L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

62
REMBRANDT LA SAINTE FAMILLE ou lart de lever un rideau WOLFGANG KEMP traduit de l’allemand par François Renault

Transcript of L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

Page 1: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

REMBRANDTLA SAINTE FAMILLEou lart de lever un rideau

WOLFGANG KEMP

trad uit d e l’allem and p a r F ra n ç o is R en ault

Page 2: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

Wolfgang Kemp, né en 1946, étudia et enseigna à Bonn, Marburg, Los Angeles et Kassel. Il est depuis 1983 professeur d’histoire de l’art à l’université de Marburg. Principales publications :August Sanders Rheinlandschaften, Munich, 1976 ; Foto-Essays, Munich, 1978 ; ... einen wahrhaft bildenden Zeichenunterricht überall einzuführen. Zeichnen und Zeichenunterricht der Laien 1500-1870, Francfort, 1979 ; John Ruskin, Leben und Werk, Munich, 1983 ; Der Anteil des Betrachters. Rezeptijonsàsthe- tische Studien zur Malerei des 19. Jahrhunderts, Munich, 1983.Ouvrages publiés sous la direction de Wolfgang Kemp : Theorie der Fotografie 1839-1980, Munich, 1979-1983, 3 vol. ; Der Betrachter ist im Bild. Kunstwis- senschaft und Rezeptionsâsthetik, Cologne, 1985.

En 1646, Rembrandt peignit un petit tableau qui eut une grande influence. Il s’agit de la première peinture hollandaise comportant un rideau peint « devant » le tableau et un cadre peint « autour ». Ce chef-d’œuvre illusionniste de Rem­brandt incita de nombreux artistes contemporains à l’imiter ; la mode de ces accessoires dura un certain temps. Que signifie une telle adjonction ? Avons- nous affaire à un trompe-l’œil ? Est-ce une indication sur la manière dont on vivait avec les tableaux ? Faut-il la mettre en rapport avec le sujet de l’œuvre, la Sainte Famille ? Ces questions et bien d’autres nous mènent au cœur de l’essai : l’auteur s’interroge sur la fonction et le statut de la peinture dans les Pays-Bas du xvne siècle, sur une production picturale qui semble créer l’impossible. Ces tableaux paraissent avoir une double destination : devenir objet de collection, mais aussi de méditation, de réflexion concentrée sur un modèle.

Collection « Un sur Un » dirigée par Julia Fritsch et Jean-Luc Gautier

Coordination : Françoise Bonnefoy Maquette : Jérôme Faucheux

© 1986, Fischer Taschenbuch Verlag GmbH, Francfort-sur-le-Main.© 1989, Éditions Adam Biro,17, rue du Louvre,75001 Paris, pour l’édition française.

Tous droits réservés

ISBN : 2-87660-044-7 Dépôt légal : mai 1989 N° d’éditeur : 0046

Page 3: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

Rembrandt, Autoportrait (datant de l ’époque où il travaillait à la Sainte Famille de Kassel), eau-forte, 1648.

Page 4: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

UN SACRILÈGE ?

Durant l’été 1875, le Suisse Jacob Burckhardt, historien de l’art et de la civilisation, entreprit un voyage pour visiter les musées de Dresde et de Kassel1. L’année précédente, l’université de Baie lui avait confié pour deux ans un cours d’histoire de l’art. Il envi­sageait donc de rafraîchir ses connaissances sur la peinture baroque et Renaissance en allant voir des œuvres originales. C’est avant tout la peinture baroque (qui constituait l’essentiel des collections princières de Dresde et de Kassel) qu’il essaya de redécouvrir. Comme beaucoup de ses contemporains, Burck­hardt s’était forgé une idée de l’art au contact des peintres de la Renaissance ; il éprouvait de grandes difficultés à comprendre la peinture baroque, ne serait-ce que d’un point de vue historique. En ce qui concerne Rembrandt, il n’y est jamais parvenu2. Si le regard que nous portons aujourd’hui sur Rembrandt met en évi­dence l’intensité des sentiments, l’expression subjective, le climat de l’œuvre, Burckhardt, lui, avait une perception très différente : il trouvait que Rembrandt était violent, d’une grossiè­reté allant jusqu’à la vulgarité, qu’il flattait les goûts du public, ne respectait guère la tradition et prenait toujours des risques dans sa peinture. « Rembrandt, c’est la révolte d’une qualité par­ticulière contre la totalité de l’art, qui nécessairement n’en sort pas indemne. Là, sous nos yeux, la peinture est détournée des voies qu’elle avait suivies jusqu’alors — ce qui constitue néan­moins un spectacle intéressant. L’accent principal de l’intérêt est déplacé, le pourquoi disparaît ici entièrement au profit du comment, mais il est abusif de parler de transfiguration. Rem­brandt n’idéalise pas son sujet, il en tire seulement un effet visuel d’un genre nouveau, différent de ce que l’on connaissait jusqu’à présent3. » Dans les notes de voyage de Burckhardt sur les Rem­brandt de Dresde et de Kassel, on trouve beaucoup de considéra­tions semblables à cette remarque de fond. Leur caractère privé les rend en général encore plus acerbes. Devant le portrait d’un inconnu il écrit : « Heureusement que les admirateurs de Rem­brandt ne doivent pas passer, ne serait-ce qu’une journée, avec les gens qu’il a peints ! » Devant VAutoportrait avec Saskia (ill. 1) de Dresde, il note : « Rembrandt et sa femme, tableau lar­gement surestimé. Où se trouve donc sa deuxième cuisse ? Sur quoi est-elle assise ? Où est son postérieur ? A quoi ressemble­

5

Page 5: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

rait-elle si elle se levait ? Que deviennent ses bras et ses mains ? Le visage est indifférent, les épaules chétives. Dessin peu harmo­nieux de son verre à champagne (ou à bière)4. » La représenta­tion un peu moins crue que celle de ce portrait dun autre thème, où le peintre et sa femme figurent sous les traits de l’Enfant pro­digue en compagnie dune prostituée, provoque également la mauvaise humeur de Burckhardt. A propos de la Sainte Famille (voir planche en fin de volume) de la Gemâldegalerie de Kassel (n° 218) : « Que serait donc un sacrilège si ce tableau n’en est pas un5 ? » L’oeuvre ainsi stigmatisée est celle qui nous occupe.

Dans le premier catalogue raisonné de la Gemâldegalerie de Kassel, Otto Eisenmann en fait la description suivante : « La Sainte Famille, connue sous le nom le Ménage du menuisier. Dans une pièce ouverte sur la droite, Marie est assise dans un fauteuil, à gauche. Elle tient l’Enfant Jésus, habillé de rouge, sur ses genoux et le serre tendrement contre son sein. Marie porte un vêtement de couleur vert foncé, un foulard blanc et une petite coiffe retenue par un ruban bleu et rouge. A sa gauche, un ber­ceau. La masure, logée dans les ruines d’un édifice gothique, est éclairée par un feu allumé à même le sol au milieu de la pièce, et par une autre source de lumière à gauche. Près du feu, un petit pot en terre avec une cuillère ; un chat est assis à côté. A droite, dans la cour sombre à laquelle on accède en descendant quel­ques marches, on voit Joseph en train de travailler un morceau de bois avec une hache. Le tableau est entouré d’un cadre peint en doré de style baroque. Sur toute sa largeur, une tringle en métal, également peinte. Un rideau rouge dissimule un tiers du tableau à droite. Signé à droite, sur la rampe de bois. Hauteur : 0,45 m, largeur 0,67 m ; les deux coins supérieurs sont abîmés6. » On ne voit vraiment pas ce qui pourrait faire penser à un sacrilège. Les prédécesseurs et les successeurs de Burck­hardt ont réagi très différemment face à ce petit tableau. Le land­grave Guillaume VIII — qui l’ajouta à sa collection —, dans une lettre datée de 1752 contenant ses premières impressions sur la pièce acquise la même année, écrivait : « [...] le Rembrandt au rideau tiré mérite tout particulièrement de figurer parmi ceux que j ’ai déjà acquis. Ce tableau donne l’impression d’avoir été réalisé avec de la poudre [Pudre] [...]7. » C’est un peu comme si Guillaume VIII avait eu la même réaction que Burckhardt, en suggérant que Rembrandt aurait accordé plus d’intérêt à la manière dont il a réalisé son sujet qu’au sujet lui-même. Dans sa

Page 6: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

1. Rembrandt, le Fils prodigue (considéré comme'un autoportrait avec sa femme Saskia), 1635, 161x131 cm, Dresde, Staatliche Kunstsammlungen, Gemâldegalerie.

7

Page 7: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

lettre, Guillaume souligne seulement la facture délicate de sa nouvelle acquisition : « Ce tableau donne l’impression d’avoir été réalisé avec de la poudre », signifiant ainsi que le tableau paraît avoir été peint avec une matière aussi fine que la poudre, de couleur pure, à l’aide d’une touffe ou d’un petit tampon. A la fin du x ix e siècle et au cours du XXe, ceux qui surent apprécier en Rembrandt le « peintre de l’âme » virent avant tout dans la Sainte Famille de Kassel l’évocation de Noël : « La pièce est silencieuse, les trois personnages se taisent, le chat ronronne, les bûches craquent. On voudrait tirer le rideau, les laisser de nou­veau à leur solitude dans la nuit de Bethléem8. »

UNE SAINTE FAMILLE ?

Quel sacrilège Rembrandt aurait-il bien pu commettre en pei­gnant ce tableau chargé d’une atmosphère intime et sereine ? Burckhardt ne nous a pas donné la réponse. Deux hypothèses sont concevables. Il a peut-être été choqué par l’interprétation que fit Rembrandt d’un sujet religieux, ou bien c’est le rideau peint qui lui a déplu. Dans les deux cas, c’est moins Rembrandt en tant que peintre qui est mis en cause que la place de ce tableau dans l’histoire de la peinture aux Pays-Bas au xvne siècle. Ces deux pistes, nous le verrons ultérieurement, aboutissent à la même interrogation. Nous les examinerons successivement.

Le catalogue mentionné plus haut propose deux titres : la Sainte Famille ou le Ménage du menuisier. D’emblée, notre pre­mière question est posée : Que représente le tableau ? S’agit-il de la Sainte Famille ou d’une famille quelconque ? Dans une confé­rence sur Rembrandt, en 1877, Burckhardt déclarait : « Il ne faut jamais dissocier de ses scènes d’intérieur les différentes versions de la Sainte Famille peintes par Rembrandt — souvent des petits formats. Il faut vraiment beaucoup de bonne volonté pour y découvrir une trace de solennité religieuse ou simplement la Sainte Famille9. » En effet, quiconque aborde ce tableau sans idée préconçue, et sans ignorer l’iconographie, parviendra vrai­semblablement à la même conclusion que celle du premier catalogue imprimé (1799) de la Gemâldegalerie de Kassel : « Une femme assise près du feu tient dans ses bras un enfant qui la cajole. Au premier plan un chat, également près du feu10. » L’auteur de cette description avait omis de signaler la présence

Page 8: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

Oleinl/r̂ ndt,» 04. cC 2. Signature, détail de la Sainte

Famille (voir planche en fin de volume).

de l’homme dans l’obscurité à l’arrière-plan, mais l’existence d’un troisième personnage aurait-elle constitué un indice suffi­sant pour que l’on puisse parler de Sainte Famille ? La pièce, l’aménagement intérieur, les vêtements des personnages sont autant d’éléments qui appartiennent à l’époque et à l’univers de Rembrandt. Rien n’évoque clairement la Sainte Famille, ni la Palestine au début de l’ère chrétienne. Et l’homme, que fait-il ? Bien sûr, selon l’Écriture, Joseph était charpentier et on le repré­sente souvent au travail, entouré des siens. Mais en réalité, Rem­brandt ne l’aurait-il pas intentionnellement relégué à l’arrière- plan pour ne pas affaiblir, par un symbole ou un élément trop fortement connoté, le rayonnement de l’œuvre en tant que telle et son caractère contemporain ? Le feu est allumé ; on peut très bien imaginer que l’homme est en train de préparer du bois. Ainsi, le contexte se précise et l’image d’un logis de gens simples vivant aux Pays-Bas au XVIIe siècle est confortée.

Pourtant, dans l’esprit de Rembrandt, il s’agit bien de la Sainte Famille. Nous pouvons l’affirmer dans la mesure où l’artiste consacra à ce thème de nombreux tableaux, dessins et gravures. Il introduisit parfois des symboles précis qui forment une sorte de « creuset sémantique », auquel les autres versions, au thème parfois moins prononcé, viennent se rattacher. Quiconque éprouve un certain embarras devant la Sainte Famille de Kassel trouvera une réponse plus précise à ses interrogations lorsqu’il verra l’œuvre de 1640 conservée au Louvre (ill. 3). Ici, un qua­trième personnage, une vieille femme, vient renforcer notre interprétation. On pense immédiatement à Anne, la mère de Marie. Le tableau peint en 1645, un an avant celui de Kassel, qui se trouve à Leningrad au musée de l’Ermitage, est parfaitement clair. On y voit la même famille, présentée dans une situation similaire, avec un groupe d’angelots (ill. 4). Jamais Rembrandt,

Page 9: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

10

Page 10: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

3. Rembrandt, la Sainte Famille, 1640,41 x 34 cm, Paris, musée du Louvre.

qui était protestant, n’a eu autant recours au vocabulaire icono­graphique traditionnel que dans cette peinture. Les représenta­tions ambivalentes alliant le profane et le religieux, « combinant de la plus remarquable façon éléments admirables et éléments choquants » (Burckhardt) sont beaucoup plus caractéristiques de son style. A cet égard, une gravure datant de 1645 (ill. 5) et s’inscrivant dans la même lignée est peut-être l’exemple le plus probant. La tête de Marie est-elle nimbée ? Oui et non. Oui, car elle est ornée d’une couronne et d’une auréole. Non, car ces attri­buts sacrés peuvent trouver une explication profane : une vitre de forme ovale dans laquelle le soleil apparaît. Seul un détail se prête à une interprétation symbolique, et, à première vue, on ne le distingue pas mieux que l’activité de Joseph dans le tableau de Kassel. Il s’agit du serpent que Marie écrase sous son pied (ill. 6). Ce geste transforme Marie en « nouvelle Ève » piétinant les forces du Mal représentées par le serpent. D’où vient l’ambiguïté iconographique de ces tableaux ? Quels en sont les ressorts ? On peut avancer trois réponses.

Puissance de la tradition. Depuis le Moyen Age, les peintres néerlandais ne représentent plus les personnages bibliques en costume d’époque ; il ne s’agit donc ni d’un phénomène nou­veau ni d’un procédé dépassé du vivant de Rembrandt. Le Cara- vage en Italie, Rubens dans les Pays-Bas méridionaux procèdent de la même façon. Ces artistes auraient tout aussi bien pu reconstituer un cadre vaguement historique ; c’est d’ailleurs ce qu’ils font parfois. Mais s’ils prennent délibérément le parti d’être anachroniques, c’est afin d’exploiter un effet et un trait particuliers de la peinture religieuse : son pouvoir d’évocation. A cette époque, l’Écriture sainte n’appartient pas au passé, elle sert constamment de référence pour le présent et pour le futur.

Cependant, en ce qui concerne notre tableau, on ne peut se contenter de cette seule réponse. Le recours à l’anachronisme pour le décor et les costumes ne constitue que l’un des aspects du « style iconographique » de Rembrandt11. Ce qui est beau­coup plus déterminant, c’est la manière avec laquelle le peintre utilise parcimonieusement des symboles clairs et précis. Pour les autres artistes, l’illustration de l’Écriture sainte ne devait pas être perçue comme sacrilège. Il s’agissait de créer des tableaux reflé­tant une réalité crédible et intelligible, aussi, contrairement à Rembrandt, n’hésitaient-ils pas à utiliser attributs et signes évo­quant le sacré.

11

Page 11: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

4. Rembrandt, la Sainte Famille, 1645, 117x91 cm,

Leningrad, musée de l ’Ermitage.

Page 12: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

Le protestantisme : facteur d’opposition. Rembrandt peignait dans une société protestante. Si ses œuvres religieuses n’étaient pas destinées à orner les églises, elles étaient néanmoins, même en tant que peintures privées, soumises à certaines contraintes théologiques. La représentation des saints et des anges devait immédiatement éveiller des soupçons, mais comment réagissait- on face à une image de la Sainte Famille apparemment aussi innocente ? Rappelons que la représentation de Marie, mère de Dieu, avait été l’une des principales composantes de l’iconogra­phie catholique de la Contre-Réforme et que les peintres fla­mands s’étaient particulièrement intéressés à ce motif. Il y eut dans les Flandres au moins autant de nouvelles tentatives que dans le nord des Pays-Bas. La manière, par exemple, dont Jacob

5. Rembrandt, la Sainte Famille, eau-forte, 1654, 9,4x14,3 cm.

13

Page 13: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

6. Détail de l'illustration 5.

Jordaens nous présente la Sainte Famille, dans son expression littérale, peut être considérée comme diamétralement opposée à celle de Rembrandt, lequel s’efforce d’intégrer harmonieusement les personnages dans leur cadre (ill. 7). Mais dans la peinture des Pays-Bas méridionaux, catholiques, Marie n’apparaissait pas uni­quement, comme c’est le cas ici, sous les traits d’une « Mediatrix » entre Dieu et les fidèles. Elle n’était pas cantonnée au rôle de reine des Cieux et quantité de tableaux la représen­taient comme une mère « traditionnelle » évoluant dans un monde familier12.

Tant chez les catholiques que chez les protestants, on aimait puiser dans le registre de la vie privée et recourir à des motifs anecdotiques. Là se limitait la liberté des peintres de sensibilité protestante. Comme il ne leur était guère possible de surpasser les artistes méridionaux dans l’utilisation des marques du sacré, les protestants furent contraints d’insister sur les éléments pro­fanes et quotidiens : aussi ne distinguait-on plus vraiment la frontière entre tableau de genre et tableau religieux.

Fonction du tableau. Notre troisième réponse recoupe en grande partie la précédente. Elle doit cependant être traitée sépa­rément et avec grande minutie. Ce n’est pas notre tableau seul, mais l’œuvre tout entière de Rembrandt, son existence d’artiste, qui appellent nos questions. Pourquoi à côté du portraitiste de renom est-il aussi, et peut-être avant tout, un peintre s’inspirant de la Bible ? Ne vivait-il pas dans une société qui contestait les fonctions inhérentes à la peinture religieuse, les combattant même activement ? L’art de Rembrandt n’est pas seulement issu d’une tradition néerlandaise spécifique qui favorisait le dévelop­pement des arts ; les impulsions, les partis pris et les ressources de son art proviennent aussi d’une tradition spécifiquement néerlandaise de négation de l’art. Lors des violentes émeutes des iconoclastes de 1566, les œuvres d’art du Moyen Age et de la Renaissance furent retirées des églises néerlandaises. Il en résulta une transformation radicale des conditions de travail des artistes de l’époque et de leurs successeurs. L’Eglise cessa d’être la grande protectrice des arts et les artistes s’adaptèrent à cette nouvelle situation en répondant aux demandes d’une clientèle privée. Dans son étude du cas de Delft, l’historien de l’économie J. Montias a mis au jour des éléments déterminants relatifs à ce glissement13.

14

Page 14: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

7. Jacob Jordaens, la Sainte Famille, 1620-1625, Londres, National Gallery.

Page 15: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

Au terme de la Réforme de 1572, la compagnie de Saint-Luc comptait moins de dix peintres ; vers la fin du siècle, ils étaient vingt-trois ; en 1650, on en dénombrait cinquante-deux. Durant la même période, le nombre de tableaux appartenant à des par­ticuliers passait de quelques centaines à quarante mille environ. En 1620, cinquante pour cent des tableaux étaient encore d’ins­piration historique, religieuse, mythologique ou allégorique, vingt pour cent figurant des paysages ; quarante ans plus tard, ces proportions sont inversées. Grâce à une nouvelle demande, la peinture avait évolué de façon comparable à ce qui s’était pro­duit autour de 1300 sous l’égide de l’Église, elle concrétisait ainsi ses exigences formelles et thématiques.

Burckhardt, très tôt, a résumé cette évolution : « En Hol­lande, le champ qu’allait investir l’art du xvne siècle était entière­ment vierge bien que restreint. [...] L’Église calviniste ne s’inté­ressait pas à la peinture ; ce sont les bourgeois fortunés qui furent amenés à se familiariser avec cet univers, à fixer des tâches ou recevoir des suggestions. Les tableaux corporatifs représentant des arquebusiers ou des magistrats avaient un caractère semi-officiel et relevaient plutôt de la commande privée, dans la mesure où chacun des personnages figurés contribuait financièrement à la réalisation. Ce sont les fameux “ Doelen- et Regentenstukken Le reste de la production pictu­rale — peintures d’histoire, portraits, tableaux de genre, pay­sages, marines, natures mortes — relevait exclusivement du domaine privé. De plus, on achetait et collectionnait des estampes ; l’art trouvait dans l’esprit collectionneur des Hollan­dais un soutien non négligeable. Le climat qui oblige à rester chez soi une bonne partie de l’année favorise également ce phé­nomène. La décoration intérieure du logement, le plus souvent d’aspect modeste, est au centre des préoccupations domestiquesH. » 11 est difficile de résister à tant de conviction. Il est vrai que nous ne savons presque rien de l’utilisation des tableaux religieux à cette époque et dans ce milieu culturel. C’est ainsi que les œuvres de Rembrandt sont soumises à des critères mal adaptés. Si dans les tableaux à usage privé on préfère les motifs profanes, et si ce phénomène aboutit à la création d’un genre nouveau, nous sommes alors enclin à penser que l’aspect religieux de la peinture d’histoire tombe de plus en plus en désuétude et doit nécessairement trouver sa place au sein de ce système et par rapport aux autres genres. Pour ce qui est du

Page 16: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

tableau dont on traite ici, on peut parler d’une mise en scène proche du tableau de genre. Dans cette petite toile religieuse pré­dominent les éléments évoquant la scène d’intérieur. C’est à cela que Burckhardt pensait vraisemblablement lorsqu’il écrivit, comme nous l’avons déjà indiqué, que les « Saintes Familles » de Rembrandt devaient être placées sur le même plan « que ses tableaux d’intérieur ». Ajoutons encore que, dans la mesure où ces tableaux servaient d’ornement, faisaient l’objet d’investisse­ment et de spéculation et constituaient une marque ostentatoire de richesse, autant de finalités profanes, l’enrichissement que représentait alors pour un collectionneur l’acquisition d’une œuvre comme la Sainte Famille n’était nullement liée à l’élargis­sement d’une gamme figée des motifs et des genres. Son unique intérêt résidait dans sa facture et dans sa signature. La réaction du landgrave qui acquiert un Rembrandt (peu importe lequel) et qui dans sa lettre n’en évoque jamais le motif mais souligne juste la manière dont il a été peint aurait pu, un siècle plus tôt, être celle d’un contemporain de l’artiste.

Toutes ces considérations semblent un peu « fatalistes », comme si le tableau en question et l’ensemble de la production d’un artiste étaient livrés sans recours aux mains de forces exté­rieures. Certes, il s’agit d’étudier ici une peinture dans son contexte, mais nous ne devons pas pour autant céder à cette voie et n’analyser la peinture que de manière externe. A l’intérieur d’un système, l’œuvre constitue un élément dyna­mique en prise avec son contexte. Elle le confirme, le met en question et le sollicite tout à la fois. Ce serait une erreur que de dissocier trop nettement le texte du contexte, le dedans du dehors, car ce qui est à l’extérieur est toujours, aussi, à l’inté­rieur. Il existe peu de tableaux qui confirment aussi bien cette thèse que le Rembrandt de Kassel... Mais parlons à présent du rideau.

Page 17: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

8. Wilhelm van Haecht, la Collection de

Cornélius van der Geest, 1628, Anvers, Maison de

Rubens.

mm

18

Page 18: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

19

Page 19: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

LE RIDEAU

Si l’on veut se faire une idée du contexte dans lequel les tableaux de Rembrandt et de ses contemporains se sont imposés, il faut se reporter aux peintures que des artistes fla­mands du xviie siècle nous ont laissées par le biais des grandes collections de cette époque15 (ill. 8 ). Le cabinet d’amateur en tant que genre pictural est caractéristique des Pays-Bas méridionaux ; il ne faut néanmoins pas en déduire que dans le Nord du pays, à Amsterdam, La Haye ou Rotterdam, il n’y avait pas alors de collections aussi importantes qu’à Bruxelles ou Anvers. Rembrandt en possédait une tout à fait comparable à celle qui figure ici — nous aurons l’occasion d’en reparler. Un bref regard sur les tableaux de la collection Geest et leur présen­tation confirme tout d’abord ce que nous pressentions à l’égard de la peinture religieuse : celle-ci ne correspond qu’à un aspect de la peinture de genre. Il en est de même pour les collections réunies aux Pays-Bas catholiques. Apparemment, aucun thème,

9. Détail de l ’illustration 8. aucune école, aucune époque et aucun artiste n’ont été privilé-

20

Page 20: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

giés. On reconnaît des paysages, des natures mortes, des por­traits, des scènes historiques, des intérieurs, on trouve des tableaux d’origine flamande, néerlandaise, allemande et ita­lienne, des œuvres des XVe, x v ie et xv n e siècles, des grands et des petits formats, d’anciens retables et des images de dévotion, ainsi que des pièces réalisées spécialement pour entrer dans telle ou telle collection. Nous ne parvenons pas à comprendre selon quel principe — hormis la nécessité de couvrir la plus grande surface murale possible — cette collection s’organise. Cepen­dant, un tel principe existe, à tout le moins aussi contraignant et rigoureux que celui qui sous-tend l’organisation de nos musées, mais pour l’instant nous laisserons ce problème de côté. La pre­mière fois que l’on regarde ces murs entièrement recouverts de tableaux, un autre élément important saute aux yeux : dans plu­sieurs d’entre eux, comme sur le tableau de Kassel, figure un rideau, une tenture entrouverte (ill. 9). On trouve ce même genre de rideau sur presque toutes les toiles flamandes représen­tant des cabinets d’amateur ; ces rideaux servaient aussi à orner certains tableaux dans les riches demeures néerlandaises16. Ainsi, lorsque la famille Valckenier pose pour le peintre Gabriel Metsu, on peut voir à l’arrière-plan, accroché au mur, un tableau au luxueux cadre doré presque entièrement dissimulé par un rideau (ill. 10).

Ailleurs, sur une autre toile du même peintre, la maîtresse de maison lit une lettre, et la servante, qui attend probablement la réponse, écarte le rideau cachant une marine afin de la regarder et de passer le temps. Dans l’œuvre de Rembrandt aussi on trouve un autre rideau : sur une gravure de 1647 figurant Jan Six, ami du peintre et collectionneur, on voit, accroché au mur, à gauche, un tableau en partie caché par celui-ci (ill. 11). Les considérations sur la peinture (Considerazioni sulla pittura) rédigées vers 1628 par un médecin romain, Giulio Mancini, nous fournissent la preuve qu’un tel phénomène ne s’est pas seulement limité à l’Europe du Nord : « Nul doute que les rideaux servent à la conservation des œuvres. L’idéal serait d’avoir un rideau que l’on puisse “ lever ” et “ baisser ”, que l’on ne soit pas obligé d’écarter d’un côté du tableau, ce qui nuit à la bonne exposition du tableau [...]. Comme couleur, je propo­serais le vert ou l’incarnat, et comme matière, afin de bien souli­gner la valeur de l’œuvre, un taffetas ou une soie, en tout cas un tissu léger à base de soie et qui tombe bien17. » Quant à savoir

Page 21: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

10. Gabriel Metsu, Portrait de la famille Valckenier, vers 1657, 72x79 cm, Berlin, Staadiche

Museen Preussischer Kuhurbesitz, Gemâldegalerie.

s’il y avait des rideaux dans les collections romaines, un exemple célèbre au moins nous en apporte la preuve : le tableau F Amour profane du Caravage, exposé dans la galerie du Palazzo Giusti- niani, était doté d’un rideau18. Cette pratique était également connue en France : Chantelou conservait derrière un voile les Sept Sacrements de Nicolas Poussin ainsi que l’atteste une lettre de l’artiste. Collectionner des oeuvres d’art était devenu, dès avant la première moitié du xvne siècle, un phénomène interna­tional, les principes d’organisation et de présentation des collec­tions avaient franchi les frontières. Dès lors, Rembrandt n’a rien fait d’autre que de transposer dans le domaine de la peinture, en utilisant les ressources de cet art, un élément extérieur au tableau. Les historiens de l’art affirment que la Sainte Famille de Kassel est le premier tableau représentant un rideau peint ; il est vrai que depuis la fin des années 1640 et particulièrement dans

Page 22: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

11. Rembrandt, Portrait de Jan Six, eau-forte, 1647, 24,5x19,1 cm.

23

Page 23: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

12. Rembrandt, le Christ et ses disciples à Emmaüs, 1648,

89,5x111,5 cm, Copenhague, Statens Muséum.

les années 1650 de plus en plus de rideaux peints figurent sur les toiles. Pendant une brève période, cela devint même une mode, qui toutefois passa très rapidement (cependant, durant tout le x v iii6 siècle on se remit à utiliser de vrais rideaux pour protéger les toiles). Chez Rembrandt nous trouvons un rideau peint dans le Christ et ses disciples à Emmaüs, datant de 1648 (ill. 12) ; chez Vermeer, pour citer un peintre diamétralement opposé, il y en a un dans la Liseuse à la fenêtre, conservée à Dresde et datant de 1659 environ (ill. 13).

A quoi servaient les vrais rideaux ? Que se passe-t-il à partir du moment où ces rideaux sont peints ? En ce qui concerne leur fonction pratique, ce qui vient tout de suite à l’esprit, c’est qu’ils servaient à protéger les toiles de la poussière et de la lumière ; selon Mancini ils étaient utiles à la conservation des œuvres (« per conservarle »). Mais cette explication ne nous satisfait pas entièrement lorsque nous regardons des tableaux représentant des cabinets d’amateur. La plupart de ces toiles sont dépourvues de rideau, et ce ne sont pas toujours les plus précieuses ni les

24

Page 24: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

plus exposées à la lumière qui en sont dotées. En outre, l’atten­tion accordée aux peintures à l’huile en raison de leur fragilité est plus tardive. La vente d’une peinture à l’huile était toujours accompagnée de la garantie que le peintre avait utilisé des cou­leurs résistantes et de bonne qualité. L’inverse aurait été contraire à l’éthique du métier et aux règles de la corporation. Il ne s’agit

13. Vermeer, la Liseuse à la fenêtre, 1659, 83x64,5 cm, Dresde, Staatliche Kunstsammlungen, Gemâldegalerie.

25

Page 25: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

pas de remettre en question l’idée que les rideaux ont été ins­tallés pour des raisons de conservation, mais d’indiquer simple­ment que cette explication n’est pas suffisante. On a aussi avancé l’idée que de voiler les oeuvres de temps à autre en rehaussait l’attrait et la valeur (ce que l’on ne peut pas voir en permanence semble plus attrayant que ce que l’on peut regarder à tout moment). La preuve la plus convaincante de la justesse de cette thèse nous est fournie par un passage d’une lettre de Poussin datant de 1648 où il approuve l’intention de Chantelou « d’installer des rideaux » devant les Sept Sacrements : « L’intention de couvrir vos tableaux est excellente, et les faire voir un à un fera que l’on s’en lassera moins, car les voyant tous ensemble remplirait le sens trop à un coup19. » Bien entendu, on peut dire d’une manière générale que le rideau met encore plus en valeur le tableau, lui confère un caractère plus précieux, plus intéressant et plus mystérieux. Cela signifie que le rideau contribue à rehausser la fascination exercée par l’œuvre d’art, que son invention relève du domaine artistique et qu’il constitue un moyen, extérieur à l’œuvre d’art, d’attirer l’attention du spec­tateur sur celle-ci.

Page 26: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

LE RIDEAU PEINT

Les interprétations qui ont été données des rideaux peints vont dans le même sens. Elles oscillent entre deux possibilités : l’effet visuel ou le procédé formel. Cari Neumann considère qu’il existe un rapport entre les éléments « extérieurs » — rideau, tringle et cadre — et la conception de l’espace chez Rembrandt : « La Sainte Famille de Kassel présente successivement trois plans différents : une cabane en bois dont on aperçoit le toit, à l’intérieur Marie est assise dans un fauteuil, placé devant le lit ; une ruine gothique enveloppe la cabane, on en distingue surtout la grande baie grillagée ; enfin, à l’extérieur, baigné dans une lumière du soir rédemptrice, Joseph fend du bois. Bien que Rem­brandt, se soit efforcé de rendre de la manière la plus convain­cante cet assemblage de lieux [...], il a finalement dû recourir à l’invention du cadre peint et du rideau rouge entrouvert pour améliorer l’effet produit par le tableau. On ne sait pas si le rideau peint n’est pas destiné, par exemple, à cacher une maladresse, mais en tant que motif il est à présent impossible de le dissocier du tableau. Sa couleur rouge qui tend vers l’avant donne un peu plus de profondeur à la scène. [...] Avant de se poser sur le tableau, le regard du spectateur doit franchir trois seuils succes­sifs que le peintre a voulus : d’abord le rideau rouge foncé, puis la petite tringle métallique (à laquelle le rideau est suspendu par des anneaux en métal) sur toute la longueur de laquelle se reflète une lumière argentée, enfin les moulures très chargées du cadre peint20. » Même si l’on ne parvient pas à découvrir les imper­fections formelles qui ont contraint Rembrandt à inventer le rideau, l’effet de trompe-l’œil de ces éléments « extérieurs » est saisissant. Quant à savoir si cette explication suffit à justifier l’existence du rideau peint, la question reste posée. Le caractère absolu de l’interprétation de Neumann nous laisse un peu sceptique : « Il n’est en rien utile de se rappeler que de tels rideaux ont existé dans la réalité et que leur signification était tout autre, qu’ils aient servi à protéger le tableau de la poussière ou à voiler quelque chose de sacré. Rembrandt n’était pas le pre­mier peintre qui conférait une signification artistique à ce motif. [...] Dans l’esprit de Rembrandt, le rideau ou le cadre peint, ou les deux motifs réunis constituaient d’emblée un moyen de mettre en valeur et d’asseoir la perspective du tableau21. » Questions :

Page 27: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)
Page 28: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

la signification artistique d’une œuvre est-elle toujours identique à sa signification formelle ? Peut-on faire totalement abstraction de la charge de réalité de l’un des éléments peints ? Il est intéres­sant d’observer la détermination avec laquelle l’analyse formelle de cette peinture prétend voir dans ce petit « reste » de contexte conservé dans le tableau — véritable « marquage du contexte », selon une expression empruntée aux scientifiques — un procédé tout à fait attendu, inhérent à l’œuvre, et désamorcer ainsi l’effet qu’il produit. Lorsque nous ne comprenons plus la fonction d’un élément, l’explication formelle vient à notre secours, comme l’a dit un jour un historien de l’art. Pour notre part, nous nous en tiendrons à ce que Günther Bandmann écrivait à propos de créations bien plus bizarres datant de la même époque : « Au xviie siècle et au xvme siècle, ce n’est pas par sa forme qu’une œuvre insolite apparaît d’emblée comme attrayante, mais par la valeur associative qu’elle contient22. » Une autre interprétation tente de faire correspondre effet pictural et contexte : le rideau, la tringle et le cadre seraient avant tout un effet de trompe-l’œil, un artifice visuel permettant au propriétaire de surprendre ses visi­teurs? Dans la même optique, mais avec une argumentation dif­férente, la même grille de lecture avance que ce procédé est une démonstration de savoir technique. L’anecdote nous venant de l’Antiquité selon laquelle le peintre « Parrhasios avait peint un rideau de manière/si réaliste que son collègue Zeuxis en le voyant l’avait prié de l’écarter afin qu’il puisse enfin voir le tableau23 » serait reprise. Cette interprétation nous amène à donner à l’œuvre une signification qui se situe bien au-delà de ce que nous pouvions supposer : le rideau peint fait de cette peinture un objet de curiosité, ce qui, aux yeux des premiers propriétaires et spectateurs, lui conférait un surcroît de valeur et la rendait digne de figurer dans une collection. Pour bien comprendre cette interprétation, il faut revenir sur les lois qui régissaient alors la composition des grandes collections.

14. Détail de la Sainte Famille (voir planche en fin de volume).

29

Page 29: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

LA « CURIOSITÉ » COMME OBJET DE COLLECTION

Selon une opinion reçue « les historiens de l’art jubilent lors­qu’ils parviennent à faire coïncider le motif d’une œuvre avec les exigences particulières d’une commande et l’évolution du style d’un artiste ou d’une époque. Que les avis divergent à ce point à propos d’un artiste comme Rembrandt, cela ne tient pas uniquement à la nature de son œuvre mais également au fait que nous ignorons presque tout des raisons et des circonstances dans lesquelles ses œuvres ont vu le jour24. » Partir de cette idée revient à s’engager dans une impasse, car c’est oublier que la plupart des œuvres de cette époque étaient destinées à figurer dans une collection, laquelle constituait le but principal et déter­minant. Aucun artiste ne travaille sans but, pas même celui qui, de son propre chef, peint dans son atelier un tableau destiné à la vente. Il a lui aussi une idée des futurs acquéreurs de son œuvre et il connaît l’endroit où elle devra s’imposer. Ces contraintes s’appliquent aussi bien à l’œuvre « libre » qu’à l’œuvre de commande, les souhaits du client (fonction, lieu d’exposition de l’œuvre) font loi. Si l’on admet cette hypothèse, le cas de Rem­brandt devient alors plus facile à résoudre pour l’historien de l’art. En effet, la maison de Rembrandt nous montre de façon exemplaire comment s’effectuaient la production et la réception de la peinture aux Pays-Bas. A l’époque où il était aussi fortuné que les riches bourgeois qui lui achetaient des tableaux, il s’offrit une collection comparable aux plus prestigieuses de la ville d’Amsterdam. Il ne réunit pas ses richesses dans une pièce parti­culière, semblable à celle que nous montre le tableau représen­tant la collection Geest (ill. 15), mais il les répartit dans huit pièces de sa maison de la Jordenbreestraat. « Au rez-de- chaussée, se trouvait l’appartement spacieux où le peintre habi­tait. Les pièces sont garnies de meubles de valeur à l’instar des riches demeures bourgeoises. Tous les murs sont couverts de peintures accrochées cadre contre cadre. Plus de cent vingt tableaux sont accrochés dans les quatre pièces du rez-de- chaussée. Au deuxième étage, sous les toits, se trouvaient les pièces qui servaient d’ateliers aux élèves. Elles étaient séparées par des cloisons coulissantes. Les pièces du premier étage abri­taient l’atelier de Rembrandt et sa collection. Cette dernière était

Page 30: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

si importante que le “ cabinet ” qu’on lui avait spécialement réservé se révélant trop exigu, il avait fallu entreposer des oeuvres dans les pièces annexes et dans l’atelier. La plupart de ces œuvres étaient destinées à être vendues. Cependant, le peintre avait également constitué sa collection en pensant à son travail personnel et afin qu’elle lui servît de source d’inspiration. En plus des œuvres graphiques et des sculptures, elle comptait des objets liés au monde végétal et animal, d’autres ayant une valeur historique, des curiosités provenant de pays lointains, en un mot, il s’agissait d’une collection à caractère encyclopédique, semblable à celles que possédaient alors souvent les amateurs d’art riches et nobles.

« [...] Il y avait également un grand nombre d’antiques et de moulages d’après originaux. L’artiste possédait vingt et une œuvres dont la plupart étaient d’époques hellénistique ou romaine, voire d’époque plus récente, car, au xvne siècle, l’art grec classique était à peine connu. [...].

« La partie la plus importante de la collection était, bien entendu, constituée d’œuvres d’art que Rembrandt avait lui- même classées ainsi : peintures, “ œuvres sur papier ” (c’est-à-

15. Wilhelm van Haecht, la Collection de Cornélius van der Geest, 1628, Anvers, Maison de Rubens.

31

Page 31: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

dire : dessins, miniatures, aquarelles...), estampes et gravures sur bois. En ce qui concerne les peintres hollandais du xvne siècle, il collectionnait surtout les toiles des maîtres qui avaient exercé sur lui, tout au long de sa vie, une influence décisive. Il s’agit de Hercule Seghers, Pieter Lastman et ses disciples, mais aussi d’œuvres dont le style était proche du sien comme celles de Jan Lievens, ou encore de peintres dont il avait été l’ami. Qu’il ait possédé des œuvres de maîtres aussi célèbres que Raphaël, Palma Vecchio, Lucas de Leyde et Rubens nous donne également une idée de la qualité de son choix. Sa collection de gravures était particulièrement prestigieuse. Lorsqu’elle fut vendue aux enchères, on la présenta au public en des termes très élogieux : “ Œuvres sur papier de divers grands maîtres italiens, français, allemands et néerlandais réunis avec soin et un goût de la curio­sité par le même Rembrandt van Rijn ”25. »

Christian Tümpel, l’auteur de ces lignes résume ses idées de la manière suivante : « On ne dira jamais assez combien l’influence de cette collection sur le travail de Rembrandt a été grande. Je ne connais aucun artiste hollandais qui ait tiré profit à ce point des collections, de la sienne et de celles des autres, ainsi que des expositions et des ventes aux enchères, faisant des copies, des emprunts et créant des œuvres nouvelles26. » Il est temps d’estimer à sa juste valeur l’incidence de cette collection sur le plan pratique, non seulement à l’égard des œuvres, consi­dérées séparément, mais aussi par rapport à la collection elle- même et à la conception qui sous-tend son organisation. Sur ce point, on distingue trois aspects importants.

Tout d’abord l’artiste présentait ses propres peintures et celles qu’il avait acquises à la manière de n’importe quel autre collec­tionneur. Dans ce qu’il est convenu d’appeler le vestibule, au rez- de-chaussée, étaient accrochés quarante-trois tableaux, placés très près les uns des autres et occupant une surface murale aussi importante que dans la collection ici reproduite (ill. 15). Le désordre devait être tout à fait similaire. L’inventaire indique que cette pièce abritait des œuvres des écoles néerlandaise, fran­çaise et italienne, des tableaux des xvie et xvne siècles, et il énu­mère successivement — ce qui signifie que ces œuvres étaient probablement accrochées l’une à côté de l’autre — un portrait de courtisane et une Résurrection de Lazare.

Ensuite, la collection du peintre ne se composait pas exclusi­vement de tableaux, gravures et sculptures, c’est-à-dire d’objets

32

16. Rembrandt, le Coquillage, eau-forte 1650, 9,7x13,2 cm (objet de collection typique d ’un cabinet d ’amateur).

Page 32: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

d’art que nous nous attendons à trouver dans pareille collection. Des globes terrestres, des pierres rares, des plantes, des coquil­lages (ill. 16) et des oiseaux empaillés y avaient tout autant leur place que des porcelaines du Japon ou de Chine, des armes anciennes et des médailles. Les collections de cette époque, nous l’avons déjà dit, ont un caractère encyclopédique, elles veulent être un cosmos en miniature,/un résumé des oeuvres de l’art et de la nature/

Enfin, sans s’arrêter aux critères adoptés pour distinguer entre une œuvre d’art et une œuvre « de la nature », il existe certaine­ment un critère déterminant d’admission d’un « objet » au sein d’une collection de type « encyclopédique ». Et, en effet, celui qui a la plus grande chance d’être choisi est le plus rare, surpre­nant et bizarre, « curieux », selon l’expression de l’époque. Dans l’inventaire de la collection de Rembrandt, le mot « curieusheyt » (curiosité) sert à qualifier l’ensemble de ses gra­vures.

Curieux, un objet peut l’être de bien des façons : en raison de la matière qui le constitue (« un bloc de corail blanc non travaillé »), de sa provenance exotique (des porcelaines d’Extrême-Orient), de son caractère amusant ou caustique (le

Jeune Garçon en train d ’uriner de la collection Rembrandt, vrai­semblablement la statuette d’un Manneken-Pis, ou son carton de « scènes érotiques » dues à des artistes italiens). Dans certains objets la nature et l’art conjuguent leurs effets : images nées par hasard d’une pierre cassée, Notre Père gravé dans un noyau de cerise, sculpture qui s’anime et se révèle être un automate... Ce que les collectionneurs du xvne siècle recherchent dans ces objets, dont la valeur matérielle dépasse souvent de beaucoup celle de peintures et de sculptures célèbres, c’est le point de confusion où art et nature se rejoignent. La nature crée, et tout l’art de l’homme est de l’imiter ; en effet, à l’époque la notion d’art s’entend dans un sens beaucoup plus étendu qu’aujourd’hui : l’art est aussi savoir, adresse manuelle, perfor­mance dans quelque domaine que ce soit. L’appellation en vigueur pour désigner au xvne siècle une collection encyclopé­dique n’est autre que cabinet d ’objets d ’art (« Kunstkammer »). Il est intéressant de constater que, dans l’inventaire des biens de Rembrandt, la pièce qui porte ce nom n’abritait aucune peinture mais des « curiosités » naturelles et artisanales semblables à celles que nous venons d’évoquer27.

33

Page 33: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

Il ne faut cependant pas croire qu’il existait des critères diffé­rents pour appréhender les œuvres picturales : elles ne représen­taient qu’un domaine particulier du savoir-faire humain et — ce que nous oublions volontiers de nos jours — dans ce domaine, aussi, on utilisait des matériaux de valeur, la peinture à l’huile était une technique coûteuse. D’une manière générale, on peut affirmer qu’aux Pays-Bas les procédés et les matériaux utilisés donnaient à la peinture un caractère particulièrement précieux et la plaçaient ainsi sur le même rang que d’autres objets valo­risés d’une collection (vases, étoffes)28. Il existe cependant d’autres types d’appréhension, ayant un caractère plus spéci­fique, plus stratégique si je puis dire.

Le tableau de Kassel en est l’exemple même. En introduisant dans le répertoire de la collection 1’ « artifice » du rideau peint, Rembrandt fait précisément coïncider les rapports possibles entre l’œuvre et le contexte où elle figure :

— il confirme le point de vue de la collection en citant l’un de ses accessoires : le rideau ;

— le rideau, à fortiori lorsqu’il est peint, constitue un signe particulier qui permet au tableau de se distinguer par rapport aux très nombreuses autres œuvres de la collection. Quelle que soit la façon dont l’œuvre est accrochée, le cadre, la tringle et le rideau peints sont des éléments qui représentent déjà une partie du contexte ;

— comme le rideau et les autres accessoires peints font bien illusion, l’œuvre est digne de figurer dans la collection et satisfait aux exigences de savoir-faire et de « curiosité » qui la régissent ;

— enfin, tandis que le trompe-l’œil produit son effet, l’œuvre stimule le caractère social de l’institution « collection », lieu vivant et animé, ainsi que nous l’avons vu (ill. 15).

L’utilisation du faux-semblant,/de l’illusion et de l’artifice pro­voque la surprise, le rire, mais invite surtout au dialogue et à la réflexion sur les nombreuses formes, entre l’être et le paraître, que peut prendre la réalité. Car « l’ultime fonction du trompe- l’œil ne consiste pas à créer l’illusion mais à la dépasser, lil s’agit de provoquer chez le spectateur l’effet inverse, Ide le désillu­sionner. Que celui-ci se soit laissé abuser, mais reconnaisse, ensuite, que cette erreur était due à un artifice pictural, tel est l’effet que le trompe-l’œil cherche à produire29. » Le désenchan­tement éprouvé est ressenti comme un « choc », il appelle une réaction et suscite la discussion.

Page 34: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

La valeur que la société d’alors accorde à cette forme artistique et l’usage qu’elle en fait ne peuvent se mesurer qu’à partir des œuvres elles-mêmes, de leur multiplication et de ces instantanés que sont les « portraits » de collections. Les théories de l’art en vigueur durant la grande époque de la peinture hollandaise, c’est-à-dire la première moitié du xvne siècle/ne nous apportent aucun renseignement à ce sujet.

C’est seulement vers la fin du xvne siècle que la littérature artistique formulera ce que la peinture s’efforçait déjà de mon­trer depuis longtemps. Le théoricien d’art et collectionneur fran­çais Roger de Piles va alors jusqu’à placer Rembrandt au-dessus de Raphaël, considéré depuis toujours comme insurpassable, car il trouve dans l’art de Rembrandt une confirmation de sa théorie de « l’effet^de^grime regard ». « Avant tout, le peintre doit s’efforcer de surprendre. [...] il faut que le tableau attire le regard, qu’il nous contraigne à l’observer, en quelque sorte [...]. La véritable Peinture doit appeler son spectateur par la force et par la grande vérité de son imitation/ et le spectateur surpris doit aller à elle, comme pour entrer en conversation avec les figures qu’elle représente30. » Selon Roger de Piles, le Rembrandt qui figurait dans sa collection — la Jeune Fille à la fenêtre, de 1651 (ill. 17) — répondait à ces exigences : placé dans l’enca­drement d’une vraie fenêtre,/ce tableau aurait pu tromper les passants.

Cette vision d’un Rembrandt « illusionniste » agacera tous ceux qui révèrent en lui le grand artiste qui a su traduire en pein­ture l’intériorité des sentiments et les plus fines nuances expres­sives. Nous ne pouvons pas discuter ici de ces différentes conceptions, mais il serait certainement faux de les opposer. En ce qui nous concerne, retenons juste qu’il existe dans la produc­tion de Rembrandt des époques et des œuvres dans lesquelles tout son art est soumis aux goûts du public et où il cherche à réaliser des œuvres conformes à l’esprit des collections. Les années 1640 en sont l’exemple : dans la série des portraits à la fenêtre, dans le style de celui reproduit (ill. 17), qu’il commence à cette époque-là, nous trouvons des manifestations de son allé­geance envers les goûts du public. Le tableau de Kassel n’est pas isolé et Rembrandt a exploré encore plus avant que dans cette toile le registre de Y « illusionnisme », par exemple dans une eau-forte datée de 1646 représentant le prédicateur Sylvius (ill. 18).

35

Page 35: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

17. Rembrandt, Jeune Fille à la fenêtre, 1651, 78x63 cm,

Stockholm, Musée national.

Collectionneur passionné, on l’a dit, Rembrandt ne pouvait être inattentif aux réactions du public, et celles-ci lui étaient pro­bablement familières. S’il se montre parfois complaisant à l’égard des goûts et des exigences des collectionneurs de son temps, on ne peut dire que sa peinture se limite à les flatter : il ne se contente pas de confirmer les vœux du public, il les incor­pore à son travail, ce qui est tout différent. Aussi nous compre-

Page 36: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

f i l CU 11b C Mt fô-’n/actrA^'Âîiu.

18. Rembrandt, Portrait de Jan Comelis Sylvius, eau-forte, 1646, 27,8x18,8 cm.

nons mieux pourquoi Jacob Burckhardt restait plus que réservé à l’égard d’un artiste tel Rembrandt. Il le percevait d’une manière parcellaire mais pas nécessairement fausse. Il reconnaissait dans l’art de Rembrandt des éléments sujets à caution, ceux-là mêmes qu’il stigmatisait dans les œuvres de ses propres contemporains, les peintres du xixe siècle : le côté tapageur, flat­teur, la volonté de faire de l’effet à tout prix, quitte à abuser d’un procédé. A propos du grand Salon annuel, Burckhardt écrivait : « J ’aimerais bien visiter le Salon en votre compagnie ; seul, je m’aventure certes, sans crainte, dans n’importe quelle exposition d’œuvres d’art ancien, mais je frémis à l’idée d’aller voir des œuvres récentes. Lorsque je me retrouve tout seul en présence des peintres les plus importants de notre époque, je suis généra­lement tiraillé entre mon admiration pour leur savoir-faire et mon aversion envers ce qu’ils en font. Depuis Eugène Delacroix, il faut supporter chez de nombreux peintres, tant français qu’européens, une offense à son propre sens esthétique, puis, sans faire la grimace, il convient de louer leur talent artistique. C’est précisément pourquoi parmi les grands maîtres du passé, aucun ne me choque autant que Rembrandt31. » Que Burckhardt

Page 37: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

ait émis ce double jugement sur l’utilisation de l’effet, dans le passé comme dans le présent, à l’occasion d’une exposition qui présentait des milliers de toiles modernes à un vaste public, le plaçait dans des conditions comparables sinon semblables à celles qui existaient lorsque furent réalisées les grandes toiles du xviie et du xixe siècle. Ses considérations sur l’activité artistique de son temps auraient pu l’aider à comprendre l’art néerlandais d’un point de vue historique : « De nos jours, c’est essentielle­ment et avant tout par l’intermédiaire des grandes expositions, de plus en plus grandioses, que l’art parle aux foules ; on prône le charme et la séduction, le caractère joli et aguicheur, l’effet de surprise et l’appel aux sentiments, les idées et les goûts du moment [...]. En résumé : le public fait l’objet de la plus grande sollicitude32. »

Page 38: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

LE DEHORS ET LE DEDANS

Ce que nous avons dit du rideau peint de la Sainte Famille et de la manière dont il fut perçu, est, bien entendu, valable pour tous les tableaux qui ont la même caractéristique.

Dans les années 1640 et 1650, nous trouvons des rideaux « devant » des natures mortes, des scènes de genre et des inté­rieurs d’église, « devant » des portraits, des sujets historiques, profanes ou religieux. Apparemment, il n’existe aucun lien entre le motif du tableau et cet élément ajouté, qui vient en rehausser le prestige. Nous assistons à l’exploitation d’un procédé sans rap­port avec le sujet représenté, auquel on a recours aussi long­temps qu’il demeure efficace. Un exemple tiré d’une école « concurrente », l’école flamande, nous le confirme. La Vierge à Venîant de Munich (ill. 19), dont Pierre Paul Rubens peignit la partie centrale ainsi que la ronde des anges, et Jan I Bruegel, dit de Velours, la couronne de fleurs, s’inscrit dans le même registre. Pour cette mise en scène de Marie, l’artiste a également recours à un artifice33. Quel est l’élément le plus réel, le plus sai- sissable et le plus proche de la vie dans cette composition ? Les chérubins célestes, le tableau dans le tableau ou bien la couronne de fleurs ? Comment ces trois plans totalement différents s’orga­nisent-ils dans le tableau ? Rubens et Bruegel ont aussi créé une « curiosité » (« Kunststück »). Mais quant à savoir, au-delà de ce constat, s’ils ont apporté une contribution neuve au genre de l’iconographie mariale, comme la présence des lys et des roses de la couronne peut nous conduire à le penser (le culte de la Madone était alors « florissant »), la question mérite d’être exa­minée plus attentivement. Il est certain que cette manière de représenter la Vierge commença de se répandre dès la première décennie du xvne siècle et que dans les dix années suivantes, la « formule » connut un développement exceptionnel. Nous pos­sédons encore aujourd’hui des centaines de peintures ornées d’une guirlande d’origine souvent incertaine ; il y en eut peut- être des milliers jadis. Des guirlandes s’enroulent autour d’un motif central, d’un relief ou d’une scène de la vie quotidienne. Elles encadrent des représentations de saints, des scènes reli­gieuses et profanes, des allégories, des portraits, des natures mortes et des sujets érotiques. En comparaison des quelque trente rideaux peints que l’on doit à la peinture hollandaise, on

39

Page 39: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

peut donc dire que ce motif, qui, au départ, avait attiré l’attention de quelques privilégiés seulement, atteignit un large public. Jusque vers 1650, son succès demeure constant. Que ce genre de tableau ait pu, de surcroît, être garni d’un rideau, nous en trou­vons la confirmation dans un inventaire de 1668 qui mentionne l’existence d’un Bruegel intitulé Une madone ornée d ’une cou­ronne de fleurs, avec un rideau, ce qui, selon nous, montre bien qu’à cette époque, tous les moyens étaient utilisés pour plaire au public34. Le succès a-t-il toujours pour corollaire une certaine complaisance ? Nous voulons tenter de découvrir si, néanmoins, il n’existe pas un rapport entre le dedans et le dehors, c’est-à-dire entre d’une part le contenu du tableau et d’autre part le rideau et la forme. La Sainte Famille de Kassel introduisant ce motif dans la peinture néerlandaise, et Rembrandt étant le premier à avoir recours à ce moyen, il est juste de s’interroger sur les intentions de l’artiste. Afin de mieux comprendre cette peinture sans précé­dent, nous la comparerons d’abord à d’autres œuvres où figure un rideau peint, en nous limitant à l’école de Rembrandt.

Quelques années après la Sainte Famille, Gerrit Dou peignit le célèbre Portrait d ’un peintre (ill. 20). Tant que l’on reconnut dans ce tableau un autoportrait de l’artiste, on le data, pour des raisons biographiques, des années 1640 (Dou est né en 1613). On supposa même qu’il s’agissait du premier tableau avec un rideau peint. Mais Werner Sumowski a pu identifier le personnage : un modèle de Dou, qui figure aussi dans d’autres œuvres ; ainsi la datation haute ne s’imposait plus35. En effet, tant le rideau que la fenêtre inscrite dans le tableau — procédé qui accentue l’effet de trompe-l’œil auquel Dou eut si souvent recours — ont été inventés par Rembrandt dans les années 1640. Par ce portrait, Dou rivalise avec son aîné, tel l’élève avec son maître, et il dépasse de loin son modèle dans les moyens et les effets employés. L’arrière-plan obscur du tableau laisse entre­voir un intérieur très proche de celui que nous trouvons chez Rembrandt. Dans la pénombre, on distingue une scène d’atelier, un chevalet, une molette et un spectateur. Ces éléments s’ajou­tent au tableau proprement dit et constituent une signature visuelle, un commentaire. Devant la fenêtre, un rideau rouge, tiré, délimite l’intérieur de la pièce. Le peintre, en pleine lumière, est accoudé à la fenêtre finement moulurée. Devant lui, le livre illustré dépasse un peu l’appui en direction du spectateur. Néan­moins, nous n’avons pas encore atteint la limite picturale. Notre

19. Pierre Paul Rubens et Jan Bruegel, Vierge à l’enfant dans une couronne de fleurs, vers 1620, 181x209 cm, Munich, Alte Pinakothek.

40

Page 40: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

regard s’arrête sur le billet fixé sur l’encadrement de la fenêtre, dont le coin corné semble aussi s’avancer vers nous. Cet ensemble paraît enchâssé dans un cadre noir (peint) devant lequel est fixé un rideau vert (peint). Le rideau, le cadre, le livre qui dépasse et le billet, le dessin de l’encadrement de la fenêtre et le second rideau, la profondeur de l’atelier sont autant d’élé­ments qui évoquent une petite scène baroque. Le contenu et la

41

Page 41: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

forme sont ici étroitement associés. Ce tableau est en fait une allégorie de la peinture. En une seule œuvre, Dou expose pour ainsi dire littéralement toutes les ressources de son art. Un art qui donne naissance à une « curiosité » (Kunststück) à l’état pur, confirme et dépasse même les exigences de la collection.

Nicolaes Maes, autre élève de Rembrandt, a lui aussi utilisé, mais différemment, la découverte de son maître. Ce n’est que vers 1648 qu’il devint son élève et il accorda alors une attention toute particulière à la Sainte Famille, qui date, rappelons-le, de cette époque. Deux copies de cette œuvre, réalisées dans les années 1650, lui sont à juste titre attribuées (ill. 21)36. Il est donc probable que le tableau se trouvait alors à Amsterdam, vraisemblablement chez Rembrandt lui-même. Dans l’esprit de Maes, il devait exister un lien entre la représentation de la Vierge

42

Page 42: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

et le rideau. C’est ainsi que nous voyons dans son œuvre l’asso­ciation de la Vierge Marie de la Sainte Famille de Leningrad et du rideau de celle de Kassel (ill. 22). Dans des œuvres plus tar­dives, le même artiste emploie encore à diverses reprises le rideau peint en trompe-l’œil. Il est cependant un élément plus important que la simple reprise de ce motif. Maes, auteur de très nombreuses scènes de genre d’un caractère intimiste, s’est égale­ment consacré au thème de l’intrusion dans l’intimité (la Femme qui écoute, l ’Homme qui écoute ou encore les Amoureux sur­pris). Il nous a laissé un grand nombre de variations sur ce thème manifestement très en vogue, et qui repose toujours sur le même schéma (ill. 23). Au premier plan un homme, ou une femme, monte, ou descend, un escalier et se cache derrière la cage de l’escalier pour épier un couple qui, dans une autre pièce, à l’inté­rieur de la maison, est en train de bavarder ou de s’embrasser. Maes représente ses scènes de telle sorte que le spectateur devient complice du personnage peint qui épie et écoute. Par un sourire entendu ou par un geste de la main nous invitant à ne pas faire de bruit, celui-ci nous indique que nous devons en faire

21. Nicolaes Maes, copie d ’après la Sainte Famille de Rembrandt (Kassel), après 1648, Angleterre, collection particulière.

43

Page 43: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

22. Nicolaes Maes, Marie près du berceau, 1655,

34x28,7 cm, Amsterdam, Rijksmuseum.

autant. Sur un tableau, Maes combine cette manière très efficace de s’adresser au spectateur avec le rideau peint. Nous reconnais­sons dans cette démonstration qu’il s’agissait d’un procédé que les élèves de Rembrandt maîtrisaient parfaitement. L’ouverture du rideau ne laisse entrevoir que la moitié de la scène : une femme, debout derrière une table, fait des reproches à son vis-à- vis ; elle a les mains sur les hanches et penche la tête. Le rideau semble remplir ici une double fonction. Il dévoile et il cache tout

44

Page 44: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

à la fois, mais l’effet produit reste le même. Dans les deux cas, il accentue le rôle que cette femme veut nous faire jouer. Il ne s’agit pas d’écouter mais de se transformer en voyeur. Ce n’est qu’à partir du moment où nous avons reconstitué la partie mas­quée, imaginé ce qui se passe derrière le rideau, que le tableau est complet. A partir de cet instant seulement, nous pouvons estimer avoir répondu à l’appel que cette femme nous a lancé et être vraiment devenu son complice. Ainsi Maes ne se contente pas d’exploiter les ressources du trompe-l’œil, il utilise (à rebours) un élément extérieur — le rideau — en l’intégrant au tableau et en le faisant participer au dialogue qui s’instaure entre l’œuvre et le spectateur.

Malgré leurs différences, nous estimons que ces deux exem­ples confirment notre thèse de départ, selon laquelle nous voyons dans la Sainte Famille de Kassel, du fait de son rideau peint, l’émergence de l’inscription dans la peinture du rapport entre le dedans et le dehors, entre le marquage du contexte en rapport avec le tableau et le tableau lui-même.

23. Nicolaes Maes, l’Écouteuse, 1656, Londres, commerce d ’art.

45

Page 45: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

LA SIGNIFICATION RELIGIEUSE DU RIDEAU

Il convient, me semble-t-il, de ne pas négliger dans ce domaine les renseignements que peuvent nous apporter les don­nées historiques. La présence du rideau nous renvoie à une époque où la peinture était entièrement « au service » de l’Église// Il serait très simple de justifier une interprétation reli­gieuse de ce motif, si l’on parvenait à trouver un lien entre le rideau et le sujet représenté ou entre le rideau et l’un des person­nages. Qu’une telle hypothèse soit concevable d’un point de vue iconographique, il suffit pour s’en convaincre d’examiner deux chefs-d’œuvre de la Renaissance : Y Adoration des bergers de Hugo van der Goes, datant de 1470-1480 environ (ill. 24), et la célèbre Madone Sixtine de Raphaël, datant de 1513-1514 (ill. 25). Sur ces deux tableaux, les pans du rideau sont écartés. Et contrairement à ce que l’on trouve chez Rembrandt, le rideau n’est pas situé nettement en avant, mais plutôt à l’intérieur,la jonction entre le dedans et le dehors de la peinture./Ces deux œuvres présentent comme thème central la mère de Dieu. Aussi existe-t-il de très nombreuses interprétations selon lesquelles le rideau est incontestablement un attjjbut de Marie37. Cependant, quand bien même nous admettrions cette éventualité pour les œuvres religieuses de Hugo van der Goes et de Raphaël, une question demeure : cette signification s’est-elle perpétuée jus­qu’au xviie siècle et dans les Pays-Bas protestants ? Certes, il serait conforme au « style iconographique » de Rembrandt d’uti­liser un élément religieux tout en suggérant qu’il appartient aussi au réel. Une fois encore nous pensons à la tête « nimbée » de la Vierge de l’eau-forte de 1654 (ill. 26). Néanmoins, nous vou­drions éviter de proposer une lecture trop classique du rideau, et ce pour les mêmes raisons qui nous font refuser une interpréta­tion purement formelle de l’œuvre. S’il existe un lien entre le rideau de type « profane » que l’on trouve dans les collections et son équivalent dans la peinture religieuse, c’est bien dans la réa­lité de sa fonction et non sur un plan symbolique qu’il faut le chercher.

Le rideau est présent depuis l’Antiquité dans l’art religieux.! Il y a toujours eu des voiles ou des rideaux devant les autels. Ils ser­vaient soit à dissimuler entièrement l’espace situé autour de

24. Hugo van der Goes,1 Adoration des bergers,1470-1480,97x24,5 cm, Berlin,Staadiche MuseenPreussischerKukurbesitz,Gemàldegalerie.

!

i

46

Page 46: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

l’autel pendant certains rites sacramentels, comme cela se pra­tique toujours dans l’Église orthodoxe, soit à cacher au regard une partie seulement de l’autel, celle où se trouvaient les pein­tures et les sculptures ou le ciborium et que l’on ne dévoilait que lors de cérémonies déterminées. Le mystère qui entoure les œuvres religieuses est pour une part dû à leur caractère inacces­sible et à l’alternance entre les moments où elles sont voilées et ceux où elles sont visibles. Dans le cas présent, il est intéressant de prendre en compte les travaux du grand historien de l’autel, Josef Braun38. Selon luise s rideaux tendent à disparaître au xvie et au xviie siècle. Or, c’est au moment même où les autels catho- liques présentent une nouvelle tormê~d:ornementation et misent sur d’autres procédés^que les rideaux font leur apparition dans la peinture profane, prolongeant âmsi une ancienne tradition d’ori­gine religieuse. Nous voyons dans ce phénomène une preuve supplémentaire de la fonction de remplacement exercée par les tableaux privés après l’abolition ou la remise en question de la vénération des images, et une raison de l’augmentation de l’usage d’images privées. Si nous examinons les inventaires d’une ancienne collection où sont recensés les biens que possédait Marguerite d’Autriche dans son palais de Malines, nous consta­tons qu’il était pour ainsi dire inconcevable qu’un tableau ne soit pas « couvert », qu’il s’agisse d’une peinture profane ou reli­gieuse. « La plupart sont couverts par un petit rideau ou par une

47

Page 47: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

25. Raphaël, la Madone Sixtine, 1513- 1514, 265x196 cm, Dresde, Staadiche

Kunstsammlungen, Gemâldegalerie.

Page 48: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

plaque de verre. Quelques-uns sont protégés par de petits volets sur lesquels figurent des armoiries ou des inscriptions en gri­saille. Les tableaux sans couverture sont extrêmement rares et alors on le mentionne expressément — pièce “ sans couverture ni feuillet ”39. Une œuvre de Jan van Eyck apparaît ainsi : « Un autre tableau de Nostre-Dame, du duc Philippe, qui est venu de Maillardet, couvert de satin brouché gris, et ayant fermaulx d’argent doré et bordé de velours vert40. » Un rideau de soie bro­chée et deux panneaux en vermeil devant un portrait de la Vierge semblent signaler un objet de culte particulièrement vénéré. Mais l’œuvre suivante, un portrait du « père du roi d’Angleterre » est orné d’une « couverture » de couleur pourpre, et le portrait du cardinal de Bourbon, décrit ensuite, est contenu dans un « étui en cuir ». Au début du xvie siècle, époque où cette collection fut réunie, il est encore possible de discerner pour quelle raison et dans quel but de dévotion ces diverses manières de voiler les œuvres ont été inventées. Mais l’intention n’est plus aussi manifeste qu’à l’origine. Marie d’Autriche n’a pas prié devant les centaines de peintures religieuses qui consti­tuaient sa collection. Imperceptiblement, une transformation s’est opérée. Le caractère sacré des œuvres d’art a disparu. Il a fait place à une valeur profane liée à la préciosité des objets. Walter Benjamin dirait que la valeur cultuelle de l’œuvre d’art a disparu au profit d’une autre valeur, celle de l’objet d’exposition.

Initialement, les tableaux d’usage privé — images de piété, petits retables, portraits... — étaient des œuvres de petit format. De nombreuses peintures qui ont appartenu à Marguerite d’Autriche ne dépassaient pas le format d’une feuille de papier standard. Et cela demeura vrai jusqu’au xvne siècle. Nous en vou­lons pour preuve une œuvre de Francisco de Zurbarân datée de 1629 au titre assez long : Saint Bonaventure montre le Crucifié, source de toute connaissance, à saint Thomas d ’Aquin (ill. 27). Dans sa cellule, saint Bonaventure écarte le rideau qui couvre un tableau. Il présente à saint Thomas et à quatre franciscains le Christ en croix. Cette scène a beau se passer durant le haut Moyen Age, l’intention de Zurbarân n’était certainement pas de montrer comment on représentait les tableaux quelques siècles plus tôt. Zurbarân nous a laissé plusieurs représentations du Crucifié tel qu’on le voit sur cette « peinture dans la peinture ». Nous pouvons supposer que son intention était chaque fois la même. Ses petits tableaux étaient destinés à l’exercice privé de

26. Détail de l'illustration 5.

49

Page 49: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

la piété, considérés comme des supports visuels à la contempla­tion et à la méditation. Ces exercices spirituels étaient soumis à des règles et à des horaires précis. Tout porte à croire que ces retables étaient rangés dans un étui ou couverts lorsque Ton ne s’en servait pas. Le petit format des tableaux, leur contenu simple, l’usage tout à fait privé et l’importance fondamentale de la contemplation, sont autant d’éléments étroitement liés et fort importants pour comprendre la Sainte Famille de Rembrandt. Le tableau de piété privé est par définition de dimensions réduites, et le tableau figurant une scène de la vie privée l’est aussi puis­qu’il doit s’intégrer dans un cadre déterminé. Selon Burckhardt, qui s’est beaucoup intéressé aux questions de format, « le choix du petit format était surtout une question de bon sens. On sen­tait bien que de telles scènes, dans un format supérieur, ou gran­deur nature, auraient produit un effet moins juste. Et de toute façon, même les pièces d’habitation des plus riches clients n’étaient pas très spacieuses. Le grand format ne convenait qu’aux motifs imaginaires,/ c’est-à-dire à ceux dont la beauté apaise le regard et qui restent conformes au genre du tableau. Chez de nombreux peintres qui ont pratiqué le petit format, on découvre un souci du détail que l’on chercherait en vain aujourd’hui, même dans les œuvres de grand format. Nous sommes en présence d’un véritable microcosme41. »

Lorsqu’en 1665 le collectionneur de Leyde Johan de Bye exposa dans une pièce louée par ses soins une trentaine de pein­tures de Gerrit Dou, les petits panneaux de grande valeur de l’artiste étaient logés dans ce qu’on appelle des « coffrets » (« kas », « kastje »), châssis en ébène que l’on pouvait fermer grâce à une petite porte ou à un volet42. Cette manière de conserver les œuvres et de les présenter était sans doute aussi fréquente que l’utilisation du rideau. Nous savons que quatre Vermeer au moins étaient conservés dans des coffrets43. Une fois encore, le lien avec la tradition, qu’il s’agisse de la religion ou des collections, est aussi patent qu’un peu plus tard la disparition ou l’oubli inévitable d’un tel principe de conservation. Que ce soit à l’intérieur d’une église ou dans le cadre d’un cabinet de collec­tionneur, le contact du spectateur avec l’œuvre était lié à des opérations exigeant tant un certain savoir que la présence de per­sonnes revêtues d’une autorité, sinon de privilèges. Plus tard, ces contraintes extérieures disparaîtront. Il en résultera la nais­sance du concept — faux sur le plan historique — de l’œuvre

50

Page 50: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

pure, immédiatement offerte au regard. Dans le cas des petits tableaux de Dou — et d’autres peintures de cette finesse —, le coffret constituait un attrait supplémentaire, car les volets étaient parfois peints. C’est ainsi que d’un seul tableau on en faisait deux, et que l’on séparait des peintures qui étaient liées par leur contenu. Très souvent la représentation figurant sur le coffret évoquait de manière fugace et emblématique la scène de genre qu’elle couvrait, si bien qu’en ouvrant et en fermant le coffret, on pouvait voir plusieurs états du même thème iconographique, comme c’est le cas avec les retables à plusieurs volets (ill. 28). Si nous oublions un instant notre conception de l’art et de la pein­ture, élaborée à l’époque des musées, nous pouvons considérer sans peine la continuité d’usage entre des tableaux figurant dans une église et ceux figurant dans une collection privée. En ce qui

27. Francisco de Zurbarân, Saint Bonaventure, 1629, 226x256 cm, Berlin, Staadiche Museen Preussischer Kulturbesitz, Gemàldegalerie.

51

Page 51: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

:v

concerne Rembrandt et le rideau peint, il faudrait souligner que la continuité porte sur l’utilisation du tableau et non sur le sujet. Le travail de Rembrandt porte en effet sur la manière dont les tableaux sont traités depuis des siècles.

Il est nécessaire de bien expliquer ce que l’on veut dire lors­qu’on affirme que Rembrandt renouvelle la signification reli­gieuse du rideau. L’époque des grands retables, en plusieurs par-

52

Page 52: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

ries et transformables, et des jubés est révolue, comme le temps où l’on voilait une partie de l’autel et où l’on mettait en scène le mystère de la révélation. Dans l’œuvre de Rembrandt, le rideau n’évoque pas un dévoilement (au sens de « Révélation », d’ « Apocalypse ») selon l’acception immédiate de ce terme. En revanche Hugo van der Goes nous montre, dans l'Adoration des bergers, comment un tel tableau est construit (ill. 24) : deux pro­phètes exercent leur ministère, ils proclament leur message : la naissance du Seigneur. Ils écartent les rideaux, qui symbolisent ici le vieux monde et les écrits de l’Ancien Testament, autrement dit les temps où l’on ne pouvait qu’entrevoir, comme à travers un voile, ce qui est accompli maintenant. Sur le tableau de Rem­brandt, rien n’est présenté comme une manifestation du Salut. Le rideau n’est pas non plus un moyen de rehausser la réalité. Il faut bien voir que le rideau peint est une formule à laquelle les pein­tres italiens et ceux des Pays-Bas méridionaux aiment à recourir pour magnifier et orner cérémonieusement le portrait d’une per­sonne ou d’un saint. Le caractère religieux de l’art de Rembrandt— Georg Simmel l’avait déjà montré dans ses travaux — « n’apparaît ni sous la forme d’un élément particulier, ni comme un sommet de la vie humaine44 ». Ce n’est ni un genre auto­nome, avec sa symbolique propre (nous avons, au début de cette étude, évoqué cette question à propos du motif de la Sainte Famille) ni pour Rembrandt l’occasion de changer de style et de grossir le trait. Si une œuvre a jamais pu exercer une quelconque influence sur le tableau de Kassel, il ne peut s’agir que d’une gra­vure du début du xvne siècle que nous devons à Crispin de Passe, qui s’était lui-même inspiré d’une peinture de l’artiste hollandais Herman van Vollenhoven (ill. 29). Selon toute vrai­semblance, le collectionneur passionné qu’était Rembrandt connaissait cette gravure, mais non le tableau qui devait appar­tenir à un collectionneur de Cologne. Le sujet du tableau (le Christ à Emmaüs) est pour nous beaucoup plus évident que celui de la Sainte Famille de Rembrandt. Nous sommes en pré­sence d’une œuvre qui évoque un dévoilement et une révélation. Le Christ est reconnu par ses disciples : « Alors leurs yeux furent ouverts et ils le reconnurent. » Les vers inscrits sous la gravure explicitent la scène. Le message s’adresse au spectateur, c’est-à-dire à « nous » : « Notre esprit, opprimé par les ténè­bres profondes, se fige, et son ignorance le rendrait obtus si le souffle divin n’intervenait pour chasser nuées et orages. Cela

28. Gerrit Dou, Nature morte au chandelier et à la montre de gousset, 43x35,5 cm, Dresde, Staatliche Kunstsammlungen, Gemâldegalerie (au xvif siècle, ce tableau servait de volet à une peinture intitulée le Cellier, détruite pendant la Seconde Guerre mondiale).

53

Page 53: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

signifie : le Christ rompt le pain et éclaire avec bienveillance l’esprit des siens. » Le tableau nous en fournit une double démonstration. Tout d’abord en la personne du disciple de gauche touché par le rayon de lumière. Il reconnaît le Christ, éclairé de la même manière, tandis que le second disciple, tou­jours dans la pénombre, ne manifeste encore aucune réaction. Par ailleurs, cette scène biblique nous est révélée par le tableau lui-même, dont les deux pans du rideau sont écartés. Ce rideau se situe au point de jonction imprécis entre le dedans et le dehors du tableau, comme sur les peintures de Raphaël et de Hugo van der Goes, et c’est précisément pour cette raison qu’il ne s’agit pas du premier rideau peint. Ce qui nous semble plus important que ces questions de chronologie est la manière dont ce motif est utilisé, qui se distingue très nettement des utilisa­tions plus anciennes. Le rideau symbolise le caractère privé de la révélation religieuse/Il constitue le point de rencontre de deux courants d’inspiration liés à l’utilisation du petit format : d’abord le courant religieux, ensuite le courant profane. Nous sommes à la fois devant un tableau de piété et une œuvre de col­lection.

Rembrandt peint un petit panneau. Quelle que soit la manière dont il a été conçu et dont il a servi, il s’adresse à un seul specta­teur. Certes, le rideau peint fait l’effet d’un « eye-catcher », d’un élément qui accroche le regard, même s’il est vu de loin. Il res­sort clairement par rapport à l’ensemble des autres moyens mis en œuvre. Mais si l’on veut découvrir toutes les richesses du tableau, il faut le regarder de près,/compte tenu de son petit format et du flou dans lequel baigne tout ce qui est un peu éloigné du feu. Le rideau peint, le format choisi, le traitement de la lumière, la technique utilisée par l’artiste, tous ces éléments influent sur notre vision de l’œuvre. Celle-ci semble nous sug­gérer que sa place est dans un petit cabinet, afin que l’on puisse aisément l’observer.

Rembrandt ne s’adresse qu’à une seule personne. Il peint de manière très concentrée un sujet bien défini : le noyau familial, ce que la Sainte Famille incarnait de façon exemplaire. L’épouse est tout à son enfant, candide et sans défense comme tous les enfants. Le mari travaille. Le feu occupe le centre de la maison et du tableau. Il dispense lumière et chaleur et sert à la préparation du repas. Comme le soulignent l’écuelle, au premier plan, et le chat — animal domestique par excellence — installé à côté, qui

Page 54: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

n’est pas présent par hasard. L’homme et l’animal, le mari et la femme, la vieillesse et la jeunesse, quelques objets et voilà ras­semblés les éléments essentiels de la vie, cités et associés dans une même peinture.

La plénitude intrinsèque de l’œuvre n’est pas compensée sur le plan formel. La composition du tableau fait apparaître trois centres : la mère et son enfant ; le feu, l’écuelle et le chat ; enfin, l’homme au travail. Ces trois centres sont distincts, indépen­dants les uns des autres. Aucun d’entre eux n’entretient un rap­port direct avec l’extérieur. Chaque groupe représenté se suffit à lui-même. Le regard du spectateur rencontre trois unités qui for­ment un tout, une scène dont il aurait été difficile de mieux rendre le caractère intime et qui est composée de trois moments forts de la vie d’une famille. Car ce qui est empreint du sceau de l’intime et du privé se soucie peu de plaire, voire de communi­quer ou seulement évoquer le sentiment d’une communication. C’est pourquoi nous osons avancer ce paradoxe : c’est précisé-

29. Crispin de Passe d ’après Vollenhoven, le Christ et ses disciples à Emmaüs, début du XVIIe siècle, gravure sur cuivre.

55

Page 55: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)
Page 56: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

ment l’absence de liens sur le plan formel entre les diverses composantes du tableau qui confirme, une fois de plus, la soli­tude dans laquelle se trouvent les personnages et leur union sur le plan spirituel. Dès lors, le rideau acquiert une signification supplémentaire, orientée vers l’intérieur du tableau. En tant qu’élément profane et distinct du tableau, il contribue, dans ce cas particulier, à rendre plus explicite le message de l’œuvre. Plus exactement, il favorise la création d’un rapport entre le tableau, si peu tourné vers le dehors, et le spectateur.

Le rideau est l’expression d’un seuil entre le spectateur et le tableau proprement dit, mais, il ménage simultanément un accès à l’œuvre et permet au spectateur (placé au-dehors) de parti­ciper à la scène. Il est un intermédiaire d’un genre tout à fait particulier : d’un côté il est impossible d’ignorer sa présence, de l’autre il rehausse le caractère intime du sujet. Nul doute qu’il appartient au domaine de l’art : il nous aide autant à comprendre ce qu’il y a de sacré dans la vie privée que le carac­tère privé du sacré. Sa double fonction, ô combien ambitieuse, témoigne des difficultés que dut affronter la peinture hollandaise au xviie siècle. Si des œuvres religieuses sont également pro­duites, elles ne s’appuient plus sur un culte approprié. L’art, dans un contexte extrêmement riche, est très sélectif, très métho­dique, sans pour autant devenir excessif — extatique ou austère. Bien que d’usage privé, il veut être efficace et prétend rivaliser avec les autres genres, sur son propre terrain.

Le rideau n’est pas un élément sorti de l’ordinaire, mais l’élé­ment qui met en yaleur une image de la vie quotidienne. Il accroît le climat d’intimité de la scène représentée, très simple, en nous dévoilant ce qui se déroulerait quand bien même nous ne serions pas là pour le voir. Il nous fait découvrir une action très concentrée et nous place,/spectateur, dans la situation de l’observateur bienveillant et discret/ÎMous ne sommes nullement voyeurs, car le tableau ne contient rien qui ne nous soit pas des­tiné. Nous pénétrons dans le domaine du privé. C’est pour nous que le rideau est écarté, et nous avons le droit de nous avancer, doucement, et de contempler un tableau.

30. Détail de la Sainte Famille (voir planche en fin de volume).

57

Page 57: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

NOTES

1. W. Kaegi Ja cob Burckhardt, Bâle-Stuttgart, 1967, t. IV, p. 391 sqq.

2. Sur le rapport Burckhardt-Rembrandt, ibid., t. IV, p. 396 sqq., t. VI, 2, p. 730 sqq., et J. Burckhardt, Die Kunst der Betrachtung. Aufsâtze und Vortrâge zur bildenden Kunst, publié par H. Ritter, Cologne, 1984, p. 380 sqq.

3. J. Burckhardt, ibid., p. 381 sqq.

4. Cité d’après W. Kaegi, op. cit., note 1, t. IV, p. 396.

5. Ibid.6. O. Eisenmann, Katalog der Kôniglichen Gemàldegalerie zu Kassel, Kassel, 1888, p. 145 sqq. L’œuvre est mentionnée dans les catalogues : Bredius : 572, Bauch : 77, Gerson : 212. La reproduction (ill. 21) donne une idée de l’œuvre telle qu’elle était dans son état originel.

7. Ibid., p. LVIII. A propos de l’achat et de l’histoire des collections de Kassel, on lira l’article de A. von Drach sur le catalogue d’Eisenmann, ainsi que : Mittei- lungen aus dem Briefwechsel des Landgrafen Wilhelm VIII. mit dem Baron Hâckel betr. Gemàldeerwerbungen fur die Kasseler Galerie du même auteur, in Hessenland, 4, 1980, p. 334 sqq. ; 5, 1981, p. 2 sqq. et 18 sqq. ; Beschrei- bendes und kritisches Verzeichnis der Werke der hervorragendsten Hollândis- chen Maler des 17. Jahrhunderts, publié par C. Hofsteede de Groot, Esslingen et Paris, 1915, t. VI, p. 55 sqq. ; E. Herzog, Die Gemàldegalerie der Staatlichen Kunstsammlungen Kassel, Hanau, 1969, p. 9 sqq. W. von Both et H. Vogel, Landgraf Wilhelm VIII. von Hessen-Kassel. Ein Fürst der Rokokozeit, Munich, 1964, p. 130 sqq. Les sources dont nous disposons nous indiquent clairement que le landgrave a acheté ce tableau à W. Lormier, marchand d’objets d’art, le 18 juin 1752, pour la somme de sept cent trente-cinq florins. Lormier l’avait lui- même acquis un peu plus tôt auprès d’un marchand d’Amsterdam, J. de Roore. Il est probable que cette toile est restée la propriété de Rembrandt jusque dans les années 1650, et qu’elle a été ensuite mise en vente à Amsterdam. Dans l’inven­taire des biens de Rembrandt, dressé en 1656 (ils seront vendus aux enchères), un tableau représentant Marie et son Enfant est mentionné. Il existe peut-être un lien entre cette indication et l’inventaire dressé en 1657 des biens du marchand d’objets d’art, Johannes de Renialme, où sont mentionnés deux Saintes Familles de la main de Rembrandt (cf. Hofsteede de Groot, op. cit., p. 56 et 58).

8. H. Vogel, 45 Gemâlde der Kasseler Galerie, s.l.n.d., p. 62.

9. J. Burckhardt, Die Kunst..., op. cit., note 2, p. 402.

10. S. Causid, Verzeichnis der Hochfürstlich-Hessischen Gemâlde-Sammlung zu Cassel, Kassel, 1783, p. 76.11. C’est Kurt Bauch qui, dans ses travaux sur Rembrandt, fut le premier à employer l’expression « style iconographique », cf. Studien zur Kunstgeschichte, Berlin, 1967, p. 123 sqq. et spécialement p. 136 sqq. : « Malgré les résultats spectaculaires obtenus en matière d’analyse iconographique et d’interprétation d’une œuvre [...], il est encore difficile d’affirmer et de prouver de manière scien­tifique et avec exactitude ce qui caractérise la création d’un artiste en particulier, ce qui constitue sa spécificité, et il n’est pas facile non plus de cerner l’univers

Page 58: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

thématique d’un siècle, ni de comprendre comment les œuvres ont été accueil­li es a une époque précise. Il va de soi que les réponses à de telles questions [...] sont en partie contenues dans une analyse stylistique. Mais le style iconogra­phique n’a pas encore vraiment fait l’objet d’une étude approfondie, comme t elles qui ont été consacrées à des sujets tels que l’espace, la couleur, la lumière ou le dessin. Dans le cas de Rembrandt, il faudrait opposer d’un point de vue i hronologique son iconographie à l’évolution thématique préalable de ses u’uvres. »

11. Sur l’iconographie mariale dans les Pays-Bas du Sud, se reporter à l’ouvrage de B. Knipping, De iconografie van de contra-reformatie in de Nederlanden, Hil- versum, 1939, t. II, p. 258.

I ). J. Montias, Artists and Artisans in Delft in the 17th Century, Princeton,1982.

14. J. Burckhardt, op. cit., note 2, p. 385 sq.

I 5. Sur la peinture des cabinets d’amateur, voir l’ouvrage de S. Speth-Holterhoff, Les Peintres flamands de cabinets d ’amateur au xvne siècle, Bruxelles, 1957. On pourra aussi consulter une bibliographie plus récente, notamment J. Müller 1 lofsteede, « Non Saturatur Oculus Visu », in Wort und Bild in der niederlân- dischen Kunst und Literatur des 16. und 17. jahrhunderts, publié par11. Vekeman et J. Müller Hofsteede, Erftstadt, 1984, p. 243 sqq. et particulière­ment p. 281.

16. Sur les rideaux peints, cf. P. Reuterswàrd, « Tafelfôrhànget. Kring ett motiv i hollàndskt 1600-talmaleri », in Konsthistorisk Tidskrift, 25, 1956, p. 97 sqq. (première tentative de recensement, et d’analyse de ce motif ; incomplet) ; 17th- Century Dutch Painting. Raising the Curtain on New England Private Collec­tions, catalogue d’exposition, Worcester, 1979, p. 9 sqq. ; La Peinture dans la peinture, Paris, 1987, pp. 276-277 ; Prijst de Lijst, catalogue d’exposition, Ams­terdam 1984, p. 302 sqq.

17. G. Mancini, Considerazione sulla pittura, publié par A. Marucchi, Rome, 1956, t. I, p. 143.

18. Le rapport de Joachim von Sandrart publié par H. Hibbard, Caravaggio, Lon­dres, 1983, p. 378 en fait foi : « On peut voir cette œuvre, exposée en compa­gnie de cent-vingt autres exécutées par les meilleurs artistes, dans une pièce accessible au public. Mais sur mes conseils, on l’a couverte d’un rideau en satin de couleur vert foncé, que l’on a écarté en dernier, une fois vu le reste de l’exposi- tion. Car sinon, toutes les autres curiosités auraient semblé insignifiantes à côté de cette œuvre qui relègue, à juste titre, toutes les autres au second plan. »

19. N. Poussin, Correspondance, publié par C. Jouanny, Paris, 1911, p. 384.

20. C. Neumann, Aus der Werkstatt Rembrandts, Heidelberg, 1918, p. 86 sq.21. Ibid., p. 87.22. G. Bandmann, « Das Exotische in der Europàischen Kunst », in Der Mensch und die Künste. Festschrift für Heinrich Lützeler, Düsseldorf, 1962, p. 345.

23. Pline l’Ancien, Naturalis historiae, Livre 35, 65 sq.24. Cf. S. et P. Alpers, « Ut Pictura Noesis ? Criticism in Literary Studies and Art History », in New Literary History, 1972, p. 459.

Page 59: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

25. C. Tümpel, Rembrandt, Reinbeck, 1977, p. 110 sq. L’inventaire des biens de Rembrandt a été publié plusieurs fois. En dernier, in Tout l ’œuvre peint de Rembrandt, introduction de Jacques Foucart, documentation de P. Lecaldano, Paris, 1971, p. 89 sqq. En ce qui concerne les collections de Rembrandt, voir en priorité l’article de R. W. Scheller, « Rembrandt en de encyclopedische verzame- ling » in Oud Holland, 84, 1969, p. 81 sqq.

26. C. Tümpel, op. cit., note 25, p. 112.

27. Sur le cabinet d’amateur et le concept de collection au xvne siècle, outre les articles de Müller Hofsteede et de Scheller (op. cit. notes 15 et 25) on se repor­tera aux travaux de W. Liebenwein et Horst Bredekamp parus dans Forschungen zur Villa Albani, publié par H. Beck et P. C. Bol, Berlin, 1982.

28. Sur ce sujet, voir les travaux de J. Berger, Sehen. Das Bild der Welt in der Bil- derwelt, Reinbek, 1974, p. 78 sqq. et de S. Alpers, The Art o f Describing, Chi- cago-Londres, 1983.

29. O. Bâtschmann, Einführung in die kunstgeschichtliche Hermeneutik, Darmstadt, 1984, p. 91.

30. Citations d’après l’ouvrage de B. Teyssèdre, Roger de Piles, Paris, 1965, p. 524 sqq. Sur les rapports entre Roger de Piles et Rembrandt, voir égalementS. Alpers, « Describe or Narrate ? A Problem in Realistic Représentation », in New Literary History, 8, 1976, p. 26 sqq.

31. J. Burckhardt, op. cit. note 2, p. 380.

32. Ibid., p. 292.

33. A propos de ce genre d’œuvres, voir K. Ertz,Jan Bruegel der Âltere (1568- 1625), Cologne, 1979, p. 302 sqq.

34. J. Denucé, De Kunstkamers van Antwerpen in de 16 en 17 eeuwen, La Haye, 1932, p. 246 sq.

35. W. Sumowski, Gemàlde der Rembrandt-Schüler, Landau, 1983, t. I, p. 530.

36. W. Sumowski, Drawings o f the Rembrandt School, New York, 1984, t. V, p. 4026 sqq.

37. B. A. Sigel, Der Vorhang der Sixtinischen Madonna, Herkunft und Bedeutung eines Motivs der Marienikonographie, thèse de doctorat, Zurich, 1977 ; J. K. Eberlein, Apparitio Regis-Revelatio Veritatis, Wiesbaden, 1982 ; et, du même auteur, « The Curtain in Raphael’s Sistine Madonna », in The Art Bul­letin, 65, 1983, p. 63 sqq.

38. J. Braun, Der christliche Altar, Munich, 1924, t. II, p. 141 sqq. ; du même auteur, l’article « Altarvelen », in Reallexikon zu deutschen Kunstgeschichte.

39. J. Veth et S. Müller, Albrecht Dürers Niederlàndische Reise, Berlin, 1918, t. II, p. 83.

40. L’inventaire de la collection figure dans le Jahrbuch der Kunstsammlungen des Allerhôchsten Kaiserhauses, 3, 1885, p. XCVIII.

41. J. Burckhardt, op. cit. note 2, p. 355.

42. W. Martin, Gérard Dou, Londres, 1908, p. 67 sqq. et 144.

Page 60: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

I y K. Bostrôm, « Peep-Show or Case », in Kunsthistorische Mededelingen, 4, 1949, p. 21 sqq. Voir aussi L. Gowing, Vermeer, New York, 1953, p. 99 sqq.

44. G. Simmel, Rembrandt, Leipzig, 1919, p. 166 sq.

ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES

I 006. Naissance de Rembrandt Harmenszoon van Rijn à Leyde (le 1 5 juillet ?). Fils du meunier Harmen Gerritszoon van Rijn et de Cor- nelia Willemsdochter van Zuytbroeck. Huitième de neuf enfants.

1613-1620. Fréquente la Latijnse Scool (l’école latine) de Leyde.

I 620. Inscrit quelques mois à l’université de Leyde.

1621-1624. Apprentissage chez Jacob van Swanenburch, sans doute chez Jacob Pynas à Leyde, puis chez Pieter Lastman à Amsterdam.

1624. Rembrandt ouvre un atelier à Leyde, où il travaille pendant un temps avec Jan Lievens.

1625. La Lapidation de saint Étienne (Lyon, musée des Beaux-Arts), première œuvre datée.

1631. Installation à Amsterdam. Rembrandt s’associe avec le mar­chand de tableaux Hendrick van Uylenburch ; il ouvre son atelier dans sa maison.

1 632. Il signe la Leçon d ’anatomie du professeur Tulp (La Haye, Mau- ritshuis).

I 634. Rembrandt épouse Saskia van Uylenburch, la riche nièce de Hendrick.

1635. Naissance de son fils Rombertus, qui meurt peu après, tout comme deux autres enfants. Rembrandt a de nombreux élèves et loue an second atelier.

1639. Acquisition d’une grande maison dans la Jodenbreestraat, qui abrite dorénavant son atelier, sa collection et son logement.

1 640. Il signe la Sainte Famille du musée du Louvre.

1 641. Naissance de son fils Titus.

I 642. Mort de Saskia. Il signe la Ronde de nuit (Amsterdam, Rijksmu- seum).

1646. Il signe la Sainte Famille de Kassel.1648-1649. Rembrandt vit avec Hendrickje Stoffelsdochter Jaegher.

Leur liaison fait à plusieurs reprises l’objet de critiques de la part des institutions officielles.

Page 61: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

1650. Date probable de l ’Homme au casque d ’or (Berlin, Staatliche Museen, Gemâldegalerie).

1653. A cette époque, Rembrandt se trouve dans de grandes difficultés financières.

1654. Naissance de sa fille Cornelia. Il signe la Bethsabée du Louvre.

1657-1658. Vente aux enchères de la maison, des collections et autres biens de Rembrandt. Il subsiste des dettes.

1660. Rembrandt quitte la maison de la Jodenbreestraat.

1662. Il signe les Syndics des drapiers (Amsterdam, Rijksmuseum).

1663. Mort de Hendrickje.

1668. Mort de Titus.

1669. Rembrandt meurt le 4 octobre.

Page 62: L Kemp Rembrandt La Sainte Famille (Ocr)

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

, \ Corpus o f Rembrandt Paintings, vol. 1 : 1625-1631 ; vol. 2 : 1631-1634, La Haye, Boston, Londres, 1982, 1986.

Bh n esch , O., The Drawings o f Rembrandt, 6 vol., Londres, 1954-1957.

Bo l t e n , J., B o l t e n R e m p t , H., Rembrandt, Paris, 1977.B r e d iu s , A., Rembrandt : The Complété Edition o f the Paintings, 3e éd.,

Londres, 1969.P o u c a r t , J., L e c a l d a n o , P., Tout l ’œuvre peint de Rembrandt, Paris, 1971.

CiiïRSON, H., Rembrandt et son œuvre, Paris, 1969.G iltaij, J., De tekeningen van Rembrandt en zijn school, Rotterdam, Musée

Boymans-van Beuningen, 1988.I Ia a k , B., Rembrandt, His Life, Work and Time, Londres, New York, 1969.I I a v erk am p B e g e m a n n , E., « Present State of Rembrandt Studies », in Art

Bulletin, vol. LUI, 1971, pp. 88-104.Mü n z , L., Rembrandt’s Etchings, Londres, 1952.Rembrandt, 1669-1969, catalogue d’exposition, Amsterdam, Rijksmuseum,

1969.Rembrandt. Eaux-fortes de la collection Duthuit, catalogue d’exposition,

Paris, Petit Palais, du 6 février 1986 au 20 avril 1986.Rembrandt et son école : dessins du musée du Louvre, catalogue

d’exposition, Paris, Musée du Louvre, 28 octobre 1988-30 janvier 1989.

Ro s e n b e r g , J., Rembrandt : Life and Work, 3e éd., Londres, 1964.S l iv e , S., Rembrandt and His Critics, La Haye, 1953.T ü m p e l , C., Rembrandt, Paris, 1986.

W h it e , C., Rembrandt and His World, Londres, 1964.

A lpers, S., The Art o f Describing : Dutch Art in the Seventeenth Century, Chicago, 1983.

Br o w n , C., Images o f a Golden Past : Dutch Genre Painting o f the 1 7th Cen­tury, New York, 1984.

I Ia a k , B., The Golden Age : Dutch Painters o f the 1 7th Century, New York, 1984.

Pr ice , J. L., Culture and Society in the Dutch Republic During the 1 7th Cen­tury, Londres, 1974.

OUVRAGESGÉNÉRAUX

SUR LA PEINTURE HOLLANDAISE