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Nathalie Sarraute lit Tropismes pour La Bibliothèque des voix

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En 1980, Antoinette Fouque créela collection « écrire, entendre »,qui deviendra plus tard la Biblio -thèque des voix :« Faire des livres parlants, c’estune anamnèse ; c’est lever l’am-nésie sur la première voix.La voix, porteuse de naissanceet de réminiscence, la voixporteuse de jouissance. La voixqui est l’attente et l’espérance du texte.La voix générique, la voix géni-trice, genuine, la voix généreuseenfante le texte, la voix donnegénie au texte. C’est le lait et leplacenta, c’est la chair et la vivevoix.Comme la soif enseigne l’eau, letexte vivant enseigne la voix, horsde tout regard, la double voix dela femme en puissance d’autres’alterne et désaltère le texte. »

Parmi les premiers titres : Unefemme de Sibilla Aleramo, lu parEmmanuelle Riva ; Préparatifs denoces au-delà de l’abîme deHélène Cixous, lu par l’auteure ;Trois Guinées de Virginia Woolf,lu par Coline Serreau ; Hosto-Blues de Victoria Thérame lu parMichèle Moretti…En 1983, au Salon du livre deParis, Simone Benmussa, BenoîteGroult et Michèle Morgan sontprésentes lors d’un débat sur lacollection.En novembre de la même année,Michèle Morgan rencontre sesadmirateurs à la Librairie desfemmes de Lyon. Elle vient d’en-registrer La Princesse de Clèvesde Madame de La Fayette et LaNaissance du jour de Colette.Au cours des années suivantes,Nathalie Sarraute, Julien Gracq,

Françoise Sagan, Georges Duby,Catherine Deneuve, Fanny Ardant,Isabelle Huppert… enregistrenttour à tour pour la Bibliothèquedes voix.Certaines auteures et actrices serontprésentes lors de la cérémoniedes awards remis à des femmesexceptionnelles, le 8 mars 1990,à la Sorbonne. Marie-ChristineBarrault parlera d’Aung San SuuKyi au journal télévisé. Les uneset les autres accompagnent lesmobilisations de ces dernièresannées : contre les viols de guerreen ex-Yougoslavie plusieurs d’entre elles ont enregistré un CD.Pour la démocratie en Algérie.Contre la misogynie. Pétitions,événements politiques et cultu-rels, les trouvent à nos côtés. Pourdes anniversaires aussi, et desmises à l’honneur.

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Je voulais dédier ces premiers livres-parlants à ma mère, Vincente. À quatre-vingt-deux ans, elle dit avoir souffert toute sa vie, et souffrir encore de n’avoirpu aller à l’école apprendre à lire et à écrire. Fille aînée d’immigrants, vouéeà s’occuper des plus petits ; même au cinéma, avant qu’il soit parlant, elleavait à lire sans savoir.Ces premiers livres parlants, je les donne aussi à ma fille Vincente. À dix-septans, elle se plaint encore de ne pas arriver à lire et de devoir lire sans pouvoir.… à toutes celles soumises aux innombrables servitudes, aux multiples traves-tis, qui entre interdit et inhibition ne trouvent ni le temps, ni la liberté deprendre un livre.… à nous, entre plus de deux âges, souvent encore errantes, toujours mi -grantes, déjà mutantes, femmes en mouvements, ces écrits par voix de femmespour prendre, apprendre et reprendre ces signes.Et ainsi, mots à rythmes, lignes à souffles, ponctuations à sons, de l’une à l’autre langue, l’apprentissage passe : de la bouche à la forme et de l’entenduau juste, pas à pas, phrase à phrase, de prochaine à lointaine, d’ici à autre-fois, ainsi peut-être se dénoue et s’apaise la vieille rancune, se résout l’an-cien conflit, amour et haine, se déjoue l’oppression mortelle ; et de partagéesnous instruit partageantes, la trame vivante d’un texte inédit où la main etla voix, l’oreille et le regard s’enlacent et se déprennent.

A. F., Des femmes en mouvements hebdo, n°53-54, 7 août 1981

Ces écrits par voix de femmes

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Des auteurs

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« À lire à voix haute un texte, onapprend ceci : c’est que lapersonne qui a écrit le texte n’estpas la même que celle qui le lit.Le texte écrit est là, dans sa propo-sition immuable, depuis dessiècles. Il est rangé dans le livrecomme une archive. C’est la voixqui le porte toujours et toujoursailleurs. » g M.D.

Août 1981

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« Sur le chemin de planches passe la jeune fille de la plage. Elle estavec l’enfant. Il marche un peu à côté d’elle, ils vont lentement, ellelui parle, elle lui dit qu’elle l’aime, qu’elle aime un enfant. Elle lui ditson âge à elle, dix-huit ans, et son nom. Il répète ce nom.Il est mince, maigre, ils ont le même corps, la même démarche lasse,longue. Sous le réverbère elle s’est arrêtée, elle a pris son visage danssa main, elle l’a levé vers la lumière, pour voir ses yeux, dit-elle, gris.Tu es l’enfant aux yeux gris. » g M.D.

« Dans un petit village d’Italie, situé au pied d’une montagne au bordde la mer, dans la chaleur écrasante du plein été, deux couples passentdes vacances comme chaque été : Gina et Ludi, Jacques, Sarah et l’en-fant. D’autres amis sont là, dont Diana. Ils se baignent, se parlent,s’ennuient…Dans la montagne, au-dessus du village, un jeune homme a sauté surune mine. Ses parents, là-haut, veillent.- Qu’est-ce qui manque à tous ces amis ? demande Diana.- Peut-être l’inconnu, dit Sarah. » g M.D.

litLa Jeune Fille et l’enfantAdapté de L’Été 80 par Yann Andrea

Marguerite Duras

litLes Petits Chevaux de Tarquinia

Catherine Deneuve

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« Avec mes lectures sur cassette, il y a un échantillon de ceque j’ai ressenti en écrivant le texte, de ma lecture intérieure.(…) Mes textes sont des mouvements intérieurs, il ne faut pasde transe, pas de pathétique, cela doit rester au niveau d’unmurmure intérieur. Car le texte lui-même est déjà le grossis-sement de ce mouvement intérieur infime, qui ne supportepas un second grossissement. »

Le Quotidien de Paris, 28 décembre 1981

Nathalie Sarraute

1981, Madeleine Renaud et Nathalie Saraute, lors de l’enregistrement de Tropismes, Ich sterbeet Le Mot amour

litTu ne t’aimes pasEntre la vie et la mortL’Usage de la paroleTropismes,Le Mot amour,Ich sterbeIci

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Dix ans après avoir enregistré Avec mon meilleur souvenir, le plus personnel et le plus accompli de seslivres, Françoise Sagan raconte dans Derrière l’épaule cette expérience inédite : « Le studio donnait sur une cour, style Utrillo, où un enfant et un chat se succédaient. Contrairement aux prédictions pessi-mistes de l’ingénieur du son, je me débrouillai fort bien, ne bégayai pas et inscrivis ma voix sur un disque,comme une professionnelle, pendant trois jours… C’était l’été, je crois, et j’ai gardé un souvenir pares-seux et réussi de ces trois jours ». Lectrice, Françoise Sagan retrouve, mieux qu’aucune autre, le ton, la voix, l’accent du cœur qui précèdentle texte et l’ont dicté. Pulsions, émotions, passions, admirations, rencontres font la musique pudique, intime,singulière de ses souvenirs. g

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litAvec mon meilleur souvenir.

Françoise Sagan

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Françoise Sagan a dix-huit ans auprintemps 1954 lorsqu’elle écritBonjour tristesse, qui lui vaut leprix des Critiques et fait d’ellel’enfant terrible des années 60.Cécile, adolescente, met enœuvre un drame qui coûtera lavie à Anne, maîtresse de son père.Quand celle-ci quitte leur maisonde vacances, Cécile lui crie :

« Anne, Anne, ne partez pas, c’estune erreur, c’est ma faute, je vousexpliquerai… Anne, nous avonsbesoin de vous ! Elle pleurait.Alors je compris brusquementque je m’étais attaquée à un êtrevivant et sensible, et non pas àune entité. Elle avait dû être unepetite fille, un peu secrète, puisune adolescente, puis une femme.

Elle avait quarante ans, elle étaitseule, elle aimait un homme etelle avait espéré être heureuseavec lui dix ans, vingt ans peut-être. Et moi… Le visage, ce visage,c’était mon œuvre. J’étais pétrifiée,je tremblais de tout mon corpscontre la portière. “Vous n’avezbesoin de personne, murmura-t-elle, ni vous, ni lui.”» g

litBonjour tristesse

Catherine Deneuve

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À travers l’histoire et l’analyse de la vie de Guillaume le Maréchal,proclamé « le meilleur des cheva liers », Georges Duby reconsti-tue le théâtre de la chevalerie, l’art du tournoi, les rites de la guerre,et la place des femmes dans ce monde d’hommes où « nouscommençons de découvrir que l’amour à la courtoise, celui quechantaient, après les troubadours, les trouvères, l’amour que lechevalier porte à la dame élue, masquait peut-être bien l’essentiel,ou plutôt projetait dans l’aire du jeu l’image invertie de l’essentiel :des échanges amoureux entre guerriers ». g

« Georges Duby a une voix de porche au sens de Péguy, une voixde paysan et de Comédie-Française à la fois. La façon qu’il a demettre en résonance tous ces tableaux les uns à côté des autres mefait un effet de seuil, de scène originaire. » g A.F. D

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litGuillaume le Maréchal

Georges Duby

Théa se lève au petit jour afin de surprendre sa mère galopantsur la plage, seule façon d’entretenir, avec celle dont l’amourest trop partagé, un lien secret. Elle court, la nuit, saboter lesémaphore, afin de provoquer le naufrage, sur le récif de corail,du bateau qui doit emmener son amie Isabelle loin de Nouméa,l’arrachant à elle.Dans le milieu colonial de Nouvelle-Calédonie des années 50,où règnent conformisme et intrigue, une petite fille, fascinée parla sensualité trouble du monde adulte, découvre la sexualité. g

Marie-France PisierlitLe Bal du gouverneur

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« Appelez-moi, faites lever cha-cune de mes âmes, chantez-moi, dites qui est ici sans dire unmot, faites-moi venir toutes àvous, par mes âmes, par les che-veux, par les oreilles, sans lesmots, par toute la peau, tirez-moi par le bout de mes nerfs, fai-tes-moi passer, hors des rêvessans lumière, sans chaleur, sansissue, sans la mort, et amenez-moi à l’amour qui se laisseapprocher sans s’éloigner, selaisse aimer sans laisser à dési-rer, je suis amenée, je touche àvous, je touche à l’aimée qui sedonne sans se faire espérer, à lavérité j’arrive, à l’amour qui sepasse de Noms, appelez-moivite, je viens, et elle aussi, sansinterruption l’aimée, viens,venez, avec tout l’amour qui nes’est jamais perdu, même de mamort, jamais écrit jamais sauvé,brillant à fleur d’eau, avec l’âmebrillante sur la peau, sans cache,sans erreur, dans la chambre dechance, et pas d’autre nom entreelle et moi sauf : Vous ! » g H.C.

« À cause d’une voix j’écris…Tout est voix : voix de femme, femme à la voix, femme de la voix,voix-femme, un alto vert foncé. Parce qu’il y a une voix dans les veines,qui dit va, vis, me réveille, quand moi je n’ai plus la force du jour.Mon histoire est la suite d’un éclat de voix, ainsi : j’ai entendu unevoix, une femme, je suis sortie du jardin, comme une folle, en courant, parce que c’était La Voix, encore petite. À entendre la voix,j’ai été d’avance une femme. » g H.C

Août 1981

litPréparatifs de noces au-delà de l’abîme

Hélène Cixous

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LA BIBLIOTHÈQUE DES VOIX

« Aimer, c’est être à l’écoute. » « Depuis longtemps à l’écoute de laCorse, je n’ai cessé de la questionner, de la fouiller, d’approfondirles accords qu’elle trouve en moi. Ce sont invariablement les mêmesthèmes qu’elle me renvoie : le tragique de la vie, l’absolu de l’amour,la toute-puissance du destin. » g M.S.

Nice Matin, 19 juillet 1987

« (…) un dimanche, je me sou-viens, il suffit d’un rien parfois,une certaine musique pour faireremonter cette nostalgie juste-ment.C’est un texte subjectif, je n’ai pasvoulu faire d’histoire ou de la poli-tique, mon propos était à la foismodeste et très ambitieux : parlerde l’âme corse telle que je laressentais, la pousser si loin, lafaire tellement elle que pour ainsidire, ça n’était plus elle. »g M.S.

Photos de Chris Marker pour “ La Renfermée la Corse”

litLa Renferméela Corse

Marie Susini

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Publié en 1979, Je m’appelle Anna Livia de Marie Susiniest le récit âpre, tendu entre noir et lumière telle une tragé-die grecque, midi depuis toujours basculant vers minuit,de l’irracontable, l’inceste.Deux voix – celle d’une femme depuis longtemps partie dudomaine, la mère d’Elisabeta, qui questionne; celle du servi-teur Josefino qui revit la découverte, un matin, du corpssuicidé de son maître -, et un silence hanté : « Ainsi c’étaitdéjà là. C’était là avant que de se faire. Comme dérivant àla surface d’un rêve obscur. Avant même qu’elle ait pupenser. Un jour peut-être. » g

Nicole Garcia, réalisatrice…

15 aoûtavec Ann Gisel Glass, Nathalie Rich…1986

Un week-end sur deuxavec Nathalie Baye, Henri Garcin…1990

Le Fils préféréavec Gérard Lanvin, Bernard Giraudeau…1994

Place Vendômeavec Catherine Deneuve, Jacques Dutronc…2001

L’Adversaireavec Daniel Auteuil, Géraldine Pailhas…2003

litJe m’appelle Anna Livia

Nicole Garcia

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Nicole Garcia lit aussi pour « La Bibliothèque des voix » : Un cœur simple de Gustave Flaubert

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« Peut-on nommer son propre sang ? etdécrire la première blessure, ce momentoù, paraissant au jour, le sang se refuseencore à la vie ? À supposer qu’on serappelle sa circoncision, pourquoi cet actede mémoire serait-il une confession? L’aveude quoi, au juste? Et de qui? À qui? Rôdantautour de ces questions, essayant, commeau clavier, une voix juste au-dedans de moi,je tente de dire de longues, très longues,interminables phrases, et de les murmurerau plus près de l’autre qui pourtant lesaspire, soupire, expire, les dicte même.Cette diction est aussi une dictée. Plusieursvoix résonnent en une, dès lors, elles secroisent, elles se disputent même une parolefinalement torsadée.Telle respiration ne scande pas n’importequel temps : ce fut celui d’une lente agonieou, comme on dit, d’un dernier souffle.Durant de longs mois, pendant que mamère expirait, j’ai tourné autour d’un événe-ment introuvable qui fut le sien autant quele mien, je l’ai entouré, sans doute aussicontourné. Pour ce qui reste sans témoin,j’ai dû prendre à témoin : saint Augustin,par exemple, l’image aussi d’un doubleconfiée à de vieux carnets, la luciditéimpeccable enfin d’un grand ami, GeoffreyBennington. » g J.D.

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litCirconfession

Jacques Derrida

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« (…) la version enregistrée donne à entendre deuxvoix, dont l’une paraît masculine, l’autre féminine,cela ne réduit pas le polylogue à un duo, voire à unduel. Et en effet la mention “une autre voix”, qu’on

entend parfois sans lalire, aura souvent lavaleur d’une mise engarde. Elle signale quechacune des deux voix seprête à d’autres encore.Je le répète, elles sont ennombre indéterminé :celle du signataire destextes ne figure que l’uned’entre elles, et il n’estpas sûr qu’elle soitmasculine. Ni l’autrefemme.Mais les mots “une autrevoix” ne rappellent passeulement la multiplicité

des personnes, ils appellent, ils demandent une autrevoix: “une autre voix, encore, encore une autre voix”.C’est un désir, un ordre, une prière ou une promesse,comme on voudra : “une autre voix, que vienne àcette heure, encore, une autre voix…”. Un ordre ouune promesse, le désir d’une prière, je ne sais pas,pas encore. » g J.D.

lisentFeu la cendre

Carole Bouquet et l’auteur

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Le droit à l’IVG a trente ans

Dès le début du Mouvement de Libération desFemmes, la liberté de procréation est une des prio-rités de lutte et de pensée. Les militantes se réunis-sent au local de la rue des Canettes et se mobilisentpour « la contraception et l’avortement libres etgratuits ». En 1971, Nicole Muchnik journaliste auNouvel Observateur leur propose de publier ce quiallait devenir le « Manifeste des 343 ».Le 20 novembre 1971, le MLF organise sa premièremanifestation dans les rues de Paris, les femmes sontnombreuses et joyeuses, et leurs slogans irréductibles:« Notre corps nous appartient », « un enfant si je veuxquand je veux ». La même année, création duMouvement pour la liberté de l’avortement (MLA). LeTorchon brûle, qui paraît de 1971 à 1973, publie danschaque numéro un grand nombre de témoignages etd’articles consacrés à cette lutte.En 1972, création du Mouvementpour la libération de l’avortementet de la contraception (MLAC),mixte. En novembre 1972, auprocès de Bobigny, Gisèle Halimi,présidente de « Choisir » (associa -tion créée pour défendre les signa-taires du « Manifeste des 343 »),défend une jeune fille mineure,poursuivie pour avoir avorté à lasuite d’un viol.En juin 1973, paraît L’Alternative,texte collectif de Psychanalyse etPolitique sur la contraception,l’avortement, et le désir d’enfantdes femmes.

En 1974, pour répondre aux revendications desfemmes et faire cesser leurs manifestations, ValéryGiscard d’Estaing confie à Simone Veil, ministre dela Santé, la rédaction d’une loi sur l’IVG, qu’elle défen-dra courageusement à l’Assemblée nationale, - malgrél’opposition virulente de certains députés de droite -,et qui sera votée le 15 janvier 1975.Pour rendre cette loi définitive, le Mouvement desfemmes organise une grande manifestation le 6 octo-bre 1979, à Paris. Il faut attendre 1982 pour que lesluttes des femmes obtiennent le remboursement del’IVG par la Sécurité sociale. Depuis, pour renforcerun droit toujours menacé ou par solidarité avec lesfemmes des autres pays, la mobilisation continue.

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Manifestation du MLF, 20 novembre 1971, Paris

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Simone Veil parle de sa vie de femme, de son enfance heureuse et libre, auprès d’une mèreaimée et admirée, de son adolescence traversée parle Front populaire et tragiquement marquée par lenazisme. La prise de conscience de sa judéité et dutraitement des différences par les totalitarismes l’aconduite à s’engager activement en politique. Magistratou ministre, elle fut un témoin attentif des grandsbouleversements de notre époque, du mouvement de mai 68 comme des mouvements de femmes. Unevoix de femme qui interpelle le monde politique ettémoigne d’une vie simplement exemplaire. gB

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En 1972, Benoîte Groult analyse, dans Ainsi soit-elle, « l’infiniservage » des femmes et lance une virulente protestation publiquecontre la pratique de l’excision. Livre simple et direct pour quetous comprennent, livre lucide et courageux où l’humour estaussi une arme de combat, qui se veut toujours positif.« Il faut que les femmes crient aujourd’hui. Et que les autresfemmes – et les hommes – aient envie d’entendre ce cri. Quin’est pas un cri de haine, à peine un cri de colère, mais uncri de vie. » g

Vivre l’HistoireEntretiens

Simone Veil

litAinsi soit-elle

Benoîte Groult

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« La poésie n’est pas refus ou survol de la vie ; plutôt une manière dela féconder, de rendre compte de ses largesses. Elle témoigne aussid’une soif qui nous hante, d’une interrogation qui nous garde enhaleine.Chaque poème achevé devrait apparaître comme un caillou dans laforêt insondable de la vie ; comme un anneau dans la chaîne qui nousrelie à tous les vivants.Le Je de la poésie est à tousLe Moi de la poésie est plusieursLe Tu de la poésie est au pluriel. » g A.C.

« Retable parlé me paraît rendrela mère présente, la rapprocherdes mots qui la cherchent alorsque Retable écrit faisait plusentendre l’absence de la mère etla douleur de la fille que la mèreelle-même et que la déchirure deson souffle qui, dans la cassette,au-delà du sens des mots meparaît se tracer dans les sons etdans la coulée, la pression durythme. » g C.C.

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« Neuf mois de ma vie vécus parsa vie blonde. Protéger, à toutinstant, contre la mort, contre lesdégénérescences de l’avenir, unevie qu’on refuse ; la tendressed’une autre se nourrira de latendresse que je suis en train deconstituer avec mon sang, avecles oranges que je mange, le laitque je bois, ma fatigue, le soleiloù je me promène, je rêve, je mesens amère, neuf mois pendant laguerre. » g C.C.

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litRetable

Chantal Chawaf

lit avec Bernard GiraudeauTextes pour un poèmePoèmes pour un texte

Andrée Chedid

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Autour d’Antoinette Fouque, avecelle, en échos complices ou en témoignages : CatherineDeneuve, Gisèle Freund, MarieSusini, Nathalie Sarraute, Made -leine Chapsal, Hélène Cixous,Françoise Verny, Serge Leclaire,

Michèle Montrelay, FrançoiseBarret-Ducrocq, Simone Veil,Maria de Lourdes Pintasilgo.Mais aussi des musiques, deslieux : Marseille, la Corse, Paris,le Sud… g

(…)«Si j’essaye d’y penser rétros -pectivement, quels ont été nospoints de croisement, nos rencon-tres ? Deux mots me sont venus :la différence et la pensée. Maissurtout, un mot qui venait devous, contre quoi vous vous insur-giez et vous battiez, quelquechose qui fonctionnait et qui fonc-tionne toujours comme l’interditde pensée : l’expression même“d’interdit de penser”. » g

Serge Leclaire

« La voix du grand écrivain, hale-tante, rocailleuse, (…) devient larespiration même du texte quand ilprend La Forme d’une ville. JulienGracq a le génie des lieux. » g

L’Express, 26 décembre 1986

Le Rivage des Syrtes, Un beau ténébreux, En lisant, en écrivantLettrines 2,La Forme d’une ville

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onJulien Gracq est l’un des auteursles plus secrets et les plus célè-bres de la littérature française.Résolument indépendant, il fut lepremier écrivain à refuser le prix

Goncourt que lui avait valu LeRivage des Syrtes. Son art de dire,romanesque, poétique, critique,exprime ce « goût charnel » pourles mots, « du mot-climat au mot-nourriture », qui selon lui carac-térise tout véritable écrivain.Le choix des textes, composé parJulien Gracq pour cette lecture,invite à suivre « la trace sinueusedu voyage de l’auteur ». g

litŒuvres

Julien Gracq

Le Bon plaisirÉmission de France-Culture réalisée par Françoise Malettra

Antoinette Fouque

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Anouk Aimée lit Agnès de Catherine PozziMarie-Christine Barrault lit Poème de LaureNathalie Baye lit Corps séparésde Clarice LispectorCarole Bouquet lit La Fascination de l’étangde Virginia WoolfCatherine Deneuve lit Le Petit Garçonde Jean-Lou DabadieArielle Dombasle lit Le Don de Hilda DoolittleNicole Garcia lit Poèmes de Emily DickinsonJuliette Greco lit L’homme Jasmin de Unica Zürn

Isabelle Huppert lit Musique et poésiede Ingeborg BachmannMichèle Morgan lit La Maison de l’incestede Anaïs NinMarie-France Pisier lit Poèmes de Nelly SachsSonia Rykiel lit Poèmes de Joyce MansourDominique Sanda lit Lettres de Marina TsvetaevaColine Serreau lit Requiem de Anna Akhmatova

Musique: Zap Mama, avec Marie Daulne, SylvieNawasadio, Sabine Kabongo

Voix de femmes pour la démocratie

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« C’est la beauté du texte, mais aussi sa difficulté, qui m’ont donnéenvie de travailler La Princesse de Clèves. Difficulté qui provient engrande partie de la langue dans laquelle est écrit ce récit, langue qui,à trois siècles de distance, ne nous est plus nécessairement familière.La mise en voix, déjà en elle-même travail de lecture, opère alors unrapprochement. (…) Il peut être agréable pour beaucoup de gensd’écouter une voix dire de beaux textes. On écoute de la musique,du chant. Pourquoi n’écouterait-on pas aussi des textes dits ? » g M.M. D

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Les Lettres de Madame de Sévignéà sa fille que j’ai lues ont cor -respondu pour moi à une expé-rience exceptionnelle. C’était lapremière fois que je me livrais à ce genre de lecture. Ce texterévèle des sentiments que jeconnais, tout simplement parce quej’ai une fille. Il y a des douleurs,des passions, des bon heurs qui sont

miens. La passion qui dévoreMadame de Sévigné est un paysdans lequel je vis volontiers. Jepense qu’elle est amoureuse desa fille et qu’elle est beaucoupplus « sexuelle » que moi avecson enfant. g J.G.

Le Quotidien de Paris,28 décembre 1987

LA BIBLIOTHÈQUE DES VOIX

Madame de Sévigné

Madame de La FayetteLa Princesse de Clèveslu par

Michèle Morgan

Lettres à sa fillelu par

Juliette Gréco

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Diderot, écrivain et philosophe, avait quarante ans lorsqu’il rencon-tra Sophie Volland. Cet amour dura trente années. Des lettres deSophie, aucune ne subsiste. Celles de Diderot constituent un docu-ment de premier ordre sur la société de l’époque tout autant qu’unemagnifique correspon dance amoureuse.Le second texte rend hommage aux femmes avec ironie et lyrisme :« Quand on écrit des femmes, il faut tremper sa plume dans l’arc-en-ciel et jeter sur sa ligne la poussière des ailes de papillon. » g

« Ce qui étonne dans Corinne, c’est la profusion et la contradiction.Est-ce un guide de l’Italie ou un ouvrage intérieur? Un roman d’amourou un traité de morale ? Corinne est tout cela et bien d’autres chosesencore. Corinne, comme son homonyme grecque, a tous les talents.Moins elle connaît de limitations, mieux elle sert le but de son auteur :montrer que les hommes et la société étant ce qu’ils sont, plus unefemme a de génie, plus elle est malheureuse en amour. Dans la géogra-phie personnelle de Madame de Staël, l’Italie est un pays femelleparce qu’elle est vouée à la création artistique et littéraire. » g

Claudine Hermann

Madame de StaëlCorinne ou l’Italielu par

Françoise Fabian

Denis Diderot

Lettres à Sophie VollandSur les femmeslu par

Michel Piccoli

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« Ma mère, je vous ai menti, cet homme est monamant! » Ce cri de la duchesse de Langeais, FannyArdant le lance, terrible, de sa voix particulièreque les taxis, avoue-t-elle, reconnaissent à l’oreilleavant même d’avoir vu son visage. Après de nombreux auteurs et d’autres comédiennes, ellechoisit d’enregistrer ce roman de Balzac pourLa Bibliothèque des voix, livres-cassettes quepublient les Éditions des femmes.« La grâce lui servait d’unité… », ainsi décrit-onla duchesse. Se reconnaît-elle dans ce portrait ?« Ah non, je la vois très Guermantes, blonde,rapide… C’est aux méandres de son cœur que je me suis identifiée tout d’abord. Mais parfois,c’est de Montriveau que je me sentais proche ; ce balourd ignorant des subtilités du FaubourgSaint-Germain ! Pourquoi ai-je choisi ce texte ? Je n’aime que les romans obsédés par l’amour… »Pour le présenter, Fanny Ardant sera (le 12) àApostrophes. Sur le thème : « la Voix ».« Mais j’ai surtout envie d’y parler de la duchesse…Je suis partie de l’idée que je m’adressais à quelqu’un de particulier. J’imagine que celui quim’écoutera sera allongé, dans le silence de la nuit.Et j’aimerais que, d’une phrase à l’autre, il soit embar-qué… » g Le Nouvel Observateur, 12-18 décembre 1986

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LA BIBLIOTHÈQUE DES VOIX

Honoré de Balzac La Duchesse de Langeaislu par

Fanny Ardant

Fanny Ardant lit aussi pour « La Bibliothèque des voix » : Jane Eyre de Charlotte Brontë et La Peur de Stefan Zweig

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Dans les années où éclosent, en Europe, les forcesqui renverseront l’Ancien Régime, à Venise, unejeune femme, Consuelo, fille d’une pauvre chan-teuse bohémienne, apporte au théâtre, avec sa voixexceptionnelle, son génie. Roman historique, romand’amour, roman musical, « roman de formation »incarnant le désir de connaissance des femmes,Consuelo paraît en feuilleton, en 1842 dans LaRevue indépendante, fondée par George Sand. C’estaussi l’œuvre où l’auteure exprime le plus libre-ment et le plus fortement, sa conception de l’histoire. g

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« Admirable texte », notaitDostoïevski dans son Journal d’unécrivain à propos de La Marquise,où l’auteure « dépeint un jeunecaractère féminin, droit, intègre,mais inexpérimenté, animé decette fière chasteté qui ne se laissepas effrayer ni ne peut être salimême par le contact avec le vice ».Mariée trop tôt et mal, laMarquise reste, malgré son

veuvage, sa beauté et son jeuneâge, « désenchantée à jamais ».Au soir de sa vie, pourtant, seretournant sur son passé, laMarquise se confie et avoue avoiraimé, une fois… « Une fois, uneseule fois dans ma vie, j’ai étéamoureuse, mais amoureusecomme personne ne l’a été, d’unamour passionné, indomptable,dévorant… » g

George Sand

Consuelolu par

Madeleine Robinson

La Marquiselu par

Nathalie Baye

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Le 4 juillet 1862, au cours d’une promenade en barque avec ses deuxsœurs, Alice Liddel demande à Charles Lutwidge Dodgson de luiraconter une histoire. Un monde hors temps, peuplé de créaturesfurieusement déraisonnables, où le lapsus est roi.À la demande d’Alice, Charles écrira l’histoire. Pour la publier, il pren-dra le nom de Lewis Caroll.Conteuse à son tour, Arielle Dombasle joue de toutes les ressourcesde sa voix et du chant pour incarner les multiples personnages durêve d’Alice. g

Lewis Carroll

Sibilla Aleramo

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LA BIBLIOTHÈQUE DES VOIX

Alice au pays des merveilleslu par

Arielle Dombasle

Une femmelu par

Emmanuelle Riva« Pour moi, il n’y a aucune diffé-rence entre ce travail et le travailà la scène ou au cinéma: tout estdésir de communion. Mais, icicomme à la radio, il s’agit d’uneprésence intime, directe à l’autre,familière, fraternelle… Il se produitun réel contact : on ne voit pas lapersonne, seule est présente la

voix, c’est-à-dire l’incarnationmême du cœur, des sens d’unêtre… Une femme est un texte depulsations, intime. Il fallait repas-ser le texte par tout l’être, l’inté-rioriser, pour parvenir à cette spon-tanéité qui est le résultat d’un longtravail – du don aussi. Ce texte, jel’ai trituré, pétri. » g E.R.D

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Karen Blixen

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Malgré leur serment solennel de « purifier leur langue de toute concu-piscence », les convives de l’aride communauté nordique de Berlewaagcèdent aux délices d’une chair luxueuse venue du sud. Et ainsi, « devieilles gens taciturnes reçurent le don des langues : des oreilles sour-des depuis des années s’ouvrirent pour les écouter ». Stéphane Audran,qui fut l’inoubliable Babette du film de Gabriel Axel, nous initie, avecKaren Blixen, à ce don premier de l’oralité. gD

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C’est Orson Welles qui a fait découvrir KarenBlixen à Jeanne Moreau. Et c’est Jeanne Moreauqui a choisi de lire ce Conte d’hiver de l’écri-vain danois, l’histoire de la cantatrice Pellegrinaqui tombe, au hasard d’une église, sur sondouble vocal… g

La Tribune de Genève, février 1988

Derniers contes d’hiverlu par

Jeanne Moreau

Le Dîner de Babettelu par

Stéphane Audran

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Dans ce texte, écrit en 1910, Freud s’attache à étudier le processus de la création artistique chez Léonardde Vinci. Il part d’un des premiers souvenirs d’enfance rapporté par le peintre. Pour Freud, il s’agit plutôtd’un fantasme, qu’il appellera « le fantasme au vautour », que Léonard « s’est construit plus tard et qu’ila alors rejeté dans son enfance » et qui se rapproche de certains « fantasmes de femmes ou d’homo-sexuels passifs ». Derrière, se cache « la réminiscence d’avoir tété le sein maternel, scène d’une grandeet humaine beauté qu’avec beaucoup d’artistes Léonard entreprit de représenter dans ses tableaux de laVierge et l’enfant ».Composé « du double souvenir d’avoir été allaité et baisé par la mère », ce fantasme fait « ressortir l’in-tensité du rapport érotique entre mère et enfant ». Le singulier sourire énigmatique de la Joconde ou desainte Anne s’éclaire alors d’être la trace de ce que « sa mémoire conserva comme la plus puissanteimpression de son enfance ». g

LA BIBLIOTHÈQUE DES VOIX

Sigmund Freud

Un souvenir d’enfance de Léonard de Vincilu par

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Du côté de chez Swann et Le Temps retrouvé, au commencementet à la fin de l’œuvre, sont deux arches, parallèles dans leur cons-truction et leur projet, sur lesquelles s’appuie l’immense cathédralede À la recherche du temps perdu. Ce sont ces deux textes qui défi-nissent le mieux ce qu’est l’ouvrage, l’histoire d’une vocation, ladécouverte du salut par l’écriture. Dans le premier, le narrateur restitue l’enfance: Combray, les rêves,le territoire qu’il partage avec sa mère et sa grand-mère, les lieuxde la fascination, théâtre, voyages, visages de jeunes filles, or contenu dans certains noms comme celui de Guermantes. Dansle dernier livre, le Temps a passé, rendant les êtres méconnais -sables, détruisant tout à l’exception de l’Art, c’est-à-dire de l’unionde la sensation et du souvenir dans la méta phore. Le narrateur vaenfin se mettre à écrire, l’ouvrage est fait. La Recherche, c’est lepassage des Noms aux mots. g

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Marcel Proust

« Ma seule consolation, quand je montais me coucher, était quemaman viendrait m’embrasser quand je serais dans mon lit. Maisce bonsoir durait si peu de temps, elle redescendait si vite, que lemoment où je l’entendais monter, puis où passait dans le couloirà double porte le bruit léger de sa robe de jardin en mousselinebleue, à laquelle pendaient de petits cordons de paille tressée, étaitpour moi un moment douloureux. Il annonçait celui qui allait lesuivre, où elle m’aurait quitté, où elle serait redescendue. De sorteque ce bonsoir que j’aimais tant, j’en arrivais à souhaiter qu’il vîntle plus tard possible, à ce que se prolongeât le temps de répit oùmaman n’était pas encore venue. » g M.P.

À la Recherche du temps perdu, Du côté de chez Swann, Le Temps retrouvé

lu par

Jean-Louis Trintignant

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Colette

« C’est folie de croire que les périodes vides d’amour sontles “blancs” d’une existence de femme », écrivait Colette,en 1937. Car c’est le temps où peut fleurir sa vie propre,saison de poèmes comme l’atteste La Naissance du jour,composée l’été de ses cinquante-quatre ans. L’âge oùs’offre, en coupe d’oubli, le dernier amour n’est-il pas plutôtcelui d’inventer, hors des dépendances, sa maturité au paysdu soleil ? g

Les nouvelles de La Maison de Claudineracontent le temps où, petite fille, ellegoûtait « la condition d’être une enfant deson village et d’avoir une mère au rire aigude jeune fille » ; elles racontent aussi letemps de sa fille, de sa « subtilité d’enfantet de la supério rité de ses sens qui saventgoûter un parfum sur la langue, palper unecouleur et voir, – fine comme un cheveu,fine comme une herbe – la ligne d’unchant imaginaire. » g

LA BIBLIOTHÈQUE DES VOIX

La Maison de Claudinelu par

Anny Duperey

La Naissance du jourlu par

Michèle Morgan

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Virginia Woolf

Partant de l’analyse des interdits misogynes, solides rempartsd’une supériorité masculine dont la réalité paraît sérieusementébranlée, Virginia Woolf définit les conditions d’existence etla spécificité de la création pour les femmes. Il faut d’abord « une chambre à soi », dont la portée va bien au-delà du matériel. « Il suffit d’en trer dans n’importe quelle cham bre den’importe quelle rue pour que se jette à votre face toute cetteforce extrêmement complexe de la féminité… Car les femmessont restées assises à l’intérieur de leurs maisons pendant desmillions d’années, si bien qu’à présent les murs mêmes sontimprégnés de leur force créatrice. » g

« Derrière nous s’étend le système patriar-cal avec sa nullité, son amoralité, son hypocrisie, sa servi lité. Devant nous s’étendent la vie publique, le systèmeprofessionnel, avec leur passivité, leurjalousie, leur agressivité, leur cupidité. L’un se referme sur nous comme sur lesesclaves d’un harem, l’autre nous oblige à tourner en rond… tourner tout autour de l’arbre sacré de la propriété. Un choixentre deux maux… » g V.W.

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Trois Guinéeslu par

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Une chambre à soilu par

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Catherine Deneuve lit pour « La Bibliothèque des voix » : Les Petits Chevaux de Tarquinia de Marguerite Duras, Bonjour tristesse de FrançoiseSagan, Letters Home de Sylvia Plath, Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke, et Les Paradis aveugles de Duong Thu Huong

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Message personnel

par Catherine Deneuve

Bonjour tristesse est la seconde cassette que j’ai enregistrée. La première, c’était Les PetitsChevaux de Tarquinia, que Marguerite Duras avait adapté spécialement pour une lecture àhaute voix. Le côté très narratif m’avait fait penser à Antonioni, à cette lenteur inexorabledes choses de la nature… J’ai eu un plaisir fou à lire Sagan. Je souriais souvent en la lisant.Sans doute parce que tout m’attendrissait, le côté Saint-Tropez, Jaguar et pieds nus, bref,les images des années 60, et des années Sagan, précisément. C’est un texte qui n’a pasvieilli, toujours aussi juste, exact, avec cette simplicité qui vous donne du plaisir. Pour moi,les deux livres – Les Petits Chevaux et Bonjour tristesse – sont des livres cinématographiques,enfin je veux dire par là qu’ils s’approchent, dans leur ton et par leurs descriptions, davan-tage du cinéma que du théâtre. Mais en même temps le travail que l’on me demandaitressemblait un peu à celui qu’exige le théâtre. Et, on le sait, le théâtre est quelque chose quime fait peur et qui m’attire. Alors ça m’enchantait, ce travail-là, c’était comme une manièred’apprivoiser le démon.Enregistrer un texte, pour moi, c’est un exercice entre le sprint et la course de fond. Il fautse lancer. On lit d’une seule traite, comme s’il s’agissait d’une représentation. Tout doitpasser par la voix. Je suis très sensible aux voix, elles évoquent des visages, ce sont desformes magiques, elles portent un message personnel. Grâce aux voix, l’intimité passe entrele lecteur et l’auditeur…Le texte, il faut qu’il me parle à l’oreille, à l’oreille interne. Comme les mots de Sagan. PourBonjour tristesse, j’ai pris des notes. Je voulais jouer plat, trouver un rythme, travailler lesdialogues. Je relisais souvent des passages mais je ne les apprenais pas par cœur. Je n’avaispas le livre en mémoire, j’avais envie plutôt d’être empoignée par lui. Il y a encore unechose que je voudrais dire : lire de cette façon, ça me donne envie d’écrire. Il faut que jepasse à l’acte, il le faut.

Le Nouvel Observateur, janvier 1987

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« J’ai connu personnellement Jean Genet alors que j’avais dix-huit ans. Je lis donc en tentant de me souvenir de la façon dontGenet s’exprimait. Il avait un temps propre à lui, de parler puisde se taire; il lisait bien lui-même, très simplement. En avançantdans la lecture, je pense parfois qu’il aurait dit cela différem-ment et je recommence. Il faut faire ressortir un silence intérieurqui laisse un suspens dans le texte. Je ne me prépare pas trop àl’avance, le texte est réaliste et l’on doit maintenir une distanceet ne pas accentuer certains passages, aussi violents soient-ils.Genet n’écrit-il pas “cette violence est un calme qui vous agite”? »g

Le Magazine Littéraire, avril 1988

Le Funambule est le double du poète. Comme lui, il joue avecla Mort en dansant sur son fil. Splendide et étincelant, le funam-bule montera jusqu’à l’apothéose, jusqu’à l’instant suprêmeoù la chute est possible – et où il rencontre la Mort. Mais ilfaut qu’il soit déjà mort et qu’au pied de l’échelle il se quittelui-même pour aller, complètement blême, engager sa danseultime et absolument solitaire. g

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Jean Genet

LA BIBLIOTHÈQUE DES VOIX

Journal du voleurlu par

Anouk Aimée

Le Funambule et L’Enfant criminellu par

Marie Trintignant

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« Quand les Éditions Des femmesm’ont demandé si je voulais enre-gistrer les textes de ClariceLispector, j’étais en pleine révi-sion du bac de français. Je n’avaisjamais lu une ligne de ClariceLispector. J’ignorais qui elle était.(…) J’étais intimidée. S’entendreprononcer certaines phrases avec“ sa ” voix, c’est une expérience

assez traumatisante. On ne peutpas être indulgent avec soi-même.Mais j’étais là. On avait besoin dequelqu’un d’encore jeune parlantde cette adolescente qui décou-vre son corps, des émotions, dessensations. » g

Elle,

25décembre1989

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« Dans son appartement de Rio, une femme commence sa journée,seule face à une tasse de thé. Sa bonne l’a quittée le matin même. Il ya une première rupture du rythme quotidien de cette femme. C’estpourquoi elle entame une interrogation sur le cours habituel de sesjours. Après avoir décidé de faire le ménage dans la chambre de labonne, elle découvre qu’elle a vécu de longs mois à côté de quelqu’unresté totalement étranger. Commencent à sourdre les indices d’uneseconde interrogation, plus large et plus complexe, qui part de ce pointprécis : son ignorance de l’autre. C’est en cherchant le sens primordialde ce qu’elle ressent et en essayant de comprendre les liens éventuelsentre tout cela et Dieu, que G.H. avance, de station en station, danssa passion, qui est à la fois un cri de douleur et de joie. » g C.L.

Clarice Lispector

Liens de famillelu par

Chiara Mastroianni

La Passion selon G.H.lu par

Anouk Aimée

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« Il arrive dans la vie de chacun que,soudain, la porte claquée au nez s’entrou-vre, la grille qu’on venait d’abaisser serelève, le non définitif n’est plus qu’un peut-être, le monde se transfigure, un sang neufcoule dans nos veines. C’est l’espoir. Nousavons obtenu un sursis. Le verdict d’unjuge, d’un médecin, d’un consul estajourné. Une voix nous annonce que toutn’est pas perdu. Tremblante, des larmes degratitude aux yeux, nous passons dans lapièce suivante où l’on nous prie de patien-ter, avant de nous jeter dans l’abîme. » g

N .B.

Nina Berberova

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LA BIBLIOTHÈQUE DES VOIX

Le Roseau révoltélu par

Isabelle Huppert

Isabelle Huppert lit aussi pour « La Bibliothèque des voix » : L’Inondation d’Evgueni Zamiatine

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CAHIER DE PRESSE

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Le ProvençalLes premiers livres parlants

Les voix chaudes, les voix hautes.Surtout des voix qui portent untexte comme on porte un enfant,avec amour, précaution, angoisse.Surtout lorsque cet enfant est le

leur. (…) Peut-être est-ce la plusgrande surprise, de trouverderrière les mots, la voix decelle qui les a écrits. Mais voiciqu’elles viennent chez vous, avec

leurs voix qui ont une couleur,une odeur, une intimité qui laissent suspendu le souffle. Des émotions tremblent, les cris s’étouffent, la communication est directe.

Michèle Grandjean, 27 septembre 1981

Quand les livres parlent…Gros succès des Éditions Desfemmes à l’expo Tokyo 84, orga -nisée par Édith Cresson et leministère du Commerce exté-rieur. Regroupés, les éditeursfrançais se sont retrouvés noyésdans le flot des quatre centsexposants des régions françai-ses, entre les saucissons et lescosmétiques. Sauf des femmes,qui avait son propre stand.En devanture, la collection deslivres-parlants en cassettes, quia enthousiasmé les Japonais. Lagrande romancière du nouveauroman japonais, Yûko Tsushima,trente-sept ans et surcouronnée

de prix littéraires, a aussitôt enre-gistré en studio des extraits deson livre le plus connu, Child ofFortune, paru en 1978 à Tokyo.Cette collection originale – niles Japonais ni les Américainsn’y avaient pensé – fut créée endécembre 1980. Des auteurslisent leurs propres textes, desactrices donnent leurs voix à desfemmes écrivains, vivantes oudisparues. La voix que peut-êtrel’auteur entendait au momentd’écrire nous arrive en v.o.Qui se dit encore que NathalieSarraute est un auteur “diffi -cile”, écoutant Ich sterbe, se

détrompe et se convainc quec’est sa mère qui dit, comme unconstat paisible : Je meurs. Qui,d’un Walkman, évacue le trajetmétro-boulot avec La Renferméede Marie Susini dans les oreillesest aussitôt déplacé au soleil,avec les cigales, les odeurs, lescrépitements des feux de forêt,les coutumes barbaresques de laCorse.“En créant cette collection,explique Antoinette Fouque,j’avais le désir de réconcilier la culture traditionnelle de l’imprimerie avec la culturemoderne de l’audiovisuel, aulieu de les opposer.” Pari gagné.

Katia D. Kaupp, 2 novembre 1984

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1981-1984

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(…) Antoinette Fouque et songroupe, ce sont les Éditions Desfemmes. Ce sont des journaux,mensuels, hebdo qui vont, quiviennent, insoucieux du conti-nu, mais qui vivent, revivent. Unmoment disparus, ils peuvent

ressurgir : leur pulsation mimela nôtre, elle est accidentée, maispersistante. Ce sont des livresqui ont suivi les rythmes ausside la venue à l’écriture des femmes. (…) Ce sont désormaisaussi des cassettes. (…) “Ce n’est

pas tant Narcisse qu’Écho quirépond de la femme, expliqueAntoinette. Voilà pourquoi nousrecourons désormais à la voix.”(…)

Armelle Héliot, 22 janvier 1981

IstoéClarice en cassette

Morte il y a exactement septans, le 9 décembre 1977, l’écri-vain Clarice Lispector seraitsurprise de savoir que sonroman La Passion selon G.H.calme les nerfs des automobi-listes français dans les embou-teillages. C’est dans les auto-radios que ses fidèles lecteursont l’habitude d’écouter laversion, récemment enregistréeen cassette, de ce livre publié àParis il y a cinq ans par lesÉditions Des femmes. Conden -sées en une heure d’enregistre-ment, les deux cents pages du

texte de Clarice sont lues parl’actrice Anouk Aimée (Unhomme et une femme), qui,avec sa voix grave et posée,arrive à transmettre toute l’an-goisse vécue par le personnageG.H. qui face au cafard estpartagée entre la fascination etle dégoût.(…) L’auteur brésilien est entréedans cette équipe après lesuccès de La Passion selon G.H.dans les librairies. Cinq autresde ses livres sont traduits enFrance. Le prochain titre àparaître sera L’Heure de l’étoile,

la dernière œuvre que l’écrivaina publiée de son vivant.Le succès de Clarice en Franceest surprenant pour un écrivainqui ne recourt pas à l’exotisme– ingrédient dont les éditeursfrançais tiennent compte quandil s’agit du tiers-monde. Elle estdevenue, en peu d’années, unepersonnalité littéraire recom-mandée par les critiques desrevues parisiennes de grandprestige, qui la comparent,assez souvent, à Virginia Woolf.(…)

Brésil, 12 décembre 1984, n°416

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CAHIER DE PRESSE

Les stars de chevetGrâce aux Éditions Des femmes,voici le plus beau génériquecinématographique de la dé cen -nie. Dans l’ordre d’apparition,on relève les noms d’EdwigeFeuillère, Anny Duperey, MichèleMorgan, Catherine Deneuve,Isabelle Adjani, Anouk Aimée,Madeleine Robinson, MadeleineRenaud et Françoise Fabian.Rien que des dames? Mais non,un seul partenaire, il est vrai,leur donne la réplique, mais quelpartenaire : Michel Piccoli ! Et qui sont les scénaristes-dialoguistes de cette superpro-duction qui fait pâlir d’envie

les “moguls” de Hollywood etCinecittà ? Eh bien, en toutesimplicité : Colette, Mme de LaFayette, George Sand, Mme deStaël, Virginia Woolf ; on enpasse et des meilleurs. Non, onne passe pas les meilleures. Ellesne sont pas actrices, enfin ellesne le croient pas, mais leur talents’impose autant par leur texteque par leur propre voix qui lelit, comme celle, magique, de lagrande Marguerite (Duras, biensûr) dans “La Jeune Fille etl’Enfant”, comme celle, grave etsourde, de Marie Susini dans “LaRenfermée”. Détail intéressant:

ces chefs-d’œuvre, vous pouvezles avoir dans votre poche; ce nesont que de petites cassettescomme les autres, vendues entre65 et 75 francs. Une révolution?Non, une évolution. On savaitdepuis longtemps – peut-êtresans le savoir, d’ailleurs – que sil’œil écoute, l’oreille, elle, voit.Alors, fermons les yeux et regar-dons Catherine Deneuve lire lessublimes “Petits Chevaux deTarqui nia” ou Isabelle Adjaniinterpréter le non moins sublime“Journal d’Alice James”. Desstars de chevet, c’est chic, non?

Jean-François Josselin, 22 mars 1985

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1985-1986

PUBLISHER WEEKLY

Women in cassettesAntoinette Fouque, a leader ofFrench women’s lib, foundedÉditions Des femmes in 1974 toprovide a theoretical base forher particular brand of femi-nism, which is less rights-orien-ted, more intellectual than theAmerican kind.Des femmes does some 30 newtitles a year, the ratio of fictionto nonfiction varies accordingto supply, but in recent timesthe stress has been on psycho-logy and other basic studies.They do classics, from Madame

de Staël and Mary Wollstone-craft Shelley to Virginia Woolfand Anaïs Nin, but have alsodeveloped an outstanding con -temporary list from widelyseparated literatures: the remar-kable Brazilian novelist ClariceLispector (born into a Jewishfamily in the Ukraine), YûkoTsushima from Japan, Lou Andreas-Salomé from Germany.Des femmes was a French pio-neer in audiocassettes, all theway back in 1980. Authors readtheir own texts : Marguerite

Duras reads stories, GeorgesDuby – one of the few males onthe list – eads from WilliamMarshall Flower of Chivalry (arecent Pantheon Books transla-tion in the U.S.) ; importantly,stars like Catherine Deneuveand Michèle Morgan read clas-sic or contemporary works. Cassettes are priced from about$9.50 to $12 depending onlength, each packed with abook let containing the text.They can sell 5 000 copies of Michèle Morgan readingColette or Duras, Duras.

Herbert R. Lottman, 4 avril 1986

Les livres-parlants(…) Parmi les dernières livrai-sons: Régine Deforges nous faitvibrer Pour l’amour de MarieSalat, Marie-France Pisier nousinvite au Bal du gouverneur etClaude Imbert dans Ce que jecrois nous communique son“optimisme d’explorateur”. Jegarde pour la fin le très beaumoment d’émotion que constituela lecture de Avec mon meilleur

souvenir par son auteur, quin’est autre que Françoise Sagan.Elle évoque pour nous sesrencontres avec Billie Hollidayet Orson Welles, Noureev etJean-Paul Sartre. Elle nousparle de son adolescence, de savie, de ses hésitations. Elle litet le charme opère. On estséduit, porté, transporté, envahi.Une époque défile, j’allais écrire

“sous nos yeux”. Du roman-tisme fou à la sagesse banale,Sagan ne dissimule rien, nemasque rien, ou plutôt, nouslivre, au-delà de tout camou-flage, une confession pudique,un morceau d’âme et le cœurflanche. (…)

Gérard de Cortanze, 14 octobre 1986

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CAHIER DE PRESSE

Un nouveau privilègeJe n’ai jamais été membre duMLF. Mais j’ai failli le devenir,il y a deux ans, lorsque les Éditions Des femmes rééditèrentles Souvenirs d’Élisabeth Vigée-Lebrun. Depuis longtemps, il mesemblait absurde que personnen’eût pensé à redonner vie autexte subtil et savoureux d’unedes dernières héroïnes duXVIIIe siècle. Mme Vigée-Lebrunest morte en 1842, ayant vécusous quatre rois de France et undes Français – sans compterquelques régimes imprécis –,ayant fréquenté tous les souve-rains civilisés, ayant été mem -bre de toutes les académiesd’Europe, ayant portraiturétoutes les gloires. Elle est mortequasiment nonagénaire, toustalents accomplis. Elle incarnala grâce et la culture de l’AncienRégime. Elle maîtrisa l’alchimiedes grands ateliers. Elle s’enivrade la fantaisie des voyages. Ellefut malheureuse en amour maisfidèle à ses tendresses. Elledétesta Bonaparte. À chaque foisque j’ai dit ou écrit qu’ellem’émerveillait, un abondantcourrier d’auditeurs ou delecteurs me démontra que jen’étais pas son seul admirateur.

Les Éditions Des femmes vendi-rent sept mille exemplaires dulivre de Mme Vigée-Lebrun,oublié depuis plus d’un siècle.En écoutant Quotidien pluriel(France-Inter), l’idée m’est venuede vanter à nouveau les méri tesdes Éditions Des femmes .Jacques Chancel s’entretenaitavec Antoinette Fouque, fonda-trice de la maison féministe. Ils’agissait encore d’une trou-vaille : les livres-parlants.En cassette, des extraits d’ou-vrages célèbres lus par des voixcélèbres: comédiens ou auteurs.Le bonheur, c’est évidemmentquand l’auteur lui-même inter-vient. Nos phonothèques sontremplies de variations de comé-diens sur les beaux textes. Maisles auteurs ont-ils souvent lapossibilité de nous dire leursécrits comme ils se les récitentavec leur petite musique ?Parfois, on ressort quelquesbrèves séquences de Valéry oude Saint-Exupéry enregistréessur de vieux disques. Dès queleur diction malhabile insistesur un mot négligé ou dédaigneun passage qui nous paraissaitimportant, nous sommes émuset reconnaissants. Nous compre-

nons que, si la littérature dethéâtre est écrite pour être jouée,celle de romans et d’essais n’apas besoin d’interprétation maisde connivence. La voix de l’auteur ajoute à l’intimité – ausens étymologique de profon-deur et de secret. JacquesChancel a diffusé deux exem-ples : Françoise Sagan dansAvec mon meilleur souvenir(Gallimard) et Claude Imbertdans Ce que je crois (Grasset).Sagan n’articule pas, ellebredouille. N’empêche qu’elleenrichit son texte d’une espècede sincérité éclairante. Imbertmarque les intentions. Onentend des italiques et des gras.Sa voix modifie la typographieimprimée, comme dans ses édi -toriaux du samedi à Europe 1.On découvre que le détache-ment de son style n’est qu’uneapparence : il écrit vraimentpour être lu. La radio et lacassette auront vulgarisé unnouveau privilège. Celui de lalecture à domicile, par l’auteur.Luxe qu’on croyait disparu avecles derniers salons de la BelleÉpoque.

Jean Ferré, 22 novembre 1986

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1986

La voix retrouvée“Nous avons commencé avecUne Femme de Sibilla Aleramoque je définirais comme une sorte de contre-chant de ThérèseDesqueyroux. J’avais en tête la voix d’Emmanuelle Riva…”,raconte Antoinette Fouque.Fondatrice des Éditions Desfemmes (en 1974), “Antoinette”est aussi celle qui pour lapremière fois eut l’idée des livres-cassettes… – on l’oublie parfois.“Puis nous avons fait cinq casset-tes avec des auteurs desÉditions… Mais c’est avec Duraset Sarraute que La Biblio thèquedes voix s’est vraiment mise àexister.” Elle compte aujourd’huiune quarantaine de titres: auteursproches de l’inspiration de départ(Jeanne Hyvrard, Victoria Thérame,Angela Davis…), mais aussi clas-siques (Colette, Mme de Lafayette,Mme de Staël, Virginia Woolf,Anaïs Nin…) et des contempo-raines plus inattendues commeSagan. Très vite sont arrivés leshommes: Duby, Gracq, ou Diderotlu par Piccoli. Et les acteurs :Deneuve, Morgan,Renaud,Fabian,Adjani… Triom phatrices absolues:Colette et sa mère Sido, avec prèsde six mille exemplaires vendus.

Jean-Pierre Salgas – Les ÉditionsDes Femmes évoluent… J’avoueavoir été stupéfait de vous voirsortir un “livre parlant” deClaude Imbert, rédacteur en chefdu Point, Ce que je crois.Antoinette Fouque – C’est que jedois être sensible aux appels deClaude Imbert contre l’espritmunichois. Il y a chez lui quelquechose de Tocqueville, dans sonréalisme. Je ne le connais paspersonnellement, et ce livre estun bon livre d’honnête homme.Notez que le Point ne s’intéressepas particulièrement à ce que jefais. En fait, cette collection, parcequ’elle est pionnière, est vouée àêtre expérimentale. Or, si je nesuis pas pour des compromis-sions, je crois qu’il faut aller dansdes directions multiples. Il existeen France une hostilité contre lescassettes. Comme s’il fallait choi-sir: cassettes ou livres. Aux États-Unis, les choses ne sont passaisies en termes d’opposition.C’est moi, d’ailleurs, qui pourrais lesy avoir introduites, en parlant en1983 à des éditeurs. Les cassettes sedéveloppent à la manière améri-caine, je vous renvoie au dernierlivre de Jean Baudrillard, les gens

écoutent de la littérature sur lesautoroutes. Ils ont beau se trou-ver dans un état d’autohypnose,les oreilles sont libres.J. P. S. – Quel est le public privi-légié des livres parlants, au-delà,bien sûr, des lecteurs qui nevoient pas, ou plus?A. F. – Les analphabètes, mais pas seulement. Ma mère qui nesait ni lire ni écrire, eh bien, elleécoute et comprend Duras etSarraute. En fait, tout le monde.Je crois que, par l’oreille, on peutaller très loin… On n’a peut-êtrepas encore commencé à penser lavoix. Une voix, c’est l’Orient dutexte, son commencement. Je nesuis pas sûre qu’Enfance deNathalie Sarraute ne vienne pasde la lecture de Tropismes parMadeleine Renaud qui a su fairerevenir une voix d’enfant. Lalecture doit libérer, faire entendrela voix du texte – qui n’est pas lavoix de l’auteur –, qui est sa voixmatricielle, qui est en lui, comme,dans les contes, le génie est dansle flacon. Voix-génie, génitale,génitrice du texte. Elle y estencryptée dirait Derrida, prison-nière dirait Proust.Regardez Proust! En général, onfait tout partir de la madeleine. Jecrois qu’il faut remonter plus

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CAHIER DE PRESSE

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haut. À la scène qui précède: “Jen’avais encore jamais lu de vrairoman”, dit le narrateur quand samère lui lit François le Champi.Cette voix de sa mère, associée àcelle de sa grand-mère, reviendrad’ailleurs vers la fin du Tempsretrouvé au moment de la décision d’écrire La Recherche.François le Champi, lu par cesdeux femmes, est le roman matri-ciel latent de La Recherche. Celadevient encore plus intéressantquand on s’aperçoit que ce mêmeroman écrit par Sand (autrementdit le sable, le sablier, le temps!)est le roman de la recherche ducorps, de la voix de l’autre, et queson héroïne, la mère “inces-tueuse” de François, se pré -nomme Madeleine! C’est l’iden-tification à cette scène qui est aufond de La Recherche. Proust estle comble de l’écriture non pasféminine, mais femelle, du“female writing”. L’homosexualitéféminine le fascine, pas l’homo-sexualité lesbienne, passée par laperversion, non, l’homosexualiténative. Il est davantage le fils desa mère et de sa grand-mère quede ses parents. Toute sa vie il sedemandera: qu’est-ce qui se passeentre ma mère et ma grand-mère?Ou, si on déplace la scène, entreMlle Vinteuil et son amie, … LaRecherche passe tout entière

dans la voix qui lit François leChampi. La voix du texte est danstous les sens la voix matricielle!J.-P. S. – En vous écoutant jem’étonne qu’il n’y ait pas encorede texte de Freud dans laBibliothèque des voix…A. F. – Je pense demander à Jean-Louis Trintignant d’enregistrer UnSouvenir d’enfance de Léonardde Vinci. Vous voyez, nous nesommes pas loin de Proust.J.-P. S. – Pourquoi Trintignant?A.F. – À cause de ce qu’il y a demeurtri, de cassé, de douloureux,dans sa voix. Son absence denappé, son aspect tourmenté –sans romantisme. Il me fait unpeu penser à Montgomery Clift,incarnant Freud pour Huston. Jele vois bien rendre la tensionentre le Freud chercheur et leFreud artiste.J.-P. S. – Quels sont vos projets?A. F. – Dans quelques jours sortBonjour tristesse, enregistré parDeneuve. Fanny Ardant va prêtersa voix à La Duchesse de Langeais,Nathalie Baye à Madame deSévigné… Bientôt Jean-ToussaintDesanti lira son autobiographieUn Destin philosophique, etÉlisabeth Roudinesco des passa-ges de La Bataille de cent ans.Je songe à contacter Bonnefoy,Blanchot, Derrida, Levinas… Etpuis j’aimerais beaucoup pouvoir

éditer de grandes voix qui som -meillent dans certaines archivessonores. Tels qu’ils sont, les livresparlants ont déjà une dimensiond’archives. J’envisage aussi depasser commande à des écrivains,spécialement pour des livressonores.J.-P. S. – Quelle est dans laBibliothèque des Voix votrecassette préférée?A. F. – Guillaume le Maréchalde Georges Duby, qui a pris pourmoi le relais de Montaigne: philo-sopher, c’est apprendre à mourir.Je n’ai pas eu peur de la mort demon père, j’ai peur de celle de mamère. Je suis heureuse qu’ellepuisse l’entendre. Duby a unevoix de porche au sens de Péguy,une voix de paysan et de ComédieFrançaise à la fois. La façon qu’ila de mettre en résonance tous ces tableaux les uns à côté desautres me fait un effet de seuil, descène originaire. Un peu commePompes funèbres de Genet. Jel’écoute souvent en voiture, et j’ai-merais le faire entendre à toutesles personnes qui ont peur de leurpropre mort. Je crois que cettevoix peut nous aider à apprivoi-ser la mort. Je crois à sa fonctionéthique.

1er décembre 1986

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1986-1991

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OUEST-FRANCE

La réconciliation de l’écrit et de l’oral(…) “J’avais envie de trouverquelque chose de nouveau, aucarrefour de raisons objectiveset personnelles. Dans la culture,il y a un renouveau de l’oralité,de la voix et je voulais être demon temps sans renoncer à lalangue. Alors, j’ai cherché dansl’écrit ce qui était de l’ordre dela voix, la voix du texte ensomme, son écho, sa source.”En faisant référence à sa mère,émigrée italienne qui ne savait

pas lire, Antoinette Fouquepense aussi à d’autres femmesd’aujourd’hui, immigrées etanalphabètes, en souhaitant queces cassettes leur ouvrent l’accèsau livre, à la culture. Égalementaux femmes, nombreuses, quitravaillent manuellement, dansleurs foyers : “Elles ont lesoreilles libres, affirme-t-elle. Jecrois à l’apprentissage de lalecture par la lecture d’unautre. Ne lit-on pas aux enfants

pour leur donner le goût, l’en-vie de lire ? Les cinq sens nesont pas cloisonnés même s’ilsont organisés de façoncomplexe. On lit par les oreilleset quand quelqu’un vous lit untexte, il fait plus clair…”Avec La Bibliothèque des voix,Antoinette Fouque a réalisé unsouhait, “laisser un souvenir deces auteurs”, et elle y a rencontrédes bonheurs et des honneurs,comme l’enregistrement deTropismes par Nathalie Sarraute.

Catherine Cayrol, 24 juin 1991

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209

PARUTIO

N20

04LA

BIB

LIOTHÈQUE

DES

VOIX

Paradoxe sur le comédienlu par

Charles Berlingavec Julien Civange

Extraits 1 CD

Écrit en plusieurs étapes, à partir

de 1773, Paradoxe sur le

comédien ne sera publié

qu’en 1830. Sous la forme

d’un dialogue, dissymé-

trique, entre deux interlocu-

teurs censés défendre une

thèse opposée, Diderot déve-

loppe une véritable réflexion sur l’art du

comédien et, plus largement, sur la création artistique.

Ainsi pose-t-il la supériorité de l’intelligence et du travail

conscient sur la sensibilité, fût-elle porteuse d’une grande

puissance pathétique… gÉric

Bri

ssau

d

Denis Diderot

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PARUTIONS 2004LA BIBLIOTHÈQUE DES VOIX

« Mattea était une fort belle créature, âgée de

quatorze ans seulement, mais déjà très développée

et très convoitée par tous les galants de Venise. Ser

Zacomo, son père, ne la vantait point au-delà de ses

mérites en déclarant que c’était un véritable trésor,

une fille sage, réservée, laborieuse, intelligente…

Mattea possédait toutes ces qualités et d’autres encore

que son père était incapable d’apprécier, mais qui,

dans la situation où le sort l’avait fait naître, devaient

être pour elle une source de maux très grands. Elle

était douée d’une imagination vive, facile à exalter,

d’un cœur fier et généreux et d’une grande force de

caractère. » g G.S.Éric

Rob

ert /

Cor

bis

Sygm

a —

DR

Texte intégral 2 CD

Mattealu par

Dominique Blanc

George Sand

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211

PARUTIO

N20

04LA

BIB

LIOTHÈQUE

DES

VOIX

Confession d’une jeune fillesuivi de Combraylu par

Hélène Fillières

Soni

a Si

eff/H

&K

— J.

E. B

lanc

he/G

irau

don

« Enfin la délivrance approche.

Certaine ment j’ai été maladroite, j’ai

mal tiré, j’ai failli me manquer.

Certainement il aurait mieux valu

mourir du premier coup, mais enfin

on n’a pas pu extraire la balle et les

ennuis ont commencé. Cela ne peut

plus être bien long. Huit jours pour-

tant! cela peut encore durer huit jours!

pendant lesquels je ne pourrai faire

autre chose que m’efforcer de ressai-

sir l’horrible enchaînement. Si je n’étais

pas si faible, si j’avais assez de volonté

pour me lever, pour partir, je voudrais

aller mourir aux Oublis, dans le parc

où j’ai passé tous mes étés jusqu’à

quinze ans. Nul lieu n’est plus plein

de ma mère, tant sa présence, et son

absence plus encore, l’imprégnèrent

de sa personne. » g M.P.

Extraits 1 CD

Marcel Proust

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PARUTIONS 2004LA BIBLIOTHÈQUE DES VOIX

Laissez-moilu par

Fanny Ardant

Dans un sanatorium, en exil

hors de la vie, une jeune

femme reçoit une lettre de

l’homme qu’elle aime : « Je

me marie… notre amitié

demeure… ». Lucide, sobre,

précis, le livre est sa réponse.

Avec un esprit et une sensibi-

lité à vif, aiguisés par la

maladie, les insomnies et la

proximité de la mort, l’auteur

analyse ce qu’a été leur

histoire. Se dessine alors le

portrait d’une femme sensi-

ble, sincère, volontaire et

d’une rare exigence qui, au

plus fort de la passion, aura

su obstinément préserver « un

petit coin qui ne vibre pas »,

qui regarde, analyse, mesure

et juge. g And

ré R

au /

Cor

bis

Sygm

a

Texte intégral 2 CD

Marcelle Sauvageot

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PARUTIO

N20

04LA

BIB

LIOTHÈQUE

DES

VOIX

litBas les voiles !

Chahdortt Djavann

« J’avais treize ans quand la loi isla mique s’est imposée en

Iran sous la férule de Khomeyni rentré de France avec la

bénédiction de beaucoup d’intellectuels français. Une fois

encore, ces derniers avaient décidé pour les autres de ce

que devaient être leur liberté et leur avenir.

Quand je retrouve le souvenir et l’image des petites filles

voilées des écoles iraniennes, quand je pense à celles qui,

en France, sont utilisées, à leur corps défendant ou par l’ef-

fet d’une redoutable manipulation islamiste, pour servir

d’emblèmes aux propagandistes de « l’identité par le voile”,

la tristesse le dispute en moi à la colère. Allons-nous enfin

nous réveiller ? » g C.D.Jacq

ues

Sass

ier

Texte intégral 1 CD

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PARUTIONS 2004LA BIBLIOTHÈQUE DES VOIX

« Dans ce pays où la raison et les coutumes régissent tout, les villageois les plus sensés semblent

soumis pourtant à la présence de forces irrésistibles. Si Claire avait vécu loin de la forêt — loin

du pouvoir étrange des forêts — son destin aurait-il été différent, prise entre deux hommes et

deux désirs ? Après Claire dans la forêt, Penthésilée, premier combat, est un conte à la manière

de Kleist, une rêverie sur le mythe des amazones. Claire et Penthésilée : deux contes, deux

jeunes filles, pour une suite lyrique. » g M.D.

Dol

orès

Mar

at

litCLaire dans la forêtsuivi dePenthésilée, premier combat

Marie Darrieusecq

Texte intégral 1 CD

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PARUTIO

N20

04LA

BIB

LIOTHÈQUE

DES

VOIX

litMaman

Line Renaud

Du Nord des fonderies et des manufactures de textile

aux plus grandes scènes du monde, elle a toujours

été présente, soutien inconditionnel et discret,

présence diligente et ô combien précieuse.

Aujourd’hui, sa fille Line lui rend hommage, dérou-

lant pour elle le roman d’une vie tour à tour belle,

difficile, pleine de sacrifices et d’éclairs de bonheur,

une vie dédiée à sa famille, dont chaque instant est

empreint de courage et de joie de vivre. Pour elle,

elle ouvre son album photo, rempli des instants

magiques d’une vie.Gér

ard

Scha

chm

es/R

egar

ds

Extraits 2 CD