La « 55 000 » ou l’avènement de la radiométrie moderne

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Origine de l’article : POULAIN Sebastien, « La « 55 000 » ou l’avènement de la radiométrie moderne », in Thierry Lefebvre (sous la direction de), « L’Année radiophonique 1986 », Cahiers d’histoire de la radiodiffusion, n°129, juillet-septembre 2016, http://cohira.fr/category/cahiers/ La « 55 000 » ou l’avènement de la radiométrie moderne 1 La « 55 000 » est aujourd’hui un peu oubliée. Mais c’est parce qu’elle a muté en « 126 000 » ! Or, ces chiffres correspondent à un nombre de personnes interviewées en vue de calculer l’audience des radios. Et « [n]ulle radio ne peut être indifférente à son audience, son impact sur l’environnement auquel elle entend s’adresser. » 2 C’est donc cette audience qui joue un rôle fondamental dans les modèles économiques d’une grande partie des radios françaises. C’est une évidence pour les radios commerciales qui sont presque entièrement dépendantes des annonceurs qui décident de faire de la publicité on non sur leurs antennes en fonction des caractéristiques quantitatives et qualitatives des audiences, et des tarifs de ces radios qui sont eux-mêmes liés aux audiences de leurs programmes. Pour ces radios, les études d’audience ont donc pour objectif de compter le nombre de personnes qui sont susceptibles d’entendre les spots publicitaires (pour en fixer les tarifs) plus que les émissions elles-mêmes. Les audiences ont également un rôle à jouer dans la programmation musicale en particulier et dans la programmation en général : une musique, un animateur, un concept, une émission qui fait zapper risque de vite de disparaitre de l’antenne. 1 Je tiens à remercier Isabelle Abraham, Thierry Lefebvre, Arnaud de Saint-Roman, Laure Osmanian-Molinero, Charles Juster et Philippe Tassi pour leurs lectures, critiques et conseils. 2 CHEVAL Jean-Jacques, « L’audience de la radio en Aquitaine, les Médialocales 1999-2000 », Jean-Jacques Cheval (sous la direction de), Audiences, publics et pratiques radiophoniques, Pessac, 2005, p42

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Origine de l’article : POULAIN Sebastien, « La « 55 000 » ou l’avènement de la radiométrie moderne », in Thierry Lefebvre (sous la direction de), « L’Année radiophonique 1986 », Cahiers d’histoire de la radiodiffusion, n°129, juillet-septembre 2016, http://cohira.fr/category/cahiers/

La « 55 000 » ou l’avènement de la radiométrie moderne1

La « 55 000 » est aujourd’hui un peu oubliée. Mais c’est parce qu’elle a muté en « 126 000 » ! Or, ces chiffres correspondent à un nombre de personnes interviewées en vue de calculer l’audience des radios. Et « [n]ulle radio ne peut être indifférente à son audience, son impact sur l’environnement auquel elle entend s’adresser. »2 C’est donc cette audience qui joue un rôle fondamental dans les modèles économiques d’une grande partie des radios françaises.

C’est une évidence pour les radios commerciales qui sont presque entièrement dépendantes des annonceurs qui décident de faire de la publicité on non sur leurs antennes en fonction des caractéristiques quantitatives et qualitatives des audiences, et des tarifs de ces radios qui sont eux-mêmes liés aux audiences de leurs programmes. Pour ces radios, les études d’audience ont donc pour objectif de compter le nombre de personnes qui sont susceptibles d’entendre les spots publicitaires (pour en fixer les tarifs) plus que les émissions elles-mêmes. Les audiences ont également un rôle à jouer dans la programmation musicale en particulier et dans la programmation en général : une musique, un animateur, un concept, une émission qui fait zapper risque de vite de disparaitre de l’antenne.

1 Je tiens à remercier Isabelle Abraham, Thierry Lefebvre, Arnaud de Saint-Roman, Laure Osmanian-Molinero, Charles Juster et Philippe Tassi pour leurs lectures, critiques et conseils.2 CHEVAL Jean-Jacques, « L’audience de la radio en Aquitaine, les Médialocales 1999-2000 », Jean-Jacques Cheval (sous la direction de), Audiences, publics et pratiques radiophoniques, Pessac, 2005, p42

Les radios publiques – avec de grosses (France Inter, France Info, France Bleu) ou petites (FIP, France Culture, France Musique, Mouv) audiences – sont aussi intéressées par leurs audiences puisque d’une part elles accueillent aussi des annonceurs ou partenaires sur leurs antennes, et d’autre part jugent et sont jugées en partie en fonction de celles-ci du fait des « Contrats d’Objectifs et de Moyens » de Radio France3.

Mais les quelques 600 radios associatives, ainsi que les collectivités, associations, institutions qui les aident et les financent4, ne peuvent pas être totalement désintéressées par leurs audiences non plus, même si le chiffre d’affaires lié à la publicité à leur antenne ne peut pas dépasser 20% de leur chiffre d’affaires global, un chiffre qu’il est déjà très difficile d’atteindre et qui pousse à changer de statut juridique de la radio quand il est atteint.

Cette dépendance vis-à-vis des études d’audience impose de s’intéresser 30 ans après la création de la « 55 000 » à la manière dont elles sont produites. D’autant plus qu’il existe en la matière un quasi-monopole. Médiamétrie est aujourd’hui l’institut qui fournit principalement l’audience de toutes les radios diffusées en France. Cela peut surprendre dans la mesure où il existe un grand nombre d’instituts de sondage (CSA, IPSOS, IFOP, BVA…) qui fournissent un grand nombre de commanditaires (entreprises, administrations, ONG, associations…) sur des sujets très variés (consommation, politique, sociétal…). Or, habitués à un nombre important d’instituts de sondages, nous aurions du mal à comprendre et accepter qu’un seul institut produise la totalité ou quasi-totalité des sondages politiques par exemple. La pluralité des instituts de sondages semble même faire partie des critères permettant de juger si un régime est démocratique.

Comment expliquer alors cette situation en ce qui concerne l’audience ? Est-ce parce que l’audience n’est pas liée à une opinion, mais à un comportement ? Pourtant, les autres instituts mesurent aussi des comportements : des achats, des votes (sortie des urnes), des intentions... Est-ce parce que Médiamétrie a trouvé une méthodologie miracle la rapprochant, plus que tout autre institut de sondages, de la réalité de l’audience ? Ce serait beaucoup déconsidérer les autres instituts de sondages qui ont, comme nous le verrons, réalisé de nombreux « sondages d’audience »5 par le passé.

En réalité, les études d’audience de Médiamétrie sont monopolistiques car les acteurs (médias, annonceurs, agences conseils, centrales d’achats) qui commandent, financent, utilisent, promeuvent ces études souhaitent qu’elles le soient. Ils s’accordent sur la méthodologie, sur l’outil de mesure, sur la métrique de l’audience des médias, c’est-à-dire sur

3 Les « Contrats d’Objectifs et de Moyens », issus de la réforme législative du 1er août 2000 et présents dans l’article 53 de la loi du 30 septembre 1986, ont pour objectif de « définir, dans une perspective pluriannuelle, les orientations stratégiques des sociétés associant des objectifs à des indicateurs précis. Les indicateurs quantitatifs et qualitatifs d’exécution et de résultats constituent un outil de suivi et d’évaluation permettant aux administrations de tutelle et au Parlement de juger de la pertinence de l’utilisation des ressources publiques. » (« Les contrats d’objectifs et de moyens des organismes de l’audiovisuel public », 16/05/2012, http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Audiovisuel/Dossiers-thematiques/Les-contrats-d-objectifs-et-de-moyens-des-organismes-de-l-audiovisuel-public). 4 Le Fonds de soutien à l’expression radiophonique (FSER), qui finance en grande partie les radios associatives (en moyenne environ 40% des ressources des 664 stations en 2014) via une dotation forfaitaire de l’Etat (29 millions d’euros en 2015), suscite régulièrement des débats, y compris au Parlement compte-tenu de la faiblesse de leurs audiences (2,1% d’audience cumulée, 1,1% de part d’audience, 1h15 de durée d’écoute par auditeur en moyenne pour 562 stations selon l’étude Médiamétrie « 126 000 » de novembre-décembre 2015).5 CHAMPAGNE Patrick, « La loi des grands nombres. Mesure de l’audience et représentation politique du public », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 101-102, mars 1994, p21. On peut observer que Médiamétrie ne parle pas de « sondages d’audience » pour se distinguer des instituts de sondages qui ont fait l’objet d’un nombre encore plus grand de critiques que les études d’audience (à commencer par celles des statisticiens). Médiamétrie devaient se distinguer des premières études sur l’audience qui étaient en grande partie des sondages d’opinion : l’esthétique du récepteur, la qualité du son qualité et de la réception, des émissions, des animateurs et journalistes, de la grille et de son rythme, des innovations... Comme à Médiamétrie, ce seront bien les termes d’« études d’audience » qui seront employés dans cet article.

la média-métrie et en l’occurrence sur la radio-métrie6. Cette politique commune de l’audience est d’autant plus difficile à obtenir que les acteurs de l’audience sont nombreux et ont des intérêts différents, voire contradictoires, en tout cas concurrentiels. Pourtant, il est important pour eux de parler le même langage (méthodologique, statistique, économique, juridique) pour négocier et contracter économiquement. En effet, contrairement aux résultats des autres types de sondages qui servent à analyser et prospecter, les résultats des études d’audience sont directement monétisables. Cela ne signifie pas pour autant que la métrique n’a pas d’importance et que ce qui compte est uniquement la volonté des financeurs de Médiamétrie. Médiamétrie ne cesse d’ailleurs pas de communiquer sur la scientificité de ses études. Mais cette métrique doit faire l’objet d’un consensus, ce qui tend à exclure le pluralisme qui peut toutefois largement s’exprimer dans les échanges préalables aux décisions.

Or, ce consensus n’existait pas avant la création de Médiamétrie, il n’a pas été facile à obtenir sous Médiamétrie, et il peut toujours être remis en question en fonction des rapports de force, des évolutions méthodologiques, techniques, scientifiques, sociétales... Ainsi, la « 55 000 » a été rendue possible par l’existence, déjà très ancienne, de la technologie téléphonique, mais surtout par la massification de son usage beaucoup plus récente. De même, la « 55 000 » n’aurait pas pu exister, ou aurait existé plus difficilement, sans les nouvelles technologies informatiques d’interview, de transmission et de traitement des données.

Il faut garder à l’esprit que chaque choix métrique a des effets sur les résultats finaux et favorise donc certains acteurs plutôt que d’autres :

- S’il était décidé que seuls les adultes seraient interrogés, cela favoriserait les radios s’adressant aux étudiants, actifs, chômeurs, retraités sans prendre en compte les scolaires alors que ceux-ci ne se bouchent pas les oreilles quand les adultes allument le poste de radio, que certaines radios s’adressent directement à ces catégories sociales et qu’ils ont une influence dans les dépenses des foyers.

- S’il était décidé que les personnes seraient interrogées en journée, cela favoriserait les retraités, les étudiants et les chômeurs au dépend des actifs et scolaires car ces derniers ne sont pas censés répondre à un institut de sondage en classe et pendant leur travail.

Dans cet article, nous allons essayer de faire état des conditions de possibilité d’une mesure d’audience radiométrique qui fait consensus chez les principaux acteurs du monde de la radio, ce consensus étant l’un des ingrédients principaux de la fabrication de cette audience.

Pour cela, nous proposons, dans un premier temps, de revenir sur ce qui existait avant Médiamétrie car Médiamétrie a été créé en réaction à ce qui a existé pendant 40 ans. Puis, nous verrons le modèle Médiamétrie. Enfin, nous verrons les caractéristiques de la « 55 000 ».

6 Nous utilisons le terme de « radiométrie » à propos des études d’audience de la radio (et non celles de la mesure des rayonnements). Cela permet de faire la distinction avec les études de l’audience de la télévision et avec la technique de l’« audimétrie ». A priori, on pourrait penser que les termes d’« audience » et d’« audimétrie » renvoient à la radiophonie. Mais, après la Seconde Guerre Mondiale, « les études sont réalisées le plus souvent en même temps sur la télévision et sur la radio » (SOUCHON Michel, « Histoire des indicateurs de l’audience », Quaderni, n°35, 1998) ce qui a pu induire des confusions à long terme. D’autant plus que les articles scientifiques ou professionnels publiés sur les audiences ont tendance à traiter aussi bien des audiences télévisuelles que radiophoniques. Aujourd’hui, le concept d’« audimétrie » est proche du terme d’« audimat » qui signifie, pour le grand public, « audience de la télévision » alors que Médiamétrie a remplacé le concept d’« audimat » par celui de « médiamat » en 1989 même si ce terme est aussi ambigu puisqu’il semble renvoyer à tous les médias. En revanche en Belgique, « Radiométrie 75 000 » est le nom d’un système de mesure via environ 31 000 interviews en face-à-face lancé par IP grâce au travail de Marketing Unit en 1991, c’est-à-dire au moment du lancement de la radio privée Bel RTL (CAUFRIEZ Philippe et LENTZEN Évelyne, « Trente ans de radio en Communauté française (1978-2008) », Courrier hebdomadaire du CRISP, n°2033-2034, 2009)

I Les origines de Médiamétrie

L’étude7 et donc la définition8 de l’audience en France est loin de commencer avec l’institut Médiamétrie qui est créé en 1985. Les radios privées existent dès 1923 et se financent rapidement par la publicité, donc l’audience devient un enjeu important, même si les questions d’audience sont d’abord des questions de bonne réception9 !

A) Les services publics de l’audience

Les radios dites d’Etat sont, après la Seconde Guerre mondiale, dans un régime à la fois publicitaire et concurrentiel (par rapport aux radios dites « périphériques » commerciales), contrairement aux télévisions dites d’Etat. Elles s’intéressent donc rapidement à leur audience10, même s’il y a eu des résistances sur les audiences quantitatives11. Le 7 C’est aux Etats-Unis, en 1930, que Crossley lance la première enquête sur l’audience à l’intention de l’Association of National Advertisers. A partir 1938, la BBC dispose d’un « Audience research department » qui réalise des enquêtes quotidiennes sur l’audience de la veille sur 2 500 personnes. Elle dispose aussi de panels : le « listening panel », complété par la suite, par le « viewing panel » qui appréciaient les programmes sur des carnets renvoyés en fin de semaine par la poste. Des groupes-tests sont lancés en 1935 pour mesurer les chances de réussite des émissions avant leur lancement grâce à des chercheurs comme Paul F. Lazarfeld (Radio and the printed page. An introduction to the study of radio and its role in the communication of ideas , Duell, Sloan, and Pearce, New York, 1940).8 « Chez les Anglo-saxons, le mot audience veut dire public : l’audience research concerne l’ensemble des travaux étudiant le public, par des sondages ou d’autres méthodes, pour compter les spectateurs ou les auditeurs, aussi bien que pour connaître d’autres aspects de leur comportement, de leur mode de vie, de leurs pratiques culturelles, etc. Chez nous, il est le plus souvent l’équivalent d’écoute : étudier l’audience, c’est dénombrer les personnes à l’écoute de telle émission, de telle chaîne pendant telle période ou telle tranche horaire, etc. (dans beaucoup de cas, il serait du reste préférable d’utiliser le terme d’auditoire plutôt que celui d’audience […]). » (SOUCHON Michel, « Histoire des indicateurs de l’audience », Quaderni, n°35, 1998, p94)9 Les courriers envoyés aux premières stations de radio sont « qualitatifs » et « techniques » : distance entre l’émetteur et le récepteur, qualité de la transmission et de la réception, appréciation des programmes… Ce type d’information était particulièrement nécessaire compte-tenu de la nouveauté technologique du média radio au niveau de la diffusion, de la production et a fortiori de la réception. Mais on est loin des études d’audience postérieures.10 C’est une différence importante avec la télévision : « En France, alors qu’il n’existait encore qu’une chaîne unique, les services qui s’occupaient du public (service des relations avec les auditeurs et spectateurs, études d’opinion) s’intéressaient avant tout à la satisfaction du public et à leur préférence. On s’intéressait à l’appréciation que le téléspectateur portait sur la télévision. On cherchait à connaître l’émission favorite, la popularité de certains animateurs, d’une figure nouvelle ou de vainqueurs de jeux télévisés grâce aux lettres envoyées en masse par les téléspectateurs. » (QUINET Aude, La qualité en télévision : Études préalables, conception et réalisation d’un qualimat de la télévision en Belgique francophone pour le magazine Télépro, Master en Information et Communication, à finalité spécialisée en journalisme, Université de Liège, Liège, 2013-2014, p29). Avant 1964, « [l]es premiers "sondeurs" de la télévision se veulent […] des éducateurs, plus que des machines à enregistrer » selon Jérôme Bourdon (« A la recherche du public ou vers l’indice exterminateur ? Une histoire de la mesure d’audience à la télévision française », Quaderni, n°35, 1998, p109). C’est en 1958 que la notion de « préférences » est supprimée des questionnaires d’enquête d’écoute car il y avait trop de différences avec le taux d’écoute : « En octobre 1952, sur la liste des dix émissions préférées, cinq sont produites par la RTF, mais aucune n’est citée dans les plus écoutées » (MEADEL Cécile, « Du développement des mesures d’audience radiophoniques », in Histoire des industries culturelles en France, Patrick Eveno et Jacques Marseille (sous la direction de), ADHE Editions, Paris, 2002, p414).11 Les responsables de la RTF étaient « hostiles aux simples sondages d’audience, perçus comme purement "commerciaux", incapables de livrer autre chose que les réactions immédiates des téléspectateurs et ne permettant donc pas de saisir, selon eux, des réactions "profondes" et "réfléchies" » (CHAMPAGNE Patrick, « La loi des grands nombres. Mesure de l’audience et représentation politique du public », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 101-102, mars 1994, p11). Voir : MEADEL Cécile, « Du développement des mesures d’audience radiophoniques », in Histoire des industries culturelles en France, Patrick Eveno et Jacques

« Service de liaison avec les auditeurs » est créé après la guerre et dirigé par Roger Veillé12, puis Jean Oulif13 à partir de 1950. Il gère le courrier des auditeurs, et une cellule d’enquête et de sondage radiophonique y est rattachée. Il prend le nom de « Service des relations avec les auditeurs » en juin 1946, donc la même année que la création de la Radiodiffusion Française (RDF). Il prend le nom de « Service des relations avec les auditeurs et téléspectateurs » en 1953. La cellule d’enquête et de sondage radiophonique est supprimée en 1948 pour des raisons économiques mais rétablie en 1954. Sa méthodologie s’appuie sur des visites à domicile, des questionnaires postaux, des sondages téléphoniques. Elle sous-traite des études à l’INSEE (des sondages consacrés à l’écoute radiophonique ont lieu en 1952 et 1961), l’IFOP-ETMAR, puis la Sofres.

En ce qui concerne les sondages téléphoniques, ils débutent, sous Jean Oulif, en 1954 avec 100 téléspectateurs interviewés par jour dans la région parisienne. Le problème est que ces études ne sont pas représentatives. Exemple, en 1968, seulement 15% des foyers disposent d’un téléphone (27% en agglomération parisienne). Donc à partir de février 1967, l’échantillon de foyers recrutés passe à 400, puis 1 200 en 1970 et 1 600 en 1972 alors que la publicité est autorisée à la télévision à partir du 1er octobre 1968 (d’abord sur la première chaine, puis sur la deuxième en 1971, puis FR-3 en 1983). Les foyers sont recrutés chaque semaine selon la méthode des quotas pour une durée de deux semaines. Les membres du foyer disposent d’un carnet sur lequel ils notent les émissions qu’ils regardent et leur intérêt puis l’envoient par la poste. Les feuilles sont traitées quotidiennement, ce qui permet d’obtenir des taux d’écoute et de satisfaction dans un délai d’une huitaine de jours.

B) L’IFOP-ETMAR

C’est en novembre 1949 que l’institut IFOP-ETMAR réalise, sous la direction d’Hélène Riffault, une première enquête périodique pour que les stations publiques et périphériques (Radio-Luxembourg, Radio Andorre, Europe N°1) ainsi que les publicitaires (Publicis, Elvinger, Dorland, Publi-Service…) puissent connaître les audiences14. Ce type d’enquête dure une semaine, une ou deux fois par an et porte sur 2 500 foyers possesseurs de radio qui doivent noter pendant deux jours consécutifs leurs différentes écoutes à différents moments de la journée (quart d’heure par quart d’heure). En 1961-1962, cette enquête est étendue à la télévision. En tout, cela fait 35 enquêtes en janvier 1963. Pour s’adapter au transistor et aux nouvelles pratiques, l’Etude n°36 de juin 1963 se fait non plus au niveau du foyer mais de l’individu, auprès d’un échantillon de 5 000 individus représentatif de la population de 15 ans ou plus à propos de l’écoute veille à domicile ou en dehors.

C) Le CESP

La Radiodiffusion-Télévision Française (RTF), créée en 1949, souscrit aux enquêtes du Centre d’Etude des Supports de Publicité (CESP15), créé en 1957 pour mesurer l’audience de la presse écrite. Son objectif est de mettre en commun des moyens financiers et de mener des réflexions méthodologiques en vue de réaliser des études incontestables sur les audiences

Marseille (sous la direction de), ADHE Editions, Paris, 2002, p40912 VEILLE Roger, La radio et les hommes, Editions de Minuit, Paris, 195213 OULIF Jean, « Le baromètre de l’écoute des émissions de l’ORTF », Journées d’études de l’IREP, mai 6914 DURAND Jacques, « Les sondages à la radio dans les années cinquante », in Les années cinquante à la radio et à la télévision (Journées d’études du 9 février 1990), Comité d’histoire de la radiodiffusion et de la télévision, novembre 199115 Centre d’Etude des Supports de Publicité, « Historique de la mesure d’audience »

des supports. Le CESP prend la succession de l’IFOP-ETMAR de 1968 à 1990. Le CESP est un organisme collégial interprofessionnel (presse quotidienne nationale, presse quotidienne régionale, presse magazine, radio, télévision) avec un statut d’association loi 1901 dont le conseil d’administration comprend une soixantaine de membres. Il vise d’une part un état exhaustif de la fréquentation des médias pour leur donner les moyens d’alimenter leurs propres politiques de programmation ou de contenus rédactionnels, et d’autre part fournir à leurs régies des arguments commerciaux fondés sur l’ampleur et la qualification de l’audience. Le CESP interroge transversalement en 3 ou 4 vagues par an entre 12 000 et 14 000 personnes en face à face et à domicile grâce à de la sous-traitance auprès des instituts de sondages16.

« La principale limite de cette enquête nationale est qu’elle ne donne que des photographies instantanées de l’audience et cela de façon relativement peu fréquente (trois vagues par an). Autre limite non négligeable, apparue avec le développement des RLP [radios locales privées] : sa faiblesse en ce qui concerne la mesure des audiences locales ou en cas de ciblage pointu. »17 Si les radios nationales peuvent s’en satisfaire, ce n’est pas le cas des annonceurs et publicitaires qui souhaitent des résultats plus réguliers et dénoncent « la dictature des diffuseurs »18. L’enquête sera donc abandonnée au moment du lancement de l’enquête « 55 000 » par Médiamétrie19.

Il faut dire que le CESP est critiqué depuis déjà plusieurs années et doit se réformer. En effet, jusqu’à 1984, chaque membre du conseil d’administration du CESP peut mettre un véto contre le lancement d’une nouvelle étude, tandis qu’il y a un déséquilibre entre le groupe des « utilisateurs » des études (agences de publicité et annonceurs) et celui des médias (presse, télévision, radio, affichage, cinéma) au profit de ces derniers20. A partir de 1984, c’est au conseil d’administration de définir comment chacun peut exploiter les études. Pour cela, le CA est assisté par un comité scientifique et par un « comité des sages » chargé de veiller au respect de la déontologie. Il est prévu de compléter ce projet par un règlement intérieur, de nouveaux statuts devant être présentés devant une assemblée générale extraordinaire. Enfin, les agences demandent :

- Une étude sérieuse de l’audimétrie télévision et peut-être radio, l’étude concernant l’écoute et l’audience de la télévision devant être entièrement repensée ;

- Un remaniement des études concernant la radio (en y incluant les stations locales) et l’affichage ;

- Une meilleure appréhension de la lecture de la presse (nouveaux titres, journaux gratuits, presse régionale...).21

A partir de 1990, le CESP abandonne la réalisation d’enquête d’audience et devient l’organisme interprofessionnel d’audit et de contrôle des études d’audience22.

16 MUGNIER Daniel, « Les panels d’audience du C.E.S.P. », Revue française du marketing, Cahier 74, 1978/317 MARTIN Sylvie, « L’audimétrie : un créneau déjà encombré », dossier « Les instituts d’études. Diversité ou confusion ? », réalisé par Sylvie Martin, Echo de la presse et de la publicité. Le magazine de la communication , n°1450, 28/04/86, p4218 CHAMPAGNE Patrick, « La loi des grands nombres. Mesure de l’audience et représentation politique du public », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 101-102, mars 1994, p1419 COJEAN Annick, « Les radios sous surveillance mensuelle », Le Monde, 24/04/8620 A. Ce., « Nouvel équilibre au CESP », Le Monde, 13/12/8421 A. Ce., « Nouvel équilibre au CESP », Le Monde, 13/12/8422 Dans le cadre de la mission qui lui a été confiée par l’interprofession des médias et de la publicité, le CESP contrôle de façon continue depuis janvier 1999 l’enquête « 75 000+ » de Médiamétrie devenue enquête « 126 000 » depuis janvier 2005, mais aussi les autres études Médiamétrie portant sur la radio : avec par exemple les audits de l’étude « Panel Radio » 2006-2007, de l’étude « 126 000 » de janvier-mars 2007, et la première étude « Audience des grilles Radio d’été » de 2006 de Médiamétrie.

D) Le CEO

En ce qui concerne spécifiquement l’étude de l’audience de l’audiovisuel public, la cellule d’enquête et de sondage radiophonique est remplacée par le « Service des études de marché » de l’ORTF le 18 septembre 1964, puis le « Service des études d’opinion » (SEO) le 15 octobre 1971. Il y a production d’une quantité de plus en plus importante de données chiffrées sur les audiences résultats quotidiens, rapports mensuels, rapports annuels, nombreuses études sur des sujets spécifiques... Les sociétés Cofremca, Secodip (société achetée par la Sofres en 1992), Sofres et IFOP partagent la gestion du panel quotidien des téléspectateurs de l’ORTF. Après la loi du 7 août 1974, le SEO devient le Centre d’études d’opinion (CEO) en 1975. Comme le « Service d’observation des programmes » (SOP)23, le CEO24 est maintenant rattaché au service juridique et technique de l’information (SJTI), qui relève lui-même des services du Premier ministre (le secrétariat d’état à l’information). Philippe Ragueneau est nommé directeur du CEO jusqu’à novembre 1982 où Jacques Durand, qui avait été nommé directeur adjoint, devient directeur « par intérim » puis est nommé directeur en 1983 jusqu’à la fin de l’année 198525. La méthodologie du CEO consiste, depuis 1967, à envoyer un questionnaire par voie postale à un panel de téléspectateurs (400 en 1967, 1 200 en 1970, 1 600 en 1976)26. Cela permet de toucher des personnes qui n’ont pas le téléphone, mais il faut attendre quatre semaines pour avoir les résultats27. Plusieurs changements méthodologiques apparaissent avec le CEO :

- Il s’agit maintenant d’évaluer la radio en plus de la télévision (la vidéo en 1981). - Il s’agit d’évaluer l’audience par quart d’heure et non plus par émission. - Il ne s’agit plus d’envoyer les feuilles d’écoute tous les jours mais deux fois par semaine. - La notation de l’intérêt, supprimée en 1975, est rétablie en 1976 à la demande des sociétés de

télévision, mais elle est remplacée à partir de 1980 par une note de satisfaction sur les programmes radios et TV.

23 Un service similaire au SOP existe déjà au temps de l’ORTF. Il étudie les programmes et utilise également des résultats d’audience élaborés par le CEO.24 Cette proximité entre le SOP, le CEO et le ministère est critiqué par les chaines : « Les chaînes s’irritent de voir contrôler leur audience par un organisme proche du Service d’observation des programmes (SOP), chargé de surveiller l’application des cahiers des charges. Elles hésitent à confier au CEO des études sur leur stratégie de programmes et préfèrent constituer leur propre service d’études. » (LACAN Jean-François, « Les instituts de mesure en question. La réforme du centre d’études et d’opinion », Le Monde, 13/12/84)25 Jacques Durand, docteur en sciences économiques, a d’abord travaillé dans le secteur privé au Centre d’études et de mesures de productivité, à la Compagnie générale d’organisation, à Publicis, à la Cofremca, à Auditel (Cofremca-Secodip) entre 1955 et 1972. Il a été embauché à l’ORTF en 1972 pour diriger le Service des études d’opinion. A la disparition de l’ORTF en 1974, il est nommé directeur adjoint du CEO, puis nommé directeur du CEO le 7 mars 1983 sous un contrat avec TDF. Il a été mis à la disposition d’abord du CEO, puis de Médiamétrie où il est directeur de la recherche et du développement jusqu’en 1990. Il a fini sa carrière comme chargé de mission à la présidence d’Antenne 2 – France Régions 3, membre du comité de prospective puis consultant de RFI jusqu’en 1997. (Pour consulter ses publications : http://jacques.durand.pagesperso-orange.fr/Site/bibliopf.htm. Pour une contextualisation de ses recherche et de l’émergence des études d’audience : SEGUR Céline, Les recherches sur les téléspectateurs en France. Émergence et ramifications d’un objet scientifique (1964-2004), Thèse de doctorat en sciences de l’information et de la communication, sous la direction de Jacques Walter, Université Paul Verlaine-Metz, 2006.)26 DURAND Jacques, « L’étude par panel du public de la radio-télévision française », Revue française du marketing, Cahier 74, 1978/3 ; DURAND Jacques, « Le panel du C.E.O. et la recherche publicitaire : mesure d’audience et contrôle des campagnes », in Les médias : Etudes, expériences et recherches actuelles (Séminaire « Médias » de l’I.R.E.P. octobre 1979), I.R.E.P., Paris, 1979.27 Le panel postal du CEO est critiqué : « Le panel postale classique a du retard et sa rédaction comporte de nombreuses erreurs. » (LACAN Jean-François, « Les instituts de mesure en question. La réforme du centre d’études et d’opinion », Le Monde, 13/12/84)

- L’échantillon de 1400 personnes est recruté au niveau individuel et non plus du foyer.- La durée de « panélisation » est de deux semaines en 1975, quatre en 1976, six en 1977, huit

en 1982, mais 12 semaines pendant l’été à partir de 1975.- Des questionnaires additionnels, portant sur des sujets divers, sont systématiquement insérés

dans les carnets d’écoute.28

Le CEO fournit aux pouvoirs publics le volume d’écoute des sociétés de programme issues de l’éclatement de l’ORTF et évalue la qualité de leurs programmes29. Conformément aux cahiers des charges des sociétés, ces informations doivent servir pour la répartition de la redevance. Elles sont donc transmises une fois par an à la Commission de répartition du produit de la redevance qui réunit cinq magistrats de la Cour des comptes et du Conseil d’Etat. Les sociétés de programme (les trois chaînes publiques de télévision et Radio France) sont dans l’obligation de verser au CEO une somme forfaitaire chaque année, principalement pour financer le panel. Pour chaque société, la somme atteint 2,5 millions de francs en 1975, et 5 millions de francs en 1985. Le CEO, qui réalise un millier d’études en 10 ans et qui ne peut pas donner les informations aux annonceurs, peut en revanche les vendre aux stations de radios privées30.

C) Le besoin de réforme

Ainsi, des organismes avec des statuts juridiques, des modèles économiques, des objectifs, des approches et des méthodologies31 différents fournissent des informations sur les audiences des radios (et la télévision). Le problème est que, sans surprise, les résultats ne sont pas les mêmes ce qui est problématique pour les acteurs de l’audience32. La création de Médiamétrie résoudra ce problème en choisissant l’enquête téléphonique pour la « 55 000 » radio et l’audimétrie33 pour le « panel Audimat » télé.

28 DURAND Jacques, « Les études sur l’audience de la radiotélévision », Quaderni, n°35, printemps 1998, p83-8429 DURAND Jacques, « La mesure de la qualité des programmes – Définitions du problème », Journées d’étude de l’IREP, novembre 197630 Europe 1, qui obtient des résultats favorables par ce panel utilise largement les données. En revanche, RTL y renonce en critiquant la fiabilité de la méthodologie. (DURAND Jacques, « Les études sur l’audience de la radiotélévision », Quaderni, n°35, printemps 1998, p85)31 Beaucoup de techniques d’enquêtes existent depuis longtemps : l’interview téléphonique avec Crossley en 1930, l’interview coïncidentale (qui consiste à appeler au téléphone un échantillon de personnes, et à leur demander si elles étaient en train d’écouter la radio dans les minutes précédentes, et si oui sur quelle station) et le journal d’écoute avec Hooper en 1934 et 1948, l’interview en face à face avec Pulse en 1941, l’audimètre en 1942 avec Arthur Nielsen qui inaugure une méthode d’analyse automatique des audiences (BEVILLE Hugh Malcom, Jr, Audience ratings - Radio, television, cable, Lawrence Erlbaum Associates, Hillsdale, 1985). Mais de nouveaux outils d’enquête sont expérimentés à cette époque : sondages par questionnaires administrés en face à face, sondages téléphoniques, panels, les interviews qualitatifs : interviews non directives, interviews papier-crayon, interviews de mémorisation, focus group, groupes projectifs, groupes de créativité…32 Par exemple l’IFOP-ETMAR et le CESP n’avaient pas la même définition de l’écoute. L’IFOP-ETMAR enregistre toute écoute déclarée quelle que soit la durée, tandis que le CESP prend en compte seulement les écoutes durant au moins 8 minutes. Il y a donc des écarts importants aux heures où l’écoute est brève et où il y a plus de « zapping », notamment de 7 à 9 heures du matin.33 « L’audimètre, aujourd’hui couramment utilisé dans le domaine de la télévision, a été d’abord utilisé, pendant près de vingt ans (de 1946 à 1964), pour mesurer l’audience de la radio. La miniaturisation et la diversification des récepteurs ont conduit à abandonner cette solution. » (DURAND Jacques, « Les audiences de la radio », Sociologie de la communication, vol. 1, n°1, 1997, p917). La première expérimentation d’audimétrie télévisuelle en France date de 1966 avec une première expérience de la société française CECODIS (Centre d’études de la consommation et de la distribution) via 50 appareils placés dans la zone de Télé-Luxembourg. Alors que les sociétés Sofres et Secodip proposent des solutions techniques depuis 1972 au CEO, le panel audimétrique pour la télévision est mis en place en 1982 par la société Secodip (alors que les sociétés Nielsen, Erim et Sema ont leurs

Mais le gouvernement hésite. Georges Fillioud, secrétaire d’Etat chargé des techniques de la communication, envisage de créer un établissement public, « véritable observatoire de la communication » lors de la conférence de presse du 1er mars 1984. Au moment où Philippe Ragueneau, directeur du CEO, quitte le CEO, Paul Florenson, directeur du SOP, propose de réunir les deux services sous sa direction. Les informaticiens y sont favorables, contrairement aux chargés d’études qui veulent que le CEO change de structure et de fonctionnement pour devenir un vrai organisme d’études, détaché des contraintes administratives34. C’est le choix du SJTI qui souhaite « doter le CEO d’une plus grande autonomie commerciale en la détachant de toute tutelle ministérielle pour le rendre aux acteurs professionnels : les diffuseurs publics et privés. Seul le SOP resterait sous tutelle et irait chercher auprès des radios locales privées, des réseaux câblés, et de Canal Plus un complément de financement pour étendre son activité de contrôle35 »36. Le Conseil d’Etat est consulté et considère en janvier 1984 qu’une telle création ne peut être réalisée que dans le cadre d’une loi. Un audit effectué à la demande de la tutelle en avril 1984 conclu que la fusion avec le SOP ne présente pas d’intérêt et propose de faire du CEO une filiale de l’Institut national de l’audiovisuel (INA)37 (qui obtiendra 18,92 % des parts de Médiamétrie).

propres propositions), et il est repris par la suite par Médiamétrie qui maintient la sous-traitance. Le nom « Audimat » a été déposé par la société Secodip, et le nom trouvé par Philippe Ragueneau (directeur du CEO) selon Jacques Durand (DURAND Jacques, « Les origines de Médiamétrie », interview réalisée par Marlène Duroux, 25 janvier 2005, http://jacques.durand.pagesperso-orange.fr/Site/Textes/t37.htm). Il existe deux types de solution technique : soit l’« audimat » fonctionne avec un audimètre placé sous le téléviseur d’un millier de particuliers avec l’inconvénient de ne pouvoir distinguer ni la qualité, ni la quantité des téléspectateurs présents. D’où un second procédé, élaboré par Thomson pour Secodip, de mesure d’audience faisant appel à la bonne volonté des téléspectateurs de l’échantillon (comme en Allemagne depuis 1975). On leur demande de presser des boutons pour manifester leur présence et indiquer les programmes regardés (« Le projet mondial de Télémétric », Entreprendre, n°27, janvier 1989). Le système enregistre le fonctionnement des récepteurs de 650 foyers recrutés en 1981 sur la base des participants au panel du CEO sans informations sur qui et combien de personnes du foyer regardent, mais avec des tableaux d’audience par minute, par quart d’heures, par tranches horaires et par émission. L’« Audimat » est alors uniquement exploité par les chaînes de télévision (d’abord réticentes puis très intéressées) et la Régie française de publicité (RFP). Les audiences ne sont pas fournies au marché, même si le CEO élabore un projet de GIE en septembre 1981 en vue de la commercialisation (DURAND Jacques, « Les études sur l’audience de la radiotélévision », Quaderni, n°35, printemps 1998, p87-88). Donc cet instrument est de plus en plus critiqué et voici ce que dit Jean-François Lacan en 1984 : « Le système automatique de mesure d’audience (Audimat), mis en place en 1982, donne deux ans plus tard des signes d’essoufflement. Les petites boites noires associées aux récepteurs d’un échantillon de spectateurs tombent en panne et Thomson tarde à les réparer. Elles ne sont plus que quatre cents en juin dernier, ce qui rend les taux d’audience très peu fiables. » (LACAN Jean-François, « Les instituts de mesure en question. La réforme du centre d’études et d’opinion », Le Monde, 13/12/84). Il y a un nouvel appel d’offre en avril 1984 remporté à nouveau par SECODIP (contre AGB, ERIM racheté par Nielsen et SEMA) qui utilise cette fois l’audimètre de la société Bertin et qui est destiné à 1 000 foyers. Jacqueline Aglietta annonce en mai 1985 un passage à 1 000 foyers (« La Sofres et Nielsen s’associent pour mesure l’audience de la télévision », Le Monde, 30/05/85). Médiamétrie remplace la mesure passive par un nouvel audimètre en 1988 : un boitier audimètre du type « à bouton poussoir ». Ce dernier a l’atout de permettre d’appréhender l’audience au niveau individuel. Il prend en compte les ouvertures et fermetures de postes, les changements de chaînes d’un téléviseur de chaque individu composant le foyer. Le panel Audimat est appelé Médiamat en 1989, et le nombre de foyers passe à 2 300. Le « compteur » audimétrique est maintenant le modèle dominant de la mesure d’audience en télévision. 34 DURAND Jacques, « Les origines de Médiamétrie », interview réalisée par Marlène Duroux, 25 janvier 2005, http://jacques.durand.pagesperso-orange.fr/Site/Textes/t37.htm35 L’Assemblée nationale adopte le 5 décembre 1984 le principe d’une cotisation de l’audiovisuel privé en financement du SOP, avec plafond de 1 500 Francs pour les radios locales, de 1,5 millions de Francs pour Canal Plus et de 100 000 pour les réseaux câblés. (LACAN Jean-François, « Les instituts de mesure en question. La réforme du centre d’études et d’opinion », Le Monde, 13/12/84)36 LACAN Jean-François, « Les instituts de mesure en question. La réforme du centre d’études et d’opinion », Le Monde, 13/12/8437 « Réussir la conversion du CEO en opérant un redéploiement de ses activités et une réallocation de ses ressources », Mission A.B.C., avril 1984.

Finalement, le projet est rendu public en décembre 1984 pour « améliorer rapidement [l]es prestations et […] les commercialiser plus rapidement »38 : il s’agit de transformer le CEO en société anonyme de droit privé dont le capital serait majoritairement contrôlé par l’Etat et les sociétés de l’audiovisuel public, mais aussi en partie par les « diffuseurs publics ou semi-publics »39 (donc avec une participation minoritaire de 20% des acteurs privés40). Selon le journaliste Jean-François Lacan, « Il s’agit de faire vite : l’ensemble du secteur de l’audiovisuel souffre d’une crise de confiance dans un instrument qui régule directement son équilibre économique. Il ne patientera pas plus longtemps. »41 Ce sera Médiamétrie qui va se superposer sur le CEO pendant un temps car il faut clôturer l’année du CEO, en particulier pour encaisser les contributions des sociétés de programme.

Ci-dessous un tableau de Jacques Durand récapitulant chronologiquement les outils qui ont été utilisés pour mesurer l’audience de la radio et de la télévision en France depuis 194942 :

Chronologie des mesures d’audience de la radio-télévision Enquêtes périodiques Enquêtes quotidiennes Audimétrie

1949-1953

IFOP-ETMAREnquête périodique1 ou 2 vagues par anaudience foyersaudience radio par ¼ h2.500 foyers

1954-1967

IFOP-ETMAR : idem- depuis 1962 : audience radio et télévision depuis1963 : audience individuelle5.000 individus

RTF / ORTFSondages téléphoniquesrégion parisienneaudience individuelletélévision par émissions100 interviews par jour

1968-1974 CESPEnquête radio-télévisionaudience individuelleradio et télévision par ¼ h2 à 4 vagues par an12.000 interviews par an

ORTFPanel quotidienaudience individuelletélévision par émissions400 à 1.600 répondants

1975-1984 CESP : idem

CEO Panel quotidienaudience individuelleradio et télévision par ¼ h1.000 répondants

CEO (depuis 1981)Panel Audimataudience foyerstélévision par minutes650 foyers

38 LACAN Jean-François, « Les instituts de mesure en question. La réforme du centre d’études et d’opinion », Le Monde, 13/12/8439 LACAN Jean-François, « Les instituts de mesure en question. La réforme du centre d’études et d’opinion », Le Monde, 13/12/8440 Ce sera 15% au final : 5% pour RTL, 5% pour Europe 1 et 5% pour RMC.41 LACAN Jean-François, « Les instituts de mesure en question. La réforme du centre d’études et d’opinion », Le Monde, 13/12/8442 DURAND Jacques, « Les études sur l’audience de la radiotélévision », Quaderni, n°35, printemps 1998, annexe

1985-1989

CESP : idem

Médiamétrie Enquête téléphoniqueaudience individuelleradio et télévision par ¼ h55.000 interviews par an(36.000 en 1989)

MédiamétriePanel Audimataudience foyerstélévision par minutes1.000 foyers

depuis 1990 CESPEtudes budget-tempset multi-médias1989-90 : 20.000 interviews1991-92 : 18.000 interviews

Médiamétrie Enquête téléphoniqueaudience individuelleradio par ¼ h75.000 interviews par an

MédiamétriePanel Médiamataudience individuelletélévision par minutes2.300 foyers

II L’arrivée de Médiamétrie :

Médiamétrie43 est une entreprise interprofessionnelle qui mesure l’audience et étudie les médias audiovisuels et interactifs en France et à l’international : la télévision et la radio dans un premier temps, puis le cinéma, internet et les nouveaux médias.

A) Le contexte

Médiamétrie remplace44 le CEO en juin 1985 après une décision prise depuis 1983 par les pouvoirs publics pour des raisons à la fois politiques et techniques. La situation de ce nouvel organisme n’est pas facile car il s’agit de la première privatisation d’un service de l’État en une société anonyme « dont le capital serait majoritairement détenu par l’Etat et les sociétés du secteur public audiovisuel » avec une participation minoritaire des partenaires privés. D’autre part, cette privatisation se passe sous un gouvernement socialiste, celui de Laurent Fabius.

43 Grâce à 320 collaborateurs en équivalent plein-temps, Médiamétrie réalise un chiffre d’affaires de 36,2 millions d’euros en 2002 pour 600 clients, plus de 30.000 panélistes, près de 600.000 interviews téléphoniques par an (BOURBOULON François, « La mesure d’audience est comme une monnaie commune : elle doit être unique, reconnue et crédible » (entretien avec Jacqueline Aglietta), Journal du net, 18/04/2003, http://www.journaldunet.com/itws/it_aglietta.shtml). Médiamétrie réalise un chiffre d’affaires de 38 M€ pour un effectif de 324 personnes en 2004, de 40, 2 millions d’euros pour un effectif de 353 personnes en 2005, de plus de 43 M€ pour un effectif de 353 personnes en 2006, de 47 M€ un effectif de 350 personnes en 2007, 82,4 M€ en 2014 (Médiamétrie, « 126 000 Radio », novembre-décembre 2015). A la création de Médiamétrie, ce chiffre d’affaire était de 40 MF (MAUDUIT Jean, Le roman vrai de la mesure d’audience, Médiamétrie, Levallois Perret, 2005, p91). Mais en octobre 1985, le chiffre d’affaires de 150 millions de Francs est annoncé pour 142 salariés. Pour donner une idée des revenus de Médiamétrie, l’abonnement à Médiamétrie annuel pour une chaine de télévision est de 10 millions de Francs en 1989 (CHAMPAGNE Patrick, « La loi des grands nombres. Mesure de l’audience et représentation politique du public », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 101-102, mars 1994), la « 126 000 Radio » coûte par station « entre 70 000 et 150 000 euros par an » (SIGNOURET Muriel, « Dans les coulisses de l’audience radio », Stratégies, n°1478, 22/11/2007).44 Médiamétrie s’installe même dans les locaux du CEO au 9 rue Boissy-d’Anglas dans 8ème arrondissement de Paris. Par la suite, Médiamétrie ira rue du Colisée puis à Levallois. En ce qui concerne les appels téléphoniques, que Médiamétrie souhaite cesser de sous-traiter, ils sont d’abord installés en 1989 au Kremlin-Bicêtre pour 150 000 appels par an, puis décentralisés à Amiens (dans le centre « MC2 ») pour obtenir 400 000 appels par an. Jusqu’en 1992, la collecte des données pour les enquêtes de Médiamétrie était entièrement sous-traitée, y compris l’outil informatique confié au sous-traitant SSII (filiale de la Société Générale) de Médiamétrie SG2 (MAUDUIT Jean, Le roman vrai de la mesure d’audience, Médiamétrie, Levallois Perret, 2005, p90-91).

Médiamétrie, qui a à sa tête Jacqueline Aglietta, connaît donc plusieurs difficultés dans les premières années de son existence :

- Une résistance interne avec des salariés et syndicats qui refusent la privatisation, ce qui conduit une partie des employés du CEO à faire partie de Médiamétrie avec des contrats de droit privé et l’autre partie à partir pour la Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL) où les salariés du SOP sont partis.

- Le CESP lui fait de l’ombre en publiant les résultats issus de la vague d’étude sur l’audience des stations de radio et des chaines de télévision d’octobre-novembre 1985 qui a porté sur 4 488 personnes représentatives des 15 ans et plus (soit 40 300 000 personnes le premier janvier 1985) grâce à des interviews qui ont eu lieu du 13 octobre au 19 novembre avec interruption de l’enquête du 27 octobre au 5 novembre inclus et du 9 au 12 novembre inclus45. Une autre étude est publiée le 13 mars 1986 à propos d’un échantillon de 4 358 personnes interviewées entre le 7 janvier et le 5 février 1986. Le CESP prévoit de mettre « au point une méthodologie plus aigüe, et plus rigoureuse de l’audience individuelle »46.

- Dans un article intitulé « L’audimétrie : un créneau déjà encombré » de Sylvie Martin dans Echo de la presse et de la publicité. Le magazine de la communication en 1986, la journaliste critique « un certain gaspillage de ressources (les études mesurent souvent les mêmes phénomènes), qui peut conduire à des incohérences, des contradictions47, voire des abus. Dans tous les cas, la situation est des plus confuses pour les agences et les annonceurs et constitue une cause d’erreur pour la répartition des investissements publicitaires. »48 Sylvie Martin espère donc une régulation du marché : « Il reste à espérer que, dans les mois à venir, les règles du jeu soient enfin fixées et permettent une rationalisation de la mesure des médias audiovisuels. »49 Il n’y aura pas de régulation légale des institutions publiques mais autorégulation du marché via son oligopolisation, ou plutôt sa monopolisation, et l’accord de la grande majorité des acteurs audiovisuels intéressés par l’audience.

- L’Association des agences-conseils en publicité (AACP ; le syndicat professionnel des agences de publicité), qui deviendra l’Association des agences-conseils en communication (AACC), ne croit pas à la privatisation du CEO à long terme et donc à sa crédibilité et son indépendance. Jacques Bille, qui dirige l’AACP à

45 « Audience des stations de radio et des chaines de télévision selon la vague d’étude CESP d’octobre-novembre 1985 », Echo de la presse et de la publicité. Le magazine de la communication, n°1434, 23-30/12/85, p6946 Echo de la presse et de la publicité. Le magazine de la communication, n°1446, 31/03/86, p4247 Sylvie Martin fait référence à une étude d’IPSOS sur les radios locales privées « dont les résultats ne concordaient pas toujours avec ceux d’une enquête IFOP/Sofres » qui était une étude annualisée en 1986 qui portait sur les agglomérations de plus de 200 000 habitants via 10 000 interviews. (MARTIN Sylvie, « L’audimétrie : un créneau déjà encombré », dossier « Les instituts d’études. Diversité ou confusion ? », réalisé par Sylvie Martin, Echo de la presse et de la publicité. Le magazine de la communication , n°1450, 28/04/86, p42). Une étude IFOP/Sofres est publiée en juin 1985 où on peut voir la large domination de NRJ dès 6 heures du matin sur ERT et Europe 1 en ce qui concerne l’audience par ¼ d’heure en pénétration chez les 15/34 ans de la région parisienne. On peut voir aussi que NRJ domine RTL et Europe 1 à partir de 17h-18h dans les agglomérations de Nantes (IFOP/Sofres juin 1985), du Havre (IFOP/Sofres juin 1985) et de Lyon (Sofres octobre 1985) en ce qui concerne l’ensemble de la population (Echo de la presse et de la publicité. Le magazine de la communication, n°1452, 19/05/86, p24).48 MARTIN Sylvie, « L’audimétrie : un créneau déjà encombré », dossier « Les instituts d’études. Diversité ou confusion ? », réalisé par Sylvie Martin, Echo de la presse et de la publicité. Le magazine de la communication , n°1450, 28/04/86, p43.49 MARTIN Sylvie, « L’audimétrie : un créneau déjà encombré », dossier « Les instituts d’études. Diversité ou confusion ? », réalisé par Sylvie Martin, Echo de la presse et de la publicité. Le magazine de la communication , n°1450, 28/04/86, p43.

cette époque, dit le 10 avril 1985 qu’il souhaite une audimétrie privée car les pouvoirs publics refusent de s’engager formellement à fournir à la profession publicitaire des informations satisfaisantes issues de l’audimétrie gérée par le service public au sein du CEO50. Le syndicat demande donc à l’institut Nielsen de créer un nouveau panel51. Ainsi, dès mai 1985 une étude Sofres/Nielsen est annoncée pour septembre 1985 avec un panel de 200 foyers équipés de boitier audimétriques et un panel de 2 000 foyers avec carnets d’écoute transmis par télématique quotidiennement pour toute la France52. Mais il n’obtiendra pas les financements nécessaires, notamment parce que les chaines publiques ne suivent pas. L’alliance Sofres/Nielsen est aussi en lice quand le CESP lance un appel d’offre en octobre 1985.

- Comme Médiamétrie, l’IFOP est en lice pour l’appel d’offre du CESP grâce à une association avec la société britannique AGB qui utilise l’audimètre à bouton-poussoir en Grande Bretagne, Allemagne et Italie53.

- IFOP et Sofres publient les résultats d’un sondage en juillet 1985 réalisé entre le 21 mai et le 15 juin 1985 auprès d’un échantillon de 1 500 personnes de 15 ans ou plus à Lyon54.

- Le Canard enchainé critique la représentativité géographique des études de Médiamétrie dès septembre 1985 : « Des départements entiers ont été rayés de la carte par Médiamétrie et des bourgades comme Clermont-Ferrand, Mulhouse, Ajaccio etc. sont inconnus »55.

- IPSOS réalise un sondage sur un échantillon de 2 007 personnes d’Ile-de-France âgées de 12 ans et plus via des interviews en face-à-face entre le 11 et le 15 mars 198656.

- Il existe des études ponctuelles et régionales comme celles de l’institut « Konso. Institut d’études de consommateurs et d’analyses sociales »57 qui réalise, par ailleurs, une enquête quotidienne par téléphone sur l’audience et l’appréciation des programmes de télévision sur 300 personnes et dont les résultats sont publiés par Le Figaro et France-Soir.

- Médiamétrie doit s’adapter aux nouveaux besoins en termes de mesure d’audience nés des mutations du paysage audiovisuel :

- développement des radios privées, - développement de la bande FM58, - privatisation d’Europe 1,- privatisation de la première chaîne, - création de Canal,

50 « Le Centre d’études d’opinion devient Médiamétrie », Le Monde, 12/04/85 Jacqueline Aglietta répond que son souci est « de faire en sorte que la nouvelle société soit en mesure de correspondre aux besoins de la profession » (« Les premiers pas de Médiatrie » [sans doute une coquille], Presse actualité, n°193, mai 1985, p10).51 BOISSON Gilles, « L’audimétrie : comparaison Médiamétrie-Nielsen », in Les médias, expériences et recherches (Séminaire « Médias » de l’I.R.E.P. de décembre 1986), I.R.E.P., Paris, 198752 « La Sofres et Nielsen s’associent pour mesure l’audience de la télévision », Le Monde, 30/05/8553 MARTIN Sylvie, « L’audimétrie : un créneau déjà encombré », dossier « Les instituts d’études. Diversité ou confusion ? », réalisé par Sylvie Martin, Echo de la presse et de la publicité. Le magazine de la communication , n°1450, 28/04/86, p43.54 Echo de la presse et de la publicité. Le magazine de la communication, n°1429, 18/11/85, p6055 « Querelles autour d’un panel entre "le Canard enchainé" et Médiamétrie », Le Monde, 03/09/8756 Echo de la presse et de la publicité. Le magazine de la communication, n°1452, 19/05/86, p3357 Sylvie Martin, « L’audimétrie : un créneau déjà encombré », dossier « Les instituts d’études. Diversité ou confusion ? », réalisé par Sylvie Martin, Echo de la presse et de la publicité. Le magazine de la communication , n°1450, 28/04/86, p4358 La modulation de fréquence a dépassé la moitié de l’écoute globale en 1978 aux États-Unis, et en 1988 en France (Concerto Études, La radio en direct de Concert Media, Concerto Media, Neuilly, février 1991).

- lancement de la Cinq et de la Six… - Les instituts de sondage souhaitent reprendre la maitrise de la mesure

d’audience en 1986 quand Jacques Chirac devient Premier ministre. Plus tard, ils tentent de faire partie des actionnaires59.

- Philippe Ramond, directeur délégué de la 5, dit en 1987 que le panel de Médiamétrie est « périmé », les résultats « partiels, voire partiaux » et les méthodes « inadaptées »60.

- Hachette, qui souhaite acquérir TF1, a aussi des velléités de prise de contrôle de Médiamétrie61.

- La nouvelle directrice du CESP, Corinne Fabre, lance un appel d’offre pour constituer un nouveau panel audimétrique avec le soutien des publicitaires et de Bochko Givadinovitch, PDG de la Régie française de publicité de la chaine de télévision publique TF1. AGB, filiale du groupe Maxwell, remporte l’appel d’offre, mais Patrick Le Lay annonce que TF1 ne va pas s’associer au projet62.

- Les stations de radio se plaignent de la méthodologie de Médiamétrie : Europe 1 à cause de la diminution de son audience dans les années 199063, Voltage en 199664, NRJ et Skyrock pour que les préadolescents soient pris en compte65. Plus tard, Skyrock pour les 11-12 ans.

B) Les acteurs

Pour que Médiamétrie fasse consensus quant à son fonctionnement et sa méthodologie, tous ceux qui avaient vocation à l’utiliser, à l’exception des publicitaires, et qui ont des moyens économiques suffisamment importants ont été associés à son fonctionnement et à son capital. Donc, il y a des représentants de :

- TF1 (qui n’est pas encore privatisée) : Antoine de Tarlé, - Antenne 2 : Pierre Wiehn, - FR3 : Joseph Barbedienne, - Radio France : Monique Sauvage, - Europe 1 : Jean-Robert Parturier, - RMC : Jacques Braun, - l’INA66 : Michel Berthod, - la Régie française de publicité : Jeanne Labrousse,- l’Etat (qui participe encore au capital) : Francis Brun-Buisson.

Il manque donc des acteurs majeurs. A cette époque, la CLT/RTL pensait obtenir la cinquième chaîne. Mais quand Silvio Berlusconi l’a obtenue, le groupe a arrêté ses

59 MAUDUIT Jean, Le roman vrai de la mesure d’audience, Médiamétrie, Levallois Perret, 2005, p48-5060 « Querelles autour d’un panel entre "le Canard enchainé" et Médiamétrie », Le Monde, 03/09/8761 MAUDUIT Jean, Le roman vrai de la mesure d’audience, Médiamétrie, Levallois Perret, 2005, p50-5262 MAUDUIT Jean, Le roman vrai de la mesure d’audience, Médiamétrie, Levallois Perret, 2005, p52-5563 MAUDUIT Jean, Le roman vrai de la mesure d’audience, Médiamétrie, Levallois Perret, 2005, p8464 MAUDUIT Jean, Le roman vrai de la mesure d’audience, Médiamétrie, Levallois Perret, 2005, p9665 MAUDUIT Jean, Le roman vrai de la mesure d’audience, Médiamétrie, Levallois Perret, 2005, p117-11866 En 1988, l’INA conserve 2,79% de ses actions (MAUDUIT Jean, Le roman vrai de la mesure d’audience, Médiamétrie, Levallois Perret, 2005, p61). Jusqu’en 1987, l’INA est le plus gros actionnaire de Médiamétrie avec un tiers des actions. Son président, Jacques Pomonti, souhaitait que devienne une filiale (MEADEL Cécile, « Jacqueline Aglietta, présidente de Médiamétrie » (entretien de Cécile Méadel avec Jacqueline Aglietta), Le Temps des médias, n°3, 2004/2).

investissements en France, y compris son entrée dans le capital de Médiamétrie67. C’est pour cela que le capital est fixé à 930 000 francs au lieu d’un million : il manque les 70 000 francs de RTL. Il manque aussi Canal qui a souhaité travailler avec la Sofres (avec un panel télématique68) compte-tenu de sa programmation spécifique. Il manque aussi les nouveaux acteurs radiophoniques privés comme NRJ dont l’audience est déjà loin d’être négligeable69.

Ces organismes ont le statut d’actionnaire et se rencontrent au sein de cette instance pour s’accorder sur des instruments permettant de mesurer l’évolution des médias déjà existant et l’émergence des nouveaux médias. En effet, à partir des « données de base » des premières études, Jacqueline Aglietta « souhaite multiplier les outils complémentaires » :

« baromètres des chaines, des émissions, observations qualitatives sur les comportements des auditeurs et téléspectateurs, études sur les nouveaux médias et la télématique »70

Voici la distribution du capital telle qu’elle est publiée en février 1985 dans le mensuel Presse actualité :

- 05,00 % pour l’Etat,- 17,60 % pour l’INA,- 15,00 % pour Radio France,- 10,00 % pour TF1,- 10,00 % pour A2,- 10,00 % pour FR3,- 05,00 % pour RFO,- 15,00 % pour RFP,- 05,00 % pour RTL,- 05,00 % pour RMC,- 05,00 % pour Europe 171.

Rappelons que la RFP (Régie Française de Publicité) gère alors la publicité de TF1, Antenne 2, FR3 et Radio France, que RMC appartient à hauteur de 83.34%72 à la Sofirad (jusqu’en 1998), de même pour Europe 1 (jusqu’au 3 avril 1986). Donc s’il y a privatisation, la propriété des parts continue d’être directement ou indirectement publique. En tout cas, en février, il n’est pas encore question de changement de nom, mais d’un changement de statut juridique.

Voici la distribution du capital telle qu’elle est publiée dans Le Monde en avril 1985 :

- 00,43% pour Jacqueline Aglietta,- 05,38% pour l’Etat,- 18,92% pour l’INA,- 16,13% pour Radio France,

67 Il faudra donc attendre la fin de La Cinq en 1992 pour que Médiamétrie obtienne le monopole de l’audience télévisuelle en France.68 « La Sofres et Nielsen s’associent pour mesure l’audience de la télévision », Le Monde, 30/05/8569 Voir ci-dessous et l’article de Jacques Durand sur les audiences des « radios libres » (« Les enquêtes sur les "radios libres" réalisées par le Centre d’études d’opinion », in Thierry Lefebvre et Sebastien Poulain (sous la direction de), Radios libres, 30 ans de FM : la parole libérée ?, INA/L’Harmattan, collection « Les Médias en actes », Brie-sur-Marne/Paris, 2016).70 « Le Centre d’études d’opinion devient Médiamétrie », Le Monde, 12/04/8571 « Changement de statut pour le CEO », Presse Actualité, n°190, février 1985, p1272 « Le point sur la privatisation des entreprises de communication », Echo de la presse et de la publicité. Le magazine de la communication, n°1450, 28/04/86, p60

- 10,75% pour TF1,- 10,75% pour A2,- 10,75% pour FR3,- 16,13% pour RFP,- 05,38% pour RMC,- 05,38% pour Europe 173.

Compte-tenu des changements dans la distribution du capital et des acteurs détenant du capital entre les deux dates, il y a eu renégociations. En effet, il y a eu le départ de RFO (la société de radiodiffusion et de télévision française pour l’outre-mer) et de RTL, et l’arrivée de Jacqueline Aglietta. Les autres acteurs se partagent, dans cette nouvelle distribution de mai, le capital similaire à la proportion de capital telle qu’elle avait été distribuée et publiée en février.

En 1988, l’Etat retire sa participation, et s’ajoutent les publicitaires et deux nouvelles chaines de télévision. Le capital de Médiamétrie est redistribué en trois parties :

- 35% pour les télévisions : TF1, A2, FR3, Canal, la Cinquième, - 27% pour les radios : Radio France, Europe 1, RMC et RTL (un peu plus

tard),- 35% pour les annonceurs, agences conseils et centrales d’achats : L’Union

des Annonceurs, Carat France, DDB Needham, FCB, Havas Advertising, Publicis.74

En 2016, le capital de Médiamétrie (930 000 €) est distribué de la même façon :

- 35% pour les télévisions : 10,80% pour TF1, 1,40%, pour Canal +, 22,89% pour France télévisions,

- 27% pour les radios : 13,5% pour Radio France, 5,4% pour Europe 1, 5,4% pour RMC et 2,7% pour Bayard d’Antin - RTL,

- 35% pour les annonceurs, agences conseils et centrales d’achats : 11,77% pour l’Union des Annonceurs, 6,7% pour Publicis conseil, 6,7% pour Havas, 1,62% DDB Groupe France, 6,7% pour Aegis Média France,

- 3% pour l’INA et d’autres actionnaires non précisés.75

III Présentation de la « 55 000 »

Un des premiers objectifs de Médiamétrie est de monter un système d’enquêtes téléphoniques permettant d’analyser régulièrement les audiences radio et télévision au niveau régional pour mieux connaître le public des stations décentralisées de Radio France et de France 376. C’est la « 55 000 ».

En octobre 1986, Jacqueline Aglietta fait une présentation du « panel Audimat » et de la « 55 000 » aux Journées d’études en statistiques organisées par l’Association pour la statistique et ses utilisations (ASU) qui ont lieu au Centre International de Rencontres Mathématiques (C.I.R.M.) sur le campus de Luminy à Marseille. Cette présentation donnera

73 « Le Centre d’études d’opinion devient Médiamétrie », Le Monde, 12/04/8574 MAUDUIT Jean, Le roman vrai de la mesure d’audience, Médiamétrie, Levallois Perret, 2005, p5875 https://www.mediametrie.fr/mediametrie/pages/capital-et-actionnaires.php?p=10,88,86&page=26 On voit qu’il n’y a pas de place pour des représentants de l’audience, d’associations, des petits opérateurs, des chercheurs, des consultants... et que l’INA a perdu beaucoup de son poids malgré son importance dans le domaine de la recherche.76 MAUDUIT Jean, Le roman vrai de la mesure d’audience, Médiamétrie, Levallois Perret, 2005, p82

lieu à un article intitulé « Les sondages dans l’Audiovisuel » dans l’ouvrage Les Sondages dirigé par Jean-Jacques Droesbeke, Bernard Fichet et Philippe Tassi (membre de l’Association pour la Statistique et ses Utilisations-ASU et de Société Française de Statistique-SFdS), et publié en 198777. C’est la première d’une longue lignée d’interventions scientifiques de Médiamétrie78.

A) L’échantillon

La « 55 000 », imaginée par Dominique Scaglia79, consiste en 55 000 interviews téléphoniques80 par an (car 5 500 interviews par mois et aucune interview en juillet et août). Cela fait 185 interviews par jour contre 250 pour la « 75 000 »81 (créée en 199082), 400 pour la « 126 000 » (créée en 200583).

Les personnes interviewées doivent répondre à certaines conditions :77 AGLIETTA Jacqueline, « Les sondages dans l’Audiovisuel », in Jean-Jacques Droesbeke, Bernard Fichet et Philippe Tassi (sous la direction de), Les Sondages, Economica, Paris, 198778 Médiamétrie comptabilise plus de 70 publications écrites entre 1985 et 2005 à l’Institut de Recherche et d’Etudes Publicitaires (IREP), à l’European Society for Opinion and Market Research (ESOMAR), dans des colloques mathématiques ou statistiques nationaux ou internationaux, en articles ou en livres (http://www.mediametrie.fr/carrieres/pages/les-publications-scientifiques-de-1987-a-1996.php?p=7%2C120&page=73). Jacques Durand, décédé en 2015, a publié de nombreux articles dans les Cahiers d’histoire de la radiodiffusion et a participé à des colloques du GRER. En mai 1985, il représente Médiamétrie dans un colloque organisé par le Comité pour l’information dans la presse dans l’enseignement (CIPE) qui a lieu les 13 et 14 mai à la Cité universitaire internationale de Paris et où des enseignants, des sociologues, des éducateurs, des professionnels de la presse et des jeunes s’interrogent sur l’indifférence des jeunes vis-à-vis de la presse écrite (« Tribunes », Le Monde, 13/05/85). Les investissements que Médiamétrie consacre « à la recherche et au développement représente 10% de [son] chiffre d’affaires » (AGLIETTA Jacqueline, « Discours de clôture par Madame Jacqueline Aglietta, Président-Directeur Général de Médiamétrie », Médiamétrie Les Rencontres 2006, Palais Brongniart, Paris, jeudi 2 mars 2006, p4). Ce chiffre est régulièrement donné par des représentants de Médiamétrie car avec la privatisation du CEO, Médiamétrie n’est plus financé par une cotisation annuelle mais par des ventes d’études ce qui précarise l’institut. Donc l’aspect « commercial » passe devant l’aspect « recherche ». Or, l’aspect « recherche » est nécessaire pour légitimer l’aspect « commercial » (DURAND Jacques, « Le rôle des sondages dans le domaine de l’audiovisuel », Communication et langages, n°67, 1986, p108).79 MAUDUIT Jean, Le roman vrai de la mesure d’audience, Médiamétrie, Levallois Perret, 2005, p47. Dominique Scaglia a connu Jacqueline Aglietta à la Sofres, il vient de Nielsen.80 L’acceptation par la communauté scientifique du recueil de données par interview téléphone date du milieu des années 1960 aux Etats-Unis. Or, selon l’INSEE, 9,3% des ménages disposent d’un téléphone en 1964, 50% en 1978 et 92% en 1988 (FREJEAN Michel, PANZANI Jean-Pierre et TASSI Philippe, « Les ménages inscrits en liste rouge et les enquêtes par téléphone », Journal de la Société de Statistique de Paris, vol.131, n°3-4, 1990, p86-87). La précision d’un sondage n’est pas lié à la taille de la population cible mais au nombre de personnes interrogées. Plus on interroge de personnes, plus le résultat est précis. Les chiffres fournis sont susceptibles de varier dans des intervalles de confiance. Les intervalles de confiance sont des intervalles fixés à l’avance en fonction du niveau de confiance souhaité. Les valeurs réelles recherchées doivent s’y situer. La longueur de l’intervalle peut varier selon l’importance de l’échantillon. Pour un intervalle de confiance de 95 %, les marges d’erreur sont : d’environ 10 points quand on interroge 100 personnes ; d’environ 3 points quand on interroge 1 000 personnes ; d’environ 1 point quand on interroge 10 000 personnes. Cela signifie que le résultat que l’on aurait obtenu si on avait interrogé l’ensemble de la population de référence a 95 % de chance de se situer dans un intervalle se situant entre le résultat de l’étude - marge d’erreur et résultat de l’étude + marge d’erreur. Ainsi, au delà d’un certain nombre de personnes interrogées, le gain de précision ne justifie plus d’interroger d’autres.81 La « 75 000 » devient la « 75 000 + » en janvier 1999 du fait de certaines améliorations : le recueil porte désormais sur l’audience des dernières 24h00 et non plus sur l’audience de la veille, la précision passe du quart au demi-quart d’heure, et l’enquête comprend aussi des questions sur l’audience de la TV, la fréquentation du cinéma et l’équipement TV du foyer.82 En 1989, elle devient pour peu de temps la 36 000 du fait d’un manque de budget selon Arnaud de Saint-Roman, interrogé à Radio 2.0 le 13 octobre 2015.83 Médiamétrie décide de prendre en compte les 50 000 interviews de l’étude « Médialocales ».

- elles doivent avoir au moins 15 ans (contre 13 ans aujourd’hui84). Il y a une sous- représentation des 65 ans et plus et une sur-représentation des individus âgés de 15 à 64 ans.

- elles doivent habiter en France métropolitaine85. Tous les départements doivent être représentés sur une semaine et toutes les régions sur une journée. Dans chaque région, le tirage des numéros de téléphone est systématique et s’appuie sur l’annuaire. C’est ce qui est appelé l’équipartition spatiale.

- elles doivent appartenir à des ménages « ordinaires ». Médiamétrie fait la distinction entre les ménages « ordinaires » et les ménages « collectifs » qui sont « rarement maitres de leurs achats et de leurs comportements »86. Les entreprises, administrations, associations sont exclues.

- elles ne doivent pas travailler de près ou de loin dans les médias. - elles ne doivent pas être interrogées à nouveau pendant cinq ans87.- elles doivent être bénévoles88.

84 En 2002, le Comité Radio de Médiamétrie décide, sur proposition des radios qui ciblent les jeunes comme NRJ (qui souhaite l’âge de 10 ans) ou Skyrock, d’intégrer à la mesure d’audience du média radio, les jeunes auditeurs à compter de l’âge de 13 ans alors qu’il portait jusqu’ici sur les 15 ans et plus. Pour comparaison, l’âge qui est pris en compte par le Médiamat pour la télévision est depuis 1993 de 4 ans (6 ans auparavant). Or, on « sait depuis toujours que la radio est aussi un média de jeunes, voire de très jeunes et que les prendre en compte relève du simple bon sens. » (MAUDUIT Jean, Le roman vrai de la mesure d’audience, Médiamétrie, Levallois Perret, 2005, p117) Il s’agissait de « déterminer l’âge à partir duquel un individu peut valablement être interviewé par téléphone sur son écoute radio » (MAUDUIT Jean, Le roman vrai de la mesure d’audience, Médiamétrie, Levallois Perret, 2005, p118). Après des investigations, la consultation d’experts et des rapports de force au sein de Médiamétrie (principalement entre RTL et NRJ), il est décidé que l’âge sera celle de « l’entrée au collège, qui marque la sortie de l’univers de l’enfance » (Idem, p118), même si l’entrée au collège se fait avant 13 ans. Le résultat de ce changement de méthodologie apparaît dès l’automne 2002 : NRJ dépasse RTL en audience cumulée, et les radios généralistes vont commencer à valoriser d’autres indicateurs d’audience (« durée d’écoute par auditeur », « part d’audience », « Quart d’Heure Moyen » (« moyenne des audiences moyennes par quart d’heure sur une tranche horaire donnée. » (CESP, Mesurer l’audience des médias. Du recueil des données au média-planning, Dunod, Paris, 2002, p107)), une plus grande attention des auditeurs envers l’information qu’envers la musique). En 2007, Skyrock, qui a une audience plus jeune que celle de NRJ, demande à Médiamétrie de prendre en compte l’audience des personnes âgées de 11 et 12 ans dans la « 126 000 ». En effet, selon une étude que Skyrock a commandée à l’institut CSA, Skyrock est écoutée quotidiennement par 389 424 auditeurs âgés de 8 à 12 ans, dont 36% ont 11 et 12 ans ce qui ferait passer Skyrock devant Europe 1 en termes d’audience et la ferait devenir deuxième radio musicale des 13 ans et plus au niveau national et première musicale sur l’Ile-de-France. L’étude a été faite dans 134 agglomérations situées en France métropolitaine et correspondant à la zone de diffusion de Skyrock sur un panel de 304 enfants. Les enfants ont été interrogés, après autorisation de leurs parents ou tuteurs, sur cinq jours, selon une cadence quotidienne de 60 interviews, afin d’obtenir des résultats du lundi au vendredi (LARROCHELLE Jean-Jacques, « Skyrock demande un nouveau calcul des audiences radio », Le Monde, 01/11/07). Sur la réception des « radios jeunes » par les jeunes : GLEVAREC Hervé, Libre antenne : La réception de la radio par les adolescents, Armand Colin, Paris, 2005.85 Initialement, seules les personnes se déclarant de nationalité française étaient interrogées. Mais le CESP a incité Médiamétrie à prendre en compte les étrangers.86 AGLIETTA Jacqueline, « Les sondages dans l’Audiovisuel », in Jean-Jacques Droesbeke, Bernard Fichet et Philippe Tassi (sous la direction de), Les Sondages, Economica, Paris, 1987, p25287 SIGNOURET Muriel, « Dans les coulisses de l’audience radio », Stratégies, n°1478, 22/11/2007, p14.88 La question de la rémunération des personnes interrogées se pose en matière de sondage car répondre à un sondage demande du temps et de la réflexion selon une procédure contraignante. De plus, elle fait fonctionner toute une économie ce qui fait que la valeur économique des réponses données est mesurable. Si les personnes étaient rémunérées, leurs réponses seraient-elles fondamentalement différentes, en sachant que les méthodologies prévoient de toute façon des techniques de vérification de la parole de la personne interrogée (en posant à plusieurs reprises une question sur un même sujet pour vérifier s’il y a des contradictions). Par ailleurs, la rémunération existe pour les personnes qui participent à des études de marché et d’opinion (PIQUARD Alexandre, « Polémique autour de la rémunération des sondés sur Internet », Le Monde, 08/03/2011

D’un point de vue sociodémographique et économique, des quotas89 sont mis en place par sexe, âge et « activité » car il existe « des individus qui ont une propension plus grande que d’autres à répondre au téléphone »90.

L’« enquêteur » dispose donc des profils de personnes à interviewer. Si la personne qui décroche le téléphone ne correspond pas au profil, l’enquêteur demande si une personne du foyer y correspond.

Une distinction est faite entre l’audience « lundi-vendredi » et celle de « samedi-dimanche ». Mais cette distinction va devenir insuffisante compte-tenu de l’évolution de la société. Elle va donc être critiquée car elle ignore :

« des phénomènes importants comme les périodes de vacances scolaires, les "ponts" et jours fériés, les périodes d’actualité très spécifiques (événements sportifs, politiques...) qui sont ainsi diluées dans la moyenne. Cela devient d’autant plus problématique que l’instauration des 35 heures, entre autres phénomènes, a modifié profondément le rapport au temps et la façon de prendre des congés ou de gérer sa semaine, ce qui n’est pas sans influence sur l’écoute de la radio, très liée aux activités de la journée. »91

http://www.lemonde.fr/politique/article/2011/03/08/polemique-autour-de-la-remuneration-des-sondes-sur-internet_1489900_823448.html#LiBff0pWbEIZYbSM.99). Aujourd’hui c’est la question de la rémunération des activités numériques qui se pose car ces dernières se situent dans un contexte et un écosystème économique où les actions des internautes ont une valeur économique (CARDON Dominique et CASILLI Antonio, Qu’est-ce que le Digital Labor ?, INA, Bry-sur-Marne, 2015).89 La méthode d’échantillonnage choisie par Médiamétrie est celle des quotas. Contrairement aux méthodes aléatoires, elle ne suppose pas d’avoir la liste exhaustive de l’ensemble de la population de référence. La méthode des quotas n’a besoin que des informations sur les caractéristiques socio-démographiques de cette population. Il s’agit donc d’abord de « choisir » les quotas. Cela consiste d’abord à déterminer les caractéristiques dont il paraît raisonnable de penser qu’elles influencent le plus les résultats de l’étude. En pratique, les quotas les plus utilisés sont l’âge, le sexe et la catégorie socioprofessionnelle. Par la suite, il suffit de connaître la répartition de la population par catégorie pour les variables de contrôle ou quotas choisis à partir des bases de données de l’INSEE : répartition par sexe, entre catégories socioprofessionnelles, entre tranches d’âge. L’échantillon de personnes interrogées devra alors respecter cette répartition. Selon Jacques-François Fournols (directeur exécutif chargé des ressources et des opérations chez Médiamétrie) en 2007, « Il faut en moyenne sept appels avant de tomber sur la bonne personne. » La bonne personne qui correspond au quota exigé à un moment donné. Et l'équipe des enquêteurs continue d’interroger les auditeurs jusqu’à ce que les quotas exigés le jour en question soient remplis. (SIGNOURET Muriel, « Dans les coulisses de l’audience radio », Stratégies, n°1478, 22/11/2007, p14.)90 AGLIETTA Jacqueline, « Les sondages dans l’Audiovisuel », in Jean-Jacques Droesbeke, Bernard Fichet et Philippe Tassi (sous la direction de), Les Sondages, Economica, Paris, 1987, p25391 CHEVREUX Marie-Dominique, « La radio pionnière », Hermès, n°37, 2003

Donc, à partir de juillet 2006, le « Comité92 Radio »93 de Médiamétrie décidera de prendre en compte les « Jours de Moindre Activité »94 (JMA) c’est-à-dire les jours où le « taux d’activité »95 est inférieur à 55% pour pouvoir mieux comparer les résultats des différentes périodes d’étude. Ainsi, les « lundi-vendredi » deviennent les « Lundi-Vendredi d’activité ». Il s’agit de tendre vers l’équipartition temporelle qui nécessite de faire des enquêtes sur de longues périodes pour limiter le poids des événements conjoncturels dans les résultats : une campagne de publicité d’une radio, un événement d’actualité important…

B) L’interview

Les interviews sont réalisées par téléphone96. Médiamétrie prend la conduite d’un tiers de ses études et laisse le reste aux instituts ISL (Institut de sondage Lavialle) et BVA97. La durée moyenne est, dans les premiers temps de l’enquête, de 14 minutes98. Grâce au système

92 Les comités spécialisés (Audimétrie (1988), Radio (1989), Cinéma (1993), Câble-Satellite (1995), Métridom (1997), internet (2000)) se réunissent « tous les trois mois environ pour chaque média » (BOURBOULON François, « La mesure d’audience est comme une monnaie commune : elle doit être unique, reconnue et crédible » (entretien avec Jacqueline Aglietta), Journal du net, 18/04/2003, http://www.journaldunet.com/itws/it_aglietta.shtml). Ils sont « chargés d’approuver pour chaque, les procédures d’étude et tout ce qui s’y rapporte : méthodologie, taille des échantillons, définition des cibles, communication des résultats, etc. » (MAUDUIT Jean, Le roman vrai de la mesure d’audience, Médiamétrie, Levallois Perret, 2005, p80). Mais selon Jacqueline Aglietta, ils ont un rôle proche de celui d’un conseil d’administration : « Nous avons des comités, qui fonctionnent comme des conseils d’administration. Ce ne sont pas des réunions techniques, mais plutôt stratégiques et politiques. » (BOURBOULON François, « La mesure d’audience est comme une monnaie commune : elle doit être unique, reconnue et crédible » (entretien avec Jacqueline Aglietta), Journal du net, 18/04/2003, http://www.journaldunet.com/itws/it_aglietta.shtml) Sous Jacqueline Aglietta, Médiamétrie est organisé en fonction des grands médias, mais lorsque Bruno Chetaille (ex-PDG de TDF) lui succède en 2007 (GARRIGOS Raphaël et ROBERTS Isabelle, « Ne l’appelez plus Médiamétrie », Libération, 08/07/2006), il met en place une direction des mesures d’audience, une direction performance et cross-média et une direction Eurodata TV.93 En 2005, le « Comité Radio » comprend Lagardère Active, Radio France, les stations indépendantes de catégorie B, NRJ Group, RMC, RTL Group et Skyrock pour les groupes et les stations de radio, et Union Des Annonceurs avec 3 représentants, Publicis, Havas, Carat et DDB pour les annonceurs et publicitaires. En 2016, il se compose de 15 membres, représentant les groupes et les stations de radio (Lagardère Active, Radio France, NRJ Group, RMC NEXTRADIOTV, RTL Group, Stations B, Skyrock) et les annonceurs et publicitaires (Union Des Annonceurs avec 3 représentants, Publicis, Havas, Carat Expert et DDB) et Médiamétrie. Le « Comité Radio » s'appuie par ailleurs sur une instance technique, la Commission Scientifique et Technique Radio. (http://www.mediametrie.fr/mediametrie/pages/le-comite-radio.php?p=10,88,90&page=43) La composition du « Comité Radio » se distingue donc de celle des actionnaires qui comprend seulement Radio France, Europe 1, RMC et RTL en ce qui concerne les radios.94 « Evolutions majeures du dispositif de mesure d’audience de la Radio », Communiqué de presse radio de Médiamétrie, Levallois, le 27 juin 2006. Cette évolution tient compte de l’arrivée de la réduction du temps de travail (RTT) due au 35h par semaine.95 Le taux d’activité est la part des actifs occupés ayant exercé leur activité professionnelle le jour même de l’interview. Médiamétrie donne ce taux hors « Jours de Moindre Activité » en le calculant en fonction du nombre de jours de semaine de la vague, du nombre de jours fériés, du nombre de jours de vacances scolaires et du nombre de « Jours de Moindre Activité ».96 En 2007, à Amiens, c’est une centaine d’enquêteurs, composés pour l’essentiel d’étudiants, de femmes au foyer ou de retraités qui réalisent les interviews (SIGNOURET Muriel, « Dans les coulisses de l’audience radio », Stratégies, n°1478, 22/11/2007, p14).97 « Le Centre d’études d’opinion devient Médiamétrie », Le Monde, 12/04/8598 Arnaud de Saint Roman, Odile Le Moal et René Saal font référence à 24 minutes d’interview en 1995 avec des questions sur la radio, puis sur la télévision, puis sur le cinéma (« Diary vs Recall : Médiamétrie complementary approach for measuring radio audience », 1st Esomar Radio Research Symposium, European Society for Opinion and Marketing Research, Paris, 1995, p1). En 2007, Jacques-François Fournols, directeur exécutif chargé des ressources et des opérations chez Médiamétrie, fait référence à des interviews qui peuvent « durer plus d’une

CATI99 (Computer Assisted Telephone Interview), chaque enquêteur dispose d’un ordinateur qui lui permet de faire défiler les questions sur l’écran et d’entrer les réponses fournies. La mise en place du système CATI coïncide avec la fondation de Médiamétrie puisqu’elle date de 1985. CATI est une plateforme logistique en réseau de postes d’appels pilotés de manière centralisée100 qui permet de gérer plusieurs dizaines de milliers de carnets de panélistes pour l’émission des appels et le stockage des réponses. Cette procédure d’interviews téléphoniques assistées par ordinateur donne la possibilité :

- de vérifier la cohérence des réponses, - d’appeler et rappeler automatiquement les interviewés (en cas d’absence), - de contrôler les quotas au fur et à mesure, - de garantir la fiabilité technique de l’utilisation du questionnaire101

(déroulement, aiguillage), - d’avoir une saisie en continu des interviews, - de gérer les fichiers des adresses en temps réel, - de contrôler les enquêteurs (les chefs d’équipe peuvent écouter les interviews

sans que les enquêteurs le sachent, même s’ils savent qu’ils peuvent être écoutés à tout moment),

- d’utiliser des classements à plus de cinq items.102

A l’époque où l’entreprise Médiamétrie est créée, les interviews par téléphone sont rares par rapport aux enquêtes dans la rue (les « enquêtes-piétons »). Les refus de répondre sont donc moins nombreux qu’aujourd’hui. Il faut appeler 2,5 numéros pour obtenir une réponse en sachant que chaque numéro est appelé 4 fois avant la tentative sur un autre numéro103. Selon Jacqueline Aglietta, en 1987, le taux d’acceptation est de 40% contre 10% pour les enquêtes à domicile104.

heure, selon la prolixité de l’interlocuteur » (SIGNOURET Muriel, « Dans les coulisses de l’audience radio », Stratégies, n°1478, 22/11/2007, p14).99 Livre blanc. Réussir la mise en place d’un système CATI, Soft Concept, Lyon, http://www.soft-concept.com/files/pdf/livreblanccati.pdf 100 Contrairement aux réseaux de micro-ordinateurs d’entreprises qui sont constitués d’ordinateurs personnels qui partagent des ressources à travers un serveur de fichiers et d’impressions.101 Exemple de question : « Dites-moi si, en semaine, du lundi au vendredi, vous avez l’habitude d’écouter telle station tous les jours, presque tous les jours, une ou deux fois par semaine, moins souvent ou jamais ». Du fait de l’arrivée de nouvelles technologies de réception, cette question a été précisée en septembre 2003 par : « Je vous demanderai de me citer toutes vos écoutes de la radio, que ce soit via la télévision, Internet, sur un baladeur, sur un téléphone mobile ou, bien entendu, sur un poste de radio et quel que soit le lieu d’écoute, chez vous, au travail ou ailleurs. » En avril 2007 une nouvelle phrase d’introduction remplace l’ancienne. Ainsi, sont énumérés explicitement tous les modes d’écoute et en particulier le téléphone mobile et le baladeur radio, dûment nommés : « Nous allons maintenant parler de ce que vous avez écouté aujourd’hui à la radio. Je vais vous demander de me citer toutes vos écoutes de la radio, que ce soit via la télévision, via internet, sur un téléphone mobile, sur un baladeur radio, et bien entendu sur un poste radio, quel que soit le lieu de ces écoutes, chez vous, en voiture, au travail ou ailleurs ». Les nouveaux modes d’écoute sont donc pris en compte, mais ils ne sont pas détaillés au niveau du recueil ni donc de la production des résultats. En effet, cela rendrait nécessaire d’explorer l’audience quart d’heure par quart d’heure et par mode d’écoute, d’où un allongement sensible du questionnaire et un renchérissement non négligeable du coût de l’étude.102 Le système peut être utilisé autant pour l’étude des audiences que par les entreprises souhaitant tester leurs campagnes publicitaires, leurs projets, leurs prix, leurs produits, mesurer la fidélité, les intentions d’achat et la satisfaction des clients et qualifier leurs fichiers de contacts.103 En 2007, « Il faut en moyenne sept appels avant de tomber sur la bonne personne », selon Jacques-François Fournols, directeur exécutif chargé des ressources et des opérations chez Médiamétrie (SIGNOURET Muriel, « Dans les coulisses de l’audience radio », Stratégies, n°1478, 22/11/2007, p14).104 AGLIETTA Jacqueline, « Les sondages dans l’Audiovisuel », in Jean-Jacques Droesbeke, Bernard Fichet et Philippe Tassi (sous la direction de), Les Sondages, Economica, Paris, 1987, p253. Dans les années 2000, le taux de réponse, qui est selon le CESP « en baisse constante » (LEROI Thibault, « Médiamétrie – L’audit du CESP »,

Les interviews ont lieu le soir sur 3 heures en fin d’après-midi de 17h30 à 20h30105, y compris le dimanche et les jours fériés. Il s’agit d’atteindre au domicile toutes les personnes du foyer et notamment toutes les catégories socio-professionnelles106.

Les personnes sont interviewées sur leur écoute la veille107 de la radio, mais pas seulement :

- La radio : notoriété des stations, habitudes d’écoute, écoute de la veille détaillée.

- La télévision : habitudes d’écoute, écoute de la veille détaillée108.- Le magnétoscope : écoute de la veille détaillée.

RadioActu.com, 16/07/2001, http://www.radioactu.com/actualites-radio/2117/mediametrie-l-audit-du-cesp/#.VkYEUtIvfMw), est d’environ 15 %. En 2015, à l’occasion du lancement en janvier 2014 d’un nouveau dispositif de mesure des équipements multimédia (l’enquête « Home Devices »), des salariés de Médiamétrie ont communiqué sur les stratégies mises en place par Médiamétrie pour « pallier la baisse du taux de réponse à [ses] enquêtes » expliqué par « l’essor des nouvelles formes et moyens de communication, à la multiplicité des modes de contact, et à la sur-sollicitation des enquêtés ». Depuis l’origine, il s’agit d’améliorer le CATI (Computer Assisted telephone Interviewing) qui a un taux de transformation (rapport entre le nombre de répondants à l’enquête et le nombre de recrutés quel que soit le mode de recueil) de 16% au 1er appel et de 72% au bout de 15 appels et plus. Mais il s’agit aussi aujourd’hui d’améliorer le CAWI (Computer Assisted Web Interviewing) dont le taux de transformation est de 51% à l’envoi du questionnaire et 51% à l’envoi du questionnaire en ligne et de 68% au bout de la 4ème relance. Le CATI et le CAWI font suite à une prise de contact (un « recrutement téléphonique ») et un accord pour un entretien téléphonique ou un questionnaire auto-administré en ligne. La non réponse est liée à l’âge et à l’appartenance géographique pour le CATI, et au « contact enquêteur », à l’« activité du répondant » pour le CAWI. Pour améliorer le taux de réponse via le CATI, il s’agit d’améliorer les formations des enquêteurs, le ciblage des relances, le guide d’accompagnement ainsi que le questionnaire. Pour le CAWI, il s’agit de mettre en place des questionnaires utilisables sur les téléphones mobiles, un enquêteur virtuel pour aider à la compréhension et au remplissage du questionnaire, ou encore d’introduire des paradonnées dans les analyses pour mieux qualifier la non réponse. Enfin, les deux modalités de recueil que sont le CATI et le CAWI doivent être utilisés de façon complémentaire car ils n’atteignent pas les mêmes personnes (SENAUX Magalie et VANHEUVERZWYN Aurélie, « L’utilisation du multimode pour faire face aux problèmes de couverture et à la baisse des taux de réponse », Actes des Journées de Méthodologie Statistique de l’Insee du 31/03-02/04/2015, 2015, http://jms.insee.fr/files/documents/2015/S24_1_ACTE_V1_SENAUX_JMS2015.PDF). Lire aussi : BRIGNIER Jean-Marie et DUPONT Françoise, « Taux de réponse et qualité tel des enquêtes téléphoniques : Les enseignements des études d’audience de la Presse Quotidienne d’IPSOS et de l’étude d’audience radio et cinéma de Médiamétrie », Décisions Marketing, n°38, avril-juin 2005105 En 1992, les interviews sont réalisées entre 18h00 et 21h00 (TASSI Philippe, « La qualité dans les enquêtes téléphoniques : l’échantillon des répondants », in Ludovic Lebart (sous la direction de), La qualité de l’information dans les enquêtes, Dunod, Paris, 1992, p34).106 A partir de la vague de septembre-octobre 2003, Médiamétrie prendra en compte les Sans Téléphone Fixe ou Exclusifs du Téléphone Mobile.107 A partir de janvier 1999, Médiamétrie interroge sur l’écoute du jour (depuis l’heure de la première écoute jusqu’à l’heure de l’interview) puis l’écoute de la veille. Les questions sur l’écoute du jour et de la veille de la « 126 000 » favorisent en partie les radios des auditeurs réguliers, c’est-à-dire les radios ayant des « programmes de flux » ou présentant des « grilles horizontales » qui ont les mêmes programmes quotidiens. C’est l’exemple des « matinales » des radios dites « généralistes » car l’animateur est le même pendant cinq jours de suite et l’organisation de l’émission quasiment identique. Elles peuvent défavoriser les « radios de rendez-vous » présentant des « grilles verticales » dans lesquelles les émissions, thèmes, animateurs, invités changent chaque jour, semaine, voire mois (c’est le cas dans les radios associatives ou de France Culture dans une moindre mesure). En effet, plus une émission est diffusée régulièrement, plus il y aura de chance qu’une personne déclare l’avoir écoutée dans les dernières 24h. C’est une différence importante avec le média télévision où certains programmes changent chaque jour, notamment ceux du soir, ce qui oblige les chaines à annoncer à plusieurs reprises les rendez-vous pour que le téléspectateur puisse mémoriser. Mais la télévision dispose du panel audimétrique qui permet d’avoir des chiffres précis sur la réussite des programmes. D’où l’existence de l’étude « Panel radio » qui permet d’augmenter la possibilité qu’un auditeur déclare avoir écouté une émission régulière mais aussi irrégulière. Par ailleurs, les personnes sont interrogées sur leur écoute sur 24 heures, mais le communiqué de presse de Médiamétrie, donne des statistiques sur l’écoute de 5h du matin à minuit. Les radios abonnées à Médiamétrie ont bien tous les chiffres, mais les journalistes, les spécialistes de radio et le grand

- L’équipement audiovisuel du foyer.- Les caractéristiques socio-démographiques « classiques ».

Avant d’être envoyées dans un centre de traitement, les données recueillies sont contrôlées en interne (en moyenne cinq contrôles effectués en interne en 2007109) et en externe par le CESP.

L’enquêté actifIl faut se rappeler de cette dimension active d’une déclaration d’une personne interrogée par Médiamétrie., comme on peut le voir dans l’interview d’un sondeur en 1973 : « L’espoir de toute personne interrogée, comme de toute personne qui interroge, est d’être simplement utile. Combien de téléspectateurs ai-je entendu - satisfaits d’avoir été interrogés - espérer que "cela servirait à quelque chose" et combien de fois l’ai-je souhaité moi-même ? »110. Comme dans des études de marché, des sondages, des tests, des élections politiques, une personne, qui déclare avoir été en contact avec une radio, sait, jusqu’à un certain degré, que cette déclaration est performative111. Elle sait que les médias, les annonceurs, les publicitaires, le « grand public » seront au courant de ses déclarations (agrégées à d’autres) et que ces derniers mettront en place des politiques programmatiques (divertissantes, sociales, politiques, publicitaires…) à partir de ces déclarations. L’audience, telle qu’elle est définie par Médiamétrie, n’est donc pas purement passive, contrairement à ce qui peut être dit dans des critiques qui sont parfois faites par des sociologues des médias et qui opposent l’audience passive au public actif. Le public actif pouvant alors être vu comme « collectivité spirituelle »112. Or, les personnes qui forment l’audience, telle qu’elle est définie par Médiamétrie, peuvent être conscientes de participer à la construction de cette audience et être conscientes de leurs responsabilités médiatiques, sociales, économiques, politiques. Et cette conscience peut influencer la manière de déclarer les pratiques, voire le contenu des déclarations elles-mêmes. On se souvient du concept de « spirale du silence » en politique qui consiste à limiter l’expression de certaine opinions en public de peur d’être mal vu dans son milieu social113. On pourrait aussi l’imaginer dans les pratiques médiatiques. Ainsi, des personnes pourraient éviter de déclarer des écoutes peu légitimes suivant les critères de la personne qui déclare : des magazines people, des petites radios, des radios diffusant des

public n’est au courant que d’une partie (la « partie émergée de l’iceberg » selon l’expression d’Arnaud de Saint-Roman). Si les radios se fondent sur les résultats publics, cela peut éventuellement les inciter à faire des économies en matière de production entre minuit et 5h, alors qu’il existe des catégories de population qui écoutent la radio la nuit (agents de sécurité, taxis, ouvriers, étudiants, retraités, malades, insomniaques...) et que la nuit permet d’élaborer des programmes différents (BECCARELLI Marine, Les nuits du bout des ondes : Introduction à l’histoire de la radio nocturne en France, 1945-2013, INA, Brie-sur-Marne, 2014) et de constituer d’autres formes d’écoute (Pour Claude Sorbets, « la non-connaissance du nombre des auditeurs est presque une donnée du jeu ! » (« Ecouter la radio la nuit : écoute en veilleuse ou écoute éveilleuse ? », in Jean-Jacques Cheval (sous la direction de), Audiences, publics et pratiques radiophoniques, Pessac, 2005, p158). Au final, l’audience est faible entre minuit et 5h, donc il y a très peu de production inédite en direct. Soit il s’agit de programmes enregistrés à faible coût, soit il s’agit de rediffusions.108 Il existe si peu de télévisions à l’époque qu’elles sont considérées comme bien connues. Il n’y a donc pas de question de notoriété.109 SIGNOURET Muriel, « Dans les coulisses de l’audience radio », Stratégies, n°1478, 22/11/2007, p14110 COTTIN Georges, « Un "sondeur" raconte », Le Monde, 29 avril 1973111 AUSTIN John Langshaw, How to do Things with Words : The William James Lectures delivered at Harvard University in 1955, Ed. Urmson, Oxford, 1962112 TARDE Gabriel, L’opinion et la foule, PUF, Paris, 1981 [1901]) ou « communauté imaginée » (PASQUIER Dominique, La culture des sentiments. L’expérience télévisuelle des adolescents, Ed. M.S.H., Paris, 1999 ; CHALVON-DEMERSAY Sabine, « La confusion des sentiments. Une enquête sur la série télévisée Urgences », Réseaux, n°95, 1999113 NOELLE-NEUMANN Elisabeth, « The spiral of silence : a theory of public opinion », Journal of Communication, 24, 1974

opinions opposées ou extrêmes. Certains auditeurs de Radio Ici et Maintenant particulièrement intéressés par les complots et les extraterrestres m’ont expliqué qu’ils ont renoncé à s’exprimer sur ces sujets dans certains milieux sociaux qu’ils fréquentent. C’est le cas d’un enseignant en art plastique qui m’a expliqué, lors de mon travail de recherche de thèse de doctorat, qu’il avait arrêté de parler de ce type de sujet lorsqu’il rencontrait certains amis, notamment ceux ayant la même profession que lui ou étant de la même catégorie socioprofessionnelle114. On pourrait aussi imaginer qu’une personne puisse déclarer écouter certaines émissions plus qu’elle ne le fait réellement du fait de ses affinités électives, voire militantes. La distinction entre les audiences et les publics n’est donc pas si évidente comme l’affirme Sonia Livingstone « dans les sociétés de la modernité tardive d’Europe et d’ailleurs, la distinction entre audience et public est de plus en plus difficile à établir, du fait de l’imbrication de plus en plus profonde des médias dans tous les aspects de la société. »115. La conscience des effets des déclarations d’audience a sans doute évolué selon le contexte historique : Patrick Champagne rappelle un « faible taux de réponses, malgré une forte mobilisation, parce que les gens interrogés ne croyaient pas alors que ce type d’enquête, inhabituel à l’époque, puisse servir à quelque chose »116. Récemment, Médiamétrie a dû vérifier une partie de ses interviews concernant l’audience de Fun Radio et par effet domino toutes les audiences radiophoniques. En effet, le CESP a révélé le 14 juin 2016 que l’animateur Bruno Guillon avait demandé à ses auditeurs de mentir à Médiamétrie dans le cas où ils seraient interrogés : « 6 ou 7 fois, entre septembre et décembre » selon Tristan Jurgensen, directeur de Fun Radio117, mais « 106 messages à l’antenne de Fun Radio entre le 11 février 2015 et le 15 juin 2016 » d’après une « pige » - opération consistant manuellement ou automatiquement à recenser l'ensemble des messages publicitaires ou émissions diffusés durant une période de pige via des systèmes complexes de reconnaissance - de Médiamétrie118. Les auditeurs étaient incités à déclarer écouter cette radio alors qu’ils n’écoutaient pas cette radio ou pas la radio du tout. Or, Fun Radio a obtenu 6,5% d’audience cumulée en avril-juin 2015, 7,1% à la rentrée 2015, 7,3% en novembre-décembre 2015, 7,5% en janvier-mars 2016 et se rapprochait ou dépassait donc Skyrock, France Bleu, France Info, RMC... C’est ainsi que NRJ, Lagardère, Next Radio, Les Indés et Skyrock ont accusé Fun Radio de gonfler son audience119. Tristan Jurgensen a répondu en accusant notamment ses concurrent de vouloir « casser le thermomètre » et de prendre cette affaire comme prétexte pour précipiter la fin de la « 126 000 » et favoriser le passage à la « mesure passive » particulièrement utile pour mesurer l’audience hors du domicile, donc de favoriser les médias comme RMC ou BFMTV120. Médiamétrie a constaté que Fun Radio n’avait pas respecté une clause de son contrat selon laquelle la station « s’interdit tout acte et toute initiative ayant pour objet ou susceptible d’avoir pour effet, directement ou indirectement, d’affecter les 114 POULAIN Sebastien, Les radios alternatives : l’exemple de Radio Ici et Maintenant, sous la direction de Jean-Jacques Cheval, Université Bordeaux Montaigne, Bordeaux, 2015115 LIVINGSTONE Sonia, « Du rapport entre audiences et publics », Réseaux, n°126, 2004116 CHAMPAGNE Patrick, « La loi des grands nombres. Mesure de l’audience et représentation politique du public », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 101-102, mars 1994117 KUCINSKAS Audrey, « Fun Radio accusée de gonfler ses audiences, "scandale" ou "blague potache"? », lexpress.fr, 16/06/16 http://www.lexpress.fr/actualite/medias/bruno-guillon-accuse-de-gonfler-ses-audiences-fun-radio-denonce-une-calomnie_1802986.html118 « L'audience de la radio en France sur la période avril-juin 2016 », mediametrie.fr, 13/07/16, http://www.mediametrie.fr/radio/communiques/l-audience-de-la-radio-en-france-sur-la-periode-avril-juin-2016.php?id=1498119 « Le plus gros scandale jamais dévoilé autour des audiences radios : Fun radio accusée de truquer les résultats ! », jeanmarcmorandini.com, 15/06/16 http://www.jeanmarcmorandini.com/article-354990-exclu-le-plus-gros-scandale-jamais-devoile-autour-des-audiences-radios-fun-radio-accusee-de-truquer-les-resultats.html120 DELCAMBRE Alexis et PIQUARD Alexandre, « Fun Radio accusée d’avoir manipulé ses audiences », lemonde.fr, http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2016/06/16/fun-radio-accusee-d-avoir-manipule-ses-audiences_4951968_3236.html#TV2jJicz1Lfj2yGW.99

conditions de recueil par Médiamétrie des résultats d’audience ». Par conséquent, Médiamétrie a décidé de corriger les résultats des vagues avril-juin 2016 et janvier-mars 2016 impactés par les messages à l’antenne et refusé de donner les résultats corrigés concernant Fun Radio. Cette dernière a alors déposé un référé au Tribunal de commerce de Paris, mais a été déboutée le 12 juillet 2016121. La pige de Médiamétrie a aussi révélé 10 messages similaires d’un animateur de la matinale de RFM entre le 1er décembre 2015 et le 2 juin 2016. Mais Médiamétrie n’a pas établi de corrélation entre la diffusion de ces messages et l’évolution de son audience, et a donc décidé de maintenir RFM dans la publication des résultats122.

C) Les résultats

Est comptée comme auditrice d’une station la personne qui a déclaré écouter celle-ci au moins une fois au cours des dernières 24h00, quelle que soit sa durée d’écoute. Ainsi, les stations de radio123 obtiennent différents types d’information appelés « indicateurs d’audience » :

- l’audience cumulée124 de chaque radio par quart d’heure,- l’audience moyenne125 d’une journée pour une station ou sur 15 minutes pour

une émission ou une publicité,- la part d’audience126 d’une station,

121 http://www.jeanmarcmorandini.com/article-356204-fun-radio-qui-demandait-la-publication-de-ses-audiences-par-mediametrie-deboutee-par-la-justice.html122 « L'audience de la radio en France sur la période avril-juin 2016 », mediametrie.fr, 13/07/16, http://www.mediametrie.fr/radio/communiques/l-audience-de-la-radio-en-france-sur-la-periode-avril-juin-2016.php?id=1498123 Aujourd’hui, les résultats sont donnés par radio mais aussi par regroupements de radios que sont les « agrégats » qui sont constitués selon la nature, le statut, le genre et les alliances des radios dans des couplages publicitaires gérés par régies publicitaires et donc des groupes radiophoniques.124 L’audience cumulée (AC) est l’ensemble des personnes de plus de 13 ans ayant écouté la radio ou l’agrégat faisant l’objet de l’enquête au moins une fois dans l’intervalle choisi (« quelle que soit la durée de ce moment » (CESP, Mesurer l’audience des médias. Du recueil des données au média-planning, Dunod, Paris, 2002, p107) ce qui est souvent critiqué et ce qui fait qu’une radio comme France Info peut avoir une forte audience cumulée forte mais une part d’audience basse car sa durée d’écoute est basse, comme pour les radios musicales et thématiques et contrairement aux radios généralistes qui sont globalement plus fortes sur tous les indicateurs), exprimé en pourcentage de la population ou en milliers. Par exemple, si la station de radio X obtient une audience cumulée hebdomadaire de 10 %, cela signifie qu’un auditeur ayant accès à la station de radio X sur 10 l’a écoutée au moins une seconde pendant une période. Dans ses communiqués de presse, Médiamétrie ne mentionne que les stations, réseaux et couplages souscripteurs à l’enquête atteignant 1 % au niveau de la France et de l’Ile-de-France et 2 % au niveau Paris-Petite Couronne d’audience cumulée pour un jour moyen de semaine lundi-vendredi (5h-24h).125 L’audience moyenne (AM) (ou taux moyen d’audience) est la moyenne de la part d’audience des 1/4 d’heure qui composent la tranche horaire. Elle peut être calculée pour une émission en particulier ou pour la station de radio dans son ensemble sur une durée donnée (moyenne, mensuelle, hebdomadaire, journalière). Elle est exprimée en pourcentage de la population ou en milliers. Pour être exprimée en nombre de personnes, il suffit de multiplier l’audience moyenne par la valeur du point d’audience, c’est-à-dire le nombre de personnes qui valent un point d’audience.126 La part d’audience (PDA) est la part que représente le volume d’écoute d’une station, d’un couplage (c’est-à-dire une agrégation de supports d’un même média ou de médias différents pour créer une entité commerciale plus large) ou d’un agrégat (c’est-à-dire un regroupement de stations par statut ou par format en vue de constituer des familles de stations) dans le volume d’écoute global du média radio (qui est égal à 100%). « On parle aussi de part de marché ou de part de volume d’écoute. Ce pourcentage peut être calculé à partir de l’audience moyenne (quart d’heure moyen d’une station / quart d’heure moyen de la radio) ou de la durée d’écoute par individu (DEI station / DEI radio). » (CESP, Mesurer l’audience des médias. Du recueil des données au média-planning, Dunod, Paris, 2002, p107) Par exemple, une part de marché de 11 % pour une

- la durée quotidienne moyenne d’écoute par auditeur (DEA127) ou par individu (DEI128),

- des analyses de la composition des publics, donc par cible129 publicitaire définie a priori en fonction des critères sociodémographiques (âge, sexe130, région, statut social…), de consommation et de niveau de vie,

- des croisements entre ces données131…

La « 55 000 » permet donc aux radios de « se situer par rapport à la concurrence, de voir les évolutions et de mesurer si les émissions mises en place séduisent suffisamment de

station de radio X signifie donc qu’en moyenne 11 % des auditeurs écoutent la radio X par rapport au nombre total d’auditeurs ayant accès à la station de radio X et écoutant la radio à ce moment-là. Le nombre d’auditeurs de la radio X peut donc diminuer ou augmenter sans que sa part d’audience en soit affectée si les autres radios perdent autant d’auditeurs. 127 La durée d’écoute par auditeur (DEA), qui est exprimée en minutes ou en heures, est la « moyenne du temps passé par auditeur à l’écoute d’une station, d’une émission ou du média radio sur une tranche horaire ou sur l’ensemble de la journée. La DEA est le rapport de la somme de toutes les minutes consacrées à l’écoute, sur le nombre d’auditeurs. » (CESP, Mesurer l’audience des médias. Du recueil des données au média-planning, Dunod, Paris, 2002, p107). Par exemple, si la durée d’écoute de la station de radio X est de 120 minutes, cela signifie que les auditeurs qui écoutent la radio X l’écoutent en moyenne 2 heures.128 La durée d’écoute par individu (DEI), qui est exprimée en minutes ou en heures, est la « moyenne du temps passé à l’écoute de la radio ou d’une station par l’ensemble des individus qui constitue la population de l’enquête. La DEI peut être calculée pour une émission, pour une tranche horaire ou pour l’ensemble de la journée. C’est le rapport de la somme de toutes les minutes consacrées à l’écoute, sur l’effectif de l’échantillon de l’enquête. » (CESP, Mesurer l’audience des médias. Du recueil des données au média-planning, Dunod, Paris, 2002, p107). Par exemple, si la durée d’écoute de la station de radio X est de 120 minutes, cela signifie que l’ensemble des individus composant la population de référence qui écoute ou pas la radio X l’écoute en moyenne 2 heures. La DEI est par définition inférieure à la DEA, mais elle plus représentative des pratiques de l’ensemble de la population.129 Une cible est une partie d’une population décrite par ses caractères socio-démographiques, son équipement ou son comportement que l’on souhaite toucher par une campagne publicitaire ou une émission. 130 En 2012 (étude Médiamétrie sur la période novembre-décembre 2012), 78,5% des femmes écoutent la radio, alors que cette pénétration atteint 86,5% chez les hommes. Elles ont écouté la radio en moyenne 2h47 par jour contre 3h09 pour les hommes. Concernant les programmes, les femmes privilégient les stations musicales par rapport aux stations généralistes. (LEROI Thibault, « Médiamétrie - Les femmes moins consommatrices de radio que les hommes », RadioActu.com, 08/03/2013, http://www.radioactu.com/actualites-radio/144627/mediametrie-les-femmes-moins-consommatrices-de-radio-que-les-hommes/) 131 Jacques Durand a critiqué le fait que le grand public n’ait accès qu’à certains chiffres d’audience : si « les enquêtes sur l’audience des médias fournissent une grande masse d’informations statistiques [...] les rapports publics n’exploitent qu’une part réduite de l’ensemble des données recueillies dans les enquêtes. Et ils ne fournissent qu’une vue partielle de la réalité que l’on cherche à mesurer. D’abord parce qu’ils présentent séparément les résultats pour chacune des variables, sans tenir compte de leurs interdépendances et, en second lieu, parce qu’ils présentent séparément les données relatives à chacun des supports, sans tenir compte des interrelations entre leurs audiences respectives » (DURAND Jacques, « La segmentation des audiences », Communication et Langages, n°94, 1992). De même, Michel Souchon (Groupe Bayart, ancien directeur du service des études de TFl et d’Antenne 2, consultant à la présidence commune de France Télévision) a plaidé pour que l’audience de télévision soit calculée en nombre d’heures/spectateurs (« Pour une utilisation complexe de l’audimétrie », Hermès, n°37, 2003) et que soit utilisé l’« audience instantanée » qui correspond à l’ensemble des personnes présentes devant la radio à un moment précis ; l’« audience intégrale » qui correspond à l’ensemble des personnes qui ont écouté toute la période étudiée (émission ou tranche horaire) ; l’« audience initiale » qui correspond à l’ensemble des personnes qui sont à l’écoute en début d’émission ; l’« audience finale » qui correspond à l’ensemble des personnes qui sont à l’écoute en fin d’émission ; la « couverture » qui est la proportion de la population utile (cible) exposée (contactée) au moins une fois à un message publicitaire ; la « répétition » est le nombre de contacts ou occasions d’entendre reçus en moyenne par chaque individu touché par la communication ; le GRP (Gross Rating Point) est le nombre moyen de contacts à un plan média pour 100 personnes de la cible. Il est issu de la multiplication de la couverture cumulée (en %) par répétition moyenne… (SOUCHON Michel, « Histoire des indicateurs de l’audience », Quaderni, n°35, 1998 et « Pour une utilisation

personnes »132. Il s’agit, pour elles, d’augmenter des « opportunités de contacts »133 donc d’obtenir de la notoriété grâce à différentes stratégies communicationnelles, puis de convertir cette notoriété en audience en rapprochant l’audience cumulée et la DEA pour s’assurer les meilleurs parts de marché.

Une première étude par interview téléphonique est faite du 2 au 29 septembre 1985 auprès de 5 101 personnes âgées de 15 ans et plus où on apprend que :

- 18% de la population écoute des radios locales privées au moins une fois dans la journée,

- la durée quotidienne d’écoute de ces radios est de 30 minutes en moyenne (soit le quart du temps consacré à l’ensemble de la radio),

- ce sont essentiellement les jeunes, les habitants des grandes villes et les familles nombreuses qui font le succès de la FM,

- cette population l’écoute principalement à partir de 18h et surtout après 20h134,

- l’écoute de ces radios entre 20h et minuit représente la moitié de l’écoute de l’ensemble de la radio135.

Les premiers résultats de la « 55 000 » sont publiés le 22 avril 1986 grâce à une étude portant sur les trois derniers mois : janvier, février et mars 1986 pour un jour moyen de semaine (lundi-vendredi). Dans Le Monde, on peut lire que l’audience cumulée de la radio a augmenté : 67,5 % en janvier, 73,8 % en février, 76 % en mars et qu’il y a une « progression notable des scores des radios de service public et des radios locales privées dans leur ensemble ». Mais il y a aussi augmentation de l’audience cumulée pour RMC, RTL et Europe 1. Et l’indicateur du « ¼ d’heure moyen de la journée » montre aussi des augmentations pour toutes les catégories de radio. Parallèlement, les durées moyennes d’écoute par individu et par auditeur augmentent globalement. C’est ce que l’on voit dans l’hebdomadaire spécialisé Echo de la presse et de la publicité du 28 avril 1986136 qui fournit davantage de chiffres grâce à quatre indicateurs :

Audience cumulée (nombre d’auditeurs ayant écouté au moins une fois dans la journée)

Janvier Février marsradio en général 67.5 73.8 76.0Radio France 17.0 19.2 21.1France Inter 13.3 15.1 17.2Europe 1 16.7 18.8 19.0RMC 6.7 7.0 7.6RTL 19.6 20.8 20.5RLP 19.3 22.1 22.8

¼ d’heure moyen de la journée (présence moyenne à l’écoute)Janvier Février Mars

complexe de l’audimétrie », Hermès, n°37, 2003). Ces propositions sont valables pour l’audience de la radio.132 CHEVREUX Marie-Dominique, « La radio pionnière », Hermès, n°37, 2003133 LE GOFF Emmanuelle et NAM Malick, « La Radio assure. Médiamétrie la mesure », Audience Le Mag, 02/10/07, http://www.audiencelemag.com/?article=13134 L’équipe Médiamétrie qui a relu ce texte émet un doute quant à cette information.135 « Les radios locales privées », Echo de la presse et de la publicité. Le magazine de la communication, n°1452, 19/05/86, p21.136 « Résultats d’audience de la radio selon Médiamétrie », Echo de la presse et de la publicité, 28 avril 1986, p60.

radio en général 10.5 11.5 12.1Radio France 1.9 2.1 2.3France Inter 1.4 1.5 1.7Europe 1 1.7 2.0 2.1RMC 0.8 0.9 0.9RTL 2.7 3.0 3.0RLP 2.8 3.1 3.3

Durée moyenne d’écoute par auditeur (en minutes)137

Janvier Février marsradio en général 178 178 182Radio France 130 125 122France Inter 116 110 110Europe 1 116 122 126RMC 141 139 129RTL 159 163 167RLP 167 158 165

Durée moyenne d’écoute par individu (en minutes)Janvier Février mars

radio en général 120 131 138Radio France 22 24 26France Inter 15 17 19Europe 1 19 23 24RMC 9 10 10RTL 31 34 34RLP 32 35 38

Il est difficile de tirer des analyses et conclusions à partir de ces tableaux compte-tenu des caractéristiques du sondage :

- il concerne des périodes d’étude courtes (un mois seulement contre des périodes de deux ou trois mois aujourd’hui),

- il permet peu de recul (malgré la première étude de 1985 et les études d’audience des autres organismes),

- il étudie des mois différents (aujourd’hui Médiamétrie compare l’étude de l’audience d’une période par rapport à la même période l’année d’avant),

- il analyse des mois avec des rythmes et des contextes différents (Comme cela a été dit plus haut, Médiamétrie fait aujourd’hui attention de préciser les événements et « Jours de Moindre Activité » qui ont lieu pendant une période.).

L’audience de l’ensemble des radios locales privées dépasse donc celle de l’ensemble des radios de Radio France ou celle de RTL. D’où l’intitulé d’un article du Monde :

137 Selon Jacques Durand, la durée d’écoute moyenne par individu (moyenne lundi-samedi) est de 118 minutes en 1950, 104 en 1970, 118 en 1980, 121 en 1988 selon le Panel CESP (DURAND Jacques, « L’évolution des audiences de la radio et de la télévision au cours des quarante dernières années », Médias Pouvoirs, janvier-mars 1991), 125 en 1990 (DURAND Jacques, « Les audiences de la radio », Sociologie de la communication, vol. 1, n°1, 1997, p919). Elle est de 131 minutes en 1986-87, 139 en 1990-91, 144 en 1993-94 selon Médiamétrie (« Enquête 75.000 » de novembre-décembre 1995 (moyenne lundi-vendredi)). Autres précautions importantes, il faut savoir que sur les 125 minutes d’écoute par individu dans le panel CESP, « 6,6 minutes seulement sont consacrées à l’écoute exclusive de la radio. La plupart du temps, l’écoute se superpose à une autre activité : travail professionnel (24 minutes), travail ménager (21 minutes), repas (16 minutes), toilette (10 minutes), etc. » Il faut savoir que cette durée peut varier en fonction de l’heure de la journée ou du lieu d’écoute (DURAND Jacques, « Les audiences de la radio », Sociologie de la communication, vol. 1, n°1, 1997, p919).

« Mesures d’audience de la radiotélévision. Les radios locales devant les stations grandes ondes » pour le mois d’avril où :

- l’audience moyenne cumulée est de 75,6 %, - celle des radios locales privées de 23,9 %, - celle de RTL de 22,1 %, - celle de Radio France de 20,6 % (dont France Inter à 16,7 %), - celle d’Europe 1 à 18,8 %,- celle de RMC 7,6 %138.

La croissance de l’audience des radios locales privées se voit de mois en mois même si on remarque une importante instabilité des résultats. C’est sur ce sondage que s’appuie la direction de NRJ pour répondre à Jean-Noël Jeanneney, PDG de Radio France, qui considérait que la puissance de l’émetteur de NRJ-Lyon était au-dessus de la norme et qu’elle devait donc être saisie. NRJ explique que la « puissance nominale de NRJ-Lyon est de 2 kW, soit une puissance apparente rayonnée de 9 kW »139 et que la puissance des radios commerciales américaines est bien supérieure, y compris dans des « agglomérations comparables » et depuis « plusieurs dizaines d’années ». L’audience est donc un moyen pour les nouvelles radios de s’affirmer : « Les radios locales privées sont désormais la première radio de France, et dans bien des villes – dont Lyon – NRJ se classe devant vos radios. Il faut vous faire une raison, nous sommes là et nous continuerons d’exister, que vous le vouliez ou non. »

Quelques jours après la publication du sondage le 22 avril 1986, les résultats d’une enquête locale à Bordeaux140 et Toulouse sont publiés le 5 mai 1986 à propos de l’audience cumulée d’un jour moyen de la semaine141. Celle de Bordeaux a été faite entre le 1er et le 7 mars auprès de 1 000 personnes âgées de 15 ans et plus. Celle de Toulouse a été réalisée entre le 19 et le 28 mars dernier auprès de 1 003 personnes âgées de 15 ans et plus. Le classement des radios pour l’audience cumulée se présente ainsi :

Radio A Bordeaux

Audience(1 % = 5 022

individus)Radio à Toulouse

Audience(1 % = 4620

individus)radio en général 80,60% radio en général 83,10%France-Inter 37,30% France-Inter 30,90%NRJ 14,30% NRJ 26,90%FUN 12,80% Sud-Radio 17,90%Europe 1 8,60% RMC 15%RTL 8,50% FUN 10,80%RMC 7,30% Europe 1 2,90%Studio 2 000 5,80% France Inter Toulouse 2,80%Activités 4,80% France-Musique 2,60%Radio France-Bordeaux-Gironde 4,60% Radio Bleue 2,50%Sud-Radio 4,10% Radio Cambos 2,20%France Musique 3% Radio France-Toulouse 1,60%Hit FM 1,80% RTL 1,60%France Culture 1,50% France Culture 1,50%

138: « Mesures d’audience de la radiotélévision. Les radios locales devant les stations grandes ondes », Le Monde, 13/05/86139 « L’affaire des radios lyonnaises. NRJ répond au PDG de Radio France », Le Monde, 30/07/86140 En février 1986, un premier sondage avait eu lieu, mais il avait été annulé pour vice de forme. Mais le CESP refuse aussi de cautionner celui de mars. L’IFOP/Sofres annonce qu’ils vont en faire un à leur tour. (« Encore un sondage sur les RLP bordelaises » (Echo de la presse et de la publicité. Le magazine de la communication, n°1452, 19/05/86, p51).141 « L’écoute de la radio à Bordeaux et Toulouse », Le Monde, 05/05/86, http://www.lemonde.fr/recherche/#gBUcTXgEeVJb5gWB.99

Radio Bleue 1,30%Kiss FM 1,20%France Inter-Bordeaux (FIB) 1,20%Nostalgie 1%

On voit dans ces classements la percée dans les deux grande villes des nouvelles radios privées, qu’elles soient nationales (FUN et NRJ) ou locales (Studio 2000, Kiss FM, Hit FM) qui apparaît dans une moindre mesure au niveau national où la radio en général est moins écoutée.

Le journaliste Alain Woodrow s’appuie sur des chiffres fournis par Radio France à partir des sondages de Médiamétrie pour parler de l’audience de la « FM profonde », celle de quatre « radios publiques locales » :

- Radio France Bretagne Ouest qui a un taux d’écoute de 11 % (68 970 auditeurs) pour 9,8 millions de budget.

- Radio France Loire Océan qui a un taux d’écoute entre 2,3 et 3 %.- Radio France Côte d’Azur qui a un taux d’écoute de 1 %.- Radio France Puy de Dôme qui a un taux d’écoute de 7 % (65 000

auditeurs)142.

En plus de définir la méthodologie qui permet de réaliser une enquête sur les audiences des radios, le « Comité Radio » définit la manière de communiquer les résultats de ses enquêtes car la diffusion des résultats est la source de tensions et de conflits. En effet, c’est au moment de la publication (c’est-à-dire seulement quelques fois par an, contrairement à l’enquête Médiamat dont les résultats sont publiés chaque jour dans France-Soir à partir de 1976, dans Le Monde à partir de 1986, Le Figaro en 1998, Le Parisien, Europe 1, RTL…) que les journalistes, le public et les salariés sont au courant des évolutions143. Donc voici, par exemple, les « directives d’application des règles de communication » en 2002 :

ENQUETES 75 000 + RADIO, 126 000 RADIO, 75 000 + RADIO ILE DE FRANCE, 126 000 RADIO ILE DE FRANCE, PANEL RADIO, MEDIALOCALES

DIRECTIVES D’APPLICATION DES REGLES DE COMMUNICATION

Document établi par Médiamétrie, approuvé par le Comité Radio de Médiamétrie du 29 octobre 2002 et mis à jour http://www.mediametrie.fr 55/63, rue Anatole France – 92532 LEVALLOIS-PERRET

CEDEX - FRANCE SOMMAIRE

1. LES AGREGATS ET COUPLAGES....................................................................3

142 Le Monde consacre plusieurs articles aux 35 stations de radios locales : (WOODROW Alain, « Voyage en FM profonde », Le Monde, 03/09/86). Le nouveau gouvernement où Philippe De Villiers, fondateur de la radio locale privé Alouette, est le secrétaire à la culture et à la communication est hostile au développement des radios publiques locales. Il souhaite même la disparition des radios locales publiques selon les « critères, notamment celui de la spécificité (primordial) et celui de leur audience (qui l’est un peu moins) » : « on ne doit jamais oublier qu’il s’agit d’argent public. Et je voudrais qu’on m’explique comment des radios qui ne sont écoutées que par deux mille auditeurs – c’est le cas de certaines – peuvent justifier une dépense de fonctionnement annuelle de l’ordre de 9 millions de francs. Pour le critère de la spécificité, à ces radio d’assurer la prépondérance de la culture française, de donner des informations, de rendre des services à la population que ne pourrait pas ou ne voudrait pas rendre le secteur privé. ». Pour lui ce « qui était vrai en 1980, au moment des premières expérimentations, ne l’est plus forcément au moment après l’éclosion des radios privées » (comme Alouette !) (COJEAN Annick, « Entretien avec M. de Villiers "Non à la création systématique de stations publiques en région" », Le Monde, 03/09/86).143 Les radios, du moins les directions, reçoivent les « intermédiaires » qui sont des résultats d’enquêtes partiels envoyés toutes les deux semaines. Ces estimations progressives occasionnent parfois des réunions de crise et des ajustements dans la programmation.

1.1 Les agrégats.....................................................................................3 1.1 .1 Définitions.............................................................................3 1.1.2 Règles...................................................................................3 1.2 Les couplages...................................................................................4 1.2.1 Définitions..............................................................................4 1.2.2 Règles...................................................................................4 2. LES BASES DE CALCUL.................................................................................5 3. LES BASES DE COMPARAISON.......................................................................5 3.1 Les comparaisons entre périodes d’enquête.....................................5 3.2 Les comparaisons entre stations.......................................................5 4. LES GRAPHIQUES.........................................................................................6 5. LES MENTIONS OBLIGATOIRES ET LES MENTIONS NECESSAIRES A LA BONNE INTELLIGIBILITE.........................................................................6 5.1 Le nom de l’enquête..........................................................................6 5.2 L’univers de l’enquête.......................................................................7 5.2.1 Définitions..............................................................................7 5.2.2 Règles...................................................................................7 5.3 La cible..............................................................................................7 5.3.1 Définitions..............................................................................7 5.3.2 Règles...................................................................................8 5.4 La période de l’enquête.....................................................................8 5.5 Le type de jours nommés..................................................................9 5.6 La tranche horaire.............................................................................9 5.7 L’indicateur retenu.............................................................................9 6. LES MENTIONS FACULTATIVES.....................................................................10 6.1 L’Echantillon.....................................................................................11 6.1.1 Définitions.............................................................................11 6.1.2 Conseils................................................................................11 6.2 La méthodologie...............................................................................11 6.2.1 Définitions.............................................................................11 6.2.2 Conseils................................................................................11 ANNEXE........................................................................................................13-19

Au départ, la « 55 000 » porte uniquement sur la période septembre-juin144 et ses résultats sont publiés dans un premier temps mensuellement, mais quatre fois par an dans un second temps145, du moins pour les audiences au niveau national146 :

- l’enquête qui a lieu de janvier à mars est publiée mi-avril, - l’enquête qui a lieu d’avril à juin est publiée mi-juillet, - l’enquête qui a lieu de septembre à octobre est publiée mi-novembre, - l’enquête qui a lieu de novembre à décembre est publiée mi-janvier.

D) Les limites de la « 55 000 »

144 Hors dernière semaine de décembre mais dimanches et jours fériés compris.145 A noter que, selon Médiamétrie, les comparaisons entre périodes d’enquête ne peuvent se faire que sur les mêmes périodes pendant plusieurs années ou sur la période précédente de la même année et bien entendu sur des données issues de sources identiques (mêmes indicateurs, mêmes cibles, mêmes tranches horaires, mêmes univers).146 C’est une importante différence avec la télévision dont les dirigeants reçoivent l’audience de la veille chaque matin à 8 heures grâce à l’automatisation de la procédure.

Dans son article de 1987, Jacqueline Aglietta fait part des limites147 des enquêtes sur l’audience de la radio et de la télévision dont elle fait la présentation. Nous proposons de les reprendre et de les commenter pour voir ce qui a été fait postérieurement pour dépasser ces limites :

1) Premièrement, l’entretien ne porte que sur une journée contrairement au panel Audimat sur la télévision. Mais selon Aglietta, cette limite est compensée par une « meilleure représentativité géographique et sociologique »148. La solution à ce problème viendra de la création du « Panel Radio » dont le recrutement se fait à partir samedi 2 janvier 1993. Complétant la « 55 000 », il est réalisé en une seule vague de trois semaines pour un objectif de 4 000 panélistes constants qui doivent compléter un carnet d’écoute papier-crayon auto-administré. Il donne une représentation sur une longue durée des comportements des panélistes et de ses évolutions.

2) Deuxièmement, le détail de la journée d’écoute est une reconstitution. Il s’agit de faire appel à la mémoire de la personne interrogée. Alors que dans le « Panel Radio », il y a des carnets d’écoute distribués où il est possible de noter quart d’heure par quart d’heure son écoute149. Ainsi, pendant l’interview de la « 55 000 », qualifiée d’« enquête-mémoire », les personnes interviewées peuvent avoir tendance à se souvenir de la radio qu’ils connaissent le mieux, en oubliant celles qu’ils ont écouté quelques minutes ou secondes. C’est ce que critiquent des publicitaires anonymes dans un article du Monde, publié à l’occasion de la publication des premiers résultats de la « 55 000 ». Pour eux, la solution viendrait de la mise en place d’une « mesure automatique » :

« la seule mesure véritablement objective, explique l’un d’eux, puisque l’appareil enregistre automatiquement la fréquence sélectionnée par l’auditeur. La seule aussi qui fasse peur aux très grosses radios, dont les scores sont actuellement surestimés par l’effet de leur notoriété. »150

Pour résoudre ce problème, Aglietta explique que Médiamétrie a mis en place la question de notoriété151. En 1999, il est décidé via la « 75 000 + » que le recueil de l’écoute se

147 Nous pourrions ajouter d’autres comme celle selon laquelle il est difficile de toucher les populations dites marginales qui ne disposent pas d’un téléphone. Mais on peut imaginer que ce type de population n’est pas celle qui intéresse le plus les médias et les annonceurs du fait de leur faible pouvoir d’achat. Pour d’autres critiques, nous renvoyons aussi à « Que mesure-t-on quand on mesure l’audience ? » (Hermès, n°37, 2003) d’Emmanuel Fraisse. Celui-ci a été directeur général du Centre d’étude des supports de publicité (CESP). Diplômé de l’ESSEC et docteur en psychologie sociale, il a fait l’essentiel de son parcours en instituts d’études (Secodip, IFOP) et a été notamment à la tête du département Médias de la Sofres pendant dix ans, avant son arrivée au CESP en 1995. Selon lui, le « recueil d’information repose sur du "déclaratif" », le « recueil d’information suppose le recours à la mémoire de l’interviewé », la mesure est « appliquée à des faits statistiquement "rares" », l’« exigence de précision » est « impossible à totalement satisfaire », il s’agit d’un « recueil d’information lourd » et c’est une « mesure très sensible au protocole expérimental ».148 AGLIETTA Jacqueline, « Les sondages dans l’Audiovisuel », in Jean-Jacques Droesbeke, Bernard Fichet et Philippe Tassi (sous la direction de), Les Sondages, Economica, Paris, 1987, p254149 Jusqu’à 1999 où il est décidé que la saisie se fera maintenant au demi-quart d’heure au début et à la fin de chaque session d’écoute.150 COJEAN Annick, « Les radios sous surveillance mensuelle », Le Monde, 24/04/86151 Selon Emmanuelle Le Goff, directrice du département radio en 2011, « L’enquêteur liste toutes les stations présentes sur la zone d’écoute et cela selon un ordre aléatoire. Le principe est de remémorer à la personne interrogée toutes les stations qu’elle a pu écouter. Cela permet aussi de lui signifier que la mesure d’audience prend en compte toutes les stations. Cette partie du questionnaire porte donc sur toutes les stations qu’elle connait même si elle ne les a pas écoutées. » (MATT Emmanuel, « La 126 000, la mesure d’audience radio par Médiamétrie : Explications d’Emmanuelle Le Goff, Directeur du département Radio »,

fera sur les dernières 24 heures d’écoute ce qui facilitera la recherche dans la mémoire de la personne interviewée. Une solution encore plus radicale serait la mesure dite « passive »152

dont parlait les publicitaires et qui est le « serpent de mer » des études d’audience153 et que Jean Mauduit, qui la voit apparaître en 1989, qualifie d’« utopie de l’audience passive »154 en 2005. Comme le Radiocontrol suisse155, elle peut être obtenue grâce à la comparaison entre les données d’écoute recueillies par l’intermédiaire d’une montre ou d’un boîtier qui enregistrent, compressent et stockent les sons ambiants, donc la radio ou n’importe quel média sonore156, quelques secondes par minute d’une part, et le contenu des stations de radio d’autre part. Bruno Chetaille, PDG de Médiamétrie depuis 2007, introduit la nouvelle technologie métrique dans le plan stratégique de développement de Médiamétrie. Donc Médiamétrie devait « terminer tous ses tests au printemps 2006 »157 sur l’« audimètre portable » développé et commercialisé par la société Arbitron158. Mais c’est début 2016 qu’Arnaud Annebicque présente l’étude « RateOnAir » au salon « Le Radio ». La technologie est, selon lui, utilisée dans un « pilote de R&D incluant près de 40 radios volontaires et plus de 60 chaines de télévision »159. Les avantages sont évidents puisque toutes les « écoutes » sur presque tous les supports sont prises en compte chaque seconde de la journée, mais Marie-Dominique Chevreux, directrice des études de Radio France, fait part de ses inconvénients et difficultés d’application dès 2003 :

mediaunautreregard.com, 13 juillet 2011 http://www.ediaunautreregard.com/2011/07/13/la-126-000-la-mesure-audience-radio-par-mediametrie-explications-emmanuelle-le-goff-mediametrie/) Cette technique de la « notoriété assistée » s’oppose à celle de la « notoriété spontanée » qui demanderait davantage de mémorisation de la personne interviewée.152 Médiamétrie préfère parler d’« Audimétrie Individuelle Portée » (AIP) car il y a bien une participation minimum des panélistes.153 Voici ce que dit Michel Souchon en 1998 : « Il y a quelques années beaucoup pensaient que "l’audimétrie individuelle passive" (qui rendrait inutile la déclaration par les boutons individuels de l’audimétrie actuelle) serait une réalisation de l’avenir proche. Il me semble que l’on s’oriente vers des utilisations secondaires plus raffinées des banques de données audimétriques plutôt que vers la sophistication des outils. La consolidation de l’existant (augmentation de la taille des échantillons, meilleure prise en compte des utilisations vidéo, etc.) semble plus à l’ordre du jour que la transformation des audimètres. » (« Histoire des indicateurs de l’audience », Quaderni, n°35, 1998)154 MAUDUIT Jean, Le roman vrai de la mesure d’audience, Médiamétrie, Levallois Perret, 2005, p70-72155 En Suisse, une montre audimétrique est utilisée pour mesurer l’audience de la radio. Baptisée Radiocontrol, elle est munie d’un micro qui enregistre des séquences de quatre secondes toutes les minutes. Les données sont ensuite envoyées à un serveur informatique qui compare celles-ci avec sa base, où sont enregistrées toutes les stations. 20 000 personnes participent chaque année à l’étude Radiocontrol, en portant deux fois par an, pendant une semaine, une montre Radiocontrol. Chaque jour, environ un millier de personnes en Suisse portent une montre Radiocontrol. Les personnes sont sélectionnées selon la procédure du « Random-Quota », les quotas portant sur l’âge, le sexe et la zone de réception radio. (Office fédéral de la statistique, « Société de l’information - Indicateurs généraux. Utilisation des médias », http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen/16/04/key/approche_globale.informations.30105.html) 156 CASSAIGNE Benoît, « Et l’audience de la télévision rencontra le watermarking… », 3ème édition de l’université d’été du SNPTV, Paris, 24 juin 2008157 « L’audimétre du futur arrive. Enquête », Stratégies Magazine, n°1319, 25/03/2004158 Hervé Glévarec retranscrit à cette époque la présentation de « l’audimètre portable » trouvée sur le site internet de Médiamétrie : « L’audimètre portable est un dispositif de mesure de l’audience de la taille d’un pager, que portent les panélistes. Il détecte automatiquement les codes inaudibles que les radiodiffuseurs intègrent dans la partie audio de toutes leurs émissions à l’aide d’encodeurs Arbitron spécialement conçus à cet effet. À la fin de chaque journée, les panélistes placent les audimètres portables sur leur station de base pour recharger les dispositifs et envoyer les codes recueillis à Arbitron, en vue de leur traitement. Les audimètres sont équipés d’un capteur de mouvements qui permet à Arbitron de contrôler chaque jour la participation à l’enquête des personnes équipées d’un PPM : une fonctionnalité unique de contrôle de la qualité dans le monde de la recherche sur les médias » (« L’audience est une déclaration et un "jeu de langage". Le cas de la mesure d’audience en radio », Le Temps des médias, n°9, 2007)159 Programme, « RateOnAir : mesure automatique Radio & TV dans un monde de mobilité », 13h30-14h30, 1/2/16, salon de la radio 2016, Paris, 31/1-2/2/16, p7, http://fr.calameo.com/read/0043630311e3e995f6cbc

« Bien que passives, ces méthodes nécessitent quand même une intervention humaine essentielle, porter la montre ou le boîtier tout au long de la journée et notamment dès le réveil, moment de prime time de la radio. Cette contrainte, alliée à une crainte éventuelle sur la protection de sa vie privée (bien que les sons enregistrés et aussitôt compressés ne puissent pas être reconstitués), peut engendrer des difficultés dans le recrutement de l’échantillon et donc entacher sa représentativité. Ces méthodes d’enregistrement automatique ne faisant plus appel à la mémoire mais prenant en compte absolument toutes les expositions au média, la fameuse problématique du « entendre ou écouter » va resurgir. Quand vous êtes sur un quai de gare sonorisée par une radio et que vous êtes plongé dans votre livre ou votre journal, avez-vous entendu quelque chose, êtes-vous réellement un auditeur ? »160

Mais Marie-Dominique Chevreux fait référence à la technologie du « Fingerprinting », qui nécessite l’enregistrement d’un échantillon du son auquel le panéliste est exposé. La technologie du « Watermarking », quant à lui, n’enregistre aucun son de l’environnement du panéliste, elle reconnait des marques insérées dans le son diffusé par les stations de radio.

3) Troisièmement, Aglietta s’interroge sur les propriétés spécifiques d’un échantillon mixte mélangeant tirage aléatoire et quotas comme c’est le cas pour la « 55 000 ». Mais c’est bien cette méthodologie qui continuera d’être appliquée sous le contrôle du CESP qui est aussi une source d’amélioration et de consensus.

Ci-dessous des résultats d’audits CESP du « Panel Radio » et de la « 126 000 » de 2007, ainsi que de la première enquête « Audience des grilles Radio d'été » de 2006 de Médiamétrie :

Audits du Panel Radio et de l'étude 126 000 de Médiamétrie

Audit de l'étude 126 000 (janvier-mars 2007) :

Dans le cadre de la mission qui lui a été confiée par l'interprofession des médias et de la publicité, le CESP contrôle de façon continue depuis janvier 1999 l'enquête 75000 + de Médiamétrie devenue enquête 126 000 depuis janvier 2005. Le présent audit porte sur la méthodologie mise en place par Médiamétrie en janvier 2007, la réalisation du terrain de l'enquête ainsi que les résultats d'audience de la radio de la

160 CHEVREUX Marie-Dominique, « La radio pionnière », Hermès, n°37, 2003

vague de janvier-mars 2007.

A partir de ses différents contrôles et analyses :Le CESP considère que l'étude est satisfaisante en ce qui concerne :- la formation, l'encadrement des enquêteurs, le suivi et la gestion de l'enquête sur le terrain,- la proportion d'interviews réalisées après 20h30 (23%),- la prise en compte dans l'échantillon d'individus équipés exclusivement de téléphone mobile,- les nouvelles procédures mises en place en septembre 2005 pour déterminer " la personne de référence " et " la maîtresse de maison " au sein d'un foyer.

Le CESP émet des réserves sur :- l'élimination de certains jours d'enquête dans le calcul des audiences. Cette réserve est d'autant plus marquée que l'élimination a lieu après prise de connaissance des résultats relatifs à l'activité.

Le CESP recommande aux utilisateurs :- d'être vigilants lors de l'exploitation des résultats de l'étude sur le samedi et le dimanche - et comme pour toutes les enquêtes lors de l'exploitation sur des cibles à faibles effectifs.

Le CESP recommande pour l'avenir :- d'équilibrer le nombre d'interviews radio entre le dimanche et les autres jours de la semaine,- de surveiller la répartition par âges au niveau des quotas,- de prendre des mesures en vue d'améliorer le taux de réponse (interviews

téléphone filaire),- de calculer toutes les audiences de la radio en prenant en compte l'intégralité des jours enquêtés,- par rapport à l'enquête " Audience des grilles d'été " :- de manière à suivre l'audience de la radio sur des bases identiques tout au long de l'année, conformément aux objectifs annoncés, d'étudier l'intégration contrôlée en continu d'un sous-échantillon de vacanciers dans l'enquête 126 000 au niveau national,- dans cette perspective, de suivre les départs en vacances tout au long de l'année.

Compte tenu des évolutions des équipements téléphoniques en cours, le Comité Scientifique recommande comme pour toutes les enquêtes téléphoniques de référence :- d'étudier la possibilité d'intégrer dans l'échantillon des individus équipés d'une ligne de téléphone filaire hors France Télécom.

Audit du Panel Radio 2006-2007 :

Dans le cadre de la mission qui lui a été confiée par l'interprofession des médias et

de la publicité, le CESP contrôle de façon continue depuis 1996 le panel Radio de Médiamétrie. Le panel 2006-2007 a été réalisé sur deux périodes d'observation : du 30 septembre au 22 octobre 2006 et du 13 janvier au 4 février 2007. Le panel a pour objectif d'observer l'évolution des comportements d'écoute radio des individus sur une période donnée.Le Comité Scientifique rappelle que la méthodologie mise en œuvre par Médiamétrie pour le panel, fondée sur le recrutement d'individus interviewés dans l'enquête d'audience radio 126 000, en incluant quotas sociodémographiques et quotas d'audience sur une journée ne permet pas, par construction, l'utilisation des données pour définir des niveaux d'audience.

Pour le panel 2006-2007, Médiamétrie a envoyé, avec les quatre carnets d'écoute et le questionnaire d'habitude d'écoute, un journal d'activités à remplir par le panéliste pour un jour donné fixé. L'enquête exploitant le journal d'activités, publiée sous le nom " Media in Life ", n'entre pas dans le champ de l'audit du panel.

A partir des différents contrôles et analyses réalisés sur le panel,

Le CESP considère que l'étude est satisfaisante en ce qui concerne :- la formation et le travail des enquêteurs sur chacune des phases du panel,- la taille de l'échantillon 13 ans ou plus (9 866 individus constants),- la prise en compte dans l'échantillon d'individus équipés exclusivement de téléphone mobile,- la réalisation du panel sur deux périodes d'observation,- le taux de maintien global des panélistes constants obtenu,- la structure sociodémographique de l'échantillon des répondants constants,- la procédure d'imputation des habitudes d'écoute manquantes, compte tenu du petit nombre d'individus concernés,- le traitement des résultats issus des carnets d'écoute et du questionnaire auto-administré.

Le CESP recommande aux utilisateurs :- d'être vigilants, comme pour toutes les enquêtes, lors de l'exploitation des résultats

de l'étude sur des cibles à faibles effectifs.

Le CESP recommande pour l'avenir :- de maintenir la qualité de formation des enquêteurs pour assurer un recrutement de qualité et une bonne participation des individus,- de respecter la période probatoire d'au moins 3 jours pour tous les panélistes,- de revoir la maquette du carnet d'écoute, afin que la colonne " télévision " ne puisse pas être assimilée à un support d'écoute malgré les consignes de remplissage dispensées aux panélistes.

Le test " Panel on line ", contrôlé dans le cadre de l'audit, est un test qui a permis d'une part de montrer la faisabilité du mode de recueil en ligne et d'autre part de valider la qualité de la participation des panélistes. Suite aux enseignements de cette première expérience, le CESP recommande de poursuivre les investigations visant à estimer l'incidence du mode de recueil sur les résultats.

Le CESP recommande en outre de modifier le protocole du recueil en ligne, notamment :- au niveau du questionnaire et de l'aide au remplissage en les adaptant davantage aux spécificités du recueil (tutorial en ligne), - au niveau du recrutement en incluant des quotas d'audience comme pour le panel actuel.

Audit du CESP sur l'enquête "Audience des grilles Radio d'été"

A la demande de ses adhérents, le CESP a contrôlé l'enquête " Audience des Grilles Radio d'été" mise en place par Médiamétrie pour la première fois cet été.

A partir de ses différents contrôles et analyses :

♦ Le CESP considère comme satisfaisant :

Le principe d'une mesure d’audience de la radio sur la période estivale.

Le mode de recueil auprès des vacanciers (téléphone mobile).

Le traitement des résultats.

♦ Le CESP attire l’attention :

Sur l’absence de continuité stricte entre l’enquête 126 000 et l’enquête « Audience des Grilles Radio d’été ».

♦ Le CESP émet des réserves :

Sur la question d’habitudes d’écoute auprès des vacanciers.

♦ Le CESP recommande aux utilisateurs :

D’être vigilants lors de l’exploitation des résultats sur des cibles à faibles effectifs en particulier pour les cibles de vacanciers.

♦ Le CESP recommande pour l’avenir :

d’étudier l’intégration contrôlée en continu d’un sous-échantillon de vacanciers dans l’enquête 126 000 au niveau national, de manière à suivre l’audience de la radio sur des bases identiques tout au long de l'année, conformément aux objectifs annoncés ;

dans cette perspective, de suivre les départs en vacances tout au long de l’année,

En ce qui concerne l’enquête « Audience des Grilles Radio d’été », le Comité Scientifique recommande :

de prendre des mesures pour assurer, au niveau du recueil de l’information, une qualité égale sur toute la période d’enquête ;

de prendre des mesures en vue d’améliorer le taux de réponse qui est faible pour une enquête téléphonique et de diminuer le taux de refus qui est très élevé ;

de surveiller la gestion des quotas par âge, afin de mieux représenter tous les âges au sein des tranches de quotas ;

d’abandonner le concept d'habitudes d'écoute en vacances, suite aux difficultés rencontrées par certains interviewés pour répondre à la question correspondante.

En ce qui concerne l’enquête de calage, de taille insuffisante, le CESP recommande d’envisager son remplacement par :

un recueil des données de cadrage intégré dans l’enquête radio nationale,

l’utilisation de théoriques INSEE dans la mesure où ceux-ci sont suffisamment récents et compatibles avec le champ de l’enquête d’audience. Dans cette perspective, le Comité Scientifique recommande de faire évoluer la définition des vacanciers afin de se rapprocher de la définition de l’INSEE (au moins 4 nuitées au lieu de 4 jours).

4) Quatrièmement, il n’y a pas d’enquête l’été pendant le mois de juillet et d’août sous le prétexte qu’il est difficile d’échantillonner à cette période. Seul le panel Audimat existe pour les non vacanciers161. Pour obtenir l’audience de radio pendant l’été, il faut attendre juillet 2006 et l’enquête « L’audience des grilles d’été »162 qui porte sur environ 15 000 personnes et qui fait la distinction entre les vacanciers163 (environ 10% de l’échantillon) et les résidents164 (donc environ 90% de l’échantillon).

5) Cinquièmement, Aglietta pose aussi la question de la représentativité des échantillons compte-tenu des numéros qui sont mis sur « liste rouge », c’est-à-dire hors annuaire. La population sur « liste rouge », dite « inaccessible », peut ne pas être la même que celle en dehors, dite « accessible ». Trois ans plus tard, en 1990, Michel Fréjean, directeur des études de Médiamértie, Jean-Pierre Panzani, analyste-informaticien, et Philippe Tassi, directeur scientifique, publient dans Journal de la Société de Statistique de Paris un article intitulé « Les ménages inscrits en liste rouge et les enquêtes par téléphone »165 consacré à cette question. A partir des 22 676 interviews réalisées entre lundi 2 avril 1990 et le dimanche 1er

juillet 1990, ils constatent que :

- « l’attirance vers les Radios Locales Privées pour lesquelles l’audience cumulée des répondants inscrits en liste rouge dépasse de 9,5 points celle des répondants appartenant à des ménages non inscrits en liste rouge. »166

161 Selon Aglietta, à cette époque, « sont publiés des résultats pour les non-vacanciers, ce qui est majorant de l’écoute car on peut supposer qu’en moyenne l’audience des vacanciers est inférieure à celle des non-vacanciers ; réciproquement on calcule des taux d’audience minorants en supposant que tous les absents ne regardent pas la télévision. » (AGLIETTA Jacqueline, « Les sondages dans l’Audiovisuel », in Jean-Jacques Droesbeke, Bernard Fichet et Philippe Tassi (sous la direction de), Les Sondages, Economica, Paris, 1987, p254-255)162 « Evolutions majeures du dispositif de mesure d’audience de la Radio », Communiqué de presse radio de Médiamétrie, Levallois, le 27 juin 2006163 Les vacanciers (au sens INSEE) sont les individus situés hors de leur domicile habituel pour au moins 4 jours consécutifs pour des raisons personnelles (visites familiales, congés, vacances…).164 Les résidents sont les personnes à leur domicile (ou en déplacement de moins de quatre jours), qu’ils exercent une activité professionnelle ou non.165 FREJEAN Michel, PANZANI Jean-Pierre et TASSI Philippe, « Les ménages inscrits en liste rouge et les enquêtes par téléphone », Journal de la Société de Statistique de Paris, vol.131, n°3-4, 1990166 FREJEAN Michel, PANZANI Jean-Pierre et TASSI Philippe, « Les ménages inscrits en liste rouge et les enquêtes par téléphone », Journal de la Société de Statistique de Paris, vol.131, n°3-4, 1990, p96

- La durée d’écoute par individu (DEI) ou par auditeur (DEA) est « bien plus élevée chez les personnes appartenant à des ménages inscrits en liste rouge »167 au bénéfice des « Radios Locales Privées » en DEI et DEA, et à l’avantage de Radio France en DEI.

- 34,7% des ménages en « liste rouge » résident dans des agglomérations de plus de 100 000 habitants, 20,4% à Paris168.

- 70% des chefs de ménages utilisateurs de la « liste rouge » ont moins de 50 ans contre 50% pour ceux qui sont dans l’annuaire169.

- Les chefs de ménage ayant un faible niveau d’instruction sont moins en liste rouge que ceux ayant un niveau d’instruction supérieur170.

- Les agriculteurs et les inactifs ont une faible propension à se mettre sur une liste rouge, contrairement aux employés, professions intermédiaires, les cadres supérieurs et professions libérales171.

- La présence d’enfants de moins de 15 ans révèle un taux d’inscription en liste rouge élevé172.

- Les ménages sur liste rouge sont moins propriétaires de leur logement principal et d’automobile, et moins équipés en poste de télévision, mais plus équipés en « haut de gamme » (possession de la télécommande TV, abonnement à Canal +, logement câblé, abonnements aux télévisions par câble)173…

Pour pouvoir joindre les personnes dont le numéro de téléphone est sur « liste rouge » (de 12% à 20% des abonnés selon les zones), Médiamétrie tire les numéros de manière aléatoire. Et les numéros de téléphone portable sont composés depuis 2002.

6) Sixièmement, Aglietta se demande si des indices de satisfaction seront mis en place à l’avenir. Elle fait pour cela référence aux audimètres avec boutons à poussoir qui pourraient disposer de bandeaux lumineux avec affichage éventuel de questions ce qui permettrait de demander des appréciations sur les émissions en voie d’achèvement avec recueil de note. Aglietta sait que cette possibilité a été donnée en Suisse. La « 55 000 » aurait pu donner lieu à des questions d’appréciation, même si ces questions auraient été posées a posteriori, à froid et avec les difficultés liées à la mémoire. Mais le dispositif et la question n’ont pas été mis en place. En 1996, Philippe Tassi, devenu directeur général adjoint de Médiamétrie, publie « Peut-on mesurer la satisfaction à un programme télévisé ? »174 pour répondre à la question de la satisfaction du public, mais uniquement le public de télévision. Tassi explique que la notation est possible techniquement car la télécommande « bouton-poussoir » « contient en

167 FREJEAN Michel, PANZANI Jean-Pierre et TASSI Philippe, « Les ménages inscrits en liste rouge et les enquêtes par téléphone », Journal de la Société de Statistique de Paris, vol.131, n°3-4, 1990, p97168 FREJEAN Michel, PANZANI Jean-Pierre et TASSI Philippe, « Les ménages inscrits en liste rouge et les enquêtes par téléphone », Journal de la Société de Statistique de Paris, vol.131, n°3-4, 1990, p98169 FREJEAN Michel, PANZANI Jean-Pierre et TASSI Philippe, « Les ménages inscrits en liste rouge et les enquêtes par téléphone », Journal de la Société de Statistique de Paris, vol.131, n°3-4, 1990, p99170 FREJEAN Michel, PANZANI Jean-Pierre et TASSI Philippe, « Les ménages inscrits en liste rouge et les enquêtes par téléphone », Journal de la Société de Statistique de Paris, vol.131, n°3-4, 1990, p99171 FREJEAN Michel, PANZANI Jean-Pierre et TASSI Philippe, « Les ménages inscrits en liste rouge et les enquêtes par téléphone », Journal de la Société de Statistique de Paris, vol.131, n°3-4, 1990, p100172 FREJEAN Michel, PANZANI Jean-Pierre et TASSI Philippe, « Les ménages inscrits en liste rouge et les enquêtes par téléphone », Journal de la Société de Statistique de Paris, vol.131, n°3-4, 1990, p101173 FREJEAN Michel, PANZANI Jean-Pierre et TASSI Philippe, « Les ménages inscrits en liste rouge et les enquêtes par téléphone », Journal de la Société de Statistique de Paris, vol.131, n°3-4, 1990, p101174 TASSI Philippe, « Peut-on mesurer la satisfaction à un programme télévisé ? », Actes du Colloque l’Institut de Statistiques de l’Université de Paris (ISUP), Paris, 1996

général une fonction additionnelle de notation »175. De plus, « un facteur motivant de participation et valorisant au plan individuel »176. Mais Tassi fait part de toute sorte d’arguments pas forcément très convaincants et ne fait aucunement référence aux avis du « Comité Radio » de Médiamétrie qui négocie la méthodologie des études alors qu’il a certainement d’autres arguments. Selon lui :

- le lecteur ou non lecteur et l’auditeur ou non auditeur serait plus identifiable que le téléspectateur ou non téléspectateur qui serait des notions difficiles à définir. Tassi fournit plus d’une page d’équations incompréhensibles pour un non statisticien pour l’expliquer. Selon lui, « L’approche dichotomique est donc extrêmement réductrice et entraine, en outre, une sensible perte d’information. »177

- les programmes radiophoniques et les rubriques dans la presse seraient plus stables qu’à la télévision,

- les téléspectateurs ne regardent pas forcément la totalité de l’émission donc il est difficile de fournir un jugement global,

- il faudrait savoir à quel moment demander l’avis du téléspectateur : pendant, vers la fin, après le programme ?

- seuls les Pays Bas transmettent les notes de satisfaction, - il faudrait savoir quelle est la signification d’une absence de notation,- il faudrait savoir qui a le droit de noter l’émission et, si tout le monde peut le

faire, quelle note prendre en compte en sachant que les spectateurs d’un même foyer n’ont pas la même appréciation,

- la notation peut avoir des incidences sur le comportement d’audience : « effet sanction », « effet démotivation » si la notation n’a pas d’effet sur la programmation,

- certains téléspectateurs ont plus forte propension que d’autres à donner leur avis,

- le téléspectateur doit être considéré comme un « téléspectateur rationnel » qui arrête de regarder un programme quand il n’en est pas satisfait. Donc sa présence devant le poste de télévision signifie sa satisfaction vis-à-vis du programme (le programme est « en première place dans leur hiérarchie des préférences »178), même si une « audience faible » peut être due à un mauvais choix d’horaire, une concurrence forte ou un public très ciblé,

- il faudrait savoir quelles sont les critères utilisés par les téléspectateurs dans leur notation,

- le taux de réabonnement à Canal + serait déjà un critère de satisfaction,- l’accroissement du bassin potentiel de téléspectateurs et sa fidélisation

croissante serait aussi un critère de satisfaction.

Selon Tassi, les questions de notation devront à l’avenir être disjointes de la mesure d’audience ce qui permettra de poser des questions plus précises et approfondies. C’est ce qu’on trouve aujourd’hui dans les focus group qui permettent d’analyser plus en profondeur les raisons d’un succès ou d’un échec.

175 TASSI Philippe, « Peut-on mesurer la satisfaction à un programme télévisé ? », Actes du Colloque l’Institut de Statistiques de l’Université de Paris (ISUP), Paris, 1996, p15176 TASSI Philippe, « Peut-on mesurer la satisfaction à un programme télévisé ? », Actes du Colloque l’Institut de Statistiques de l’Université de Paris (ISUP), Paris, 1996, p16177 TASSI Philippe, « Peut-on mesurer la satisfaction à un programme télévisé ? », Actes du Colloque l’Institut de Statistiques de l’Université de Paris (ISUP), Paris, 1996, p15178 TASSI Philippe, « Peut-on mesurer la satisfaction à un programme télévisé ? », Actes du Colloque l’Institut de Statistiques de l’Université de Paris (ISUP), Paris, 1996, p17

Voici un historique de l’évolution de la mesure d’audience radio « 55 000 » fourni par Médiamétrie en vue de cet article :

1986 Enquête 55 000 Radio1989 Création du Comité Radio1990 Passage de la 55 000 à la 75 000 Radio

Janvier-Mars 1999 Passage de la 75 000 à la 75 000 + Radio : audience Dernière 24Heures

Septembre-Octobre 2002

Passage des 15 ans et plus aux 13 ans et plus pour la mesure d'audience radio

Septembre-Octobre 2003 Introduction des exclusifs du mobile dans l'échantillon

Septembre-Octobre 2005 Passage de la 75 000 + Radio à la 126 000 RadioJuillet-Août 2006

Prolongement en continu de l'enquête d'audience radio avec la création de l'Enquête des Grilles Radio d'Eté

ConclusionCe que montre l’étude de l’arrivée de la « 55 000 » de Médiamétrie, et plus

globalement l’histoire de la mesure d’audience179, c’est le fait que l’audience est avant tout un « artefact »180, une fiction181, un « jeu de langage »182, une réalité sociale construite183 par celui (ou ceux) qui décide(nt) de la mesurer et organise(nt) cette mesure. Daniel Dayan appelle « audiences » des collectifs « construits par des tiers à l’intention d’autres tiers »184. Ce concept d’« audience » a été décrit, discuté et critiqué par de nombreux chercheurs (Ien Ang185, Daniel Dayan186…) mais aussi par des non chercheurs. « D’un examen des analyses sociologiques sur la question de l’audience et/ou de sa mesure, trois grandes critiques ressortent » selon Hervé Glévarec :

1. une critique méthodologique (le lien de la mesure à la pratique vraie est incertain ; l’audience est artefactuelle) ;

179 MEADEL Cécile, Quantifier le public. Histoire des mesures d’audience de la radio et de la télévision, éditions Economica, Paris, 2010180 CHANIAC Régine, « L’audience, un puissant artefact », Hermès, n°37, 2003 ; GITLIN Tod, « Against Audiences », Texte produit dans le cadre des conférences Públicos, Televisão, Cursos de Arrabida 2001, 27-31 août 2001181 Remarquons l’ambigüité du titre de l’ouvrage de Jean Mauduit (qui a été secrétaire général de Elle, directeur de la communication du groupe Hachette, secrétaire général du CESP, président de l’IREP, conseiller de la présidence de Publicis, administrateur de Médiamétrie de 1988 à 2000, conseiller de la présidence de Médiamétrie) qui est la biographie officielle de Médiamétrie : Le roman vrai de la mesure d’audience, Médiamétrie, Levallois Perret, 2005182 Hervé Glévarec s’appuie sur le concept de « jeux de langage » de Ludwig Wittgenstein (Investigations philosophiques, Tel-Gallimard, Paris, 1961 [1953], § 23) que Glévarec estime proche de la « déclaration d’écoute » faite lors des interviews avec Médiamétrie car similaire à d’autres « jeux de langage » énumérés par Wittgenstein : « reconstituer un objet d’après une description (dessin) », « rapporter un évènement », « représenter les résultats d’une expérimentation par des tables et des diagrammes » (GLEVAREC Hervé, « L’audience est une déclaration et un "jeu de langage". Le cas de la mesure d’audience en radio », Le Temps des médias, n°9, 2007).183 BERGER Peter et LUCKMANN Thomas, La construction sociale de la Réalité, Masson/Armand Colin, Paris, 1996184 DAYAN Daniel, « Télévision. Le presque-public », Réseaux, nº 10, Paris, 2000185 ANG Ien, Desperatly Seeking the Audience, Routledge, Londres, 1991186 DAYAN Daniel, « Télévision. Le presque-public », Réseaux, nº10, 2000.

2. une critique sociologique (l’audience n’est pas un public) ; 3. et, enfin, une critique herméneutique (la mesure d’audience ne dit rien du

sens de la consommation).187.

On peut ajouter la critique sociopolitique et économique de Patrick Champagne selon laquelle les études d’audience tendraient à être présentées comme un « principe de légitimité universel » à l’image des sondages d’opinion188. On retrouve aussi les critiques méthodologiques chez les professionnels de l’audience : les salariés de Médiamétrie ou ceux du CESP.

Derrière ces critiques et les publications qui les portent, il y avait des enjeux professionnels :

- Médiamétrie devait montrer la scientificité de son travail ; - le CESP devait montrer sa capacité à contrôler les études d’audience après

avoir perdu son activité d’étude ; - les chercheurs en sciences de l’information et de la communication et en

sociologie devaient aussi légitimer leur existence et leur spécificité face à l’arrivée massive des statistiques, d’où le « tournant ethnographique », les études de réception, les cultural studies, la sociologie des publics de la culture, les analyses des « contrats de communication »… qui sont utilisés pour se distinguer des études d’audiences qui sont considérées comme incitant à la « course à l’audience » et à la « dictature de l’audimat » dénoncées par Pierre Bourdieu189.

Michel Souchon souligne le « divorce existant en France, à la différence d’autres pays, entre les recherches académiques et les recherches professionnelles sur la télévision ». Celui-ci se manifeste par le « désintérêt constant pour le niveau d’instruction dans les études professionnelles, alors que d’importantes recherches étaient conduites sur ce thème à la même époque dans l’Université »190, notamment par Pierre Bourdieu. En 1961, les statisticiens de l’INSEE sont aussi entrés dans la polémique avec une étude portant sur 17 000 personnes de plus de seize ans interrogées (revue Études et Conjoncture en 1963 aux PUF). En 1964, c’est Michel Crozier qui intervient en s’intéressant à la satisfaction des téléspectateurs sur demande du Service de Recherche de l’ORTF191.

Il y a eu de nombreuses recherches sur les sondages, le vote et l’opinion publique qui sont d’ailleurs en grande partie à l’origine de la science politique depuis Tableau politique de la France de l’Ouest (1913) d’André Siegfried. Les études d’audience ont joué un rôle moins centrale dans les sciences de l’information et de la communication, en tout cas bien moins centrale que les études de réception et des publics (notamment les questions de sociabilité, de l’attention et de l’engagement des publics…) qui sont pourtant en partie liées aux études d’audience, mais souvent considérées comme opposées. Le côté commerciale, populiste, partiel, partial et non scientifique de ces études étant sans doute mal perçu par les chercheurs, souvent de gauche et néo-marxistes (à l’image des cultural studies), par ailleurs peu formés au « quantitatif » et plus attirés par l’élitisme des « philosophes-rois » platoniciens en matière de

187 GLEVAREC Hervé, « L’audience est une déclaration et un "jeu de langage". Le cas de la mesure d’audience en radio », Le Temps des médias, n°9, 2007188 CHAMPAGNE Patrick, « La loi des grands nombres. Mesure de l’audience et représentation politique du public », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 101-102, mars 1994, p17189 BOURDIEU Pierre, Sur la télévision, Liber-Raisons d’agir, Paris, 1996190 SOUCHON Michel, « Histoire des indicateurs de l’audience », Quaderni, n°35, printemps 1998191 CROZIER Michel (sous la direction de), Télévision et éducation : étude du service de la recherche de l’ORTF, mars 1967

« médiacultures »192. Pourtant, il y a eu beaucoup de polémiques sur ces questions dans la société chez :

- les journalistes (Hélène Risser193, Noël Mamère194, Apolline de Malherbe195), - les animateurs (Patrick Sébastien196), - les romanciers (Thierry Maugenest197, Jean-Claude Thibault198), - les dessinateurs de bandes dessinées (Jean-David Morvan, Francis Porcel et

Hubert199, Jacqueline Guénard, Laurent Panetier, Cédric Ghorbani200), - les réalisateurs de films (Network : Main basse sur la télévision de Sidney

Lumet en 1976 ; The Running Man de Paul Michael Glaser en 1987 ; Tueurs nés de Oliver Stone en 1994 ; The truman show de Peter Weir en 1998 ; Pleasantville de Gary Ross en 1998 ; En direct sur Ed TV de Ron Howard en 1999 ; Superstar de Xavier Giannoli en 2012),

- les dirigeants de médias (le « temps de cerveau disponible » de Patrick Le Lay, PDG de TF1, en 2004)…

Il y aurait donc des études - notamment radiophoniques201 - à faire sur la manière dont on parle des audiences et comment elles sont utilisées, mentionnées, critiquées dans la société car les questions d’audience sont trop souvent cantonnées au marketing (Publicitor, Communicator, Mercator…).

Les indicateurs d’audiences sont, pour Eric Macé202, des « agrégats statistiques »203 et pas forcément des indicateurs des goûts204 du public. Les statistiques de l’audience « recensent des comportements sans rien dire des pratiques elles-mêmes, de leur motivation, de leur

192 MAIGRET Eric et MACE Eric, Penser les médiacultures. Nouvelles pratiques et nouvelles approches de la représentation du monde, Armand Colin, Paris, 2005193 RISSER Hélène, L’audimat à mort, Seuil, Paris, 2004194 MAMERE Noël, La Dictature de l’audimat, La Découverte, Paris, 1987195 MALHERBE (de) Apolline, Politiques cherchent audimat, désespérément, Albin Michel, Paris, 2007196 SEBASTIEN Patrick, Putain d’audience : La réalité de ma télé, Florent Massot, Paris, 2006197 MAUGENEST Thierry, Audimat circus, Liana Levi, Paris, 2007198 THIBAULT Jean-Claude, « Ô Audimat... », Amazon Media EU SARL, 2013199 PORCEL Francis, MORVAN Jean-David, HUBERT, Reality Show, Tome 5 : Total Audimat, Dargaud, Paris, 2009200 PANETIER Laurent, GUENARD Jacqueline et GHORBANI Cédric, Télé réalité, Tome 2 : Tout pour l’audimat, Vents d’Ouest, Issy-les-Moulineaux, 2008201 En ce qui concerne les audiences radio, on peut s’appuyer sur CHEVAL Jean-Jacques (sous la direction de), Audiences, Publics et Pratiques Radiophoniques, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, Bordeaux, 2003 ; CHANIAC Régine (sous la direction de), « L’audience, Presse, Radio, Télévision, Internet », Hermès, n°37, 2003 ; « Public, cher inconnu », Temps des médias, nº3, 2004 ; GLEVAREC Hervé et PINET Michel, La radio et ses publics, Sociologie d’une fragmentation, Mélanie Séteun-Irma, Paris, 2008 ; MEADEL Cécile, Quantifier le public. Histoire des mesures d’audience de la radio et de la télévision, Economica, Paris, 2010.202 MACE Eric, « Qu’est-ce qu’une sociologie de la télévision ? Esquisse d’une théorie des rapports sociaux médiatisés 1. », Réseaux, n°104, 2001203 MACE Eric, « Le conformisme provisoire de la programmation », Hermès, nº37, 2004, p129. « Tout comme les parts de marché ne mesurent pas les goûts, les taux d’audience ne renvoient pas à des publics "réels" mais à des agrégats statistiques masquant une grande mobilité des téléspectateurs face à l’offre disponible d’émissions » (MACE Eric, « Qu’est-ce qu’une sociologie de la télévision ? Esquisse d’une théorie des rapports sociaux médiatisés ? La configuration médiatique de la réalité », Réseaux, n°104, 2000, p269)204 La radio ou la télévision peuvent faire office de présence pour des personnes seules ou pour leurs animaux. Elles peuvent servir de fond sonore pendant d’autres activités. Elles peuvent être utilisées pour faire croire à une présence pour dissuader des cambrioleurs. Si, depuis les années 1980, il y a multiplication des programmes grâce à des évolutions techniques et politiques (la FM, le câble, la TNT, la RNT, internet…), allumer la radio ou la télévision auparavant équivalait à avoir des choix de programme très limités.

intensité ou de leur inscription dans l’expérience des individus » selon Dominique Pasquier205. « De fait, on ne sait rien, en dehors d’une enquête de terrain, des paroles d’appréciation, de rejet, de critique des programmes, rien sur le rapport "politique" aux chaînes, etc. » ajoute Hervé Glévarec206. John Fiske207 a proposé de remplacer le concept d’« audience » par celui d’« audienciation ». On peut aussi essayer de le distinguer du concept de « public », de « grand public », de « public moyen »208, de « cible », d’« auditeur », d’« auditoire »… qui sont aussi des constructions sociales.

Comme cela a été dit en introduction, les personnes qui financent et produisent les études décident contractuellement ce qui est appelé « audience »209. Elles connaissent, acceptent, et même choisissent a priori les définitions, méthodologies, problématiques, mais aussi les limites et biais de ces études, et donc en partie les résultats en limitant le champ des possibles. La définition de l’audience varie en fonction de chaque média210, du type de dispositif de suivi des audiences adopté, des indicateurs de performance retenus ou des conventions inhérentes à chaque système d’observation211. Si l’objectif de vérité scientifique - quelque utopique qu’il soit – n’est pas évacué – et au contraire valorisé -, il s’agit avant tout de s’accorder sur un langage économique commun susceptible d’in-satisfaire le moins possible les principaux acteurs du marché - les actionnaires, les souscripteurs, les commanditaires – et au contraire instituer de la confiance sociale, symbolique, technique, juridique, économique, voire politique grâce à une sorte mélange de thermomètre, de monnaie d’échange et de contrat social. Le terme « audience » est, selon Jean-Pierre Esquenazi, « emprunté aux entreprises de production et à leurs tentatives de régulation des marchés ; le calcul des audiences est pour elles une tâche prioritaire »212. En effet, le taux d’audience d’une radio (ou d’un autre média), d’une tranche horaire ou d’une émission sert à mettre en place ou modifier des programmations ou ressources humaines213, mais aussi peser dans les débats, les

205 PASQUIER Dominique, « Des audiences aux publics : le rôle de la sociabilité dans les pratiques culturelles », in Olivier Donnat et Paul Tolila (sous la direction de), Le(s) Public(s) de la culture, Politiques publiques et équipements culturel, Vol II, Presses de Sciences Po, Paris, 2003, p110. Voir aussi : CHALVON-DEMERSAY Sabine, « La mesure du public : approche généalogique de l’audience télévisuelle », Quaderni, n°35, 1998206 GLEVAREC Hervé, « L’audience est une déclaration et un "jeu de langage". Le cas de la mesure d’audience en radio », Le Temps des médias, n°9, 2007207 FISKE John, « Audiencing : A Cultural Studies Approach to Watching Television », Poetics, 21, 1992208 BOURDIEU Pierre, « Disposition esthétique et compétence artistique », Les Temps modernes, n°295, 1971209 Une étude comme celle faite par Sabine Chalvon-Demersay et Paul-André Rosental au service des études de France Télévision sur l’usage des mesures d’audience est à faire à Radio France ou dans d’autres radios (« Une démographie des comportements volatils ? L’émergence de la micro-analyse dans la mesure d’audience », Quaderni, vol 35, n°1, 1998).210 Comme nous avons pu le voir, les cinq principales techniques de recueil de déclarations en ce qui concerne l’audience radio sont l’enquête téléphonique (systematic recall), le carnet d’écoute (diaries), l’enquête de pratiques (general habits), l’entretien in situ (coincidential interviewing) et le boîtier audimétrique (recording devices). (Lire SOUCHON Michel, « Histoire des indicateurs de l’audience », Quaderni, n°35, printemps 1998)211 TASSI Philippe, « Les médias, la publicité et les mesures d’audience », Annales des Mines - Réalités industrielles, août 2014212 ESQUENAZI Jean-Pierre, « Les Non-Publics de la Télévision », Texte produit dans le cadre des conférences Públicos, Televisão, Cursos de Arrabida 2001, 27-31 août 2001213 Les audiences sont utiles pour les politiques de recrutement, les politiques salariales et les choix de licenciement. En effet, la valeur économique, sociale, politique, symbolique d’une personne, d’une émission, d’une radio est liée en grande partie aux résultats d’audience. Mais l’audience n’est pas le seul critère pour la programmation d’émissions et la disparition de certaines personnes à l’antenne. Les chaines publiques sont, par exemple, soumises à des cahiers des charges qui leur imposent certains type de programmes peu rentable en termes d’audience : les émissions politiques et les émissions culturelles qui sont d’ailleurs moins présentes sur les radios commerciales. Inversement, un animateur ou producteur peut se vanter d’une grande audience mais néanmoins perdre son émission car il déplaît tout d’un coup à la (nouvelle) direction, à un homme politique de premier plan ou à un autre animateur qui a des appuis supérieurs. Certaines émissions peuvent avoir des audiences faibles ou moyennes mais avec un très faible coût économique ce qui fait qu’elles sont « rentables ».

rapports de force, le lobbying pour obtenir des autorisations d’émettre ou des fréquences214 et de les conserver215, et surtout déterminer le prix de la diffusion d’une publicité au quotidien. La situation économique et financière de la plupart des radios en dépend. Même les radios publiques comme France Info, France Inter, France Bleu et les radios associatives (dans les limites de 20% de leur chiffre d’affaires) diffusent de la publicité ou des campagnes de communication sociale.

L’invention des indicateurs d’audience renvoie à la nécessité de vendre des « impacts » publicitaires statistiquement comptabilisés sous forme de parts de marché216. Les indices statistiques sont traduits par les professionnels217 des médias en « attentes » de programmes, programmes, programmation ou cibles marketing. Les indicateurs d’audience mesurent des rencontres (écoutes, expositions, contacts…) - du moins des déclarations de rencontres - plus ou moins longues entre un « produit médiatique » et ses « consommateurs ». Si d’autres informations ne sont pas recueillies, c’est que les personnes qui financent l’institut Médiamétrie ne considèrent pas que ces informations leurs sont nécessaires ou qu’ils obtiennent des informations grâce à d’autres types d’enquêtes de Médiamétrie ou par l’intermédiaire d’autres sociétés qui font d’autres types d’étude.

L’institut Médiamétrie définit donc ce qu’est l’audience en France en tentant de stabiliser218 la manière dont celle-ci est définie et calculée. Par exemple, selon l’enquête « 126 000 Radio » de l’institut Médiamétrie, ce qu’on appelle couramment « audience » d’une radio donnée, à un moment donné, dans un lieu donné est appelée par Médiamétrie « audience cumulée ». L’audience cumulée est généralement un nombre219 qui provient d’un calcul complexe extrapolant à partir d’un certain nombres personnes de plus de 13 ans interrogées (parmi un certain nombre de personnes contactables et contactées) qui déclarent (s’ils s’en souviennent et s’ils souhaitent le dire) à un moment donné (entre 17h30 et environ 21h30) et dans un lieu donné (chez soi s’ils disposent d’un téléphone fixe et de n’importe où s’ils ne disposent que d’un téléphone portable) à une personne donnée qui suit une procédure donnée dans un lieu donné et grâce à un matériel donné, avoir écouté cette radio à un moment donné (jusqu’à 24h avant l’entretien), dans un lieu donné… Ce nombre dépend des choix méthodologiques et notamment de la méthode d’échantillonnage (entre les méthodes aléatoires, la méthode des quotas, l’échantillon raisonné) qui doit tenter d’être représentative de la population étudiée pour que les résultats obtenus puissent être extrapolés à l’ensemble de la population. Il faut aussi choisir le système informatique utilisé ainsi que le nombre de personnes à interroger pour diminuer la marge d’erreur sans trop alourdir le coût de l’enquête…

On pourrait penser que la mesure d’audience est aujourd’hui plus simple, précise, efficace avec l’arrivée d’internet, du Big data… car il serait enfin possible de savoir

214 Si le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) doit équilibrer le nombre de fréquences entre les radios publiques d’une part et les différentes catégories de radios privées (A, B, C, D, E), les plus grosses radios (c’est-à-dire celles qui ont le plus d’audience) ont forcément plus de poids pour négocier des fréquences.215 On se souvient de la manifestation du 8 décembre 1984 de soutien contre les sanctions de suspension de l’HACA contre 95.2, Radio Libertaire, La Voix du Lézard, Radio Solidarité, TSF 93 et surtout NRJ.216 BENILDE Marie, On achète bien les cerveaux. La publicité et les médias, Raison d’Agir, Paris, 2007217 En télévision, « les spécialistes du "média planning" raisonnent en GRP, cibles, couverture et répétition. Les politiques se préoccupent des parts d’audience ou parts de marché. Les producteurs et les réalisateurs des émissions veulent connaître la taille de leur public et en lisent la traduction dans les chiffres d’audience moyenne. » (SOUCHON Michel, « Histoire des indicateurs de l’audience », Quaderni, n°35, printemps 1998) Depuis la montée de NRJ au niveau de l’audience cumulée, on voit que RTL ou France Inter valorisent davantage la durée d’écoute qui est supérieure dans les radios généralistes que dans les radios musicales.218 Les nombreux changements méthodologiques rendent les comparaisons historiques difficiles, mais ce type de comparaisons intéresse plus les chercheurs que les radios qui s’intéressent davantage au présent et à l’avenir qu’au passé.219 L’audience cumulée peut aussi être exprimée en pourcentage de la population.

objectivement quelles sont les pratiques des internautes puisque ceux-ci laissent des traces numériques de leurs comportements220 numériques. Et, ce sont bien des objets techniques, des machines informatiques qui mesurent les audiences sans même que les personnes qui sont « objectivées » soient au courant. Mais les choses sont plus complexes que cela comme on peut le voir dans A quoi rêvent les algorithmes. Nos vies à l’heure des big data221 de Dominique Cardon. Les algorithmes, qui sont des programmes informatiques qui classent des mails en spams dans les boites mail, qui font des recommandations, qui personnalisent la publicité, qui guident notre navigation numérique…, sont issus de choix politiques, économiques, moraux, philosophiques, marketing. C’est ainsi que Google a mis à jour l’algorithme « PageRang » en 2011 avec Google Panda qui gère notamment les contenus sur les sites internet (version 4.2 le 18 juillet 2015), et en 2012 avec Google Penguin qui gère notamment les pratiques externes aux sites internet comme le netlinking222 et le backlinking223

non naturels (version 6 le 10 décembre 2014). En effet, Google souhaite réagir par rapport pratiques numériques des acteurs du numérique, notamment celles que cette société juge abusives par rapport aux règles qu’elle met en place. C’est ainsi que « Google a réussi à imposer son algorithme en apparaissant à la fois comme plus scientifique, comme plus neutre commercialement (le vide de la page de requête avait frappé les premiers utilisateurs qui, sur d’autres moteurs, devaient subir des bannières de toutes sortes), comme plus simple ergoniquement (une barre de requête et peu de commande) et comme le petit Poucet qui venait perturber les grands, dont Microsoft. »224 Or, ces politiques algorithmiques peuvent être plus ou moins loyales, c’est-à-dire faire plus ou moins ce qu’elles disent faire. Les internautes sont donc libres de faire ce qu’ils veulent mais dans un carcan algorithmique qui est très peu visible et change régulièrement. Or, ce carcan a d’importants effets conatifs (ce que l’on peut connaître du monde), voire cognitifs (comment on perçoit, pense, mémorise le monde) sur notre façon de faire face à l’inflation exponentielle informationnelle.

Les algorithmes, les livres, les documents comptables et donc les tableaux et représentations graphiques, dont l’audience telle qu’elle est présentée par Médiamétrie est un exemple, sont des artefacts225 utiles. En effet, s’ils ont tendance à être fétichisés du fait de leur apparence objective, factuelle, neutre226, ils ont l’atout de constituer des représentations

220 Voici ce que déclare, dès 2004, Emmanuel Fraisse, directeur général du Centre d’étude des supports de publicité : « La notion même de l’audience, telle qu’on la définit aujourd’hui, risque d’évoluer à cause de la fragmentation de la consommation des médias. La facilité, aujourd’hui, est de prolonger les systèmes existants, alors que demain, on parlera plus de comportements. » (« L’audimétre du futur arrive. Enquête », Stratégies Magazine, n°1319, 25/03/2004)221 CARDON Dominique, A quoi rêvent les algorithmes. Nos vies à l’heure des big data, Seuil, Paris, 2015222 Le netlinking ou link building correspondant à l’augmentation du nombre de liens hypertextes menant vers un site web, à partir de sites dont le public correspond à celui visé. Il peut se faire par échange ou achat de liens. L’objectif est d’améliorer le référencement dans les moteurs de recherche.223 Le backlink est un lien hypertexte pointant vers un site ou une page Web sur un autre site ou une autre page Web. La qualité et la quantité de liens retours pointant vers un site ou une page donne une indication de la réputation de ce site ou de cette page.224 BOULLIER Dominique, Sociologie du numérique, Armand Colin, Paris, 2016, p80225 Ce ne sont évidemment pas les personnes-auditeurs-audiences-publics qui sont des artefacts, mais la façon dont ils sont représentés en chiffres (pourcentages ou nombres) ou graphiques par Médiamétrie ou tout autre organisme ou individu (un chercheur y compris !).226 Rappelons que les chercheurs peuvent aussi se laisser prendre par cette tendance à quantifier la réalité (PORTER Theodore M., Trust in numbers. The pursuit of objectivity in science and public life , Princeton University Press, Princeton, 1995) et à la « faitichiser » (LATOUR Bruno, Petite Réflexion sur le culte moderne des dieux faitiches, Empêcheur de penser en rond, Paris, 1996), par exemple dans les études de réception où il s’agit de trouver le vrai auditeur, le vrai public en train d’écouter vraiment, dans de vraies conditions d’écoute… C’est a fortiori le cas pour les spécialistes des radios associatives ou communautaires, comme on peut le voir dans l’article « Est-ce que ça marche ? L’observation et l’évaluation des radios communautaires » de Peter Lewis, spécialiste des radios communautaires qui évacue la question de l’audience dès son premier paragraphe : « Il convient tout d’abord de mettre en perspective cette problématique posée de manière abrupte : est-ce que ça

visuelles, chiffrées et conceptuelles d’un monde trop complexe et infini à saisir entièrement sans elle sans pour autant épuiser les infinies significations : « depuis Durkheim227, on le sait, la statistique a plusieurs avantages : elle est le seul instrument de mesure à visée et à capacité représentatives, elle seule produit des effets de réel en montrant les distributions et les régularités, et, enfin, elle renferme des capacités d’objectivation et de typification qui n’ont rien d’artificielles dès l’instant que pourraient bien s’y manifester des "faits sociaux", par exemple des pratiques régulières et routinières. »228 Il est donc utile de comprendre le fonctionnement de ces artefacts pour connaître la vision du monde qu’ils présentent et diffusent229. Ainsi, on a pu voir que l’étude dite « 55 000 » de Médiamétrie n’a pas été créée ex nihilo puisqu’elle s’inscrit dans une continuité :

- humaine (Les employés de Médiamétrie sont issus d’autres instituts ou institutions comme le CEO. Ce dernier était dirigé par Jacques Durand, mais il ne parvient qu’à devenir directeur de la recherche et du développement de Médiamétrie.),

- technique (Plusieurs techniques mises en place par Médiamétrie existaient déjà ou étaient en projet. Selon Jacques Durand, « le projet d’enquête téléphonique sur grand échantillon, élaboré en 1983 pour Radio France par le CEO et la Sofres »230

devient la « 55 000 » en 1986), - politique (L’existence de Médiamétrie est due à des choix politiques des plus

hautes autorités publiques.)…

Mais dans cette continuité, il y a eu des ruptures. On voit que l’arrivée de Médiamétrie a changé le fonctionnement du marché de l’audience du fait de plusieurs phénomènes :

1) la privatisation de l’étude de l’audience (Médiamétrie est une société privée et beaucoup de ses clients sont des organismes privés. L’Etat a retiré sa participation en 1988, même s’il peut encore peser via l’INA (moins de 3% du capital en 2016),

marche ? ou, autrement dit, est-ce que les radios communautaires fonctionnent, obtiennent-elles des résultats et si oui lesquels, comment peut-on les mesurer, les évaluer ? Pour répondre à ces questions, il faut aller au-delà des traditionnelles questions sur les audiences et leurs mesures quantitatives. Les réponses méthodologiques que l’on peut apporter passent par une approche ethnographique de ces interrogations (in Jean-Jacques Cheval (sous la direction de), Audiences, publics et pratiques radiophoniques, Pessac, 2005, p83).227 DURKHEIM Emile, Le suicide. Étude de sociologie, PUF, Paris, 2007 [1897]228 GLEVAREC Hervé, « L’audience est une déclaration et un "jeu de langage". Le cas de la mesure d’audience en radio », Le Temps des médias, n°9, 2007229 Comme l’analyse Patrick Champagne (« La loi des grands nombres. Mesure de l’audience et représentation politique du publique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 101-102, mars 1994), les études d’audience valorisent le libéralisme économique (le consommateur a toujours raison) et le démocratisme politique (le citoyen a toujours raison). Pour une analyse de l’invention du vote et de la philosophie politique sur laquelle il repose, lire : GARRIGOU Alain, Le Vote et la Vertu. Comment les Français sont devenus électeurs, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris, 1992. Avec internet et le numérique, Dominique Cardon observe de nouvelles formes de légitimités (CARDON Dominique, A quoi rêvent les algorithmes. Nos vies à l’heure des big data, Seuil, Paris, 2015). En plus de l’audience, c’est-à-dire de la popularité, qui se mesure en nombre de « vus », « clics »…, il y a la famille des mesures issue du « PageRank » qui hiérarchise l’autorité des sites au moyen des liens hypertextes qu’ils s’échangent. Ensuite, il y a la famille des mesures issue de la réputation des personnes, des entreprises et des produits qui sont construites via les réseaux sociaux et les sites de notations. Enfin, il y a la famille des mesures prédictives, destinées à personnaliser les informations présentées à l’utilisateur, grâce à des méthodes statistiques d’apprentissage (deep learning) pour calculer les traces numériques et prédire les comportements. Ces évolutions sont susceptibles de relancer les « études d’audience ».230 DURAND Jacques, « Les études sur l’audience de la radiotélévision », Quaderni, n°35, printemps 1998, p83-84

Radio France (13,5% du capital en 2016) et France Télévision (22,89% du capital en 2016)231.),

2) la marchandisation de l’audience (Patrick Champagne souligne comment le vocabulaire quantitatif et marketing s’impose dans les médias au niveau de l’évaluation des programmes au fur et à mesure que l’audience s’impose comme « instrument majeur de régulation de l’ensemble de l’audiovisuel »232 et que le paradigme des « consommateurs adultes » - qui « votent » en choisissant les programmes qu’ils aiment selon le principe de la « libre concurrence » - s’impose sur celui des « administrés culturels »233 - où différents porte-parole autodésignés s’estiment également légitimés à dire ce que veut « le peuple » dans ce domaine de grande consommation culturelle.),

3) la commercialisation des résultats des études (A l’époque du CEO, ce dernier n’a pas le droit de donner aux annonceurs les informations dont il dispose grâce à ses études. Aujourd’hui, les acteurs médiatiques ont le droit d’acheter les résultats des travaux de Médiamétrie sans être concernés par les études234 : les radios et la presse papier pour les audiences TV par exemple.),

4) la massification du nombre de personnes interviewées (La plus grosse étude avant l’arrivée de la « 55 000 » visait 12 000 personnes. Or, le nombre d’auditeurs à l’écoute du média radio n’a fait qu’augmenter235.),

5) l’industrialisation de l’étude de l’audience avec un travail de recueil et de traitement de l’information permanent,

6) la publicisation des résultats des études d’audience (Souvenons-nous qu’en 1965, les « rapports sur l’audience du Service des études de marché ne sont, dans leur grande majorité, adressés qu’à quatre personnes : le Directeur général, et trois de ses adjoints »236. Même s’il y avait des fuites orchestrées237 et des enquêtes alternatives (commandées et publiées par les syndicats, les journaux238, les représentants des

231 https://www.mediametrie.fr/mediametrie/pages/capital-et-actionnaires.php?p=10,88,86&page=26 232 CHAMPAGNE Patrick, « La loi des grands nombres. Mesure de l’audience et représentation politique du public », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 101-102, mars 1994, p14233 Expressions du ministre de l’Information Alain Peyrefitte (CHAMPAGNE Patrick, « La loi des grands nombres. Mesure de l’audience et représentation politique du public », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 101-102, mars 1994, p12-13).234 Comme sur les communiqués de presse de Médiamétrie ou des radios, le public n’a accès qu’à une partie des résultats. « Il faut distinguer l’utilisation de résultats achetés par [ses] clients, avec des limites de publication au risque d’en détruire la valeur. » selon l’équipe Médiamétrie qui à relu cet article.235 Entre 1986 (Enquête « 55 000 Radio » (octobre-décembre 1986), 15 ans et plus, 5h-24h, Lundi-Vendredi) et 2005 (Enquête « 126 000 Radio » (janvier-mars 2005), 15 ans et plus, 5h-24h, Lundi-Vendredi ), le nombre d’auditeurs radio a augmenté de plus de 9 millions et est passé de 31 980 000 (soit 74,1% des Français âgés de 15 ans et plus) à 41 048 000 (soit 84,1% des 13 ans et plus) grâce à l’augmentation de la population française et la prise en compte des 13 ans et plus dans les études de Médiamétrie depuis 2003. En 2015, l’audience cumulée atteint 43 640 000 (soit 81,9% des 13 ans et plus (Médiamétrie, « 126 000 Radio » (novembre-décembre 2015), 13 ans et plus, 5h-24h, Lundi-Vendredi http://www.mediametrie.fr/radio/communiques/l-audience-de-la-radio-en-france-sur-la-periode-novembre-decembre-2015.php?id=1397)). L’audience continue donc d’augmenter en quantité, mais la part d’audience du média radio par rapport aux autres médias diminue.236 MEADEL Cécile, « De l’émergence d’un outil de quantification », Quaderni, n°35, 1998, p67237 Voici la critique d’André Brincourt : « Les chiffres traversent les murs, les statistiques s’égarent, les documents circulent et le tout, recoupant d’autres informations personnelles, mérite certes d’être porté à la connaissance de ce public que l’on berne et dont on contrefait la voix sous couvert de "consultation suivie" » (« Sondages et trucages », Le Figaro, 18 octobre 1967)238 Il y a par exemple la pratique du « vote de paille » (sur les sondages en général et le « vote de paille » en particulier : BLONDIAUX Loïc, La fabrique de l’opinion Une histoire sociale des sondages, Seuil, Paris, 1998) dans Télé-sept-jours en juin 1965 (70 000 réponses) ou dans L’Aurore en septembre 1965 avec des questions d’appréciation. En plus d’interroger directement leurs lecteurs, les journaux commandent des études ponctuelles (celle du Figaro du 9 juin 1972 à propos de l’information télévisée et de la confiance que les Français lui accordent) ou régulières (à partir de 1976 pour France-Soir en ce qui concerne la cote de popularité de la

téléspectateurs et auditeurs239, les loueurs de récepteurs, les publicitaires...). Aujourd’hui, les communiqués de presse de Médiamétrie sur les résultats des audiences des radios sont accompagnés par les communiqués de presse des principales radios, Mais la totalité des résultats ne sont accessibles qu’aux souscripteurs ce qui exclut une grande partie des opérateurs, et la totalité des observateurs, chercheurs et étudiants. Néanmoins, Médiamétrie fournit régulièrement et gracieusement des résultats à des chercheurs, étudiants, auteurs, observateurs pour leurs recherches.),

7) la rationalisation des études d’audience audiovisuelle (Médiamétrie a largement participé à la recherche et au développement dans le domaine des études d’audience. Les études sont donc réalisées avec des techniques statistiques mieux contrôlées et plus objectives en interne ou en externe du fait du contrôle du CESP. Les enquêteurs sont davantage formés. Il y a davantage de logiciels mathématiques, de bases de données et de formation des enquêteurs.),

8) diversification240 des études et enrichissement de la « 55 000 » par des études soit diachroniques soit locales pour obtenir d’autres façons de satisfaire les clients des études et d’approcher les auditeurs (auxquelles il faut ajouter les études sur les autres médias : télévision, cinéma, internet…) :

- le « Panel radio » en janvier 1993 pour recueillir l’audience des mêmes individus (panélistes) durant 3 semaines consécutives et en deux vagues par an (janvier-février et septembre-octobre)241,

- le « Metridom » en 1997 pour l’étude de l’audience dans les départements d’outre mer,

- l’étude « Médialocales » créée en janvier 1989 pour étudier l’audience au niveau local242,

télévision). La pratique des sondages remplace petit-à-petit la pratique du « vote de paille » car les sondages sont jugés plus représentatifs et scientifiques, notamment par les dirigeants de chaines qui sont les seuls à disposer des résultats des sondages qu’ils commandent. Mais ces derniers doivent parfois les utiliser face à la pression sociale et symbolique des hommes politiques, journalistes et de l’audience. Il a même pu arriver que l’IFOP soit au centre d’une polémique quand une étude sur la qualité de l’information réalisée pour le compte de l’Union des journalistes de télévision est entrée en contradiction avec celles pour le compte des dirigeants de l’ORTF alors que la population concernée par l’enquête n’est pas la même et que l’IFOP affirme ne faire que recruter les personnes interrogées (MEADEL Cécile, « De l’émergence d’un outil de quantification », Quaderni, n°35, 1998, p73-74). Ainsi, les résultats de sondage dont les dirigeants disposent sont aussi contestés. On peut donc comprendre la tendance de Médiamétrie à se distinguer des sondages d’opinion.239 L’Association des téléspectateurs et auditeurs de France (ATAF), présidée par François Mauriac envoie des questionnaires à ses adhérents à partir de 1 963 : les émissions, les soirées, les speakerines les plus appréciées ou critiquées… (MEADEL Cécile, « De l’émergence d’un outil de quantification », Quaderni, n°35, 1998, p69)240 Il y a, au sujet de la diversification des études d’audience quantitatives, des différences historiques entre la télévision et la radio. Jacques Durand rappelle que les radios utilisent des sondages sur les comportements des auditeurs qui sont globalement inchangés dans leur organisation et leur fonctionnement pendant plus de quarante ans, alors que la télévision se cherche, multiplie les enquêtes, juxtapose les techniques de sondages. « L’évolution des audiences de la radio et de la télévision au cours des quarante dernières années », Médiaspouvoirs, n°21, 1991241 Pour une critique du panel radio dans le domaine du média-planning, lire BRIGNIER Jean-Marie et HAERING Hélène, « Des mesures d’audience radiophonique au média-planning radio », Recherche et Applications en Marketing, vol. 13, n°4, décembre 1998242 Les Médialocales constituent un dispositif permanent de mesure au niveau des régions françaises, des départements et des agglomérations de plus de 50 000 habitants. Elles reposent sur l’extraction de résultats de l’enquête 126 000 et la réalisation de suréchantillons (enquêtes complémentaires) sur certaines zones (au minimum 500 interviews) du lundi au vendredi uniquement. Lire : CHEVAL Jean-Jacques, « L’audience de la radio en Aquitaine, les Médialocales 1999-2000 », in Jean-Jacques Cheval (sous la direction de), Audiences, publics et pratiques radiophoniques, Pessac, 2005

- l’étude « Le public des associatives » créée en 2004 pour l’audience des radios associatives243.

9) la spécialisation dans l’audience (Avant Médiamétrie, les instituts qui réalisaient des études sur l’audience étaient des instituts d’étude de marché et d’opinion dont l’audience n’était qu’une activité parmi d’autres.)

10) la quasi-monopolisation244 des études quantitatives245 sur l’audience audiovisuelle246. S’il n’y a pas eu un monopole total, les autres instituts ne parviennent à exister qu’à la marge en ce qui concerne l’audience des médias audiovisuels. Voici plusieurs exemples qui ont existé ou existent en parallèle à Médiamétrie :

243 « Le public des associatives » est une étude expérimentée avec l’aide de la CNRA (Confédération Nationale des Radios Associatives) en 2004 puis reconduite et généralisée à partir de 2005. Il s’agit d’une réaction aux autres études de Médiamétrie, jugées peu adaptées aux radios associatives qui sont « pour la plupart, des radios de rendez-vous, certaines dans des zones rurales ou périurbaines à faibles populations » et dont « bon nombre de programmes sont réalisés par des bénévoles ». Prêt de 50 radios de communication sociale de proximité ont bénéficié de cette étude en 2007. En 2015, elle est accessible aux radios à 1 000€ HT si entre 250 et 400 interviews, 1 100€ HT si entre 401 et 600 interviews, 1 250€ HT si entre de 601 à 1000 interviews 1 450€ HT si entre 1001 à 2000 interviews. Les radios adhérentes à la CNRA peuvent bénéficier d’une réduction de 10% sur le tarif, ce qui fait un tarif de base de 900€ HT soit 1080€ TTC pour une étude portant sur un nombre d’interviews compris entre 250 et 400 (http://www.cnra.fr/notre-partenariat-avec-mediametie-le-public-des-associatives). Cette étude permet à ces radios de connaître leur notoriété, de quantifier leur auditoire global, régulier, par semaine, et plus occasionnel, d’établir le profil des individus déclarant avoir l’habitude de les écouter en les classant sur différents critères de fréquence d’écoute sur une semaine moyenne. Les interviews sont réalisées sur la zone de diffusion de la station (communes choisies par la station). L’enquête se fait sur un an comme voici pour celle de 2016 : mi-octobre 2015 ouverture des souscriptions pour le dispositif, mi-décembre 2015 clôture des souscriptions, terrain d’enquête du 4 janvier 2016 au 26 juin 2016, mise à disposition des résultats mi-août 2016. Les questions sont intégrées « 126 000 » / « Médialocales » de janvier à juin grâce à un échantillon interrogé représentatif de la composition réelle de la population de la zone étudiée (base INSEE). Sur l’audience des radios associatives : POULAIN Sebastien, «°What can be known about French community radio audience?°», ECREA, Barcelona, 25-28/11/2008, http://fr.slideshare.net/SebastienPoulain/what-can-be-known-about-french-community-radio-audience244 CHANIAC Régine, « Télévision : l’adoption laborieuse d’une référence unique », Hermès, La Revue, n°37, 2003245 Il en est tout autrement dans le domaine des études qualitatives que de nombreuses sociétés sont susceptibles de réaliser ou que les médias sont susceptibles de faire eux-mêmes. En effet, celles-ci demandent bien moins de moyens matériels, sont ponctuelles, ad hoc, avec des objectifs précis et ceux qui les commandent ne veulent pas faire connaître les résultats au grand public. Les études qualitatives permettent une exploration en profondeur des comportements et attitudes des interviewés, de comprendre et d’en expliquer les motivations. L’échantillon interrogé est de taille beaucoup plus modeste, au plus quelques dizaines de personnes. Il n’est pas statistiquement représentatif de la population étudiée. Les personnes sélectionnées doivent fournir le maximum d’informations par rapport à une problématique et aux objectifs de l’étude. Elles permettent par exemple de tester une grille de programmes, des musiques, une émission, un message, avant ou après diffusion, pour en appréhender la perception, la compréhension, en connaître les points forts et les points faibles. Elles peuvent permettre aussi de connaître les besoins et attentes des auditeurs ou encore d’aider à concevoir des nouveaux programmes et des messages publicitaires.246 On peut faire un parallèle entre la création de Médiamétrie et de l’OJD qui est une association professionnelle française dont le rôle est de certifier la diffusion, la distribution et le dénombrement des journaux, périodiques et de tout autre support de publicité. Issue de l’Office de justification des tirages fondé en 1922, l’OJD avait pour but de mesurer la véracité des chiffres de tirage annoncés par la presse et in fine organiser le marché publicitaire dans la presse écrite. La fusion entre l’Office de Justification de la Diffusion (OJD) et AudiPresse (structure de mesure d’audience de la Presse créée en 2007) a donné naissance à l’ACPM (Alliance pour les Chiffres de la Presse et des Médias) en décembre 2015. La gouvernance de l’ACPM repose sur l’ensemble des organisations professionnelles représentatives de la presse française (SEPM, SPQN, UPREG, APGI, AEPHR, FNPS), de tous les annonceurs et des agences médias à travers le CRTM (Club de Recherche Tous Médias), ainsi que les « publishers hors presse » qui seront représentés au sein de son nouveau conseil d’administration. Cette fusion est à nouveau le signe du besoin de parler le même langage.

a) Le panel Sofres-Nielsen issu de la joint-venture de ces deux instituts existe de 1985 à 1988 mais l’interprofession préfère le Médiamat. Ce système concurrent mesure l’audience individuelle de la télévision via un panel de 200 foyers de la région parisienne qui sont associés au Minitel et doivent remplir un carnet d’écoute électronique.

b) En 1989, le CESP intègre l’étude de la radio-télévision « Étude multi-médias » qui porte sur l’ensemble des médias via 19 700 interviews. Et en 1991 une « Enquête budget-temps multi-médias », comportant 18 240 interviews réparties uniformément sur l’ensemble de l’année. L’écoute de la radio est notée, de même que les autres activités, sur une grille par cinq minutes247.

c) La société Télémétric – filiale de la société Bertin et de la société Motivaction (CA de 160 MF en 1988) dirigé par Jean-Louis Croquet - tente en 1986 de concurrencer Médiamétrie248 avec la technologie « Motivac » qui permet de détecter et reconnaître des formes (morphométrie) grâce à une technologie électro-optique de la société Bertin249 qui transmet les informations (corpulences, nombre et mouvements des personnes) par téléphone puis par le réseau Transpac jusqu’à un serveur central. La technologie devient opérationnelle en 1989 et fait l’objet d’un protocole d’accord d’audit avec le CESP le 9 décembre 1989 pour voir si la technologie est efficace. La joint-venture Arbitron (propriété de Control Data depuis octobre 1988)-Sami (propriété de Time Inc. puis de Control Data en 1988)/Burke (propriété d’Arbitron depuis octobre 1984 puis de Sami en mai 1986)250, deuxième groupe d’étude en communication aux USA (après Nielsen), projette d’équiper ses panels de 40 000 « Motivac » pour un montant d’un milliard de Francs. Mais Télémétric y renonce en 1990 après des tests non convaincants et déplaisants251 : Étienne Mougeotte, dirigeant de TF1, déclare que « C’est une fumisterie »252. Il faut dire qu’en « [a]nnonçant que 30% des postes de télévision restent allumés sans spectateurs dans la matinée, que les spectateurs zappent à tout va d’un JT à l’autre à 20 heures, le Motivac risque de bouleverser l’économie de la télévision. Les annoncent risquent en effet de ne plus vouloir payer des espaces publicitaires télévisuels pour se rabattre sur d’autres espaces. » Et finalement, le « contrôle du CESP en 1990 a conclu à la non-fiabilité de l’outil. »253.

d) IPSOS a lancé en 1979 une étude (annuelle depuis 1986) appelée « La France des Cadres Actifs » sur les pratiques culturelles médiatiques (Internet, Cinéma, Radio, TV) des cadres (dirigeants, les cadres et les professions intermédiaires actifs qui résident en France) en prenant en compte des critères sociodémographiques, des critères spécifiques à leur environnement professionnel, le style de vie personnel et professionnel, les

247 DURAND Jacques, « Les audiences de la radio », Sociologie de la communication, vol. 1, n°1, 1997248 Jacqueline Aglietta fait part en 1991 de sa volonté de lancer à son tour un produit concurrent du Motivac avec l’appui de la Sagem et de Mimetics (Entreprendre, n°51, mai 1991, http://fr.1001mags.com/parution/entreprendre/numero-51-mai-1991/page-98-99-texte-integral).249 « Le projet mondial de Télémétric », Entreprendre, n°27, janvier 1989250 MATTELART Armand, Advertising International : The Privatisation of Public Space, Routledge, Londres, 1991, p145, et Hugh Malcolm Beville, Audience Ratings : Radio, Television, and Cable, Lawrence Erlbaum Associates, Hillsdale, 1985, p291251 CARMAGNAT Fanny, « Un système passif de mesure d’audience », Réseaux, vol. 8, n°39, 1990, http://www.persee.fr/doc/reso_0751-7971_1990_num_8_39_2833 252 « L’audimétre du futur arrive. Enquête », Stratégies Magazine, n°1319, 25/03/2004253 CESP, Mesurer l’audience des médias. Du recueil des données au média-planning, Dunod, Paris, 2002, p58

centres d’intérêt, la mobilité. Suivant cette logique ciblée vers les élites IPSOS a réalisé l’étude biannuelle « La France des hauts revenus » entre 1991 et 2007 sur des foyers ayant des revenus annuels nets supérieurs à 52 K€ (8% de la population), à 67 K€ (4%), 94 K€ (2%).

e) L’institut CSA a réalisé, pour le compte de la Fédération Française des Radios Chrétiennes (FFRC)254, une étude sur l’audience radio du 4 au 17 décembre 2012 auprès de 4 006 individus représentatifs, et publiée le 11 février 2013. Les radios chrétiennes françaises de la FFRC seraient, selon celles-ci, créditées de 739 000 auditeurs quotidiens et un auditoire global de 3,8 millions d’individus. Cette étude, dont les résultats peuvent surprendre, mêle qualitatif et quantitatif (du « qualitatif quantifié »255 selon l’expression de Jacqueline Aglietta). Les informations nationales sont plébiscitées par 80% des auditeurs, les informations locales par 79%, les émissions musicales par 72%, les émissions culturelles par 70%. Elles sont jugées ouvertes et chaleureuses par 90% des auditeurs, enrichissantes et libres par 91% des auditeurs et crédibles par 90% des auditeurs256.

Mais ces études n’ont pas réussi à déstabiliser Médiamétrie. La « 55 000 » a provoqué et aussi connu de « nombreuses évolutions257 […], mais ses principes de base sont restés les mêmes »258 jusqu’à la « 126 000 ». En revanche, Médiamétrie doit faire face à de nouveaux et nombreux enjeux, notamment techniques et commerciaux, compte tenu de la massification de l’usage d’internet :

- numérisation : Médiamétrie a dû faire face à tous les enjeux des postradiomorphoses259, c’est-à-dire l’arrivée des technologies de l’information et de la communication qui modifient la production, la diffusion, la réception de la radiophonie. Il y a notamment multiplication des supports d’écoute : téléviseurs, ordinateurs, récepteurs RNT, tablettes numériques, téléphones mobiles… Ceux-ci atteignant 11% de l’audience radio (5,8 millions d’auditeurs), tandis que 4 internautes sur 10 surfent sur des sites internet de radio via un ordinateur, un mobile ou une tablette260. Les médias premiums traditionnels souhaitent connaître les différents types d’impact (nombre de « vus », de « retweets », de « likes », de téléchargements de

254 La Fédération Française des Radios Chrétiennes rassemble notamment les radios du réseau RCF, de la COFRAC (Communauté Francophone des Radios Chrétiennes), du réseau Phare FM ainsi que d’autres radios indépendantes chrétiennes.255 BOURBOULON François, « La mesure d’audience est comme une monnaie commune : elle doit être unique, reconnue et crédible » (entretien avec Jacqueline Aglietta), Journal du net, 18/04/2003, http://www.journaldunet.com/itws/it_aglietta.shtml256 LEROI Thibault, « FFRC - Les radios chrétiennes sont écoutées par 739 000 auditeurs quoditiens », RadioActu.com, 15/02/2013, http://www.radioactu.com/actualites-radio/144329/ffrc-les-radios-chretiennes-sont-ecoutees-par-739-000-auditeurs-quoditiens/ 257 Par exemple, la « 126 000 » s’enrichit début 2006 d’une série de critères dits « Étapes de la Vie » qui offre une nouvelle ampleur à l’analyse grâce aux sociotypes dits « les Sinus-Milieus » construis par Sociovision à partir de 40 questions « d’univers de vie » posées aux panélistes radio de Médiamétrie (LE GOFF Emmanuelle, « Socio démo... et plus », Audience. Le Mag, 14 février 2007, http://www.audiencelemag.com/?article=7). Par ailleurs, les fréquences de connexion à internet sont disponibles pour le médiaplanning radio dans la « 126 000 » depuis mai 2006. 258 CHEVREUX Marie-Dominique, « La radio pionnière », Hermès, n°37, 2003259 POULAIN Sebastien, « Postradiomorphoses : petit bilan des mutations radiophoniques à l’ère du numérique », Radiography, 15 octobre 2013, http://radiography.hypotheses.org/906260 Médiamétrie / NetRatings, Audience Internet Global, novembre 2015. L’équipe de Médiamétrie qui a lu ce texte précise que « ces informations sont issues notamment des études Home Devices, sur l’équipement audiovisuel et numérique des foyers et Global Radio, sur les nouveaux comportements d’écoute de la Radio ».

podcasts, référencement…) de leurs investissements techniques et humains sur ces supports numériques.

- mondialisation : Médiamétrie exporte son expertise et les résultats de ses études, avec par exemple les études Eurodata TV, les études d’audience radio et télévision à Madagascar, au Sénégal, en République Démocratique du Congo, en Côte d’Ivoire. Médiamétrie exporte aussi les technologies de mesure qu’elle a mises au point pour ses propres besoin en France. Le Barc en Inde par exemple, utilise la technologie du « Watermarking » pour la mesure de la télévision. Médiamétrie doit tenir compte de la nouvelle concurrence mondiale liée à internet et à toutes les sociétés commerciales261 qui souhaitent mesurer les pratiques des internautes avec des études « user centric » (que Médiamétrie fait via le panel NetRatings) et des études « site centric » (que Médiamétrie fait via eStat).

C’est autant de travail pour les chercheurs qui ne doivent pas laisser s’installer un monopole de la parole sur ce monopole de l’étude de l’audience mais au contraire analyser, expliquer et critiquer la méthodologie, mais aussi contextualiser les résultats car les chiffres d’audiences sont dépendants des définitions et méthodologies de Médiamétrie, mais aussi des contextes historico-géographiques (avec des régions ayant des préférences pour telles ou telles radios, tels ou tels type de radio262), politiques (soutien ou non des politiques avec des subventions par exemple), sociaux (population ouvrière ou cadre, urbaine ou rurale), techniques (équipement en transistor hier, et en récepteur RNT ou accès 3G/4G, internet aujourd’hui ; qualité de la réception ; nombre d’antennes), programmatiques (plus ou moins grande diversité des radio et des programmes de ces radios)…

261 Les société spécialisées en « Web Analytics », « Market Research », « Online Optimization », « Search Engine Optimization » et concurrentes du panel NetRatings (audience et usages des sites internet) et d’eStat (trafic web) de Médiamétrie sont les anglais de Netcraft, les hollandais de Nedstat, les français d’Edatis, les américains de comScore, de Webtrends, Alexa Internet (achat d’Amazon), de Microsoft AdCenter Analytics (anciennement Gatineau), de Google Trends et Google Analytics (achat du logiciel de statistique Urchin de Urchin Software Corporation par Google), d’Adobe Systems (qui avait acheté Omniture, qui avait acquis Websidestory qui avait acquis Visual Sciences)…262 « L’audience de la radio se révèle être un phénomène très localisé. Choisir d’écouter telle radio plutôt que telle autre dépend de nombreux facteurs, au premier rang desquels l’histoire locale et la réalité de la diffusion hertzienne tant que le câble, le satellite, et Internet ne seront pas réellement "démocratisés" ». (SAINT-ROMAN (de) Arnaud, « L’audience de la radio en France, un exemple de contrastes régionaux », in Jean-Jacques Cheval (sous la direction de), Audiences, publics et pratiques radiophoniques, Pessac, 2005, p34)