelqu'un de préparé dans le monde...?Un homme et une femme qui doivent se rencontrer?

MADELEINE: Peut-être que ça existe; mais moi, je le crois pas. C'est pas ça l'amour. Ca n'est pas des nonoteries et des chochoteries. Il y a toutes sortes de choses qui s'ajoutent à cela. Un besoin d'être ensemble. Mais pas seulement de façon extérieure.

Madeleine touche les arbres autour d'elle, comme pour les prendre à témoin.

MADELEINE: ...UN BESOIN DE SE SENTIR BIEN AVEC L'AUTRE. BIEn seulement en se regardant.

EXT/JOUR. (1 MIN.15) BORD DU FLEUVE PRES DE BOUCHERVILLE

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L'image enchaîne dans un mouvement tout pareil sur ZOÉE et Madeleine qui marchent sur les bords du fleuve.

ZOÉE: Si vous êtes malade, va bien falloir qu'elle l'apprenne un jour. Pourquoi tout le mystère? La dame dans le jardin l'autre soir? Votre fille aujourd'hui?

Madeleine s'est avancée vers une section de berge plus abrupte. Le courant y fait rouler plein de tourbillons envoûtants. Elle les contemple, fascinée, attirée:

MADELEINE: Je veux épargner les autres. Pas trop leur montrer ma déchéance. C'est pour ça que j'aimais mieux une inconnue.

ZOÉE: (Avec un peu de colère) C'est ZOÉE mon nom.

Madeleine tarde à répondre, contemplant les remous de l'eau qui coule. La caméra s'attarde à la splendeur de la fin d'après-midi.

MADELEINE: Traite-moi pas durement, petite fille. Et surtout fais attention. Attache-toi pas. Implique-toi pas. Je n'en ai plus pour assez longtemps.

INT/SOIR. (20 SEC.) APPARTEMENT DE ZOÉE.

Nous retrouvons des mains qui improvisent sur le clavier d'un piano. La mélodie exprime une sourde colère cette fois. Quand la caméra lève, c'est le visage et le corps de ZOÉE qui apparaissent. La musique se fait dissonante comme si l'émotion la désorganisait. Sur le panneau du clavier, la caméra découvre le couteau de type Opinel. La lame est ouverte. L'image possède encore une fois un ton particulier, tendant vers le bleu. La caméra revient sur le visage de ZOÉE et glisse vers un flash-back :

EXT/JOUR. (10 SEC) DANS UNE PRAIRIE DE FLEURS.

L'IMAGE CETTE FOIS EST TOTALEMENT MONOCHROME BLEUE, MAIS MAGNIFIQUEMENT ENSOLEILLÉE: UNE PETITE FILLE DE 4 OU 5 ANS RIT À GORGE DÉPLOYÉE ALORS QUE SA MÈRE LUI FAIT DES proutts sur la

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bedaine avec ses lèvres. Il y a une grande tendresse dans la relation entre les deux et la petite exulte de plaisir.

INT/SOIR. (7 SEC.) APPARTEMENT DE ZOÉE

ZOÉE s'est arrêtée de jouer. Son visage a pâli alors qu'un pli amère gagne ses lèvres.

EXT./ SOIR. (1 min.15) POSTE D'ESSENCE.

Mix vers le visage de ZOÉE que Madeleine observe longuement de l'intérieur de l'automobile, alors que la jeune fille à l'extérieur achève de remplir le réservoir d'essence. La caméra, comme Madeleine, est sollicitée par la beauté grave de la jeune femme, son expression lisse et fermée. ZOÉE termine la manoeuvre, retire la carte de crédit, ouvre la portière, remet la carte et le reçu à Madeleine:

ZOÉE: Regardez-moi pas tout le temps comme ça.

Ca me gêne.

MADELEINE RIGOLE DOUCEMENT: MADELEINE: Je me rendais pas compte. C'est que je me demande encore pourquoi tu as accepté.

BRUSQUEMENT, ZOÉE S'ENFONCE DERRIÈRE LA PORTIÈRE, DISPARAISSANT COMPLÈTEMENT SOUS LA VITRE. MADELEINE S'ÉTONNE:

MADELEINE: ZOÉE!?

De derrière la portière arrive la réplique chuchotée: ZOÉE: Aie! Faites comme si de rien n'était. ...Comme si vous attendiez quelqu'un.

Surtout parlez pas!

MADELEINE REGARDE ALENTOUR, SURPRISE. BIENTÔT ELLE REPÈRE UN GARÇON QUI S'EST ARRÊTÉ À LA POMPE VOISINE POUR REMPLIR LE RÉSERVOIR D'UNE MOTO. MADELEINE: C'est quelqu'un que tu connais?

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ZOÉE: Parlez pas!

Le motard (Antoine Morency) a vite fait de remplir son réservoir tandis qu'une jeune fille blonde, juchée sur la moto derrière lui, a profité de la pause pour retirer son casque, dénouer sa chevelure coquettement, puis se recoiffer. La caméra observe maintenant ZOÉE qui se terre contre la portière et Madeleine qui ne peut résister à observer le jeune homme. Finalement ce dernier termine de faire le plein. Il marche vers la cabine du poste et y pénètre pour payer.

MADELEINE: Qui c'est? Tu les connais.

ZOÉE s'est redressée, s'assied dans la voiture et démarre rapidement.

EXT./INT. SOIR. (2 MIN.) RUE COMMERCIALE-MONTREAL

Madeleine interroge:

MADELEINE:

Qu'est-ce qui se passe?

ZOÉE hausse les épaules, frémissante d'émotion encore. ZOÉE: Vous vouliez une inconnue.

POSEZ PAS DE QUESTION. MADELEINE: (Impatiente) Un chauffeur qui se cache c'est un peu inquiétant, t'admettras. ZOÉE: (Butée:)

Je suis pas obligée à rien. Si je fais plus votre affaire... Madeleine la saisit au poignet et l'interpelle:

MADELEINE:

Je veux pas te voir apeurée comme ça! JAMAIS! ZOÉE:

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JE SUIS PAS APEURÉE. MADELEINE: Tu t'es pas vu l'air. ZOÉE: (Brusquement intransigeante)

Ok! Je débarque d'abord. Tout de suite!

DÉJÀ ELLE AMORCE, AVEC HUMEUR, DE RALENTIR ET DE GARER LA VOITURE CONTRE LE TROTTOIR.

MADELEINE: QU'EST-CE QU'IL Y A ZOÉE? ZOÉE:

J'AI MES TROUBLES...COMME TOUT LE MONDE! DES TROUBLES BIEN ORDINAIRES. MADELEINE: Quels troubles? ZOÉE: J'ai déjà assez de misère à me contrôler.

C'EST PAS DANS MON CONTRAT QUE JE DOIVE TOUT RACONTER EN PLUS! MADELEINE:

J'aimerais ça t'aider. Ca me désole.

MAIS L'AUTRE DÉTOURNE LA TÊTE, IMPERTURBABLE, FUYANT LE REGARD. UN SILENCE BOUDEUR TOMBE SUR L'ÉCHANGE: MadeLEINE: ....Conduis-moi chez moi d'abord!

ZOÉE reprend le volant. Elles roulent en automobile, toutes deux silencieuses et fermées.

L'AUTOMOBILE ARRIVE DEVANT LA MAISON CHEZ MADELEINE, QUAND CELLE-CI S'ÉCRIE: MADELEINE: Arrête pas! Continue. ZOÉE s'étonne lorsqu'elle voit Madeleine s'enfoncer à son tour dans la banquette du passager pour se cacher. ZOÉE:

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QU'EST-CE QU'IL Y A?

MADELEINE:

Elle est encore là! Devant la maison de Madeleine trois femmes d'un âge certain devisent tranquillement, apparemment en attente. Parmi elles, on reconnaît Huguette, l'amie des séquences 8. ZOÉE:

C'EST VOTRE AMIE? MADELEINE: S'il vous plaît! Avance, je te dis. Je veux pas les voir. Fais juste comme si tu passais. On va rentrer par la ruelle. ZOÉE accélère légèrement. Et se met à sourire: ZOÉE:

VOUS CRAIGNEZ QUOI LÀ? MADELEINE: J'ai assez de me morfondre toute seule. Je veux pas me mettre à brailler avec les autres. ZOÉE tourne le coin et réplique, sarcastique: ZOÉE:

On est pareilles.

MADELEINE, TOUTE ENFONCÉE DANS SA BANQUETTE: MADELEINE: Comment? ZOÉE se met à rire franchement: ZOÉE: Il y a du monde qu'on veut pas voir!

Dans le visage de Madeleine, une interrogation puis très vite, le rire la gagne.

INT./NUIT. (2 MIN.) CUISINE CHEZ MADELEINE.

Madeleine tire du frigidaire tout ce qu'il faut pour faire une collation tandis que ZOÉE s'amuse à lire, parfois en touchant du doigt, les étiquettes collées partout.

MADELEINE: Tu te choques vite pour une fille

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qui a l'air si douce!

La jeune fille se met à rire, sarcastique:

ZOÉE:

Oh! Je suis pas douce. Pas douce du tout.

Madeleine la scrute puis rit à son tour:

MADELEINE: Arrête de rire de moi et puis réponds. D'où tu viens?

ZOÉE: Abitibi. Qu'est-ce que ça change?

MADELEINE: Tes parents?

ZOÉE: Ils essayaient de faire de la culture biologique. Sur une terre de roches. Il y avait juste le zinc et le cuivre pour pousser là.

ON CREVAIT DE FAIM. MADELEINE: Ils sont où maintenant? ZOÉE: Décédés. Tous les deux. Des écologistes avant l'heure.

CA POUVAIT PAS FAIRE AUTREMENT. MADELEINE: T'es toute seule? T'as pas d'ami? ZOÉE:

J'ACHALE PERSONNE. MADELEINE: C'est pas une réponse ça.

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Avec une humeur soudaine, ZOÉE se relève de la table où elle s'était assise un instant pour marcher vers la porte.

ZOÉE: J'ai une soeur, mais on s'entend pas. C'est quoi votre problème?

MADELEINE: Tu jettes ta belle musique, Tu te caches quand tu vois un gars. ...Tu...Tu perds ton temps avec une vieille folle. Qui c'est que t'es?

ZOÉE: Je suis ZOÉE. ZOÉEJolicoeur! C'est tout. Je suis là.

C'est-à-dire j'étais là... Elle a ouvert la porte pour sortir, hésitant comme pour laisser un dernier choix à Madeleine: ZOÉE:

MAIS JE VOUS ACHALERAI PAS PLUS LONGTEMPS. MADELEINE: Reste! Tu ne veux pas rien me dire. ...Moi non plus dans le fond. Le sourire de ZOÉE s'illumine avec une candeur neuve, légère devant la fin de l'interrogatoire.

MADELEINE: OK! C'est notre contrat. On se demande rien. Mais joue-moi quelque chose d'abord. Dis-moi quelque chose au piano.

INT/NUIT. (20 SEC.) SALON CHEZ MADELEINE.

Sur le clavier du piano les mains de ZOÉE égrènent avec une certaine allégresse les notes d'un jazz plutôt cool.

Après un temps la caméra monte au visage de la jeune fille, puis trouve un peu plus loin celui de Madeleine, ravi.

ZOÉE:

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VOTRE VIOLONCELLE?

MADELEINE:

Oh! Je sais pas si je pourrais. Je connais pas assez le jazz.

ZOÉE: Qu'est-ce que vous jouez d'habitude?

INT/NUIT. (30 SEC.) SALON CHEZ MADELEINE.

Le violoncelle entre les jambes, Madeleine hésite, puis finalement tire avec son archet, un long son de complainte de son instrument. Elle commence la suite pour violoncelle no. 3 de Bach. L'assurance lui vient alors qu'elle sourit timidement puis un peu plus triomphante à ZOÉE.

Cette dernière l'écoute, puis entame un commentaire pianistique un peu jazzé qu'elle arrive à glisser savamment dans la majestueuse cantate. C'est subtile, très articulé.

Le bonheur dans le visage des deux femmes.

EXT. /JOUR. (1 MIN.45) JARDIN DE LA MAISON DE MADELEINE.

ZOÉE qui lave l'automobile de Madeleine au boyau et à l'éponge, entend des éclats de voix.

MADELEINE: Cervelle d'oiseau!

Elle retourne vers la cour pour constater que Madeleine s'est engagée dans une violente bataille verbale avec la voisine avec de grands gestes grandiloquents.

MADELEINE: Non! Mais faut-il être sans dessein! Des pots de fleurs en forme de grenouille! Pourquoi pas des flamands roses tant qu'à y être?

VOISINE: C'est ma cour. C'est moi que ça regarde .

MADELEINE:

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Quand je vais être dans ma cuisine je pourrai pas m'empêcher de voir ces horreurs-là. Enlève-moi ça tout de suite.

La voisine s'est rapprochée:

VOISINE: Vous avez pas d'ordre à me donner.

MADELEINE: Avec les sans-génie, on argumente pas. Envoye! Grouille, grenouille. Enlève-moi ça!

LA VOISINE S'EST EMPARÉE D'UN BOYAU D'ARROSAGE ET MENACE D'ASPERGER MADELEINE: VOISINE:

RENTRE CHEZ VOUS OU BIEN JE T'ARROSE. MADELEINE: Arrose les pissenlits qui te poussent entre les deux oreilles.

ZOÉE ACCOURT POUR TIRER MADELEINE PAR LE BRAS, ALORS QUE LA VOISINE DIRIGE LE JET D'EAU VERS ELLE. VOISINE:

VA-T'EN FATIGANTE! MADELEINE: Cervelle de dinosaure! ZOÉE:

Venez, venez Mme Garneau.

LA VOISINE DE LOIN: VOISINE:

ESPÈCE DE MAL ÉLEVÉE!

MADELEINE:

Espèce...Espèce...D'épouvantail désossé!!

ZOÉE la repousse vers le perron et la porte de la cuisine.

INT./JOUR. (30 SEC) CUISINE CHEZ MADELEINE.

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Elles entrent dans la cuisine, Madeleine criant encore vers l'extérieur:

MADELEINE: Patate mouillée! Carotte pourrite!

ZOÉE: On ferme la porte! On ferme la porte!

Mais le rire prend Madeleine, tout de suite:

MADELEINE: Qu'est-ce que j'ai fait là? ..Oh! Ca sent le brûlé?

Elles se tournent vers le poêle. Une fumée légère s'échappe d'une casserole. Vite ZOÉE est allée tourner le bouton.

MADELEINE: Hon! Elle m'a fait oublier ma soupe!

En plus! Elle porte ses deux mains à sa bouche, honteuse mais ravie également. Comme une enfant:

MADELEINE: Je me contrôle plus! Qu'est-ce qui m'a prise?

Elle se laisse tomber sur une chaise:

ZOÉE: Elle a dit quelque chose qui vous a choquée?

MADELEINE: Pas du tout! C'a sorti tout seul. Elle arrosait son jardin. Et puis déplaçait ces horreurs qu'elle aime tant! Tout à coup je me suis dit: ça suffit. Et je suis sortie pour l'engueuler. ZOÉE:

MERDE! ELLE A DÛ ÊTRE SURPRISE! MADELEINE:

Pas plus que moi! Toutes deux rigolent: ZOÉE:

Elle vous avait rien fait? Rien de rien?

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MADELEINE: Ca fait treize ans qu'elle m'énerve avec ses bébelles. Mais...Mais j'ai jamais cru que c'était poli de lui dire.

Tu comprends, le bon voisinage...

Le fou rire la reprend. ZOÉE sourit aussi: ZOÉE: Le bon voisinage c'est fini pour un temps,

JE PENSE. MADELEINE: Fini pour longtemps si tu veux mon avis. Lui as-tu vu la face?!

Grave soudainement, Madeleine a posé la main sur le bras de ZOÉE:

MADELEINE: J'aime ça quand tu ris avec moi!

Les deux femmes se regardent comme si elles se découvraient d'une nouvelle façon:

ZOÉE: Je demande pas mieux. Quand c'est drôle!

Madeleine sourit encore.

MADELEINE: Je l'ai toujours trouvée plus belle que moi. Mais plus sotte aussi. Hon!! C'est mon orgueil qui m'a eue! ...Faut que j'aille faire pipi!

INT/JOUR. (1 MIN.30) APPARTEMENT DE ZOÉE.

ZOÉE est assise au clavier d'un piano à queue qui envahit un tout petit salon. Elle discute avec un garçon qui se tient dans la porte. On reconnaît Antoine Morency, le motard dont elle avait voulu se cacher à la station-service. Il tient tout un paquet de boîtes et de vêtements dans ses bras, comme s'il s'apprêtait à descendre l'escalier:

ZOÉE: Tu couches avec elle?

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Il se retourne, comme pour la raisonner:

ANTOINE: Cela n'a rien à voir ZOÉE! On s'inspire plus toi et moi. ZOÉE: J'ai tout fait pour ta carrière,

TES CONCERTS. TOUT SACRIFIÉ! ANTOINE: Ca m'intéresse pas que tu te sacrifies. T'es peut-être meilleure musicienne que moi. Il faut que tu fasses ton chemin. ZOÉE:

Qu'est-ce qu'elle a de plus que moi?

IL RETOURNE VERS LA PORTE: ANTOINE: Elle n'y est pour rien. J'ai besoin de réfléchir, de respirer. Simplement. Ils se regardent un bref instant, puis il tourne, désespérant de communiquer avec elle. Il disparaît dans l'escalier. La caméra discrètement a reconnu le couteau sur le plateau du piano. La musique éclate de colère.

EXT/JOUR. (1 MIN.45) FIN DE JOUR. COUR ARRIERE CHEZ MARTIN, FILS DE MADELEINE.

ZOÉE EST ASSISE SUR UNE CHAISE DE PARTERRE DANS LA COUR À L'ARRIÈRE D'UN PAVILLON DE BANLIEUE. UN VERRE À LA MAIN, LE VISAGE GRAVE, UN PEU DISTRAITE, ELLE SURVEILLE MADELEINE QUI SEMBLE AVOIR RETROUVÉ UNE ÉNERGIE JUVÉNILE POUR JOUER AVEC SES PETITS-ENFANTS. LA VIEILLE DAME ROULE DANS L'HERBE AVEC PASCAL, SON PETIT-FILS, QU'ELLE PRESSE CONTRE ELLE UN PEU FRÉNÉTIQUEMENT: MADELEINE: Le plus beau, le plus fin! Le plus fin, le plus beau !

ON NE SAIT PAS LEQUEL DES DEUX.

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PASCAL: Grand-maman!

TU ME FAIS MAL! MADELEINE: Hon!

C'est parce que je te mangerais.

ALLONGÉE ENSUITE CONTRE LUI, ELLE LUI DEMANDE: MADELEINE:

ET ALORS T'AS PAS EU PEUR? PASCAL: J'ai mis ma main dans sa gueule.

Il m'a même pas mordu.

MARTIN, LE FILS AÎNÉ DE MADELEINE, CUISINE PLUS LOIN AU POÊLE BARBECUE TANDIS QUE SA FEMME, NICOLE, 37 ANS, S'AFFAIRE À METTRE LA TABLE SOUS UN JOLI PARASOL. NICOLE:

ET POURTANT C'ÉTAIT UN GROS CHIEN NOIR. PASCAL: J'avais trente-six peurs dans mon ventre.

IL EN RESTE TRENTE-CINQ SEULEMENT. MADELEINE: Trente-cinq!

Wow! C'est pas beaucoup!

A CE MOMENT, JULIEN, L'AUTRE PETIT-FILS DE MADELEINE ARRIVE: JULIEN:

Grand-maman! Viens voir ma corde de Tarzan.

IL LA FORCE À SE LEVER ET À LE SUIVRE VERS LE FOND DU JARDIN OÙ UN CÂBLE JAUNE PEND D'UNE BRANCHE D'ARBRE. MADELEINE: C'est ça. Viens Pascal on va jouer à Tarzan.

As-tu peur de ça?

LE PETIT JUBILE ET SE LÈVE POUR COURIR DERRIÈRE ELLE. PASCAL:

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Trente-quatre! Aie! Grand-maman! J'en ai plus rien que trente-quatre peurs! On verra que Julien essaie de convaincre Madeleine d'essayer la corde. Elle s'efforce de se prêter au jeu. Bientôt elle se balance tant bien que mal au bout du câble.

MARTIN A FAIT UN CLIN D'OEIL À ZOÉE, PUIS S'EST APPROCHÉ, TOUT SOURIRE: MARTIN: Comment vous a-t'elle trouvée? C'est rare de nos jours une demoiselle de compagnie. Jeune et jolie en plus? Le compliment paraît incongru. ZOÉE s'est levée, un peu mal à l'aise: ZOÉE:

LE HASARD. LA CHANCE. MARTIN: Le hasard? Une fille intéressante comme vous! Je veux tout savoir, moi. Peut-être que je pourrais vous aider. ZOÉE veut mettre un terme tout de suite à la conversation: ZOÉE: Aie! La dernière chose dont j'ai besoin, c'est de me faire cruiser. OK?

...Je vais aller aider Mme Garneau. Madeleine n'en peut plus là-bas au bout de la corde et pousse des petits cris pour amuser ses petits-fils.

MARTIN RIT:

MARTIN: Du tempérament en plus! Adorable!

Quand ZOÉE arrive près de Madeleine, cette dernière a rattrapé ses deux petits-fils et les serre dans ses bras avec la même qualité un peu frénétique qui animait ses gestes auprès de sa fille Geneviève à la séquence 15. Un instant plus tard, elle amorce de les chatouiller en leur faisant des proutts sonores sur la bedaine. ZOÉE soudainement est très émue.

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EXT/SOIR. ( 30 SEC.) BORD DE RIVIÈRE.

Flash-back dans les teintes bleues affirmées: ZOÉE et Antoine sont couchés dans l'herbe, sur le dos, regardant les étoiles naissantes. Ils se tiennent par la main. Coiffures et maquillage aident à re-situer dans le temps. ZOÉE raconte:

ZOÉE: Si j'avais pas eu la musique, je serais morte.

ANTOINE: Moi aussi.

Puis elle se soulève sur le coude, entrouvre la chemise du garçon, se penche et de ses lèvres lui fait brusquement un proutt sonore sur la bedaine. Il s'en trouve totalement surpris et éclate de rire. Il ramène une ZOÉE ravie contre lui dans un étreinte farouche.

EXT/SOIR. (1 MIN.30) COUR ARRIÈRE CHEZ MARTIN.

Le repas est terminé. Les adultes sont restés à table tandis que les enfants courent au jardin. Le vin aidant, Nicole et Martin se disent des vacheries devant le regard de plus en plus troublé de Madeleine:

NICOLE: Du reflexe conditionné. Il passe un jupon puis la langue vous tombe à terre.

Un coup d'oeil moqueur en direction de ZOÉE.

MARTIN: C'est un devoir d'admirer la nature. Le désir, c'est un compliment. Je suis certain que mademoiselle peut comprendre ça.

Il a fait un clin d'oeil à ZOÉE.

NICOLE: C'est l'obsession qui est ridicule. unchien qui salive après le premier os qu'il trouve.

MARTIN: Quand le chien est affamé

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qu'est-ce tu veux qu'il fasse?

NICOLE TOUT À COUP DEVIENT AGRESSIVE: NICOLE:

QU'EST-CE QUE TU VEUX DIRE? MARTIN:

On se comprend!

MADELEINE S'IMPATIENTE ET SE LÈVE BRUSQUEMENT:

MADELEINE:

Ca me fait honte de t'entendre Martin...(Elle hésite) Réglez ça dans votre chambre à coucher.

Martin rigole:

MARTIN: C'est justement ce que ma femme ne veut pas faire.

MADELEINE S'ÉLOIGNE: MADELEINE: Je vais aller faire couler le bain des garçons. ZOÉE s'est levée: ZOÉE:

Je vais aller vous aider.

ELLE S'ÉLOIGNE TANDIS QUE DERRIÈRE ELLE, DES VOIX QUERELLEUSES CHUCHOTENT: NICOLE: (A Martin) Arrête de la regarder comme ça. C'est indécent.

INT./NUIT. (2 MIN.) CHAMBRE DE MADELEINE.

ZOÉE aide Madeleine à se dévêtir. La vieille dame semble prise d'une grande lassitude:

ZOÉE: A eux non plus vous n'avez rien dit!

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MADELEINE: A quoi ça aurait servi?

ZOÉE: Ca leur ferait peut-être oublier leur chicane.

MADELEINE: Martin a toujours couru le jupon. C'est pas comique d'être pris avec une Nicole!

Madeleine endosse maintenant sa robe de nuit avec une sorte de pudeur comme si elle voulait cacher sa vieillesse. Elle cherche un ruban pour attacher ses cheveux. Elle va s'asseoir à sa table de vanité. ZOÉE vient derrière elle et prend une brosse pour la peigner. Avec une tendresse timide.

MADELEINE: Des fois on se demande bien ce que les hommes et les femmes peuvent faire ensemble. Eux c'est la quéquette qui compte. Nous c'est les enfants. Encore étonnant qu'on continue de faire semblant. ZOÉE: (Avec une passion sombre) Ils ont juste à se quitter s'il y a plus d'amour!

ZOÉE fait luire les cheveux sous la brosse.

MADELEINE: L'amour c'est du commerce! Le gars te dit que tu es belle et fine. En retour il t'empoigne les fesses. Tu veux des enfants. Tu laisses faire. Lui voudrait grimper dans la société. Toi tu cherches la sécurité. Lui voudrait réussir, devenir important. Tu voudrais que ta vie prenne un sens. Alors on s'installe, on combine, on négocie. On se fait accroire qu'on s'aime. Où est-ce qu'il est l'amour là-dedans? ZOÉE: (Douloureuse)

Vous charriez.

MADELEINE VEUT ÉCHAPPER À CETTE ÉMOTION RAGEUSE QUI L'ENVAHIT. ELLE S'AVANCE POUR

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ROMPRE LE CONTACT ET COMMENCE À PASSER UNE CRÈME NETTOYANTE SUR SON VISAGE: MADELEINE: Il y a tellement de mensonges dans nos vies! Dans le miroir, Madeleine a levé les yeux pour confronter le regard de ZOÉE:

MADELEINE:

L'amour c'est une détresse, ZOÉE.

ZOÉE:

Vous étiez contente de jouer avec vos petits-enfants. MADELEINE: Oui, mais un jour, bientôt, je ne saurai plus jouer avec eux.

PUIS BRUSQUEMENT, AVEC UNE SORTE DE COLÈRE, COMME POUR PUNIR ZOÉE DE LUI AVOIR ARRACHÉ UNE CONFIDENCE QU'ELLE NE VOULAIT PAS FAIRE: MADELEINE: Qu'est-ce que tu fais dans ma chambre, toi? Quelle sorte de fille que ça prend pour être si patiente avec une vieille folle? Ca n'était pas dans le contrat! ZOÉE: Vous tombiez de fatigue. Merde!

J'ai voulu aider un peu. Elle s'est reculée pour ranger la brosse.

MADELEINE: La tendresse, ça m'aidera pas, ZOÉE. Pas du tout.

INT/NUIT. (15 SEC.) APPARTEMENT DE ZOÉE.

ZOÉE: Salaud! Salaud! Salaud!

ZOÉE tape de toute ses forces contre Antoine qui se protège du mieux qu'il peut avec ses bras. Il finit par saisir les poignets de la jeune fille et les immobiliser.

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ZOÉE: (Essouflée) Salaud!

Il l'approche contre lui, la presse, ramenant les mains qu'il emprisonne derrière le dos de la jeune fille. Il l'embrasse. Elle refuse d'abord, puis finalement cède, s'abandonne. Elle lui rend son baiser. Lui libère les mains. Elle entoure alors la tête du jeune homme avec ses bras.

La passion les emporte. La tonalité de l'image est foncée de manière à ce qu'on ne puisse trop distinguer s'il s'agit d'un flash-back ou d'une scène au présent.

INT./NUIT. (1 MIN.) CHAMBRE DE MADELEINE.

Seule dans sa chambre, au milieu de la nuit, Madeleine se maquille, outrageusement cette fois, comme pour se rendre monstrueuse. Avec lenteur et beaucoup de soins. Sur le coin de la table, la bouteille d'iode. Puis elle se lève, marche vers le salon.

INT/NUIT. (20 SEC.) SALON CHEZ MADELEINE.

Madeleine s'assied près du violoncelle, le tire pour le mettre entre ses jambes. Elle essaie de reprendre l'air de Bach. Elle n'y arrive plus, les notes s'emmêlant dans sa tête. Alors avec une sorte de rage, elle se met à multiplier les dissonances et la cacophonie, sans parvenir à s'apaiser.

INT./ MATIN. (1 MIN. 15) CUISINE CHEZ MADELEINE.

Face à face dans une querelle sourde, Madeleine, en robe de chambre, se dispute avec ZOÉE. La caméra les cadre d'abord en double gros plans:

ZOÉE: Faut savoir ce que vous voulez.

MADELEINE: Je l'ai prise ma douche.

ZOÉE: Vous sortiez du lit quand je suis arrivée.

MADELEINE:

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Tu vas quand même pas m'obstiner?!

La caméra recule en même temps que Madeleine s'éloigne avec impatience:

ZOÉE: Ca ne me fait rien moi. Faites comme vous voulez; mais vous l'avez pas prise votre douche. Vous vouliez me montrer des photos de famille. C'est ça que vous cherchiez dans votre tiroir quand vous vous êtes levée.

Madeleine tempête:

MADELEINE: J'ai embauché un chauffeur. Pas une infirmière! Encore moins une gardienne d'enfant.

ZOÉE que la colère gagne, se dirige vers la porte:

ZOÉE: Bon! J'ai d'autres choses à faire moi. Vous vous arrangerez avec votre visite.

MADELEINE: Ma visite? Qui ça?

ZOÉE: Philippe, votre fils.

Madeleine tout de suite vient la prendre par la main:

MADELEINE: Hon! Mon dieu! Va-t'en pas. Excuse-moi! Excuse-moi! Il faut qu'on se hâte. J'ai pas encore pris ma douche.

Devant la réticence de ZOÉE, elle s'arrête soudain, se tourne sur le pas de la porte, et toute éplorée, supplie:

MADELEINE: Qu'est-ce qu'on va faire avec moi?

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FLASHBACK: EXT./MATIN. (1 MIN.45) MAISON DE CAMPAGNE.

Une belle maison d'été sur le bord d'un lac à la campagne. Des cris d'enfants appellent:

MARTIN: (ENFANT) Maman! Maman!

On reconnaît Madeleine. Elle a 35 ans et accourt dehors pour répondre à cet appel:

MADELEINE: Qu'est-ce qu'il y a?

LES ENFANTS ONT GRIMPÉ SUR LE TOIT D'UN APPENTIS POUR JOUER. UN BÉBÉ DE DEUX ANS, ENCORE EN COUCHE, TENTE MALADROITEMENT DE MONTER DANS UNE ÉCHELLE POUR LES REJOINDRE. MARTIN:

Philippe monte sur le toit.

MADELEINE S'EST PLANTÉE POUR LE REGARDER FAIRE. LE BÉBÉ GRIMPE AUX BARREAUX. MADELEINE:

Laisse-le faire!

ELLE DÉCIDE DE PENDRE LE RISQUE. MADELEINE:

Il est capable.

TOUT LE MONDE GUETTE LA PROGRESSION RISQUÉE DU PETIT. BIENTÔT IL ARRIVE AU REBORD DU TOIT. IL Y GRIMPE. ET DEVANT LE SOURIRE RAVI DE MADELEINE, Y FAIT QUELQUES PAS TRIOMPHANTS. MADELEINE: Vas-y mon beau Philippe!

Regarde Martin....Regarde comme il est fier!

LE BÉBÉ FAIT QUELQUES PAS SUR LA PENTE. CHANCELANT CEPENDANT, BIENTÔT LA PEUR LE GAGNE. MADELEINE MONTE À L'ÉCHELLE POUR LE PRENDRE DANS SES BRAS. ELLE REDESCEND AVEC LUI, LE CARESSANT ET LE RÉCONFORTANT. MADELEINE: Viens mon beau bébé!

Viens, maman va changer ta couche.

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En trame sonore on aura entendu une jolie mélodie de Georges Dor. Les paroles:

CHANSON: Si tu venais dans ma maison,

TU VERRAIS POINDRE À L'HORIZON l'enfance qui porte ton nom. L'enfant m'est doux, le temps m'est bon. (paroles de Georges Dor)

EXT./JOUR. (3 MIN. 15) JARDIN DE LA MAISON DE MADELEINE.

Philippe, adulte, est grand et mince, d'une beauté masculine qui étonne. Et la caméra va choisir une lumière pour le magnifier encore plus. Il est assis sur les marches de l'escalier attendant Madeleine qui fouille dans les outils de sa cabane de jardin. Il sourit poliment à ZOÉE qui taille un bosquet un peu plus loin. Madeleine se relève apportant un pot de peinture et deux pinceaux.

MADELEINE: Avec la clôture, je n'aurai plus de problème.

Elle s'éloigne vers une clôture de bois toute neuve qui sépare maintenant son terrain de celui de la voisine. Philippe se lève pour l'accompagner:

PHILIPPE: Ton amie Huguette m'a téléphoné. On a parlé à Geneviève. Danielle a parlé à ton médecin. On sait tout maman.

Ils arrivent à la clôture. Madeleine lui remet l'un des pinceaux , tandis qu'elle commence à étendre un peu de peinture sur le bois.

MADELEINE: ...(Murmure:)Vous savez rien.

Il la confronte du regard:

PHILIPPE: On va prendre soin de toi.

Elle baisse les yeux, fait mine de s'occuper d'une fleur que son pinceau aurait effleuré.

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PHILIPPE: Danielle dit que ton diagnostic est provisoire. Il n'y a jamais rien de certain avec l'Alzheimer.

Avec une fausse jovialité, Madeleine détourne:

MADELEINE: Je voulais te dire. J'ai pensé te laisser le chalet du lac Doré.

Elle a saisi le jeune homme à l'épaule, tente une sorte de caresse timide, pathétique:

MADELEINE: C'est un des endroits que j'aime le plus au monde.

JE SAIS QUE C'EST TOI QUI L'APPRÉCIERAS LE MIEUX. PHILIPPE: Maman!

Fais pas de conneries.

IL LA SERRE BRUSQUEMENT CONTRE LUI: MADELEINE: Comment ça des conneries? C'est toi l'homme des bois dans la famille.

QUAND EST-CE QUE TU M'AS VUE FAIRE DES CONNERIES? PHILIPPE:

Rappelle-toi l'affaire de la bague de diamants.

MADELEINE ESSAIE DE SE DÉGAGER DE SON EMPRISE ET SURTOUT DE L'INTERROGATION: MADELEINE:

Ohhh! Pas encore cette histoire-là!

MADELEINE CHERCHE À ÉVITER QUE LA CONFRONTATION AILLE PLUS LOIN. ELLE S'EFFORCE DE RIRE:

MADELEINE:

Tu trouves pas que ZOÉE est charmante? PHILIPPE:

C'EST PAS LA QUESTION. MADELEINE:

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Au début, je me disais qu'on deviendrait peut-être copines elle et moi. Si on avait de la chance.

MAIS LÀ, ELLE......ELLE DEVIENT UNE VÉRITABLE AMIE. PHILIPPE:

Tant mieux! Mais...

ELLE L'INTERROMPT: MADELEINE: Je suis contente que tu la rencontres.

J'aime pas te voir tellement seul tout le temps!

PHILIPPE RATTRAPE SA MÈRE DANS SES GRANDS BRAS ET LA SERRE CONTRE LUI. PHILIPPE: Maman! Fais pas de conneries je te dis!

Je ne te le pardonnerais pas. Madeleine se retrouve soudainement très touchée par cette étreinte. Elle s'y attarde deux secondes. Puis elle fuit vers la maison, prétextant:

MADELEINE: Il fait trop chaud. Je vais aller mettre un t-shirt plus léger.

EXT./JOUR. (2 MIN.15) JARDIN DE LA MAISON DE MADELEINE.

ZOÉE s'est rapprochée de Philippe, retirant ses gants de jardinage:

ZOÉE: Sa colère me fait peur un peu!

Les propos de la jeune fille suscitent un intérêt chez Philippe:

PHILIPPE: Son amie Dorothée avait un cancer de la bouche. Elle s'est suicidée au début de l'été. Maman a prétendu qu'elle trouvait ça admirable. Même si c'était un gros chagrin pour elle. Orgueilleuse comme elle est, elle est bien capable de se mettre en tête de l'imiter.

Une sorte d'effroi semble gagner ZOÉE:

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ZOÉE: Oh! Ca dépasse mes capacités, ça.

PHILIPPE: Ecoutez ZOÉE, c'est précieux ce que vous faites. Ma soeur Danielle m'a dit que maman lui a annoncé sa visite en Gaspésie.

ZOÉE:

Oui, oui. Ca fait partie de la tournée que votre mère veut faire.

PHILIPPE: Danielle est médecin. Ca nous rassure un peu que maman veuille aller la consulter. ZOÉE:

VOUS POUVEZ PAS LA CONDUIRE VOUS-MÊME?

PHILIPPE:

Souvent maman se butte quand ses enfants résistent à une idée.

J'ai peur de provoquer des choses

si j'essaie de modifier ses plans.

Il a regarde avec un intérêt accru:

PHILIPPE: Continuez ZOÉE. S'il vous plaît. C'est miraculeux que vous ayez pu gagner la confiance de maman. Donnez-nous un peu de temps. On va s'organiser. Je vous donne mon numéro de cellulaire. Vous pourrez me joindre en tout temps.

La caméra a tourné autour du couple (360 degrés) comme pour souligner de manière subliminale un attrait qui pourrait les lier.

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EXT./INT./ (30 SEC.) BORD DU FLEUVE ENTRE VARENNE ET CONTRECOEUR

ZOÉE et Madeleine roulent en automobile, au bord du fleuve, près de Contrecoeur, dans un paysage d'une grande douceur. Madeleine contemple les grands arbres qui défilent. (A partir de ce moment, le décor devrait prendre une place croissante dans l'imagerie du film. On entreprend en effet comme un discours visuel parallèle sur le fleuve).

MADELEINE: C'est trompeur la brunante, tu trouves pas? Au coucher du soleil, même ces horreurs d'usines sont belles.

ZOÉE: Papa disait ça: c'est quand une plante va mourir qu'elle donne ses plus belles fleurs.

MADELEINE: Comment ça mourir?

Ralentissant pour contempler le coucher du soleil:

ZOÉE: C'est le crépuscule de l'humanité qu'on vit. Tout le monde s'en fout.

MADELEINE: Comment ça l'humanité?

ZOÉE: Papa voyait la fin de monde qui approche. A cause de la pollution. Madeleine se prend à rire doucement:

MADELEINE: Il était pas trop rigolo ton père.

ZOÉE: Des fois ça aide de pas penser.

Madeleine s'est relevée d'un brusque coup de rein.

MADELEINE:

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A ton âge on prend trop les choses au sérieux ma belle ZOÉE. ...Si tu trouves un restaurant, arrête. On pourrait prendre une bouchée.

ZOÉE: Nous avons mangé il y a pas encore une heure!

MADELEINE: C'est vrai? Tu vois, je ne m'en rappelais pas.

INT./JOUR. (3 MIN.) RESTAURANT

Elles sont attablées dans un restaurant chic. Le garçon en cravate noire, se tient debout près de leur table, carnet à la main, pour prendre la commande:

GARCON: Et pour madame?

MADELEINE: Vous m'apporterez des pâtes au beurre.

GARCON: Vous êtes dans un des meilleurs restaurants du Québec, madame.C'est bien ce que vous voulez? Des pâtes?

Madeleine, surprise, fait un clin d'oeil vers ZOÉE: MADELEINE:

Hé! Quoi? C'est pas tout le monde qui réussit les pâtes.

LE GARÇON EMBARRASSÉ DANS SA POLITESSE OBLIGATOIRE: GARCON:

Je vais demander au chef.

MADELEINE LE RAPPELLE LORSQU'IL S'ÉLOIGNE: MADELEINE: S'il vous plaît.

APPORTEZ-NOUS UNE BONNE BOUTEILLE DE VIN ROUGE. GARCON:

Madame a consulté la carte?

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PLEINE DE DÉFI, MADELEINE SE MONTRE IMPATIENTE: MADELEINE: Non! Apportez-nous votre meilleure!

IL S'ÉLOIGNE À DEMI RASSURÉ. ZOÉE A OUVERT LA CARTE DES VINS ET LA CONSULTE, FAISANT BIENTÔT LA GRIMACE: MADELEINE: Hé! Quoi? ZOÉE: Ca me fait rien.

C'EST VOTRE ARGENT. MADELEINE: Quoi! ZOÉE: 348 dollars! La meilleure bouteille de vin rouge! MADELEINE: Hon!

Elle se met à rire:

MADELEINE:

Qu'est-ce que j'ai encore fait? Hon!

ZOÉE se lève à demi. Madeleine la tire par la manche:

MADELEINE: Laisse faire. Je vais m'arranger.

Le garçon revient du fond de la salle, portant la précieuse bouteille. GARCON: Le chef demande si madame préfère vraiment ses pâtes au beurre. Il suggère plutôt l'huile

avec un peu de safran pour agrémenter le goût.

IL A PRÉSENTÉ LA BOUTEILLE À MADELEINE QUI LIT L'ÉTIQUETTE:

MADELEINE: Château Petrus 94. Ah! Vous avez pas 93?

Il était meilleur!

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LE GARÇON SE RAIDIT: GARCON: Le sommelier m'assure que c'est

NOTRE MEILLEURE BOUTEILLE. MADELEINE: Faites goûter pour voir. Le garçon entreprend la cérémonie dans le silence. Madeleine a murmuré avec un petit rire en direction de ZOÉE: MADELEINE:

Il faut un grand chef pour bien manier le safran.

VERS LE GARÇON QUI VERSE MAINTENANT UN PEU DE VIN ROUGE DANS LE VERRE DE MADELEINE. MADELEINE:

Vous lui direz au beurre. Al Dente!

ELLE PREND LA COUPE DE CRISTAL, HUME LONGUEMENT, FRONCE BIENTÔT LE SOURCIL. MADELEINE:

IL EST BOUCHONNÉ, JE CROIS. GARCON:

Bouchonné!? Madeleine goutte avec dédain:

MADELEINE: Ah! Oui. Parfaitement. Il est bouchonné votre vin. Vous avez mal entreposé la bouteille. Dommage ZOÉE! C'est souvent comme ça dans les restaurants prétentieux. Rapportez-la, garçon. Et donnez-nous plutôt de la bière. N'est-ce pas ZOÉE? Dans certains restaurants la bière c'est toujours plus sûr!

INT./NUIT. (1 MIN.) CHAMBRE DE CABINE.

Les deux femmes ont le fou rire encore une fois:

MADELEINE:

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Le pire c'est qu'il était bon ce vin! Un véritable bonheur! J'ai bien failli l'accepter.

ZOÉE hoche la tête:

ZOÉE: Vous êtes une délinquante terrible! J'aurais jamais osé renvoyer la bouteille, moi. (admirative) Juste une délinquante. Sous des airs de grande dame.

Madeleine rit du compliment.

MADELEINE: Penses-tu? Je voudrais bien que ce soit vrai. J'ai été bien trop sage dans ma vie. Mais tant pis pour eux! C'est scandaleux de vendre à ce prix-là.

Elle a pointé du doigt vers le dessus de la commode.

MADELEINE: Tu n'en as pas un peu de bonheur, toi? Là? Dans ton sac?

ZOÉE est surprise:

ZOÉE: Dans mon sac?

MADELEINE: Oh! Fais pas l'innoncent.

ZOÉE s'est levée, a marché vers la commode pour y prendre son sac à main. Elle en extrait une petite enveloppe de plastique: ZOÉE:

Vous voulez dire mon pot?

MADELEINE: Va falloir que tu me montres. J'ai jamais goûté.

EXT/NUIT. (10 SEC.) BORD DU FLEUVE ENTRE SOREL ET TROIS-RIVIERES

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L'image du fleuve dont la surface tremble sous la lumière de la pleine lune. Dans le noir d'une petite véranda sur le devant d'une cabine de tourisme, ZOÉE et Madeleine échangent le traditionnel joint de mari. Le huard lance longuement son cri pathétique. Madeleine déjà rit beaucoup.

EXT/JOUR. (30 SEC.) FLASH-BACK

Elle se retrouve, jeune encore, sur un lac brillant, en bateau à voile, avec un très beau jeune homme qui lui fait des déclarations d'amour:

JEUNE GALANT: Madeleine, je vous aime.

MADELEINE: Pourquoi?

La question les fait pouffer de rire.

JEUNE GALANT: A cause de vos bons petits déjeuners.

Madeleine se marre. Le garçon est découragé.

INT/NUIT.(2 MIN.) CHAMBRE DE CABINE

LES DEUX FEMMES SE ROULENT EN RIANT SUR LE LIT, QUASI DANS LES BRAS L'UNE DE L'AUTRE. MADELEINE SE REDRESSE: MADELEINE: Hon!...Hon! Mon Dieu que je pense vite! .... J'ai jamais pensé vite comme ça! ZOÉE: A quoi?

A QUOI TU PENSES? MADELEINE: Je comprenais pas mes grandes quand elles prenaient ça. ZOÉE:

TES GRANDES?

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MADELEINE:

Mes grandes du secondaire.

J'ai enseigné pendant 27 ans moi, ZOÉE. ON LEUR A TELLEMENT PARLÉ CONTRE LA DROGUE! ZOÉE: Avec la mari, il n'y a pratiquement pas de danger. Simple.

Elle s'est mise à caresser les cheveux de ZOÉE. Celle-ci s' accroche dans ses bras, comme une toute petite fille tout à coup.

MADELEINE: Tu m'as dit tu. Je suis contente.

ZOÉE se met à chanter d'une voix légèrement éraillée par l'émotion:

ZOÉE: (Chantant) Tout est tellement fucké! Dans mon grand jardin je soigne les fleurs blessées. Le soleil est si froid, si froid, si froid....

MADELEINE: Qu'est-ce qui est si "fucké" ma ZOÉE?

Mais la jeune fille s'est tue et a fermé les yeux:

ZOÉE: C'est juste une chanson! Une composition comme les autres. Faut pas faire attention.

INT/NUIT. (1 MIN.) BAR

Flash-back monochrome bleu. Un bar. ZOÉE joue au piano. Elle murmure des paroles à demi-voix:

ZOÉE: (Même chanson qui continue)

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Les jours d'hiver se font moins froids quand je ne pense plus du tout à toi. La nuit d'hier a passé si doucement, loin, loin, loin , tellement loin de toi.

Un garçon s'approche, surgissant de l'obscurité de la salle. C'est Antoine, rajeuni et très beau. Surprise, ZOÉE a cessé de jouer:

ANTOINE: Continuez de jouer. Je veux vous connaître. C'est comme si j'entendais battre votre coeur.

Il sourit, tout ému.

INT./NUIT. (1 MIN.15) CHAMBRE DE CABINE

ZOÉE dort dans son lit, alors que toutes les lumières de la pièce sont éteintes. La porte de la salle de bain s'ouvre sur un carré de lumière. Madeleine en sort, une revue à la main. Elle réveille ZOÉE, toute en urgence.

MADELEINE: ZOÉE! ZOÉE! Regarde.

ZOÉE: Qu'est-ce qu'il y a?

MADELEINE OUVRE LA LAMPE DE CHEVET ET S'ASSIED SUR LE REBORD DU LIT DE LA JEUNE FILLE. ELLE LUI TEND UNE REVUE: MADELEINE: Regarde l'article sur l'Alzheimer. ZOÉE se redresse dans son lit: ZOÉE:

Où? Là?

MADELEINE POINTE DU DOIGT: MADELEINE: Tu vois? L'université du Minnesota poursuit des recherches sur l'Alzheimer. Ils ont peut-être trouvé un médicament. On demande des volontaires pour en vérifier l'efficacité. Il faut qu'on téléphone. ZOÉE:

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TOUT DE SUITE? MADELEINE: Une vieille sénile comme moi. C'est exactement ce qu'il leur faut. ZOÉE: Il est quatre heures du matin.

Ca n'a pas de bon sens.

MADELEINE EST DÉÇUE. MADELEINE: On appellera demain matin. A la première heure. C'est ton pot qui m'a tenue éveillée. On arrive pas à dormir avec ça. ZOÉE a regardé la revue de plus près, tournant quelques pages: ZOÉE: Cette revue-là date d'il y a

TROIS ANS!! MADELEINE: Hein? ZOÉE:

Bien oui! Regardez. No.17. Septembre... Madeleine lui arrache la revue des mains, comme pour changer le constat. Elle tourne quelques pages, comme si elle pouvait y trouver un démenti. Puis elle se lève et va se laisser tomber sur son lit à elle, tout à côté:

MADELEINE: J'aurais tant voulu finir autrement!

INT. MATIN. (40 SEC.) CHAMBRE DE CABINE La lumière du jour s'infiltre à la fenêtre de la chambre. Madeleine se lève, un peu hagarde, n'ayant vraisemblablement pas dormi. Elle marche vers la salle de bain. On la voit qui cueille une tasse dans une soucoupe près de l'évier. Elle revient vers son lit. Elle s'assied. Sa robe de chambre est posée sur le pied du lit. Elle étire le bras, extirpe la bouteille d'iode de la poche. Madeleine débouche la bouteille, verse le contenu dans la tasse. Elle fait rouler le liquide dans celle-ci. Puis elle s'allonge sur le lit. Elle regarde vers le jour naissant, tend la tasse comme pour trinquer puis la porte à ses lèvres. ZOÉE: Bois pas ce vieux café-là! C'est plein de bactéries.

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Je vais aller t'en chercher du frais au restaurant. ZOÉE s'est soulevée et interrompt le geste de Madeleine. La jeune femme a bondi de son lit, et déjà court à la toilette: ZOÉE:

Ce sera pas long. Au passage, elle a pris la tasse de la main de Madeleine. On la voit qui verse le contenu dans le bol d'aisance. Puis elle disparaît. On l'entend qui ouvre la douche et commence à faire couler l'eau. ZOÉE: On se laisse pas déprimer aujourd'hui. On va voir du beau pays!

Aie! J'ai hâte.

Elle semble de grande humeur:

ZOÉE:

As-tu réussi à dormir au bout du compte? Après toutes les folies que je t'ai racontées.

EXT./JOUR. (1 MIN.30) SUR LE PONT SUPÉRIEUR DU TRAVERSIER QUI VA DE LEVIS À QUEBEC.

Depuis le pont supérieur du traversier, Madeleine et ZOÉE s'émerveillent en silence de la grandiose silhouette du Château Frontenac et de la majesté du cap Diamant. La mise en scène les présente d'abord comme toutes petites dans l'immensité du paysage.

MADELEINE: C'est ici, sur un bateau comme celui-là que j'ai connu mes premiers flirts. Avec les garçons du collège. En robe noire de couventine, le collet jusqu'ici et la jupe jusque-là! On avait droit à un après-midi de congé par mois. On prenait le traversier pour venir se promener dans Québec.

A ce moment un groupe de jeunes enfants arrive sur le pont du traversier, guidé par une monitrice (ou institutrice). Madeleine tout de suite est distraite par ces tout-petits. Elle va s'asseoir parmi eux sur un coin de l'escalier qui monte vers la cabine de pilotage.

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Elle aperçoit un garçonnet d'environ 4 ans qui tente de monter l'escalier vers la cabine de pilotage. ZOÉE déjà s'interpose:

ZOÉE: C'est défendu!

MAIS REPRENANT L'ACTION DE LA SÉQUENCE 39 (FLASH-BACK) MADELEINE DIT: MADELEINE: Laisse-le faire. Il est capable. Le garçon monte deux ou trois marches puis s'arrête, effarouché. Madeleine se lève, lui tend les bras, le cueille pour le ramener sur le pont. Elle tourne un bref instant avec lui dans une étreinte fugace avant de le rendre à sa monitrice. Le voyant s'éloigner, elle murmure à ZOÉE:

MADELEINE:

Les enfants, ç'aura été toute ma vie.

Puis elle se retourne vers le large, pour cacher la poignante nostalgie qui l'assaille.

EXT./ PM. (20 SEC.) RUE BUADE, PRES DE LA BASILIQUE

MADELEINE ET ZOÉE FONT UN PEU DE LÈCHE-VITRINE DEVANT LES BELLES BOUTIQUES DE LA RUE BUADE, PRÈS DE LA BASILIQUE À QUÉBEC. LA CAMÉRA S'ATTARDE AUX BEAUX TISSUS, AUX OBJETS RARES. SOUDAIN MADELEINE LAISSE ÉCHAPPER UN PETIT CRI: MADELEINE: Hon! ZOÉE:

Qu'est-ce qu'il y a?

MADELEINE A POSÉ DISCRÈTEMENT LA MAIN CONTRE SA BOUCHE COMME POUR ÉTOUFFER CE QU'ELLE VA DIRE:

MADELEINE:

Je me suis échappée!

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Il faut que je trouve une toilette.

INT./ PM. (15 SEC.) BASILIQUE DE QUEBEC

D'UN PAS PRESSÉ, MADELEINE TRAVERSE LA NEF DE LA BASILIQUE VIDE, SUIVIE PAR ZOÉE. IL Y A QUELQUES TOURISTES DANS LES ALLÉES. TOUT EN MARCHANT, MADELEINE CONSIDÈRE LES FRESQUES DU PLAFOND, LE CHOEUR: MADELEINE:

C'est ici que j'ai fait ma première communion.

Sa voix fait écho dans la nef. Elle presse le pas.

INT./PM. (1 MIN.30) TOILETTES DE LA BASILIQUE

La pièce a une sobriété ecclésiastique: trois cubicules fermés devant une petite allée où sont alignés trois lavabos coiffés de miroirs.

MADELEINE S'EST ENFERMÉE DANS UN CUBICULE. ON NE VOIT QUE ZOÉE QUI ATTEND. MADELEINE: (OFF) Reste pas là. Ca me gêne. ZOÉE:

J'aime mieux t' attendre.

APRÈS UN TEMPS DE SILENCE: MADELEINE: (off) Tu crois en Dieu, toi? ZOÉE est décontenancée par la question: ZOÉE: Je ne sais pas.

JE NE CONNAIS RIEN LÀ-DEDANS. MADELEINE: (OFF) Moi, j'ai pleuré quand j'ai perdu la foi. Je savais plus où me raccrocher. Je me disais : c'est la conscience qui compte. C'est la conscience qui est sacrée. ZOÉE:

PEUT ÊTRE QUE C'EST ÇA.

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MADELEINE: (OFF) Mais c'est quoi la conscience? Si on peut survivre quand elle s'éteint. Qu'est-ce qui restera de moi quand je serai légume? ZOÉE réplique, impatiente, comme si ces interrogations l'ennuyaient: ZOÉE: Faut pas me demander des réponses que je connais pas. MADELEINE: (OFF) C'est ça le pire, ZOÉE. On peut même pas être certaine d'avoir une âme. ...... Reste pas là, je te dis. Ca m'humilie plus que tout.

INT./ PM. (15 SEC.) BASILIQUE DE QUEBEC

Madeleine et ZOÉE retraversent la basilique en sens inverse, marchant vers la sortie. La caméra multiplie les points de vue pour faire état de la majesté du lieu. Madeleine parle avec une voix de moins en moins secrète, insouciante de la curiosité qu'elle provoque chez quelques touristes: MADELEINE: On se croit toujours unique! Mais tous ces gens qui sont morts avant nous! Combien de milliards? Où c'est qu'ils sont allés? La résurrection ça n'a pas de bon sens. Il y aurait trop de monde!

Cette tirade nous conduit à des propos analogues que Madeleine tenait trente ans plus tôt dans le film CA N'EST PAS LE TEMPS DES ROMANS et dont nous introduirons peut-être que de brefs inserts.

INT/JOUR. (1 MIN.30) SOLARIUM DE CENTRE D'ACCUEIL.

GUIDÉE PAR UNE INFIRMIÈRE, MADELEINE, SUIVIE DE ZOÉE, S'APPROCHE D'UNE HAUTE CHAISE LONGUE. AU-DELÀ, ELLE DÉCOUVRE UNE PETITE VIEILLE RECROQUEVILLÉE DANS SES COUSSINS. LA RECONNAISSANCE EST INSTANTANÉE.

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MADELEINE:

GISÈLE! GISELE:

Heuh...!

LE VISAGE DE LA VIEILLE S'EST ÉCLAIRÉ D'UNE LUMIÈRE ÉMERVEILLÉE. MADELEINE S'EST ACCROUPIE PRÈS D'ELLE, LUI A PRIS LES DEUX MAINS. LES YEUX PARLENT AVEC UNE INTENSITÉ INCROYABLE. LES DEUX VISAGES SONT ILLUMINÉS DES PLUS GÉNÉREUX SOURIRES: MADELEINE:

Gisèle..! Mais l'autre ne répond pas, toute communication étant ramenée dans le regard. Elle serre un peu plus fortement les doigts de Madeleine, émet des petits gloussements de contentement. Les deux femmes vont se mettre à pleurer paisiblement, ne cherchant ni l'une ni l'autre à masquer leurs larmes.

LA GARDE EXPLIQUE: GARDE-MALADE: Mme Dumoulin ne parle plus depuis quelques mois déjà. Elle ne comprend pas toujours ce qu'on lui dit non plus. Mais elle comprend très bien lorsqu'on lui dit qu'on l'aime. N'est-ce pas Mme Dumoulin?

La malade n'a pas détourné le regard de celui de Madeleine. Elle serre de plus en plus fortement les mains de celle-ci. ZOÉE ne peut être qu'émue d'une si grande intensité de communication et d'affection.

INT./ NUIT. (1 MIN.15) CHAMBRE D'HOTEL.

Madeleine s'éveille au milieu de la nuit. Dans le lit d'à côté, elle entend ZOÉE qui gémit un peu et qui est secouée de soubresauts rapides et continus: Madeleine s'est levée de son lit,

MADELEINE: Qu'est-ce que t'as?

ZOÉE: (Colérique)

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J'ai froid. Merde! J'ai froid terrible!

Madeleine se lève, vient s'asseoir sur le rebord du lit, se penche sur la jeune fille qui grelotte, crispée sous les couvertures qu'elle retient autour de son cou.

MADELEINE: As-tu pris quelque chose? De la drogue?

ZOÉE DÉNIE VIGOUREUSEMENT DE LA TÊTE. MADELEINE: C'est la grippe?

ZOÉE: Maman est morte dans cet hôpital-là.

MADELEINE:

Quel hôpital?

ZOÉE:

Le Centre d'accueil de votre amie, c'était un hôpital avant.

Madeleine s'est penchée comme pour prendre ZOÉE dans ses bras:

MADELEINE:

Pauvre chouette!

Pourquoi tu me l'as pas dit?

Ca fait longtemps?

ZOÉE:

Elle s'est suicidée.

J'avais 8 ans.

ZOÉE est agitée maintenant de véritables spasmes.

INT./ NUIT. (1 MIN.15) SALLE DE BAIN

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L'EAU DU BAIN EST SI CHAUDE QU'ELLE EN EST FUMANTE. MADELEINE SOUTIENT LA TÊTE ET LES ÉPAULES DE LA JEUNE FILLE QUI S'Y TROUVE PLONGÉE; MAIS AVEC LA MALADRESSE ÉVIDENTE QUE LUI IMPOSE SA MALADIE. MADELEINE: Raconte! Raconte! C'est juste ça qui va te réchauffer. ZOÉE:

Il y a rien à raconter.

MADELEINE ESSAYE MAINTENANT DE LUI FROTTER LE DOS AVEC UN SAVON QUI FAIT UNE MOUSSE ÉPAISSE. MADELEINE: Raconte pareil. Parle! Arrête pas. C'est ton coeur qui a froid. J'ai appris ça, moi. Les grands froids, c'est toujours les chagrins du coeur. ZOÉE hésite un instant, puis se ramène contre Madeleine et commence à parler d'une petite voix monotone: ZOÉE: Elle est partie de chez nous j'avais deux ans et demie. Heureusement j'avais des matantes. Des belles matantes roses et joufflues. Quand je m'ennuie, c'est à elles que je pense.

Mes belles matantes qui riaient tellement bien!

DE BRUSQUES SANGLOTS MONTENT À LA GORGE DE LA JEUNE FILLE QUI DOIT S'INTERROMPRE: MADELEINE: Ta mère? Qu'est-ce qui est arrivé? ZOÉE: Je m'en souviens pas. J'étais trop petite.

ZOÉE LÂCHE SA PRISE SUR MADELEINE: MADELEINE: Essaye! ZOÉE: Elle avait lâché l'université quand elle a rencontré papa.

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Mais ensuite ça c'était gâté. Puis l'université l'a rappelée, elle. Avec une bourse. Pour faire un doctorat. Elle a dû compter que ça nous sortirait du pétrin. ZOÉE a entrepris de se frotter elle-même les bras: ZOÉE: Papa voulait pas quitter son rêve de retour à la terre. Elle pouvait pas dire non à l'université. Ils se sont séparés. Ils avaient décidé qu'elle reviendrait tous les quinze jours. Pour nous voir les enfants. C'a marché au début. C'était sûrement très difficile.

Québec-Val d'Or, c'est pas à la porte. Les pleurs se sont faits plus doux:

ZOÉE: Mais après un temps, c'était tous les mois. On l'a perdue. Petit à petit. Le deuxième Noël, elle est montée pour trois jours seulement.

NT/SOIR. ( 30 SEC.) LE SALON D'UNE PETITE MAISON RURALE

L'image retrouve la tonalité monochrome bleue des flash-backs concernant ZOÉE. On aperçoit la fillette de la séquence 20 qui déballe un gros cadeau au pied d'un arbre de Noël plein de lumières brillantes:

L'excitation de la petite est grande et se manifeste dans la brusquerie des gestes qui déchirent l'emballage. A l'intérieur, elle découvre un petit piano-jouet avec un clavier d'une trentaine de notes seulement. Elle se tourne, ravie vers sa mère qui saisit l'enfant dans ses bras pour la caresser. Bientôt elle entreprend de lui faire des proutts dans le cou qui font pâmer l'enfant.

INT/NUIT.(1 MIN.) SALLE DE BAIN.

Nous retrouvons ZOÉE adulte dans son bain: ZOÉE: L'été suivant elle n'est pas venue. A cause d'un laboratoire spécial. On s'est habitué à vivre sans elle. Quand j'avais huit ans, je la visitais comme une matante justement.

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Deux fois par année, à Québec. On savait plus trop ce qu'elle vivait. ZOÉE cherche l'air, comme si elle avait de la difficulté à respirer: ZOÉE: Elle m'envoyait de l'argent. Chaque mois. Pour mes cours de piano. ZOÉE s'est penchée de nouveau contre Madeleine, cherchant le courage qui lui manque: ZOÉE: Comme si ça pouvait la remplacer! ...Puis un matin, papa a reçu une lettre. Ah! Fuck!... Maman dénonçait tout. La pollution, l'injustice dans le monde, l'impossibilité de renverser le cours des choses. Même l'amour, je pense. Elle l'avait écrite quelques heures avant son suicide. Trois jours plus tôt. Le curé de Val d'Or a pas voulu faire de funérailles parce que le corps était déjà enterré à Québec. On est venu ici pour essayer de retrouver quelque chose d'elle. A l'hôpital, ils s'en rappelaient presque plus déjà.

ZOÉE se retourne contre Madeleine toute proche avec une rage soudaine. Elle frappe de ses deux poings, à répétition contre la poitrine de la vieille femme.

ZOÉE: Alors tu me refais pas ce coup-là! Je te tuerai avant. Ok?!

EXT./MATIN. (15 SEC.) TERRASSE DU CHATEAU FRONTENAC.

Très tôt t le matin, alors que le jour commence à peine à se lever. Madeleine cherche sur la terrasse Dufferin. En vain. Elle ne peut voir ZOÉE nulle part.

EXT./MATIN. (2 MIN.) RUE DES REMPARTS À QUÉBEC

MADELEINE CHERCHE SUR LA RUE DES REMPARTS À QUÉBEC (D'OÙ L'ON APERÇOIT LE BASSIN DE LA RIVIÈRE ST-CHARLES, LE FLEUVE ET L'ÎLE D'ORLÉANS, AU LOIN). FINALEMENT ELLE APERÇOIT UNE PETITE

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SILHOUETTE QUI MARCHE SUR LE PARAPET MÊME DES REMPARTS UN PEU PLUS LOIN.

MADELEINE:

ZOÉE!

Elle court vers elle. La caméra remarque que sa démarche est ralentie et ankylosée. Arrivant, haletante, elle trouve la jeune fille qui s'avance en équilibre risqué sur le parapet d'où l'on aperçoit l'immensité du fleuve, l'Ile d'Orléans et le vieux port de Québec.

MADELEINE:

Je me suis réveillée et t'étais plus là.

ZOÉE refuse de s'apitoyer. Elle a sorti un cordon blanc de robe de chambre. Elle lève les bras et commence à danser comme une fillette qui saute à la corde, s'amusant à risquer son équilibre:

ZOÉE: Maintenant tu sais.

C'est ça que ça fait déserter l'autre.

MADELEINE EN CONTRE-PLONGÉE SUPPLIE:

MADELEINE: J'aurais aimé ça prendre soin de toi. Te servir de mère un peu. ...Arrête! ZOÉE! Tu vas te tuer.

ZOÉE SE TASSE POUR DANSER ENCORE PLUS PRÈS DU VIDE. UNE SORTE D' IVRESSE DU MOUVEMENT LA GAGNE. BIENTÔT, ELLE EXULTE. MADELEINE: Mais je pourrai pas. Dans six mois, dans un an, je te reconnaîtrai même plus. Il faut qu'on retourne à Montréal, que j'essaie au moins de faire un petit quelque chose pour toi. ...Arrête, je t'en supplie! ZOÉE cesse de danser, la regarde du haut: ZOÉE:

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TA FILLE NOUS ATTEND À PERCÉ, EN GASPÉSIE. MADELEINE: T'as des frères? Des soeurs? Ils peuvent pas s'occuper de toi? ZOÉE: Une soeur. Ginette.

MAIS ON S'ENTEND PAS TRÈS BIEN.

MADELEINE:

ZOÉE! J'en peux plus. DESCEND JE TE PRIE. ZOÉE: J'ai promis de te conduire là-bas. Je vais le faire.

ZOÉE ricane puis fait une double pirouette:

MADELEINE: ZOÉE!

Mais la jeune femme a sauté, légère, sur le trottoir pour la rejoindre, l'empoigne par le coude et l'entraîne vers la rue:

ZOÉE: Quand je t'aurai remise à ta fille, on pourra se séparer. Mais d'ici là c'est donnant donnant. Tu me fais pas de folies!

Ou alors moi je t'en fais toute une!

Madeleine s'est retournée et la serre dans ses bras. ZOÉE s'abandonne à la caresse. Pressées l'une contre l'autre, elles contemplent un long moment la splendeur du lever de soleil.

EXT./JOUR. (2 MIN.) HALTE ROUTIÈRE SUR LES HAUTEURS DU BIC.

La vue sur le fleuve qui s'élargit est grandiose. Reculant, la caméra révèle un nouveau décor routier. Insouciante de la splendeur du paysage, Madeleine a renversé un sac à main sur le capot de l'automobile et fouille fébrilement dans le contenu qui tend à s'éparpiller jusqu'à terre. ZOÉE revient de la salle de toilette d'un motel ou restaurant. La séquence est nerveuse, hachée:

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ZOÉE: Qu'est-ce que tu fais? C'est mon sac!

MADELEINE: Dis-moi où tu l'as cachée. Tu me l'a volée!

ZOÉE: Volée? Mais quoi?

MADELEINE: Ma montre. Ma montre à diamants. Tu me l'as volée. Je le sais.

ZOÉE: Merde! Elle est dans la poche de ta veste. Tu l'as retiré de ton poignet tout à l'heure.

Madeleine fouille dans la poche de la veste. Effectivement elle y retrouve la montre.

MADELEINE: Oh...Ohn!

Elle est confuse:

ZOÉE: Pour voir si je te volerais.

Madeleine cache son visage dans ses mains et sanglote doucement.

MADELEINE: Je ne me contrôle plus. Plus du tout.

Elle se met à frapper des poings sur sa tête:

MADELEINE: Comment tu vas faire pour continuer à m'endurer? Jusqu'au bout?

Elle s'enfuit pleurer un peu plus loin. A chaudes larmes cette fois. Dans le visage de ZOÉE, on peut lire une détresse hésitante. Puis elle se ravise et marche vers la vieille dame.

ZOÉE: Ok! Ok! Ok!

On sait que c'est la maladie.

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Madeleine lève un regard éploré.

INT/SOIR. (1 MIN.) CHAMBRE DE MOTEL.

ZOÉE est au bain. Par la porte à demi entrouverte, Madeleine observe la jeune femme qui sort de l'eau, s'essuie, procède lentement à sa toilette. Les jeux de lumière sont favorables. Le corps de la jeune femme est admirable. Aphrodite s'incarne à nouveau dans le mystère de la beauté.

Les yeux de Madeleine s'embuent.

EXT./JOUR. (1 MIN.30) PLAGE

Flash-back (tonalité colorée). Etendue sur le sable, dans un simple costume de bain noir, Madeleine, jeune femme se fait dorer au soleil. Sa beauté à elle, toute simple, exprime une volupté pleine d'attente.

Pleine de tristesse déjà.

EXT. SOIR. (2 MIN.) PERRON DE MOTEL. BORD DE MER

LE SOLEIL EST COUCHÉ DEPUIS PEU. MADELEINE EST ASSISE SUR LE PERRON, FACE À LA MER. ON ENTEND LE BRUIT DES VAGUES. ELLE ÉCRIT DANS UN GRAND CARNET CARTONNÉ, SE SERVANT D'UNE LAMPE DE POCHE POUR MIEUX ÉCLAIRER LES PAGES. ZOÉE SURVIENT DE L'INTÉRIEUR, APPORTANT UN CHÂLE POUR LA COUVRIR.

MADELEINE: Ca se peut-il? J'ai écrit: testamoint au lieu de testament. ...Les mots m'échappent. Je suis plus capable.

Elle se met à rire. ZOÉE s'approche pour vérifier sur le papier.

ZOÉE: (lisant) Qu'est-ce que tu voulais dire?

Madeleine s'abandonne à une sorte de fou rire nerveux:

MADELEINE:

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Je m'en rappelle plus! ZOÉE se met à rire aussi.

MADELEINE: Je veux te laisser un peu d'argent. J'aurais voulu faire beaucoup plus pour toi mais je n'aurai pas le temps.

ZOÉE: J'en veux pas de ton argent.

MADELEINE: Tout m'est enlevé. Même la capacité d'aider. Ote-moi pas ça!

ZOÉE ne répond pas tout de suite. Après un long moment, elle saisit la main de Madeleine et l'immobilise:

ZOÉE: Tu veux te suicider, hein? C'est ça ton grand projet? Dis-le donc clairement... Dis-le moi pour une fois. Qu'on arrête de faire semblant. C'est pour ça le voyage?

UNE TOURNÉE D'ADIEUX? MADELEINE: Je veux être à la charge de personne. C'est le dernier service que je peux rendre. Elle se tourne brusquement pour confronter ZOÉE: MADELEINE: Même pas à charge de toi. ZOÉE: C'est complètement ridicule!

T'AS MÊME PAS UN DIAGNOSTIC FERME. TU TE FAIS DU THÉÂTRE.

MADELEINE:

Tu peux pas comprendre ça, ZOÉE; mais arrive un moment dans la vie,

OÙ L'ON N'A PLUS TELLEMENT LE GOÛT DE S'ENDURER. PARFOIS...

Madeleine lève la main pour lui caresser la joue. ZOÉE repousse violemment la main:

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EXT./JOUR. (30 SEC.) DEVANT UN MOTEL

A deux pas d'un motel, ZOÉE parle, avec un ton d'urgence, dans son cellulaire:

ZOÉE: Je suis même pas certaine qu'on se rende. ...... Non! Ecoutez Philippe. La prudence tient plus. Ca me dépasse. ....Oui, oui! Complètement. ... Dites à votre soeur que je fais tout pour accélérer le voyage. Si elle pouvait venir à notre rencontre... ...Oh! La voilà! ....C'est ça. Je vous rappelle. Elle vient en effet d'apercevoir Madeleine qui sort du motel et la cherche près de l'automobile. Elle revient vers Madeleine qui cherche sur le perron. Elle la touche au bras avec une grande délicatesse:

ZOÉE: C'est à ton tour d'avoir froid?

MADELEINE: Non. Pourquoi?

ZOÉE: T'as mis deux chandails je pense.

Confuse, Madeleine s'aperçoit que c'est vrai.

MADELEINE: Mon Dieu! Ca va encore plus vite que je craignais.

Elle rit rageusement tandis qu'elle retire les chandails.

MADELEINE: Et même pas dans les bonnes couleurs en plus!

ZOÉE s'esclaffe à son tour:

ZOÉE: (Touchant au chandail.)

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C'est un des miens! Cette fois c'est toi qui m'as volé.

Les deux femmes se regardent dans les yeux, la compassion apaisant leur rire: MADELEINE: Ne me laisse pas avant que j'aie revu Percé. Au moins. Pas avant. Je t'en prie. ZOÉE l'aide à enlever le dernier chandail. Elle en profite pour se pencher brusquement et faire de ses lèvres un proutt inattendu sur le ventre à demi-dénudé de Madeleine.

CELLE-CI, TOTALEMENT SURPRISE, S'ESCLAFFE: MADELEINE: Arrête! Tu me chatouilles.

ZOÉE fait mine d'insister en guise de jeu. Madeleine rit aux éclats maintenant tout en se défendant et repoussant la jeune fille.

ZOÉE: Pour voir si je te laisserais!

EXT. /JOUR. (3 MIN.) JARDIN DE METIS.

ZOÉE négocie l'achat des billets d'entrée au kiosque d'accueil. Déjà Madeleine s'émerveille des plates-bandes de fleurs tout autour. Un délai semble intervenir au kiosque. Tandis que ZOÉE au guichet proteste devant la lenteur d'une préposé, Madeleine a surpris un écureuil qui voltige d'un arbre à l'autre. Elle fait quelques pas pour mieux l'observer. Le rongeur s'est arrêté et se dresse sur ses pattes arrière pour l'observer. Elle l'appelle:

MADELEINE: Petit...petit...

L'animal repart puis s'arrête et se retourne à nouveau. Comme pour la provoquer. Madeleine fouille dans son sac à main, trouve quelques noix (ou arachides) dans un sachet de plastique. Elle tend la main vers l'écureuil.

Ce dernier est habitué, semble-t'il, à se faire nourrir par les visiteurs. Il s'approche mais ne vient pas jusqu'à la main. Madeleine fait quelques pas de plus vers lui. Il recule. Elle lance alors une noix ou deux sur le sol. Vif, l'écureuil est venu les saisir et s'enfuit. Rieuse, Madeleine se hâte gauchement vers le bois où il disparaît:

MADELEINE:

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Petit....petit...

ELLE L'A PERDU DE VUE. ALORS ELLE S'ENFONCE PLUS LOIN DANS LE FOURRÉ. OH! MERVEILLE! UN PAPILLON D'UN BLEU FABULEUX SURGIT VOLANT DEVANT ELLE. MADELEINE:

Oh! Mais qui c'est que t'es toi?

Ravie, elle change d'objet de poursuite et se met à marcher vers le papillon.

CELUI-CI BUTINE DANS LE SOUS-BOIS ET S'ÉLOIGNE. BIENTÔT LA FORÊT S'EST REFERMÉE SUR MADELEINE. ELLE AVANCE ENCORE DE QUELQUES PAS CHERCHANT LE PAPILLON QUI A DISPARU. PUIS TOUT À COUP LA FRAÎCHEUR DU LIEU LA SAISIT. ELLE SE TOURNE ET APPELLE:

MADELEINE:

ZOÉE!

Aucune réponse. Un début de panique la saisit. Elle tourne sur elle-même pour essayer de retrouver son chemin. La forêt la cerne de toute part. Elle s'enfonce encore plus loin, cherchant une sortie.

BIENTÔT LA PEUR LUI FAIT HAUSSER LA VOIX:

MADELEINE:

ZOÉE! ZOÉE!

Mais personne ne répond. Madeleine se prend alors à courir, déchirant même le rebord de sa jupe aux ronces d'un bosquet.

ELLE A MAINTENANT TRÈS PEUR MAIS ELLE APERÇOIT FINALEMENT ENTRE LES BRANCHES LA SILHOUETTE D'UN HOMME QUI SEMBLE TRAVAILLER SUR UN ARBRE. MADELEINE:

Monsieur, monsieur..? Elle court, à demi rassurée.

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L'HOMME EST VIEUX. QUELQUE CHOSE DE BIENVEILLANT S'EST INSCRIT DANS LES RIDES DE SON VISAGE ALORS QU'IL SE TOURNE VERS ELLE. MADELEINE: (Tout de suite coupable)

Je me suis égarée. C'est fou. Je me croyais perdue.

IL L'EXAMINE UN INSTANT, PUIS SOURIT ET VIENT À SA RENCONTRE. JARDINIER:

Le sentier est par là. Ca vous conduira tout de suite à l'accueil.

MADELEINE SE CALME COMME SI ELLE S'ÉVEILLAIT D'UNE TRANSE: MADELEINE:

Merci. Merci. Je vous ai dérangé. Excusez-moi.

PUIS COMME EMPORTÉE PAR UNE CURIOSITÉ ENFANTINE: MADELEINE:

Qu'est-ce que vous faites?

IL L'ACCOMPAGNE VERS UN SENTIER, LA TENANT PAR LE BRAS. JARDINIER:

J'étudie les lichens.

ELLE EST TRÈS ÉTONNÉE: MADELEINE: Les lichens? ZOÉE surgit: ZOÉE: Merde! Merde! (En colère) J'étais inquiète! Qu'est-ce que t'as fait?

J'étais encore obligée de te chercher partout.

ELLE EST VENUE PRENDRE L'AUTRE BRAS DE MADELEINE. LE JARDINIER ABANDONNE SA PRISONNIÈRE:

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MADELEINE:

MOI AUSSI, JE TE CHERCHAIS. JARDINIER:

Il n'y avait pas de risque de toute façon. Le jardin est plein de sentiers qui reviennent tous à l'accueil. Madeleine semble avoir repris ses esprits. MADELEINE: (A ZOÉE

C'est une forme de pourriture, non?

Il sourit avec générosité, s'amusant comme s'il parlait à une enfant: JARDINIER: Les lichens sont faits du mariage d'une algue

et d'un champignon. Deux êtres vivants qui ne pourraient pas vivre

l'un sans l'autre. C'est fascinant?! Vous trouvez pas?

Les deux femmes sont un peu dépassée:

JARDINIER: Tenez regardez!

Il est sorti d'un pas du sentier vers une vieille épinette aux branches vermoulues. Il pointe du doigt la mousse qui se greffe entre le tronc et une grosse branche:

JARDINIER: Ce sont des épiphytes. Ils vivent sans s'exploiter. Mais la présence de l'un est indispensable à la survie de l'autre. C'est pas beau ça? La nature est toujours pleine de miracles.

On finit plus de s'en étonner!

Echange de regards entre les deux femmes. Elles se sont approchées pour essayer d'observer les lichens de plus près.

JARDINIER: Celles-là servaient autrefois à nourrir les caribous. Aujourd'hui il ne leur reste que les rennes du père Noël comme clients!!

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Il rit de sa blague. La caméra va essayer d'observer de très près (macro-photographie) la structure des lichens.

MADELEINE:

ET VOUS AIMEZ CES BIBITTES-LÀ? JARDINIER: C'est le mystère surtout qui m'intrigue. Comme les petites dames

qui se perdent dans les jardins publics.

Il rit, plein de bienveillance.

MADELEINE: Hon!...Excusez-moi encore, monsieur. Je vous ai dérangé.

INT/NUIT. (1 MIN.) CHAMBRE DE MOTEL 2

DANS UN MÊME LIT, MADELEINE SE LOVE DANS LES BRAS DE ZOÉE. LA JEUNE FILLE EST ASSISE, LE DOS APPUYÉ AU MUR, ELLE CARESSE LES CHEVEUX DE LA VIEILLE DAME. MADELEINE: Il était fou ce vieux! ZOÉE:

TU DIS ÇA PARCE QU'IL T'A TOUCHÉE. MADELEINE:

"La nature est toujours pleine de miracles!...!"

ELLE A MIMÉ, AVEC DÉRISION, L'ACCENT, LE TON DU JARDINIER:

MADELEINE:

Ce que tu ne comprends pas, c'est que je n'ai pas le choix.

Ma seule marge c'est de savoir qu'est-ce qui

va être le moins dur pour les miens.

ZOÉE: Peut-être que de prendre soin de leur mère ça ferait du bien à tes enfants,

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QUE ÇA FERAIT DES MEILLEURS HOMMES, DES MEILLEURE FEMMES.

MADELEINE:

Mon départ va les libérer.

C'est encore mieux.

ZOÉE:

Tu donnes à personne la chance de se dépasser.

Tu donnes aucune chance au mystère.

Le chagrin secoue les épaules de Madeleine. Elle bouge la tête en sorte de dénégation rageuse dans les bras de ZOÉE et se met à chialer doucement abandonnant tout raisonnement. La jeune fille presse cette tête contre elle comme pour l'emprisonner. Elle la berce légèrement:

ZOÉE: (chantonnant) Doux...doux...doux...

Bientôt un peu de bave glisse des lèvres de Madeleine sur un sein de la jeune fille. Elle se presse alors encore davantage sur cette poitrine, retrouvant pour un instant la posture de l'enfant qui cherche le réconfort maternel.

EXT/JOUR. (40 SEC.) BORD DU FLEUVE PRES DE MONT SAINT-PIERRE

ZOÉE ACHÈVE DE RANGER QUELQUES SACS SUR LA BANQUETTE ARRIÈRE DE L'AUTOMOBILE TANDIS QUE MADELEINE S'EST DÉJÀ INSTALLÉE SUR LA BANQUETTE DU PASSAGER. UN SILENCE CONFORTABLE RÈGNE ENTRE LES DEUX FEMMES. ZOÉE VIENT PRENDRE PLACE DERRIÈRE LE VOLANT, ENDOSSE DES VERRES FUMÉS, OUVRE LE POSTE DE RADIO. LE BEL AIR ( BACHIANAS BRASILEIRAS DE VILLA-LOBOS) ÉCLATE DANS L'AUTOMOBILE. LES DEUX FEMMES VONT L'ÉCOUTER QUELQUES INSTANTS ALORS QUE SE DÉPLOIE DEVANT ELLE LE PAYSAGE GRANDIOSE DU MONT SAINT-PIERRE EN GASPÉSIE. PUIS MADELEINE DIT:

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MADELEINE: Ferme la radio, s'il te plaît. Ca me fait trop mal d'avoir perdu la musique.

ZOÉE va démarrer mais un spectacle surprenant interrompt son geste. Dans le ciel en effet sont apparus, au travers du pare-brise, comme de grands oiseaux multicolores qui planent très haut en tourbillonnant.

EXT/JOUR. (1 MIN.30) SOMMET DU MONT ST-PIERRE

Au sommet de la montagne, les deux femmes descendent de voiture pour apercevoir quelques jeunes, garçons et filles, qui préparent leurs équipements. Le parking étroit est envahi de toiles multicolores. Les deux femmes s'avancent vers un piton qui domine les aires de lancement. Elles aperçoivent ainsi un garçon qui s'élance en courant sur une plate-forme de bois, tenant ferme la barre de sa voile. Arrivé au bout il continue sa course dans le vide, tombe de quelques mètres, puis emporté par sa voile reprend de l'altitude et commence à virevolter comme d'autres taches de couleurs qui tournoient plus bas.

ZOÉE: Je pense qu'on peut faire un tour. Il y a des voiles à deux. MADELEINE: Je suis trop vieille. Mais toi! Vas-y toi. ZOÉE: J'ai déjà le vertige d'être montée jusqu'ici. Non merci.

MADELEINE S'EST ASSISE SUR UNE ROCHE POUR CONTEMPLER LE SPECTACLE. ELLE DIT À ZOÉE QUI EST VENUE PRENDRE PLACE PRÈS D'ELLE: MADELEINE: Comment il se fait qu'il y a pas plein de ces beaux garçons qui tournent autour de toi? ZOÉE détourne vivement le regard: ZOÉE:

Il paraît que j'aime mal!

MADELEINE S'ÉTONNE: MADELEINE: Ca veut dire quoi, ça? ZOÉE hésite:

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ZOÉE:

Comme si je voulais absolument m'accrocher à toi, par exemple.

INT/JOUR. (1 MIN.15) APPARTEMENT DE ZOÉE.

FLASH-BACK ( TONALITÉ DE COULEURS BLEUE). ZOÉE TRAVAILLE AU PIANO, TÂCHANT D'AJUSTER DES PAROLES À UNE MÉLODIE. ELLE A DE LA DIFFICULTÉ:

ZOÉE: (CHANTANT) A l'heure de l'oubli jamais, jamais je me hisse...hisse...

Sa voix se met à siffler évoquant tellement un serpent en colère qu'elle en rit au bout du compte.

Antoine entre en coup de vent:

ANTOINE: Je l'ai....je l'ai!

ZOÉE: Quoi?

Il montre une lettre qu'il vient de sortir de l'enveloppe:

ANTOINE: Ma tournée! Trois concerts aux Etats-Unis. Peut-être un quatrième.

Elle se lève, enthousiaste, généreuse:

ZOÉE: Je suis tellement contente, Antoine.

IL LA SERRE DANS SES BRAS, LA FAIT TOURBILLONNER:

ANTOINE:

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C'est une chance fabuleuse. Je vais jouer avec l'orchestre de Philadelphie.

ZOÉE: Merveilleux!

Mais il la pose contre le sol, grave soudain:

ANTOINE: Ton tour va venir.

Elle le rassure:

ZOÉE: Une tournée de chanteuse populaire, c'est pas pareil.

ANTOINE: C'est tellement spécial ce que tu fais!

Elle saisit sa tête entre ses mains:

ZOÉE:

Antoine... Il y a pas de compétition entre nous. Ton bonheur, c'est le mien.

EXT./JOUR. (15 SEC.) CAP DE L'AURORE

L'automobile arrive en haut de la côte d'où l'on aperçoit la somptueuse majesté du décor de Percé. C'est le lever du jour. Madeleine a dit:

MADELEINE: Arrête un peu.

ZOÉE range le véhicule contre le côté. Madeleine en descend sans dire un autre mot et marche rapidement vers la prairie qui mène au Cap de l'Aurore.

EXT/JOUR. (2 MIN.) CAP DE L'AURORE, PERCE.

ZOÉE peine à rejoindre la vieille dame qui arrive au point d'observation touristique coiffant le Cap de l'Aurore.

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MADELEINE: J'ai toujours tellement aimé ce paysage-là!

Le paysage maritime s'étend grandiose en effet devant elles. Les oiseaux pêcheurs tournoient au-dessus de la mer, plongent et remontent avec des cris âpres. Un voilier penche au loin. Le vent tourmente les vagues. Les plages s'étalent comme des rubans vertigineux en contre bas. Les deux femmes contemplent en silence. Puis Madeleine hoche la tête, frissonnant:

MADELEINE: J'étais venue ici...en voyage de noces.

ZOÉE: Quand ça?

MADELEINE: 1950. On était vierge tous les deux.

Elle sourit:

MADELEINE: On voulait faire au moins douze enfants mais on savait mal comment s'y prendre. Ce serait inconcevable aujourd'hui mais à l'époque, c'était assez commun.

Elle laisse son regard errer un temps sur le paysage:

MADELEINE: Douze pas parce que l'église prêchait les grandes familles mais par surabondance d'énergie. Comme les cormorans qu'on voit là. On avait tous les deux un espoir terrible dans l'avenir! ZOÉE:

VOUS ÉTIEZ CHANCEUX! MADELEINE: Ça n'a pas empêché Georges de me quitter pour une minette à quarante-deux ans. ZOÉE:

TU LUI EN VEUX ENCORE?

MADELEINE:

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Peut-être qu'il se trouvait pris avec une Nicole lui aussi!

Madeleine achève d'une voix feutrée:

MADELEINE: Il disait que je l'emprisonnais avec ma trallée d'enfants.

Petit rire amer:

MADELEINE: Ca ne l'a pas empêché de mourir à 54 ans, sans avoir rien produit de ce qu'il prétendait faire.

ZOÉE s'est rapprochée, passant un bras autour de la vieille femme, comme pour la consoler déjà.

ZOÉE: C'était sa misère à lui. Pas la tienne.

MADELEINE: Mais après lui, les enfants m'intéressaient moins tout à coup. J'avais été tellement heureuse quand ils étaient petits. ...Ca s'est vidé. D'un coup.

Elle se libère, tourne le dos au paysage, marchant vers la route:

MADELEINE: J'ai continué. J'ai fait ce que j'avais à faire. Mais le coeur n'y était plus. J'avais perdu la foi.

ZOÉE: Tu l'aimais. C'est tout. C'est pour ça.

MADELEINE: Evidemment. ...même après. J'ai continué à l'aimer. Comment tu veux comprendre ça?

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ZOÉE: C'est ça que tu te pardonnes pas? L'amour que tu as perdu? MADELEINE: J'ai été trichée, ZOÉE. Ma vie s'achève dans la défaite. Et c'est l'amour qui m'a trichée.

ZOÉE l'arrête, lui prend la main, l'oblige à se tourner pour faire face au soleil rutilant du matin:

ZOÉE: On devrait prier ensemble.

MADELEINE: Tu sais prier toi?

ZOÉE: Non, Je n'ai jamais prié personne. Mais là, j'aurais le goût de le faire avec toi.

MADELEINE: Prier qui?

ZOÉE: Qui que ce soit, quoi que ce soit qui a créé la vie..

INT/NUIT. (30 SEC.) CHAMBRE DE ZOÉE..

Flash-back ( Les couleurs sont toujours à dominante bleue, mais irradiées de chaleur dorée): Antoine et ZOÉE font l'amour passionnément. Ils sont tous deux beaux et jeunes. Antoine murmure à l'oreille de la jeune femme:

ANTOINE: Je t'aimerai toujours, toujours, toujours!

EXT/JOUR. EXT./JOUR. ( 1 MIN.) GRANDE MAISON AU BORD DE LA MER.

Une jeune femme a sauté au bas des marches du perron d'une grande maison à véranda et couru au travers des arbres du jardin, à la rencontre de Madeleine.

DANIELLE:

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Maman!

ELLE L'EMBRASSE DANS UNE ÉTREINTE FOUGUEUSE, AVEC UNE ÉMOTION CONSIDÉRABLE, TANDIS QUE ZOÉE SE TIENT EN RETRAIT. LA MISE EN SCÈNE SE FAIT UN PEU TOURBILLON. MADELEINE:

ATTENTION. TU ME SECOUES UN PEU FORT. DANIELLE: J'ai parlé à ton médecin.

Tu as dû avoir tellement peur!

MADELEINE S'EST LIBÉRÉE BRUSQUEMENT DE L'ÉTREINTE ET MONTE À LA MAISON: MADELEINE: Oh! Faut pas croire tout ce que disent les docteurs.

Tu devrais savoir ça mieux que personne.

DANIELLE NÉANMOINS L'A PRISE PAR LES ÉPAULES ET L'ACCOMPAGNE VERS L'INTÉRIEUR: DANIELLE: On a parlé Richard et moi.

ON PEUT T'AIDER. MADELEINE: Pour ce qui reste de moi, ça vaut pas la peine.

Ton énergie, donne-la à ta famille.

LA JEUNE FEMME LA SAISIT PAR LES ÉPAULES, L'OBLIGE À SE TOURNER, À CONFRONTER SON REGARD: DANIELLE:

Il y a plein de choses qu'on peut faire pour toi, ...avec toi.

NOUVELLE ÉTREINTE. ON SENT CHEZ DANIELLE, LA FILLE DE MADELEINE, UNE RÉELLE ÉMOTION.

MADELEINE:

Bien...Ecoute.

Faudrait pas que j'oublie de te présenter ZOÉE.

SANS ELLE, JE ME SERAIS JAMAIS RENDUE JUSQU'ICI.

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MAIS UNE GRANDE SILHOUETTE APPARAÎT SOUDAIN DANS LA PORTE DU JARDIN, SURGISSANT DE LA ROUTE: DANIELLE: Philippe?!

MADELEINE S'EST RETOURNÉE DE MÊME QUE ZOÉE. EN EFFET LE FILS DE MADELEINE S'AVANCE VERS LE PERRON, SOURIANT: PHILIPPE:

Je m'ennuyais de la Gaspésie.

IL VIENT EMBRASSER SA MÈRE: MADELEINE:

QU'EST-CE QUE TU VIENS FAIRE ICI? PHILIPPE: (Moqueur) Heille! Le bonheur c'est pas rien que pour toi.

Les beaux paysages, la belle compagnie, j'en veux aussi.

Madeleine le regarde avec une profonde suspicion maintenant.

INT./SOIR. (2 MIN.15) SALLE A DINER CHEZ DANIELLE.

PHILIPPE, MADELEINE ET ZOÉE DÎNENT EN COMPAGNIE DE Danielle, de son mari, Richard, et d'un bébé en chaise haute. La conversation est enjouée. Tout le long de la séquence, et surtout en son début, dans le va-et-vient du service, la caméra enregistre discrètement que Danielle touche sans cesse à son mari, comme si elle ne se lassait pas de le caresser. Par ailleurs elle remarquera que quand Philippe parle, il s'adresse presque toujours à ZOÉE.

PHILIPPE: Il y a des lichens qui se promènent dans le vent. C'était ça autrefois la manne dans le désert.

CE SONT DES FORMES DE VIE ÉTONNANTES. MADELEINE:

IL ÉTAIT FOU CE VIEUX! PHILIPPE: Il y a certaines formes qui ont absolument besoin des oiseaux pour se développer.

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ZOÉE:

DES OISEAUX? PHILIPPE:

LE NITROGÈNE DES EXCRÉMENTS EST INDISPENSABLE À LEUR SURVIE. RICHARD: C'est sûr qu'on est tous dépendants les uns des autres. La moitié des gens que je soigne

SONT MALADES DE LEUR ENTOURAGE. ON TRAITE L'ENTOURAGE ET LA MALADIE S'EN VA. ON PEUT PRESQUE RIEN DES FOIS SI L'ENTOURAGE RÉSISTE. MADELEINE:

C'est pas l'entourage qui va sauver ma mémoire?

La question a jeté un froid, rompant le climat festif du dîner. Le regard de Madeleine a fui longuement vers la fenêtre.

DANIELLE: Maman! Tu vas voir. On va bien prendre soin de toi.

MADELEINE:

Comme si on pouvait empêcher le soleil de se coucher.

Pour rompre la tension qui monte soudain, Madeleine a tendu les bras vers le bébé:

MADELEINE: Donnez-moi plutôt Zoé. Elle ne sait pas mentir, elle.

Danielle lui a tendu le bébé:

DANIELLE: Elle est tellement contente de te voir.

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MADELEINE ESSAIE DE L'INSTALLER SUR SES GENOUX ET PUIS DE LUI FAIRE UN PROUTT SUR LE VENTRE. ZOÉE S'EN TROUVE TOUTE ÉMUE BRUSQUEMENT MAIS BIENTÔT UN PETIT DRAME SE DÉPLOIE CAR MADELEINE N'ARRIVE PAS À TENIR L'ENFANT CORRECTEMENT.

MADELEINE: ZOÉE! Aide-moi!

ZOÉE S'EST LEVÉE POUR VENIR L'AIDER EN EFFET ALORS QUE L'ENFANT COMMENCE À PLEURNICHER. MADELEINE: Je suis même plus capable de prendre ma petite-fille sur mes genoux!

INT./SOIR. (1 MIN.15) CHAMBRE D'INVITE

DANIELLE EST SEULE AVEC SA MÈRE ET L'AIDE À SE DÉVÊTIR: DANIELLE: Ca va être ta chambre ici. On va faire percer une porte, là, pour que tu puisses aller à la

TOILETTE SANS PASSER PAR LA CUISINE.

MADELEINE:

La place pour moi c'est en institution.

Tu le sais mieux que personne!

J'en ai visité une très bien à Québec.

Gisèle s'y trouve déjà.

Ce serait parfait pour moi. ET D'ICI LÀ, LA PETITE ZOÉE SUFFIRA.

MADELEINE S'EST COUCHÉE SUR LE LIT. DANIELLE S'EST ÉTENDUE AUPRÈS D'ELLE ET LA CARESSE, COMME UNE ENFANT: DANIELLE:

Maman...!

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DANIELLE PLAIDE LONGUEMENT DES YEUX CHERCHANT LA COMMUNICATION. MADELEINE FERME LES PAUPIÈRES:

MADELEINE:

N'insiste pas.

Je t'aime trop pour venir encombrer ta vie.

Je sais ce que c'est que d'avoir un jeune mari.

Il n'a pas besoin qu'une belle-mère vienne

déranger votre bonheur. DANIELLE: Il a fait le serment de consacrer sa vie à soigner. Comme moi! Ce serait bien le reste, si on pouvait pas commencer par aider sa famille! Ca va nous faire grandir tout le monde cette épreuve-là. Et puis pense à Zoé.

C'EST PRÉCIEUX POUR ELLE DE CONNAÎTRE SA GRAND-MÈRE. MADELEINE:

Une diminuée qui ne sait plus ce qu'elle dit.

MADELEINE SE RETOURNE VERS SA FILLE:

MADELEINE: Demande à ZOÉE. Je suis tellement occupée de moi que je ne peux donner de chaleur à personne.

INT./SOIR. (2 MIN.) CUISINE CHEZ DANIELLE

ZOÉE parle à voix basse avec Philippe: ZOÉE:

COMMENT VOUS CONNAISSEZ SI BIEN LES LICHENS?

PHILIPPE:

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L'écologie m'intéresse. J'ai fait ma bio.

Il lui prend la main:

PHILIPPE: Je veux te remercier ZOÉE. Je peux te dire tu?

ZOÉE acquièce, saisie:

PHILIPPE: Sans toi, maman se serait pas rendue. ZOÉE: Elle est tellement attachante. J'ai aimé sa compagnie. PHILIPPE: C'est ce qu'elle dit de toi.

Sous le regard de ce grand garçon, ZOÉE est toute timide maintenant. ZOÉE:

JE SAIS PAS. J'AI FAIT CE QUE J'AI PU.

PHILIPPE:

(Comme une interrogation)

Tu as beaucoup de force, je pense.

ZOÉE est étonnée:

ZOÉE: Moi?!

Elle est si étonnée du compliment que des larmes lui montent aux yeux soudainement. Mais Danielle entre dans la cuisine:

DANIELLE: J'ai réussi à l'endormir. ZOÉE: C'est quoi le pronostic? Vous êtes médecin.

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QU'EST-CE QUI VA ARRIVER À VOTRE MÈRE? DANIELLE: Maman vit présentement sa pire période. Bientôt ses angoisses vont disparaître. Assez tôt au début de la maladie, la conscience perd la capacité d'entretenir ce genre de préoccupations.

ELLE VA VIVRE DE PLUS EN PLUS DANS L'INSTANT. PHILIPPE:

ELLE EN A POUR COMBIEN DE TEMPS? DANIELLE: On sait jamais. Il est certain qu'il faudra la placer en institution à un moment donné. Mais ça peut prendre du temps. Ce qui importe pour tout de suite, c'est de soulager son angoisse. Sa qualité de sa vie va dépendre beaucoup de la patience et de l'attention de son entourage.

ZOÉE:

Je suis soulagée d'être rendue ici!

Mais j'ai peur qu'elle tente quelque chose maintenant. PHILIPPE:

On va l'entreprendre demain matin. Il faut absolument lui enlever ces idées-là de la tête.

MADELEINE PARAÎT DANS LA PORTE, TENANT UNE CORBEILLE À PAPIER DANS SES MAINS. ELLE SEMBLE ÉPLORÉE.

MADELEINE: Je me suis levée pour aller à la toilette. Je me suis trompée...

INT./PETIT JOUR. ( 1MIN.) CHAMBRE D'INVITE.

Une lumière blafarde pointe à la fenêtre. La caméra observe le visage de Madeleine, qui, pleinement éveillée, interroge la nuit qui fuit. Elle se lève finalement. Avec lenteur mais détermination.

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Elle cueille sa robe de chambre, puis va à la commode. Sans allumer d'éclairage, elle prend une brosse et se peigne. Elle va même prendre une crème de jour pour l'étendre sur ses joues. A l'image que le jour naissant inscrit dans le miroir, elle murmure:

MADELEINE: Ils vont t'avoir avec leur douceur. Un bruit de pleurs d'enfant éclate. Madeleine fige un instant. Bientôt on entend des pas dans le corridor. Dans une chambre proche, Danielle, la jeune mère murmure: DANIELLE: Chut! Chut! Ma belle Zoé. Tu vas réveiller grand-maman.

Tandis que Danielle console l'enfant, Madeleine a pris ses souliers sous le lit. Elle avance pieds nus vers la porte, s'efforçant de ne faire aucun bruit.

INT./MATIN. (30 SEC.) CUISINE CHEZ DANIELLE

DEBOUT À LA FENÊTRE, SEULE DANS LA CUISINE, UNE TASSE DE CAFÉ À LA MAIN, ZOÉE CONTEMPLE LE LEVER DU SOLEIL ENTRE LE ROCHER PERCÉ ET L'ILE BONAVENTURE. LA CAMÉRA S'ATTARDE À LA LUMIÈRE DU PAYSAGE. CLAIREMENT LE TEMPS A PASSÉ DEPUIS LA SÉQUENCE PRÉCÉDENTE. PHILIPPE ENTRE:

PHILIPPE: J''ai repensé à notre conversation d'hier soir. Ca me touche ta façon d'être. Forte...Fragile aussi?

ZOÉE hausse les épaules: ZOÉE: Je...Je fais ce que je peux.

Il entreprend de se servir un verre de jus d'orange au frigidaire, se tourne, interpellant du regard:

PHILIPPE: Tu es vraiment une drôle de fille!

Cette fois la jeune fille rougit; mais la conversation est interrompue par Danielle qui entre portant le bébé sur sa hanche. De bonne humeur elle demande:

DANIELLE:

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Bonjour ZOÉE. Avez-vous vu maman? ZOÉE: Non? DANIELLE: Elle ne dort pas dans sa chambre.

Tout de suite les regards des deux jeunes femmes s'inquiètent.

EXT./MATIN. (1 MIN.) SOMMET DU MONT STE-ANNE A PERCE

Le soleil se hisse déjà au-dessus de l'horizon, entre l'île Bonaventure et Percé. On aperçoit Madeleine qui grimpe lentement la grande côte qui mène à la falaise dominant la baie de Barachois. Il y a des zones de brume derrière elle. Elle se retourne pour admirer longuement le paysage.

Jamais la nature n'aura semblé plus abondante et plus belle. Madeleine se laisse prendre par la grandeur du site, le cri des cormorans, la douceur du vent. Un oiseau-mouche vient battre des ailes à deux pas devant elle. Elle s'absorbe, fascinée, dans le spectacle que donne son énergie alors qu'il tournoie au-dessus de fleurs multicolores dont les corolles commencent à s'ouvrir à mesure que le soleil les gagne. Un écureuil furtif se faufile derrière puis grimpe sur une branche pour ricaner.

Madeleine soupire. Retire de la poche de sa veste un petit papier chiffonné qu'elle déploie. Elle y lit une note griffonnée et murmure:

MADELEINE: Aujourd'hui ou jamais.

Puis elle s'enfonce dans la forêt.

EXT./AM. (20 SEC.) SUR LA PLAGE A PERCE

PHILIPPE, ZOÉE ET DANIELLE ARRIVENT EN COURANT SUR LA PLAGE, UN PEU ESSOUFFLÉS. TOUS LES TROIS AFFICHENT L'INQUIÉTUDE AU VISAGE. DANIELLE:

JE VAIS VOIR SUR LE QUAI. PHILIPPE: Je vais voir au Cap de l'Aurore.

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ZOÉE:

Ok! Je vais voir sur le Mont Ste-Anne.

EXT./AM. (30- SEC,) SOMMET DU MONT SAINTE-ANNE, PERCE

Madeleine arrive au sommet du promontoire. A ses pieds s'offre un précipice de 400 ou 500 pieds qui domine un immense paysage maritime. Le traitement visuel fait un sort au caractère grandiose du lieu.

EXT/JOUR. (10 SEC.) DANS LA FALAISE.

La caméra observe ZOÉE qui se presse et grimpe le chemin dans la falaise.

EXT/JOUR. (15 SEC.) SOMMET DU MONT SAINTE-ANNE, PERCE

Madeleine a franchi le garde-fou et s'immobilise seule, les deux pieds sur le bord du gouffre. L'image donne le vertige. Elle contemple. La caméra peut lire dans son visage qu'elle arrive à un moment déterminant. Une voix s'élève derrière elle: ZOÉE:

Attends! ZOÉE surgit du fourré. ZOÉE:

JE TE CHERCHAIS PARTOUT. MADELEINE: N'approche pas où je saute tout de suite! ZOÉE:

FAIS-LE PAS. MADELEINE: N'approche pas, je te dis. C'est déjà assez difficile comme ça! ZOÉE s'est arrêtée: ZOÉE: Tu veux faire un gros chagrin à tout le monde. C'est ça que tu cherches?

MADELEINE:

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Si j'attends plus tard, je ne saurai plus le faire. Ma vie ne sert plus à rien désormais. Ni à personne!

ZOÉE: Elle m'a bien sauvée, moi!

MADELEINE: Comment ça, sauvée, toi?

ZOÉE s'est remise à avancer mais de biais. Madeleine menace:

MADELEINE: ZOÉE! Je saute.

ZOÉE est venue elle aussi jusqu'au bord du précipice, mais en s'écartant d'une trentaine de pieds à la droite de Madeleine:

ZOÉE: Attends-moi seulement.

JE SAUTE AVEC TOI. MADELEINE: Pourquoi avec moi!!?

ZOÉE: Le jour de notre rencontre, j'avais décidé de me suicider.

INT./NUIT. (10 SEC.) SALON DE ZOÉE.

NOUS RETROUVONS LES IMAGES DE LA SÉQUENCE 19. ZOÉE EST AU PIANO. ELLE ACHÈVE SA MÉLODIE, PUIS SE LÈVE, VIENT VERS LE COIN DU PIANO, SAISIR LE COUTEAU. Elle caresse son poignet avec la lame. Le téléphone sonne.

EXT./AM. (1 MIN. 45 ) SOMMET DU MONT STE-ANNE

ZOÉE affiche un petit sourire misérable, avec pourtant des larmes aux yeux:

ZOÉE: Quand tu m'a téléphoné, le premier jour, je m'apprêtais à prendre un bains pour me tailler les veines avec un couteau.

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Il n'y avait plus rien ni personne pour me retenir dans la vie!

Elle prend une grande respiration, comme pour rappeler son retour à la vie:

MADELEINE: Dans six mois, je ne serai plus là, de toute façon ma pauvre chouette!

ZOÉE: Je me suis pris à t'aimer. C'est fou, hein?

ZOÉE a fait un pas vers elle, tendant la main:

ZOÉE: Réglons ça tout de suite d'abord! Donne-moi la main. On va faire un beau vol plané tous les deux. Comme les jeunes de Mont Saint-Pierre.

Madeleine réplique passionnément: MADELEINE: Pas toi! Tête de pioche! T'as toute une vie à vivre. Des amours, des enfants, des paysages, des merveilles à découvrir. ZOÉE: Peut-être que j'aurais aimé ça être mère. Ouais! Mais à te voir, je peux pas me faire d'illusion. Je sais que ça vaut pas la peine. Emportée par le débat, Madeleine a reculé un peu pour faire deux pas en direction de ZOÉE:

MADELEINE: T'as pas le droit de me dire ça. Et tu le fais par exprès pour me provoquer! Mais je peux pas te servir de prétexte à vivre moi. Je suis pas ton lichen. Faut faire confiance à la vie quand on est jeune. A ta vie à toi. ZOÉE:

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J'Y FAIS LA MÊME CONFIANCE QUE TOI!

MADELEINE:

Je vais être morte! Mon âme va être morte!

Il ne va rester que mon corps si je continue,

comme une bête qui pue et qui embête tout le monde.

ZOÉE:

Je voudrais que tu t'abandonnes.

ZOÉE lève les bras, comme sur le parapet du mur à la séquence, pour une sorte de danse de défi à la mort, balançant entre le vide et la forêt:

ZOÉE: De toute façon faut courir le risque. D'un bord ou de l'autre, il n'y a que ça: le mystère. Si on meurt on sait pas. Si on vit on sait pas. .... Quel bord tu préfères?

La caméra s'attarde sur le visage de Madeleine, interrogée comme jamais elle ne le fut dans sa vie.

INT./JOUR. (45 SEC.) SALLE DE BAIN CHEZ MADELEINE A MONTREAL

Images légèrement surex. Un ciel d'hiver emplit le cadre. Une neige lourde tombe sur les branches des arbres. La caméra recule révélant qu'il s'agit d'une fenêtre haut perchée dans une salle de bain.

Madeleine est assise sur le bol d'aisance. C'est elle qui regardait ainsi dehors. Son visage a gagné en hébétude, indiquant que le temps a passé. Elle dodeline de la tête, comme perdue dans une contemplation sans fin.

ZOÉE entre, vêtue d'un grand tablier blanc qui la transforme quasi en infirmière. La caméra ne cadre d'abord que le haut du corps de la jeune fille.

ZOÉE: As-tu fini? Madeleine n'a pas répondu mais s'est levée et cherche du papier pour s'essuyer.

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ZOÉE: Tu veux que je t'aide? Madeleine fait un geste colérique pour l'écarter.

MADELEINE: O...Otes-toi.

ZOÉE la laisse faire puis tend les bras. ZOÉE: Viens! Je vais te ramener dans la chaise roulante.

Elle vient prendre Madeleine par les épaules et l'aide à s'asseoir dans une chaise roulante qui se trouvait à côté. Madeleine y prend place et ZOÉE la pousse vers la chambre.

INT./JOUR. ( 1 MIN.30) CHAMBRE DE MADELEINE.

Entrant dans la chambre, ZOÉE demande: ZOÉE: Veux-tu faire la sieste? Ca va te reposer. Madeleine dodeline de la tête comme en un vague signe d'approbation. Lorsqu'elles sont arrivées près du lit, ZOÉE dit: ZOÉE:

Prends-toi à mon cou. OK? Elle doit aider Madeleine à nouer ses bras autour de son cou. ZOÉE:

Un, deux, trois! Elle a donné un coup de rein qui permet à Madeleine de se lever et de gagner son matelas. ZOÉE l'aide à retirer ses pantoufles, à se glisser sous le drap. Puis elle s'agenouille près du lit, et caressant les cheveux de la vieille femme:

ZOÉE: Tu veux qu'on chante un peu?

Elle se met à chanter:

ZOÉE: (CHANTANT): C'est la poulette grise qui a pond dans l'église. Madeleine dénie de la tête. ZOÉE demande: ZOÉE: Pas celle-là? L'autre?

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Madeleine fait signe que oui. Alors ZOÉE entonne un vieil air folklorique: ZOÉE: (chantant) Le mal d'amour est une maladie, le médecin ne peut pas la guérir. Le médecin...:Le médecin ne peut pas la guérir. Tarédilà, la, la, la, la, la, la, la, la ,la...Etc.

Madeleine fait signe que oui. Alors ZOÉE entonne un vieil air folklorique: Madeleine essaye de chantonner avec elle d'un voix brisée. Bientôt elle a fermé les yeux et s'endort tandis que ZOÉE continue de murmurer la mélodie.

La porte de la chambre s'entrouvre. On aperçoit, dans la pénombre du corridor, Philippe, le fils de Madeleine, qui avance le visage comme pour interroger ZOÉE du regard. Avec complicité. La caméra qui recule révèle clairement pour la première fois que ZOÉE est enceinte. La jeune femme se frotte le ventre et envoie un baiser-volant. Elle indique d'un geste bref que tout est en ordre. Philippe hoche la tête, avec un sourire d'une grande tendresse, envoie un bec volant puis referme la porte doucement. FIN NOTES SUR LES PERSONNAGES: MADELEINE GARNEAU Quand nous la rencontrons au début du récit, elle apparaît comme une belle grande femme, droite et volontaire qui manifeste facilement une certaine raideur de caractère et des impatiences promptes. Jusqu'à ce moment de sa vie, elle portait bien ses 72 ans, conduisait encore son automobile, voyageait, s'était fait une vie active et intéressante avec quelques amies, maintenant une claire indépendance de ses enfants. La maladie va tout ébranler. Madeleine avait fait une remarquable carrière d'enseignante. Commencée avant la révolution tranquille dans une école primaire, cette carrière a connu une course un peu similaire à celle de la collectivité: explosion d'interrogations, recherches intenses de compétences, goût prononcé pour l'innovation. Avec les années, Madeleine était passée au secondaire où elle était devenue une sorte d'autorité dans le milieu scolaire. Ayant participé à toutes sortes de combats pédagogiques et syndicaux, elle s'était retirée un peu de ces activités militantes

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aux cours des dernières années qui avaient précédé sa retraite pour occuper une sorte de leadership moral reconnu et vénéré dans son milieu. Elle appartient à la génération des premières femmes de carrière au Québec qui a complètement transformé le rôle traditionnel de la mère de famille. Elle a dû beaucoup inventer pour élever ses enfants tout en développant ses activités professionnelles. Particulièrement en raison de l'échec de son couple. Car comme beaucoup d'autres elle avait subi la grande tempête qui secouait les moeurs au Québec dans les années 1970. Elle ne parle guère de son mariage ou de son mari défunt. C'est qu'elle avait misé énormément au temps de sa jeunesse sur cet amour qui incarnait toute sa foi dans l'avenir. Le mari pourtant l'a quittée pour une femme plus jeune alors qu'elle abordait la quarantaine. La blessure ne s'est jamais vraiment cicatrisée. La trahison avait fauché large en elle, amenant après la dépression initiale, une sorte de cambrure du caractère et un certain cynisme à propos de beaucoup de choses. Elle n'a jamais voulu reprendre ménage par la suite. Nous lui prêtons deux filles et deux garçons. Geneviève, l'aînée, est une photographe d'une grande sensibilité. Elle n'a pas d'enfant et vit présentement sans compagnon après avoir connu différentes relations où elle arrivait mal à s'épanouir. Madeleine la perçoit, peut-être un peu à tort, comme une personne fragile qu'elle voudrait bien protéger. Mais Geneviève est férocement indépendante et ne laisse aucun prise aux tentatives d'ingérence apitoyée de sa mère. Danielle, la plus jeune est différente, toute en sourire et en douceur. On peut penser qu'elle tiendrait davantage de son père. Mais elle a hérité de la détermination et du sens de l'organisation de sa mère. Elle vit un amour qui se veut particulièrement fervent avec son mari, comme pour réparer le modèle brisé laissé par la séparation de ses parents. Ce garçon est aussi médecin et ils pratiquent ensemble en Gaspésie dans une sorte de coentreprise à la fois médicale et sociale qui garde d'étranges relents de missionnariat. Madeleine voit tout cela et n'en dit rien. Ses fils sont différents. Martin, le plus âgé des deux, fait du commerce dans l'équipement sportif. Il y a une sorte d'indolence chez lui que Madeleine attribue parfois ouvertement à son père. Lui s'en moque bien. Il a quelques fois critiqué sa mère pour ses entreprises trop sociales et trop embrigadantes. Il vit avec sa femme, Nicole, une relation de couple assez étonnante faite de querelles quasi incessantes et pourtant d'une stabilité qui ne se dément pas. Philippe, l'autre fils, est un doux poète. Très sportif, il voyage beaucoup, errant depuis les montagnes du Népal jusqu'aux forêts de la Sierra californienne. Il vit

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avec peu d'argent, gagnant quand il a besoin en tant que dépanneur informaticien. Il avait noué une relation particulièrement touchante avec une fille sportive comme lui qui est décédée dans un accident de plongée sous-marine. Il en porte un vif deuil. C'est le fils préféré de sa mère. Il jouit d'une grande facilité pour l'interpeller. Madeleine est facilement chaleureuse avec ses petits-enfants. Elle éprouve une réelle affection à leur endroit, mais elle a tellement donné pour les jeunes toute sa vie durant, qu'une sorte de fatigue la gagne parfois et qu'elle doit se retirer des jeux et caresses qu'exige habituellement la relation aux enfants. Madeleine est surtout fière de sa conscience. Il lui semble que l'âge lui a procuré des perceptions d'une grande finesse sur beaucoup de choses. Chaque matin lui semble apporter de nouveaux approfondissements sur les mystères de la vie. Elle n'en finit pas de s'étonner. Et cette grande aventure de l'esprit reste pour elle le bien le plus précieux de sa vie. Naturellement son orgueil et sa sécurité seront fortement touchés lorsque le médecin lui annonce l'emprise de la maladie d'Alzheimer sur son esprit. Une grave crise, essentiellement morale, résulte de cette nouvelle situation. Vécue au niveau le plus existentiel qui soit. Il ne peut y avoir, pour Madeleine, de pire condamnation que de songer à voir sa conscience s'éteindre avant que son corps ne lâche prise. Note de mise en scène: A mesure que le film se déploie, il importe qu'on puisse lire dans le visage de l'interprète qu'une hébétude croissante gagne le personnage. Malgré lui. ZOÉE JOLICOEUR: Dès le début le visage, le corps de ZOÉE, son comportement indiquent un mystère. Il y a une sorte de gravité dans son être qui fait lever la curiosité. Tout chez elle avoue quelque chose d'encore enfantin, d'encore inaccompli, qui appelle à l'aide. Et qui en même temps promet la compréhension, la compassion quasi inconditionnelle. Cela donne une fraîcheur particulière à son rire. Par ailleurs, elle apparaît dotée d'une fougue et d'une agressivité qui surgit brusquement et à brûle-pourpoint, rompant avec son attitude habituelle d'accueil. Le mélange est détonnant. Elle fouille tous les lieux d'un regard inquiet, incisif comme si elle avait toujours un peu peur. Mais elle se laisse facilement et rapidement fascinée. Elle touche aux choses, bouge abondamment dans l'espace. L'image, le besoin de la mère seraient tout-puissants en elle. Une mère à retrouver, à rescaper, une mère à normaliser surtout. ZOÉE avait deux ans et demie quand Clémence, sa propre mère, avait quitté le toit familial pour aller reprendre des études à Québec. Détentrice d'une maîtrise en sciences sociales,

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cette femme s'était exilée en Abitibi pour suivre un mari écologiste qui voulait retrouver la "simplicité volontaire" en s'adonnant à la culture biologique. Un jour l'université avait rappelé la mère, lui signifiant qu'elle atteignait la limite du calendrier pour compléter un doctorat. Clémence avait mesuré, avec le temps, le cul-de-sac que représentait l'agriculture biologique dans une pays froid et aride comme l'Abitibi. Le père ne voulait pourtant pas retourner dans une grande ville. Les parents avaient donc convenu d'une sorte de séparation temporaire. Clémence irait compléter son doctorat à Québec et reviendrait voir ses filles toutes les quinzaines. Le père s'efforcerait de garder les enfants dans les meilleures conditions possibles. Mais les visites s'espacèrent. La première année ZOÉE retrouvait en effet sa mère pour de trop brefs congés à peu près tous les quinze jours. Les vacances d'été ramenaient le bonheur à la maison. Mais la rigueur de l'automne et surtout de l'hiver suivant installèrent une rupture plus profonde. Clémence ne venait plus qu'une fois par mois, bientôt une fois tous les deux mois. Elle ne put donner plus de quinze jours à ses filles l'été suivant, pressée, pour des raisons d'argent, de poursuivre un travail d'été qui de toute manière lui servait de laboratoire sociologique. Bizarrement elle s'était mise à insister pour que ces filles fassent de la musique, comme si cela pouvait compenser un peu pour son absence. L'aînée s'était vite lassée mais ZOÉE avait, au bout du compte, trouvé une sorte de soupape pour sa souffrance dans l'accomplissement scrupuleux de ce mandat maternel. ZOÉE avait 8 ans quand sa mère se suicida laissant une lettre désespérée où elle dénonçait toutes les injustices du monde et l'incapacité des gens comme elle d'y changer quelque chose. ZOÉE n'y comprit rien car elle ne la voyait plus qu'une fois ou deux par année, pour de brèves rencontres à Québec ou à Val d'Or. Elle eut pourtant le sentiment d'une perte monstrueuse. Le père s'était avéré tout à fait maternant, plaçant l'éducation de ses filles au centre de sa vie. Il leur avait donné finalement un soin suffisant pour qu'elles grandissent avec un minimum de confort affectif. Il n'avait jamais renoué de relation durable avec une autre femme. ZOÉE adorait ce père et ne résista pas lorsqu'il voulut l'orienter comme sa soeur vers des études sérieuses. Elle devint, de son propre aveu, une sorte de "nerd", réussissant de manière spectaculaire. Pour elle, la mort de sa mère était un mystère, qui s'enfouissait, semble-t'il, de plus en plus profondément dans l'humus du temps. Elle n'y pensait plus. Elle se croyait normale. Elle se prit d'une passion musicale qui réjouissait son père, au contraire de sa soeur aînée qu'un espèce de voyou avait entraînée à Montréal à la suite d'une folle romance. Sans le mesurer, ni même le voir, elle répétait un peu le modèle vécu autrefois par sa mère. Elle devenait une jeune femme intelligente, démesurément sensible

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et pleine d'une lucidité douloureuse. Pourtant elle riait facilement et se serait dite heureuse n'eût été de profonds accès de dépression qui la saisissaient parfois à l'improviste et pouvaient l'aliter pour quinze jours dans l'angoisse et le mutisme. Elle cherchait à s'en protéger par des recettes de vie saine: nourriture végétarienne, une pratique déterminée de la bicyclette et le recours aux drogues douces. Il n'y avait pas beaucoup de garçons dans sa vie. Elle avait une timidité naturelle à ce propos, faite d'un sentiment d'impatience par rapport aux niaiseries qu'adoraient fréquenter les gens de son âge et d'une conscience aiguë de son originalité propre. De toute façon l'image du père était trop forte. Rares semblaient les garçons qui pourraient se mesurer à lui. Tout bascula pour elle lorsqu'une crise cardiaque emporta ce père au détour de la cinquante. C'était en juillet. Ses meilleures amies (de filles) étaient parties en vacances. En quelques semaines, elle se retrouva dans un désert affectif quasi total. ZOÉE décida d'essayer de cohabiter avec sa soeur aînée tout en poursuivant ses études. Mais la cohabitation ne pouvait durer. Ginette en effet s'était liée à un réseau de petite pègre et se livrait à une sorte de prostitution discrète et sophistiquée. ZOÉE mit beaucoup d'efforts à tenter de la détourner pour aboutir finalement à une sorte de rupture désolée. Elle se retrouvait seule, sans ressource économique. Elle dut travailler dans les bars et se faire revendeuse de drogues douces pour assurer sa survie. Doucement elle glissait à son tour dans la petite pègre. Elle ne savait absolument plus qui elle était. Son amour de la musique lui servait de seul ancrage. Un grand musicien noir venu des Etats-Unis pour le festival de jazz, la saisit et l'occupa pendant deux ans. Elle avait une jolie voix et il l'utilisa pour interpréter quelques unes de ses composition dans les bars où il tentait de se faire un mince revenu. Puis il la laissa tomber pour retourner à Chicago prétextant qu'elle recherchait une fusion qu'il ne pouvait tolérer. ZOÉE eut ainsi deux ou trois relations avec des garçons qui la quittaient parce qu'ils ne pouvaient supporter l'intensité de ses demandes affectives. Elle restait malheureuse. Pourtant elle avait trouvé un exutoire dans la chanson et se mit à composer des complaintes violentes qui lui valurent une petite réputation de chansonnière révoltée et lui ouvrirent les portes de tout un circuit de bars et petites salles alternatives. Et c'est alors qu'elle rencontra Antoine. Ce dernier était pianiste classique. Il l'admirait beaucoup. Leurs sensibilités, pour différentes qu'elles fussent, semblaient s'accorder remarquablement. Elle vécut quelques mois d'un bonheur exceptionnel. Il avait probablement un peu moins de talent qu'elle, mais il jouissait de beaucoup plus d'habiletés sociales. Rapidement une sorte de compétition inavouée s'installa dans leur relation. Elle le sentait bien et entreprit de sacrifier son ambition naturelle de peur que celle-ci ne menace leur relation. Ce retrait installait une tension croissante dans leur couple. Puis lui rencontra une cantatrice, de dix ans plus jeune qui lui

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demanda quelques accompagnements. Leurs prestations tout de suite connurent un certain succès. Assez tôt Antoine en vint à sentir que cette nouvelle compagne présentait un défi moins difficile pour lui. C'est à la suite de son départ que ZOÉE recommença à penser au suicide de sa mère. Une force farouche levait en elle qui lui disait qu'il lui faudrait peut-être bientôt poser, à son tour, un geste radical pour en finir avec toutes les compromissions et toutes les misères que la vie s'acharnait à lui imposer.