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LA BATAILLE
D’ARMINIUS HEINRICH VON KLEIST
un projet de mise en scène de THIBAUT WENGER
traduction et dramaturgie ADELINE ROSENSTEIN
scénographie BORIS DAMBLY
sons GREGOIRE LETOUVET
coproduction Théâtre Océan Nord & Festival Premiers Actes
en partenariat avec Fotti Cultures, Sénégal
Thibaut Wenger
Rue de Gerlache, 55
1040 Bruxelles
Tél. 0488/228.929
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Un massacre en forêt
Die Hermannschlacht, La Bataille d’Hermann, d'Armin, d'Arminius est un
monstre, un affront, une pièce didactique immorale, engagée, née de la
haine de l'occupation militaire française après la victoire de Napoléon à
Leipzig. Ce drame en cinq actes avec auroch (ancêtre bovin), ours, êtres
humains (germains-romains), princesse, sorcière, fille violée et coupée en
morceaux par son père… est un manuel sur l'art de la propagande et sur la
guerre de libération nationale.
Heinrich von Kleist l'écrit en 1808, certain qu'elle doit absolument être
jouée immédiatement, c'est un scandale et le texte immédiatement censuré.
Elle est jouée pour la première fois en 1860, puis elle fera carrière
nationaliste à l'époque wilhelmienne et finira complètement
instrumentalisée par les nazis.
S'inspirant de la Bataille dite de Varus ou de la Forêt de Teutoburg en 9
ap. J.-C., Kleist lance deux appels à ses contemporains :
1. Unissez-vous!
2. Osez la barbarie, osez parler la langue de l'ennemi et vous gagnerez.
La fable est donc simple : les Romains envahissent les territoires peuplés
par les Germains – il s'agit pour Hermann d'unir ces différents peuples, de
se déguiser en ami des Romains et de leur préparer un piège fatal dans la
forêt de Teutoburg.
Pour y parvenir il utilisera la terreur, la propagande, la ruse et les
charmes de sa tendre épouse Thusnelda.
« Une atmosphère de drame s’installe, où chacun veut prouver qu’il est prêt
à tout. C’est dans ces circonstances que le coup part tout seul. »
Frantz Fanon
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SOMMAIRE
1. Notes pour une Bataille à Schaerbeek et au Sénégal (p. 5~9)
2. Poétique et paradoxes (p. 10~11)
3. Imaginaire et références (p. 11~13)
4. La langue et le souffle (p. 14)
5. Distribution (p. 14)
6. Image (p. 15~16)
7. Guitar Heroes (p. 16)
8. Dessins, maquette et iconographie (p. 17~21)
9. Une lecture pour le jeu (p.22~27)
10. Biographies (p.28~31)
11. Extraits de presse (p.32~33)
Pour ce projet, nous collaborerons avec FOTTI, plate-forme de formation, de
professionnalisation et de production au Sénégal fondée en 2008 par
l'acteur et metteur en scène Younouss Diallo.
FOTTI fédère des artistes et acteurs culturels sénégalais autour d’un
projet artistique, culturel et citoyen qui vise à donner un nouveau souffle
aux arts de la scène au Sénégal.
Le projet FOTTI s'articule autour de deux axes : une école internationale
de formation et de professionnalisation en arts de la scène basée en
région, une plateforme culturelle et citoyenne visant à l'émergence
d'initiatives artistiques locales diversifiées avec les populations.
Notre collaboration se structurera en trois axes :
Nous animerons un workshop de 12 jours sur et autour de Kleist et
Fanon au Sénégal en mars-avril 2013.
Nous travaillerons avec 3 acteurs de FOTTI sur la production, pour la
création en Belgique et en France en septembre et octobre 2013.
Nous reprendrons le spectacle au Sénégal en décembre 2013, dans le
cadre d’une tournée de projets montés en partenariat avec FOTTI.
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Ousman Sow, Guerrier debout (série Masai 1997)
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NOTES POUR UNE BATAILLE D’ARMINIUS A SCHAERBEEK ET AU SENEGAL
« Le tigre ne proclame pas sa tigritude, il fonce» écrivit Wole Soyinka.
« … parce qu'il est une bête » lui répondit Léopold Sedar Senghor.
I. NEO-TARZANISME
A la question de ce qu'on peut bien en avoir à faire, à Schaerbeek ou à Da-
kar, d'une pièce sur Armin le prince des Chérusques victorieux des Romains
dans la forêt de Teutobourg en l'an 9 après Jésus-Christ, cette image du
sculpteur sénégalais Ousman Sow, artiste éminemment reconnu posant une main
sur l'épaule de son « Guerrier debout » semble me répondre en deux temps :
Tout d'abord j’y vois un metteur en scène qui façonne un personnage très
imposant, p. ex; celui d’Armin, personnage sorti d'un autre temps, d'une
autre ethnie, facture? Et l’artiste vérifie son travail du plat de la main.
Est-ce que ça tient debout? Est-ce qu’il pourrait me faire peur?
Ensuite la sculpture s'anime. Elle semble fragile, comme un amant récemment
arrivé en pays dont il ne parle pas la langue et qui craint de rester seul
toute une journée. Je vois ce même metteur en scène qui cherche à rassurer
sa créature avant de la quitter, pour retourner dans le gradin, en lui di-
sant qu'elle ne doit pas s'en faire, qu'elle peut compter sur lui pour la
défendre avec une main sur son épaule de géant.
Armin ou Hermann ce héros, mythique fondateur de l'unification des peuples
germains avait fait un grand comeback littéraire au XIXème siècle à l'occa-
sion de l'occupation napoléonienne et grâce à Kleist donna à la dramaturgie
allemande sa première pièce sur le nationalisme...
Aujourd'hui on pense à Astérix, au péplum mais aussi à Wagner, aux théories
du sang des races mêlées de romantisme et goût de la chasse au poignard… Il
nous semble un peu ridicule voire dangereux de fêter un « Héros de la Ger-
manitude » au XXIème siècle. Sur cette image on dirait que le guerrier le
ressent lui-même, qu’il demande au metteur en scène : « Les gens ne vont-
ils pas se moquer de moi? » et l'autre, l’artiste sénégalais avec son petit
polo bleu vert, semble convaincu du contraire.
C'est un hasard, bien-sûr, que le Guerrier Massai d'Ousmane Sow ressemble
aussi aux caricatures d’Hermann, Tannhäuser, Siegfried et autres héros des
forêts allemandes repris en modèle de tous les héros et princes de Walt-
Disney, Monsieur-Muscle aux doux visage, et autres bons sauvages que nous
voudrons éviter à tout prix, dans un genre que l’auteur nigérian Wole
Soyinka appelait le « Néo-Tarzanisme, poétique de la pseudo-tradition ». Ce
défaut n’est-il pas toujours d'actualité dans la représentation au théâtre
de la nationalité ou de l'ethnie? N’emprunte-t-on pas volontiers aux codes
hollywoodiens et même à ceux de Walt Disney pour simplifier la tâche des
comédiens? Il n’y aura pas d’Hermann en guerrier Masai dans une Bataille
d’Arminius en Belgique ou au Sénégal.
Ce que je contemple dans cette image c’est la conviction du sculpteur. Ce
« grand guerrier debout, un peu gêné » a des choses à nous raconter sur la
violence, sur l'image du barbare et sur ses usages politiques. L’artiste
africain n’en doute pas et sa créature semble l’aimer en retour. C’est ce
que je vais tenter de vérifier.
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Leur relation confirme l’idée qu'il faut peut-être qu'Hermann quitte l'Eu-
rope; sa récupération par le IIIe Reich, son rôle d'idiot utile à la propa-
gande wilhelmienne, qu’il arrache les moustaches de Bismarck qu’on lui a
collées au nez, autrement dit, qu’il faut décoloniser Arminius.
C'est une pièce unique en son genre, plus drôle et plus tendue que ses ré-
cupérateurs nationalistes veulent le croire. Elle appelle et dénonce le fa-
natisme nationaliste trois fois par scènes et pose de nombreuses questions
qui intéressent la critique postcoloniale. Notamment celle qui hante les
nuits des spectateurs enthousiastes des révolutions de l’année passée:
Comment faire cesser la violence?
II. Comment montrer…
LES GERMAINS / COLONISÉS, DÉCOLONISATEURS, POSTCOLONIAUX
« … d out s de la rande d ueulasserie dont vous n'ave pas choisi d'être
les témoins » Aimé Cesaire Discours sur la colonisation
« ils doivent avoir recours aux mots de l'oppresseur » Sartre
« C'est en partie la tragédie de la résistance : elle doit dans une cer-
taine mesure, travailler à récupérer des formes déjà établies, ou du moins
influencées ou infiltrées par la culture de l'Empire » Edward Saïd
Poursuivons : FANON-HERMANN
Extraits des « Damnés de la Terre » de Frantz Fanon qui entrent en réson-
nance directe avec le texte de Kleist, une fois tombée la moustache :
« 1. Les peuples sous-développés font craquer leur chaine et
l’extraordinaire, c’est qu’ils r ussissent.
2. Par quelle aberration de l’esprit ces hommes sans technique, affam s et
affaiblis, non rompus aux m thodes d’or anisation, en arrivent-ils, face à
la puissance conomique et militaire de l’occupant, à croire que seule la
violence pourra les libérer ?
3. Dans les luttes arm es, il y a ce qu’on pourrait appeler le point de
non-retour. 4. La violence du colonisé, avons-nous dit, unifie le peuple. 5. Au niveau des individus, la violence désintoxique. »
Poursuivons : FANON-KLEIST
« Vie courte mais extraordinaire. Et, brève mais ful urante (…) et illus-
trant de manière exemplaire la condition humaine elle-même, la condition de
l'homme moderne. Si le mot engagement a son sens, c'est avec Franz Fanon
qu'il le prend. »
Les révoltes de Franz Fanon, hommage d'Aimé Césaire (Jeune Afrique 1961)
Le psychiatre-philosophe et l'officier-poète tous deux engagés s'éclaire-
raient mutuellement. Le théoricien de la violence Fanon, dont la courte vie
de lutte dépasse en complexité et en générosité ses propres théories et
diagnostics, aurait-il pu lire Kleist, l'auteur fou des Noces de Saint-
Domingue, de la Bataille d'Armin, de Michael Kohlhaas, qui a su décrire
avec une telle précision comment se distinguent et se mélangent la passion
pour la justice et la passion pour la violence?
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HERRMAN, cet autre dit violent :
« Jamais je n'appellerais à la violence gratuite. Mais je pense que les
noirs de ce pays, plus que tout autre peuple au monde, sont en droit de se
dresser pour leur défense, quelque soit le nombre de nuques à briser et de
crânes à fracasser. » Malcolm X, Discours de Détroit
III. La guerre vous change en bête, l’amour non peut-être?
KLEIST-THUSNELDA ET L'OURSE
Césaire encore : ... le colonisateur qui, pour se donner bonne conscience,
s'habitue à voir dans l'autre la bête, s'entra ne à le traiter en bête,
tend ob ectivement à se transformer lui-même en bête. » (DsC)
Thusnela, souvent représentée comme une femme intellectuellement limitée,
d'autant plus qu'elle est infantilisée par le diminutif « Tusschen », « mon
petit Toutou », pourrait-on dire, et qu'une « Tussi » s'utilise en allemand
familier pour dire une idiote (une conne) - Thusnelda est peut-être plus
proche de Kleist lui-même qu’Hermann. Je pense au supposé chagrin d'amour
permanent de l'amoureux des garçons qu'il semble avoir été.
Au moment où l'ourse dévore Ventidius sous les yeux de la Princesse toute à
son « œuvre d'inhumanité », comment ne pas penser à Penthésilée, la reine
qui se transforme en bête par l'effet combiné de la guerre, du désir inter-
dit, et du désir de violence – métamorphose que l'auteur a peut-être obser-
vée sur le champs de bataille; dont il a peut-être fait l'expérience en
trucidant ses jeunes ennemis?
Bête sauvage ou bête de foire, qui de l'ourse ou de la reine est l'animal
dressé? Elle ne le sait plus.
« Les femmes : la dernière colonie» (Maria Mies)
Thusnelda, soumise au sadisme politique de son époux, avait appris à minau-
der pour plaire aux Romains et ce faisant, découvrit le sentiment amoureux.
En effet, si la pensée s'élabore en parlant, pourquoi le sentiment amoureux
ne s'élaborerait-il pas en feignant l'amour?
La bête montrée, tenue en chaîne, affamée de désir, c'était donc elle.
Mais le verdict de Césaire est différent: à force de voir dans son
Thusschen, son petit Toutou, une bête, c'est Hermann qui « tend objective-
ment à se transformer lui-même en bête. »
De la pâleur de Thusnelda dans la dernière scène, au « Ach » d'Alcmène à la
fin d'Amphytrion, à la crise cardiaque volontaire de Penthesilée, on songe
au suicide de l'auteur.
IV. LES ROMAINS
Représenter les colonisateurs
Ici encore, la plume de Césaire est éloquente, de la bonne daube bien ju-
teuse pour les acteurs:
«Des tortures ramenées du fond du Moyen-Âge et quel spectacle! Ce frisson
d'aise qui vous revigorait les somnolences ! Ces clameurs sauvages !
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idault avec son air d'hostie conchi e - l'anthropophagie papelarde et
Sainte-Nitouche eit en, fils rabeleur en diable, l' liboron du
d cervela e - l'anthropophagie des Pandectes ; Moutet, l'anthropophagie ma-
quignarde, la ; Coste-Floret,
l'anthropophagie faite et les pieds dans le plat (…) Les pa-
ternalistes, les embrasseurs, les corrupteurs, les donneurs de tapes dans
le dos, les amateurs d'exotisme, les diviseurs, les sociologues agrariens,
les endormeurs, les mystificateurs, les haveurs, les matagraboliseurs, et
d'une manière générale, tous ceux qui, jouant leur rôle dans la sordide di-
vision du travail pour la défense de la sociét occidentale (...) tous te-
nants d clar s ou honteux du colonialisme pillard,
» Aimé Césaire DsC
Je retiens, en hommage à tous les invertis d'Afrique, les termes « embras-
seurs » et « donneurs de tapes dans le dos » et pense aux émotions kleis-
tiennes, c'est-à-dire pathétiquement opposées aux plans de batailles, qui
ont pu naitre de tels gestes, fussent-ils « tous haïssables ».
V. Le scandale du sacrifice jouissible
HALLI / IPHIGÉNIE
« J'ai vu dans le ournal… à la t l vision… e les ai vu saisir cette femme
noire, à Selma dans l'Alabama, et la jeter au sol, la trainer dans la rue.
Vous l'ave vue, vous faites comme si vous ne l’avie pas vue parce que
vous savez que vous auriez dû agir et que vous n'avez pas bougé. On voyait
le sheriff et ses hommes de main jeter cette femme noire au sol – la trai-
ner au sol. Et les noirs se tenaient autour sans intervenir...» Malcolm X.
Défendre sa patrie c'est défendre sa femme; un groupe qui laisse violenter
ses femmes est un groupe déchu, réduit en esclavage. La femme menacée ou
maltraitée est un classique de la propagande nationaliste.
Il est paradoxal de constater qu’Hermann fait encourir à sa femme des dan-
gers frisant le sadisme, et peut orchestrer grâces au crime commis contre
la jeune Halli, les cris de vengeance de toutes les régions.
La pièce suggère qu'il aurait lui-même mis en place « l'atmosphère de
drame », le « point de non-retour » évoqués par Fanon plus haut, bref, que
les violeurs de Halli aient été des hommes de confiance déguisés en ro-
mains. Pourquoi ne pas imaginer que Halli, telle une Iphigénie de la résis-
tance était aussi dans le coup? Quelque chose de kleistien a dû mal tourner
ou échapper aux camarades car elle ne survivra pas.
Le point de non-retour de la violence sera l'exhibition de la jeune Halli
mutilée par ses agresseurs son sacrifice et son dépècement rituels par son
père. Les parties de son corps doivent être envoyés aux quatre coins du
territoire afin que tous se solidarisent.
Kleist pourrait avoir emprunté cette idée à un épisode de l'ancien testa-
ment et auquel J.J. Rousseau, qu'il a beaucoup lu, consacre un livre (Le
Lévite d'Éphraïm).
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« Ils la connurent et ils abusèrent d'elle toute la nuit jusqu'au matin, et
ils la renvoyèrent au lever de l'aurore. Vers le matin, cette femme vint
tomber à l'entrée de la maison de l'homme chez qui était son mari, et elle
resta là usqu’au our. Son mari se leva le matin et, ayant ouvert la porte
de la maison, il sortit pour continuer sa route. Et voici que la femme, sa
concubine, tait tendue à l’entr e de la maison, les mains sur le seuil.
Il lui dit: "Lève-toi et allons-nous-en." et personne ne répondit. Alors le
mari la mit sur son âne et partit pour aller dans sa demeure. Arrivé chez
lui, il prit un couteau et, saisissant sa concubine, il la coupa membre par
membre en douze morceaux, et l'envoya dans tout le territoire d'Israël.
Tous ceux qui virent cela dirent: "Jamais chose pareille n'est arrivée et
ne s'est vue depuis que les enfants d'Israël sont montés du pays d'Égypte
jusqu'à ce jour; réfléchissez-y consultez-vous et prononcez." (juges, 19, 25-30)
Ce crime entrainera le massacre par les israélites de tous les habitants du
territoire auquel appartenaient les violeurs.
Dans « La Bataille d'Arminius » les cris de vengeance pour Halli sont aussi
ceux qui mènent à la victoire, avec décimation de tous les romains et libé-
ration du territoire.
Qu'une nation pût naître d'actes aussi terribles ne peut que questionner la
lecture nationaliste de la pièce.
La propagande semble être prise à son propre piège.
CONCLUSION
Comme l'élaboration progressive de la pensée par la parole ;
comme la naissance du sentiment amoureux par sa feinte,
ainsi nous aurions également la déshumanisation progressive des Germains
par l'acte de mimiquerie du colonisé (Homi Bhabha : « mimicry and men »),
l'apprentissage de la langue barr-barr du colonisateur.
« Le paradoxe est que c'est précisément dans la lutte de rupture contre le
colonisateur que le colonisé fait siennes ses armes, s'ouvre à lui » Mat-
thieu Renault. Cette phrase d'un érotisme tout « penthésiliaque » me rap-
pelle qu'en 1808, c'est à un Bonaparte germain que rêve Kleist; c'est donc
la grimace napoléonienne que l'on imite ici. Encore un démenti de la pièce
vue comme pure propagande nationaliste : s'ouvrir à celui-là, faire sienne
cette langue-là, il fallait n'en pas revenir indemne.
~ ADELINE ROSENSTEIN
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Poétique & paradoxes
J’aime le sérieux des conversations entre des hommes qui font le monde et
la guerre, funeste naissance d’une nation par de jeunes écervelés hirsutes
que je ne peux toutefois lire de manière tout à fait sérieuse. L’incapacité
à situer une sincérité – comme si le discours et la langue disaient deux
choses différentes, comme si ce n’était jamais vraiment la chose dont on
voulait parler qui se disait, comme si ce n’était jamais la bonne forme
pour ce que l’on voulait dire, comme si la pensée était en tension avec une
forme qui n’est déjà plus la sienne, qui ne la contient plus. On pourrait
aussi dire que la forme est classique et que la pensée est moderne – ou que
la puissance de l’écriture se mêle au projet politique et rationnel, et le
trouble (Brecht disait qu’il faut guérir la langue allemande et l’empêcher
de parler avec son cœur .
Dès lors, s’en dégage une sorte d’ironie délicate et mobile, un entre-deux
où se devine une empathie secrète, complexe et paradoxale. Cette hésitation
est souvent rythmique : s’ouvrent d’étranges brèches temporelles, des
béances, où les personnages se retournent contre eux-mêmes.
C’est un drôle d’équilibre, un extraordinaire mobile pour le jeu, tout à la
fois puissant et fragile, sublime et dérisoire, exigeant la viande des
acteurs, un emportement véritable, une excitation rhétorique, et de
soudaines absences insaisissables, somnambuliques voire monstrueuses.
« Agir en primitif et prévoir en stratège » (René Char) Ainsi, Armin est peut-être le premier théoricien de la guérilla, un génie
de la propagande, virtuose de la ruse et de la manipulation. Il a la force
lumineuse de ceux qui jouent un rôle dans l’Histoire. Mais, comme le Prince
de Hambourg, il est pris parfois de bizarreries de comportement, sensibles
et peu raisonnantes, et tout est un peu raté.
Peut-être que rien ne se passe comme prévu car les passions que l’on
croyait pouvoir manipuler pour s’utiliser les uns contre les autres se
déplacent, que le désir échappe au plan, il circule – et cela provoque
quelques dégâts collatéraux.
Kleist semble aimer les hommes d'une façon bien plus tendre et émouvante
que les filles. Il y a comme une douceur atypique dans la soldatesque, un
homo-érotisme de guerriers, comme un trouble dans les accolades de cette
bande de grands garçons – que l’on rejette aussitôt. Oublions donc cela. Ne
le montrons jamais. N'en parlons jamais. Battons-nous.
On ne sait pas trop si les atrocités adviennent involontairement ou si
elles adviennent par ruse. Et je pense qu’il faut chercher à maintenir ce
flou, à ne pas le résoudre.
La tragédie même – si l’on peut parler de tragédie, semble en équilibre
instable, travaillée par le démon de l’équivoque.
Les premiers discours d’Hermann sont empreints d’un pessimisme sentimental
inconnu, une mélancolie peut-être. Une aberration, une folie. Enfermé dans
sa vérité, solitaire et obsessionnelle, il lui faudra pour commercer avec
l’ennemi parler un autre langage. Mais en politique les contraires
fusionnent et laissent l’homme seul avec lui-même : la victoire est
solitaire, même si Hermann est très entouré - d’habiles manœuvres lui ayant
permis de regagner Thusnelda comme on gagne une bataille. Mais c’est une
meurtrière hagarde qui lui revient.
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Cependant, on sait que la cohésion des armées est le fait d’un viol qu’il a
commandité, qu’il a parfois fallu se salir un peu les mains et la parole,
trahir et manœuvrer y compris ses amis, sa femme, bafouer les vieilles lois
de la guerre. Il est certes un libérateur, mais aussi un criminel.
Contrairement à Brecht dans La Décision, l’irrécupérable Kleist nous laisse
seuls avec cette fin ouverte et non résolue, cette faillite morale du
succès politique, scandale visionnaire qui inquiète le présent, les
désunions postrévolutionnaires. Au spectateur d’en faire le procès.
Imaginaire et références
Comme point de départ, je pense à la forêt post-apocalyptique néobaroque de
la vidéo Allegoria Sacra des artistes russes d’AES+F, jouant avec les
mythes fondateurs (ou le mythe globalisé) et des clichés de propagande,
quelque part entre hyperréalisme soviétique et renaissance italienne. Dans
cette forêt de tous les possibles, les époques et les esthétiques antino-
miques s’entrechoquent, en suspension. Lascifs, morbides, les combats d’une
beauté glacée ont tout de même quelque chose d’un jeu.
Vidéogramme d’Allegoria Sacra d’AES+F, en référence au tableau de Bellini, et des
photos de Last Riot, d’AES+F toujours : des adolescents froids, androgynes et
sculpturaux s’en prennent les uns aux autres, recréant les problématiques ethniques
schématiques, dans une gestuelle de marbres antiques.
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Nos barbares germains pourraient emprunter certains motifs à l’imagerie des
bikers, chez qui se pose la question de la loi et de la liberté, d’une loi
illégitime pour ceux qui la subissent... Ils pourraient nous permettre de
nous situer dans un présent-futur sans nommer un groupe combattant
historique. On aime bien leur aspect mythique : les codes, les lois
propres, les groupes rebelles, nomades, violents.
Ce qui nous intéresse également, c’est toute la production de série Z,
l’anti-mythologie, et la possibilité de tourner ces rebelles en dérision.
Car les bikers, c’est aussi des braves gars avec des longues moustaches qui
aiment bien les tours en montagne, on en croise souvent en suisse et au
Tyrol pendant les vacances : Bratwurst, petite serviette en papier pour
s'essuyer le ketchup de la moustache "Bien, allons-y", on jette la petite
barquette en carton dans la poubelle et on quitte la station-service.
Nous chercherons à présenter tantôt des personnages de jeunes rebelles, des
écervelés mythiques qui crient vive la liberté, tantôt de futurs petits
bourgeois conformistes qui crient vivent Armin notre chef. Tantôt des gars
qui ont peur d'égratigner leur belle moto, de faire une tache sur leur
pantalon, tantôt se mettent à quatre pour tabasser un romain perdu.
Des petits mecs avec leur code de l'honneur qu'ils prennent très au sérieux
(eux, pas nous), et soudain l'histoire les prend au sérieux. Soudain on les
persécute sérieusement, ou au contraire, soudain on leur donne toutes les
armes qu’ils veulent et le sang n'arrête plus de couler…
Ce sont des couches de lecture successives, des moments différents d'une
lecture européenne du nationalisme.
A l’opposé de ce fantasme amusé, on pense aussi au groupe résistant qui a
tout perdu, à la dignité et à la fierté des plus faibles.
Aux nuits avec les jeunes brigades « Al-Aqsa » à Jenine, dans Les Enfants
d’ rna de Juliano Mer-Khamis, revenant dans le camp voir les enfants du
théâtre fermé quelques années plus tôt. Où Ala jeune homme sacrifie tout
pour le combat, ce sera la liberté ou la mort. Et on en connaît l’issue.
Peut-être pourrait-on aussi s’intéresser, pour une étude plus précise des
façons de se tenir, aux mauvais garçons chéris de Pasolini, à la bande
d’Accatone vue par un amoureux des garçons, c’est-à-dire sans mythe (et
avec respect pour leur intelligence).
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Pink angels, Larry G. Brown
Les Anges sauvages, Peter Fonda
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La langue et le souffle
Kleist écrit dans une langue plutôt claire et plutôt directe, sans lyrisme
et fioritures, en vers blancs (pentamètre iambique). Dans son écriture, la
métrique travaille les corps en tout premier lieu, elle donne sens par le
souffle. En français, nous chercherons à préserver ce mouvement de la
pensée, à donner une idée de la métrique sans l’enfermer. Nous jouerons
pour cela en vers libre, avec les effets d’enjambement des vers blancs et
en conservant les tirets, syncopes musicales de la pensée suspendue, de la
défaillance des personnages.
Distribution
Nous travaillerons à 15 acteurs, avec des doubles distributions et quelques
fusions de personnages. Les doubles distributions répondent à des
impératifs techniques de présences simultanées ainsi qu’à des envies de
distribution jouant souvent avec les confusions sexuelles. Les fusions de
personnages pourraient permettre de réunir des caractères proches, ou de
développer d’autres pistes de lecture. Quelques hypothèses :
Olindo Bolzan sera Hermann, à contre-pied de la figure attendue du leader
charismatique, simulant l’idiotie pour défendre sa faiblesse.
Berdine Nusselder sera Thusnelda, une jeune effrontée qui tire la gueule
tout le temps, qu’on ne parvient jamais à percer, jeune sauvage à qui l’on
demande de faire de la politique.
Marcel Delval sera l’oncle motard Marbod, tandis que L’Alrune, les bardes
et l’ancien formeront une seule figure d’idiot sacré (Laetitia Yalon).
Face à eux, Fabien Magry jouera le beau Ventidius, Mathieu Besnard le grand
Varus, Tristan Schotte le bon Septmius. Plus forts, plus branchés, mieux
dotés techniquement.
Une seule figure de messager cosmique colportera les nouvelles servant à
faire avancer le discours.
La distribution est en cours.
Elle intègrera notamment des acteurs de FOTTI.
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Image
Nous réfléchissons à une scénographie non narrative, terrain d’images de
souterraines obsessions, déployant physiquement des intentions dans
l’espace, se transformant de l’intérieur. Un espace totémique, dans une
dimension freudienne. Un play-ground de la menace, d’une mise en danger de
l’acteur, qui subira une destruction progressive.
Nous envisageons la scène comme une arène. Il sera possible, en un
mouvement circulaire, d’en faire le tour, d’y revenir et d’être ailleurs.
Nous y rêvons d’attributs de deux mondes qui entrent en collision, qui
s’électrisent.
Le plateau du Théâtre Océan Nord nous demande de réfléchir à une métonymie
horizontale de la forêt. Des feuilles mortes formeront un épais tapis
délimitant précisément un espace de jeu où les acteurs évolueront
difficilement. Hermann y creusera une fosse dans laquelle tomberont les
corps de Varus, Septimius, Aristan… Peut-être que leurs têtes casquées
réapparaîtront à la surface.
Un pick-up rutilant trônera sur le plateau. On y chargera l’auroch,
carcasse sanguinolente de vache suisse, il fera office de tente royale...
Hermann le détruira lui-même, avec patience et obstination, à coups de
gourdin. Il finira peut-être écrasé par un baobab millénaire, ou renversé
sur le flanc dans Teutoburg en ruines.
Le char romain offert en cadeau à Hermann sera une Vespa, seul bécane
visible en scène.
Parfois, des pales de ventilateurs soulèveront les feuillages, formant
comme un écran cachant certains éléments de l’action écrits pour être
dissimulés par des résolutions théâtrales d’une autre époque : il en sera
ainsi du meurtre d’Hally, de la dévoration de Ventidius, déchiré par des
chiens plutôt que par une ourse – les chiens de Penthésilée, pièce canine.
Ces scènes violentes pourront emprunter à l’imagerie de performances
d’actionnistes viennois, au Théâtre des Orgies et des Mystères d’Hermann
Nistch, ou plus sagement à certaines actions des dialoguistes Kantor dont
fait partie notre doyenne Laetitia Yalon.
A l’issue du massacre, les princes allemands déploieront sous la pluie un
grand drapeau en soie noire qui recouvrira tout le plateau.
Les costumes des germains s’inspireront de ceux des premiers bikers avec
quelques tendances afro-funk, utilisant des matières telles que le cuir, la
fourrure, le jeans… et des accessoires étranges, tels que des lunettes en
boîtes de conserve, par exemple.
Pour les romains, nous aimons le contraste entre des costumes contemporains
finement coupés et l'usage qu'ils feraient de matériel forestier
(souffleuses, tronçonneuses etc.). Peut-être que l’un des princes
collaborateurs utilisera une tenue de camouflage forestière.
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Nous chercherons par la lumière, sur une base diffuse et quasi-permanente
de chien et loup gris, vert et mauve légers, à introduire dans l’image des
trouées latérales violentes de lumière très blanche ciselant les
silhouettes et permettant apparitions et disparitions.
Les mouvements de la lumière seront ceux d’éclipses, comme il en va de la
discontinuité psychologique des héros.
Guitar Heroes
Tu ne vas pas chanceler, pas faiblir
Devant la tâche où ta hardiesse t’a lev ,
L’ motion sur toi n’aura pas de prise,
Qui te fera trahir ton peuple loyal ;
Tu es si doux, fils des dieux,
Jamais le printemps ne sera plus doux :
Sois terrible au ourd’hui, une pluie de rêle,
Et que ton visage vomisse des éclairs !
Chant des bardes
Grégoire Letouvet imagine un rock progressif aux sonorités kitch,
rythmiques afro-funk, solo de guitare – en mode guitare-hero, à diffuser
sur l’autoradio du pick-up et en musique dramatique. Un héritage de Frank
Zappa, tout à la fois séduisant, tourmenté, tribal, plein d'autodérision et
de virilité électrique, avec des réminiscences d'un autre temps et des
patterns psychédéliques, binaires.
La présence de l’armée, toujours hors-champ, pourrait se manifester dans le
son, avec des parties plus percussives qui crèvent la nuit – casseroles,
armes, armures, bottes – un soir de fête improvisée, histoire de tuer le
temps et la peur du combat.
Thusnelda chantera de petites mélodies fragiles, accompagnée d’un petit
synthétiseur à pile qu'elle garde sous le bras. Le chant des bardes, après
la mort de Septimius, sera complètement off et postsynchronisé – une
poétique dé-synchrone à la manière de Fellini dans Satiricon qui rappelle
la fonction du chœur antique.
Quelques références et inspirations
Chunga's revenge, Frank Zappa : un aspect ethnique, multiculturel qui a
soif du grand air, excentrique aux accents kitch mais aussi sur-érudit et
manipulateur.
Haitian Fight Song, Charles Mingus : un chant clanique, pour le combat.
Paranoïd Androïd, Brad Meldhau : danse menaçante à la texture tribale,
percussions d'orchestre, steel drums et percussions domestiques.
~ THIBAUT WENGER, SYNTHESE D’ECHANGES AVEC L’EQUIPE ARTISTIQUE
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~ DESSINS, BORIS DAMBLY
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~ MAQUETTE, BORIS DAMBLY
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Andrew Shaylor, Hells angels
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Andrew Shaylor, Hells angels
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Andrew Shaylor, Hells angels
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UNE LECTURE POUR LE JEU
Acte I
1. Pour Wolf, Thuiskomar, Dagobert, Selgar, quatre princes allemands
(mécontents, nous dit Kleist), tout est perdu et leur dernier espoir pour
résister face à Rome repose sur une union avec Hermann, dont ils attendent
quelque part dans la forêt le retour de chasse. Mais même entre eux, la
désunion couve, et on se dispute pour une bande de terre : « le loup, ô
Allemagne, se jette / sur ton troupeau et tes bergers se disputent / pour
une poignée de laine. » Thuiskomar a essayé de collaborer avec l’ennemi,
mais il a été trahi : il ne faut donc surtout pas qu’Hermann, leur sauveur,
emprunte la même impasse. Il ne faut plus tolérer les romains. Mais que
fait-il ? Qu’est-ce que c’est que cette partie de chasse, alors que l’heure
est grave ?
2. Retour de chasse. Thusnelda, épouse d’Hermann, conduit Ventidius Garbo,
légat de Rome fêté comme un nouveau maître, sauveur de la reine attaquée
par l’auroch cornu dont on traîne la dépouille. Hermann suit et applaudit :
« Voyez, mes amis ! / Déjà on le traîne par les cornes ! » Thusnelda mutine
minaude avec Ventidius – dont le récit de chasse ne tient pas la route. En
fait, et les princes le comprennent petit à petit et sont pressés de
participer, il s’agit là d’une mise en scène, un safari pour touriste où
l’on abat une vache ou un bison d’élevage perdu dans les bois – métaphore
du cocu cornu qu’Hermann joue dans la singerie amoureuse qu’il prépare
entre Thusnelda et Ventidius. Quand il aide la reine à monter sur le char
qu’Auguste lui a offert peut-être une Vespa) pour qu’elle file seule avec
Ventidius à Teutoburg, il a peut-être tout de même comme une hésitation.
3. Hermann annonce aux princes désespérés qu’il se soumettra à Rome, et
qu’il fera bon accueil en ses frontières à Varus. Qu’il ne souhaite rien
d’autre que de succomber à l’empereur romain, seul, sans alliés, car il ne
veut rien prendre – il n’y a plus aucune bataille à gagner, dit-il, mais
tout perdre, selon ses propres fins. Mais les princes ne veulent pas
dévaster leur possessions, c’est justement la terre qu’ils veulent
défendre. Hermann coupe court : « je croyais que c’était votre liberté …
alors je ne peux rien pour vous ».
Dans cette incroyable scène de rhétorique de propagande, où Hermann cherche
à mobiliser avec un discours du type « du chagrin, des larmes et du sang »
(Churchill), les parties du discours agissent comme des évènements qui
changent le cours de l’action. Peut-être que les gestes ont autant
d’importance que les mots.
Acte II
1. Hermann, dans son riche pick-up princier – il a quelque chose à perdre,
avec Eginhdart, son vieux conseiller, et Ventidius. Tractations
d’antichambre. Hermann capitule, ouvre ses frontières aux romains car il
aspire, dit-il, à des ambitions plus douces que le grand air de la guerre.
Il se jette aux pieds de Ventidius, qui visiblement ému dit : « c’est le
plus beau jour de ma vie ». Hermann est certainement conscient de son
effet, et en joue.
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2-3. Après le départ de Ventidius, Hermann et Eginhardt plongent sans
prévenir dans un bref numéro de comédie franchement boulevardière, avec des
jeux de circulations, cherchant à deviner si le légat de Rome s’est rendu
dans la chambre de Thusnelda. Ils le surveillent, peut-être pour d’autres
raisons que l’intrigue amoureuse, on ne sait pas encore.
Thusnelda fuit Ventidius, elle ne veut plus jouer, faire l’hypocrite, il
lui fait pitié, « laisse-moi tranquille avec ce romain » demande-t-elle
très naturellement à Hermann, qui la supplie puis lui ordonne de retourner
dans sa chambre, par amour pour lui, et de jouer finement.
4-5-6. Pendant que Thusnelda joue du luth, on apprend d’une furtive
conversation entre Ventidius et son secrétaire Scépion que le messager pour
Rome doit l’attendre deux minutes, qu’il a une petite affaire à régler pour
l’impératrice Livie – sa maîtresse secrète.
Puis de part et d’autre on sort le grand jeu. Thusnelda dit avoir crié
« Ventidius » toute la nuit en cauchemardant l’effroyable mort auquel il
l’avait hier soustraite. Ventidius se jette avec passion aux pieds de la
princesse, dans une sorte de passage de désir reprenant le mouvement
d’Hermann qui vient de se jeter aux siens. Thusnelda semble vraiment
troublée par le faux de Ventidius, on en vient à avoir envie de se sauter
dessus, puisqu’on est là à jouer les amoureux transits, pourquoi ne pas
baiser un peu. Thusnelda dérape, inquiète de son désir pour ce latin lover
elle appelle quelqu’un, au hasard, Gertrud, les enfants, il ne faut pas
rester seule avec lui.
7. Thusnelda complètement dépassée chante trop fort une niaiserie de fille
sage, un Au clair de la lune pour faire attendre les garçons, faut pas
toucher, l’image s’en va – non reste-là, pendant que Ventidius coupe en
douce une mèche de cheveux en poétisant pour Livia – ou peut-être en
profitant de la situation pour draguer la brave Gertrud qui défaille (mais
Kleist ne nous le dit pas), puis se sauve sous les cris de Thusnelda qui
vient de constater le larcin. On navigue en pleine comédie.
8. Hermann débarque suivi d’Eginhardt, Thusnelda encore toute émotionnée
commence des aveux et les ravale « là je désire vivement je te l’avoue /
qu’on s’arrête là ». Hermann ne prend pas du tout l’affaire au sérieux,
plaisante, affuble sa femme de popotes « Toutounette », puis quand le ton
se fait plus sérieux, devient cruel : « j’aime mon chien plus qu’il ne
t’aime ». Il assure à Thusnelda, blessée, que Ventidius n’a certainement
pas l’intention d’embrasser ses boucles en catimini. Pour Thusnelda, la
haine d’Hermann l’aveugle, et quelque part, peut-être a-t-elle raison.
9-10. Hermann ne cessant de louvoyer, ni sa femme ni ses amis ne semblant
dignes de sa confiance, on se demande qui Kleist va lui trouver comme
messager secret pour Marbod son ennemi, à qui enfin dévoiler son plan. Ce
sera Luitgar, le jeune fils d’Eginhardt.
Alors que toutes les scènes avec Thusnelda ont jusqu’ici parues d’une
invraisemblable superficialité, à ce jeune garçon, il parle franchement. Il
lui remet ses deux enfants avec un sabre, en gage de sa sincérité, puis
l’instruit de la situation, et de son plan de guerre. Auguste prévoit que
les trois légions romaines commandées par Varus attaquent Marbod par la
Weser, tandis qu’Hermann doit l’attaquer dans son dos.
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Ce combat n’a d’autre but que de causer la perte de leurs deux armées. Le
plan qu’Hermann propose est donc le suivant : lors du départ de Varus,
Marbod marche sur lui pour l’approcher dans la nuit dans la forêt de
Teutoburg tandis qu’Hermann suit les troupes à l’arrière. Et au matin,
Marbod l’assaille par surprise par devant, et Hermann, furieusement dit-il,
par derrière, ne laissant que quelques Romains rapporter à Auguste la ruine
des autres. Au moment de remettre le parchemin du message à Luitgar qui
l’écoute subjugué, il y a comme un suspens, un trouble. Hermann lit la peur
dans les yeux du jeune garçon. La scène est délicate, sensible. Il le
rassure et l’encourage, chef d’une douceur atypique dans la soldatesque,
peut-être incestueuse.
Acte III
1-2. Hermann et des anciens regardent au loin les incendies que provoque
l’avancée des cohortes romaines. On en colporte les exactions : trois
campements pillés et brûlés, un bébé et une mère assassinés et jetés dans
une fosse, un des chênes millénaires de Wotan abattu. Alors qu’il était
jusqu’ici paru plutôt doux, Hermann se révèle dur : l’enfer arrive, et il
s’en réjouit. En propagandiste avisé, il utilise ces exactions pour les
amplifier. Il demande à Eginhardt de trouver des agitateurs qui
infiltreront l’armée pour mettre tout à feu et à sang.
3. Pour l’arrivée prochaine de l’armée Thusnelda, s’est faite belle, à la
romaine, coiffée par Ventidius lui-même. Hermann lui explique gravement que
les cohortes passent le Rhin pour venir la tondre et lui arracher les
dents. Thusnelda rit. Hermann poursuit très sérieusement. Thusnelda doute,
cherche à percer Hermann qui enfin l’embrasse et la rassure, oui c’était
une plaisanterie, et à bien y réfléchir, tout ne va pas si mal. C’est
plutôt tendre, d’une tendresse enfantine ou bovine, c’est selon, et on
comprend pourquoi, en allemand, Thusnelda veut depuis lors dire cruche.
4-5-6. Arrivent sans être annoncés Varus, Septimius, et les princes
allemands collaborateurs Fust et Aristan. Exercice diplomatique tout miel
de part et d’autre. Varus présente ses excuses pour les désordres causés
par les cohortes, assure que les responsables seront mis à mort, Hermann
demande à Varus de les gracier, et d’excuser les chérusques fanatiques qui
ont voulu sur le champ punir ces « simples bévues ».
L’armée défile, on accueille les romains comme des libérateurs, on oublie
les villages qui brûlent. Septimius commente le passage des troupes pour
Thusnelda, Hermann semble distrait – est-ce cette proximité soudaine entre
sa femme et Septimius qui le trouble ? ou Septimius lui-même ?
De son côté Ventidius assure à Varus qu’il y a plus de perfidie dans un
agneau que dans Hermann et tout son peuple. Hermann utilisera à ses fins ce
préjugé selon lequel il n’est pas assez évolué pour pouvoir mentir.
Avant le repas, Varus annonce à Hermann qu’il lui laissera, pour sa
sécurité, trois cohortes commandées par Septimius. Oh merci beaucoup.
Se laisser envahir et réagir ensuite.
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Acte IV
1-2 (coupes). Marbod avec à la main la lettre et le poignard. Face à lui,
Luitgar et les enfants d’Hermann, Rinold et Abelhart. Attarin, son
conseiller, croit à une ruse. Marbod est circonspect. Peut-être sentir un
danger quand il s’approche des enfants, leur caresse les cheveux, se
présentant comme un certain Holtar, ce qui les fait rire car ils
reconnaissent bien l’oncle Marbod. « A-t-on pour franchir la Weser / d’ores
et déjà pris les dispositions ? ».
3. Hermann et Eginhardt, dans une rue à Teutoburg, c’est la nuit, les
cohortes laissées par l’armée romaine sont très calmes. Hermann se plaint,
il escomptait toutes les atrocités d’une guerre déchaînée pour enflammer
dans le cœur des chérusques une haine des romains, qu’avait-il besoin de
latins qui lui font du bien ? Et les agitateurs, que font-ils ?
4-5-6 (adaptées). Il y a des gestes qui parlent mieux que les mots. On les
appelle gestes rhétoriques. Pour que tout le monde se mobilise, rien de tel
que de trucider une petite fille après l’avoir violée. Ce sera Halli, la
fille de Teuthold, le forgeron. A qui Hermann demandera de découper le
corps en quinze morceaux, qu’on portera aux chefs des 15 tribus allemandes.
L’image est assez claire ? Bien qu’il fasse sombre. En avant ! Révolte,
vengeance, liberté !
7-8. Hermann et Septimius mettent l’armée en marche. Seul pour la première
fois, il nous parle dans la nuit : « me voici prêt comme un voyageur ».
9. Thusnelda s’inquiète : une rumeur dit que dans quelques heures, toute la
troupe restée en garnison sera exterminée. Hermann confirme. Même les bons,
ceux qui font le bien ? Oui, car ce sont les pires : ils détournent les
allemands d’une grande cause. Alors que jusqu’ici Thusnelda dissimulait
plus ou moins, elle se dévoile, pleure, chiale, pour demander grâce pour
Ventidius. Hermann la lui accorde. Ah oui, un dernier détail avant de
partir : un messager pour Rome a été abattu, il portait notamment une
lettre pour l’impératrice Livie, avec une mèche de cheveux blonds.
Ventidius lui promet d’autres belles moissons. Thusnelda prend la lettre
pour la relire à voix haute : j’ai du mal lire, dit-elle. Les mots glissent
sur ses oreilles, la parole lui manque : « Tout me fait vomir ».
Et Hermann semble ému par cette sincérité. Parce qu’elle a raison, parce
qu’elle pense comme Kleist.
10. Entrent Astolf et Eginhardt. Il est l’heure, il faut y aller. Hermann
donne les dernières consignes pour l’extermination des troupes restées à
Teutoburg. La Princesse se lève et embrasse fiévreusement Hermann. Elle
veut se venger, et il sera fier d’elle. Hermann peut partir, il n’a plus
peur, dit-il, car il a gagné une première bataille.
Acte V
1-2. La tête de l’armée romaine, la nuit sous l’orage. Varus arrête la
marche, fait appeler les trois guides chérusques pour leur demander où se
trouve Iphikon, où l’armée doit être conduite. Les guides jouent aux idiots
perdus, disent chercher Phiphikon (rusé-malin qu’ils ne connaissent pas,
Hermann leur ayant dit que Varus voulait s’y rendre, de quelque façon qu’il
s’exprime, et qu’ils pourraient bien avoir tourné en rond depuis ce matin.
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3-4-5. Dans la forêt, une lumière, celle d’une vieille femme qui cherche
des herbes, avec une béquille. Aux questions de Varus : où je vais, d’où je
viens, où suis-je ? Elle répond par trois prophéties : au néant, du néant,
entre le néant et le néant. Puis disparaît, laissant Varus abattu.
6-7-8. Un messager vient annoncer que Marbod a passé la Weser et marche sur
eux. Varus se demande si le prêtre de Zeus a bien compris le corbeau qui
annonçait la victoire. Un second messager annonce l’arrivée d’Hermann dans
la forêt, on ne sait pas pourquoi.
9. « Trahison, trahison ! » Aristan arrive précipitamment, les princes
collaborateurs allemands ont déserté à l’appel d’Hermann. Il ne reste que
lui, « le pire de tous » selon Varus qui reprend du poil de la bête et
ordonne de foncer sur Hermann comme un sanglier.
10-11. Dans les rangs allemands, on ne comprend pas encore bien qui est
l’ennemi. Marbod ? On ne veut pas verser de sang allemand. Bonne nouvelle,
ce sera du sang romain. En avant marche !
12-13. Pour briser le mousqueton de la chaîne qui entrave l’armée
chérusque, le premier à mourir, ce doit être Septimius. On le fait venir,
alors qu’il s’occupait d’un paysan dont la hutte avait été incendiée au
passage de l’armée. Il dépose son glaive, se constitue prisonnier : « On a
tous deux lus Cicéron » dit-il à Hermann. Kleist donne plutôt des arguments
positifs à Septimius, et le tuer est assez compliqué, lourd de sens. Et
puis, il y a un drôle de climat, comme si les enjeux de la scène
dépassaient ceux du plan de guerre, ou plutôt comme s’il s’agissait d’une
autre guerre – contre un être aimé sans retour ? De toute façon, quand les
héros de Kleist tuent quelqu’un, c’est par amour. Avant de mourir,
Septimius se donne pour épitaphe : « celui qui en orient et occident / a
vaincu la lignée des hommes royaux / en Germanie fut déchiré par des
chiens. » C’est après cette scène qu’Hermann flanche.
14. Tout le travail d’unification est réalisé. On allume le fanal pour
indiquer à Marbod que l’armée est prête à attaquer. Musique, cœur des
Bardes. Hermann est en proie à une violente émotion, de sa bouche ne coule
que de l’amour, il a besoin de communion, d’harmonie, de pardon :
« Réconciliez, embrassez et aimez-vous ! ». Il n’a pas la force d’instruire
les généraux du plan de bataille final, et dans une sorte d’étonnant
flottement laisse un autre fils d’Eginhardt, le beau Winfried surgi d’on ne
sait où, diriger l’armée. Winfried : « Laissez-le. – Il va se ressaisir. »
15-16-17-18-19. Un parc entre des murailles. Thusnelda par l’intermédiaire
de Gertrud a donné rendez-vous ici à Ventidius et au dresseur Childéric
avec son ourse (ou ses chiens). Gertrud se jette aux pieds de Thusnelda
pour qu’elle éloigne de son cœur cette vengeance de Barbare, mais la
Princesse reste sourde : elle veut redevenir digne d’Arminius. Arrive
Ventidius exalté, qui s’attend à tous les plaisirs des saturnales. Getrud
n’a pas la force de conduire le beau romain, c’est donc Thusnelda qui joue
Gertrud. On devine qu’il doit faire assez sombre. Enfermé, Ventidius se
fait dévorer en hurlant « Thusnelda », qui lui conseille d’appeler plutôt
Livie au secours. Le dresseur et Gertrud arrivent à la rescousse, ils
tentent d’ouvrir la porte mais Thusnelda cache la clé, puis la jette et
s’évanouit, comme Penthésilée. On sort les restes de Ventidius.
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20. où Marbod apprend que son armée a anéanti les romains avant que celle
d’Hermann ait atteint le lieu du combat.
21-22. Varus, seul, blessé, prend pour lui la phrase de Richard III : que
n’ai-je un cheval… arrivent Hermann et Fust, ex-collaborateur allié de
dernière minute, qui se disputent l’exécution de Varus qui n’en revient
pas : « comme si j’étais un cerf moucheté »). Hermann est blessé au bras,
Fust met à mort Varus. On se bouscule pour embrasser Hermann, et sucer le
sang qui coule de son bras blessé.
23-24. Dans les ruines de Teutoburg. Les princes allemands Marbod,
Thuiskomar, Wolf… proclament Hermann chef de la nouvelle nation allemande.
Thusnelda hagarde et monstrueuse se serre contre lui avec des « mon
amour ». Pour débuter dans ses fonctions, Hermann fait exécuter Aristan,
fidèle collaborateur des romains, qui lui tient tête jusqu’au bout. Puis il
électrise les princes et les guerriers : « il nous reste à atteindre le
Rhin au plus vite / avant qu’aucun Romain n’ait quitté / le sol sacré de la
Germanie : / et ensuite – à marcher courageusement sur Rome ! » . On hisse
le drapeau noir. La violence est un but en soit, on ne peut plus l’arrêter.
Drôle de happy-end.
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Heinrich von Kleist
Excusez-nous si vous connaissez déjà tous ces détails, nous essayons seulement de
transmettre non pas une psychologie mais un certain tempo, une combattivité.
Kleist bégayait, en souffrait, l'écriture théâtrale comme une revanche,
peut-être. "J'écris parce que je n'arrive pas à arrêter", "weil ich es
nicht lassen kann" avec lassen - comme to quit, en anglais pour arrêter les
cigarettes - comme "il faudrait arrêter ça aussi mais je n'y arrive pas".
Il rate tout. Il bouge tout le temps.
Il est sur le champ de bataille pour la première fois à seize ans, à une
époque dont on dit qu'un soldat doit craindre plus le bâton de son
supérieur que l'ennemi. Une inimaginable brutalité dans l'armée. Il vient
d'une lignée de militaires. Il n'y arrive pas.
Mais tout le reste va rater aussi.
Un journal à Berlin (Berliner Abendblätter), quotidien, petit format, prix
modique, pour le peuple, pour tous, nobles et roturiers, le meilleur de
l'art, débats politiques, littérature et... des faits divers, ce qui ne se
faisait pas du tout – dès le premier numéro, la censure sur le dos. Il est
tout à fait imprudent, il tient une demi-année.
Il enjambe les pays, embrasse toutes les études, les montagnes, les
métiers, veut même se retirer pour devenir paysan en suisse, à un moment il
disparait, il s'engage hop-là officier c'est pour la vie, en Autriche
contre les français espérant que la Prusse prête main-forte aux autrichiens
et ainsi batte Napoléon mais les prussiens n’en font rien.
On le trouve aussi en taule en France, un des trois seuls portraits de lui
vient de là. Les yeux trop grands, visage d’enfant. Il a sans doute fait de
l’espionnage, il va sans papiers, il risque la mort tout le temps, il fait
de longues marches et ce qui est fou, partout il a quelqu'un avec lui.
Jamais seul. Rien à voir avec Büchner. Où qu'il débarque, ce raté bègue
scotche l'assistance, il lui faut un ami. Il trouve toujours un ami avec
qui, au bout d’un moment, il s'enfuit.
Et sa mort : qui vient avec moi? Personne. Ah si, une fille malade. Elle
veut bien être tuée, tiens, elle commence à devenir intéressante. Maldoror
50 ou 60 ans trop tôt. Et il la tue. Bien. Et il se rate. Et puis il meurt.
Dans sa dernière lettre, on lit sa joie, scandaleuse, sa gaité...
29
THIBAUT WENGER, mise en scène
Né en 1985. Diplômé de l’INSAS en Réalisation Théâtre 2006-10). Après mon bac,
j’ai aussi été élève en Ciné-Sup à Nantes (2003-05), puis étudiant en histoire du
cinéma à la Sorbonne. J’ai conduit des recherches sur les groupes Medvedkine, et
réalisé un journal de voyage dans le Sahara occidental, Smara.
En 2004, j’ai commencé à travailler sur le théâtre de Jean-Louis Maunoury, passeur
des contes de Nasr Edin Hodja. Pour la création de Litanies d’ l-Qamar, j’ai dirigé
le comédien Aguibou Dembele, grâce à un dispositif de dialogue artistique Angers-
Bamako. J’ai également monté Sòlo Goya, parcours de l’Adami – Avignon 2006.
En 2006, j’ai mis en scène ou ours l’Ora e et Je m’appelle d’Enzo Cormann, cabaret
performance, tombeau du siècle, avec Adama Diop et Lamine Diabakté.
En 2007, j’ai dit La nuit juste avant les forêts de Koltès dans 24 lycées en
Alsace. J’ai aussi monté Tout Contre Léo de Christophe Honoré.
En 2008, j’ai mis en scène La Mission de Müller au Festival Premiers Actes avec
notamment Adama Diop, André Pomarat, Aude Ruyter, Léa Drouet…
En 2009, j’ai mis en scène Lenz de Büchner, théâtre de l’échec à l’épreuve du réel,
repris en tournée jusqu’à présent. J’ai également mis en voix Terre sainte de
Mohamed Kacimi au Théâtre National à Bruxelles, dans le cadre du festival Ecritures
organisé en partenariat avec l’INSAS, et joué dans Trilogie du Revoir de Botho
Strauss, production de fin d’études dirigée par Michel Dezoteux au Varia.
En 2010, j’ai joué dans Penthésilée de H.v. Kleist ms Sabine Durand à l’INSAS et
dans Des Hommes, court-métrage de Romain Cogitore (De Facto cinéma).
En 2011, j’ai assisté Marcel Delval - Théâtre Varia sur Et la nuit chante de Jon
Fosse et Pierre Diependaële sur Histoire(s) de théâtre aux TAPS à Strasbourg.
En 2012, j’ai mis en scène Woyzeck de Georg Büchner au Théâtre Océan Nord, joué
dans Marie, moyen-métrage de Lazare Gousseau et dans Le Banquet dans les bois,
création de Sabine Durand d’après Shakespeare à la Balsamine, à Bruxelles.
Je dirige depuis 2008 le Festival Premiers Actes – jeune création en Haute-alsace.
ADELINE ROSENSTEIN, traduction & dramaturgie
Comédienne, metteur en scène et documentariste originaire de Genève et installée
depuis 1995 à Berlin, depuis 2010 à Bruxelles, diplômée de l’école de comédiens
Nissan Nativ de Jérusalem et de la HfS Ernst Busch, bat (institut de mise en
scène). Prédilection pour les dramaturgies dites éclatées, langues dites malades en
particulier Michel Vinaver et Lothar Trolle.
En 2003, elle rencontre la compagnie Scènes avec qui elle crée à Lyon le spectacle
«Les Oresties» d’après Les Choéphores d’Eschyle et des témoignages) au NTH8. Entre
2004 et 2006, elle développe un projet documentaire en Argentine avec le
réalisateur italien Ronny Trocker sur le mouvement de chômeurs MTR. Entre 2004 et
2008, elle participe aux recherches, écriture et réalisation du projet théâtral
« Les Experts » à Bruxelles avec le sociologue belge Jean-Michel Chaumont sur
l’histoire des débats relatifs à la traite des femmes. En 2009, elle met en scène
Fatzer Fragment de Bertolt Brecht dans le montage d’Heiner Müller au Festival
Premiers Actes. Elle est appelée à intervenir dans différentes universités sur son
expérience de la rencontre entre théâtre et sciences sociales.
En 2012, elle était accueillie par La Chartreuse, CNES à Villeneuve-lès-Avignon
pour y écrire Décris-Ravage, son prochain projet.
Il s’agit ici de sa troisième collaboration avec Thibaut Wenger.
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BORIS DAMBLY, scénographie
Performer et plasticien belge. Après s'être spécialisé dans le domaine de la scéno-
graphie théâtrale, Boris Dambly s'implique lui-même sur scène dans le cadre de per-
formances principalement axées sur une thématique corporelle.
Né à Namur en 1985, il commence ses études artistiques à Derby (Royaume-Uni), et
après un bref passage à l'Université Libre de Bruxelles, où il s'initie à la philo-
sophie, il poursuit son parcours à l'Ecole nationale des Arts visuels de la Cambre,
où il bénéficie de l'enseignement de Jean-Claude de Bemels.
Il collabore avec Claude Schmitz depuis 2011, sur Salons des Refusés et sur son
prochain spectacle, Melanie Daniels, qui sera créé en mai 2013 dans le cadre du
Kunstenfestivaldesarts.
Il a également collaboré avec Berdine Nusselder sur Levensbewijs pour la Balsamine,
Madely Schott sur la performance Empoilissement aux Halles de Schaerbeek, avec le
collectif Re pour Œdipe Roi et la performance Dessert…
http://eaudejavel.blogspot.be
GREGOIRE LETOUVET, musique
Compositeur, pianiste et ingénieur du son formé à la FEMIS puis au CNR de Paris,
Grégoire Letouvet compose des musiques de scène et de cinéma pour des formations
allant de l’orchestre symphonique au quintette jazz, de la musique electro-
acoustique aux combos rock. Au théâtre, il a travaillé la bande son d’auteurs comme
Müller, Beckett, Koltes, Cormann, Pommerat ou Büchner.
Il crée en 2010 la compagnie lyrique des Rugissants, collectifs de chanteurs et
musiciens se consacrant l’opéra contemporain avec laquelle il monte Les Soldats
(Zimmermann) en 2010, Génèse, création du compositeur François Nicolas sur des
textes d’Adonis en 2011, puis Du jour au lendemain d’Arnold Schoenberg en 2012.
Il collabore avec Thibaut Wenger depuis 2004.
OLINDO BOLZAN, jeu
Olindo Bolzan a commencé à jouer dès 1979 au Théâtre de la Renaissance (Théâtre-
Action) avec Jean-Louis Colinet puis suit des études au conservatoire de Liège. Il
a depuis lors travaillé sur de très nombreux spectacles, sous la direction de
Pietro Varasso, Jacques Delcuvellerie, Françoise Bloch, Philippe Sireuil, Lorent
Wanson, Martine Wijkaert, David Strosberg, Michel Dezoteux…
Après Woyzeck, il s’agit de sa seconde collaboration avec Thibaut Wenger.
MARCEL DELVAL, jeu
Comédien, metteur en scène, chargé de cours à l’Insas, Marcel Delval est aussi co-
directeur du Théâtre Varia, ce qui ne l’empêche pas de proposer au Rideau ou
ailleurs les auteurs anglo-saxons qu’il affectionne tout particulièrement. Le virus
lui a été transmis après un passage marquant à l’Actor Studio en 1981.
Depuis 1972, Marcel Delval s’attache particulièrement à mettre en scène Edward
Albee, Horovitz, David Mamet, Harold Pinter, Tennessee Williams, ou récemment des
auteurs comme Daniel Keene ou Martin Crimp. Des auteurs qui sondent férocement
l’hypocrisie d’une certaine société. Il ne néglige pas pour autant la création
contemporaine francophone ou les classiques de ce siècle ou d’autres.
Après Woyzeck, il s’agit de sa seconde collaboration avec Thibaut Wenger.
31
BERDINE NUSSELDER, jeu
Berdine est née en 1984 à la campagne aux Pays-Bas. A l'âge de 16 ans, elle arrête
son école secondaire et quitte son pays pour faire ce dont elle a envie : du
théâtre ! Berdine est néerlandaise, mais elle a suivi des formations théâtrales en
Angleterre (LAMDA), à Paris (Conservatoire du 9e) et à Bruxelles, à INSAS dont elle
a été diplômée en 2011.
A Bruxelles elle a notamment travaillé avec Aurore Fattier sur On purge bébé, à
l'Opéra de la Monnaie avec Guy Joosten, et était stagiaire de Guy Dermul au KVS.
En 2012-13, elle jouera aux Tanneurs à Bruxelles Rien d’officiel, un monologue que
lui a écrit Jean-Marie Piemme, mis en scène par Raven Rüell. Elle jouera également
pour Philippe Sireuil, dans Les Mains sales de Sartre, à Lausanne.
Après L’Enfant froid et Woyzeck, il s’agit ici de sa troisième collaboration avec
Thibaut Wenger.
LAETITIA YALON, jeu
Née en 1934 à Ibiza, fille de la grande exploratrice et journaliste Gabrielle
Bertrand, Laetitia a grandi cachée dans les Pyrénées et dans un pensionnat suisse.
Elle a vécu sur l’île d’Hydra avec Leonard Cohen, à Göttingen, dans un kibboutz en
Israël... Mariée à un agent du Mossad, plasticienne officielle du régime israélien,
elle est arrivée en Belgique pour soigner son fils en 1974. Elle y collabore
notamment avec Maguy Marin, les dialoguistes Kantor, et plus récemment Les
patacyclistes… Depuis peu, elle joue au théâtre, avec Léa Drouet, et au cinéma,
avec Rachel Lang.
Après L’Enfant froid et Woyzeck, il s’agit ici de sa troisième collaboration avec
Thibaut Wenger.
FABIEN MAGRY, jeu
Formé à l’INSAS de 2006 à 2010. Il travaille dès sa sortie d’école sur 12 Works mis
en scène par Pierre Megos et dans L’Enfant Z ro mis en scène par Céline Ohrel.
Avant d’arriver en Belgique, Fabien a été formé au Cours Florent à Paris où il a pu
travailler avec Michel Faux, Claude Brasseur, Vincent Lindon, Christophe Garcia...
En parallèle, il participe aux ateliers dirigés par Pico Berkowitch autour de la
méthode Lee Strasberg et suit une formation de clown dirigé par Philippe Renaut. Il
joue au cinéma dans La Maison réalisé par Sarah Liers et dans Cachet de Michael
Haneke. Il a récemment joué pour Olivier Coyette, Thierry Debroux…
Après La Mission et Woyzeck, il s’agit ici de sa troisième collaboration avec
Thibaut Wenger.
NATHANAËLLE VANDERSMISSEN, jeu
Nathanaëlle a achevé l’an dernier ses études en jeu à l’INSAS, où elle a été ini-
tiée à l’écriture, au chant, à l'escrime, au tango et au cirque. Elle collabore
avec le performer Mathias Varenne sur le projet La Preuve.
Après La Mission, L’Enfant froid et Woyzeck, il s’agit de sa quatrième collabora-
tion avec Thibaut Wenger.
à compléter…
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A propos de Woyzeck
Humain, trop humain
Oeuvre bouleversante d’un génie fulgurant, le Woyzeck de Georg Büchner demeure
inachevé en 1837, lorsque son auteur disparait à l’âge de 23 ans. Les quelques
fragments qui constituent la pièce racontent l’existence d’un soldat en lutte pour
sa propre vie, plongé dans une société qui ne l’accepte pas. Soutenue par la
dramaturgie d’Adeline Rosenstein, la mise en scène de Thibaut Wenger propose une
version résolument chthonienne de cet homme ordinaire, en proie aux tourments
quotidiens. Au final, l’on obtient une création abondante en propositions, dont le
sens réel demeure malheureusement en partie inaccessible.
Woyzeck, c’est avant tout un univers singulier peuplé d’individus misérables. Ceux-
ci sont interprétés par d’excellents comédiens, dont le jeu et la direction
témoignent d’un vrai travail de fond. En guise de scénographie, un espace segmenté
par de larges grilles métalliques. Etranges frontières que ces murs troués, qui
tout à la fois séparent les êtres et les mettent à nu, sous le regard d’un public
constitué malgré lui en voyeuriste. Sous ses yeux, les changement de tableaux sont
rythmés par des de néons vifs et froids, agrémentés quelquefois d’une lueur rouge
et angoissante. A d’autres moments encore, la lumière révèle le plateau entier,
semblant faire reculer les ténèbres dans un illusoire dénuement. Par une intense
succession de fragments, la narration reflète l’univers brisé du personnage
principal. L’étrangeté est encore appuyée par une musique sourde et pénétrante,
sans aucun chatoiement ni complaisance pour ce qu’elle illustre.
Autre aspect fondamental de cette création : le "baragouzek", patois original né
d’un travail sur la langue de Büchner et nourri par des ateliers effectués dans le
milieu associatif.
Bien plus qu’une simple curiosité linguistique, ce parlé devient l’expression d’un
être-au-monde particulier. La brutalité des mots, la syntaxe rompue et torsadée,
l’accent fort et sec : ce sont là les signes, non d’une psychologie propre aux
personnages, mais de leur manière fondamentale d’exister dans leur environnement.
Dès lors, les quelques percées de notre langue française exposent un langage dans
sa pure conventionalité, en rupture avec le monde trop humain du soldat Woyzeck.
Assurément, cette création présente de sérieuses qualités. Cependant, sa richesse
fera également son principal défaut, celui de rendre opaque et peu intelligible
l’univers qui s’offre au spectateur. A trop exprimer la nature fragmentaire du
texte, la pièce ne parvient jamais à tisser un lien entre ses différents éléments.
En cause notamment, l’idiome des protagoniste, dont on peine souvent à comprendre
les répliques. Si l’intention d’une trame décomposée est prégnante, elle manque
cependant l’objectif de nous rendre les événements compréhensibles. L’éclatement
des ingrédients perdra le profane, ce qui est d’autant plus regrettable que celui-
ci passera à coté d’un travail sincère et profond. Mais la perdition n’est-elle pas
logée au coeur du pauvre Woyzeck ?
Charles-Henry Boland, 10/06/2012 demandezleprogramme.be
33
Les chardons du Baragouzeck
Le jeune metteur en scène Thibaut Wegner n'a pas ménagé ses comédiens, ni surtout
son public. Pourtant ce n'est que la simple histoire d'un simple soldat, Franz
Woyzeck, exploité par son capitaine, réduit à se prêter à des expériences médicales
douteuses afin de gagner quelques sous insuffisants pour procurer une vie
confortable à celle qu'il aime, Marie, et à leur enfant. Un homme qui aimant trop
"à la vie à la mort", finit par tuer Marie l'infidèle.
D'autres détails ayant échappé, on supputera seulement que le fait qu'il travaille
comme un forcené, que sa santé est malmenée, ont pu endommager sa raison... Car
malgré une attention (très) soutenue pour capter çà et là, en plein vol, un mot
connu (ou plus ou moins proche d'un mot connu), beaucoup se sont noyés dans le flot
sonore bizarre du "baragouzeck".
Peut-être eut-il fallu que certains personnages s'expriment "normalement", en toute
logique pour des êtres éduqués comme le médecin ou le capitaine ? Et peut-être
qu'il n'en fallait pas tant, de ces mots inventés, pour faire ressentir sinon tous
les enjeux, du moins les sentiments qui s'expriment de façon très parlante par le
jeu expressif des comédiens ?
De cette histoire laissée "fragmentaire" par son auteur, l'Allemand Büchner, et sur
base de plusieurs ébauches, Thibaut Wegner a voulu rendre avant tout l'impression
d'une œuvre ouverte et en devenir voire d'un brouillon ou de ce qui ressemblerait
à une étape de travail). Comme des éclats de verre à ramasser, il nous faudra
reconstituer l'objet branlant initial.
Nous n'y serons donc pas aidés par le texte, en langue imaginaire, sans le
surtitrage habituel. Ombre et pénombre pour des scènes se déroulant souvent en fond
de plateau, au travers de parois grillagées, rendront bien ardue la tâche de
reconstruction des étapes du drame, alors que les expressions des visages auraient
pu... éclairer le spectateur. De plus, le concept d'éclatement fait commencer le
spectacle par la fin (dramatique et non certaine), l'ensemble se déroulant dans un
labyrinthe concentrationnaire de grilles et de métal.
"Tant pis si moi tout compris avoir pas..."! On devinera assez rapidement qu'il
faut laisser là tout pragmatisme, tout réalisme et se laisser imprégner d'ambiances
sauvages et primitives, d'images fortes, d'un puissant climat d'étrangeté.
La scénographie, le très beau travail sur les sons et lumières étroitement
associés, sont parfaitement au point et épousent l'ambiance générale. Il faut
savoir que les options prises par le metteur en scène résultent non seulement d'un
travail avec d'excellents comédiens professionnels mais d'expériences au sein
d'ateliers ouverts aux habitants (souvent"primo-arrivants") du quartier populaire
et métissé où se situe le théâtre Océan Nord.
De là est venue l'idée d'une langue tour de Babel, une langue qui serait donc
"populaire" et telle qu'elle aurait été souhaitée par Büchner. Adeline Rosentein,
co-animatrice des ateliers avec Wegner, l'a introduite dans sa traduction. Ainsi la
dramaturgie, comme la scénographie, rendent bien le côté décousu, "prise
d'intantanés" qu'aurait voulu l'auteur d'après ce que l'on sait.
Voilà un texte qui (par un curieux hasard ?) marie la langue oulipienne d'Antoine
Lemoine ("Les chardons du baragouin", 1961) à une évocation du sort de/s pauvre/s
exploité/s, ceux du Roumain Panait Istrati ("Les chardons du Baragan" en 1928) et
cela dans un vision originale certes, de Woyzeck ! Son malheureux troufion ne
ressemble-t-il pas à tous les "forçats de la terre", au "cojan" roumain (dans une
langue qui n'est, elle, que "émaillée... d'expressions populaires") ? Paradoxe : ce
spectacle s'adresse à un public averti.
Suzane VANINA 20/06/2012 Ruedutheatre.com