La bataille de l'imaginaire - Avant-propos

8/14/2019 La bataille de l'imaginaire - Avant-propos

1/5

9

Les Rencontres dArchimde

Itinraire de dix ans de rencontres

La vie culturelle de notre pays a connu, au cours des trente derniresannes, une volution considrable. Partout sur le territoire national, desinstitutions, des rseaux, des projets se sont dvelopps, visant largir lechamp des pratiques et des publics concerns. Le fait culturel est aujourdhuiune ralit incontournable de la plupart des collectivits territoriales. Dans lemme temps, le nombre dacteurs culturels professionnels a fortement aug-ment. De nouvelles gnrations dentrepreneurs ou de mdiateurs sontapparues, issues dorigines et de formations trs diversifies. Cette situation,clate et multiforme, rend indispensable une rflexion permanente et col-lective sur les sens mme des actions proposes et des politiques mises enuvre. Cest pourquoi, aprs plusieurs annes de rencontres informelles, lesmembres fondateurs, issus pour la plupart des formations nationales dani-mateurs (ANFIAC et CFNA) ont dcid, en 1998, la cration de lassociation.

Cette association se propose de rassembler de nombreux professionnelsde la culture (artistes, responsables de projets, agents de dveloppement,responsables administratifs, lus) qui souhaitent rflchir sur les enjeux,leurs pratiques, au-del des approches disciplinaires gnralement utilises,ainsi que sur les conditions de la dmocratisation culturelle. Les RencontresdArchimde, aprs huit annes passes La Chartreuse de Villeneuve-lez-

Avignon, se sont installes labbaye de Cluny, accueillie par loffice municipalde la Culture.

Les thmes des Rencontres :1999 : Analyse et tude de cas sur la notion de rsistance en matire

culturelle.2000 : Dmocratie et culture.2001 : Deuxime volet sur la dmocratisation culturelle.

Avant-propos

BDI EF SAMEDI 28/06/09 13:15 Page 8


2/5

Des erreurs rparer

Cela pourrait tre une chance pour les collectivits territoriales, si elles pre-

naient compltement leur destin culturel en main. condition que leurspolitiques npousent pas en ombre porte celle de ltat, et, les mmescauses produisant les mmes effets, quelles ne reproduisent pas les mmeserreurs. condition quelles remdient aux causes des crises que nousconnaissons aujourdhui :

Premire erreur rparer, la cassure en trois ensembles sans lien, delducation, de la culture et de lanimation socioculturelle ;

Deuxime erreur viter : considrer que lInstitution est priori lasolution toutes les questions que posent les dynamiques culturelles denotre socit ;

Troisime erreur radiquer, considrer que seul ltat est garant delthique culturelle.

En examinant ces cueils, il apparat quun changement de stratgiedgagerait une voie nouvelle pour nos politiques culturelles et ducatives.Un nouveau regard doit tre port avec lucidit sur les avantages et sur lesinsuffisances du systme que nous connaissons aujourdhui. Les avantagesapparaissent lorsque lon observe la richesse de notre paysage et de nos pro-ductions. Notre pays dispose dsormais de bibliothques, de muses, dethtres, de monuments historiques, de festivals, de livres, dexpositions, defilms, de spectacles, de chanes de tlvision, de radios : un grand bruit de

volire autour de la plante , comme le dit Baptiste-Marrey. On pourraitfaire le mme constat et la mme analyse, avec les constructions dcoles, delyces et collges, depuis que les lois de dcentralisation en ont confi la res-ponsabilit aux collectivits, qui sen acquittent avec efficacit et qui remplacent

peu peu, tout en le sous-utilisant, un patrimoine bti obsolte, la limite dela scurit.

Les limites de la dmocratisation

Pourtant, cet arsenal dquipements, presque toujours sans lien entre eux,

La bataille de limaginaire Avant-propos

10 11

2002 : La culture est-elle encore un enjeu aujourdhui ?2003 : Les six questions dArchimde.

2004 : La bataille de limaginaire.2006 : Transmission-formation-filiation.2007 : volution de lcrit et de lcriture Surabondance et dmocratisation

dans le domaine du livre. Patrimoine dans la spirale de la mondialisation : unefatalit ?

2008 : Les affaires de lesprit peuvent-elles lemporter sur lesprit des affaires ?

Les intervenants des Rencontres :Brigitte Albert, Jean-Christophe Bailly,Abraham Bengio, Jacqueline Costa-

Lascoux, Jean Cristofol, Henri & Marinette Cueco, Jean-Paul Curnier, Jacques Darras, Jean-Jacques Delfour, Michel Duffour, tienne Fau,Maurice Gruau, Franois Quintin, Jean-Michel Lucas, Frre Mathieu, Marie-

Jos Mondzain, Raymonde Moulin, Elie Rajaonarison, Denis Retaill,Baptiste-Marrey, Roland Recht, Achille Nikiema, Gilberte Tsa, PatrickViveret, Raymond Weber.

Texte fondateur des Rencontres dArchimde

Rflchir et agir dans un monde culturel incertain.

Beaucoup a t dit sur lessoufflement des politiques ducatives et culturellesen France.Pour lessentiel le diagnostic est connu, sinon partag par la majo-rit des acteurs concerns. Limportante institutionnalisation culturelle etducative du pays produit la fois des effets positifs, mais aussi des dysfonc-tionnements. Nous considrons que les seconds lemportent aujourdhui, aupoint daffirmer que nous vivons la fin dun cycle : celui dun systmeculturel imagin par Andr Malraux, lors de la cration du premier ministrede la Culture, en 1959.



3/5

le march peut apporter dans le lien entre culture et dveloppement cono-mique, condition de ne pas mesurer ce que produit le march avec le seul

instrument de mesure quest le PIB.Dautres indicateurs sont plus performantspour mesurer limpact des productions culturelles et artistiques. Par nature lesavoir et la culture peuvent se partager sans se diviser plus je les partage,plus je menrichis . Ces nouveaux indicateurs ne doivent pas seulementmesurer les flux montaires, mais aussi des critres humains, artistiques,sociaux et environnementaux. Ces indicateurs de dveloppement humain(IDH) mesurent ct de la croissance de quoi , la croissance pour qui (niveau dinstruction, taux dalphabtisation, niveau culturel, esprance de

vie, etc.), et introduisent une dimension plus qualitative aux pratiquesdvaluation.

Enjeux des nouvelles technologies

Une politique ducative et culturelle devrait prendre en compte limpactdes nouvelles technologies de linformation et de la communication ainsi queles enjeux ducatifs et culturels quelle soulve. Le plan France numrique2012 prvoit que tous les Franais auront accs lInternet haut-dbit :chaque Franais, o quil habite, bnficiera dun droit laccs Internethaut-dbit, un tarif abordable infrieur 35 par mois, matriel compris,qui sera dploy sur tout le territoire avant fin 2010.

Cette volution numrique peut tre un fantastique outil de construction,dinteraction et de mobilit des identits. Elle induit de nouvelles pratiquesqui renouvellent la diffusion des produits culturels travers un impact quise manifeste la fois sur loffre et sur la demande. Les internautes peuventen effet changer des textes, des sons et des images, sans passer par linter-

mdiaire dun support. Ils ne se privent pas, de tlcharger des musiques,des films, le plus souvent gratuitement, travers le pair--pair (P2P), quipermet , par son principe mme, de mutualiser et dlargir de plus en plus leschanges et le partage. Ces nouvelles pratiques posent la question de ladifficul t prserver le droit franais concernant la proprit intellectuelle.

ne produit pas les effets attendus. Impactant au mieux sur 20 % de la popu-lation, tournes essentiellement au bnfice des classes moyennes, ces insti-

tutions nont pas encore intgr la ralit dune France qui a profondmentchang sociologiquement au cours des dernires dcennies. Notre systmeducatif et culturel ne rpond plus aux promesses daccs au plus grandnombre, pour lesquelles il a t conu. Au bout du compte, cest tout un peu-ple qui ne se reconnat plus dans ses lites, et qui le manifeste, parfois, traversdes votes de dfiance dangereux pour la dmocratie. Pour autant, nous nepensons pas quil faille dtruire le systme qui a t construit patiemmentdepuis Jules Ferry pour lducation, et depuis Andr Malraux pour la culture,comme visiblement, on tente de le faire aujourdhui (en 2008-2009). Aucontraire, nous pensons quil faut faire voluer ces institutions culturelles etducatives en les repensant et en optimisant les moyens dont elles disposent.

Sorties de crisesPour sortir des crises ducatives, culturelles et sociales que nous traversons,

nous proposons un changement de stratgie partir de trois leviers. Par lappropriation de la Dclaration universelle sur la diversit

culturelle , adopte par lUnesco et lunanimit par notre Parlement, ilsagira dlargir le primtre culturel, afin de mieux valoriser la dmarcheartistique, en privilgiant la notion des droits culturels au bnfice despersonnes ;

Par la mise en uvre de lide de ville-ducatrice , lducation et laculture deviendront des comptences au cur des collectivits locales, et lefil rouge des autres politiques ;

Par une politique de dveloppement culturel solidaire , on nopposera

plus culture, loisir et ducation populaire, mais ces activits seront relies,afin de se rapproprier une ducation artistique et culturelle, complmentairede lacquisition des savoirs.

Lconomie culturelle

Une politique ducative et culturelle doit aussi prendre en compte ce que


12 13



4/5

de 401 395 heures (57 %) pour lducation et la formation, ainsi que pour lafamille, la culture et les loisirs.

Malgr les injonctions du slogan travailler plus pour gagner plus , qui nersiste aucun principe de ralit, la tendance laccroissement du tempslibre vocation samplifier, si lon se rfre aux travaux des conomistes etdes sociologues les plus srieux. Nous devons faire en sorte, ds lors, que cetemps libre ne devienne pas du temps vide, comme le craignaient, il y aquelques dcennies,Joffre Dumazedier dans Vers une civilisation des loisirs ?, ou

Andr Gorz dansMtamorphoses du travail !.Dans un monde o lvolution technologique rduit toujours davantage le

temps de travail, de faon inversement proportionnelle la productivit ;dans un monde o lon ne voudra plus perdre sa vie la gagner ; il faudrainvestir le champ de lducation, tout le long de la vie, comme le prconisaitCondorcet en 1792, sans que sa leon ait t retenue, et comme nous y invite

la Dclaration universelle pour la diversit culturelle adopte par lUnescoen novembre 2001. Il faudra sengager dans un projet culturel bas sur des accommodements raisonnables permettant de construire un vivreensemble local et global. Ce triptyque ducation-culture-socit portpar une convergence de transmission dans lespace et dans le temps contri-buera la construction dun avenir charg de sens, dans la socit de linfor-mation et de la connaissance dans laquelle nous sommes entrs.

Dans un monde o la matire grise porte de plus en plus les transforma-tions conomiques et sociales, dans un monde o de plus en plus de personnes

veulent se sentir actrices de leur propre vie, lducation, lart et la cultureseront les ferments essentiels de ce partage du sens. De plus en plus decitoyens mettent en cause lide que le droit de la proprit prenne le pas sur

les autres droits humains. Ils aspirent ce que les droits fondamentaux,comme lair que lon respire, leau que lon boit, le toit qui nous abrite, lasant qui nous protge, lducation qui nous construit, la culture qui nousmancipe, la justice qui nous permet de vivre ensemble, deviennent des bienscommuns publics intangibles.

Le copyrightpour les pays anglo-saxons et le droit dauteur la franaiseconstituent le socle juridique de la protection de la proprit intellectuelle.Ce

socle va voler en clats, ds lors que la gratuit et la circulation, hors contrledes uvres, ne trouvent pas, dans le nouveau systme de fabrication et dediffusion des uvres, une issue favorable la rmunration des auteurs. Ilfaut rechercher la sortie de cette impasse juridique travers une politique de contribution crative .

Les pays industrialiss ont profondment chang depuis le dbut de lapremire crise nergtique des annes soixante-dix avec la fin des TrenteGlorieuses ! Mais tout se passe comme si ils ne le savaient pas encore. Cest cet endroit que se trouve la raison de nos crises et le dbut des TrentePiteuses ! Ce texte identitaire dArchimde vise, dans un monde o seule-ment 10 % de notre temps de vie est consacr au travail, essayer de ne pas perdre nos vies la gagner pour reprendre lexpression dAndr Gorz. Ce

texte a pour ambition de construire notre traverse de vie sous le signe dunerconciliation avec nous-mme, avec les autres, avec la nature et avec lemonde qui nous entoure. Ce sera alors, le dbut des Trente Lumineuses !

Un nouvel imaginaire culturel sur le fil de la transmission

lcart des groupements corporatistes et des pouvoirs, les membres desRencontres dArchimde ont toujours tmoign, la fois une grande empathieet un regard critique sur les politiques culturelles dveloppes dans notrepays. Plus que jamais, aujourdhui, se fait sentir le besoin dune vision distan-cie qui permette de revisiter les concepts avancs par ces politiques. Nousproposons de le faire ici, selon un ordre renvers, qui met en priorit lint-

rt des droits culturels des personnes .Si lon considre que chaque personne vit en moyenne 80 ans, soit 700 800

heures, quelle travaille 1607 heures par an pendant 41 ans, soit 65 887 heures(9,3 % du temps de vie !), quelle dort 8 heures par jour soit 233 600 heures(33 % du temps de vie !), on peut considrer que chaque personne dispose


14 15


BDI EF SAMEDI 28/06/09 13 15 P 16


5/5

Aprs dix ans de rencontres, nous souhaitons montrer comment nousavons abord la question de notre destin culturel. Nous proposons de resti-

tuer le fruit de cette rflexion travers limage et la musographie, en consi-drant les textes et leurs dclinaisons smantiques et artistiques, enpoursuivant notre rflexion sur les nouvelles technologies de linformationet la conversion numrique, qui transforment dj radicalement notre paysageducatif, culturel et social. leur faon, au sein de leur collge invisible ,les Archimdiens ont contribu transmettre leur entourage leurssavoirs et leurs expriences. Nous esprons que cette slection de communi-cations partages pendant cette dcennie, permettra dlargir le cercle desbnficiaires de ces banquets culturels annuels.

La bataille de limaginaire


La bataille de l'imaginaire - Avant-propos

Documents

Transcript of La bataille de l'imaginaire - Avant-propos