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LaBibleentrecultureetfoi

SousladirectiondeLaurentVillemin

LaBibleentrecultureetfoi

Ouvragefinancéavecleconcoursdel’InstitutdeFrance

DescléedeBrouwer

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en 1942, a avancé cette affirmation que je fais mienne :«L’hommeestcapabledetout,mêmedubien.»

Àproposdumystèredumal, jeviensdefaireallusionà ladoctrine du péché originel, absente des évangiles et qui poseproblèmeànoscontemporains,s’ilss’entiennentàunelecturelittérale de la Genèse. Il me paraît donc nécessaire que lesÉgliseschrétiennesendonnentdesclésdelectureetprocèdentàunaggiornamentoàsonsujetsurtroispoints:1.l’énormitédelafautepremière;2.lacondamnationàmort;3.laculpabilitéhéréditaire.

La scienced’aujourd’huiconduit àabandonner la thèsedumonogénismeet,surtout,àrenonceràlacroyanceenunpremiercouplehumaindotédeprivilègesextraordinaires,exemptde lamort,vivantdansunparadis terrestredont,écrivaitTeilharddeChardin, « on n’a pas retrouvé la trace », et capable decommettre en toute liberté et pleine conscience une fauteméritant une punition dramatique. Nous entrevoyons aucontraire l’humanitédesorigines sedégageantdifficilementdel’animalité, apprenant progressivement à se tenir debout et àparleretdéveloppantpeuàpeul’usagedesaliberté.CequelaGenèseasymboliquementsignifié,c’estleconstatqu’aussiloinenarrièrequeporte le regard, il découvre leshommespéchantparorgueiletviolence.

Quantà lamort, siangoissantesoit-elle,ellen’estpasunecondamnationmaisunprocessusnaturelliéàl’apparitiondelareproductionsexuée,danslaquellelamortest«programmée…Car il ne sert à rien de produire des individus différents desparentssiceux-cirestentetoccupentlaplace.Ilfautqu’ilss’enaillent»,écritlegrandgéologueXavierLePichon,parailleursmembredelaCommunautédel’Arche.

Enfinlaculpabilitéhéréditaireacontreelleàlafoisuntextecélèbred’Ézéchiel,«Unfilsneporterapaslafautedesonpère,

niunpèrelafautedesonfils»(Ez18,20)etlaréponsedeJésusauxquestionssurl’aveugle-né(«Quiapéchépourqu’ilsoitnéaveugle,luiousesparents?»«Nilui,nisesparents»,Jn9,2-3). L’Église catholique a renoncé à affirmer la culpabilitéhéréditaire dans le cas du peuple qu’elle appelait autrefois«déicide».Ilesturgentqu’elledissipetouteambiguïtéausujetdecellequiauraitdécoulédupéchéoriginel.

Le texte de la Genèse ne peut donc plus être entendu demanièrelittérale.Demêmeleschrétiensnedoiventpass’alarmerde ne plus pouvoir lire les évangiles comme on le faisaitautrefois. Nous savons aujourd’hui qu’ils furent desreconstructions didactiques de l’enseignement de Jésus et surJésus à partir de la certitude de la résurrection duMessie. Ilsfurent une pédagogie illuminée par cette conviction. Le grandhistoriencatholiquequefutHenri-IrénéeMarrouécrivaitàbondroit:

«Un évangile n’est pas un recueil deprocès-verbaux,deconstatsd’événementsplusoumoinsexacts,plusoumoins fidèlement transmis… L’auteur voulaittransmettre à ses lecteurs la connaissance du Christnécessaireausalut;pourélaborercetteimagedeJésus,ilapuêtreamenéàtouteunemanipulationdessourcesquinousdéconcertepeut-être(parsonindifférence,parexemple, à la chronologie), mais qu’il serait naïf dequalifierdefalsificationoudemensonge.»

CetéclairagedonnéparMarrouconsonneavecleconseildeBenoîtXVI dansJésus deNazareth2 : concilier les acquis del’exégèseavecune lecturequienglobe lecontenuet l’unitédel’Écrituretoutentière.Uneconversionintellectuelle,nécessitéepar les progrès de l’exégèse, nous est désormais indispensable

pourcomprendrequelesévangélistes,contrairementànous,neplaçaient pas de frontières nettes entre histoire, récitssymboliques (comparables aux paraboles) et théologie. Jésusétant ressuscité, leurbutétaitdemontrerde lamanière laplusconvaincante pour leurs publics que le passé du peuple del’Alliance et les événements de la vie de Jésus convergeaientvers la résurrectionduMessie.Ne soyonsdoncpas surpris delire sous la plume d’exégètes catholiques que Jésus estprobablement né à Nazareth et non à Bethléem et que lemassacre des Innocents ne peut pas être tenu pour un faithistorique.

Cesremarquesconduisentàuneréflexion,pluslargeettrèsactuelle,surlesrapportsduchristianismeavecleschangementsapportés par l’histoire. Or un constat s’impose : lechristianisme, comparé aux autres religions, amontré au coursdesâgesuneétonnantecapacitédecréativitéetd’adaptationauxtemps, aux espaces et aux cultures. Issu du judaïsme, il s’estrapidement intégré à la civilisation gréco-romaine, puis il est«passéauxbarbares»,pourcréerunechrétientéeuropéenneets’épanouir ensuite à l’échelle planétaire. L’évolution de l’artchrétienconstitueunbontémoignagesurcettecréativitédepuislespremièresbasiliquesjusqu’auxsobreséglisesdenotretemps(Brasilia,Évry),enpassantparlasoliditéduroman,l’élégancedugothiqueetde laRenaissance, la fulgurancedubaroque, lenéoclassicisme et le style composite du XIXe siècle(Montmartre).

Parailleurs,beaucoupd’historiensestimentquecen’estpasun hasard si la science moderne, les Droits de l’homme etl’améliorationdustatutdelafemmeontprisleuressorenterrechrétienne.Toutefoissurcesdernierssujetsonobjectera,àbondroit,desfaitsensenscontraire: lacondam-nationdeGalilée,

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parCranachpourlequatrièmecommandementrenforceledevoirfilialenopposantlamauvaiseattitude(Chammontrantdudoigtlanuditédupère)àlabonne(SemetJaphet, l’unsevoilant lafaceetl’autreremettantenplacelepandumanteau).

Longtemps après, dans leGrand Catéchisme de 1884, lequatrième commandement est illustré par plusieurs planches.L’épisode de Noé ivre, vraisemblablement jugé trop scabreuxpourdesenfants,estécartéauprofitd’unescène tiréedu livrede Ruth. Ruth la Moabite apporte à sa belle-mère Noémi lesépisqu’elleaglanésdans la journée (Rt2,18 ; enarrière-planondevineBoozetsesmoissonneurs).DuGrandCatéchismedeLutherauGrandCatéchismedelaBonnePresse,c’estlamêmelogique scripturaire. Parmi les différences, notons un décor etdes costumes archaïsants comme pour souligner la différenceentreuntempsfondateur,celuidelaBible,etceluidel’époquecontemporaine.Dansuneplanchecomplémentaire,lerespectdûaux parents est illustré par l’épisode où le jeuneTobie soigneson vieux père aveugle (Tb 11,11) et par deux scènes, nonbibliquesmaistraditionnellesdanslapiété:dansl’une,lapetiteMarieécouteattentivementsesparentsetdansl’autre, le jeuneJésustravailleen«sainte»famille.Puislerespectdesparentss’élargit à la vénération due aux aînés en deux exemplescontraires : la jeune Rébecca accomplit le commandement endonnantàboireauserviteurd’Abraham(Gn24,16-20)alorsquedesenfantsletransgressentensemoquantduprophèteÉlisée(2R2,23-24).

Premièreplancheduquatrièmecommandement,GrandCatéchismeenimages,noiretblanc,Paris,LaBonnePresse,

1908.

Cette dernière scène est imprimée sous l’image deRuth etNoémi.La «morale » est claire : deux ourses sortent du boispourdévorer les enfants.Ona làunéchodeceque l’onapuappelerla«pastoraledelapeur»,aveclamort(éternelle?)àlaclé. Tout acte mauvais voit son châtiment dès cette terre.Curieusement,cettethéologiedelarétributionqui,danslelivredeJob,estremiseencauserestetrèsprésentedansl’imaginaireecclésial. Il convient donc d’écouter les maîtres d’école (unreligieux et une religieuse tancent un garçon et une fillette).Puis,de lavénérationdes aînés,onpasseà celledes autoritéstantreligieuses(lepape)queciviles(lesrois).

Du commandement divin, le Grand Catéchisme retientd’abordladimensionmoraleauservicedumaintiend’unordresocialmoins réel que rêvé : alors que nous sommes en pleine

Troisième République, c’est un roi qui symbolise le pouvoirpolitique et alors que l’État est laïc, les instituteurs sont desreligieux!Ilnousfautcependantajouterqu’unedernièreimagevouéeauquatrièmecommandementmontreuncenturionromainincliné devant Jésus à qui il demande la guérison de sonserviteur (Mt8,5-13).L’autoritémilitaire (résuméde toutes lesautresautorités?)sesoumeticilibrementàcequ’ellereconnaîtcomme une instance supérieure : la parole du Christ. Onpourraitainsipasserduregistredelamoralesocialeauregistrethéologalsi lepoidsdecettedernièreimagen’étaitaffaiblipartoutes les harmoniques émotionnelles développées dans lesplanchesprécédentes.Unemêmehistoireaététroprépétée:quirespecte l’autorité (parentale, sociale, religieuse) serarécompenséetquilabafoueserachâtié.LaparolesalvatriceduChrist paraît donc, hélas, hors texte. De plus, un processusd’identification aux héros jeunes et beaux tels Ruth, Tobie,Rébecca,Marie et Jésusnepeutmanquerde cheminerdans laconscience des enfants qui se retrouveront moins facilementdanslecenturionadulte.

Aucinématographe

LeGrandCatéchisme en images a été édité en planchesmaisaussi sur plaques de verre pour des projections en salle,anticipantsurlesfilmsàvuesfixesquieux-mêmesprécèdentouaccompagnent les bandes dessinées4. Des films à vues fixes,passonsauxfilmsanimésetentronsdans lessallesdecinéma.Celles-ci ne sont évidemment pas le lieu d’une instructionreligieuse,mais d’abord celui d’un loisir collectif dévoreur defictions. Et la Bible a fourni bien des scénarios aux usines àrêvesd’Hollywood.

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boîtelaplusimportantedupointdevueducontenu.CevoyageenPhilistieestdécritdanslecarnetetl’onretrouveunedatationprécise au jour le jour, sur la liste, des photographies parl’auteur.

La boîte 16 « Philistie (suite) / Mer Morte » contientsoixante-septépreuves.Ellefaitsuiteàlaprécédentejusqu’àlavue (49) puis concerne l’excursion à la mer Morte de laphotographie(50)àlafin.Cedernierpéripleestluiaussidatéetcommenté,commeleprécédent,danslecarnetnoirdevoyage.

La boîte 17 «MerMorte / (Suite) » ne concerne que desvuesprisesdansla«caravanedelaMerMorte».Ellessontaunombredecinquante-huit.

La boîte 18 «MerMorte (suite) / Jéricho » lui fait suitejusqu’à la vue (28). Puis c’est une nouvelle excursion quicommence sous le titre « Voyage à Jéricho, au Jourdain, aunord de la Mer Morte / 29-31 janvier – 9-10 avril » del’épreuve(29)àladernièrevuenumérotée(62).Bienquedatée,cette promenade ne l’est pas au jour le jour, comme lesprécédentes,celaestpeut-êtredûaufaitqueJulesTouzardfaituneentorseàsasuitechronologique.Iciilrevientenarrièreavecunpremierprojetquiavaitétéinterrompu,aumoisdejanvier,encoursd’excursion,sansquenoussachionspourquoi.

Laboîte19«Jourdain/ArakElEmir–ElHoser»est,elleaussi, séparée en deux voyages : le premier s’appelle « AuJourdain/29-30janvier–10avril»etcontinuelaprécédenteboîte jusqu’à la photo (17) puis le second « Voyage deTransjordanie,Galilée,Phénicie,Samarie»jusqu’àladernièrevuenumérotée(63).Retourdanscedernierpéripleàladatationau jour le jour par Jules Touzard qui est documenté dans lecarnetdevoyage.

Lesboîtes20«ElHoser–Sidon»,soixante-douzevues,et21 « [Si]don – Er Ram », soixante-sept photos, possèdent le

mêmecontenu.L’étiquettedelasecondeestdéchiréeàgauche.Laboîte22«V[lerestedel’étiquettemanque]»commence

cette très longue et importante excursion, avec soixante-quatreprisesdevue,du«VoyagedeMoabetPétra»,ainsiquelaboîte23 « Voyage de Pétra / (suite) » avec ses cinquante-deuxépreuves,cequienfaitlamoinsimportantedupointdevueducontenuphotographique.

La boîte 24 « Le retour Damas / Balbeck Liban[Siryane ?] » ne contient aucune liste de photographies maissoncontenuestde soixante-cinqphotographies.Lespremièressont numérotées par Jules Touzard sur la plaque de verre desvues(1)à(36),numérotationquej’airétabliepourlesvues(37)à (65). Certaines vues ont un titre inscrit dessus mais aprèsBaalbeck et la vue (36), toutes les photographies restantesontnécessitéuneidentificationdeslieuxreprésentés.

Enfin la dernière boîte numérotée 25 « Le retour /Constantinople » contient soixante-six photographiesstéréoscopiquesfinissantsur«Nostalgied’Orient».

Toujours dans la rigueur scientifique de JulesTouzard, lesprisesdevuesont faitesdemanièrequasi systématiquesur leslieux afin de prendre un maximum de renseignementsiconographiques dans unminimum de temps. C’est un voyageunique dans la vie d’un homme à cette époque. La plupart dutemps, il n’oublie pasdedonner aux sujets photographiésuneéchelle, exemple : un homme dans un monument, un premierplan de pierre que l’on retrouve en valeur égale sur tout lechampphotographiquedel’imageafindedonnerainsiuneidéede l’étendue du désert, de son immensité à l’aune de sa plushumble pierre. Il lie à cette rigueur un art certain de lacomposition.Sonœilcaptetoutdesuitelebonpointdevue,lasituation inattendue, l’anecdotedans lamesuredespossibilitéstechniquesdesonappareil.

Les boîtes ont été constituées méthodiquement dès sonretourenFrance,lesvoyagesducarnetseretrouventtoussurleslistes avec des dates indiquées de manière précise, au jour lejour, mais quelques dates ne correspondent pas aux dates ducarnet, un ou deux jours de décalage existent, essentiellementdans le dernier voyage de Moab et Pétra. Cette rigueurméthodique et scientifique avec laquelle Touzard a rangé sesphotographies a permis, en grande partie, de reconstituer sonpériplesans tropd’erreurpossible,àpartirdecequisubsistaitdematériel.

Jules Touzard n’a dû utiliser ses épreuves stéréoscopiquesqu’en petits comités restreints d’amis. Les deux jumellesstéréoscopiques ne permettent qu’une utilisation unique, unepersonneàlafois,etnonuneprojectionàungroupe,àmoinsdese passer les jumelles, ce qui augmente les risques d’accidentdesplaquesetunemanipulationpeuaisée.

Techniquesetmatérielphotographiques

Durant ce voyage, Jules Touzard va prendre de nombreusesphotographies : 1 580 épreuves nous sont parvenues aveccertitude9.Certainesontétéviréesenroseviolacéouensépia.Toutes sont des vues stéréoscopiques sur plaques de verre,excepté quelques négatifs sur support souple, trèsvraisemblablementennitratedecellulose.Leformatesttoujoursle même : 4,5 x 10,5 cm. Toutes les photographies étaientconditionnées dans des boîtes en bois rainurées, afin de lesprotégerdelapoussièreetdeschocséventuelsqui lesauraientinévitablementdétruites,commec’estlecassupposépourdeuxd’entre elles. Jules Touzard a jugé bon de protéger la partieémulsion de certaines de ses vues stéréoscopiques en ajoutant

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à enseigner comme sulpicien, à Saint-Sulpice, puis à l’Institutcatholique.SansaffirmerqueLoisyatortd’écrirequeTouzardapeu publié, il est vrai qu’il excelle à fournir des textes,notamment à la Revue biblique du père Lagrange, encommençant par les prophètes et en achevant par les livressapientiaux, tout en se préparant à son étude la plusconséquente, le fatidique article sur Moïse et Josué, de sortequ’ilsembleavoirabordé«Moïseetlesprophètes»ainsiquelaTorah, avec une prédilection pour les livres d’Esdras et deNéhémie. On va le constater : aucune partie de l’AncienTestamentn’échappeàsarecherche.

Voiciunelistechronologiquedesesdiversespublications:1897/98:«DelaconservationdutextehébreuenIsaïe36-

39»:quatrearticlesdanslaRevuebiblique(RB)1897/98 : « Original hébreu de l’Ecclésiastique » : trois

articlesdanslaRB1898: « Développement de la doctrine sur l’immortalité »

(RB)1900:«Fragmentssurl’ecclésiastique»(RB)1900:«IsaïeXIetlesseptdonsduSaint-Esprit»(RB)1898-1909 : « La Sainte Bible polyglotte, 9 tomes

(comparaison entre la Bible hébraïque et la Septante » (encollaborationavecVigourouxetGlaire)

1905:«Grammairehébraïqueabrégée»1910-1915:«MoïseetJosué»(dictionnaireapologétique)1911:«CommentairesurAmos»1915 : « Au Sinaï, souvenirs et actualités » (Revue du

Clergé)1915:«L’âmejuivedelapériodepersane»1916-1927 : « L’âme juive au temps des Perses » (dix

articlesdanslaRB)EndehorsdelaRevuebiblique, laplupartdes travauxsont

parus–souvententirésàpart–chezBloud.Afindesoulignerl’excellence de ses publications, citons l’appréciation fortlouangeuse du père Lagrange, en conclusion d’un de sesarticles:«L’effortdeTouzardestundesplussérieuxqu’onaittenté. Je ne sache pas qu’on ait proposé aux catholiques unsystèmeaussiétudié,aussicohérent,aussisolidesurlesujetsicomplexe des prophéties messianiques. Son étude estmagistrale » (Revue biblique 1917, p. 593 ss.).Si l’on publiaitdansun seul recueil la totalitédesquelquevingt articlesde laRevue biblique, cela ne représenterait pas loin de sept centspages.C’estdirel’importancedelarecherchedeJulesTouzard.

On peut pousser la curiosité à relire cet article que lui ademandélaRevueduClergéetquiparaîtraen19155.Ilestpeuquestion d’actualités (sauf dans la référence aux troupesgermano-turques). L’auteur mentionne sa visite à l’Écolebiblique de Jérusalemoù on lui donne la consigne : «Voir lepluspossibledans lemoindredélai.»Outre laréférenceàsoncompagnondevoyage,lepèreTricot,alorsprofesseuraugrandséminaire de Poitiers, notre prêtre voyageur décrit lacompositiondelacaravane(drogmans,domestique,cuisinier),labonnedispositiondeschameauxet lafatiguedespèlerins.Sonbut,en1912,aétéde«refaireauSinaïlevoyagedesHébreux».Il raconte la découverte, de fin janvier à mars 1912, de lapresqu’île du Sinaï. Plusieurs fois, l’auteur nous parle dumonastèredeSainte-Catherine et notammentde la chaleureuseréception des moines avec leurs rites d’accueil séculairesréservés aux hôtes de marque, de ses découvertes et de lalocalisation des djebels et des ouadis. Le moment le plusémouvant semble avoir été au Sinaï : « Nous quittons noschaussures pour entrer dans la chapelle du Buisson ardent ethonorer le souvenir du nom de Yahweh. » Il ne craint pas

d’affirmerqu’il«nes’agitpasde trouveruneréponseà toutesles difficultés que présente le texte sacré ». D’autres que lui,d’ailleurs,sontplusavertis:évidemment,lepèreLagrangeetlesauteursduGuideBaedecker(éditionde1912).Bref,enrentrantpar Cadès et Petra, il se sent ému avec son compagnon « depouvoir se dire que là où nous sommes, s’est produite laRévélation qui est à la base des trois grandes religions del’humanité».Legrandbiblistequ’estdevenuJulesTouzardsefélicited’avoirpuapprofondir la réflexionenmarchant sur lespasdeMoïseetd’Élie.Etilconclutcerécitd’unedesétapesduvoyage,quiauraduréenvirondeuxmois:«L’âmerempliedelavisiondesmontsdeMoïse,nousn’avonsplusqu’unseuldésir:regagnerlamontagnedeJérusalempourycélébrerdanslapaixetlajoielesgrandsmystèresdenotreaffranchissement»(p.32).

L’«affaireTouzard»

Ce que l’auteur de ce bel ouvrage illustré et bien documentéexplicite6, c’est que Jules Touzard avait obtenu une sorted’annéesabbatiqueavec l’accorddu recteur,AlfredBaudrillart(1907-1942),quide surcroît lui accordeune substantielle aidefinancière, ce qui explique qu’il n’évoque pas ses problèmesfinanciers dans la relation qu’il fera par la suite.Or, dans sesCarnets de 1914 à 1942, annotés avec rigueur par PaulChristophe, le futur cardinal Baudrillart revient à maintesreprisessurlesortdecetexégètereporteretvoyageuretsurcequ’iladviendra,àpeinehuitansaprèssonaventureauProche-Orient,enavril1920.Sansdoute,n’est-ilpasleseul,maisilestduplushautintérêtdesuivredetrèsprèscequis’estpasséde1920à1922,quitteàrelevercequis’estpasséensuitede1925à1938, c’est-à-dire les rebondissements de ce qu’il appellera

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Histoiredel’enseignementbibliqueàl’InstitutcatholiquedeParis

ClaudeTassin

Voilàuntitrebienambitieux–pourcela,denombreuxvolumesseraient à produire – que ce bref exposé n’honorera pas. Ilfaudrait,eneffet,retracerlabiographiedemaîtresnombreuxquisesontillustrésdanscettemaison.Jemecontenteraidesignalerquelques évolutions dans l’enseignement de la Bible, enégrenant, sansnulproposhagiographique,quelquesnoms.Cesévolutions valent, bien entendu, pour d’autres facultéscatholiques que la nôtre et, notons-le, par des facultésprotestantesquiouvrirentlavoie.Jecommenceraiparévoquerlesouvenirdusulpiciendontnouscélébronslamémoire,M.JulesTouzard.

DeM.Touzardàl’encycliqueDivinoAfflanteSpirituetaudelà…

M. Touzard disparaît le 18 décembre 1938. Il enseigna danscette institution et avait été loué, en tant qu’élève, par AlfredLoisyquienseignaluiaussidanscettemaison.Àl’annoncedudécèsdeM.Touzard,lecardinalBaudrillart,recteurdel’InstitutcatholiquedeParis,notececidanssescarnets:«Ilaconnudedures traverses ; c’est un dur métier que celui de professeurd’Écriture sainte1. » Aujourd’hui encore, le parcoursprofessionneldubiblisten’estpasun«longfleuvetranquille»,surtoutquandlapiétéfacileremplace,chezcertains,lessciences

exégétiquesetdogmatiques.LanoticeducardinalBaudrillart se réfère au fait suivant :

deux articles de M. Touzard, utilisant la méthode historico-critique à propos de la figure deMoïse et de la formation duPentateuque, furent condamnés en 1920 par la commissionbiblique, qui relevait alors du Saint-Office, un organismeaujourd’hui disparu, mais qui ne cesse de se reproduire sousdiverses formes. L’auteur de ces travaux décriés par l’Autoritéaccepta leblâme,mais,de l’avisdesescontemporains,nes’enremitpas.S’ilavaitvécuquelquesannéesdeplus,ilauraitsansdoutetrouvéunréelréconfortdansl’encycliqueDivinoAfflanteSpiritu dePieXII, publiée le 30 septembre1943, en laSaint-Jérôme,patrondesexégètescatholiques.Cedocumentpontificalsaluaitenfinl’apportpositifdel’approchehistorico-critiquedesÉcritures:

«Déjà,detrèsnombreuxprofesseursd’ÉcritureSaintesont sortis des écoles de haut enseignementthéologique et biblique, principalement de NotreInstitutBiblique2etilensortchaquejourqui,animésd’un zèle ardent pour lesLivresSaints, s’emploient àpénétrer le jeune clergé dumême zèle généreux et sedévouent à lui communiquer la doctrine qu’ils ontreçueeux-mêmes.Nombred’entreeuxaussi,par leursécrits, ont fait avancer et font avancer en différentesmanièreslasciencebiblique,soitenpubliantlestextessacrésselonlaméthodecritique,soitenlesexpliquant,en les illustrant, en les traduisant en langue vulgaire[…],soit […]encultivantet s’assimilant lessciencesprofanesutilesàl’interprétationdel’Écriture3.»

Durant ces années, l’effort des biblistes portait sur les

sources historiques des Écritures, dans un dialogue avec lesavancées de l’archéologie. En effet, si l’archéologie n’est pasl’histoire,elleaunefonctiondegarde-fou: l’historiennepeutpas affirmer ce que l’archéologie contredit. En revanche,l’archéologiesedévoielorsqu’elleprétendprouvercequedisentles narrateurs historiens de l’Antiquité.L’Institut catholique, àtravers ses enseignants, a participé largement à ce type derecherches en apparence contradictoires.Avecdes hauts et desbas, contre vents et marées, notre Institut maintient unenseignement sérieux des langues bibliques et des languesorientalesanciennessanslesquellesl’approchedestextessacrésresterait quelque peu opaque. Rappelons que M. Touzard futl’auteurd’unegrammairehébraïquequieutdebellesheuresdegloire4.

Notons en même temps que toute veine d’une mine decharbonfinitpars’épuiser. Ilenvademêmedans la recherchebiblique. Un jour, la recherche des sources avoue ses limitesquantàlasaisiedusensd’untexte.Alors,danslesannées1950,apparaît l’étude des rédactions (Redaktionsgeschichte). Il nes’agissait plus de s’acharner à découvrir à quelles sourcespuisaient un saint Marc ou un saint Matthieu, mais deconsidérercesévangélistescommedevéritablesauteurs,etnoncommedescopistes.End’autrestermes,ils’agitdecomprendrepour quels lecteurs écrit l’auteur sacré, à partir de quelsproblèmesdesontemps.Mêmesicertainscollèguesfontlafinebouchedevantcetteapproche,jugéepareux,pareffetdemode,dépassée, c’est bien la perspective de laRedaktionsgeschichtequi sous-tend leurscours.Car,dupointdevuebiblique,notremaisonaunetraditionhistorienne.

Unetraditionhistorienne

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l’identitéd’unecommunauté,etdesprocéduresherméneutiquesqu’elle met en œuvre, l’approche de Sanders est plusthéologique et politique que celle de la méthode historico-critique classique. Par ailleurs, elle donne au terme« canonique » une profondeur diachronique que lui refuseChilds.

Perspectivesactuelles

1.Ledocumentde1993delaCommissionbibliquepontificalene tranche pas entre les deux auteurs, en soulignant lacomplémentaritédeleurapproche.

Cequileurestcommun,c’estquetantdanslagénéalogiedutexte (Sanders) que dans son interprétation et sa postérité,l’étude exégétique ne se cantonne plus désormais à desperspectives littéraires, mais se concentre sur la « fonctionthéologique et spirituelle du texte biblique » pour unecommunautédonnée.

Il n’y a pas opposition entre perspective historique etcritique,d’unepart,etlecturethéologiquedutexte,d’autrepart,maisplutôtdépassementdelapremièredanslaseconde.

2. Deuxième remarque, Sanders met le doigt sur unphénomène scripturaire qui a beaucoup suscité l’attentiondepuis:ladimensionproto-midrashiquedestextesdelaTorah.Ilexisteunmouvementd’interprétationinterneàlaBible,cequifaitqu’àl’intérieurmêmedutextedelaTorahparexemple,ontrouve des éléments dont la dimension midrashique ou proto-midrashiqueestincontestable.

3.LaperspectivedeChilds,enrégimechrétien,conduitànepasséparerdemanièreétanchel’exégèseduNouveauTestament

decelledel’AncienTestament.Ils’agitderendrecomptedelamanière dont l’Écriture elle-même dessine des chemins quiconduisent du Premier au Nouveau Testament, ou plusexactement du Nouveau Testament à l’Ancien Testament,puisque c’est à partir de l’événement Jésus-Christ que lestraditionsd’Israëlsontreluesetréinterprétées,descheminsquisont balisés par des catégories théologiques précises commecelled’accomplissement,utiliséeparMatthieucommeparLuc.

Dansl’introductiondesonlivreJésusdeNazareth,BenoîtXVImontrecommentleNouveauTestamenttoutentierpeutêtreludanscetteperspective«canonique»,comme témoignagedel’accomplissementdansl’événementJésus-ChristdespromessesconfiéesàIsraël.PourlepapeBenoîtXVI,l’exégèsehistorico-critique n’est pas caduque, mais appelle, comme soncomplémentuneapprochecanoniquedutexte6.

Commentenseignerl’exégèseaujourd’hui?

Il apparaît nécessaire, pour la compréhension même du textebiblique,denepas faire l’impasse sur ladimensionhistoriquedel’étude.

Cependant, lesanalysesexégétiquesserendentaujourd’huiplus attentives à la dynamique narrative des ensembleslittéraires:nonseulementladatedeleurcomposition,maisleurstratégied’énonciation.L’enseignementdesméthodesnarrativesdelectureetd’interprétationappartientdoncdepleindroitàladiscipline exégétique. Il s’agit de les enseigner non pas enoppositionavec lacritiquehistorique,maiscommeunheureuxcomplément.

Comme l’analyse des langues bibliques, la critiquehistoriqueévite lecontresens,éviteaussiaulecteurdefairedu

texte«sachose»,unobjetdésincarnédont ilproposeraitune«librelecture».

Enmêmetemps,l’approchehistoriquenesuffitpas:1. Elle permet de montrer d’une part comment le texte

biblique fait sens dans la culture de son temps, comment ilreprésente ungeste, un choix théologique à unmoment donnédel’histoire.

2.Maisl’exégèsebibliquedoitégalementmontrercommentles textes bibliques se prêtent à des réinterprétationssuccessives, au fur et à mesure qu’ils sont intégrés dans unensemblecanoniquequifinalementintègrelesdeuxtestaments.

3.Tracerdesaxesdanslecanon,quirespectentlathéologieetladynamiqued’interprétationdestextesbibliques,c’estsansdouteundeschantiersdel’exégèseaujourd’hui.

4.C’estégalementuncheminproposéaudogmaticienetaumoraliste lorsqu’ilscherchents’appuyersur l’Écriture :qu’est-ce qui est normatif dans le texte biblique : est-ce la lettremême?N’est-cepas plutôt cemouvement d’interprétationdestraditions par lequel la Bible elle-même s’est constituée, cemouvement d’interprétation qui permet de génération engénération de relire la tradition dans le contexte des défissuccessifs de l’histoire. Il s’agit donc pour le théologien et lemoralisted’éviterlerecoursàdesfragmentsscripturairesquiontsouventlafonctiondepreuvesoudepré-textes,etd’enveniràune approche large, canonique de l’Écriture. C’est le rôle del’exégète de tracer les voies et lesméthodesde cette approchecanonique,quiestencoreenconstruction.

1.ConstitutiondogmatiqueDeiVerbum,n°12.2. Cf. Constitution dogmatiqueDei Verbum, n° 10 : « Patetigitur Sacram Traditionem, Sacram Scripturam et Ecclesiae

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L’apportdelaphotographiedanslarecherchehistorique

CatherineMarin

Jusqu’àl’inventiondelaphotographie,laréalitéhistoriquedesécritsbibliquess’étaitdévoiléeà travers les témoignagesécritsoucroquis,peinturesréaliséesparlespèlerins,lesvoyageursenTerresainte.ÀpartirduXIXe siècle, laphotographiedes terresbibliques ouvre un nouveau champ de réflexion, comme entémoignelacollectiondel’ÉcolebibliquedeJérusalemoucelleprésente de Jules Touzard. Tout cliché rend un témoignageéclatant, manifeste des lieux bibliques par le procédé dereproductionleplusfidèlequiaitjamaisexistéjusqu’àprésentet qui s’apparente à ce que Michel de Certeau1 qualifie de« geste d’histoire » dans la mesure où le documentphotographique « ramène les idées à des lieux », fixe unegéographie précise des références bibliques et détermine uneapprochesocialeetpolitiquedumondephotographié.

L’œuvre photographique de Jules Touzard (1867-1938) estl’exemple même de l’apport incontestable à la recherchehistoriquequeconstituentces1595clichésréalisésaucoursdesonvoyageenTerresainteentreseptembre1911etjuin1912,etconservés à la photothèque de l’Institut catholique de Paris.Fasciné par ces paysages baignés de présence biblique, JulesTouzard a traduit à travers ses photographies ce que le pèreLagrange de l’École biblique de Jérusalem, qu’il a beaucoupfréquenté, avait exprimé quelque temps auparavant : « Je fusremué, vraiment saisi, empoigné par cette terre sacrée,abandonné avec délices à la sensation historique des temps

lointains.J’avaistantaimélelivreetmaintenantjecontemplaislepays2.»

La contemplation des paysages et des hommes de ce paysparJulesTouzardnousestparvenueainsiàtraverscescentainesde clichés, contemplation cadrée, minutieusement réfléchie etcapturée avec méthode pour en retenir la double saveurartistique et historique. Ainsi, la photo du Jourdain rappellefortement les compositions du peintre Van Ruysdael (1628-1682),égalementconçuesavecsoin,avecsespaysagesboiséslelongdufleuve,lejeudesombresetdelalumière,ceslignesdefuite incitant le spectateur à la méditation pour mieux entrerdanslaperceptionduvisibleetdel’invisible3.

Les thèmes choisis montrent à la fois la rigueur, le souciimmédiatdel’exégètedeconfronterlaBibleaveclepaysdelaBible,maisaussi,grâceàcesimagesledésirdetransmettrecettetrace historique capturée dans sa dimension humaine etspirituelleàunmomentdonné.Laphotographiesedécouvreêtreunefenêtreouvertesurune réalitéhistorique,sociologiquequin’existaitpasjusqu’àprésent.

Partant de l’expérience scientifique de JulesTouzard et deson utilisation de la photographie, mon étude se propose deréfléchir à l’apport de ce nouveau type d’image dans larecherche historique, c’est-à-dire du travail que l’on peutentreprendre en histoire au début duXXe siècle à partir de lagéographie historique photographiée, répertoriée dans sadiversité,reliefs,paysages,peuplesrencontrés.FernandBraudeldans l’entre-deux-guerresne rappelait-ilpas l’importancede lagéographiequi,disait-il,était«l’histoiredeshommesdansleursrapportsserrésaveclaterre».

Cebouleversementdansletravailhistoriqueavecl’irruptiondecetoutilextraordinairequifixelavisiond’unmondedansle

temps, ouvre deux portes au travail d’inter-prétation. Toutd’abord, ilpermet laconfrontationentrerecherchesur lepasséetréalitéencoreprésente,quifavoriseuneapprocheplusexactede l’événement historique, une mise en situation d’étude plusproche de cette réalité, et, d’autre part, fournit la matière àmémorisation d’une histoire immédiate grâce à cette collected’archivespourlefutur,souciquiétaitencedébutduXXesiècle– siècle des grandes explorations et des transformationsindustrielles – omniprésent chez de nombreux contemporains.CequeGisèleFreundrésumeparcesmots«mémoired’unlieu,mémoired’untemps,mémoired’unpeuple4».

Laconfrontationentrerechercheetréalité

IlfautsesouvenirquelegrandsoucideshistoriensàlafinduXIXe siècle et au début du XXe siècle, est de recueillir lemaximumdesources,passeulementécrites,pourrépondreàlarecherched’exactitudedelasciencehistorique.L’utilisationdela photographie en cette période d’investigation répond à cespréoccupations.À la finduXIXe siècle, l’écriture de l’histoireselon les historiens méthodiques comme Charles Seignobos(1854-1942),doitenregistrerdefaçonpréciselefaithistoriquepar la collecte d’un maximum de documents, entrer dans laconnaissance des faits et rendre compte de cet enregistrementdans leurs ouvrages et l’enseignement de l’histoire. Laphotographieen tantqu’empreintematérielle5 entre alorsdanscetteattitudederassemblementdefaitssuffisants,dedocumentssûrs,surtoutdansledomainearchéologique(enégyptologieparexemple6),pourconstituerunensembledepreuvesirrécu-sablessurlequelvas’appuyerlerécithistorique.

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permettrait d’apporter d’autres éclairages intéressants sur lesproblématiques identitaires de la vie en diaspora. Bien queDaniel 1-6 et Esther aient été rédigés durant la périodehellénistique(dès333av.notreère)6,ilssituentl’actiondeleurshérosàl’époquedesroisbabyloniensetpersesquiontdominéleProche-Orientavantqu’AlexandreleGrandetsessuccesseursn’établissentpourplusieurs siècles ladominationhellénistiquesur lemonde antique.Utilisant un procédé classique qui évited’affronter explicitement et directement la culture dominante7,les auteurs de ces textes ont préféré mettre en scène leurspersonnages dans le monde du passé tout en abordant lesproblèmesquiseposaientàleurscontemporains.

Jules Touzard, en hommage à qui cette publication estdédiée, fait partie du vaste mouvement exégétique qui abouleversé les études bibliques au cours duXIXe et duXXesiècle en soulignant l’importance de prendre en compte lecontextehistoriqueetgéographiquedanslequellaBibleaétéproduite et en posant la difficile question de l’époque derédaction des textes bibliques. Cette approche historique etcritique a permis de se rendre compte que la rédaction destextesbibliquess’estfaite,danslaplupartdescas,bienaprèsles événements relatés et présuppose donc une périodehistorique différente de celle à laquelle le texte semblerenvoyer8.

LelivredeDanieletlespratiquesjuivesendiaspora

MangercommeJuif

Danssespremierschapitres,lelivredeDanielmetenscènelavied’unexiléetdetroisdesescompagnonsinstallésàlacourdu roi babylonien Nabuchodonosor. Les enjeux de cettesituationsontsoulignésparlespremiersversetsdel’œuvre.

« 1. En l’an 3 du règne de Yoyaqim, roi de Juda,Nabuchodonosor,roideBabylone,vintversJérusalemet l’assiégea. 2. Le Seigneur livra entre ses mainsYoyaqim,roideJuda,etunepartiedesustensilesdelamaison de Dieu ; il les emmena au pays de Shinéardans la maison de ses dieux, et les ustensiles, il lesemportaà lamaisondutrésordesesdieux.3.Puis leroi ordonna à Ashpénaz, le chef de son personnel,d’amenerquelquesfilsd’Israël,tantdeladescendanceroyalequedesfamillesnobles:4.desgarçonsenquiiln’y eût aucun défaut, beaux à voir, instruits en toutesagesse, experts en savoir, comprenant la science etayanteneuxdelavigueur,pourqu’ilssetiennentdanslepalaisduroietqu’onleurenseignelalittératureetlalangue des Chaldéens. 5. Le roi fixa pour eux uneration quotidienne du menu du roi et de sa boisson,prescrivant de les éduquer pendant trois années, autermedesquellesilssetiendraientenprésenceduroi»(Dn1,1-5)9.

Selon ce texte, la déportation consécutive à la prise de laville de Jérusalem par le roi étranger concerne d’abord lesustensilesdutemplequiviennentenrichirletrésordesdieuxdesvainqueurs. Cette première notice montre que la victoirebabylonienne met radicalement en question les pratiquestraditionnelles de la religion d’Israël puisque les objets sacréspermettantlapratiqueducultedeJérusalemsontinstallésdans

le temple babylonien. Au chapitre 5 du livre de Daniel onretrouveramêmecesustensilessacrésutiliséspourdeslibationspaïennes lors d’un banquet organisé par le successeur deNabuchudonosor (5,3-4). Le texte poursuit en indiquant quequelques jeunes israélites nobles et bien éduqués se voientdéportésetconduitsàlacourétrangèrepouryêtreformésàlasciencechaldéenne.Lepassagesembletirerunparallèleentrelavaissellesacréeetlesjeunesisraélites10.Unesituationsimilaireàcelledesustensilesdutempleattendlesjeunesgensquiserontdésormaisinstallésdansunlieuétranger,confrontésauxvaleursetàlaculturedominantesqu’ilsserontmêmeinvitésàassimilerdansleurcursusscolaire.

Lasituationquel’auteurdulivredeDanielsitueàl’époquebabylonienne, rappelle cellequi, à l’époquede la rédactiondel’œuvre, prévalait dans les cités hellénistiques. La formationphysique et intellectuelle des élites était assurée dans descentres de formation – comme les fameux gymnases –promouvantlacultureetlemodedeviehellénistiques.Sachantl’importance d’une bonne éducation dans la vie sociale de cescités,oncomprendquepourlesélites,qu’ellessoientjuivesoude n’importe quelle autre origine ethnique et culturelle,l’assimilationdespratiqueshellénistiquesnepouvaitguèreêtreévitée.

DanslafictiondulivredeDaniel,laréponsedeshérosnevapasconsisteràrefuserdes’intégrerausystèmeéducatifauquelils sont soumis, mais à préserver certaines spécificités. C’estainsiqueDanielrefuselesportionsdenourrituresroyalesetlevin destinés aux élèves. « Daniel prit à cœur de ne pas sesouiller avec lemenudu roi et le vin de sa boisson. Il fit unerequêteauprévôtdupersonnelpourn’avoirpasàsesouiller»(Dn1,8).

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ÀlamémoiredeJulesTouzard,l’arcdudélugeStéphanieAnthonioz

Jevoudraisprésenter,pourrappelerethonorerlamémoired’ungrandvoyageurdelaBibleetdel’Orient,une«petitehistoire»du déluge et de son arc (héb. ) – il y aurait d’autres anglesd’approchepossiblestantlatraditiondudélugeestvasteetrichedans l’Orient ancien.Mais cette « petite histoire » semble unexemple particulièrement stimulant de l’impact des mythesmésopotamiens sur le récit biblique. On l’appelle « petitehistoire », car il s’agit d’un détail de la tradition et de latransmission du déluge, qui semble avoir constitué un jeu demotsautantqu’un jeudescribesdans la littératurecunéiformesumérienne et akkadienne, et que l’on retrouve presqueincidemment dans le récit biblique, mais non sans une portéethéologiqueprofondeetradicalementautre.

Ilfautd’abordrappelerlasymboliquedel’arcdanslaBible.L’arcapparaîtd’après leplusgrandnombredesesoccurrencescommelesymboleparexcellencedupuissantetdelaguerredespuissants. L’arc est ainsi l’arme royale et David lui-mêmeproclamedanssoncantique:

«QuidoncestDieu,horsYahvé,quiestRocher,sinonnotreDieu?CeDieuquimeceintdeforceetrendmavieirréprochable,quiégalemespiedsàceuxdesbicheset me tient debout sur les hauteurs, qui instruit mesmainsaucombat,mesbrasàbanderl’arcd’airain1»(2

S22,32-36).

EtDavidchanteainsi lesvictoiresobtenues.Le roiadoncreçudeYahvél’artdelaguerreetl’armedel’arc,etontrouve,dansunautreépisodedulivredesRois, l’affirmationquel’arcestlesymbolemêmedelavictoiredeYahvé:

«Éliséeditauroi:“Bandel’arc”,etillebanda.Éliséemitsesmainssurlesmainsduroi,puisildit:“Ouvrelafenêtreversl’orient”,etill’ouvrit.AlorsÉliséedit:“Tire !”et il tira.Éliséedit :“FlèchedevictoirepourYahvé ! Flèche de victoire contre Aram ! Tu battrasAramàApheqcomplètement”»(2R13,15).

Les Prophètes2 comme les Psaumes3 attestent aussi unmatériel abondant qui fait de l’arc, l’arme de guerre.Mais onremarqueunenuance, l’arcn’estplus lesignedelavictoiredeYahvé4,oudumoinsill’estautrement:ildevientlesignedelapuissance ennemie queYahvé n’a de cesse de briser. On peutmême diviser les références en deux groupes, celles où l’arcreprésentelapuissancedesnations,principalementBabylone,etcellesoùl’arcreprésentelapuissanced’Israël.EtYahvédevientceluiquisauve«niparl’arc,niparl’épée,niparlaguerre,nipar les chevaux, ni par les cavaliers » (

Os 1,7). Parmi ces références, onvoudraits’attardersurl’uned’ellesquivaconduireaucœurdela problématique d’aujourd’hui. En Amos 2, alors que leprophète rappelle lamontée d’Égypte, il dénonce Israël et sespéchés, puis annonce : «Celuiquimanie l’arcne tiendrapas,l’homme aux pieds agiles n’échappera pas, celui qui monte àcheval ne sauvera pas sa vie (

Am 2,15). » On retrouve

donc chez cet ancienprophète un refrain connu aussi enOséequechevaletcavaliernepeuventpassauver.Alors,sil’arcvadepair avec le syntagme cheval et cavalier, la question que l’onvoudrait poser est la suivante : pourquoi l’arc n’est-il pasprésentenExodeniailleursdanstoutlePentateuquealorsqu’ilconstitue un symbole plus qu’évident de la force arméeégyptienne ? Effectivement, l’expression égyptiennetraditionnelle « lesNeufArcs » ne désigne-t-elle pas tous lespeuplesennemisensouvenirdesneufethniesconquisesparlespremiersroisdel’Égyptedansunpassédevenumythique?L’arcn’estdans tout lePentateuquequelesigned’uneallianceavecNoé,unealliancedepaix,puisqu’elleprometaucœurdel’Écritsacerdotal qu’il n’y aura plus jamais de déluge, signe parexcellencedudésordrecosmique,duretourauchaosetdetoutétatdeguerre.L’arcestdevenuun«contre-arc».

Onpeutmaintenantsepenchersurquelquesattestationsdesplusarchaïquesdudéluge,pourmontrerl’anciennetédumotifetentrer dans la « petite histoire » annoncée. Les Cylindres deGudea5 (c.2120)commémorent la reconstructiondu templedeGirsu, l’Eninnu.C’estauprèsdudieuNingirsuqueGudeapriepourconnaîtresavolontédivinedereconstruction.OrNingirsuestdécritdanssonapparitionensongeàGudea,pourunepartie,comme un déluge : « dieu quant à la tête, oiseau de tempêtequantàsesailes,etdéluge(a-ma-ru)quantàlapartieinférieuredesoncorps,avecdeuxlionscouchésàsescôtés6».Ladivinitédu dieu est donc métaphoriquement pensée en termesmétéorologiques associant tempête et déluge.Cette associationconfirme l’étymologie sumérienne du déluge, amaru, comme« eau de tempête » (a+mar-ru10). LesCylindres fournissentd’autresépithètesdudieuquiétayentcettemétaphore:a-ma-ru

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Cuneiform Text, Transliteration and Sign List with aTranslation and a Glossary in French, Helsinki, The Neo-AssyrianTextCorpusProject,2005,p.101.36.G.LAMBERT,«Iln’yauraplusjamaisdedéluge(Gn9,11)»,NouvelleRevuedeThéologie,n°77,1955,p.720.37.Ez1,27-28.

Lecturenarrativedel’Écriture:unexemple,lelivredeSamuel

SophieRamond

Les approches proprement littéraires des textes bibliques fontdésormais partie des méthodes d’analyse utilisées par lesexégètes.Mettant, en effet, à profit les travaux de la nouvellecritique littéraire, née aux États-Unis entre 1920 et 1960,l’exégèse,quelquesannéesplus tard,ouvraitunenouvellevoied’accès au texte biblique, attentive à la stratégie narrativedéployéepar lenarrateurendirectiondu lecteur1.L’émergencede l’analyse narrative des textes bibliques a opéré undéplacement épistémologique en mettant l’accent sur uneherméneutiquedelalecture,pardifférenceavecuneapprocheserendantattentiveà laparticularitéhistoriquede larévélation,àsoncontextehistoriqued’énonciation.Lacommissionbibliquepontificale affirme à ce sujet que « particulièrement attentiveauxélémentsdutextequiconcernentl’intrigue,lespersonnagesetlepointdevueprisparlenarrateur,l’analysenarrativeétudielafaçondontunehistoireest racontéedemanièreàengager lelecteurdans“lemondedurécit”etsonsystèmedevaleur.[…]Àl’analyse narrative se rattache une façon d’apprécier la portéedes textes. Alors que la méthode historico-critique considèreplutôtletextecommeune“fenêtre”,quipermetdeselivreràdesobservations sur telle ou telle époque (non seulement sur lesfaitsracontés,maisaussisurlasituationdelacommunautépourlaquelleilsontétéracontés),onsoulignequeletextefonctionneégalementcommeun“miroir”,encesensqu’ilmetenplaceunecertaineimagedumonde–“lemondedurécit”–,quiexerceson

influence sur les façons de voir du lecteur et porte celui-ci àadoptercertainesvaleursplutôtqued’autres2».

Sans prétendre entrer profondément ici dans la question,sans doute non encore résolue, de l’articulation et du débatépistémologique entre analysenarrative et recherchehistoriquede l’exégèse critique, je voudrais revenir sur quelques pointssoulevésparDanielMargueratdansunecontributionintitulée:«L’exégèsebibliqueà l’heuredu lecteur3. » Il soulignequ’unacquis des approches synchroniques est la reconnaissance ducaractèresituéetsubjectifdelaquêteexégétique.Ilajoutequ’ilpersistenéanmoinsà«penserqueletexterésisteàtoutelectureetquelecaractèrefinidutexte,cetterésistancematériellequ’iloppose à qui veut le capter dans son filet herméneutique,permettent d’objectiver, au moins partiellement, la démarched’analyse.Pourledireautrement:lasignificationquelalecturedégagedutexteest(doitêtre)autantlerésultatdelarésistancedel’œuvrequedel’horizond’attentedulecteur, l’unn’avalantpasl’autre4».Unpeuplusloindanslemêmearticle,ilsignaleque « l’analyse narrative d’un texte biblique ne peut être quesocio-narrative » et qu’il convient de prendre en compte lescodessociaux,culturelsetreligieuxdanslesquelss’estfixéelatransmission première du message5. Autrement dit, l’analysenarrativeestdépendantedeplusieursprocéduresd’analysedelaméthodehistorico-critique.

Le texte, en échappant à son auteur et à son auditoireoriginel,achèvesoncoursendehorsdelui-mêmedansl’actedelecture. Mais cela ne va pas sans conflit… La présentecontribution se donne pour seul objectif de dévoiler, à traversdes exemples, comment la signification d’un écrit est endéfinitivel’œuvrecommunedutexte,quirésisteàl’arbitraire,etdelalecturequiyintègresespropresquestions.

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Table

LaurentVillemin,Présentation

JeanDelumeau,L’espérancechrétienne

LestempsincertainsGérardBillon,LaBible,dessallesdecatéchismeauxsallesdecinémaYvesLebrec,JulesTouzardàl’épreuved’uneidentificationCharlesChauvin,JulesTouzard(1867-1938),l’exégètesanctionné

UnelentematurationClaudeTassin,Histoiredel’enseignementbibliqueàl’InstitutcatholiquedeParisOlivierArtus,L’évolutiondel’enseignementdel’exégèseenfacultédethéologiecatholique:implicationsthéologiquesetpédagogiquesRoselyneDupont-Roc,Faut-ilencoreenseignerleslanguesbibliques?CatherineMarin,L’apportdelaphotographiedanslarecherchehistoriqueJacquesBriend,LaBiblea-t-ellebesoindel’archéologie?

DescroisementsfécondsJean-DanielMacchi,L’identitédujudaïsmeendiasporaselonlaBiblehébraïque

StéphanieAnthonioz,ÀlamémoiredeJulesTouzard,l’arcdudélugeSophieRamond,Lecturenarrativedel’Écriture:unexemple,lelivredeSamuel

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