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L'auteur : Jean Couranjou, né à Alger, est issu d'une famille qui y était installée depuis 1882. Directeur de recherches à l'I.N.R.A. (Institut national de la recherche agronomique, département génétique et amélioration des plantes) jusqu'en 1994; il est aujourd'hui à la retraite. Passionné d'Algérie, il a progressi- vement constitué une collection d'objets tra- ditionnels (utilitaires, d'apparat et rituels) relatifs à l'Afrique du Nord et à divers pays islamiques, allant de la préhistoire à l'époque actuelle. Mais les carreaux de faïen- ce constituent sa collection la plus importan- te car ses recherches personnelles, menées depuis 1965, concernent la faïence de revête- ment importée de pays très divers dans la Régence turque (1518-1830). Dans ce domai- ne qu'il a passablement élargi, il a réalisé de nombreuses découvertes. Elles l'ont amené à la réalisation d'un très important ouvrage, actuellement non édité. Il est en relation avec des chercheurs de divers pays, et publie dans des revues spécialisées d'Espagne et des Pays-Bas. Il est aujourd'hui chercheur associé au Centre de recherche sur les archéomatériaux (Université de Bordeaux 3, CNRS. U.M.R. 5060). 1. Femme de Grande Kabylie se rendant à la fontaine. La poterie modelée d'Afrique du Nord, dite « poterie kabyle » (première partie) ui, en Afrique du Nord, n'a eu l'occasion de découvrir ces po cries campagnardes, souvent dites en Algérie et de façon restricti- ve, kabyles ? On peut voir, en effet, en Grande et Petite Kabylie, sur le chemin de la fontaine, ces femmes portant sur leur dos, l'amphore décorée ou non (fig. 1). Mais ces scènes se retrouvent dans les trois pays, car loin de se cantonner à la Kabylie, je devrais dire aux Jean Couranjou Kabylies, ces poteries rustiques au sens premier Cu terme puisque pré- cisément, elles sont exclusivement rurales, sont confectionnées d'un bout à l'autre de l'Afrique du Nord

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L'auteur :

Jean Couranjou, né à Alger, est issu d'unefamille qui y était installée depuis 1882.Directeur de recherches à l'I.N.R.A. (Institutnational de la recherche agronomique,département génétique et amélioration desplantes) jusqu'en 1994; il est aujourd'hui à laretraite. Passionné d'Algérie, il a progressi-vement constitué une collection d'objets tra-ditionnels (utilitaires, d'apparat et rituels)relatifs à l'Afrique du Nord et à divers paysislamiques, allant de la préhistoire àl'époque actuelle. Mais les carreaux de faïen-ce constituent sa collection la plus importan-te car ses recherches personnelles, menéesdepuis 1965, concernent la faïence de revête-ment importée de pays très divers dans laRégence turque (1518-1830). Dans ce domai-ne qu'il a passablement élargi, il a réalisé denombreuses découvertes. Elles l'ont amené àla réalisation d'un très important ouvrage,actuellement non édité. Il est en relation avecdes chercheurs de divers pays, et publiedans des revues spécialisées d'Espagne etdes Pays-Bas. Il est aujourd'hui chercheurassocié au Centre de recherche sur lesarchéomatériaux (Université de Bordeaux 3,CNRS. U.M.R. 5060).

1. Femme de Grande Kabyliese rendant à la fontaine.

La poterie modelée d'Afrique du Nord,dite « poterie kabyle » (première partie)

ui, en Afrique du Nord, n'a eul'occasion de découvrir ces

po cries campagnardes, souventdites en Algérie et de façon restricti-ve, kabyles ? On peut voir, en effet,en Grande et Petite Kabylie, sur lechemin de la fontaine, ces femmesportant sur leur dos, l'amphoredécorée ou non (fig. 1). Mais cesscènes se retrouvent dans les troispays, car loin de se cantonner à laKabylie, je devrais dire aux

Jean Couranjou

Kabylies, ces poteries rustiques ausens premier Cu terme puisque pré-cisément, elles sont exclusivementrurales, sont confectionnées d'unbout à l'autre de l'Afrique du Nord

sans presque de solutions de conti-nuité géographique (fig. 2). Certainsles ont peut-être regardées avecdésintéret, voire avec dédain.D'autres en ont acquis au hasard deleurs pérégrinations. Il en est qui lesont considérées avec curiosité, voireavec intérêt, au point même de lescollectionner, de s'y attacher et d'es-sayer d'en savoir plus, notammentgrâce aux rares travaux de quelqueschercheurs en la matière.C'est mon cas depuis de longuesannées. A force de « chine » et grâceà la générosité de quelques amis,j'ai réuni d'une part, une collectionde pièces représentant à peu prèsles diverses régions d'Algérie (etquelques-unes des deux pays voi-sins), d'autre part, un certainnombre du peu d'ouvrages et d'ar-ticles de revues spécialisees,straitanttel ou tel aspect du sujet. A partirdes éléments sérieux de connais-sance que j'ai pu rassembler, j'airegroupé et ordonné l'ensemble desquestions relatives à ces poteriesdans un diaporama que j'ai réaliséet présenté par ailleurs. Le texte quisuit en est une adaptation. Il m'estagréable de faire ainsi partager lesresultats et les joies de plus de tren-

te ans de cueillettes aléatoires. Maisje ne suis ni vraiment spécialiste, niréellement chercheur en la matière.Je n'ai, en effet, jamais opéré sur leterrain, comme il se doit pour cela,si ce n'est celui des marchés auxpuces, des brocantes et autres hôtelsdes ventes; et mes modestesrecherches, surtout livresques, sesont essentiellement limitées à loca-liser (ou au moins essayer de lefaire) la provenance des piècesacquises, tout au plus à approfondirles connaissances des styles régio-naux.Au cours de la période française,divers auteurs ont étudié cette pote-rie campagnarde d'Afrique duNord : ethnologues professionnelsou amateurs eclaires, et surtoutarchéologues; ces derniers, pou-vaient ainsi étudier, si j'ose dire, invivo, des techniques du passé préou protohistorique, survivances dela nuit des temps. Toutes qualifica-tions confondues, ce sont surtoutVan Gennep dans les années dix etvingt; Gobert pour la Tunisie dansles années quarante; Hélène Balfetdans les années cinquante à soixan-te-dix pour l'Algérie; Camps dansles années cinquante et soixante.

2. Zone de confection (en pointillé) de la poterie modelée en Afrique du Nord.

D'autres ont suivi comme Hakenjosdans les années quatre-vingt pourl'ensemble de la céramique maro-caine; Véronique Fayolle dans lesannées quatre-vingt-dix pour lapoterie modelée de Tunisie. Diversauteurs ont apporté aussi leurcontribution comme Roubet dansles années soixante pour la Kabylie,et, dans les années soixante-dix,Gatineau pour la Tunisie, Delpypour le Maroc, Musso pour la pote-rie votive de Grande Kabylie.Naturellement, on ne peut passersous silence l'ethnologue Servierqui a étudié sur le terrain dans lesannées cinquante, les moeurs et lescoutumes de très nombreusesrégions d'Algérie. C'est à partir deces études menées sur une grandepartie du territoire des trois pays,qu'a été synthétisé ce qui suit etauquel j'ai apporté ma modestecontribution.

1. Comparaison visuelleavec les poteries manufactu-

rées du Maghreb

Pour éviter toute confusion, ilconvient de distinguer la poteriecampagnarde de celles manufactu-rées, également nord-africaines(fig. 3). Ces dernières sont représen-tées par des pièces de divers types.Les belles faïences de forme sont lesplus élaborées, en particulier cellesde Fès (17e et 18e, fig. 3A), recher-chées par les collectionneurs, etaujourd'hui celles de Safi et cellesde Nabeul. La poterie émaillée àfond jaune et motifs plus simples(fig. 3B), confectionnée à Djerba et àNabeul, est plus ordinaire. Enfin, laTunisie produit en nombre desamphores, cruches et gargoulettesen terre nue (fig. 3C). Ce sont là lesprincipales ormes; il en existed'autres. Faïence et poterie émailléeprésentent une vive polychromie,tandis que la poterie campagnardequi nous intéresse ici (fig. 3 D), secantonne dans les teintes naturellesdes terres. En outre, à la différencedes autres qui, elles, sont cuites àhautes températures dans les foursspécialement conçus, elle présente

poteries manufacturées poterie campagnarde

mode de confection tournage modelage

matièreet teintes du décor

faïence minérale (terres, pierres) ouvégétale (ocres, brun, noir)

motifs souples et curvilignes très généralement rectilignes

cuisson en four à haute température précaire, en bûcher primitif,laissant des plages noires

main d'oeuvre professionnelle masculine domestique féminine

destination commerciale personnelle (exceptionnelle-ment commerciale)

lieux de production rares et localisés, urbains multiples, rurauxrythme de production journalier saisonnier (sauf exceptions)

3. Comparaison des différents types de poterie confectionnées en Afrique du Nord(A : faïence de Fes du XVIIIe; B: faïence de Djerba actuelle; C : poterie brute de Tunisie; D : poterie

traditionnelle de l'Est algérien).

généralement sur la surface, une jet d'un commerce. Les poterieszone noircie, témoignant d'une manufacturées, elles, sortent jour-cuisson précaire et fruste. Le décor nellement d'ateliers en nombrediffère passablement; à la souplesse limité et souvent urbains commeet à la curvilinéarité de ceux des c'est le cas à Djerba pour lapoteriepoteries industrielles, s'oppose la brute ou à Safi pour celle de faïence.rectilinéarité caractéristique de Au contraire, les poteries campa-celui de la poterie campagnarde. gnardes sont habituellementUne constante est la progressivité confectionnées, au moins endu passage des appendices, comme Algérie, à une seule période de l'an-l'anse au corps de la poterie, résul- née, et comme je l'ai dit, de façontant en un profil sans rupture de quasi continue, d'un bout à l'autrecourbe, contrairement à celui des de l'Afrique du Nord.pièces manufacturées. On peut Ainsi pour différencier les poteriesobserver une certaine irrégularité qui nous intéressent - ici des autresdans le profil ou dans l'aplomb; poteries nord-africaines, peut-oncelle de la rotondité de la forme les désigner aussi bien comme tra-témoigne d'une confection sans ditionnelles, ou rurales, ou fémi-l'usage de l'instrument du potier : nines, ou modelées (terme qui leurle tour. C'est que, contrairement est généralement consacré); de plusaux trois autres types de poteries, la les modèles sont représentatifs, parcampagnarde ne sort pas des mains leur forme et surtout leur décor dedu professionnel mais uniquement la tribu et Dieu sait que leur nombrede celles des femmes de la maison est élevé.pour leurs besoins propres; on Il conviendrait d'ajouter ici un autreverra qu'elles ne sont pas tournées type de poterie campagnarde, dis-mais modelées. Contrairement à tincte de celle qui nous intéresse etcelles du potier (et du faïencier), qui, pour cette raison, n'est pas trai-traditionnellement, ces poteries ne tée ici. Non pas modelée mais mou-sont donc pas destinées à la vente lée, elle est confectionnée au Marocet, sauf exceptions, ne font pas l'ob- par les hommes dans la zone sud de

4. Pose et fixation du colombin.

celle intéressant la poterie modelée.Après avoir distingué la poteriemodelée des autres poteries nord-africaines, nous allons en examinersuccessivement la confection, lesrègles générales qui en régissent ladécoration, les diverses formes réa-lisées, pour terminer avec les diffé-rents styles selon les régions. Aulong de cette analyse qui sera frac-tionnée en plusieurs sections,l'Algérie sera mise au premier plan,l'extension aux deux autres paysayant pour but de mettre en reliefl'homogénéité des principes régis-sant cette production dans toutel'Afrique du Nord.

2. Confection : techniqueset instruments

C'est donc au même titre que laquête de l'eau, les travaux domes-tiques et les activités culinaires, quela confection des poteries modeléesest une occupation strictementféminine.Techniques et instruments varient

quelque peu selon les régions.Traditionnellement, dès la fin avril,les femmes du village entrepren-nent la confection des pièces quivont servir aux différents besoinsde la maison et du culte, en rempla-cement de celles de l'année précé-dente dont le nombre et la qualitéont subi les atteintes dues a leurgrande fragilité. Ce sera l'occasionpour les petites filles d'acquérirauprès des anciennes, la formationnécessaire à ce travail qui va durerplusieurs semaines. Dans certainestribus de Grande Kabylie, on leurfait consommer l'oeil grillé du mou-ton pour l'acquisition du sens artis-tique nécessaire à la décoration(Servier).

La récolte de la terre est la premièrepréoccupation. Le plus souvent,chaque douar a ses gisements, dontles filons à flanc de pente ou d'ouedsont connus; parfois leur emplace-ment constitue un secret bien tenu;le creusement d'un puits peut êtreune source occasionnelle de matièrepremière. Par nécessité ou par choixpour les poteries particulièrementfines, la terre peut être amenée deloin. Une fois extraite, avec l'aideéventuelle d'un homme de la famil-le, elle est transportée dans leschouari à dos d'âne jusque devant lamaison. Elle est broyée au rouleau,débarrassée de ses impuretés(cailloux, racines) et tamisée avantd'être humectée ou laissée quelquesjours à la pluie; c'est l'opération dupourrissage, préparation indispen-sable bien connue des potiers, quiva donner la souplesse nécessaire.Mais une terre trop grasse, outrequ'elle risque de se montrer diffici-le en collant à la main, se fendraensuite à la cuisson. Il faut doncprocéder au dégraissage, techniquequi consiste à incorporer en propor-

tion convenable (souvent autourd'un tiers) une matière non plas-tique préalablement finement pilée.Dans la plupart des régions, il s'agitde tessons de vieilles poteries; c'estla chamotte ou tafoun desTunisiennes. On peut d'ailleurs, enKabylie, trouver près des habita-tions, des broyeurs primitifs pourtessons ou, selon la saison, pourolives; ce sont des rochers presen-tant une légère dépression en cuvet-te sur laquelle est posé un pros galet(Musso). Dans d'autres regions deTunisie, on utilise la calcite broyéedirectement ou après passage aufour; mais ailleurs (Ouarsenis, sudde Tlemcen, Aït Khelilli de GrandeKabylie), le sable remplit cet office;chez les Aït Khelilli, riche en mica, ildonne aux pièces leur éclat particu-lier.La terre prête, la confection peut

5. Confection du colombin.

6. Lissage à l'estèque.

commencer. La potière prépare lenécessaire : argile dans des couffins,jarres d'eau, barbotine et supports.Dès lors, les opérations vont sedérouler au sol sur lequel on com-mence par disposer autant de sup-ports, le plus souvent ronds (kafeben Tunisie, rotala dans le Rif...) qu'ily aura de pièces à confectionner.Selon le cas et la région, en bois, enliège, en terre cuite, ou en bouse devache pétrie et durcie, parfois sur-élevé sur un plat retourné, le sup-port va servir de base à l'objet à éla-borer; il pourra de temps en tempssubir une rotation pour éviter àl'opératrice de se deplacer autourde la poterie au cours du travail;mais rien à voir avec le tour nimême avec la tournette, instrumentintermédiaire pouvant tourner surun axe mais sans mécanismemoteur. Le support n'est pas larègle absolue, la confection pou-vant se faire à même le sol, pourvuqu'il soit plat et après qu'il ait étésablé pour éviter l'adhérence. Demême avant usage, le support estsaupoudré de sable ou recouvertd'un chiffon ou d'un disque desparterie.

Une boule de terre est alors confec-tionnée dont la taille est proportion-nelle au diamètre de la poterie àréaliser. Elle est appliquee sur lesupport et progressivement aplatieà la main, de façon à devenir undisque épais, le plus rond possible.Dans certaines régions, la potière al'habitude de presser le centre plusque le bord, pour donner dejà àcette première pose une légèreforme de récipient, ce qui va sur-tout faciliter la pose suivante et son

mains (fig. 5). Tout au long de cetteopération, la potière lisse les paroisexternes en les humidifiant à lamain. L'instrument de lissage estl'estèque, lui-même trempé aucours de son usage (fig. 6). La natu-re de cet instrument toujours assezprimitif est le plus souvent uneraclette de bois (Sahel et Mogodspour la Tunisie, Kabylie pourl'Algérie...); mais il varie selon lesrégions : côte de chameau dans leDahar tunisien, corne de chèvre

7. Accessoire d'écoulement de deux poteries du Djurdjura(A : halleb à anse de panier et bec tubulaire; B : pichet à tube à pont).

adhérence. Au contraire, au CapSerrat (nord tunisien), l'opératriceforme un sillon périphérique desti-né à recevoir l'apport suivant, enl'occurrence le colombin. Le travailse poursuit en effet, par superposi-tion de colombins successifs à partirde la périphérie du disque; leurfixation est assurée par pression(fig. 4). Le colombin est un boudind'argile, long et régulier, soigneuse-ment obtenu par roulage entre les

dans les Traras, couteau dans leHodna, dos de peigne dans leZehroun, débris d'empeigne debabouches dans la zone nord-rifai-ne, morceau de cuir... Bref, tout ins-trument apte à racler sera adopté defaçon à remonter la terre et à enenlever les excédents, tout en main-tenant de l'autre main la face inter-ne de la poterie pour éviter l'effon-drement de la piece fraîche en coursde réalisation (fig. 6), Ainsi au fur et

8. Pièces ornéesd'un décor en relief.

à mesure, la paroi est régularisée etamincie.Pour les pièces larges comme lesplats et les jattes, l'intérieur, comptetenu de la concavité, est lissé à l'es-tèque souple (découpée dans devieilles semelles de caoutchouc) enTunisie aussi bien dans les Mogodsque dans le centre. Pour les poteriesgrossières que sont les kanoun, lepolissage peut être fait directementa la main.Non sans avoir fait subir quelquesrotations au support, en confection-nant plusieurs poteries en mêmetemps de façon a laisser se faire unléger séchage au fur et à mesure,progressivement les formes appa-raissent au gré de leur réalisatriceavant d'atteindre leur aspect défini-tif.Pour les pièces larges comme lesplats et les jattes, il ne reste qu'àconfectionner la lèvre du bord dontla forme varie selon la région. Lespièces verticales sont à compléter

par la pose d'accessoires de préhen-sion et d'écoulement, opérations làencore menées conjointement pourles différents corps de poterie.Nombre de pièces ne comportentqu'un accessoire, celui assurant lapréhension ou celui permettantl'écoulement.L'anse est confectionnée à partird'un colombin. Pour les pièces degrande taille que sont les amphoresa transporter l'eau et pour les-quelles les anses sont soumises àdes forces importantes, la techniquede fixation est particulière; il s'agitd'un chevillage après perforationdu corps de l'amphore, aux deux outrois points d'attache. Pour les pote-ries de tailles plus modestes, la fixa-tion se fait à la barbotine, c'est-à-dire une terre plus mouillée. Lesrécipients très pansus que sont lespots à lait (halleb), sont munis d'unesorte d'anse de panier fixée au-des-sus de la très large ouverture du pot(fig. 7A). Sa confection nécessite la

9. Engobage.

pose préalable d'un bâtonnet poursupporter le colombin. Dans tousles cas, dans la zone de contact del'anse avec le corps de la poterie, unajout de terre convenablement lis-sée renforce la fixation et donne àces poteries modelées un aspectparticulier comme on le verra aussipour les tubes d'écoulement.Les accessoires d'écoulement peu-vent compléter les récipients verti-caux. Ils prolongent toujours uneperforation dans la panse, faiteavant fixation. Ils sont de deuxsortes : le bec tubulaire court, plusou moins large, éventuellementévasé; pour les pots pansus quesont les halleb (fig. 7A), le tube àpont pour les autres (fig. 7B). Dansles deux cas, après que l'ouvertureait été pratiquée dans la panse, lapotière roule un colombin a la taillecorrespondante, qu'elle perce pro-gressivement de part en part danssa longueur par un bâtonnet. Pourle bec tubulaire court, une fois lafixation assurée, on procède dudoigt mouillé, au lissage de la paroiinterne et dans certains cas, à l'éva-sement du bord. Le tube d'écoule-ment, beaucoup plus long, nécessi-

te l'adjonction à la partie supérieu-re, d'un pont le reliant au col. Dansles deux cas, comme pour les anses,un ajout de terre convenablementlissé assure aux points d'insertion,une bonne transition avec le corpsde la poterie : à ce niveau, la sou-plesse du profil qui en résulte carac-térise la silhouette de la poteriemodelée, la différenciant de celle dela poterie tournée (fig. 7). Le tube àpont peut servir d'anse et d'ac-croche à un clou mural; aussi lesauteurs le dénomment-ils souventanse à pont. D'autres accessoirespeuvent être mis en place, les unsnécessaires : oreilles de préhension,repose-marmite de kanoun, pointede tajin..., les autres, décorationspropres à la région : ergot sur l'an-se, téton de panse...Nombre de poteries rituelles com-portent un pied creux tronconique.Il est confectionné à part au colom-bin, ouvert sur son grand diamètrede base et fixé par son extrémité

10. Polissage final, ici à la coque de bivalve.

étroite au corps de la pièce; l'en-semble reposera sur la partie largedu pied. Si la forme du corps de lapièce avant confection du pied per-met de le poser retourné sur le sol,il est utilisé dans cette positioncomme support pour le modelagedu pied...La confection est terminée; le décoren relief peut être réalisé. Cette pra-tique n'intéresse que les pièces à feu(kanoun, marmites) et encore dansquelques régions seulement (fig. 8).Dans l'Aurès où le décor peint estrare, elle est plus généralisée. Ledécor en relief est obtenu, avant unedéshumidification trop poussée, àpartir de boulettes ou de colombinséventuellement moulés au doigt. Ledécor en creux par impressionsfines, lui, est fait à l'estèque ou à lapointe de roseau, selon les régions.Après ces opérations, on procèdeau lissage, traitement de surface parpassage léger des mains trempéesdans l'eau ou mieux dans la barbo-tine, suivi dans certaines régions,par le passage d'un linge mouillé.La surface interne peut être lisséede la même manière si les dimen-sions du goulot sont suffisantes, ouà la cuiller en cas contraire, maisgénéralement elle est laissée enl'état. Le lissage peut être complétépar un polissage mais le plus sou-vent celui-ci est pratiqué après l'en-gobage.Puis c'est l'engobage, pratique trèsrépandue, sauf dans certainesrégions en particulier Rif etZehroun au Maroc, et Monts desTraras dans l'extrême ouest algé-rien. Il consiste à enrober tout oupartie de la poterie, de l'engobe(fig. 9), colorant obtenu en délayantaprès broyage soit une marneblanche, soit une argile ferriquepour le roue. L'engobage se faitdirectement a la main ou au moyen

11. Exécution des motifs.

d'une boule de laine, d'un tamponde tissu ou d'un pinceau sommaire.Dans certaines régions, engobesrouge et blanc, combinés enregistres, peuvent constituer le seuldécor.Ensuite, au fur et à mesure de ladéshumidification, on procèdé enplusieurs fois au polissage final.Pour cela, on utilise les instrumentsnaturels environnants. Le plus utili-sé est le galet de rivière (Kabylie,nord-ouest et centre de la Tunisie,Zehroun marocain...), mais il enexiste d'autres comme la coqued'un bivalve (fig. 10; zones côtièresdu nord de la Tunisie...); la coquilled'escargot est utilisée au Maroc (Rifet Zheroun), en Algérie (Aurès,Hodna) et dans une zone du centrede la Tunisie; là, la potière enfile àchacun de ses doigts de la mainsauf le pouce, un gros escargot etd'un mouvement ample et semi-cir-culaire, en frotte la poterie. Ailleurs,on utilise d'autres instruments :rafle d'épi de maïs, cuir, chiffonmouillé... Dans certaines zones deGrande Kabylie, un long polissage

permet aux surfaces en rouge d'ac-quérir un brillant dispensant duvernissage après cuisson.Arrivée à un certain niveau dedéshydratation, la pièce reçoit ladécoration aux colorants d'origineminérale; c'est la plus courantedans l'ensemble de l'Afrique duNord, beaucoup plus que le décoren relief déjà vu et plus que celuiaux colorants végétaux, pratiquélui, après cuisson.La décoration d'origine minéralefait appel à des terres ou des pierresbroyees, colorées, analogues a cellesutilisées pour les engobes; mais lavariété dans les teintes est pluslarge, selon leurs teneurs en colo-rants, fer et manganèse en particu-lier, elles donneront après cuisson,des teintes variées : orangés,rouges, bruns de différents tons.Pour réaliser les motifs qui peuventêtre très élaborés, l'opératrice qui,souvent fait preuve d'une très gran-de dextérité, confectionne dans laplupart des régions, un pinceauconstitué de poils de chèvre mainte-nus dans une boulette d'argile quilui sert de manche (fig. 11); l'épais-seur du pinceau est commandéepar la finesse ou la largeur desmotifs à réaliser; pour les traits lesplus fins, le pinceau peut être rem-placé par la pointe du piquant deporc-épic. Pour les traits larges etles pastilles (dites oeufs de tortue enGrande Kabylie), les doigtsconviennent. D'autres instrumentsexistent comme en Tunisie, un pin-ceau plus primitif fait de poils dechèvre maintenus entre le pouce etl'index, et plus précisément dansles Mogods, la tige de lentisquecoupée à l'ongle et la plume d'oi-seau.La pièce achevée doit subir unséchage très progressif jusqu'aucoeur pour éviter la casse lors de la

cuisson; il est pratiqué d'abord àl'ombre le temps nécessaire, puis ausoleil. Tous les stades de la confec-tion étant dictés par ceux de lavégétation, le rite veut que la pote-rie dite « verte » mûrisse en mêmetemps que les épis dans les champs,leur maturité déterminant lemoment de la cuisson; elle se faitaprès la moisson et le dépiquage,lorsque le blé lui aussi est sec.

De même qu'elle ignore le tour, lapoterie modelée nord-africaineignore le four. La cuisson est

12. Cassures révélant l'insuffisance de la cuisson.

conduite à même le sol dans desinstallations précaires exigeant dela technique. Dans certains villages,on fait appel à un spécialiste. Lastrate inférieure est constituée ducombustible ; la suivante corres-pond aux poteries bien calées entreelles, ouverture vers le bas pourune bonne conservation de la cha-leur; la troisième strate est repré-sentée par une autre couche decombustible recouvrant entière-ment la poterie. Une couche sup-plémentaire de matériau incombus-tible (des pierres) ou à combustion

lente (raquettes de figuier deBarbarie, bouse séchée) est éven-tuellement ajoutée pour unemeilleure concentration de la cha-leur; le feu est entretenu durantdeux ou trois heures. Cette tech-nique, la plus primitive, est large-ment pratiquée d'un bout à l'autrede l'Afrique du Nord (ensemble dela Tunisie; hautes plaines constanti-noises, Babors, Kabylie maritime,Djurdjura, Traras, pour l'Algérie;de Fès pour le Maroc). Une amélio-ration permettant une meilleureconservation de la chaleur estapportée par la construction,autour de l'appareillage, d'uncercle de pierres (centre et sud tuni-sien), voire même d'une murette(monts de Mâadi, et Kabylie pourl'Algérie, Merkalla notamment, auMaroc). Une amélioration voisineconsiste à creuser préalablement lesol (Zheroun au Maroc). La plusévoluée des techniques, associeexcavation et murette. Quelque soitle dispositif régional, le plus sou-vent l'alimentation du foyer n'estpas entretenue, la combustion n'estpas contrôlée; ne dépassant pas 500degrés, elle ne fait qu'éliminer l'eaude constitution. Après quelquesheures de cuisson, et tout le tempsnécessaire au refroidissement, onretire les poteries qui n'ont pas étéfendues ou cassées par suite d'unepréparation insuffisante de la terre;elles portent des tâches noirescaracteristiques provenant duléchage par les flammes réduc-trices, faute d'aération. La précaritéde la cuisson apparaît nettementlorsque la poterie est brisée : lacouche interne, peu cuite, a conser-vé sa teinte noirâtre (fig. 12). Cettecuisson rudimentaire conduit à unegrande fragilité et à une mauvaiseétanchéité n'autorisant pas lalongue conservation d'un liquide.

Lorsque la poterie est encore suffi-samment chaude, on procède auvernissage, pratique ne concernantpas toutes les régions. On utilise àcet effet une résine (le louk) ou plusexactement une gomme gui seraitexudée par différentes especes d'ar-bustes à la suite de la piqûre d'unhémiptère.La decoration d'origine végétale estpratiquée dans les régions oùn'existent pas de colorants miné-raux naturels (Zehroun, nord-ouestdu Rif, monts des Traras...). Deconstitution organique, ces colo-rants sont incapables de résister aufeu; ils sont donc appliqués aprèscuisson. Ces colorants sont dediverses sortes : écorces de pind'Alep, jus de caroube, écorce degrenade; mais nombre de ces pro-duits qui, dans le temps ont étésignalés, semblent aujourd'hui dis-paraître au profit de ceux du com-merce. Cependant, un des plus lar-gement utilisé est extrait du len-tisque, cet arbuste odorant caracté-ristique de la flore nord-africaine.Les feuilles sont pilées au mortieravec quelques gousses fraîches decaroubier et un peu d'eau. On enextrait un jus verdâtre et trouble quidoit être utilisé frais; pour acquérirsa teinte noire brillante, il exige unelégère carbonisation; aussi, est-ilappliqué sur la poterie cuite, mise àchauffer légèrement au-dessus dukanoun dès l'application. Plus rare-ment (Tébessa, Algérie), on confec-tionne un bitume par distillation debois de résineux. On verra, en parti-culier avec la poterie des monts desTraras, que ces décors organiques,beaucoup plus fragiles que lesminéraux, résistent mal au temps.

(À suivre)

Jean Couranjou(Dessins et photos de l'auteur)